D. UNE OCCUPATION DES SOLS IGNORANTE DU RISQUE D'INONDATION

1. Des autorisations d'urbanisme délivrées en méconnaissance des risques de submersion marine
a) Des risques naturels non pris en compte par les documents d'urbanisme

Dans son pré-rapport, votre mission avait observé que les modalités d'occupation des sols avaient été fixées, puis appliquées, sans qu'il soit tenu compte du risque de submersion marine .

A cet égard, elle avait notamment souligné que des lotissements avaient été construits dans des zones manifestement dangereuses et en méconnaissance totale de ce danger. Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer le cas de la « cuvette » de La Faute-sur-Mer, essaimée de maisons de plain-pied malgré sa topographie, qui aurait dû empêcher que des habitations soient bâties dans un secteur concave, situé en front de mer et à quelques mètres à peine d'une dune faisant office de digue.

De telles situations contraires au bon sens ont largement contribué à alourdir le bilan humain de la tempête Xynthia : cette catastrophe n'aurait probablement pas fait autant de victimes si elle n'avait pas été précédée par une pression immobilière qui a conduit à la construction de maisons dans des zones visiblement inadaptées à cet usage .

Selon votre mission, ce constat ne découle pas seulement du caractère exceptionnel (et donc, relativement imprévisible) d'un phénomène climatique comparable à la tempête Xynthia : les risques naturels n'ont pas été ignorés, mais négligés . Connus de tous les acteurs chargés de la délivrance des permis de construire, ils n'ont pas été traités avec la considération et la rigueur qui s'imposaient.

Entendu par la mission, M. Stéphane Raison, ancien chef du service maritime et des risques de la DDE de Vendée, a exposé qu'un atlas des zones submersibles dans l'estuaire du Lay avait été élaboré par la direction départementale de l'équipement (DDE), puis porté à la connaissance des élus locaux et de la population dès 2002 ; cet atlas mettait en évidence la vulnérabilité de certaines zones (parmi lesquelles se trouvent celles qui ont été gravement touchées, voire rasées par la tempête Xynthia) et faisait état d'une forte exposition au risque pour les zones situées à l'arrière des digues.

Votre mission a pu constater que ces éléments n'avaient pas été intégrés aux documents d'urbanisme qui, dans l'immense majorité des cas, ne tenaient pas compte du risque d'inondation.

Ce constat est particulièrement inquiétant au vu des modalités de délivrance des permis de construire : le contrôle des autorisations d'urbanisme est effectué presque exclusivement au regard de la norme qui leur est directement supérieure. Même en présence d'un PPR approuvé, le PLU ou le POS reste le principal document permettant de faire obstacle à la délivrance d'un permis de construire.

Les normes et documents opposables aux permis de construire

La compétence en matière de délivrance des permis de construire n'est en rien discrétionnaire. En effet, quelle qu'en soit l'autorité de délivrance, le permis doit respecter les documents et les règles qui lui sont supérieurs dans la hiérarchie des normes. Elle est en outre soumise aux principes généraux qui gouvernent le droit de l'urbanisme, au nombre desquels se trouve un objectif de prévention des risques naturels.

Ainsi, aux termes de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, « le permis de construire [...] ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols ».

Cette formule laconique recouvre en réalité une pratique plus nuancée, marquée par la règle de compatibilité hiérarchiquement limitée qui figure à l'article L. 111-1-1 du code, et selon laquelle un document ou une autorisation d'urbanisme doit, pour être considéré comme légal, respecter les actes qui lui sont directement supérieurs et les règles générales du droit de l'urbanisme.

Ainsi, les permis de construire doivent être compatibles avec :

- les règles posées par le règlement national d'urbanisme ;

- certaines règles locales d'urbanisme , c'est-à-dire celles qui sont contenues dans les documents directement supérieurs au permis et opposables aux tiers (POS ou PLU ; directives territoriales d'aménagement -DTA- pour les communes soumises à la loi « Littoral » ; etc.).

Par exception à ce principe de compatibilité hiérarchiquement limitée, les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) 14 ( * ) et les « orientations d'aménagement » contenues dans le plan d'aménagement et de développement durable (PADD) 15 ( * ) sont opposables à une demande de permis de construire.

Par ailleurs, les communes touchées par la tempête Xynthia se trouvent dans une situation juridique particulière du fait de leur localisation : situées en bord de mer, elles sont soumises aux dispositions de la loi « Littoral » du 3 janvier 1986 . Dans ce cas, par dérogation aux règles habituellement applicables en contentieux de l'urbanisme, et seulement en l'absence de directive territoriale d'aménagement (DTA) invocable en l'espèce, le juge administratif écarte les documents locaux non conformes à la loi « Littoral ». Il n'hésite donc pas à sanctionner les décisions individuelles édictées en contradiction avec cette loi, même si les décisions en cause sont conformes au POS ou au PLU 16 ( * ) .

Votre mission souligne -comme elle l'avait déjà fait à l'occasion de son pré-rapport- que les PPR ne sont pas les seuls documents permettant de tenir compte des risques naturels et qu'ils ne sauraient se substituer à une planification urbanistique protectrice des populations. Elle estime que les documents d'urbanisme ne doivent pas ignorer les règles plus générales tendant à la préservation des vies humaines .

Dans ce cadre, elle rappelle que le zonage instauré par les PLU ou les documents en tenant lieu (POS, carte communale, etc.) peut restreindre l'occupation des sols dans les zones à risque , non seulement en les déclarant inconstructibles dans des cas de risque extrême et avéré, mais aussi en y assortissant la délivrance de permis de construire de prescriptions spécifiques : par exemple, le PLU de Châtelaillon-Plage (qui constitue l'une des rares exceptions au constat dressé par votre mission) exige que les planchers d'habitation soient surélevés pour limiter l'impact matériel d'une éventuelle inondation 17 ( * ) .

A l'inverse, le POS de La Faute-sur-Mer classait en zone NA (c'est-à-dire urbanisable à court terme) le secteur dans lequel ont été construits des lotissements rasés par Xynthia.


* 14 CE, avis du 12 juin 2002, préfet de Charente-Maritime.

* 15 Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 relative à l'urbanisme et l'habitat, article 19.

* 16 Par exemple : CE, 10 juillet 1995, Société du Golf de Pardigon.

* 17 L'article 5-4 du PLU impose en effet que les planchers d'habitation soient à une cote minimale de 3 mètres NGF. Des prescriptions spécifiques avaient également été mises en place par le POS de Loix-en-Ré dans les zones urbanisées soumises à un risque de submersion (zones UBs).

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