BILAN DU STATUT DE L'AUTO-ENTREPRENEUR ET ANALYSE DES PROBLÉMATIQUES SOULEVÉES AU REGARD DES RÉGIMES DE DROIT COMMUN
M. Jean ARTHUIS, président . - La première table ronde avait pour objet de cadrer les régimes fiscaux et les régimes sociaux. Nous avons entendu vos évaluations explicites ou implicites. Nous passons maintenant au statut de l'auto-entrepreneur et aux problématiques soulevées. Nous allons entendre successivement M. François Hurel, président de l'union des auto-entrepreneurs et M. Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. Nous entendrons également MM. Jean-François Roubaud, Jean Lardin, Alain Griset et Jean-François Bernardin. Chacun est invité à nous livrer la quintessence de ses réflexions fondées sur l'observation au jour le jour de ce qui s'est passé en 2009 pour les auto-entrepreneurs.
I. RETOUR D'EXPÉRIENCE SUR L'APPLICATION DU STATUT DE L'AUTO-ENTREPRENEUR
M. François HUREL , président de l'union des auto-entrepreneurs . - J'ai bien écouté le débat qui a précédé. Pour avoir beaucoup travaillé dans le domaine de la création d'entreprises pendant de très nombreuses années, j'observe que nous ne nous trouvons pas dans le moindre des paradoxes. Il y a quelques années, en France, on se plaignait qu'on ne créait pas assez d'entreprises en France, qu'il n'y avait pas assez d'entreprises et que l'esprit d'entreprise n'existait pas dans ce pays. Maintenant que l'esprit d'entreprise est bien présent et que les entreprises se créent, on a le sentiment qu'il y aurait trop d'entrepreneurs. Personnellement, je trouve que c'est une vraie chance qui est aujourd'hui offerte à la France avec ce nouveau régime.
M. Jean ARTHUIS, président . - Ce n'est pas cela. L'on souhaite vraiment qu'il y en ait le plus grand nombre. Cependant, on veut être sûr que ce sont vraiment des entrepreneurs.
M. Alain VASSELLE, rapporteur général de la commission des affaires sociales . - Il faut distinguer aussi entreprise et activité.
M. François HUREL . - Je rejoins tout à fait ce que vous venez de dire. Chacun connaît les quatre fondements du régime de l'auto-entrepreneur. Ce régime a d'abord vocation à rassurer tous ceux qui ont envie d'entreprendre. Son originalité est qu'il est universel, c'est-à-dire qu'il s'adresse à tous, quelle que soit sa situation, quel que soit son régime, quels que soient ses revenus. Il est extraordinairement simple et c'est vrai qu'il a rencontré et continue de rencontrer un très grand succès dans notre pays, puisque j'observe qu'ils sont toujours 1 000 à 1 200 à s'inscrire chaque jour.
Maintenant, quand on observe un peu plus finement et avec un recul de quelques mois l'auto-entreprenariat dans ce pays, on arrive mieux à cadrer la population des auto-entrepreneurs. Nous pouvons la diviser en trois grands tiers. 30 % des auto-entrepreneurs sont des salariés, 30 % des demandeurs d'emploi ou inactifs et 30 % des retraités et étudiants. Cette population crée très majoritairement des activités dans le service aux particuliers et aux entreprises.
Vu du côté de l'union des auto-entrepreneurs, je trouve qu'un extraordinaire élan d'espoir a été suscité par ce régime, parce qu'il a fait bouger les lignes en rendant possible quelque chose qui, somme toute, était relativement impossible, voire inaccessible à un certain nombre de nos concitoyens, la création d'entreprise étant souvent une affaire d'élite.
Il est vrai que ce régime a ses particularités et ses vertus. Cependant, il n'est pas spécifique à la France. Lorsque j'ai rédigé le rapport que j'ai eu le plaisir de rendre à Hervé Novelli sur le régime de l'auto-entrepreneur, je me suis évidemment appuyé sur des expériences étrangères. Le régime de l'auto-entrepreneur n'est pas né en France. Il existe partout ailleurs. On retrouve son existence la plus prégnante dans les pays latins, Italie et Espagne en tête, dans les pays d'Amérique du nord, particulièrement au Québec, et aussi dans les pays d'Amérique du Sud, où il a une grande place.
Le régime de l'auto-entrepreneur suscite évidemment des interrogations. On voit bien qu'il a nécessité un certain nombre d'ajustements. Le premier consistait à rappeler que le régime de l'auto-entrepreneur n'a pas touché au droit commun, notamment sur la réglementation des activités et du droit du travail. Lorsque j'ai écrit le rapport que j'ai remis à Hervé Novelli, j'ai justement insisté sur la clarification qui devait être faite à propos de la réglementation de ces activités, en évoquant la possibilité que les chambres des métiers vérifient les capacités et les qualifications préalables des auto-entrepreneurs exerçant des activités artisanales.
Il n'empêche que son extraordinaire simplicité rencontre un paysage extrêmement complexe. L'exemple type nous a été donné par Monsieur Escourrou, qui nous a décrit l'auto-entrepreneur dans le monde des professions libérales. En France, la définition des professions libérales est accolée aux activités réglementées. Elle n'est absolument pas définie par rapport aux nouvelles activités. Or nous voyons fleurir aujourd'hui des professionnels libéraux qui se définissent comme des conseils en tous genres ou comme des prestataires de service dans des métiers nouveaux. Cela s'adapte mal à une législation aujourd'hui un petit peu ancienne ou en tout cas trop rigide sur tous ces sujets.
Tous ceux qui, comme moi, accompagnent le régime de l'auto-entrepreneur, ont vu passer l'an 1 de ce régime avec succès et en suscitant des espoirs, et voient maintenant commencer l'an 2, qui doit être celui de la professionnalisation de ce régime et de l'amélioration de son accompagnement. Je crois que c'est notre volonté à tous. Il faut faire en sorte que les auto-entrepreneurs puissent être régulièrement assurés et que leurs qualifications soient régulièrement vérifiées, afin qu'ils s'inscrivent dans le paysage économique normal. En effet, un discriminant, aussi positif soit-il, doit s'insérer dans la vie économique. L'auto-entrepreneur trouve sa place et le fait plutôt bien, mais je trouve qu'ici et là des ajustements sont nécessaires, comme le Ministre le rappelait il y a quelques instants.
Enfin, j'entends beaucoup dire que le régime des auto-entrepreneurs a créé, pour certains, des effets pervers, et pour d'autres, des effets d'aubaine. En effet, lorsque l'on fait une réforme, le chemin entre l'effet pervers et l'effet d'aubaine est toujours un peu compliqué. Cependant, je trouve que le régime de l'auto-entrepreneur a une très grande vertu : il est une liberté. Parce qu'il est une liberté, je trouve qu'il mérite toute notre attention.
M. Jean ARTHUIS, président . - Peut-être faudra-t-il un peu simplifier les autres régimes, c'est-à-dire les régimes de droit commun.
M. François HUREL . - C'est un autre sujet mais je pense que c'est une voie à très vite explorer.
M. Jean ARTHUIS, président . - Mais c'est un vrai sujet. La parole est maintenant à M. Grégoire Leclercq, président de la fédération des auto-entrepreneurs.
M. Grégoire LECLERCQ, président de la fédération des auto-entrepreneurs . - Je rejoins une grande partie des propos de François Hurel. Je représente aujourd'hui les auto-entrepreneurs, étant moi-même auto-entrepreneur. Je suis chef de projet en informatique et développe un certain nombre de sites pour des grandes entreprises.
Notre Fédération a justement été créée pour répondre à l'une des problématiques que l'on évoque depuis tout à l'heure, celle du terrain. Aujourd'hui, une large majorité des créateurs d'entreprises sont heureux d'entreprendre. Selon la synthèse des études réalisées en 2009, 61 % des auto-entrepreneurs n'auraient pas entrepris sans le régime de l'auto-entrepreneur. Notre Fédération a été créée pour les accompagner, pour les aider, pour les regrouper, pour leur apporter des outils et des conseils. Je l'ai moi-même créée gratuitement il y a un an, quand j'étais encore à HEC. Les adhèrent qui le veulent paient 20 euros par an d'adhésion. Ceux qui ne veulent pas payer ne paient pas. Ceux qui paient ont droit à des services supplémentaires.
M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Vous n'avez pas trop de frais généraux alors. C'est bien.
M. Grégoire LECLERCQ . - Nous représentons aujourd'hui 15 000 auto-entrepreneurs qui sont tous investis dans leur projet. Évidemment, je ne représente pas les auto-entrepreneurs qui dorment ou qui n'ont pas créé d'entreprise, puisque ceux qui sont venus chez nous étaient ceux qui avaient envie de développer quelque chose. Forcément, nous avons donc affaire à des gens demandeurs de réponses immédiates.
Aujourd'hui, nous observons la large satisfaction de ces entrepreneurs. Ils ont d'abord qu'ils ont envie de créer quelque chose. Ensuite, peut-être à l'avenir créeront-ils une véritable entreprise, car leur objectif n'est pas forcément de rester auto-entrepreneur toute leur vie. Cependant, ils se disent surtout « aujourd'hui, j'ai eu la chance de pouvoir développer et commencer mes premières opérations en tant qu'auto-entrepreneur », en faisant seulement quelques clics sur Internet et quelques démarches faciles. C'est un premier test sans risque, c'est un premier défi facile à relever.
Notre satisfaction va aussi dans un deuxième sens. Aujourd'hui, nous travaillons la main dans la main avec l'APCE et son directeur général M. Mathot, ici présent, pour améliorer l'accompagnement. L'an 2 que François Hurel vient d'évoquer est donc bien parti. Nous allons les aider, les accompagner et leur apporter plus de moyens, pour qu'ils ne soient pas seuls, car c'est aujourd'hui la seule vraie problématique de l'auto-entrepreneur : être seul. Sur le terrain, les polémiques que nous avons soulevées autour de cette table ronde sont parfaitement étrangères à l'ensemble de nos adhérents. Leurs principales problématiques sont de trouver leurs premiers clients, de bien faire leurs factures, de bien déclarer leur chiffre d'affaires et, pourquoi pas, de basculer dans le régime de l'EIRL quand il sera mise en place.
Que dire de plus sur l'accompagnement ? Je pense que toutes les démarches qui ont été décrites par le Ministre et qu'on va mettre en place avec l'APCE vont donner lieu à un certain nombre de dispositifs réels, pratiques, sur le terrain. Ce sera peut-être alors le moment de faire un bilan, en fin d'année 2010. Pour l'instant, je pense que c'est un peu tôt.
M. Jean ARTHUIS, président . - Merci pour ce témoignage.