2. La solution du conflit israélo-palestinien et la normalisation des relations avec l'Iran
a) La solution du conflit israélo-palestinien, préalable nécessaire à l'objectif d'un Moyen-Orient dénucléarisé
Dans son discours du Caire au monde musulman, le président Obama a souligné l'intérêt stratégique de la solution du conflit israélo-palestinien. Les termes de cette solution sont à peu près connus : « paramètres » dits de Clinton depuis les négociations avortées de Camp David (juillet 2000) et de Tabah (janvier 2001), propositions faites au nom de la Ligue arabe par le roi Abdallah (il s'agit, pour l'essentiel d'un retour aux frontières de 1967, moyennant quelques rectifications de frontières limitées et compensées). L'espoir qu'avait fait naître l'accent mis par le président Obama sur ce problème lancinant et emblématique à la fois, venait de ce que pour une fois, un président américain s'en saisissait en début et non pas en fin de mandat, comme Clinton en 2000, ou Bush père en 1991.
L'intérêt stratégique pour les Etats-Unis vient de ce que le problème israélo-palestinien est devenu depuis 1967, le symbole même d'une justice internationale à deux vitesses et cristallise les sentiments d'humiliation et de frustration qu'éprouvent, vis-à-vis de l'Occident, le monde arabe et plus généralement le monde musulman. Celui-ci, confronté aux affres de la modernisation, vit une profonde crise d'identité. Le présent rapport n'a évidemment pas pour but de faire un historique de l'islamisme radical, dont les sources sont bien antérieures à la création de l'Etat d'Israël (1948).
La création d'un Etat palestinien viable et la reconnaissance d'Israël par tous les pays de la Ligue arabe représenteraient un tournant historique dans les relations entre le monde arabo-musulman et les Etats-Unis. Elles permettraient à ceux-ci de se dégager d'Irak à moindres frais et de retrouver une autorité morale dans le monde musulman pour aider les courants modernistes ou même simplement modérés à prendre le dessus sur la tentation des régressions fondamentalistes. Celles-ci puisent évidemment dans le sentiment d'humiliation et dans l'exaspération face à l'injustice. La création d'un Etat palestinien viable ne résoudrait évidemment pas tous les problèmes économiques, sociaux, culturels que les défis de la modernisation posent dans le monde musulman. Mais il n'y a pas d'autre signal majeur, au plan politique, qu'un rétablissement du dialogue entre l'Occident et le monde musulman sur des bases d'égalité et de respect réciproque. C'est la force du président Obama de l'avoir compris mais il semble qu'il ait quelque peu présumé de ses forces, si on en juge par les déclarations de Mme Clinton prenant acte en fait du refus du gouvernement Netanyahou de geler la colonisation dans les territoires occupés en Cisjordanie et à Jérusalem. Certes le président Obama a certainement d'autres priorités au plan intérieur, mais il ne peut laisser détruire la cohérence et le sens de sa politique étrangère sans compromettre le désengagement qu'il a annoncé en Irak et en Afghanistan.
Il semble à votre rapporteur qu'un immense travail de pédagogie est à faire aux Etats-Unis et en Israël même pour convaincre ce dernier qu'il n'a pas d'avenir en dehors de sa région et qu'il serait le premier bénéficiaire d'une normalisation des rapports entre le monde musulman et le monde occidental. On peut arguer que cette perspective est encore lointaine mais le problème est justement de ne pas la faire reculer plus encore, mais au contraire de la rapprocher. Israël est un pays très moderne. A beaucoup d'égards il est même une grande puissance. Il a développé des relations pérennes non seulement avec les Etats-Unis et l'Europe, mais aussi avec la Turquie, l'Inde, la Chine, la Russie. La hantise d'une « deuxième Shoah » fait partie de la sensibilité israélienne d'une manière qu'on peut juger excessive. C'est la thèse d'Avraham Burg qui évoque, au contraire, la nécessité d'une « nouvelle synthèse judéo-arabe ». Mais comment serait-ce possible si le thème de la Shoah occupe tout l'espace ?
Le processus de paix engagé depuis 1992, à peine de paraître rétrospectivement comme un leurre, ayant permis l'implantation de 500 000 colons israéliens en territoire palestinien, doit maintenant aller à son terme attendu et normal. Sinon, nous irons vers les « malheurs grandissants », jadis pronostiqués par le général de Gaulle.
La création d'un Etat palestinien correspond à l'intérêt de sécurité d'Israël. La démographie ne joue pas en sa faveur : la préservation de la spécificité d'un Etat juif implique des frontières. La nouvelle géographie des puissances doit être anticipée : la montée des « pays émergents » et le (relatif) déclin des Etats-Unis sont des réalités dès aujourd'hui observables. Le moment est donc favorable pour désamorcer la « bombe palestinienne » (au sens démographique et politique du terme). L'arsenal nucléaire israélien est fait pour prévenir l'Apocalypse, mais il y a de nombreuses manières de contourner une dissuasion nucléaire. Celle-ci ne fonctionne en effet que vis-à-vis des Etats.
Israël a certainement les moyens de dissuader l'Iran, même nucléarisé. Mais la nucléarisation de plusieurs pays du Moyen-Orient serait profondément déstabilisatrice pour Israël. C'est dire que la perspective d'un Moyen-Orient sans armes nucléaires doit rester un objectif, même s'il est compréhensible qu'Israël ne veuille pas renoncer à la garantie ultime de sa sécurité, tant que celle-ci paraîtra menacée.
b) Les conditions d'une normalisation des relations avec l'Iran
C'est dans ce contexte difficile qu'il faut convaincre l'Iran de renoncer à acquérir l'arme nucléaire. L'Iran est un grand pays, surgi du fond de l'Histoire. Lui aussi a le souvenir des humiliations subies (et notamment le coup d'Etat fomenté contre Mossadegh en 1953, après la nationalisation du pétrole iranien). La société iranienne est moderne et éduquée (il faut porter à l'actif de la Révolution islamique un effort généralisé d'alphabétisation et de développement des campagnes). Le régime théocratique de l'Iran n'est pas seulement contesté, il est divisé en son sein même. A la faveur de ces contradictions montantes, le dossier nucléaire est aussi devenu un objet de politique intérieure. La voie d'un accord politique avec l'Iran doit être privilégiée sur la politique de « regime change » 65 ( * ) . L'efficacité des sanctions, même renforcées, n'est pas démontrée et l'idée d'une frappe militaire par Israël, agitée dans certains cénacles, nous entraînerait certainement vers des « malheurs grandissants ».
La société iranienne aspire à s'ouvrir et à normaliser ses relations avec le monde extérieur et d'abord avec les Etats-Unis. C'est cette perspective qu'il faut encourager en proposant à l'Iran la levée de toutes les sanctions, en contrepartie d'engagements clairs :
- l'acceptation de toutes les garanties de l'AIEA et la ratification du protocole additionnel, dit « 93+2 » ;
- la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et l'engagement dans la négociation du traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (TIPMF ou « cut off »).
Resterait le problème de l'enrichissement de l'uranium à l'usine de Natanz. Cet uranium faiblement enrichi (UFE) n'a pas de destination civile à l'heure actuelle. A défaut de suspension, un compromis pourrait être recherché. L'Iran pourrait accepter que, tant qu'il ne dispose pas de réacteurs civils nécessitant la fourniture de combustibles, le réacteur de Bushehr étant alimenté en combustible fourni par la Russie, l'usine de Natanz soit placée sous le contrôle de l'AIEA, afin de permettre la fabrication de combustible - ce qu'elle ne peut faire aujourd'hui (en quantité certes modeste, compte tenu des capacités de Natanz). La garantie devrait être apportée que le stock d'uranium faiblement enrichi ainsi produit soit écoulé sur le marché international tant que n'existe aucun besoin avéré pour un programme nucléaire iranien qui n'existe pas encore.
Parallèlement, l'Iran pourrait se doter de réacteurs électrogènes qui figurent dans son programme de développement. Il faudrait au moins une dizaine d'années pour construire ces réacteurs. Ce délai pourrait être mis à profit pour négocier les conditions de leur approvisionnement ultérieur en combustibles nucléaires. La levée de toutes les sanctions accompagnerait cet accord politique.
L'ouverture de la société iranienne est certainement un pari qui vaut la peine d'être tenté. Un contexte propice s'ouvrirait alors pour la négociation d'un « Moyen-Orient dénucléarisé », dès lors bien sûr que l'Iran, après les Etats arabes, aurait reconnu Israël, au lendemain de la création d'un Etat palestinien viable. Un pas décisif aurait alors été franchi dans le processus du désarmement nucléaire, à l'échelle non seulement régionale mais mondiale.
* 65 Politique de « changement de régime »