PISTES DE RÉFLEXION POUR AMÉLIORER LA TRANSITION DU STATUT D'AUTO-ENTREPRENEUR VERS LES RÉGIMES DE DROIT COMMUN ET SIMPLIFIER LES FORMALITÉS DE CRÉATION D'ENTREPRISE

M. Jean ARTHUIS, président . - Arrivés à ce stade de nos échanges, nous voyons bien qu'il faut faciliter la transition entre le statut d'auto-entrepreneur et le statut d'entrepreneur. Il faut aussi mesurer tous les bienfaits de l'auto-entrepreneur, en ce qu'il contribue à une simplification d'un certain nombre de formalités. La simplification pourrait aussi intervenir dans la galaxie des organismes de retraite, qui sont multiples et qui ont tous des problèmes démographiques, cela faisant qu'il faut créer des compensations. Il va falloir aussi que les institutions de protection sociale envisagent de se remettre en cause et de revoir les modes d'assiettes et de prélèvements, à condition que l'organisme de perception ait des systèmes d'information appropriés. On peut penser à l'ACOSS et au RSI.

M. Philippe Mathot, directeur général de l'agence pour la création d'entreprises (APCE), pourrait intervenir pour nous faire part de son analyse et des pistes qui pourraient maintenant être mises à l'étude.

M. Philippe MATHOT, directeur général de l'agence pour la création d'entreprises (APCE) . - L'APCE ne peut évidemment que se réjouir de l'élan entrepreneurial que nous connaissons aujourd'hui, puisque c'est un des motifs de notre existence que de faire en sorte que l'entreprenariat se développe dans ce pays. Nous sommes aujourd'hui devant un phénomène sur lequel les chiffres ont été rappelés et qui est un phénomène de raz-de-marée.

Dès qu'il a commencé à se manifester en octobre-décembre 2008, avant même que la mesure entre en vigueur, le ministre nous a demandé de mettre en place un certain nombre d'outils pour accompagner ce mouvement, pour qu'il ne déborde pas et ne laisse personne sur la touche. Ces outils nous donnent aujourd'hui une visibilité assez forte sur ce que souhaitent et sur ce que sont les auto-entrepreneurs.

Cela a été d'abord la mise en place d'un central d'appels téléphoniques, qui a fonctionné dès le début du mois de janvier 2009. Il a traité 180 000 appels en quelques mois. Nous avions aussi une cellule de réponse par mail aux questions des entrepreneurs. Elle a répondu à 45 000 messages l'année dernière.

Grâce à cela, nous avons une visibilité certaine. Je rejoins globalement ce qui a été dit par de nombreux intervenants : il y a trois types d'auto-entrepreneurs. Il s'agit d'abord de ceux pour qui le régime est absolument parfait. Ce sont ceux qui font un travail d'appoint. Il s'agit ensuite de ceux qui se lancent pour avoir une activité durable. Il y a enfin ceux qui testent.

Globalement, sur les 580 000 créations d'entreprises enregistrées l'année dernière, 320 000 créations se sont faites dans le régime de l'auto-entreprise. À l'APCE, l'on pense que sur ce nombre, 80 000 à 90 000 sont porteuses de développement. Ce sont des auto-entrepreneurs du style du Président Leclercq. Ils sont pour nous extrêmement intéressants, car ils vont peut-être permettre de réconcilier tous les points de vue.

Je suis très sensible à ce qui est dit par les représentants de l'artisanat. Dans l'artisanat, il y a une éthique de transmission de savoir. Depuis longtemps, l'artisanat a investi dans la formation et la qualification. Or il ne faut pas trop s'éloigner de cela. Les repérages de qualifications sont donc maintenant des enjeux d'importance.

Qu'allons-nous faire, à la demande d'Hervé Novelli ? Tout d'abord, nous allons essayer de développer l'information. Aujourd'hui, comme cela a été dit, trop d'intervenants racontent n'importe quoi sur ce régime, en commençant d'ailleurs par parler de statut, ce que font des sites Internet. L'auto-entrepreneur, c'est un régime fiscal et social, comme le Président Griset l'a parfaitement rappelé.

Nous allons donc essayer de faire en sorte que les 330 sites Internet français qui, pour la plupart, affirment des inexactitudes, aient un langage commun. Sous la responsabilité de l'APCE, une labellisation sera donc donnée. Comme nous avons des équipes de juristes extrêmement pointus sur le sujet, nous ne dirons pas « ce site est mauvais », mais nous dirons « ce site est bon ».

Deuxièmement, nous allons donner gratuitement à tous les réseaux volontaires avec qui nous allons conventionner, que j'ai réunis hier et qui étaient une trentaine, des flux d'information Internet qualifiés. Cela permettra que partout dans notre pays, il y ait la même information, validée. Ce sera bien sûr gratuit, puisque nous sommes subventionnés par l'État. Le but, en diffusant largement une information et en montrant du doigt les gens vertueux, est que tous les pirates et les diffuseurs de fausses informations soient éliminés du paysage.

En matière d'information, nous allons aussi développer de nouveaux contenus sur notre site Internet que visitent neuf millions de personnes distinctes, soit pratiquement un Français actif sur trois. Ces contenus répondront à certaines demandes faites par les auto-entrepreneurs. Ce seront d'abord des outils interactifs de simulation, qui permettront de renvoyer les auto-entrepreneurs ayant un potentiel vers les réseaux, aux premiers rangs desquels les deux réseaux consulaires. C'est leur vocation première, alors que nous ne sommes là qu'en appui des réseaux.

Nous allons également mettre des contenus extrêmement précis sur tout ce qui concerne la qualification, les problèmes de travail déguisé et la requalification. Tous ces problèmes, qui ont été évoqués ici, doivent être parfaitement clairs pour tout le monde. À l'agence, nous avons souvent été interrogés par des employeurs et même par des organisations professionnelles sur les moyens de « détourner ce régime ». Nous les avons évidemment mis en garde en leur disant quels risques ils encouraient. Nous avons été parfaitement clairs. J'ai été amené à signer des lettres en ce sens.

De plus, nous allons réactualiser un guide de l'auto-entrepreneur, qui sera largement diffusé auprès de tous les réseaux et de tous les organismes représentés autour de cette table.

Nous allons également mobiliser les réseaux d'accompagnement. J'ai eu l'occasion d'aller voir ce qui se passait dans d'autres pays, y compris aux États-Unis. La France a l'avantage d'avoir des réseaux d'accompagnement extrêmement professionnels, de qualité et qui répondent présents. Nous allons les mobiliser pour qu'après avoir formé leurs collaborateurs, là aussi gratuitement, nous puissions avoir des référents auto-entrepreneurs dans toutes les régions et dans tous les départements. Ces référents seront inscrits dans des carnets d'adresses diffusés par les réseaux et accessibles par Internet, par téléphone et par courrier. Tout cela permettra que l'auto-entrepreneur ne soit plus tout seul. Dans l'émission avec le Président de la République d'il y a un ou deux mois, une jeune auto-entrepreneuse lui disait : « de toute façon, je suis toute seule . » Cela ne doit plus exister. Avec les réseaux, nous allons donc essayer de réaliser cela.

Nous allons mettre au point ces fameuses formations, avec des experts qui vont nous rejoindre. Évidemment, nous interrogerons les services de législation fiscale pour que tous les problèmes complexes soient simplifiés.

Je voudrais dire aussi que pour faciliter la transition vers l'entreprise classique, ce qui est notre but, il existe un outil remarquable, qui n'est pas encore au point et que l'État vient de développer. C'est le guichet unique des entreprises. Depuis début janvier 2010, avec une montée progressive en puissance, en tout cas dans le secteur des services, les créateurs d'entreprise qui voudront s'immatriculer pourront le faire via le guichet unique, avec des procédures de dématérialisation, qui vont être mises en place. Il va aussi falloir regarder comment l'on peut faire la jonction entre le régime d'auto-entrepreneur et le guichet unique. Cela me semble être une réflexion extrêmement intéressante.

Devant cet afflux d'auto-entrepreneurs et devant cette montée en force de l'entreprenariat, je milite depuis plusieurs mois pour qu'une réflexion soit menée, et espère que je serai entendu ici, au Sénat. Je pense que le temps est venu de voir comment l'on pourrait, en France, réfléchir à la mise en place de nouveaux outils pour la détection, l'accompagnement et la croissance des entreprises. Nous vivons aujourd'hui avec des systèmes - l'Agence pour la création d'entreprises, OSEO, les chambres consulaires, les instituts supérieurs des métiers - qui font tous beaucoup de choses de très grande qualité. Cependant, je pense que nous gagnerions tous à avoir une réflexion globale sur ce que pourrait être l'émergence d'une small business administration à la française.

Cela peut se concevoir dans un cadre décentralisé. Aujourd'hui, dans notre pays, nous avons beaucoup d'intervenants dont les activités se chevauchent souvent. Or je pense que rendre service aux entrepreneurs consiste aussi à leur donner un maximum de moyens en termes d'accompagnement et à dépenser moins en termes de fonctionnement.

M. Jean ARTHUIS, président . - Je crois qu'il faudra effectivement bien distinguer les trois catégories d'auto-entrepreneurs. Il y a d'abord ceux qui ont vocation à devenir véritablement des entrepreneurs, qui sont chez MM. Hurel et Leclercq. À ceux-là, nous n'avons pas intérêt à dire qu'entreprendre signifie ne pas tenir de comptabilité. Je crois qu'ils ont tout de suite besoin d'avoir une comptabilité. Sinon, ils ne vont pas piloter leur entreprise. J'imagine que vos adhérents tiennent une comptabilité qui ferait jubiler M. Sniadower.

M. François HUREL . - Ce qui est certain, c'est que dès qu'ils adhèrent chez nous, nous leur donnons un logiciel de comptabilité.

M. Jean ARTHUIS, président . - C'est indispensable pour piloter une entreprise, quelle que soit sa dimension. Simplifier est formidable, mais à la limite, l'on finit par faire du troc. Il faut aussi que l'on simplifie notre administration. Je ne sais pas s'il faut une small business administration , mais comme nous avons des chambres consulaires, peut-être pourraient-elles s'occuper de cela. Il y a aussi des cabinets de conseil qui interviennent dans les entreprises.

M. Jean-François BERNARDIN . - Je voudrais faire une remarque. Je participe au conseil d'administration de l'APCE. Je n'ai pas le sentiment que c'était un sujet de débat au sein de l'APCE. Je ferai remarquer, comme président du réseau des chambres de commerce et d'industrie, que nous pouvons tenir tous les bilans sur la création d'entreprises. Le développement de la création d'entreprise est considérable en France ces dernières années. Or cela a été possible en partie parce que les réseaux consulaires sont les réseaux d'accueil. Soit on les ferme pour faire quelque chose qui portera un autre nom, et qui sera pareil ou peut-être moins bien. Soit on leur fait confiance. C'est jusqu'à présent ce qui, me semble-t-il, avait été convenu, à savoir faire l'équipe de France de la création d'entreprises.

M. Jean-François ROUBAUD . - Je voudrais insister. Tout à l'heure, j'ai tenu compte de votre demande de brièveté. J'ai donc résumé à l'essentiel ce que je voulais dire. Cependant, je voudrais revenir sur la limitation dans le temps du statut d'auto-entrepreneur. On parle de trois catégories. Cela me paraît en effet très important de noter que celles qui ne font rien au bout de trois ans pourraient arrêter d'avoir ce statut. Pour celles qui en font un complément de salaire et arrivent à quelques milliers d'euros de chiffre d'affaires, ce statut pourrait être prolongé pendant x années voire définitivement. Surtout, il faut vraiment aider l'entreprise qui se crée et arrive à fonctionner correctement à passer au statut général de l'entrepreneur. C'est très important.

Je voudrais aussi revenir sur la fiscalité. Il faut vraiment faire quelque chose sur l'apport en entreprise, qui est taxé une fois et qui sera taxé après la revente de l'entreprise.

M. Jean ARTHUIS, président . - M. Sniadower nous a expliqué qu'il n'y avait pas de double imposition mais report d'imposition. Vous ne pourriez pas optimiser cela.

M. Jean-François ROUBAUD . - Sans l'optimiser, je voudrais que cela ne soit pas compté deux fois. Je parle de la double taxation.

M. Jean LARDIN . - J'ai bien entendu tous les messages de sympathie pour l'artisanat. Nous y sommes habitués. Du coup, nous ne nous laissons pas leurrer. Évidemment, il ne faut pas trop s'éloigner de l'éthique de l'artisanat. C'est le travail que l'on fait et le message que nous essayons de porter est de transmettre le désir d'entreprendre. Ensuite, je voudrais corriger le chiffre d'affaires du bâtiment, qui a été évoqué, de l'ordre de 130 milliards d'euros. Il comprend le chiffre d'affaires de Bouygues, avec qui tout le monde sait bien que les auto-entrepreneurs ne vont pas se mettre en concurrence.

M. Jean ARTHUIS, président . - Peut-être a-t-il des sous-traitants, dont certains ont eux-mêmes des sous-traitants, jusqu'à une légalité approximative.

M. Jean LARDIN . - J'en suis certain. Le chiffre d'affaires du bâtiment, pour les entreprises de moins de 20 salariés, est d'environ 80 milliards d'euros. Nous pourrions évidemment en faire davantage si nous avions les marchés.

Que peut-on retirer de cette discussion, en essayant de rapprocher les points de vue ? Puisque l'atout numéro un du régime fiscal et social de l'auto-entrepreneur est la simplification, simplifions pour tout le monde.

M. Jean ARTHUIS, président . - Très bien.

M. Jean LARDIN . - Ensuite, je parlerai de cette soudaine envie entrepreneuriale observée en France en 2009. Prenez l'année 1974, l'année 1990 et l'année 2009. Il y a une constante dans notre pays. Quand nous avons des crises sévères, la création de petites entreprises est plus que stimulée, elle est multipliée. Une partie du phénomène s'explique par cela. De plus, le clic sur Internet et toute la communication qui a accompagné l'émergence du régime de l'auto-entrepreneur sont arrivés simultanément.

J'espère toutefois que ce n'est pas une bulle. Sinon, elle fera comme toutes les autres bulles que nous avons eu à gérer ces vingt dernières années. Les réveils vont être douloureux. J'en termine. Je remarque que ce dispositif est plébiscité par ceux qui ne sont pas encore entrepreneurs, tandis qu'il est critiqué par ceux qui le sont depuis très longtemps.

M. Jean-François ROUBAUD . - Excusez-moi, je suis entrepreneur. Je le précise quand même. J'ai un registre du commerce depuis plus de cinquante ans.

M. Jean ARTHUIS, président . - Il faut que nous suscitions chez tous les Français le désir d'entreprendre, mais nous sommes bien conscients qu'il existe une chape de plomb « paperassière » tout à fait excessive. C'est donc bien d'agir pour les nouveaux entrepreneurs, mais il va également falloir faire le ménage au profit de ceux qui sont entrepreneurs et qui consacrent peut-être trop d'énergie à des formalités administratives. De plus, certains prélèvements accroissent les coûts de production et facilitent les délocalisations.

Personnellement, j'ai trouvé cette table ronde tout à fait intéressante. Peut-être sommes-nous arrivés au stade où l'on pourrait tirer des conclusions. Je me tourne vers le rapporteur général, mais auparavant, Mme Lamure souhaite intervenir.

Mme Elisabeth LAMURE . - Je voudrais seulement poser une petite question complémentaire. Le ministre a annoncé il y a quelques semaines la mise en place d'une étude d'évaluation de l'auto-entreprenariat avec la mise en place d'un comité de pilotage. Je ne sais pas si c'est effectif. J'ai en tout cas noté l'absence dans le comité de pilotage de la représentation parlementaire. Ne serait-il pas intéressant que députés et sénateurs soient pour le moins représentés dans cette instance d'évaluation ?

M. Jean ARTHUIS, président . - Le Parlement a d'ailleurs pour mission l'évaluation des politiques publiques. Il n'a donc même pas besoin de faire partie d'un comité de pilotage pour faire de l'évaluation. Quelquefois, dans les comités de pilotages, l'on se demande même si l'on ne perd pas son temps et si l'on ne devient pas complice de certains pilotages approximatifs. De plus, nous faisons de l'évaluation en ce moment même.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - C'est ce que nous avons fait tout l'après-midi.

M. Jean ARTHUIS, président . - Bien sûr. C'est ce qui rend passionnante notre mission. Voyez-vous, nous pensons qu'il est plus important de faire de l'évaluation que de multiplier des lois qui créent de l'instabilité juridique. Nous avons souvent suffisamment de lois, peut-être même un peu trop. En tout cas, il nous faut des lois que l'on puisse faire respecter.

M. Philippe MARINI, rapporteur général . - Il faut aussi simplifier et améliorer celles qui ne sont pas bonnes.

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