2. Les solutions en présence
a) La solution initialement envisagée par le Gouvernement : élargir l'assiette de la contribution carbone et prévoir des compensations
Votre rapporteur spécial ne s'appesantira pas sur les hypothèses de révision de la taxe carbone étudiées au cours des dernières semaines. Celles-ci ont fait l'objet d'un document de concertation largement diffusé. La démarche initialement envisagée par le Gouvernement consistait à maintenir le dispositif initial pour les ménages et les entreprises non industrielles, ainsi qu'à élargir l'assiette de la contribution carbone au secteur industriel .
(1) L'assiette
La définition de l'assiette de la taxe pour le secteur industriel soulevait la question de l'inclusion ou de l'exclusion du carbone de procédé 36 ( * ) . En effet, une partie du carbone rejeté par ces installations résulte, non pas de l'utilisation de combustible, mais des procédés industriels eux-mêmes. Taxer ce carbone de procédé serait conforme à l'objectif environnemental de réduction des émissions de CO 2 rappelé par le Conseil constitutionnel et permettrait d'appliquer la contribution sur le même périmètre que le SCEQE.
Toutefois, une telle assiette créerait une différence de traitement entre la contribution carbone du secteur diffus (assise sur les seules consommations de combustibles ) et la contribution de l'industrie sous quotas. Elle apparaîtrait d'autant plus pénalisante pour l'industrie que les émissions de procédés sont, comme l'ont souligné plusieurs intervenants au cours des tables rondes du 17 février 2010, largement incompressibles .
L'enjeu est substantiel en termes de produit . En effet, selon la Direction générale de l'énergie et du climat, l'assujettissement du dioxyde de carbone émis par les procédés industriels représenterait, pour l'industrie, un élargissement de l'assiette de 68,8 millions de tonnes de CO 2 37 ( * ) . Le rendement d'une taxe de 17 euros par tonne sur le contenu carbone des combustibles fossiles hors double usage représenterait un montant de l'ordre de 889 millions d'euros. Y inclure le contenu carbone des combustibles à double usage (hors CO 2 incorporé dans le produit) procurerait un rendement de 1.376 millions d'euros, et de l'ordre de 1.593 millions d'euros en incluant la décarbonatation.
Enfin, la définition de l'assiette de la taxe applicable à l'industrie soulevait la question des installations « courtes », c'est-à-dire dont les émissions dépasseraient les quotas qui leurs sont alloués, et qui devraient acheter des quotas supplémentaires à peine d'amende. Afin d'éviter tout phénomène de « double peine », il convenait donc d'exonérer de contribution cette fraction de carbone déjà payée , en en prévoyant la déductibilité de la contribution due.
(2) Le taux
La contribution carbone pourrait avoir un impact significatif sur certains secteurs industriels, et représenter, au tarif de 17 euros par tonne, 15,4 % de la valeur ajoutée des installations de fabrication d'engrais, 10,4 % dans la sidérurgie, 6,3 % dans la chimie minérale, 5,9 % dans la fabrication de plâtre, de chaux et de ciment.
Deux options étaient dès lors proposées. La première consiste à instaurer des taux réduits pour les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale sur la base de la liste, établie par la Commission européenne, des secteurs exposés aux « fuites de carbone ».
Ces taux réduits pourraient s'appliquer d'emblée à l'ensemble de l'assiette, ou faire l'objet d'une sorte de « barème » qui allègerait progressivement la taxe en fonction de son impact sur la valeur ajoutée de l'entreprise. Des mesures d'accompagnement pourraient être édictées, sous forme de crédit d'impôt pour les investissements destinés à économiser l'énergie, réduire les émissions polluantes ou prévenir les risques industriels, ou encore sous forme d'amortissements accélérés .
Une seconde option reviendrait à créer un bonus-malus avec restitution forfaitaire , calculée en fonction des émissions historiques, de la valeur ajoutée, de l'intensité carbone du secteur... Le caractère forfaitaire de la restitution encouragerait à investir dans la limitation des émissions.
(3) Le traitement de l'électricité, du transport aérien et des réseaux de chaleur
Le document de concertation posait enfin la nécessité de réserver un traitement spécifique à trois catégories d'activité, que sont la production d'électricité, le transport aérien et les réseaux de chaleur.
Deux motifs conduisaient à envisager un taux réduit pour l'électricité « carbonée » :
1) les centrales françaises sont en concurrence directe avec les centrales européennes, compte tenu de l'interconnexion du marché (existence d'une bourse et d'une plateforme unique France-Belgique-Pays-Bas, que l'Allemagne a vocation à rejoindre) ;
2) des risques importants de distorsion existent, dans la mesure où, sur le marché de l'électricité, le prix correspond au coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande (les centrales les moins coûteuses - nucléaires et hydrauliques - fonctionnent en base et sont appelées en premier, puis les centrales au charbon, au fioul et au gaz sont appelées en semi-base). Ainsi, si les centrales thermiques françaises voyaient leurs coûts augmenter, le marché européen favoriserait les centrales les moins chères, mais aussi les moins performantes en matière d'émissions .
S'agissant du transport aérien, les vols domestiques auraient été être assujettis , moyennant une « baisse à due concurrence des charges pesant sur le secteur » 38 ( * ) . Les vols internationaux continueraient d'être exonérés en application de la Convention de Chicago sur l'Aviation civile.
Enfin, les réseaux de chaleur devaient faire l'objet d'un traitement particulier en raison de la grande diversité de leur clientèle , et ce afin de ne pas créer de rupture d'égalité entre les clients raccordés, « captifs » du réseau et de la fiscalité qui s'y applique, et les autres clients.
* 36 Soit le CO 2 issu des combustibles à double usage, hors CO 2 intégré dans le produit final et non émis dans l'atmosphère et les émissions de CO 2 liées à la décarbonatation.
* 37 Cette assiette passerait de 52,3 à 121,1 millions de tonnes.
* 38 L'une des pistes de compensation envisagées pour le transport aérien consiste en une baisse à due concurrence de la part de la taxe d'aviation civile affectée au budget général.