2. Articuler l'atténuation de la peine avec une obligation de soins effective
S'il n'a pas jugé souhaitable de remettre en cause la distinction entre abolition et altération du discernement, le groupe de travail estime en revanche qu'il est indispensable de réécrire le second alinéa de l'article 122-1 afin qu'y figure le fait que l'altération du discernement doit constituer une cause légale d'atténuation de responsabilité.
En effet, aujourd'hui, selon les témoignages concordants des acteurs de la chaîne judiciaire, l'altération du discernement se traduit quasi-systématiquement par le prononcé de peines plus lourdes - même si, une fois encore, l'absence de données statistiques ne permet pas de conforter ce sentiment largement partagé.
Le groupe de travail a déjà relevé les inconvénients liés à cette situation. Il lui paraît indispensable de modifier le code pénal afin de revenir à l'esprit initial du deuxième alinéa de l'article 122-1 tout en fixant, cependant, par cohérence, des conditions nouvelles relatives à la prise en charge médicale des personnes dont la peine serait réduite en raison d'une responsabilité atténuée.
a) Reconnaître l'altération du discernement comme une cause légale d'atténuation de la peine
Si la juridiction doit tenir compte de l'existence du trouble lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime, ce devrait être dans le sens d'une atténuation de la peine. Tel était bien l'esprit des travaux préparatoires du nouveau code pénal. Ainsi, le rapporteur pour le Sénat, Marcel Rudloff, 69 ( * ) relevait que si, en l'état du droit antérieur à la réforme, « la juridiction n'est jamais tenue de retenir les circonstances atténuantes, dans le texte de l'article 122-1, en revanche, la juridiction se voit soumise à une obligation légale d'atténuation de la responsabilité, susceptible d'un contrôle de la Cour de cassation ». Au demeurant, ces dispositions trouvent leur place dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité.
Enfin, le Conseil constitutionnel a été appelé à préciser la portée du second alinéa de l'article 122-1 du code pénal en 2007, dans sa décision relative à la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive 70 ( * ) . Il a en effet estimé « que même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en état de récidive légale, [les dispositions spéciales du deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal] permettent à la juridiction de prononcer, si elle l'estime nécessaire, une peine autre que l'emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale ». Ainsi, la juridiction peut déroger à l'application des peines minimales lorsque le discernement a été altéré.
La plupart des pays européens reconnaissent d'ailleurs le principe de cette responsabilité atténuée.
Tel est le cas en Espagne où les personnes dont la responsabilité est atténuée en raison d'une altération de la conscience ou de la volonté bénéficient d'une réduction de peine automatique (article 21 du code pénal). Il en est de même en Italie 71 ( * ) .
Le groupe de travail estime que deux types de modification du deuxième alinéa de l'article 122-1 sont possibles . La première tendrait à reconnaître expressément l'altération du discernement comme une cause légale d'atténuation de la peine ; la seconde porterait sur le régime d'exécution de la peine.
Si le code pénal ne fait plus référence aux circonstances atténuantes qui, sous l'empire du code pénal de 1810, permettaient de prononcer des peines inférieures aux minima prévus pour chaque infraction, il a maintenu dans certaines hypothèses des causes légales de diminution de peines. Il en est ainsi en cas de dénonciation par l'auteur ou le complice permettant de faire cesser les agissements incriminés et d'identifier les autres coupables (trafic de stupéfiants, article 222-43 - terrorisme, article 422-2 - fausse monnaie, article 442-10). Dans ce cas, la peine encourue est réduite de moitié. De même, les mineurs de plus de treize ans bénéficient en principe d'une cause légale de diminution de peine qui a aussi pour effet de diminuer de moitié le quantum maximal de peine prévu par le code pénal (article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945).
Si la réduction de moitié de la peine peut apparaître trop systématique en cas d'altération du discernement, cette réduction pourrait être comprise entre le tiers et la moitié de la peine encourue.
Proposition
Compléter le second alinéa de
l'article 122-1 du code pénal afin de prévoir que
l'altération du discernement entraîne une réduction de la
peine encourue comprise entre le tiers et la moitié de ce quantum.
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Cette modification aurait pour effet d' imposer au président de cour d'assises, comme tel est le cas pour les autres causes légales de diminution de la peine, de poser aux jurés une question spécifique sur l'application de ces dispositions .
Jean Danet a suggéré que les auteurs de faits délictuels de faible gravité dont le discernement est altéré bénéficient d'un ajournement de peine ou d'alternatives à l'incarcération et soient soumis, en contrepartie, à une prise en charge non seulement médicale mais aussi socio-éducative renforcée assortie de mesures de sûreté. En effet, selon lui, une telle orientation apparaît mieux adaptée à des personnes souffrant de troubles mentaux qu'une peine d'emprisonnement exécutée au sein d'une maison d'arrêt.
Le groupe de travail recommande, à ce stade, une évolution plus mesurée. Il serait précisé au 2 e alinéa de l'article 122-1 que lorsque la juridiction a constaté l'altération du discernement, la peine d'emprisonnement prononcée est assortie, pour une période comprise entre le tiers et la moitié de sa durée, d'un sursis avec mise à l'épreuve comportant une obligation de soins.
Proposition
Compléter le second alinéa de
l'article 122-1 du code pénal afin de prévoir que lorsqu'une
altération du discernement est constatée, la peine
prononcée est exécutée pour une période comprise
entre le tiers et la moitié de sa durée sous le régime du
sursis avec mise à l'épreuve assorti d'une obligation de soins.
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Il est possible de privilégier l'une de ces propositions à l'autre mais elles peuvent aussi se combiner.
b) Une contrepartie dans une prise en charge médicale renforcée
La diminution de la peine devrait avoir pour corollaire un renforcement de la prise en charge médicale pendant le temps de la peine ainsi qu'à l'issue de l'incarcération.
Lors de la discussion du nouveau code pénal, le Sénat avait proposé que les personnes relevant du second alinéa de l'article 122-1 puissent être affectées par la juridiction dans « un établissement pénitentiaire spécialisé doté de services médicaux, psychologiques et psychiatriques permettant de procéder à tout examen, observation et traitement nécessaire » 72 ( * ) . L'Assemblée nationale s'y était néanmoins opposée pour deux raisons développées par le rapporteur, Philippe Marchand 73 ( * ) : « D'abord, il faut noter que la confusion de la structure pénitentiaire et de la structure psychiatrique au sein d'une même unité n'est pas une bonne chose car l'équilibre serait sans doute difficile, voire impossible à établir entre les exigences de chacune d'elles. Ensuite, une telle solution ne permettrait pas de prendre en compte l'évolution ultérieure de l'état mental du condamné, après le jugement : devenu définitif, parce que prononcé par la juridiction, le placement dans un établissement spécialisé risquerait d'empêcher le transfert du malade en milieu hospitalier en cas d'aggravation de son état ou son retour en milieu carcéral ordinaire s'il présente des signes de guérison ».
Le groupe de travail n'entend pas revenir à la proposition initiale du Sénat - qui avait cependant une réelle cohérence dans le cadre d'un dispositif où la peine aurait été effectivement réduite. Il suggère de s'appuyer sur les dispositifs existants en les adaptant aux cas des personnes dont le discernement est altéré.
Ainsi, s'agissant de l'exécution de la peine :
- les personnes relevant du deuxième alinéa de l'article 122-1 devraient obligatoirement être affectées dans un établissement comportant un SMPR ;
Prévoir l'affectation systématique des
personnes dont le discernement est altéré dans les
établissements pénitentiaires comprenant un SMPR
.
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- les réductions de peine prévues par les articles 721 et 721-1 du code de procédure pénale pourraient systématiquement être retirées en cas de refus de soins. En l'état du droit, le juge de l'application des peines peut ordonner le retrait d'une partie du crédit de réduction de peine auquel le détenu a droit lorsque celui-ci, s'il a été condamné pour des crimes graves commis sur des mineurs, refuse de suivre le traitement qui lui a été proposé par le juge de l'application des peines, sur avis médical. Il en est de même s'agissant des réductions de peine supplémentaires.
Prévoir le retrait systématique des
crédits de réduction de peine prévus par
l'article 721 du code de procédure pénale et des
réductions de peine supplémentaires prévues par
l'article 721-1 en cas de refus, par la personne dont le discernement a
été déclaré altéré, des soins qui lui
ont été proposés par le juge de l'application des peines
après un avis médical.
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A leur libération, ces personnes pourraient faire l'objet d'une obligation de soins, éventuellement adaptée en fonction de leur état clinique, pendant la période correspondant à la durée comprise entre la libération de la personne et la limite de la durée de la peine encourue, comme le suggérait d'ailleurs le rapport de la commission d'audition sur l'expertise psychiatrique pénale.
Prévoir qu'une obligation de soins s'applique
pendant la période comprise entre la libération de la personne et
le terme de la durée de la peine encourue.
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Elles pourraient faire également l'objet des mesures de sûreté prévues par les articles 706-135 à 706-140 du code de procédure pénale, actuellement réservées aux personnes reconnues irresponsables.
Permettre, à leur libération, aux
personnes dont le discernement est altéré, l'application des
mesures de sûreté réservées actuellement par les
articles 706-138 à 706-140 du code de procédure
pénale aux personnes irresponsables.
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* 69 Rapport fait au nom de la commission des lois par Marcel Rudloff, n° 271, Sénat, 1988-1989, page 73.
* 70 Conseil constitutionnel, décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007.
* 71 L'irresponsabilité pénale des malades mentaux, les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, n° L.132, février 2004.
* 72 Rapport du Sénat précité, page 75.
* 73 Rapport fait au nom de la commission des lois par Philippe Marchand, n° 896, Assemblée Nationale, 1989-1990.