II. EXPOSÉS DES PROBLÉMATIQUES SOULEVÉES AU REGARD DU DROIT COMMUN

M. Jean ARTHUIS, président . - Nous allons maintenant passer aux institutionnels, si je puis dire, avec d'abord Jean-François Roubaud, président de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Il ne l'est pas des micro-entreprises et des auto-entreprises, mais nous avons compris que toutes les auto-entreprises sont de futures PME.

M. Jean-François ROUBAUD, président de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) . - Je vais abonder dans ce sens et faire plaisir à Philippe Marini en disant que la CGPME réaffirme son soutien à la création de l'auto-entrepreneur. Encourager chaque Français à devenir entrepreneur est sans doute la plus belle manière de promouvoir l'esprit d'entreprise. De plus, la simplicité du dispositif a permis l'engouement que cela devait avoir.

M. Jean ARTHUIS, président . - Si tout le monde avait le même régime, ce ne serait pas mal non plus.

M. Jean-François ROUBAUD . - J'allais vous le demander, M. le Président. Je crois qu'il est important et indispensable de conserver l'engouement des Français pour l'entreprenariat, permis par cette simplicité. Je crois justement que cette simplicité devrait être étendue aux autres formes d'entreprises.

Cela dit, je voudrais aborder deux sujets : les craintes liées au statut et ce que nous pouvons préconiser pour l'avenir.

Dès la création de ce statut, je crois que de nombreuses PME ont craint la concurrence de l'auto-entreprenariat. Je crois que depuis quelque temps, ces craintes s'estompent, parce que beaucoup de choses ont été mises au point en ce qui concerne la formation, le diplôme ou l'assurance. J'ai simplement un souci par rapport à l'assurance pour les entreprises du secteur du bâtiment. Je ne suis pas sûr que certains auto-entrepreneurs puissent obtenir une assurance décennale quand leurs travaux sont de ce ressort. C'est un point technique, mais je pense qu'il faut le regarder de près, car cela peut être dangereux pour l'auto-entrepreneur, qui ignore totalement ce problème.

M. Jean ARTHUIS, président . - Cela peut surtout être dangereux pour le client.

M. Jean-François ROUBAUD . - En outre, pour le salarié qui est en même temps auto-entrepreneur, je voudrais qu'il y ait une véritable clarté dans ses relations avec son chef d'entreprise sur son travail en dehors de l'entreprise.

En ce qui concerne l'avenir, je demande et j'estime souhaitable depuis longtemps que le régime de l'auto-entrepreneur soit limité à trois ans, pour éviter de cultiver le problème d'un entreprenariat à plusieurs vitesses. Cela me paraît très important. Dans ce sens, il faudrait faire attention à ce qu'il y ait une transition entre le statut d'auto-entrepreneur et que l'arrivée en SARL ou en EIRL soit facilitée, pour ne pas opposer un frein à l'auto-entrepreneur qui pourrait basculer dans l'un de ces régimes.

La difficulté concerne notamment la fiscalité, parce que la transmission implique une taxation en plus-value de l'apport en société d'une entreprise individuelle. Je sais qu'il y a un report de plus-value, mais il n'y a pas d'annulation de la plus-value. Ce problème est compliqué, mais doit quand même être regardé, pour simplifier les problèmes de l'entreprise.

Je voudrais souligner un dernier problème. Le dispositif de l'EIRL est destiné à remplacer le dispositif de l'incessibilité. Il est actuellement applicable à l'auto-entrepreneur. Automatiquement, il sera retiré. Il faudra donc faire attention à ce que l'on puisse maintenir les deux régimes. Sinon, l'auto-entrepreneur risquerait de se retrouver sans aucune garantie sur son patrimoine.

M. Jean ARTHUIS, président . - Cela sera examiné au Sénat le 8 avril prochain. Nous pourrions peut-être demander maintenant à Monsieur Sniadower de nous dire s'il y a réellement un problème de taxation éventuelle de plus value. L'auto-entrepreneur crée son entreprise, qui réussit si bien qu'elle prend une valeur corporelle considérable. Il veut passer en entreprise individuelle. Il change de régime fiscal. Est-ce que l'on va tenir compte d'une plus-value ?

M. Cyril SNIADOWER . - S'il passe d'un statut d'auto-entrepreneur à un statut d'entrepreneur individuel non-auto-entrepreneur, il ne se passera rien et il n'y aura pas de plus-value.

M. Jean ARTHUIS, président . - Mais s'il passe en société ?

M. Cyril SNIADOWER . - C'est l'étape suivante. Si la société individuelle a si bien marché qu'il passe en société, nous nous trouvons dans un régime d'apport d'entreprise individuelle en société. Des plus-values sont alors constatées et mises en report. La plus-value sera alors taxée le jour où la société sera cédée.

M. Jean ARTHUIS, président . - Il y aura donc une neutralisation.

M. Cyril SNIADOWER. - En fait, il y a simplification de l'impôt, sans annulation de celui-ci.

M. Jean ARTHUIS, président . - La parole est à M. Jean Lardin, Président de l'union professionnelle artisanale (UPA).

M. Jean LARDIN , président de l'union professionnelle artisanale (UPA) . - Pour rappeler un peu les raisons de cette rencontre, il faut revenir au printemps 2008, lorsque la loi de modernisation de l'économie (LME) a été votée avec la procédure d'urgence et avec une pépite : le dispositif de l'auto-entrepreneur. Avec six jours de délai, évidemment, nous n'avons pas eu le temps de nous concerter. Nous faisons donc de la concertation maintenant. C'est ce à quoi vous nous invitez.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Nous sommes deux co-rapporteurs de cette loi, au Sénat, qui avait constitué une commission spéciale. Combien d'auditions avons-nous faites sous le contrôle de ma collègue ?

Mme Elisabeth LAMURE . - Je crois que nous avons fait 92 auditions sur l'ensemble du texte.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Elles ont notamment concerné ce point. S'il y a eu procédure d'urgence, on ne peut donc pas dire que sous la présidence de Gérard Larcher, la commission ait bâclée son travail.

M. Jean LARDIN . - M. Marini, la concertation ne se fait pas uniquement avec vous. Elle se fait aussi entre nous. Avant même de venir vous voir, il faut que nous ayons une position commune. Sinon, chacun d'entre nous vient vous présenter la sienne. Cela doit être ça, l'esprit des lois et l'esprit de l'intérêt général.

Aujourd'hui, nous nous trouvons donc dans une situation qui est née de cette particularité du printemps 2008. Pour illustrer l'attitude de l'artisanat, il faut imaginer un plombier sollicité par un client pour faire un travail de réparation voire d'installation. Il fait un devis. 24 heures plus tard, il se fait appeler et entend : « Monsieur, vous êtes un voleur. Je croyais vous connaître. Vous avez pourtant travaillé pour moi. Je trouve quelqu'un de moins cher. Il me fait 50 % et lui, il ne me compte pas de TVA . » Vous comprenez que personne ne résiste dans ce genre de situation. Rien ne résiste, même les statistiques, les pourcentages et les bonnes intentions.

Depuis, nous ne cessons d'essayer d'établir des contacts avec Hervé Novelli - et nous y arrivons - et de calmer nos troupes pour essayer de faire ce que nous n'avons pas pu faire avant. Nous avons trouvé un accord avec le ministre pour qu'il apporte deux corrections importantes. D'abord l'inscription au répertoire des métiers, très utile pour accompagner ces candidats, à la création d'entreprise pour les uns et au suicide pour les autres.

La deuxième correction est l'application de la loi Raffarin du 5 juillet 1996. Pour protéger les consommateurs, elle a inscrit, sur le tableau des activités artisanales, un certain nombre d'activités - dont la mienne, dans le bâtiment, car ce que je fais est dangereux - pour obliger les gens à avoir un minimum de qualifications. Tout cela n'était pas prévu au départ. Quelqu'un pouvait donc rentrer chez une brave dame pour changer le joint de son robinet et être sollicité pour réparer le brûleur de la chaudière à gaz. Il risquait alors de faire « péter » l'immeuble, excusez-moi l'expression. Pour pallier ces risques, pour protéger le consommateur et pour rester dans l'esprit de la loi Raffarin, nous avons obtenu une correction qui va être effective à partir du 1 er avril de cette année.

Nous avons évoqué tout à l'heure la question des droits sociaux. Sur les droits maladie, une réponse a été donnée. Je remercie chaleureusement Mme Elisabeth Lamure qui a réussi à ne pas créer un appel qui aurait pu être fatal pour le régime d'assurance-vieillesse. Dans le dispositif issu de la LME, vous cliquez - on nous a dit que cela suffisait - et vous voilà nanti d'un trimestre de cotisations gratuites. Je connais un grand nombre de Français qui, sachant cela, seraient devenus auto-entrepreneurs, non parce que leur esprit entrepreneurial se serait soudainement révélé, mais par effet d'aubaine. Je vous remercie donc d'avoir en partie corrigé cela.

Pour ce qui est du contrôle des qualifications professionnelles, une des carences de la loi Raffarin est, comme Hervé Novelli l'a rappelé, que les décrets d'application n'avaient pas été pris. La loi Raffarin, pour le contrôle des qualifications, était donc restée lettre morte. « D'une pierre deux coups », on règle le problème pour les activités artisanales et pour les auto-entrepreneurs. Il s'agit au moins de vérifier qu'ils ont une qualification, sachant qu'ils bénéficient déjà de conditions fiscales différentes, puisqu'ils ne sont pas assujettis à la TVA. Cela va créer des emplois pour contrôler la qualification. Si l'on ne crée pas d'emplois, nous nous retrouverons dans quelque temps autour d'une table ronde pour constater une détérioration des relations entre les entreprises et les clients.

J'ai bien entendu François Hurel, qui a parlé de l'esprit entrepreneurial. Je serais d'avis de l'encourager à persévérer, d'autant que j'ai un petit peu d'expérience, parce que cela fait plus de quarante ans que les organisations de l'artisanat développent en France l'esprit entrepreneurial. Figurez-vous qu'il y a une trentaine d'années, il y avait environ 800 000 entreprises artisanales. Vous savez qu'il en meurt chaque année. Des gens partent à la retraite. Il faut donc en créer. Aujourd'hui, nous sommes 920 000, toutes dans le régime fiscal d'imposition normale. Je pense que nous avons fait notre travail. À tous ceux qui veulent venir travailler avec nous en créant des entreprises, je dis donc « bravo ». À ceux qui démarrent demain avec ce dispositif, je dis « bravo ». Nous les accueillerons les bras ouverts. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons demandé d'inscrire les auto-entrepreneurs au répertoire des métiers pour pouvoir les accueillir dans notre grande famille, pour les accompagner et les aider à devenir de véritables chefs d'entreprises.

Ce qui est détestable est que cette affaire se développe en 2009, en une année de crise. Je vous informe que l'artisanat a également subi la crise. Dans cette course quotidienne que nous faisons pour fidéliser notre clientèle et pour essayer de lui proposer des prestations de qualité, nous n'avons donc pas besoin d'avoir « un caillou dans la chaussure ». Nous n'en voulons pas aux auto-entrepreneurs. Quelquefois, nous les plaignons même. Je m'adresse en revanche à ceux qui nous ont proposé ce dispositif et qui nous ont obligés à vivre cette année 2009 avec handicap.

Voilà ce que je voulais dire à l'heure du bilan.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Il y a peut-être aussi quelques a priori, Monsieur le Président, dans les postures des uns et des autres, dans un sens ou dans l'autre. Nous ferons le tri.

M. Jean LARDIN. - Je ne suis pas moins homme que vous ou que d'autres. Nous avons tous des a priori. Nous n'avions quasiment aucune statistique sur les entreprises artisanales. Il faut tirer l'oreille à l'INSEE pour qu'il nous donne de véritables statistiques et une visibilité sur les entreprises de moins de 20 salariés. Ils ont fait quelques efforts et publient aujourd'hui quelques chiffres. Sur l'auto-entrepreneur, l'INSEE multiplie les données. Au moins, cela servira à ce qu'un jour, l'on ait de véritables statistiques pour suivre réellement l'évolution des entreprises de moins de 20 salariés, de leurs emplois et de leur chiffre d'affaires.

M. Jean ARTHUIS, président . - S'il y a obligation de déclaration, quel que soit le chiffre d'affaires, y compris s'il est nul, je pense qu'on y verra un peu plus clair. Il faut absolument instaurer cette obligation de déclaration. La parole est maintenant à M. Alain Griset, président de l'assemblée permanente des chambres de métiers (APCM).

M. Alain GRISET, président de l'assemblée permanente des chambres de métiers (APCM) . - Ayant entendu différents intervenants, je crois que dès le début, la communication sur l'auto-entrepreneur a généré une très mauvaise information. Les uns et les autres parlent de statut et de régime. J'aimerais que l'on soit tous d'accord pour dire que l'auto-entrepreneur est un entrepreneur individuel, par son statut, et que son régime est en réalité un régime social et fiscal dérogatoire. En effet, beaucoup de personnes s'inscrivent en pensant avoir un statut qui les met à l'abri de tous les inconvénients de tel ou tel statut. En réalité, ce sont des entrepreneurs individuels.

Deuxième chose, et le ministre entendra indirectement ce que vais dire, le succès du régime doit être en réalité relativisé. Il y a 300 000, 400 000, 500 000 auto-entrepreneurs. Il devrait y avoir 40 millions d'inscrits. Pourquoi voulez-vous que les gens ne cliquent pas alors que cela ne coûte rien et que cela permet de régulariser, un jour, une activité ?

Derrière cela, il faut faire attention aux effets d'annonces et aux conséquences de ces annonces. On dit qu'il y a 400 000 nouvelles entreprises, mais on sait que 60 % n'ont pas de chiffre d'affaires. On va donc devoir dire dans très peu de temps qu'il y aura eu 60 % de défaillances. Si des entreprises ne font pas de chiffre, il faudra bien annoncer qu'il y aura eu des défaillances, avec les conséquences que cela aura sur la visibilité en termes de créations d'activités.

François Hurel parlait d'un paradoxe sur l'esprit d'entreprise. De même, peut-on dire qu'une entreprise existe quand au bout de deux ou trois ans, elle n'a aucun chiffre d'affaires ? Non, sûrement pas. On n'est pas là dans la création d'entreprise, on est dans l'intention d'avoir une activité. Ce n'est pas tout à fait la même chose, en tout cas en termes de chiffre.

Jean Lardin l'a dit : naturellement, les artisans sont loin d'être opposés au développement des entreprises. En 2000, il y avait 820 000 entreprises artisanales. On en compte aujourd'hui 930 000. Les organisations professionnelles, sous la bannière de l'UPA, et les chambres de métiers ont beaucoup travaillé pour développer l'entreprenariat dans ce pays. On n'y est donc pas opposé.

Il y a cependant un vrai problème quand des entreprises exercent avec des régimes différents, qui génèrent une concurrence déloyale. C'est le fond du problème. Ce n'est pas le fait de créer des entreprises. Nous sommes d'accord. C'est de savoir si les entreprises sont sur le marché sur un pied d'égalité par rapport à la clientèle. Est-ce que la concurrence se fait sur le produit du travail ou sur les avantages sociaux et fiscaux ?

Je le dis à MM. Hurel et Leclercq. M. Hurel a beaucoup milité pour la liberté d'entreprendre en disant que l'inscription ne serait pas une liberté et que l'accompagnement serait une contrainte. Puis ils se sont engouffrés dans la brèche en disant : « maintenant qu'ils sont libres, nous allons nous-mêmes faire du commerce et leur proposer notre prestation. » On a donc vu depuis quelques mois un certain nombre d'officines qui ont profité du désarroi des auto-entrepreneurs pour leur proposer des prestations à des prix bien plus importants qu'une inscription au registre des métiers. On pourra d'ailleurs vous donner des noms de professionnels qui ont été escroqués par un certain nombre d'associations qui leur proposent des prestations, soi-disant pour les accompagner.

Sur le fond, si à l'origine l'objectif était de simplifier la création d'entreprise, nous y sommes favorables. Les centres de formalités des entreprises (CFE) ont d'ailleurs pour mission d'être un intermédiaire et de faciliter la création d'entreprises. Lorsque le CFE demande des pièces, c'est que l'État l'y oblige. Il suffit de nous imposer moins d'obligations à la création. Tout le monde sera très satisfait. Les artisans, croyez-le bien, sont favorables à la simplification administrative. Nous appelons « impôt-papier » le temps que nous passons à remplir des formalités que nous considérons comme un peu inutiles.

Il pourrait suffire de dire qu'il n'y a pas d'impôt quand il n'y a pas de chiffre d'affaires à la création. Écoutez, tout le monde comprendra s'il n'y a pas de cotisation pour absence de chiffre d'affaires pendant un mois, deux mois ou six mois. Le problème est l'excès, la continuité dans le temps, l'absence de limite. Notre position est donc la suivante. Il faudrait que les parlementaires et le Gouvernement disent ceci : « la vie de l'entreprise est trop compliquée . » Faites une simplification pour tout le monde, à égalité. En revanche, arrêtez de créer des régimes spécifiques qui créent des concurrences déloyales dans une activité professionnelle. Pour nous, c'est le fond du problème. Ce n'est pas le fait de simplifier l'acte de création. Ce n'est pas le fait de ne pas payer d'impôts à la création. Nous sommes pour. Le problème est de générer ensuite une concurrence déloyale.

J'ai pris pour habitude de dire que l'auto-entrepreneur, dans l'économie française, est comme les subprime aux États-Unis. L'excès de libéralisme tue. On arrive à faire n'importe quoi. Vous avez eu l'exemple, la semaine dernière, des travailleurs clandestins auto-entrepreneurs dans des restaurants de Neuilly. Vous avez des exemples de personnes interdites de gérer et qui, d'un clic, se recyclent auto-entrepreneurs. Vous avez des exemples, qui ont été cités, de salariés qu'on déguise en auto-entrepreneurs. Vous avez ainsi beaucoup d'exemples de consommateurs abusés par des gens qui n'ont pas de réalité économique. Nous demandons donc d'arrêter ces excès pour avoir une économie qui se développe dans la concurrence la plus saine possible.

M. Jean ARTHUIS, président . - Nous avons bien entendu votre message. Dès lors qu'il y a des règles, vous souhaitez qu'il puisse y avoir un exercice loyal de la concurrence. La parole est à M. Jean-François Bernardin, président de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI).

M. Jean-François BERNARDIN, président de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) . - Si j'avais participé à une réunion de ce type, au Sénat, à la fin XIXe siècle, sur l'automobile, j'aurais dit à peu près la même chose que ce que je vais vous dire. Premièrement, c'est une invention formidable. Deuxièmement, il faut faire très attention à ce qu'il n'y ait pas de mort sur les routes. Troisièmement, il faut faire attention à ce que le conducteur ne prenne pas trop de risques. Nous sommes donc favorables à ce régime tout en comprenant et en partageant un certain nombre de positions qui ont été prises, y compris ici.

D'abord, c'est un formidable encouragement à l'esprit d'entreprise. Je vous donnerai un chiffre, puisque nous faisons un bilan. Nous avons reçu, l'année dernière, dans les chambres de commerce et d'industrie, près de 400 000 porteurs de projets, dont 300 000 porteurs de projets qui n'étaient pas des auto-entrepreneurs. Cela veut dire que nous sommes en progression, y compris pour les projets d'entreprises classiques. Je voudrais d'ailleurs rappeler, pour que l'on comprenne bien notre position, que contrairement à ce que l'on pense parfois, les chambres de commerce représentent une majorité de petites entreprises. 85 % de nos ressortissants sont des entreprises de moins de dix salariés. Cela veut dire que plus d'un million d'entreprises de moins de dix salariés sont donc ressortissantes des chambres de commerce. Notre position n'est donc pas seulement celle de grandes entreprises ou de leurs représentants.

Deuxièmement, il y a le bénéfice de la simplification. Je partage ce qui a été dit ici. Nous n'avons qu'une seule espérance : la contamination. Quand nous aurons prouvé que la simplification, au-delà même du taux des impôts et des cotisations, est le principal frein et le principal ennemi de tout responsable d'entreprise, nous aurons fait un progrès considérable en France. Qu'il me pardonne, ce n'est pas personnel, mais quand j'entends le responsable de la législation fiscale donner les précisions que j'ai entendues, je me dis qu'à cette allure, le régime de l'auto-entrepreneur a du souci à se faire, parce qu'il va falloir créer une sécurisation juridique et fiscale de ce régime, de manière à éviter qu'un certain nombre de gens, de pleine bonne foi, se retrouvent dans des situations délicates vis-à-vis du fisc.

Je crois suivre à-peu-près ce dossier. Je respecte les positions qui sont prises. Simplement, si l'on veut tuer le régime, il faut certainement ajouter encore quelques garde-fous. On apprenait autrefois dans les instituts qu'il y a les lois simples, efficaces et injustes et les lois complexes qui deviennent complètement inefficaces parce qu'elles veulent être justes. Si on veut un régime efficace, il faut donc accepter qu'à la bordure, il y ait quelques effets d'aubaine.

J'en viens à un autre point, sachant que beaucoup de choses ont déjà été dites. Nous souhaitons participer au débat sur les professions libérales orphelines. Nous avons eu des discussions avec les responsables des professions libérales. Il y a une confusion entre les professions réglementées et les entreprises qu'on appelle orphelines - je crois que c'est le langage convenu - pour lesquelles il y a un problème de régime et de représentation. C'est un sujet qui nous intéresse et sur lequel nous avons des propositions.

Sur la proposition de Jean-François Roubaud d'un statut à durée limitée, il s'agit d'une chose que nous avons évoquée depuis le début, mais il faudrait faire attention à un fait. Un certain nombre de situations permanentes sont justifiées par du travail véritablement partiel. Il pourrait donc y avoir un point de rencontre au bout de trois ans pour prouver simplement que l'on est réellement dans les clous.

Sur l'accompagnement, je tiens à vous dire que notre réseau s'est mis en capacité d'accompagner les auto-entrepreneurs, qui viennent nous voir, parce qu'ils ont besoin, plus encore que d'autres, d'être sécurisés par des conseils et des avertissements. Nous souhaitons que d'une façon ou d'une autre, nous disposions d'une liste pour pouvoir les contacter ou pour qu'ils puissent nous contacter. Il y a là aussi un problème de communication.

Pour ceux qui veulent ou peuvent développer un projet susceptible de déborder l'activité à temps partiel, l'un de nos buts est qu'ils soient aidés à franchir les seuils. Il faudra d'ailleurs regarder les effets de seuil, y compris sur le plan fiscal. Il y a là un travail de fond. L'on ne peut d'ailleurs pas faire un bilan définitif, même si je comprends tout à fait que le Sénat ait organisé cette réunion. Nous ne pourrons vraiment connaître que dans un an, deux ans ou trois ans la part de créations nouvelles. Cela n'empêche pas de prendre entretemps quelques mesures provisoires.

Je souligne une seule chose. Quelles que soient les préoccupations légitimes qui ont été exprimées, nous pensons qu'il faut faire très attention à ne pas casser l'élan. Il est un peu tôt pour savoir quel sera le bilan réel. Je crois que beaucoup d'objections ont déjà été levées, au moins partiellement. Il faut continuer à travailler collectivement sur ce sujet.

Nous pensons qu'en effet, le travail dissimulé, le salarié indirect et le sous-traitant du sous-traitant du sous-traitant - y compris avec de la main-d'oeuvre immigrée illégale et non répertoriée - ne sont quand même pas des phénomènes complètement nouveaux. Ils ne résultent pas du statut de l'auto-entrepreneur. Il y a là des sujets de discussion importants, que nous avons déjà eus. Je crois que nos préoccupations sont à-peu-près les mêmes. Il y a eu peu de bonnes nouvelles en France durant la dernière décennie et je ne vois pas comment l'on réglera les problèmes budgétaires de l'État et des systèmes sociaux s'il n'y a pas plus d'entreprises en France. Or je ne vois pas comment avoir plus d'entreprises s'il n'y a pas des innovations en matière d'esprit d'entreprise.

M. Jean ARTHUIS, président . - Le message est bien entendu. Il faut naturellement éviter que ce statut, tout à fait stimulant pour l'entreprenariat, ne soit l'occasion d'éveiller le soupçon d'une légalisation d'un travail déréglementé. C'est ce qu'il faut absolument éviter. M. le Président Hurel souhaite intervenir brièvement.

M. François HUREL . - Je voudrais juste répondre aux propos de M. Griset sur l'accompagnement. Je le renvoie au rapport que j'ai écrit. Dès l'origine, comme Hervé Novelli le savait, il fallait que nous travaillions très vite sur l'accompagnement des auto-entrepreneurs pour ne pas les laisser seuls. L'union des auto-entrepreneurs, dont je peux parler, est informative, accessible et totalement gratuite. Il n'y a pas d'instrument payant. Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté sur ce point.

Deuxième élément, je crois que la problématique des travailleurs sans-papiers qui auraient été déclarés auto-entrepreneurs a été évoquée. Or la seule pièce justificative demandée à un auto-entrepreneur est justement son titre de séjour. Ce problème a donc été vu dès l'origine. On connaissait parfaitement cette question. Sur Internet, elle est évoquée. Comme dans un centre de formalités, il faut envoyer une photocopie de sa carte d'identité ou de son titre de séjour. C'est le même dispositif. Ensuite, une vérification est faite par les services de l'État. C'est leur responsabilité.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Il y avait quand même eu un problème avec les salariés sans-papiers, si ma mémoire est bonne. On n'en a pas pour autant incriminé le statut de salarié.

M. François HUREL . - Non.

M. Jean ARTHUIS, président . - Je me tourne vers mes collègues sénateurs.

M. Alain VASSELLE, rapporteur général de la commission des affaires sociales . - Je ne sais pas si l'on pourra répondre maintenant à mes questions, mais j'aimerais que l'on puisse communiquer ultérieurement des éléments de réponse à la commission des affaires sociales. Vous avez évoqué l'impact en termes de concurrence des auto-entrepreneurs par rapport aux commerçants, aux artisans et aux PME. Considère-t-on qu'il est aujourd'hui assez tôt pour évaluer cette concurrence et quelles en ont été les conséquences en termes de mortalité d'entreprises ? Vous dites en effet que la concurrence peut aller jusqu'à tuer une entreprise qui supporte des cotisations sociales et qui paie une fiscalité sans rapport avec celle que paie l'auto-entrepreneur.

Deuxièmement, peut-on aujourd'hui nous donner le volume des prestations qui sont servies, compte tenu des droits ouverts aux auto-entrepreneurs ? A-t-on des chiffres ?

Troisièmement, a-t-on une idée précise du volume des cotisations qui ont été payées ? Cela permettrait de connaître le rapport entre les cotisations encaissées et les droits ouverts. En outre, pourrait-on nous dire quel est l'impact sur l'équilibre des comptes des régimes de ce statut d'auto-entrepreneur, au regard de ses cotisations ? En effet, il a été dit tout à l'heure que pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 4 000 ou de 6 000 euros, l'on encaissait 340 euros de cotisations. Au regard de ces 340 euros, quel est le montant des droits qui ont été ouverts ? Peut-être est-il trop tôt pour avoir ces chiffres. S'il est trop tôt, qu'on nous les donne au moment où l'on estimera avoir suffisamment d'éléments pour le faire.

M. Jean ARTHUIS, président . - Sur la concurrence déloyale, qui veut répondre ?

M. François HUREL . - Je donnerai juste un chiffre, tiré d'une étude de l'union des auto-entrepreneurs. L'année 2009 a vu la naissance de 320 000 auto-entrepreneurs. 12,7 % d'entre eux se sont inscrits dans le bâtiment. J'observe que tous chiffres confondus, ils sont 50 à 60 % à avoir facturé. Si l'on tient compte d'une facturation moyenne d'environ huit mois et d'un montant moyen de 775 euros, ce qui est le montant annoncé par les URSSAF, nous avons un chiffre d'affaires d'environ 120 millions d'euros pour les auto-entrepreneurs du bâtiment, tandis que le chiffre d'affaires du secteur du bâtiment atteint 124 milliards d'euros. Cela veut dire que l'auto-entreprenariat représente 0,09 % du chiffre d'affaires du bâtiment.

Par ailleurs, les auto-entrepreneurs se sont acquittés de 220 millions d'euros de cotisations sociales, toutes cotisations sociales confondues. Je réponds aussi à une question que vous avez posée. Un auto-entrepreneur qui ne facture pas n'a une couverture maladie que la première année. Il aurait d'ailleurs la même s'il ne travaillait pas du tout, puisqu'il serait à la CMU ou à un autre régime de solidarité. En tout cas, cet auto-entrepreneur ne s'acquittant pas de cotisation retraite, il ne peut prétendre à des droits à la retraite. Cela n'ouvre donc pas de droits à la retraite la première année. Dans les premiers temps, ce problème a existé, mais le dispositif a ensuite été corrigé. Pour les autres questions, je n'ai pas les réponses.

M. Gérard QUEVILLON . - On va regarder ce qu'on peut vous fournir. Rapidement, nous vous donnerons les chiffres les plus précis possible.

M. Charles GUENE . - Merci, Monsieur le Président. Je suis un peu ennuyé par le spectre du chiffre d'affaires nul et, corrélativement, par l'obligation de compenser au niveau des caisses à hauteur de 1 700 euros. Je me demande si, sans remettre en cause la simplification, l'on ne pourrait pas prévoir, à l'occasion de l'examen du chiffre d'affaires, une sorte de cotisation minimale qui pourrait être de l'ordre du quart ou de la moitié de cette cotisation obligatoire. Elle marquerait d'une certaine manière un engagement de l'auto-entrepreneur, car il ne peut pas avoir que des avantages. Il faudrait quand même qu'il prenne un engagement. Ce serait peut-être une façon d'améliorer les choses.

M. Jean ARTHUIS, président . - Pour la compensation, le ministre a fait tout à l'heure une annonce qui est plutôt encourageante pour le président de la caisse d'assurance-vieillesse des professions libérales.

M. Jacques ESCOURROU . - Cela fait longtemps que nous demandons de régler ce problème. Je veux maintenant vous répondre sur la cotisation. Quelqu'un qui fait un chiffre d'affaires de 6 000 euros, dans le cadre des professions libérales, va payer une cotisation de régime de base de 276,60 euros. L'État doit normalement abonder à hauteur de 63,96 euros. La cotisation va donc être de 340,56 euros, générant des droits en retraite de base de 31,92 euros.

M. Alain GRISET. - Au niveau des chiffres annuels, sur janvier et février 2008, dans l'artisanat, nous avons eu 32 274 créations d'entreprise. Nous sommes à 16 271 en 2010, donc la moitié. On dit pourtant que le régime des auto-entrepreneurs apporte 200 millions d'euros de cotisations supplémentaires. Pour avoir le bon chiffre, il faudra aussi regarder le manque à gagner des caisses dû à la diminution du nombre d'entreprises dans le régime normal.

M. Jean ARTHUIS, président . - Il faut faire l'hypothèse qu'un certain nombre des enregistrements auprès des organismes consulaires s'est trouvé différé dans le temps, car des gens passent par le sas de l'auto-entreprenariat. C'est en quelque sorte une forme de noviciat.

M. Alain GRISET . - Certains auto-entrepreneurs sont venus en compensation d'entreprises classiques. La recette des régimes sociaux doit donc être modérée par le manque à gagner dû au régime de l'auto-entrepreneur. Sur le fond, je crois qu'il y a deux cas de figures extrêmement différents parmi ceux qui choisissent ce régime. Certains le choisissent pour avoir une activité complète, d'autres le choisissent pour avoir une activité complémentaire. Il est évident que celui qui a une activité complémentaire n'a pas le même rendement en termes de cotisations, parce qu'il est déjà couvert par ailleurs.

M. Jean ARTHUIS, président . - Statistiquement, il faut que l'on fasse une distinction, comme vous le dites, entre l'activité complémentaire et l'activité complète. Il y a la reprise d'activité. Un retraité, par exemple, peut devenir auto-entrepreneur.

M. Alain GRISET . - Comme il est déjà couvert socialement, il n'a donc pas tendance à cotiser au même niveau.

M. Jean-François BERNARDIN . - Pour les statistiques, je pense qu'il faut regarder sur une durée un peu plus longue, tout en ayant des préoccupations conjoncturelles. Nous avons vécu une année de crise exceptionnelle. Tout le monde le sait. Tout le monde le constate, y compris dans le bâtiment. Pour savoir si la chute de la création d'entreprises est due à l'auto-entrepreneur ou à des difficultés liées à la crise.

Deuxièmement, je pense qu'il faut en effet bien distinguer les auto-entrepreneurs qui sont vraiment un apport totalement nouveau - les retraités, les gens à temps partiel, etc. - de ceux qui font l'essai de créer une entreprise et de ceux qui s'installeraient dans un régime semi-définitif. Si l'on veut travailler sérieusement, je crois qu'il faudra vraiment bien distinguer les trois catégories, qui ne sont pas du même ressort.

Mme Elisabeth LAMURE . - Je voulais simplement vous dire tout le bien que je pense de ce dispositif, malgré quelques défauts et malgré les quelques correctifs qu'il faut apporter. Je pense qu'il a permis à un nombre important d'entrepreneurs de se lancer dans l'entreprenariat. Je rappelle que 51 % d'entre eux n'auraient pas essayé en l'absence de ce régime.

Malgré tout, j'aurais deux voeux à formuler, bien qu'ils aient déjà été exprimés par les uns et les autres. D'abord, il faudrait une déclaration obligatoire du chiffre d'affaires, même si ce chiffre d'affaires est nul. Cela pourrait nous éclairer ou nous rassurer sur le nombre trop important d'entreprises dormantes, sur lesquelles nous avons quand même beaucoup d'interrogations voire de suspicions.

Mon deuxième voeu serait qu'on limite ce dispositif dans le temps. L'on ne peut pas imaginer qu'il va durer éternellement. L'idée est justement de faire rapidement basculer vers le droit commun les entrepreneurs qui auraient tenté cette expérience par le biais de l'auto-entreprenariat. Le délai de trois ans me semble assez intéressant à retenir, au moins, pour les auto-entrepreneurs dont c'est l'activité principale. L'on pourrait peut-être avoir un régime différent pour les activités partielles. Voilà les deux voeux que je voulais formuler.

M. Jean ARTHUIS, président . - Au fond, la réussite de MM. Hurel et Leclercq serait qu'ils perdent rapidement leurs adhérents, car leurs auto-entrepreneurs seraient devenus des entrepreneurs à part entière dont le chiffre d'affaires aurait franchi tous les seuils.

M. François HUREL . - Je réagis à la question soulevée par MM. Griset et Bernardin. Il y a deux catégories d'auto-entrepreneurs, ceux qui resteront dans le régime et ceux qui n'y resteront pas, car ils deviendront entrepreneurs. L'on pourrait évidemment imaginer un délai de traitement différent, mais je crois que cela contribuerait à casser un peu l'élan. Conservons donc ce moteur que nous avons créé. On a donné un véritable espoir et ce dispositif est plébiscité par de plus en plus de Français. C'est une vraie chance pour un certain nombre d'entre eux.

Il reste peut-être la problématique de la déclaration du chiffre d'affaires zéro, sur laquelle je vous rejoins. En revanche, je ne vous rejoins pas du tout sur la limitation dans le temps. Selon vos propos, l'on pourrait séparer l'auto-entrepreneur qui a une activité complémentaire ou qui est retraité et celui qui exerce à titre principal.

Mme Elisabeth LAMURE . - Si vous permettez, ce n'est pas le dispositif lui-même que je suggérais de limiter dans le temps. Je voulais dire que l'on pourrait réfléchir à la possibilité pour l'entrepreneur d'en bénéficier pendant un temps donné. Le dispositif peut continuer pendant des années, puisque d'autres arriveront et remplaceront les auto-entrepreneurs actuels. Je voulais donc simplement dire que le bénéfice pourrait être limité à trois ans.

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