C. LE PASSAGE D'UNE ORGANISATION HIÉRARCHISÉE À UNE ORGANISATION MATRICIELLE
1. L'émergence de domaines transversaux nécessitant une refonte des procédures de décision
Sur le fondement d'une étude du cabinet Bain, la direction a présenté son projet de réorganisation de France Télévisions au conseil d'administration le 9 avril 2009. La discussion au sein des instances représentatives du personnel s'est engagée. Puis, la mise en oeuvre effective de la nouvelle organisation a commencé le 4 janvier 2010 à nombre de postes constants et en suivant un schéma général distinguant de grands domaines définis fonctionnellement et subdivisés en secteurs :
- Marketing et communication ;
- Antennes, programmes et information, comprenant une structure spécifique dédiée aux moyens des antennes ;
- Réseaux régionaux ;
- Fabrication, technologies et développements numériques ;
- Gestion, finances et ressources humaines.
Le domaine commercial comprenant la régie publicitaire FTP et la filiale de diversification FTD demeure séparé. Enfin, la direction de l'audit interne et le secrétariat général supervisant la direction des relations institutionnelles et des relations internationales demeurent rattachés directement au président de France Télévisions.
L'évaluation de la réorganisation passera par l'examen des résultats acquis en matière de gestion et de ligne éditoriale. D'une part, il s'agira d'examiner les gains réalisés en matière de contrôle et de réduction des coûts grâce à un pilotage financier affiné, aux synergies dégagées, à la mutualisation des moyens. D'autre part, il est attendu à la fois un renforcement de l'identité du groupe France Télévisions, une clarification du positionnement des chaînes premium et l'enracinement d'une culture du média global .
La fusion de plusieurs entreprises se révèle bien souvent une opération délicate. La difficulté est sans doute renforcée dans le cas particulier de France Télévisions où la fusion ne prolonge pas l'organisation de l'ancienne holding . En outre, la nouvelle entreprise unique ne devait pas reproduire le modèle des anciennes sociétés de programme : il n'était pas question de reprendre l'organisation, le fonctionnement et les procédures de France 2 par exemple pour y incorporer les effectifs des autres chaînes. En effet, si telle avait été la solution retenue, il aurait été illusoire d'en attendre une clarification des lignes éditoriales et une optimisation des coûts, sans compter le risque que les réseaux régionaux et ultra marins ne fussent alors conçus que comme des appendices superflus.
L'entreprise unique doit être véritablement une entreprise commune . C'est pourquoi la fusion ne peut qu'être menée de front avec une transformation du fonctionnement des anciennes sociétés afin de passer d'un mode vertical et hiérarchique à un mode matriciel et transversal plus propre à porter une stratégie de bouquet et de développement multi-support.
L'orientation générale de la réorganisation semble logique et adaptée aux métiers de France Télévisions : les fonctions support de gestion et de fabrication sont rassemblées, l'importance du marketing pour la construction de la stratégie du groupe est reconnue, la particularité de l'organisation territoriale déconcentrée est prise en compte, de même que la spécificité des métiers de l'information et de la programmation. Toutefois, le détail de l'organisation au sein de chaque domaine et les liaisons entre services dépendant de domaines différents méritent un examen approfondi a priori et un suivi attentif tout au long de la concrétisation de l'entreprise unique.
La nécessité de procéder à la réforme à effectif constant, hors plan de départ volontaire, sans mobilité imposée fait peser une contrainte forte sur les premières étapes de transformation de l'entreprise. Les risques en cas de fusion d'entreprises à effectif constant sont bien connus : il faut éviter les écueils du gonflement artificiel des effectifs d'encadrement, de la multiplication des doublons fonctionnels et de l'empilement des strates de gestion au sein des domaines et des services, liés au rassemblement de personnels exerçant auparavant des fonctions parfaitement homologues dans des structures parallèles.
À l'évidence, l'organigramme ne suffit pas. Il faut aussi faire vivre le schéma d'organisation, ce qui implique de mener à bien le chantier social pour intégrer les évolutions prévisibles des métiers, d'adapter progressivement les structures et les effectifs en fonction des évaluations et des retours, de refondre les processus de prise de décision .
Ce dernier point mérite une attention toute particulière. D'une part, il reste à harmoniser et à faire converger les anciennes procédures dissemblables et autonomes. D'autre part, le mode d'organisation matriciel retenu par France Télévisions tend à faire émerger des fonctions métiers transversales intervenant tout au long d'une chaîne de production intégrée à la place des silos juxtaposés et adoptant un régime de fonctionnement interne d'un type plus classiquement hiérarchique que constituaient les anciennes sociétés nationales de programme.
L'adoption d'une organisation matricielle rend donc les arbitrages plus nombreux et plus délicats . Elle nécessite une définition rigoureuse et une coordination précise des responsabilités croisées des différents acteurs, ainsi qu'un séquençage adéquat des procédures de décisions. La direction de France Télévisions a compris cette exigence. C'est pourquoi, parallèlement à la mise en place de l'organisation, elle a mené une réflexion sur les processus décisionnels visant à identifier pour chaque décision-clé de la vie de l'entreprise les différentes autorités responsables et leurs niveaux d'intervention. Cette démarche est essentielle à la bonne marche de l'entreprise unique.
2. La consolidation des fonctions support et la reconnaissance du marketing
La construction du domaine « Gestion, finances et ressources humaines », déjà préparée par l'ancienne holding , reprend les solutions classiques de rassemblement des fonctions supports pour générer des synergies, solutions communes dans les opérations de fusion, quel que soit le secteur d'activité des entreprises. Il en est de même du domaine « Fabrication, technologies et développement numérique », au sein duquel la mutualisation des moyens de fabrication aujourd'hui dispersés a pour but naturel d'optimiser l'utilisation des moyens existants en interne. L'impératif d'homogénéisation des choix technologiques doit également gouverner la politique d'investissement et d'achats en externe. Un secteur du domaine « Fabrication » est également dédié à l'innovation et au développement pour préparer les évolutions technologiques à moyen terme.
Vos rapporteurs estiment particulièrement positif que le GIE France Télévisions Interactive (FTVI) , qui avait une double compétence technique et éditoriale en matière de développement Internet, ait été scindé . Les équipes rédactionnelles ont été intégrées dans les différents secteurs du domaine « Antennes, programmes et information », ce qui évitera de reproduire les interférences dommageables qui prévalaient jusqu'alors et nourrissaient un foisonnement incohérent et contreproductif de l'offre Internet de France Télévisions. Les équipes techniques ont parallèlement été transformées en un secteur autonome à part entière au sein du domaine « Fabrication, technologies et développement numérique ». Ce nouveau secteur des services interactifs conservera la maîtrise d'oeuvre et la gestion de l'ensemble des sites Internet du groupe. En revanche, l'impulsion éditoriale et la fourniture des contenus sera du ressort strict du seul domaine « Antennes, programmes et information ».
La nouvelle organisation de l'entreprise unique apporte une reconnaissance inédite à l'importance du marketing dans le développement de la stratégie de France Télévisions. Certes, l'entreprise n'avait pas complètement ignoré le marketing par le passé, quoiqu'une certaine méfiance à l'égard de tout ciblage commercial ait été perceptible. Il n'en reste pas moins qu'il n'était ni systématisé, ni structuré. Sans doute était-ce là un des signes de la faiblesse de la réflexion stratégique au sein du groupe. Vos rapporteurs se félicitent donc de l'innovation que constitue le nouveau domaine « Marketing et communication », qui devrait permettre au groupe de tirer le meilleur parti de son bouquet de chaînes en définissant de façon plus précise et plus opérationnelle la ligne éditoriale de chacune d'entre elles.
Renforcer l'identité des antennes comme l'identité du service public audiovisuel dans son ensemble est en effet une mission prioritaire. L'objectif est de construire une authentique marque France Télévisions, identifiable par le public. Sans viser l'augmentation de l'audience ou des recettes publicitaires, les fonctions d'étude et de marketing stratégique et opérationnel contribueront ainsi à la définition des voies et des moyens pour élargir le rayonnement global de France Télévisions. Elles faciliteront notamment la compréhension des nouveaux modes de consommation des médias par le public et l'adaptation en conséquence des formats de diffusion quel que soit le support. C'est là en puissance un instrument de pilotage stratégique et éditorial tout à fait décisif, qui constitue le pendant opérationnel de la constitution du comité stratégique au sein du conseil d'administration. Pour que ce virage stratégique soit bien négocié, encore faudra-t-il s'assurer que le domaine Marketing soit systématiquement associé en amont de tous les projets, afin qu'il apporte son expertise pour évaluer, hiérarchiser et harmoniser les initiatives.
3. Un coeur de métier en mutation
a) Un enjeu crucial pour la réussite de l'entreprise unique
Avec l'adaptation des réseaux régionaux, la réorganisation des antennes et des programmes constitue l'un des noeuds de la réforme. C'est là que se joue véritablement le succès de l'entreprise unique. Il faut à la fois que l'organisation retenue et la structuration des équipes rendent possibles la conjugaison du maintien de chaînes aux lignes éditoriales distinctes et l'harmonisation des programmations. C'est à l'aune de l'équilibre obtenu, tout autant que de la réduction des coûts, que pourra être jugé le succès de l'entreprise unique.
Le domaine « Antennes, programmes et information » doit supporter directement la fusion des anciennes sociétés nationales de programme calquées sur les antennes dont les cultures d'entreprise et les procédures étaient dissemblables. C'est ce domaine qui doit plus particulièrement réussir la transition d'un fonctionnement en silo, segmenté et peu coordonné à une activité en réseau fondée plus encore sur l'arbitrage, l'ajustement et la comparaison perpétuelle.
Le brassage des équipes doit éviter un double écueil symétrique. Il convient, d'un côté, de ne pas reconstituer telles quelles et en juxtaposition des équipes préexistantes dans chaque chaîne, ce qui ne faciliterait pas l'homogénéisation et la diffusion des bonnes pratiques, ni l'élimination de doublons et l'intensification des synergies. D'un autre côté, il faut également se défier d'un éparpillement trop poussé des équipes constituées qui ont l'habitude de bien fonctionner ensemble, ce qui pourrait durablement désorganiser l'entreprise et prolonger inutilement la phase de transition.
b) Un partage des tâches complexe
La structuration interne retenue pourrait ne pas profiter jusqu'au bout de l'opportunité ouverte par la construction de l'entreprise unique pour rationaliser le fonctionnement du triple domaine « Antennes, programmes et information ». Particulièrement complexe, cette structuration interne s'appuie sur dix secteurs :
- Journaux Télévisés Nationaux
- Magazines d'information
- Information de proximité
- Sports
- Antennes
- Programmes
- Programmation transverse et acquisitions
- Opérations spéciales et partenariats
- Coordination Média Global
- Moyens des antennes, qui comprend elle-même une branche consacrée à l'administration de la production et une autre au pilotages des moyens des antennes.
La « coordination du média global » sera traitée par vos rapporteurs sous l'angle de la stratégie éditoriale et de diversification poursuivie par France Télévisions, qui est abordée plus loin dans le présent rapport. Du point de vue de l'organisation, il est toutefois permis de déplorer qu'en dépit de la volonté affichée par l'entreprise de se développer comme véritable média global, il ait fallu de longs mois après la présentation du projet de réorganisation pour nommer un responsable de la « coordination média global » . Son équipe pourtant modeste de trois personnes n'était pas complète lors de son audition par vos rapporteurs.
En outre, on peut s'interroger sur le poids réel qu'aura le coordonnateur du média global au sein de France Télévisions tant face aux autres secteurs du domaine « Antenne, programmes et information » que face au domaine « Fabrication, technologies et développements numériques », qui intègre un secteur dédié aux services interactifs. Les leçons du passé ont montré que la volonté d'autonomie des chaînes pouvait entraver les tentatives de coordination : ainsi France 2 et France 3, notamment, ont poussé leurs initiatives propres sur Internet parallèlement aux activités du GIE France Télévisions Interactive (FTVI) constitué à cette fin. De même aujourd'hui, il faudra impérativement veiller à ce que le coordonnateur, chargé d'instruire et de structurer les différents projets, ne soit pas débordé par des projets concurrents émanant des antennes, de l'information ou des programmes.
Pour montrer résolument l'entrée de France Télévisions dans l'ère du média global et intégrer très en amont de la chaîne de production le souci de la diffusion multisupport, il aurait pu être envisagé de confier la coordination du média global à un directeur général-adjoint . Celui-ci aurait eu la tutelle hiérarchique directe sur tous les responsables Internet travaillant dans les différents secteurs du domaine « Antenne, programmes et information », ainsi qu'un lien fonctionnel fort avec les services interactifs du domaine « Fabrication » et les services de prospective et de stratégie du domaine « Marketing ».
Trois autres secteurs appellent de brèves remarques :
- le secteur « Sports » devrait subir des évolutions très limitées par rapport à l'organisation actuelle puisqu'il était déjà organisé transversalement entre France 2 et France 3 ;
- le secteur « Programmation transverse et acquisitions » regroupe deux anciennes structures déjà mutualisées au niveau du groupe et qui géraient respectivement l'harmonisation de la programmation et les acquisitions de programmes de cinéma et de fiction étrangère. Il n'aurait pas été illogique de refondre ces deux structures dans le secteur « Programmes » ou bien dans le service d'administration de la production au sein du secteur « Moyens des antennes », puisque ce dernier est déjà censé intervenir dans les négociations d'achats de programme ;
- le secteur « Partenariats et opérations spéciales » reprend lui aussi une des directions communes du groupe. Y devraient être également rattachées des équipes de l'ancienne direction de l'antenne et des programmes de France 2 en charge des opérations exceptionnelles et des partenariats culturels. La création d'un secteur dédié ne semblait pas nécessaire, ces activités pouvant être rapprochées avec profit d'autres secteurs comme les programmes ou les antennes, voire la communication externe ou le secrétariat général, chargé des relations institutionnelles.
Enfin, l'information d'une part, les antennes et les programmes d'autre part, constituent les modules les plus importants et les plus sophistiqués. Ils méritent un traitement singulier plus ample.
c) Le maintien d'une organisation éclatée de l'information
Vos rapporteurs ne peuvent manquer de constater l'éclatement du traitement de l'information entre trois secteurs : les journaux nationaux, les magazines et l'information de proximité . Ceci pourrait même apparaître comme une régression dans la mesure où les magazines d'information et les journaux nationaux étaient intégrés au sein des anciennes directions de l'information de France 2 et de France 3. Certes, les synergies en termes d'échange d'images et de mutualisation des ressources ont paru suffisamment nettes entre les deux activités pour que la fabrication soit unifiée. Cependant, cette segmentation demandera une coordination supplémentaire entre les deux entités pour éviter les doublons et assurer la cohérence des lignes éditoriales.
Le secteur de l'information de proximité rassemble les directions de France 3 Sat et de la coordination des rédactions régionales de France 3, la rédaction européenne de France 3 à Strasbourg ainsi que la direction de l'information de RFO et la rédaction outre-mer des antennes TV RFO. C'est le correspondant naturel du domaine des réseaux régionaux et ultra-marins, puisqu'il est chargé d'assurer une mission de coordination éditoriale pour l'ensemble des programmes d'information territorialisés. Au sein de ce secteur a été mise en place une Agence France Télévisions rassemblant plus spécifiquement trois structures transversales :
- Info Vidéo 3, qui sélectionnait des sujets régionaux en vue de leur reprise par les rédactions nationales de France 2 et France 3 ;
- France 3 Sat, qui réalisait des programmes régionaux mutualisés comme le Journal des régions ;
- la rédaction Malakoff de RFO, qui préparait des programmes en métropole pour le compte des directions ultra-marines et qui réalisait également un Journal de l'outre mer diffusé sur France 3.
Ce rapprochement entre trois organes aux missions très semblables , centrées sur la production d'éditions spécialisées et sur l'échange d'images entre les différentes rédactions nationales et territoriales, est très bienvenu.
Afin de dégager encore plus de cohérence éditoriale et une véritable articulation entre l'information nationale et régionale, il pourrait être judicieux de rapprocher l'information de proximité des secteurs des journaux télévisés nationaux et des magazines d'information au sein d'une direction de l'information. D'ailleurs, il convient de remarquer que, parallèlement, la mission de coordination des antennes régionales est intégrée au secteur des antennes et non pas détachée. Cette solution paraît plus adéquate que celle retenue pour l'information de proximité.
La segmentation de l'information est encore accentuée au sein même du secteur des « Journaux télévisés nationaux » par le maintien en miroir de services séparés pour les journaux télévisés et les reportages destinés aux antennes de France 2 et France 3. Le maintien de lignes éditoriales indépendantes sur les journaux télévisés, imposé par la loi du 5 mars 2009, n'interdisait pourtant pas de réfléchir à une mutualisation dépassant la seule fabrication des éditions. Certes, la médiathèque, l'infographie et la météo ont également été regroupées et une rédaction commune « Internet » a été constituée pour alimenter les sites france2.fr et france3.fr, ce dont vos rapporteurs se réjouissent. Il n'en reste pas moins que le coeur de l'organisation de l'activité journalistique n'a pas été touché.
À cet égard, la constitution d'une rédaction Internet séparée est ambigüe : elle ne doit pas conduire à négliger le développement de la bivalence chez l'ensemble des journalistes d'information. Leur métier doit évoluer dans l'avenir pour leur permettre de travailler simultanément et indifféremment pour l'ensemble des supports sans déléguer systématiquement la déclinaison multimédia de leur travail à d'autres. Sur ce point, l'exemple d'autres chaînes publiques qui ont su développer une double compétence canal premium/Internet chez leurs journalistes, comme France 24 en matière d'information internationale ou comme Public Sénat pour l'information politique et parlementaire, peut être médité avec profit par France Télévisions.
Malgré des efforts d'intégration tout à fait judicieux, l'entreprise unique tend encore trop à se traduire dans le domaine de l'information par la juxtaposition des structures préexistantes .
d) La dialectique de l'antenne et des programmes
Reste à évoquer la nouvelle relation établie entre les programmes et les antennes, avec la médiation des services dédiés au pilotage des moyens des antennes et à l'administration de la production.
La constitution d'un secteur unifié chargé des programmes , distingué des antennes des différentes chaînes, constitue une étape majeure dans le décloisonnement des chaînes de production et de programmation . Elle doit permettre de renforcer la capacité d'achat et de négociations de France Télévisions vis-à-vis de ses fournisseurs. Surtout, elle vise à consolider l'identité du groupe France Télévisions en construisant une offre cohérente distincte de ses concurrents privés, en facilitant la circulation des oeuvres au sein du service public et en intégrant en amont l'impératif de développement en média global.
Pour éviter de reproduire les anciennes séparations par antenne au sein du nouveau secteur unifié des « Programmes », une structuration transversale en huit unités thématiques a été retenue : Documentaires, Magazines de société, Magazines culture, histoire et patrimoine, Jeux et Divertissements, Fiction, Jeunesse, Émissions religieuses et Musique-Spectacle vivant.
L'unité « Jeunesse » était pionnière puisqu'elle existait déjà depuis le 1 er octobre 2008. Les résultats obtenus sont d'ailleurs très encourageants puisque le rassemblement des programmes jeunesse a permis de construire une offre cohérente sur l'ensemble du bouquet et sur Internet . Baptisée « Ludo », l'offre jeunesse de France Télévisions est diffusée depuis le 19 décembre 2009 sur France 3, France 4, France 5 et le site dédié mon-ludo.fr. Les émissions dotées d'un habillage commun visent à créer une marque groupe nettement identifiée mais inscrite de façon différenciée sur chaque antenne. La constitution de Ludo permet d'éviter les redondances et les concurrences sur les mêmes créneaux horaires. Elle cible des publics d'âge différents sur chaque chaîne : les enfants de 5 à 8 ans pour France 5, de 9 à 12 ans pour France 3 et de 13 à 16 ans pour France 4. Cette démarche, appuyée sur des études marketing pertinentes, se révèle particulièrement adaptée dans le cadre de l'entreprise unique. Vos rapporteurs souhaitent que l'ensemble des autres unités thématiques de programme suivent la même voie .
En coordination avec le domaine Marketing et en lien étroit avec les antennes, le secteur « Programmes » portera la stratégie éditoriale de bouquet. La difficulté essentielle réside précisément dans les modalités concrètes de l'articulation entre les antennes et les programmes , dont les missions répondent à un intérêt commun mais par des voies divergentes. D'un côté, les antennes conservent la maîtrise des lignes éditoriales de chaque canal de diffusion et ont pour tâche de renforcer l'identité des chaînes ; de l'autre, le secteur « Programmes » assure l'alimentation des antennes, hors information, et doit renforcer la cohésion du groupe. C'est un équilibre entre la cohérence et la diversité de l'offre de France Télévisions qui doit être trouvé. Ce n'est pas dans l'organigramme mais au fur et à mesure des discussions quotidiennes entre les deux secteurs qu'il pourra être défini.
Les auditions menées par vos auditeurs leur laissent penser que les antennes, garantes des lignes éditoriales de chaque chaîne, garderont largement la main dans la nouvelle organisation. Devrait être ainsi écarté l'écueil d'une homogénéisation et d'une uniformisation des programmes au détriment de la diversité culturelle que doivent refléter les différentes antennes. Une centralisation excessive des décisions serait en tout état de cause préjudiciable , car elle ne permettrait pas à France Télévisions de garantir pleinement la variété de la création et de la production , conformément à son cahier des charges. Elle pourrait même gêner l'affirmation des identités et des couleurs propres à chaque chaîne, qui figure pourtant parmi les chantiers majeurs de l'entreprise. C'est pourquoi devrait être menée une réflexion transversale entre les différentes unités thématiques de programme pour contrebalancer leur spécialisation et assurer un traitement adéquat de chaque genre sur l'ensemble des antennes du bouquet.
S'il est donc légitime de laisser aux antennes le pouvoir de refuser l'inscription dans leur grille de programmes qui ne leur conviennent pas, il ne faudrait pas, en revanche, que le secteur « Programmes » devienne un simple prestataire de services agissant sur commande. Un affaiblissement de ce secteur à peine formé présenterait l'inconvénient de réactiver des forces centrifuges, de laisser intactes les politiques de chaînes existantes et de faire perdurer de vieilles habitudes de cloisonnement, définitivement obsolètes dans l'entreprise unique .
Le duo des programmes et des antennes doit également compter avec le secteur chargé des moyens des antennes. La branche chargée de l'administration de la production au sein des « Moyens des antennes » est organisé en miroir des unités de programme thématiques. Elle leur apporte un soutien technique dans leurs négociations avec les producteurs et dans la gestion de leur budget d'approvisionnement, dont il partage la responsabilité.
La branche du pilotage des moyens des antennes, quant à elle, a pour mission essentielle d'optimiser les coûts de grille, de vérifier les niveaux d'investissements et de stocks et de contrôler le respect des obligations réglementaires imposées aux antennes. Elle servira également à piloter transversalement, par genre, l'investissement dans les programmes pour tirer le meilleur parti du bouquet. L'objectif général est de faciliter la réallocation des budgets entre les genres de programme et entre les grilles, soit pour tenir compte de l'évolution de la situation financière de France Télévisions, soit pour suivre des inflexions de ligne éditoriale. Vos rapporteurs estiment que ces deux structures de gestion en soutien des antennes et des programmes constituent des instruments de maîtrise des coûts et d'optimisation des ressources indispensables pour la bonne marche de l'entreprise commune.
4. Les difficultés de l'intégration des réseaux régionaux
a) La fin des directions régionales et la constitution de pôles de gouvernance
Trois échelons structurent verticalement la nouvelle organisation du réseau régional métropolitain : le siège du domaine Réseaux, les quatre pôles de gouvernance et les vingt-quatre antennes de proximité, couplées à vingt-quatre centres d'exploitation. La principale innovation consiste dans la suppression des treize anciennes directions régionales, qui étaient les interlocuteurs du niveau national et exerçaient une double mission de gestion des moyens locaux et de programmation régionale, en s'appuyant sur les contenus collectés dans les bureaux régionaux d'information (BRI). Se substituent aux directions régionales les pôles de gouvernance en matière de coordination et d'allocation des ressources et les antennes de proximités, constitués à partir des BRI existants, pour la partie rédactionnelle. Cette transformation se fait à effectifs constants, nonobstant les départs à la retraite, et sans mobilité géographique constante.
Les antennes de proximité épousant les régions administratives comme ressort territorial ont pour tâche de définir la ligne éditoriale des émissions, magazines et journaux régionaux, quel que soit le support de diffusion. Elles sont placées sous la responsabilité hiérarchique des pôles de gouvernance. Elles travaillent en relation avec les centres d'exploitation, constitués quasiment à l'identique des vingt-quatre centres de fabrication actuels. À la différence des anciennes directions régionales, les antennes de proximité ne peuvent engager directement des ressources : elles dépendent sur ce point des pôles de gouvernance. Leur rôle est de proposer des contenus au pôle qui les approuve, puis de réaliser ces éléments de programme en vue de leur diffusion à l'antenne ou sur Internet.
Les pôles de gouvernance Nord-Est, Nord-Ouest, Sud-Est et Sud-Ouest couvrent plusieurs régions administratives. Ainsi, le pôle Nord-Est, basé à Strasbourg, se substitue à quatre anciennes directions régionales de France 3 et supervise les antennes de proximité et les centres d'exploitation des régions Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardennes, Franche-Comté, Lorraine, Nord Pas-de-Calais et Picardie. La mission des pôles est d'assurer la coordination et la validation de l'activité éditoriale des antennes de proximité de leur ressort, d'une part, d'allouer les moyens aux antennes et centres d'exploitation en fonction de leurs objectifs et des projets validés, d'autre part.
b) Des liaisons fonctionnelles complexes avec les autres domaines de France Télévisions
Le réseau régional métropolitain est un exemple type d'organisation matricielle, puisque se croisent à chaque échelon territorial les responsabilités hiérarchiques verticales du siège aux implantations locales au sein du domaine et les responsabilités fonctionnelles avec l'intervention des autres domaines « Marketing-Communication », « Information-antennes », « Fabrication et Gestion ».
Les difficultés et les frictions nées des interférences possibles entre les responsables ou donneurs d'ordres, propres à ce type d'organisation, ne peuvent que s'y retrouver. Elles peuvent être même potentiellement accrues par la déconcentration de la production sur de multiples sites. Il est donc capital de définir précisément les compétences de chacun, selon l'échelon territorial qu'il occupe et selon son métier. Les points de contact entre domaines et les procédures d'arbitrage doivent recevoir une grande attention pour éviter une déstabilisation durable de l'activité des réseaux régionaux.
On peut ainsi retracer à grands traits les relations fonctionnelles entre domaines :
- les responsables de communication interne en région, qui jouent un rôle très important dans l'acclimatation et la compréhension de la réforme sur le terrain, sont rattachés à la fois hiérarchiquement aux pôles de gouvernance et fonctionnellement au domaine « Marketing-Communication » ;
- le secteur de l' « Information de proximité », chargé de coordonner les journaux régionaux et locaux de France 3 et de RFO, et la direction de l'antenne de France 3, qui est responsable de la grille globale et autorise les prises d'antennes exceptionnelles hors des décrochages habituels, sont des interlocuteurs essentiels pour les échelons territoriaux du domaine des réseaux régionaux ;
- le domaine « Fabrication » assume, quant à lui, parallèlement aux pôles de gouvernance, une responsabilité sur les centres d'exploitation régionaux. En collaboration avec le secteur de l'exploitation des réseaux au sein du siège des réseaux régionaux, il impulse la politique mutualisée d'achats. C'est également lui qui édicte les différentes normes techniques qui ont vocation à être appliquées sur l'ensemble du réseau ;
- enfin, le domaine « Gestion » apporte aux pôles de gouvernance un soutien constant tant en matière financière que pour la gestion des ressources humaines. L'ensemble des postes de ressources humaines, juridique et de contrôle de gestion installés en région lui sont hiérarchiquement rattachés.
De ce schéma émerge l'image d'un domaine de réseaux régionaux recentré sur le métier de la collecte d'information et de production de contenus. En somme, ce domaine est entièrement gouverné par une logique d'offre d'images et de programmes, essentiellement pour l'antenne de France 3. En ce sens, le réseau régional n'a pas vu évoluer ses missions avec la réorganisation de l'entreprise.
c) Une mise en place malaisée
La régulation économique exercée par les pôles sur les organes locaux de production est censée éviter les doublons, faciliter les mutualisations de moyens interrégionales et rationnaliser l'offre de programmes régionaux. Cet espoir paraîtra d'autant plus légitime que la phase transitoire sera courte. Mais six mois après le début de la mise en place de la nouvelle organisation, le chantier régional n'est pas achevé et les premiers bénéfices tardent à se concrétiser.
Les mobilités interrégionales au sein des pôles ont une importance cruciale pour concrétiser le passage des directions régionales au couple « pôle de gouvernance - antennes de proximité ». En effet, d'anciens BRI qui n'étaient pas le siège d'une ancienne direction régionale, comme celui d'Amiens par exemple, doivent monter en puissance, étoffer leurs effectifs et trouver de nouvelles compétences. À l'inverse, d'anciens sièges de directions régionales doivent revoir la voilure pour permettre, d'un côté, la constitution des équipes des pôles de gouvernance, et de l'autre, le rééquilibrage vers des antennes de proximité moins bien dotées historiquement.
Le refus légitime des mobilités géographiques contraintes complique les transferts de ressources humaines entre les antennes. Si des mobilités volontaires ont déjà eu lieu, il n'en reste pas moins que certaines antennes rencontrent déjà des difficultés pour remplir tous les postes nécessaires à leur plein fonctionnement. Ces frictions dues à des ajustements inévitables ne peuvent que perturber la bonne marche du réseau régional dans les premiers temps mais elles ne doivent surtout pas conduire à des recrutements supplémentaires en masse dans les antennes de proximité, qui alourdiraient une masse salariale déjà importante et ruineraient la logique de synergie et de régulation présidant à la création des pôles de gouvernance.
En outre, le maillage territorial retenu par la réforme peut être contesté. D'abord, sur un point particulier, le maintien d'une direction territoriale autonome pour la Corse, séparée du pôle Sud-Est, ne paraît pas nécessairement justifié par les spécificités insulaires. Ensuite, au regard du schéma général, s'il était parfaitement envisageable de définir des périmètres de régulation et de gestion plus large que les anciennes directions régionales, le choix de retenir quatre pôles de gouvernance seulement avec des ressorts très vastes n'apparaît pas nécessairement optimal. Les responsables de pôle ou d'antennes sont amenés à effectuer des déplacements incessants sur des distances importantes. Ces déplacements ne semblent pas totalement dus au fait que l'organisation n'est pas pleinement achevée et reste encore à faire vivre. En régime permanent, une fois les structures en état de marche, la mission de coordination des lignes éditoriales imposera toujours des rencontres et des discussions très régulières entre les responsables d'antennes et de pôle.
En outre, le succès de la réforme exige que les pôles de gouvernance gardent la main et ne valident pas systématiquement et automatiquement les projets des antennes de proximité sous peine de retomber dans le fonctionnement antérieur où les ressources n'étaient pas optimisées. Il ne faut pas que les pôles de gouvernance se retrouvent à terme face aux antennes de proximité dans la même situation que naguère le siège de France 3 face aux directions régionales. Une asymétrie d'information existe nécessairement au bénéfice des responsables locaux qui proposent les contenus et au détriment du pôle allouant les moyens. Plus le nombre d'antennes de proximité sous la responsabilité d'un pôle de gouvernance est important, moins le pôle peut évaluer la justesse des projets et des demandes des antennes et s'assurer de la bonne utilisation des moyens alloués.
Pour réduire l'asymétrie, il fallait sans doute nommer responsables des pôles de bons connaisseurs du réseau de France 3, de ses ressources, de ses habitudes, de ses forces et de ses faiblesses. C'est ce qu'a entrepris la direction de France Télévisions. Il faut également que ces responsables se déplacent régulièrement sur le terrain et gardent un contact étroit avec les antennes. C'est le cas actuellement. Mais, il aurait peut-être été plus prudent et plus adéquat de choisir un maillage plus serré avec des ressorts plus limités. La commission sur la nouvelle télévision publique avait d'ailleurs plutôt évoqué un schéma d'organisation à huit mailles calquées sur les circonscriptions de l'élection des députés européens.
La recentralisation opérée par l'institution des pôles de gouvernance témoigne d'une volonté certaine de maîtriser les coûts . Il n'est pas certain qu'elle soit suffisante pour cela mais, en tout état de cause, qu'elle soit un succès ou un échec du point de vue de la gestion, cette recentralisation ne doit pas aboutir à une homogénéisation et à un appauvrissement du contenu des programmes régionaux . C'est l'écueil inverse du précédent : à la validation automatique ne doit pas succéder un dirigisme étroit.
Tout en étant validée et coordonnée dans les pôles, l'initiative éditoriale doit donc impérativement rester sous la maîtrise des antennes de proximité. Celles-ci doivent poursuivre une réflexion approfondie sur le sens même des programmes locaux qu'elles réalisent pour les dynamiser et les rapprocher des attentes de leur public naturel. À défaut, la stratégie d'hyper-proximité, qui est ostensiblement affichée par la direction de France Télévisions et sert de justification à l'étoffement des vingt-quatre BRI existants en antennes de proximité, deviendrait ipso facto caduque.
d) Un réseau ultra-marin aux structures largement inchangées
Le domaine Réseaux régionaux s'inscrit dans la continuité du maillage territorial de France 3 et de RFO. Les deux réseaux métropolitain et ultra-marin sont juxtaposés dans une maison commune, mais demeurent largement autonomes et ne répondent pas à des impulsions stratégiques, éditoriales et financières partagées. L'outre-mer se distingue par une dispersion géographique exceptionnelle et par la bivalence télévision-radio. Le principal enjeu à court et moyen terme est de faire face à l'arrivée de la TNT et à l'évolution inévitable de la programmation des Télé Pays. La spécificité de cette problématique rendait difficilement praticable et concevable une autre structuration, intégrant plus étroitement métropole et outre-mer. Malgré leur rattachement hiérarchique identique, les deux réseaux se prêtent donc à des analyses séparées.
L'organisation retenue pour le réseau outre-mer ne coïncide pas avec le schéma du réseau régional métropolitain. Les neuf directions régionales actuelles sont transposées sans changement dans la nouvelle entreprise. La coordination entre les directions est assurée dans le cadre de quatre bassins : Caraïbes-Amazone, Indien, Pacifique Est et Polynésie. L'isolement de Saint-Pierre-et-Miquelon justifie que la direction ne fasse partie d'aucun bassin de coordination.
Mais les bassins de coordination ne ressemblent pas aux pôles de gouvernance, puisqu'ils ne constituent pas des structures proprement dites et n'assurent pas de contrôle hiérarchique sur les directions régionales, celles-ci demeurant directement rattachées au siège. Force est donc de constater que l'organisation du réseau ultra-marin n'a subi quasiment aucun changement . Il n'est pas certain que dans cette configuration, les directions régionales trouvent les moyens d'affronter seules les bouleversements engendrés par l'arrivée de la TNT et de développer localement une offre de programmes adaptée.