Table ronde avec les
représentants des organisations syndicales
des personnels de
police
(mercredi 28 avril 2010)
Réunie le mercredi 28 avril 2010, sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy, président, la mission d'information a organisé une première table ronde réunissant avec les représentants des organisations syndicales des personnels de police.
Elle a entendu Assia Abdelouahad, responsable du secteur social du syndicat général de la police - Force ouvrière (SGP-FO) et Geneviève Gendre, responsable du secteur social d'Unité Police, Alain Paiola et Gilbert Abras, responsables du social, de l'hygiène et de la sécurité de l'union nationale des syndicats autonomes - Police (Unsa-Police), et Philippe Sebag, secrétaire national à la section sociale, et Philippe Ourdouille, délégué national à la section sociale, du syndicat Alliance.
Alain Paiola, responsable du social, de l'hygiène et de la sécurité à l'union nationale des syndicats autonomes - Police (Unsa-Police), a tout d'abord souligné que les policiers exercent un métier très exposé. Le mal-être se répand dans la profession, à cause de l'augmentation de la délinquance, de la multiplication des incivilités, mais aussi de la pression de la hiérarchie. Au cours de l'année 2009, une trentaine de suicides ont été dénombrés dans la Police nationale. Parmi les causes de ce mal-être, on peut citer :
- le manque d'effectifs, qui conduit les agents à travailler de plus en plus en horaires décalés ;
- le manque ou l'inadaptation du matériel, qui ne facilite pas l'accomplissement des missions ;
- le manque de soutien de la hiérarchie ;
- l'absence de respect de la présomption d'innocence lorsque les policiers sont mis en cause dans le cadre d'une enquête diligentée par l'inspection générale des services (IGS) ;
- le harcèlement moral ou sexuel qui se produit dans certains services.
Face aux situations difficiles, l'administration n'est pas assez réactive : les fonctionnaires en souffrance ne sont pas toujours orientés vers les structures de soutien qui ont pourtant été mises en place, les psychologues de la Police nationale étant au demeurant trop peu nombreux.
Pour améliorer la situation, il serait souhaitable :
- de mettre en place rapidement des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans tous les services ;
- que l'administration reconnaisse et sanctionne les cas de harcèlement ;
- que le nombre de psychologues et d'assistantes sociales augmente et que l'administration communique davantage sur le soutien que ces personnels peuvent apporter aux fonctionnaires de police ;
- que la hiérarchie soit mieux formée à la gestion des situations de souffrance au travail, afin d'orienter les personnels vers les structures adaptées ;
- que la politique consistant à assigner des objectifs chiffrés aux forces de l'ordre soit abandonnée ;
- enfin, et surtout, que le métier de policier soit reconnu comme un métier pénible.
Geneviève Gendre, responsable du secteur social d'Unité Police, a regretté la banalisation de la violence et a fait observer qu'aucune intervention de la police n'est anodine : elles sont toujours effectuées dans l'urgence, ce qui occasionne inévitablement du stress. Les policiers sont tenus à un devoir de réserve, qui les empêche de s'exprimer librement, alors que la prise de parole a déjà une vertu thérapeutique. Ils sont régulièrement confrontés à des injures ou à des menaces qui sont psychologiquement usantes. Les policiers souffrent également d'un manque d'explications de la part de leur hiérarchie sur les changements d'organisation mis en oeuvre.
Les policiers éprouvent des frustrations, à cause du manque de matériel ou de la faiblesse de leur formation continue, qui ne permet pas d'évoluer dans la carrière, mais aussi lorsqu'ils constatent qu'une personne interpellée est immédiatement remise en liberté. L'actuelle « politique du chiffre » est conduite au détriment de l'exercice par les policiers de leurs capacités de discernement. Les primes leur sont versées d'une manière aléatoire et l'avancement dépend trop souvent de l'appartenance syndicale du fonctionnaire.
Les enquêtes de l'IGS sont toujours menées à charge contre les policiers, qui se sentent incompris ; elles s'accompagnent souvent d'une comparution devant la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). La presse parle trop rapidement de « bavure », avant même qu'une enquête soit réalisée, et sans tenir compte du contexte de l'intervention.
Des éléments qui affectent la vie quotidienne aggravent le mal-être des personnels : les logements sont éloignés du lieu de travail et sont attribués d'une manière qui paraît souvent arbitraire. La garde d'enfants est difficile à cause des horaires de travail atypiques et des temps de transport élevés.
En 1996, la police a créé une cellule de soutien psychologique, mais celle-ci n'emploie que quatre psychologues à Paris, pour vingt mille fonctionnaires, ce qui est insuffisant. De surcroît, la culture policière ne favorise pas la prise de parole : ceux qui rendent publiques leurs faiblesses sont généralement orientés vers le médecin-chef, qui peut alors décider de les désarmer, ce qui a des conséquences sur la carrière.
Philippe Sebag, secrétaire national à la section sociale du syndicat Alliance, a rappelé que le métier de policier, fondé sur l'idée de service au public, est anxiogène, en raison notamment de la violence d'un noyau dur de délinquants que la police dérange dans ses activités. Outre la trentaine de suicides déjà évoqués, la police a eu à déplorer, en 2009, le décès d'une quarantaine de fonctionnaires en service et un millier de blessés.
La manière dont une partie de la presse présente l'activité des policiers est contestable et le mal-être éprouvé par les jeunes fonctionnaires de police originaires de province qui, lorsqu'ils sont affectés en banlieue parisienne au début de leur carrière, souffrent d'un isolement, est réel.
La Police nationale emploie seulement une soixantaine de psychologues, regroupés au sein du service de soutien psychologique opérationnel (SSPO). Si ce service réagit avec efficacité en cas d'incident, en offrant une vraie prise en charge, il est moins performant en matière de prévention. C'est pourquoi un renforcement de la médecine de prévention paraît indispensable. En dépit des instructions ministérielles qui ont été données, les comités d'hygiène et de sécurité (CHS) n'ont pas encore été transformés partout en CHSCT et ces instances ne se réunissent d'ailleurs parfois que rarement.
Depuis quelques années, on rédige dans chaque service un document unique, qui recense les risques professionnels, sans que l'on en perçoive encore les effets concrets. Une étude a, en outre, été commandée à l'Inserm sur les causes du suicide dans la police.
De façon générale, les policiers devraient être recentrés sur leur coeur de métier et leur fonction de nouveau sacralisée.
Gilbert Abras, responsable du social, de l'hygiène et de la sécurité de l'union nationale des syndicats autonomes - Police (Unsa-Police), a suggéré de s'appuyer davantage sur les adjoints de sécurité (ADS), qui sont recrutés localement et qui ne sont donc pas déracinés lorsqu'ils sont affectés sur leur poste.
Il est encore difficile pour un policier de demander un soutien psychologique. Une telle démarche peut même être mal vue par la hiérarchie et la plupart des interventions sur le terrain ne sont suivies d'aucun débriefing. Ceci conduit certains syndicats à faire appel à des prestataires extérieurs pour proposer un soutien psychologique à leurs adhérents.
Le nombre de suicides était de l'ordre d'une quarantaine chaque année jusqu'en 2008 ; l'année 2009 marque donc plutôt un recul. Les horaires atypiques contribuent à la pénibilité du travail et ont un retentissement important sur la vie de famille. On constate, d'ailleurs, que les fonctionnaires qui assurent le service de nuit voient leur espérance de vie réduite de neuf ans en moyenne.
Jean-Pierre Godefroy, président, a souligné que les ADS ne sont pas tous recrutés par la Police nationale à la fin de leur contrat et que certains se retrouvent donc sans emploi.
Gilbert Abras, Unsa-Police, a répondu que 54 % d'entre eux intègrent la Police nationale ; si l'on y ajoute les polices municipales et les entreprises de sécurité privées, 72 % d'entre eux trouvent un emploi à la fin de leur contrat.
Philippe Sebag, Alliance, a fait observer que les ADS n'ont pas toujours les connaissances requises pour réussir les concours d'entrées dans la fonction publique. Les policiers devraient être recentrés sur leur coeur de métier en confiant à un nouveau corps de soutien certaines tâches annexes, comme le transfert des détenus ou la garde statique des bâtiments.
André Lardeux a d'abord souhaité obtenir des précisions sur l'affirmation selon laquelle l'avancement des fonctionnaires de police serait lié à leur appartenance syndicale. Il a ensuite demandé si le mal-être concerne surtout les personnels en tenue ou en civil et s'il est aggravé par les changements fréquents du code de procédure pénale. Enfin, il a souhaité savoir si le rapprochement entre la police et la gendarmerie est un facteur de stress supplémentaire.
Annie David a indiqué qu'une unité de police près de Grenoble avait été chargée de s'occuper des jeunes des quartiers difficiles, ce qui avait permis de modifier l'image de la police et avait donné de bons résultats. Elle a regretté que cette unité ait été supprimée en raison des diminutions d'effectifs. Concernant la CNDS, elle a expliqué l'avoir saisie à plusieurs reprises, à la demande de citoyens, et a déploré que les policiers perçoivent négativement son action, qui n'a évidemment pas pour but de les stigmatiser.
Philippe Sebag, Alliance, a estimé que les policiers forment la corporation la plus contrôlée et que les auditions devant la CNDS donnent l'impression que leur présomption d'innocence n'est pas respectée.
Le travail social accompli auprès des jeunes des quartiers peut être utile mais, compte tenu du manque d'effectifs, la priorité doit être de lutter contre la délinquance et non de s'occuper de jeunes qui sont simplement oisifs. Le rapprochement entre la police et la gendarmerie est une source d'inquiétudes en raison du manque de moyens et des différences de statut. Les révisions du code de procédure pénale aboutissent toujours à compliquer les procédures et à rajouter des formalités administratives supplémentaires.
Il a récusé l'affirmation selon laquelle l'avancement serait lié à l'appartenance syndicale : certes, un syndicat a tendance à défendre, par priorité, ses adhérents mais les chefs de service peuvent promouvoir les fonctionnaires méritants.
Geneviève Gendre, Unité Police, a affirmé que les fonctionnaires non syndiqués sont incités à adhérer à un syndicat avant la réunion des commissions paritaires d'avancement, ce qui porte atteinte à leur liberté de n'appartenir à aucune organisation.
Gilbert Abras, Unsa-Police, a indiqué que son organisation avait toujours soutenu la police de proximité, qui permettait de recueillir des renseignements et de s'intégrer à la population ; la révision générale des politiques publiques, avec les réductions d'effectifs qu'elle implique, conduit à faire disparaître les actions de prévention.
Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité mieux comprendre pourquoi la procédure d'enquête de l'IGS est critiquée.
Philippe Sebag, Alliance, a répondu que les instructions menées par l'IGS sont trop exclusivement à charge. Il a demandé que les fonctionnaires soient toujours accompagnés d'un élu du personnel lorsqu'ils comparaissent devant elle et que les membres de cette inspection soient plus fréquemment mutés.
Geneviève Gendre, Unité Police, a ajouté que la CNDS est perçue comme une deuxième IGS et que les comparutions devant cette instance sont stressantes, notamment en raison d'un manque d'informations des policiers sur son rôle exact.
Gilbert Abras, Unsa-Police, a estimé que la présomption d'innocence des policiers n'est pas respectée, que ce soit devant l'IGS ou devant la justice.