Audition des docteurs Jean-Paul KAUFMANT, secrétaire
général,
et Véronique ARNAUDO,
du syndicat
professionnel des médecins de prévention de La Poste
(mercredi
30 juin 2010)
La mission d'information a tout d'abord entendu les docteurs Jean-Paul Kaufmant, secrétaire général, et Véronique Arnaudo, du syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste.
Jean-Pierre Godefroy, président , a rappelé que la mission d'information sur le mal-être au travail s'est déjà intéressée à la situation de différentes entreprises, dont France Telecom et Renault. La lettre adressée par le syndicat des médecins de prévention de La Poste à la direction de cette entreprise ayant été rendue publique, la mission a souhaité entendre les acteurs concernés avant de clore ses auditions.
Véronique Arnaudo a précisé être médecin du travail depuis dix-sept ans, dont bientôt onze au sein de La Poste, en Indre-et-Loire, et avoir participé à de nombreux travaux scientifiques sur la santé mentale au travail. Elle préside l'association de médecine du travail de la région, est élue au conseil national professionnel de la médecine du travail et pilote, à La Poste, un travail collectif sur les troubles musculo-squelettiques (TMS).
Jean-Paul Kaufmant a signalé que le syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste compte quatre-vingt-cinq adhérents, soit 60 % des médecins de l'entreprise.
En dépit d'un constat partagé avec la direction, les demandes formulées par le syndicat n'ont jamais obtenu de réponse concrète. Il y a pourtant un réel problème concernant les moyens d'action des médecins et leur reconnaissance dans l'entreprise. Le constat de la dégradation de l'état de santé des personnels de La Poste a été fait au printemps 2009, avec le diagnostic de l'épuisement des facteurs et de la souffrance des guichetiers. Il a été fait état de cette dégradation qui touche tant les agents que les « encadrants opérationnels » en prise directe avec l'activité quotidienne de l'entreprise, dans les rapports annuels remis à la direction.
Du fait du mal-être au travail, les consultations sur demande du salarié ou de l'employeur sont désormais plus fréquentes que les visites périodiques obligatoires. Le contenu des consultations a évolué puisque l'activité de soutien psychologique a pris le pas sur la prévention. Le nombre d'arrêts maladie est passé de 10,5 jours par an et par agent, en moyenne, en 2008, à 16 jours en 2009. La consommation de médicaments et de psychotropes a également augmenté, comme l'attestent les contacts pris avec les médecins traitants et les médecins de la sécurité sociale, inquiets de la situation.
Véronique Arnaudo a présenté d'autres indicateurs confirmant cette augmentation de la souffrance au travail. Ainsi, l'absentéisme a augmenté au cours des dernières années malgré les tentatives de la direction de juguler ce phénomène. Par ailleurs, en 2009-2010, le nombre d'accidents du travail a augmenté de 10 %.
Jean Desessard a souhaité savoir de quel type d'accident il est principalement question.
Véronique Arnaudo a répondu qu'il s'agit surtout d'accidents de la route qui concernent les facteurs.
Par ailleurs, le nombre de maladies professionnelles a été multiplié par quatre en l'espace de trois ans. En réponse à une demande de précision de Gérard Dériot, rapporteur, Véronique Arnaudo a précisé qu'il s'agit à 95 % de TMS, qui sont par essence une maladie de surcharge. Par ailleurs, les demandes de temps partiel, qui émanaient auparavant principalement de jeunes femmes avec enfants, concernent de plus en plus des salariés masculins âgés d'une cinquantaine d'années, qui gèrent ainsi leur souffrance au travail.
Jean-Paul Kaufmant a souligné que, depuis l'alerte lancée par le syndicat, les relations avec la direction se sont tendues. Celle-ci tente de tenir les médecins à l'écart de l'information et exerce sur eux des pressions inacceptables. Le syndicat lui a adressé, au printemps 2009, un courrier d'avocat, resté sans réponse, pour rappeler les conditions de l'exercice de la médecine du travail. Un rendez-vous a finalement été obtenu avec la direction à l'automne. A cette occasion, la dégradation de l'état de santé des personnels a été rappelée, mais sans que cela débouche sur des actions concrètes. Lors de la rencontre annuelle avec les médecins de prévention, la direction est apparue en situation de déni, faisant état de considération sans lien avec les efforts des personnels pour accomplir leurs missions. La surprise dont fait état la direction de La Poste paraît donc curieuse et l'affirmation selon laquelle la lettre émanerait d'un « groupuscule de médecins » est infondée.
Alain Gournac a souhaité savoir pourquoi tous les médecins du travail de La Poste n'ont pas adhéré au syndicat professionnel si la situation est si grave.
Véronique Arnaudo a répondu que par rapport au taux moyen de syndicalisation des professionnels de santé, un taux de 60 % est déjà exceptionnel.
Muguette Dini a demandé quelles sont les causes du mal-être ressenti par les personnels de La Poste.
Véronique Arnaudo a indiqué que les causes identifiables du mal-être sont de deux types : les unes sont communes à l'ensemble des métiers, les autres spécifiques à chaque métier.
Les causes communes tiennent, malgré les efforts de l'entreprise, à la difficulté pour les agents de concilier les objectifs de rentabilité, liés au nouveau statut de La Poste, et leurs obligations de service public.
Les causes de mal-être pour les métiers de facteur, guichetier et conseiller financier sont les suivantes :
- le métier de facteur est physique, il implique un travail six jours sur sept, accompli à l'extérieur au moins cinq heures par jour, quelles que soient les conditions météorologiques. Il leur faut porter des charges lourdes et conduire un vélo chargé, qui pèse en moyenne soixante-quinze kilos, sur quinze à vingt kilomètres. Les gestes répétitifs associés à ce métier peuvent être cause de TMS. A ces contraintes physiques, s'ajoute désormais l'intensification des rythmes de travail ; comme les facteurs absents ne sont plus remplacés, leur charge de travail est répartie sur les présents, ce qui se traduit, en Indre-et-Loire, par une surcharge plus de la moitié des jours de l'année. De plus, le nombre de semaines consécutives comportant six jours de travail, qui était plafonné à trois il y a encore quelques années, a augmenté progressivement pour atteindre sept dans certains établissements ;
- s'agissant des guichetiers, l'accueil du public est rendu plus difficile par la baisse du nombre d'agents, et par l'allongement des files d'attente qui en résulte, ainsi que par les nouvelles exigences commerciales qu'il faut concilier avec des obligations de service public demeurées entières ;
- les conseillers financiers de la Banque postale sont, pour leur part, pétris d'une culture de conseil aux clients, à laquelle se substituent désormais des objectifs commerciaux évalués individuellement, sur la base quasi-exclusive du chiffre d'affaires. Cela provoque des conflits de valeurs difficiles à vivre pour certains agents.
Jean-Pierre Godefroy, président , a fait état des témoignages de postiers dans sa région, qui se plaignent effectivement d'une surcharge de travail et de dépassements d'horaires.
Jean-Paul Kaufmant ayant confirmé l'importance des dépassements horaires, Jean-Pierre Godefroy, président , a souhaité savoir quelles améliorations ont été apportées en matière d'ergonomie pour les postiers.
Véronique Arnaudo a considéré que l'entreprise a fait des efforts importants sur l'équipement, et notamment sur les vélos, mais que la charge de travail ne cesse de s'alourdir, ce qui réduit la portée des efforts accomplis.
Jean-Paul Kaufmant a confirmé les investissements réalisés par l'entreprise pour l'amélioration des matériels. Le problème, cependant, réside dans le fait que les règles mises en place pour protéger les agents dans le cadre de la réorganisation du travail ne sont pas respectées, que ce soit l'usage de certains matériels ou l'intensité du travail. Il y a donc un réel problème de confiance des personnels vis-à-vis de leur entreprise.
Jean-Pierre Godefroy, président , a fait observer qu'il appartient à l'Etat, principal actionnaire de prendre ses responsabilités en ce domaine.
Véronique Arnaudo et Jean-Paul Kaufmant ont déploré que l'inspection du travail ne puisse contrôler La Poste.
Jean-Pierre Godefroy, président , a demandé si La Poste a bien étudié sa clientèle, qui est populaire et plutôt âgée, et qui demande sans doute une prise en charge plus attentive au guichet.
Jean-Paul Kaufmant a relevé que les objectifs commerciaux assigné par La Poste aux guichetiers et aux conseillers financiers sont indifférenciés sur le territoire et ne tiennent donc pas compte des caractéristiques sociales de la zone d'implantation du bureau. Les guichetiers ne sont pas opposés au changement mais sont mal à l'aise face au manque de perspectives et aux injonctions contradictoires qu'on leur donne. La Banque postale demeure cependant une banque à dimension sociale puisqu'elle accueille les personnes en situation d'interdit bancaire.
Jean-Pierre Godefroy, président , s'est inquiété des éventuelles entraves à l'indépendance des médecins du travail et a demandé comment mieux la garantir.
Véronique Arnaudo a rappelé que l'indépendance des médecins du travail a été voulue par le législateur car elle est la condition même de l'exercice de leur profession. L'indépendance est également la condition de la crédibilité vis-à-vis des partenaires sociaux. Or, cette indépendance est vide de sens si les médecins n'ont pas les moyens de remplir leur mission. En moyenne en France, un médecin du travail en service autonome suit 1 400 salariés, avec l'aide d'une ou deux infirmières. Or, dans son département, elle suit actuellement 2 800 salariés, répartis dans de nombreux établissements.
Jean-Paul Kaufmant a ajouté qu'au sein de La Poste une petite dizaine de médecins exercent seuls, sans assistante ni infirmière. La possibilité de mener à bien leur mission est d'autant plus réduite que ce sont les services médicaux eux-mêmes qui convoquent les agents, et non les services de ressources humaines. Par ailleurs, on assiste à des retraits de véhicules ou de téléphones portables pour des médecins qui doivent couvrir l'ensemble d'un département, au nom d'économies à réaliser. Plusieurs cas de pressions, de contestation des avis médicaux, de menace de faire passer le médecin en conseil de discipline, sont attestés.
Annie Jarraud-Vergnolle a demandé si le mal-être peut être lié à la succession de CDD à laquelle sont confrontés certains personnels.
Jean-Paul Kaufmant a confirmé avoir connu des agents employés en CDD pendant plus de dix ans. Néanmoins, en raison de la multiplication des contentieux, l'entreprise n'a plus recours à de telles pratiques.
Véronique Arnaudo a estimé que les CDD ont été remplacés par des intérimaires et que la précarité des salariés de La Poste n'a donc pas forcément été réduite.
Jean-Paul Kaufmant a signalé qu'il a existé, jusqu'à il y a trois ou quatre ans, un contrat spécifique à La Poste : le salarié devait se tenir prêt à venir travailler à tout moment, sa durée de travail totale dans l'année n'excédant généralement pas cinq cents heures.
Véronique Arnaudo a estimé que la réduction des moyens des médecins du travail est d'autant plus incompréhensible que La Poste paye, par ailleurs, des sommes très importantes à des consultants extérieurs chargés de réfléchir à l'organisation du travail. Ces consultants ne disposant d'aucune donnée sur la santé des salariés, les conseils qu'ils offrent ne peuvent être que partiels et ils interviennent en dehors de tout contrôle des partenaires sociaux.
Alain Gournac a demandé ce qui va bien à La Poste, le tableau dressé étant jusqu'à présent particulièrement sombre.
Véronique Arnaudo a affirmé être heureuse de travailler à La Poste mais se désoler du manque de moyens et du déni des problèmes de santé auxquels elle est confrontée.
Gérard Dériot, rapporteur , a demandé quelles solutions peuvent être proposées pour mettre fin au mal-être ressenti.
Véronique Arnaudo a considéré qu'il y a deux niveaux d'action. Il faut d'abord une véritable volonté politique de l'entreprise de traiter le mal-être, qui se traduise par la mise en place de moyens matériels et organisationnels. Il faut ensuite engager des actions concrètes qui « détendent » l'organisation, permettent de réduire la charge mentale des salariés et d'améliorer le service rendu. Une attention particulière doit être accordée à la qualité du dialogue social et l'Etat, premier actionnaire, doit prendre ses responsabilités en la matière. Le contrôle de l'inspection du travail est nécessaire et les conditions d'exercice de la médecine du travail doivent être alignées sur celles en vigueur dans les autres entreprises.