II. LE DÉFI DE LA TRANSITION SOCIALE

A. LA REFONDATION SOCIALE

France Télévisions compte au 31 décembre 2009 10 733 emplois équivalent temps plein (ETP), permanents ou non, contre 10 900 en 2008, et 10 960 dans le budget 2009. Plus de 85 % d'entre eux sont employés au titre de l'activité diffuseur. Près de la moitié de ces effectifs sont issus de l'antenne France 3 .

TOTAL DES EFFECTIFS DE FRANCE TÉLÉVISIONS EN 2008 ET 2009

2008

2009

France 2

2 068

0

France 3

5 131

0

France 4

30

0

France 5

250

0

RFO

1 947

0

France Télévisions SA

0

9 296

Effectifs « diffuseurs »

9 426

9 296

Télévisions

795

752

Cinéma

14

14

Effectifs « producteurs »

809

766

France Télévisions Distribution

69

68

France Télévisions Publicité et régies

316

296

Autres

280

307

Effectifs « autres activités »

665

671

Total des effectifs

10 900

10 733

Source : France Télévisions

La mise en oeuvre de l'entreprise commune a conduit à établir un dialogue social en 2008 dans la perspective de la création des nouvelles directions communes. Si au cours de l'année 2009, l'organisation de chaque chaîne a perduré au sein de la nouvelle entreprise, le projet de la nouvelle structure a été présenté pour consultation aux partenaires sociaux en mars 2009. Cette dernière s'est poursuivie jusqu'en décembre 2009.

Ainsi la première présentation du projet a eu lieu le 8 avril 2009 devant le comité de groupe faisant office de comité central d'entreprise (CCE). Neuf réunions d'informations préalables ont été organisées entre avril et décembre 2009. Les vingt-sept comités d'entreprise et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été également informés du projet.

Puis à compter du déploiement de la nouvelle organisation, le 4 janvier 2010, un second processus de consultation des instances représentatives du personnel sur les réaménagements résultant de la mise en oeuvre de l'entreprise commune a été ouvert.

Face à la revendication de remplacement systématique des départs à la retraite prévus entre 2009 et 2012 présentée par certains syndicats, France Télévisions a indiqué à vos rapporteurs qu'« elle n'avait pas, pour 2010, d'objectifs de réduction du volume des équivalents temps plein en moyenne annuelle par rapport à la situation 2009. Cet engagement ne porte que sur l'année 2010, en raison des contraintes spécifiques liées au déploiement de la nouvelle organisation ».

France Télévisions a pu donner de telles assurances en raison d'un niveau global de l'emploi en 2009 plus bas que le niveau fixé par le budget incluant l'effet des départs volontaires. En conséquence, la maîtrise des effectifs devrait se poursuivre en 2010, en dépit de telles garanties.

La fusion absorption de France Télévisions, prévue par la loi du 5 mars 2009 précitée, a eu pour conséquence d'entraîner la remise en cause de l'ensemble des accords collectifs en vigueur dans les anciennes sociétés de France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO. Sous réserve d'une clause prévoyant une durée supérieure, le délai légal de survie des accords, aux termes du code du travail, est d'une année 3 ( * ) à laquelle s'ajoutent trois mois de préavis 4 ( * ) .

Les négociations se sont ouvertes dès le 18 juin 2009 avec les six représentations syndicales principales : la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens ( CFTC), la Confédération française de l'encadrement (CGC), la Confédération générale du travail (CGT), Force ouvrière (FO) et le Syndicat national des journalistes (SNJ). Elles visent à permettre l'élaboration d'un texte destiné à remplacer la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles pour les personnels techniques et administratifs (CCCPA), l'avenant audiovisuel de la convention collective nationale de travail des journalistes (AACCNTJ) ainsi que les différents accords d'entreprise.

S'agissant des modalités de la négociation , il apparaît en premier lieu que les incertitudes relatives à l'avenir de la direction de France Télévisions ont pu peser sur les stratégies mises en oeuvre de part et d'autre.

En second lieu , la négociation du nouveau statut collectif s'est tout d'abord inscrite dans une période de quinze mois qui s'est révélée trop courte. Ce délai est celui prévu par les articles L. 2261-14 5 ( * ) et L.2261-9 du code du travail. Or la diversité des situations individuelles entre métiers (journalistes, personnels techniques et administratifs) et entre antennes (notamment France 2 et France 3) rend extrêmement complexe l'émergence d'un consensus sur un statut collectif homogène.

En effet, France Télévisions a entrepris un projet ambitieux visant à « donner au groupe réformé une véritable constitution sociale » 6 ( * ) plutôt que de réaménager les textes en vigueur.

Les thèmes retenus tendent à permettre un fonctionnement de l'entreprise, « responsable, souple et valorisant ». Les axes de la révision portent, notamment, sur l'organisation du temps de travail , la modernisation du dialogue social, l'actualisation de la grille des métiers et la révision des automatismes en matière de rémunération . Cette organisation, selon les voeux de France Télévisions, doit notamment être plus adaptée aux spécificités de chaque secteur et plus souple en termes de planification.

La nécessaire évolution des métiers conduit également à établir de nouvelles grilles de classification ainsi qu'un nouveau système de rémunération . En effet, ainsi que le souligne France Télévisions dans ses réponses, « la rémunération doit être simplifiée de l'arsenal de primes qui rendent les bulletins de salaires si complexes . »

S'agissant des droits et obligations du personnel , force est de souligner la grande disparité de traitement existant entre les personnels des différentes antennes. En conséquence, France Télévisions préconise d'harmoniser les processus des ressources humaines « dans un souci d'égalité de traitement et pour faciliter le développement des compétences et leur reconnaissance ».

Opposé aux commissions paritaires de discipline , le groupe a proposé un dispositif de recours fondé sur les délégués du personnel. Enfin, la négociation porte également sur le droit syndical et la représentation du personnel.

Dans un premier temps, les négociations se sont déroulées sous la pression de l'expiration du délai légal de quinze mois qui devait marquer la fin du délai de survie des conventions et des accords collectifs, le 7 juin 2010. Or, France Télévisions a fait valoir qu'en l'absence d'accords de substitution, seraient applicables les dispositions suivantes :

- l'accord de France Télévisions SA s'appliquerait à l'ensemble du personnel de France Télévisions ;

- la convention relative aux journalistes resterait en vigueur ;

- les dispositions du code du travail seraient applicables, en l'absence de toute autre disposition expresse ;

- enfin, les avantages individuels acquis (AIA) auraient été maintenus aux salariés présents dans l'entreprise au 5 mars 2009 mais n'auraient pas été appliqués aux nouveaux employés à partir de cette date. La reconnaissance des avantages se faisant au cas par cas, cette hypothèse n'aurait pas manqué de créer de nombreuses inégalités de traitement pouvant susciter des recours prudhommaux et surtout de désorganiser complètement la gestion.

En pratique, les négociations se sont déroulées jusqu'en mai dernier, conformément au calendrier prévu par France Télévisions et selon un rythme soutenu. Celles-ci ont été peu ponctuées de grèves 7 ( * ) à l'exception de trois conflits majeurs dont vos rapporteurs déplorent les modalités de gestion.

En effet, la CGT, premier syndicat du groupe, a déposé un préavis de grève pour le dimanche 14 mars 2010. Bien que non suivie par les autres syndicats, cette grève a gravement perturbé le service public et en particulier France 3 dont le programme devait être initialement dédié à la soirée du premier tour de scrutin des régionales. Douze soirées électorales ont été ainsi annulées totalement ou partiellement.

Un second préavis de grève a été également déposé pour le second tour, le dimanche 21 mars, non seulement par la CGT, mais également FO et la CFTC. La CGT et FO ont signé un protocole de sortie de grève. Un « compromis » a été élaboré sur le forfait jour 8 ( * ) des journalistes de reportage et des techniciens, qui constituait un écueil majeur. Il concerne également les garanties d'évolution salariale tout au long de la carrière dont les conséquences ont un impact symbolique pour les syndicats mais sans conséquence contraignante pour l'entreprise 9 ( * ) .

Face au risque d'expiration du délai du 7 juin, France Télévisions a tout d'abord proposé le 11 mai 2010 de signer un accord de substitution comprenant, d'une part, les dispositions négociées depuis 2009 telles que le droit syndical, les mesures générales ainsi qu'une grande partie de celles relatives au temps de travail et, d'autre part, celles prévoyant la survie des autres accords jusqu'à l'aboutissement des négociations prévu au 31 octobre 2010.

ÉTAPES DE LA NÉGOCIATION PRÉCÉDANT LA DÉCISION
DE LA COUR D'APPEL DE PARIS

Source : France Télévisions

Dans un second temps, les tensions intersyndicales 10 ( * ) se sont aggravées . D'une divergence de position d'origine axée sur la pertinence de l'organisation matricielle en domaines, celle-ci s'est prolongée sur l'opportunité ou non de signer les accords dits de substitution 11 ( * ) .

Confrontés au risque d'expiration du délai des négociations, le SNJ, la CFDT et la CFE-CGC ont, quant à eux, lancé un appel à la grève afin d'obtenir la prolongation des accords sociaux. 18 % du personnel de l'ensemble du groupe y ont répondu le 4 juin 2010. Ils étaient près de 52 % appartenant à la rédaction de France 2 12 ( * ) .

Entretemps, l'issue de la contestation juridique de la validité de la date d'expiration des différents accords allait bouleverser le calendrier , si ce n'est les rapports de force en présence.

En effet, l es organisations syndicales, le SNPA-CGC, la CFDT et la SNJ, ont interjeté appel devant la Cour de Paris d'un jugement du Tribunal de Grande instance du 30 mars 2010. Le TGI les avait déboutés en première instance sur la remise en cause de la date « butoir » du 7 juin. Le 3 juin 2010, ils ont obtenu satisfaction devant la Cour d'appel de Paris.

En effet, la Cour a jugé que la fin de la période de survie de la convention collective des personnels techniques et administratifs et de l'avenant à la convention collective des journalistes n'est pas fixée au 7 juin 2010 mais respectivement au 8 octobre 2012 et au 8 février 2011. En revanche les délais de survie des accords d'entreprise et d'établissement, qui complètent ces textes, expirent le 7 juin 2010.

ARRÊT DU 3 JUIN 2010 DE LA COUR D'APPEL DE PARIS

La Cour s'est fondée sur l'article 86 de la loi du 7 mars 2009 imposant à France Télévisions, dans le cadre de la fusion, de reprendre notamment l'ensemble des contrats conclus par ou au profit des sociétés absorbées. L'adhésion de ces dernières à l'association des employeurs de l'Audiovisuel Public (AESPA) constitue une obligation contractuelle transférée au groupe. En conséquence, France Télévisions est liée par les textes signés par l'Association , en l'espèce, la convention collective des personnels techniques et administratifs ainsi que l'avenant à la convention des journalistes. France Télévisions serait, en effet, devenue membre de droit de l'AESPA, lors de la fusion. Sa volonté d'en démissionner le 12 mars 2009 ne la délie pas des obligations résultant des accords collectifs signés antérieurement.

S'agissant des processus de disparition des accords collectifs, la Cour a précisé qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre le régime de la dénonciation, procédant de la volonté des parties, et celui de la mise en cause trouvant sa cause dans un motif extérieur.

La Cour d'appel ajoute « qu'en l'espèce, les délais revendiqués par les appelants ont pour origine la convention collective et l'avenant à celle-ci et plus précisément les articles 2-3 de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle et 2-2 de l'avenant sur l'audiovisuel public à la convention collective nationale de travail des journalistes. Que ces deux textes n'envisagent que la dénonciation et non la mise en cause mais que force est de constater en premier lieu qu'il n'appartient pas aux partenaires sociaux d'envisager une mise en cause, hypothèse qui ne procède pas de leur propre volonté , mais d'un fait extérieur, [...] que par ailleurs , les textes litigieux manifestent clairement la volonté des signataires de prévoir, [....] des délais suffisamment longs [...] que dans ces conditions, la loi ayant expressément assimilé les effets de la mise en cause à ceux de la dénonciation, rien ne vient s'opposer à l'application des textes susvisés . »

Source : Cour d'Appel de Paris

La décision de la Cour d'appel de Paris modifie donc le calendrier de la finalisation de l'entreprise unique .

France Télévisions qui estimait initialement disposer de quinze mois de négociations pour l'ensemble de ses accords, se retrouve confrontée à trois échéances différentes 13 ( * ) : le 7 juin 2010, fin des accords professionnels, le 8 février 2011, fin de l'avenant à la convention collective des journalistes, et le 8 octobre 2012, fin de la convention collective des personnels techniques et administratifs.

Afin de les concilier, France Télévisions et les organisations syndicales représentatives ont signé le 7 juin 2010 , un accord de prorogation des accords d'entreprise et d'établissement 14 ( * ) jusqu'au 8 février 2011. Un bilan de la négociation est prévu au plus tard le 10 janvier 2011.

En conséquence, vos rapporteurs observent que si l'entreprise unique a été créée, ses fondations sociales restent à construire . Ils appellent de leurs voeux un accord sur la nouvelle convention collective, dans les délais les plus brefs, permettant de prendre en compte les exigences de métiers et de fonctionnement qui placeront France Télévisions en tête de la compétition audiovisuelle, dans le respect de ses missions de service public.

Ils constatent que la survie de la convention collective des personnels administratifs et techniques (CCCPA) pourrait éventuellement constituer un frein à la construction de l'entreprise unique dans la mesure où elle entraine le maintien de statuts différents pour des salariés effectuant les mêmes tâches.

Les principaux points à régler demeurent les questions relatives aux classifications, aux métiers ainsi qu'aux rémunérations . Ainsi, les propositions de France Télévisions visent notamment à remettre en cause les automatismes en matière de rémunération dont bénéficient certains personnels afin de tendre vers un système plus proche de celui des journalistes comprenant une prime d'ancienneté et des mesures individuelles au choix de la hiérarchie.


* 3 Cf. article L. 2261-14 du code du travail.

* 4 Cf. article L. 2261-9 du code du travail.

* 5 L'article L.2261-14 du code du travail dispose qu'en cas de fusion notamment, la convention collective de l'entreprise absorbée « continue à produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévu à l'article L. 2261-9, sauf clause prévoyant une durée supérieure » . Le délai de préavis est de trois mois.

* 6 Cf. communiqué de presse du 19 février 2010.

* 7 Au premier semestre 2010, France Télévisions a comptabilisé dix jours de grève pour vingt deux préavis dont neuf ont été levés.

* 8 Réponse de France Télévisions sur la nature du compromis : « Le protocole réaffirme le principe de la généralisation du forfait jour. Les précisions apportées sur le forfait jour ne constituent que la reprise des dispositions du code du travail car il s'agit d'une modification substantielle des conditions de travail nécessitant un accord du salarié ».

* 9 Réponse de France Télévisions sur la nature du compromis : « En effet, l'évolution des minimas au même rythme que les mesures générales accordées dans la cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) n'a pas d'effets inflationnistes sur les rémunérations de base (tout salarié étant en pratique au dessus des minimas, et le restant du fait de l'indexation des minimas sur les mesures générales). Le seul effet de cette mesure d'indexation concerne des éléments de rémunération annexe (prime d'ancienneté notamment, dont le calcul prend en compte les minimas) ».

* 10 Cf. L'article du journal les Échos du 31 mai 2010 intitulé « Social : négociations sous tension à France Télévisions » .

* 11 La CFDT, la CGC et le SNJ ont refusé de signer l'accord de substitution.

* 12 Source : La Tribune du 5 juin 2010 « France Télévisions: imbroglio social et division syndicale ».

* 13 Ces délais sont calculés à compter de la date de dissolution du 9 avril 2009 de l'AESPA.

* 14 Accords en vigueur au sein de France 2, France 3, France 4, France 5, RFO et France Télévisions.

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