F. LE SÉISME EN HAÏTI

Nous avons projeté un détachement d'intervention catastrophe aéromobile (DICA) dès le 13 janvier 2010. La préfecture de Martinique et l'état-major de zone ont été désignés pour assurer la plateforme logistique de la plus grande opération de sécurité civile de l'histoire. Cette action a été menée en collaboration avec le colonel Bruder du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Ce fut 44 jours non-stop. Il a fallu s'organiser, principalement, avec une cellule logistique, des cellules supplémentaires et la cellule de rapatriement hébergement, puisque nous étions concernés par l'évacuation des ressortissants français et des blessés dans un premier temps. Il se posait aussi le délicat problème des orphelins.

Pour gérer cette situation, nous avons fait appel aux associations, pour recevoir les ressortissants français et les petits enfants à l'aéroport. Il fallait assurer leur réception, celui des orphelins et les hébergements d'urgence. A titre d'information, cette situation perdure encore aujourd'hui. Quarante-cinq enfants blessés ne sont toujours pas rentrés à Port-au-Prince et se trouvent dans des familles d'accueil. Cette cellule s'est occupée aussi de la coordination, de la plateforme, de l'accueil des détachements d'intervention de retour ou en partance pour Port-au-Prince.

Le colonel Bruder en parlait tout à l'heure. Nous sommes arrivés à 44, nous étions presque 1 000 hommes à mon départ. Il y avait de nombreuses rotations aériennes à organiser, ainsi qu'une logistique importante : un peu plus de 2 000 frets maritimes et aériens ont été envoyés sur la zone.

J'ai reçu le warning tsunami à 18 heures sur mon ordinateur (message d'alerte Tsunami du centre d'alerte d'Hawaï, procédure UNESCO), puisque j'étais au bureau. C'est ainsi que j'ai appris qu'il venait d'y avoir un tremblement de terre en Haïti. On a mis sur pied le DICA, le Détachement d'Intervention catastrophe aéromobile, avec le colonel Palcy, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Martinique et le colonel Bazir, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Guadeloupe. Initialement, nous pensions avoir pour mission de rechercher des victimes sous décombres, de participer à l'assistance médicale à la population et de conseiller le poste diplomatique sur des domaines techniques de notre compétence.

En arrivant, on a eu la chance de prendre contact avec l'ambassadeur de France et M. Abel Nazaire, coordonnateur adjoint du secrétariat permanent de gestion es risques et des désastres (SPGRD) de la direction de la protection civile Haïtien. Nous avions réussi à les joindre deux heures après le tremblement de terre avec la valise satellite de l'ambassade de France. L'ambassadeur nous a demandé de nous occuper en priorité du rapatriement des ressortissants français et des blessés. Il a fallu s'adapter et j'ai délégué un médecin et un officier des forces armées des Antilles (attaché de défense non résident de l'ambassade de France) pour prendre en compte cette mission.

Nous sommes ensuite partis sur des recherches et des dégagements de victimes sous décombres sur le secteur du Montana Hôtel. Au cours de ces 3 dernières années, cela fait quatre fois que la zone de défense Antilles envoie un détachement en Haïti, soit dans le cadre de l'effondrement d'une école ou d'un cyclone. En l'absence de coordination internationale puisque nous étions le premier détachement de secours étranger arrivé sur la zone d'intervention, j'ai décidé, en accord avec l'ambassadeur de France, d'engager le détachement de recherches sous décombres au Montana Hôtel où il y avait à ma connaissance environ 400 chambres. On avait plus de chances de retrouver quelques survivants rapidement. Deux heures après, nous avons sorti la première victime.

Dans le même temps, il y a eu une montée en puissance extraordinaire du dispositif. Nous sommes arrivés le 13 janvier, de nuit à 19 heures. Les premiers renforts de métropole arrivaient le lendemain matin à 7 heures. Nous avons lancé les chantiers sur le Montana, fait des reconnaissances et des évaluations pour pouvoir ensuite engager les premiers renforts nationaux arrivant de métropole et nous occuper de l'établissement de l'offre de soins, puisque la première priorité sanitaire était pour ma part de rétablir au plus tôt les hôpitaux locaux. Il y en a 6 à Port-au-Prince et nous avons décidé d'en rétablir 4 en accord avec le Docteur Fontanille, directeur des secours médicaux (DSM) du détachement DICA.

Conformément à la demande de l'ambassadeur de France, la sécurité de l'ambassade et de la résidence de l'ambassadeur a été assurée par les 16 gendarmes amenés en renfort dans le troisième avion. Au sein du détachement, j'avais pris la précaution d'emmener le médecin légiste de la Martinique : le docteur Malbranque. J'avais amené celui-ci pour évaluer le nombre de décédés sur mes chantiers. Rapidement, l'ambassadeur a voulu, à juste titre, qu'on s'occupe des décédés français, de façon à pouvoir retrouver les corps, les identifier et les rendre à leurs familles. Sa présence nous a permis d'activer rapidement l'unité nationale d'identification des victimes de catastrophes.

Dans le même temps, il a fallu installer le poste de commandement, installer une base logistique. Sur la plan logistique, cela a été rapidement organisé au regard des destructions massives sur le terrain : les détachements d'intervention français étaient « logés » sur le terrain du jardin de la résidence de l'ambassadeur de France. Les conditions de vie étaient donc très précaires pour tous : tentes ou à même le sol. Des toilettes de campagne et des douches pour 700 personnes ont été installées.

Sur le terrain, nous avons procédé à des chantiers techniques : c'étaient des chantiers dangereux, des chantiers internationaux. Nous avons sauvé 16 vies. Ces chantiers techniques sont dangereux, car les matériaux de construction en Haïti sont principalement du sable provenant de la mer et du béton de très mauvaise qualité, du ferraillage de mauvaise qualité, quand il y en a. Il est inutile de dire qu'aller sous les décombres devient compliqué et dangereux avec ces conditions exceptionnelles.

Avec la montée en puissance très rapide du dispositif, on a mis en place un hôpital de campagne de la sécurité civile appelé ESCRIM : des hommes, des femmes, des consultations, des soins. Il y eut un peu plus de 1 500 consultations, et là encore des vies sauvées.

Cette opération est la plus grosse opération montée par la sécurité civile depuis que cette dernière existe. Elle a été fantastique pour nous tous, et surtout pour moi, puisque j'étais un chef de détachement complètement autonome sur le plan opérationnel. On avait fait venir notre hélicoptère de la sécurité civile basé en Guadeloupe. La Direction de la sécurité a mis aussi à ma disposition un avion de transport de la sécurité civile de type DASH, en complément des moyens aériens fournis par les Forces Armées des Antilles et le Ministère des affaires étrangères. La chaîne de transfert médical était parfaite. A partir du moment où on sortait une victime ou un blessé d'un chantier, on le mettait dans l'hélicoptère pour le transfert jusqu'à l'aéroport, puis il était pris en charge par les vecteurs aériens français pour le transfert en Martinique ou en Guadeloupe. C'était vraiment parfait.

L'aéroport a été saturé très rapidement par le fret logistique qui ne pouvait pas sortir rapidement de l'aéroport car il y avait peu de véhicules logistiques durant les 3 premiers jours. Concernant la coordination aérienne, on a beaucoup décrié les Américains sur la gestion de l'aéroport. Nous avons posé les deux premiers avions de nuit et sans guidage. Pour ma part, je pense sincèrement que, si les Américains n'étaient pas arrivés le lendemain, nous n'aurions jamais pu faire atterrir jusqu'à 42 avions.

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