B. UNE JURISPRUDENCE VIGILANTE VIS-À-VIS DE LA CONSTITUTION EUROPÉENNE
1. Les arrêts « Solange »
Avec l'arrêt Costa/ENEL du 15 juillet 1964, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a posé le principe de la primauté absolue du droit communautaire sur le droit national, et l'arrêt Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970 a confirmé que cette primauté s'exerçait même à l'égard des règles constitutionnelles des États membres.
Dans son arrêt dit « Solange I » du 29 mai 1974, la Cour de Karlsruhe n'a pas suivi la CJCE dans cette reconnaissance d'une primauté inconditionnelle du droit communautaire sur le droit national ; elle a jugé au contraire que cette primauté était conditionnée par l'article de la loi fondamentale prévoyant la participation de l'Allemagne à la construction européenne, et que cet article n'autorisait pas les Communautés européennes à porter atteinte aux bases constitutionnelles de la République fédérale d'Allemagne, et notamment à la garantie des droits fondamentaux. Il fallait donc que l'ordre juridique communautaire garantisse une protection des droits fondamentaux équivalente à celle assurée par la Constitution allemande pour que la saisine de la Cour de Karlsruhe n'ait plus lieu d'être. Aussi longtemps que ( solange ) cette condition ne serait pas remplie, des recours contre une disposition de droit communautaire en invoquant la violation d'un droit fondamental reconnu par la Constitution allemande resteraient recevables.
Ainsi, la Cour de Karlsruhe se réservait la possibilité d'un contrôle sur le droit communautaire, adressant ainsi un message très clair à la CJCE.
Douze ans plus tard, avec l'arrêt dit « Solange II » du 22 octobre 1986, la Cour de Karlsruhe a montré qu'elle considérait que ce message avait été entendu : « Aussi longtemps que les Communautés européennes, notamment la jurisprudence de la Cour des Communautés, garantiront de façon générale une protection efficace des droits fondamentaux à l'égard de la puissance publique des Communautés, protection qui soit essentiellement équivalente à celle prescrite comme impérative et inaliénable par la loi fondamentale, et qui assure de façon générale la substance même des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle n'exercera plus sa juridiction sur l'applicabilité du droit communautaire dérivé » (3 ( * )) .
L'arrêt « Solange II » a été parfois interprété, à tort, comme un renversement complet de la jurisprudence « Solange I ». Les bases du jugement restaient en réalité les mêmes : la primauté du droit communautaire trouvait sa source dans la loi fondamentale, et donc sa limite dans l'« identité constitutionnelle » de l'Allemagne, et si la Cour de Karlsruhe renonçait en pratique à exercer un contrôle sur le respect des droits fondamentaux, c'était parce que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg rendait ce contrôle inutile, non parce qu'elle le rendait impossible.
La Cour de Karlsruhe n'a donc jamais suivi la CJCE dans l'affirmation d'une primauté inconditionnelle du droit communautaire, tout en considérant que cette divergence sur les principes ne pouvait normalement pas se traduire par un conflit de jurisprudences.
* (3) Les traductions des arrêts figurant dans le présent rapport n'ont pas de valeur officielle.