Audition de Pascale SOULARD, ergonome à Aéroports de Paris,
représentante de l'association des ergonomes de collectivités,
d'administrations publiques et d'entreprises
(mercredi 30 juin 2010)
La mission d'information a entendu Pascale Soulard, ergonome à Aéroports de Paris (ADP) et représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises (Adecape).
A titre liminaire, Pascale Soulard a indiqué venir s'exprimer devant la mission non pas uniquement en tant qu'ergonome à Aéroports de Paris, mais aussi et surtout comme représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises, l'Adecape. Cette association, créée il y a deux ans, a constitué plusieurs groupes de travail chargés de réfléchir sur des thématiques diverses, comme celle de la souffrance au travail.
Discipline apparue en réaction aux méfaits du taylorisme, l'ergonomie s'attache à comprendre comment l'organisation du travail peut affecter la santé physique et mentale des travailleurs. Les premiers ergonomes, souvent issus du monde ouvrier, ont été formés au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) dans les années soixante et soixante-dix. Il existe aujourd'hui une dizaine de masters en France dispensant une formation en ergonomie. Chaque année, près de deux cents étudiants en sortent diplômés.
Le métier d'ergonome consiste à améliorer les situations de travail en agissant sur les aspects matériels du travail, mais aussi sur sa dimension socio-organisationnelle. L'objectif de cette démarche est de permettre que le travail soit réalisé dans le respect de la santé et de la sécurité des travailleurs, avec le maximum de confort et de satisfaction pour eux, tout en garantissant à l'employeur que les tâches sont effectuées avec efficacité.
Les ergonomes sont organisés en plusieurs associations, l'Adecape étant la plus jeune d'entre elles. La société d'ergonomie de langue française (SELF) existe depuis une cinquantaine d'années. Des associations internationales d'ergonomes ont également été créées.
Les ergonomes interviennent dans divers secteurs de l'industrie et des services, dans les administrations et les collectivités territoriales, ainsi que dans des structures telles que les services de santé interentreprises ou la mutualité sociale agricole (MSA). Dans les grandes entreprises, les ergonomes sont généralement salariés, tandis que les petites entreprises font le plus souvent appel à des consultants extérieurs.
Afin d'améliorer les conditions de travail, l'ergonome adopte une méthodologie spécifique reposant, dans un premier temps, sur l'analyse de l'activité de travail. Cette étape consiste à aller sur le terrain, à rencontrer les salariés, à leur donner la parole pour identifier des « observables », c'est-à-dire des situations de travail concrètes. A cette occasion, on constate souvent un écart entre le travail prescrit par la fiche de poste et le travail réellement effectué. Au cours de cette analyse, fondée sur une approche globale du travail, l'ergonome prend en compte toutes les dimensions de la situation du travail (les outils de travail, l'espace de travail, l'aspect managérial...).
Dans un deuxième temps, il élabore un diagnostic, validé par les salariés eux mêmes, qui indique les facteurs à l'origine de la souffrance au travail. Ceux-ci ne sont pas seulement d'ordre individuel, ils sont aussi d'ordre collectif, c'est-à-dire liés à l'organisation du travail et aux méthodes de management. Ne travaillant pas seul, l'ergonome privilégie une démarche pluridisciplinaire le conduisant à coopérer avec les médecins du travail, les psychologues du travail et les managers.
Dans un troisième temps, il tente d'apporter des réponses aux questions posées par l'analyse des situations de travail. Celles-ci sont élaborées de manière participative, en associant étroitement les salariés concernés. L'objectif est de trouver les moyens permettant de redonner du sens au travail.
Cette dernière étape est l'occasion, pour les travailleurs, de parler collectivement de problèmes souvent perçus comme individuels. Il peut s'agir, par exemple, d'une agression, d'une souffrance psychologique résultant d'injonctions paradoxales de la part de la hiérarchie, de conflit de valeurs, d'un sentiment d'insatisfaction né de l'impossibilité de bien faire son travail, etc. L'ergonome parle d' « espaces de régulation » pour désigner ces temps de parole collectifs, où l'on tente de redéfinir ensemble les règles de métier.
En conclusion, dans un contexte de dégradation croissante des conditions de travail - due aux nouvelles méthodes managériales, à l'individualisation des tâches, etc. - l'intervention des ergonomes permet d'anticiper et de prévenir les situations de souffrance au travail.
Gérard Dériot, rapporteur , a estimé que le travail des ergonomes est à même d'apporter des solutions aux problèmes physiques ou psychologiques rencontrés par certains salariés sur leur lieu de travail.
Pascale Soulard a cité le cas, qu'elle a rencontré au début de sa carrière professionnelle, d'un ouvrier travaillant sur une chaîne de roulements à billes, qui souffrait de stress professionnel car il se sentait responsable des arrêts de la chaîne de travail causés par les pannes régulières de sa machine. L'analyse de cette situation de travail a permis de révéler que c'était l'organisation du travail, fondée sur la logique du « zéro stock », qui était à l'origine de ces problèmes.
Jean Desessard a estimé que la production en flux tendus, qui s'est répandue dans les entreprises au cours des dernières décennies, est pour beaucoup dans l'aggravation du mal-être au travail. Il a ensuite demandé des précisions sur les études d'ergonome : ressemblent-elles à celles que suivent les étudiants en psychosociologie ?
Pascale Soulard a répondu que les ergonomes ont des parcours divers : ils peuvent être sociologues, psychologues ou bien venir du monde de la gestion. Les masters en ergonomie essayent de recruter des profils différents. En tout état de cause, ce métier suppose de bien connaître le monde du travail et d'y être immergé à un moment donné.
Annie David a souhaité savoir comment les employeurs perçoivent la mission des ergonomes. En particulier, à quelle occasion font-ils appel à leurs compétences et prennent-ils réellement en compte leurs recommandations ? Par ailleurs, s'agissant des cas de souffrance au travail provoqués par des injonctions paradoxales de la part de la hiérarchie, quelles solutions peuvent être préconisées, sachant qu'il s'agit avant tout d'un problème de gestion des ressources humaines ?
Jean-Pierre Godefroy, président , a demandé si les médecins du travail font spontanément appel aux services des ergonomes ou s'ils sont plutôt réticents à l'idée de coopérer avec eux. Et qu'en est-il des relations entre les inspecteurs du travail et les ergonomes ?
Pascale Soulard a indiqué qu'en général, les ergonomes salariés d'une entreprise sont sollicités par la direction des ressources humaines, l'assistante sociale, le médecin du travail, voire par le service de la qualité. Leur intervention s'effectue en accord avec les managers et en toute transparence vis-à-vis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont les membres sont informés de leur venue sur le lieu de travail. Quant aux ergonomes consultants, ils sont appelés par ces mêmes acteurs, à la suite de remontées de terrain faisant état de problèmes de stress professionnel.
Il est essentiel que les managers soient associés à la démarche de l'ergonome si l'on veut qu'ils tiennent compte ensuite des recommandations formulées. Cette méthode de coopération est gage de bons résultats. Les propositions n'émanent d'ailleurs pas du seul ergonome, mais de l'ensemble de l'équipe auprès de laquelle il est intervenu.
S'agissant des injonctions paradoxales, celles-ci ne sont, la plupart du temps, pas volontaires. Du fait du cloisonnement des services au sein des entreprises, les différents managers n'ont pas nécessairement conscience que leurs instructions sont parfois incohérentes pour ceux qui les reçoivent. En pointant ces contradictions, l'ergonome fait comprendre aux managers qu'elles nuisent à la performance des salariés et donc de l'entreprise.
Jean Desessard s'est demandé si le métier d'ergonome ne disparaîtrait pas si les managers assumaient correctement et intelligemment leur mission de gestion des ressources humaines.
Pascale Soulard a répondu que les managers ne pourront jamais remplacer les ergonomes dans leur travail car leurs collaborateurs seront toujours réticents à l'idée de se confier à eux. Les règles de travail étant définies par les managers, les travailleurs n'ont pas intérêt à leur avouer qu'ils ne les respectent pas scrupuleusement. Seule une personnalité extérieure à la relation salarié-employeur peut donc véritablement accéder à la réalité des situations de travail.