b) Le mécanisme préconisé par la commission des finances : allouer dès maintenant une fraction de quotas à titre onéreux
Dès le mois de janvier 2010, votre rapporteur spécial a, aux côtés de ses collègues Jean Arthuis, président, et Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, invité le Gouvernement à étudier la possibilité d'allouer à titre onéreux les quotas de CO 2 délivrés dans le cadre du SCEQE, plutôt que d'étendre l'assiette de la contribution carbone aux industries sous quotas.
Cette proposition, motivée par le souci d'éviter l'élaboration d'une fiscalité aussi complexe que transitoire , ne constituait en rien une « solution miracle », et ses promoteurs étaient les premiers conscients des obstacles qui jalonnaient sa mise en oeuvre.
Solution qui prenait tout son sens dans le calendrier initialement défini par le Gouvernement, l 'allocation des quotas à titre onéreux devait être examinée sous les quatre aspects de l'optimalité économique, de la conformité juridique, de la faisabilité technique et de l'acceptabilité politique , au premier chef par les industriels concernés.
(1) L'optimalité économique
Selon les réponses de la DGTPE au questionnaire de votre rapporteur spécial, un dispositif de quotas payants était, au point de vue économique, « pertinent car il permett(ait) d'éviter la superposition des signaux prix pour les entreprises industrielles soumises au marché des quotas ». Cette solution présent donc l'avantage de s'éloigner le moins possible de l'optimum économique proposé par le dispositif initial d'exclusion réciproque des quotas et de la taxe.
(2) La conformité juridique
S'agissant de la conformité juridique, la première question à soulever était naturellement celle de la constitutionnalité de cette proposition. Dans la mesure où la décision du Conseil a largement reposé sur la gratuité de l'allocation des quotas aux industriels, il n'est pas déraisonnable de penser que leur allocation à titre onéreux, dans la limite des 10 % sur la période imposée par le droit communautaire 39 ( * ) , répondait à cette objection.
Un débat s'est ensuite fait jour, entre votre commission des finances et les services du Gouvernement, sur la conformité de cette option au droit communautaire . Selon le Gouvernement, la proposition de la commission des finances impliquait de revoir le PNAQ en cours d'application, ce que n'autoriserait pas la Commission européenne. Ces analyses s'appuient sur les récentes « déconvenues » subies par la France à l'occasion d'une première tentative de modification du PNAQ.
Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2008 (article 8 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008), la France avait tenté de résoudre un problème lié à la dotation de sa « réserve nouveaux entrants ». Cette réserve annuelle de 2,74 millions de tonnes d'émission s'est, en effet, révélée très insuffisante au regard des projets d'investissements industriels, notamment dans le domaine de l'électricité thermique, afin de mieux répondre à la demande croissante en « pointe » de consommation.
Cette sous-allocation risquant de décourager les projets et de fausser les conditions de concurrence entre les industriels existants et les nouvelles installations, la LFR pour 2008 avait autorisé l'Etat à effectuer des cessions de quotas sur le marché, en prélevant lesdits quotas sur l'allocation gratuite destinée aux producteurs d'électricité existants 40 ( * ) , et à acquérir la même quantité de quotas sur le marché afin d'abonder la réserve destinée aux nouveaux entrants.
La Commission européenne s'est toutefois opposée à ce dispositif, qui aboutissait à réduire de 10 % la quantité de quotas alloués aux électriciens à titre gratuit, et a suspendu la délivrance de leurs quotas aux entreprises du secteur électrique français durant toute l'année 2009. Légitimement alerté par ce précédent, le Gouvernement souligne aujourd'hui que « la Commission européenne est particulièrement sensible sur les modalités procédurales de révision des PNAQ : aucune souplesse n'est à attendre de sa part. En effet, elle considère que si elle autorise un Etat membre à une révision ex-post de son PNAQ, y compris pour des raisons pleinement justifiées économiquement (comme le passage d'une allocation à titre gratuit à une allocation à titre onéreux, en anticipation de la troisième phase du marché), elle pourrait créer un précédent qui permettrait à d'autres Etats membres d'envisager des révisions de leurs PNAQ pour des motifs moins vertueux » 41 ( * ) .
Votre rapporteur spécial comprend cette interprétation, guidée par la prudence. L'attitude supposée de la Commission européenne ne doit cependant pas conduire le législateur national à la paralysie, à plus forte raison lorsque celui-ci peut se prévaloir des propres décisions de la Commission pour agir.
En effet, votre rapporteur spécial a acquis la conviction que la révision du PNAQ prévue par la loi de finances rectificative pour 2008 a été jugée irrecevable par les autorités communautaires au motif qu'elle conduisait à modifier la quantité de quotas alloués à chaque secteur . Or, la proposition formulée par votre commission des finances ne consiste nullement à modifier ces quantités, mais simplement à amender leurs modalités d'attribution, dans le cadre des enveloppes sectorielles définies dans la version initiale du PNAQ. Cette possibilité a d'ailleurs été explicitement reconnue par la Commission qui, dans sa décision du 26 mars 2007 concernant le PNAQ français, a indiqué que « le plan national d'allocation de quotas peut être modifié sans accord préalable de la Commission si la modification concerne les quotas alloués à certaines installations, dans les limites de la quantité totale de quotas à allouer aux installations mentionnées dans le plan, (...) si elle consiste à réduire le pourcentage des quotas à allouer gratuitement dans les limites définies à l'article 10 de la directive » 42 ( * ) . La proposition de votre commission des finances se situe strictement dans les limites de cette épure 43 ( * ) .
Au surplus, le « rigorisme » allégué de la Commission en matière d'ajustements ex-post des plans nationaux d'allocation de quotas s'exerce dans le cadre du droit communautaire . Or il résulte de la lecture combinée d'un récent arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE), du règlement n° 2216/2004 44 ( * ) et de l'article 9 de la directive « quotas » que :
1) d'une part, des corrections a posteriori du PNAQ sont possibles , même lorsqu'elles n'ont pas été expressément prévues dans la version initiale du plan ;
2) d'autre part, les marges de manoeuvre dont dispose la Commission pour refuser des ajustements ex-post sont extrêmement limitées , dans la mesure où la conformité de ces ajustements ne s'apprécie qu'au regard de l'annexe III et de l'article 10 de la directive « quotas », lesquels se bornent à évoquer les quantités de quotas allouées par secteur et la fraction qui peut l'être à titre onéreux ( cf . encadré).
Ajustements
ex-post
des PNAQ :
Dans une affaire opposant la République fédérale d'Allemagne à la Commission européenne 45 ( * ) , le tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) a posé des principes qui pourraient trouver à s'appliquer si la France souhaitait modifier son PNAQ afin de rendre onéreuse la délivrance d'une partie des quotas qu'elle alloue. En l'espèce, le PNAQ soumis par l'Allemagne à la Commission européenne pour la période 2005-2007 prévoyait la possibilité de procéder à des ajustements ex-post des quantités de quotas allouées ; il fixait aussi les cas dans lesquels il pourrait être procédé à de tels ajustements ainsi que la méthodologie pour y procéder. La Commission européenne a refusé ce PNAQ au motif, précisément, qu'il permettait des ajustements a posteriori des quantités de quotas, ce qui a conduit l'Allemagne à contester devant la justice européenne cette décision de refus. Dans son arrêt, le TPICE a relevé que : 1) « La formulation utilisée à l'article 38, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n° 2216/2004 46 ( * ) , selon laquelle « cette correction est faite conformément aux méthodes indiquées dans ce [PNA] », confirme, à tout le moins indirectement, la possibilité d'une correction postérieure du nombre de quotas alloués, pourvu que le PNA en tant que tel prévoie expressément la méthode applicable à une telle correction. En effet, ladite règle présuppose ainsi que l'État membre peut prévoir, dans le PNA, des mécanismes de correction, à condition qu'ils soient objectifs et transparents au sens de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 2003/87 . » (paragraphe 108 de l'arrêt). Certes, la proposition de votre commission des finances n'était pas prévue dans le PNAQ français 2008-2012, approuvé par la Commission. Toutefois, le raisonnement opéré par le TPICE doit le conduire à considérer que des modifications du PNAQ lui-même sont possibles puisque la dernière phrase du paragraphe 2 de l'article 44 du règlement n° 2216/2004 précité, applicable aux PNAQ 2008-2012, dispose que « dans tous les autres cas [c'est-à-dire si la correction des allocations ne résulte pas du PNAQ lui-même], l'Etat membre notifie à la Commission la correction apportée à son plan national d'allocation de quotas et, si la Commission ne rejette pas cette correction conformément à la procédure prévue à l'article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE, la Commission charge l'administrateur central d'introduire la correction correspondante dans le tableau « plan national d'allocation de quotas » enregistré dans le journal des transactions communautaire indépendant conformément aux procédures d'initialisation prévues à l'annexe XIV ». Là encore, l'existence même de ces dispositions implique que des corrections a posteriori du PNAQ en cours de route sont possibles et que la Commission ne peut les rejeter que sur le fondement de l'article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE ; 2) Le pouvoir de contrôle de la Commission est très limité par ledit article 9 de la directive. Comme le relève le TPICE dans son arrêt (paragraphe 116), « le pouvoir de contrôle et de rejet des PNA, exercé par la Commission en vertu de l'article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87, est fort circonscrit, celui-ci étant limité à l'examen de la compatibilité des PNA avec les seuls critères de l'annexe III et avec les seules dispositions de l'article 10 de la directive 2003/87 ». Or, l'annexe III concerne avant tout les quantités de quotas alloués et n'évoque pas le caractère gratuit ou onéreux de l'allocation. Et, comme rappelé supra , la proposition sénatoriale respecte l'article 10 puisqu'il n'est pas question de délivrer plus de 10 % des quotas de la période à titre onéreux. Source : commission des finances |
Pour votre commission des finances, l'ensemble de ces éléments rendaient possible une révision du PNAQ français limitée aux modalités d'allocation des quotas.
(3) La faisabilité technique
Au plan technique, l'allocation payante des quotas pouvait reposer sur une simple modification de l'article L. 229-10 du code de l'environnement , précisant qu'une fraction ne pouvant excéder 10 % des quotas alloués au cours de la période débutant le 1 er janvier 2008 le sont à titre onéreux, et assortie d'une révision du PNAQ par voie réglementaire .
Cette solution ne règlerait toutefois pas le cas des industries n'ayant vocation à rejoindre le SCEQE qu'en 2013 (chimie) et des petites installations autorisées à se soustraire aux quotas en faisant la démonstration qu'elles sont soumises à des mesures leur permettant d'atteindre des réductions d'émissions équivalentes (papier, céramique, tuiles, briques). Pour lesdites installations, il pourrait être envisagé un taux réduit de contribution carbone, voire même des accords volontaires du type de ceux dont bénéficient les déshydrateurs de luzerne, et dont la constitutionnalité a été explicitement reconnue.
L'allocation payante d'une fraction de quotas ne résout enfin pas le problème des compensations à prévoir pour les industries concernées. Le montant et les modalités de ces compensations ne sont toutefois pas corrélés à la forme que prendrait l'assujettissement des industries relevant du SCEQE (taxe ou quotas payants), et les scénarii de compensation envisagés dans le cadre d'une taxe pourraient s'appliquer en cas d'allocation des quotas à titre onéreux, sous réserve de ne pas « surcompenser » le prélèvement opéré.
(4) L'acceptabilité politique
Plusieurs éléments étaient enfin de nature à garantir l'acceptabilité politique de la proposition de votre commission des finances 47 ( * ) .
Selon plusieurs industriels auditionnés au cours des tables rondes du 17 février 2010, cette solution présentait deux avantages précieux. Elle était tout d'abord simple , puisqu'elle s'inscrivait dans un mécanisme - le SCEQE - dont le fonctionnement est connu et la praticabilité éprouvée, et qu'elle rendait sans objet le débat sur l'opportunité d'assujettir le carbone de procédé.
Elle était ensuite de nature à apaiser les craintes des acteurs économiques sur le caractère transitoire de leur mise à contribution . En effet, et par construction, une allocation payante des quotas prendrait automatiquement fin au 1 er janvier 2013, lors du passage à la troisième phase du SCEQE. En revanche, une contribution carbone devrait être explicitement supprimée par le législateur pour cesser de s'appliquer, sauf à inscrire dans son texte fondateur qu'elle cesse d'être en vigueur au 31 décembre 2012.
Enfin, cette acceptabilité politique dépendait évidemment de la fraction de quotas alloués à titre onéreux, secteur par secteur, du tarif retenu pour cette allocation et des compensations proposées. S'agissant de la fraction des quotas à faire payer, un choix pouvait être opéré entre une « toise » identique pour tous les secteurs, qui serait nécessairement basse, et une modulation de la fraction allouée à titre onéreux entre secteurs exposés et non exposés au risque de fuites de carbone. La détermination du tarif pourrait, quant à elle, consister :
1) à l'aligner sur le tarif de contribution carbone applicable au secteur diffus , soit 17 euros, ce qui adresse un signal prix clair aux industriels, mais crée un hiatus avec la valeur de marché de la tonne de carbone ;
2) à l'ajuster annuellement sur cette valeur de marché , au prix d'une certaine incertitude.
Les quelques simulations qui suivent, données à titre purement indicatif et reposant sur les allocations 2008, montrent que le produit d'un tel dispositif oscillerait entre 85 et 140 millions d'euros selon les hypothèses retenues (« toise » à 5 % ou modulation de la fraction payante, fixée à 5 % pour les secteurs exposés et à 10 % pour les secteurs non exposés aux fuites de carbone).
En tout état de cause, votre rapporteur spécial considère que ces modalités auraient dû faire l'objet d'une concertation approfondie avec les industriels concernés.
* 39 L'article 10 de la directive 2003/87/CE dispose que « pour la période de cinq ans qui débute le 1 er janvier 2008, les Etats membres allocationnent [sic] au moins 90 % des quotas à titre gratuit ».
* 40 Dans la limite d'un plafond exprimé en pourcentage de cette allocation (10 % en 2009, 20 % en 2010, 35 % en 2011 et 60 % en 2012).
* 41 Réponse de la DGTPE au questionnaire.
* 42 2 de l'article 3 de la décision.
* 43 Les services de M. Jean-Louis Borloo affirment néanmoins que, selon la Commission européenne, cette mention n'aurait valu que jusqu'à l'entrée en vigueur du PNAQ, c'est-à-dire au 1 er janvier 2008, un changement de règles en cours d'exécution introduisant une insécurité juridique pour les entreprises concernées. Ils indiquent également qu'une décision de la Commission du 7 juillet 2008,autorisant l'enregistrement du PNAQ français par l'administration copmmunautaire, aurait « annulé » la décision de 2007.
* 44 Règlement (CE) n° 2216/2004 de la Commission du 21 décembre 2004 concernant un système de registres normalisé et sécurisé conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil et à la décision n° 280/2004/CE du Parlement européen et du Conseil.
* 45 Affaire T-374/04, arrêt du tribunal (troisième chambre élargie) du 7 novembre 2007.
* 46 Règlement (CE) no 2216/2004 de la Commission du 21 décembre 2004
concernant un système de registres normalisé et sécurisé conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil et à la décision no 280/2004/CE du Parlement européen et du Conseil.
* 47 Qui ne pourrait, en tout état de cause, s'appliquer qu'à compter de 2011, car les quotas pour 2010 ont d'ores et déjà été alloués.