C. DES POLITIQUES REPOSANT SUR DES CRITÈRES D'INTERVENTION IMPRÉCIS
Les politiques de la ville et de l'éducation nationale, confrontées toutes deux à l'existence de « zones urbaines défavorisées » , sont conduites à des interventions interdépendantes. Ainsi, les objectifs de la politique de la ville comprennent des priorités éducatives, afin de lutter contre la concentration de l'échec scolaire et les conséquences qui peuvent en découler en matière de cohésion, d'insertion, et de promotion sociale. De même, l'éducation nationale doit être associée à la définition des objectifs de la politique de la ville en matière de lutte contre les inégalités d'éducation et de culture.
Cependant, ces deux politiques s'appuient toutes deux sur des critères d'intervention à la fois distincts et imprécis.
Ainsi la politique de la ville repose sur une logique territoriale qui s'inscrit dans le cadre de deux démarches :
- Une démarche d'origine législative et réglementaire, s'appuyant sur un zonage dont les principes ont été initialement définis par la loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville : ce zonage distingue les zones urbaines sensibles (ZUS), les zones de redynamisation urbaines (ZRU) et les zones franches urbaines (ZFU). En 2007, cette géographie apparaît à la fois figée pour les ZUS et les ZRU, et en extension rapide pour les ZFU.
- Une démarche de nature contractuelle, plus souple, qui matérialise un partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales : cette géographie s'est appuyée successivement sur les contrats de ville - avec deux générations en 1994-1999 et en 2000-2006 - puis, à partir de 2007, sur les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS). L'impact de ce dernier renouvellement de la géographie contractuelle reste, en l'état, difficile à évaluer.
La Cour a déjà critiqué, dans un rapport public thématique consacré en 2002 à la politique de la ville, l'absence d'harmonisation des critères de définition de ces deux types d'intervention, qui affecte la lisibilité de la politique de la ville pour les acteurs de terrain. Une lettre de mission du Premier ministre en date du 2 avril 2009 ( 8 ( * ) ), relative à la définition d'une méthode opérationnelle de révision de la géographie des zones urbaines sensibles (ZUS) et des contrats de cohésion urbaine et sociale (CUCS), a également reconnu que la définition des ZUS « ne repose sur aucun critère objectif » .
De même, l'imprécision des normes d'intervention est manifeste au sein de l'éducation nationale. Elle porte tout d'abord sur les publics visés, puisque le terme d' « élèves en difficulté » se prête à des définitions multiples ( 9 ( * ) ) : aucune référence nationale, aucun profil-type ne viennent préciser les caractéristiques communes à ces élèves ( 10 ( * ) ). Aucune disposition ne permet, en l'état, de définir exactement les publics-cibles, et donc de quantifier les résultats des politiques publiques mises en oeuvre dans ce domaine. Faute de s'appuyer sur des critères nationaux clairs, les définitions des publics visés sont laissées à l'appréciation des échelons déconcentrés : l'effectif des élèves concernés est en conséquence l'objet de délimitations variables. Cette absence de normes a également caractérisé les procédures de choix des établissements relevant de l'éducation prioritaire, lors de la relance de cette politique en 2006 : ainsi que l'a rappelé la DGESCO dans sa réponse aux observations de la Cour, la définition des collèges « ambition réussite » s'est alors faite, en pratique, à partir de critères scolaires et sociaux qui ont fait l'objet d'une négociation avec les académies, en raison de leur connaissance de ces établissements et de leur contexte..
Dès l'amont de ces deux politiques, il manque ainsi un ensemble de repères nationaux précisant clairement leurs critères d'intervention et les objectifs qu'elles visent.
Certes, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a fait valoir, en réponse aux observations de la Cour, que la notion de normes ou de références nationales ne pouvait correspondre à la politique menée par l'éducation nationale, car, selon ses termes, il ne serait pas pertinent de définir un profil-type d'élève en difficulté ou un établissement-type de l'éducation prioritaire. Toutefois, la DGESCO a également admis qu'il était nécessaire d'identifier les difficultés spécifiques rencontrées par les élèves et de proposer des aides adaptées à leurs besoins en s'appuyant sur les références que sont les programmes scolaires nationaux et le socle commun de connaissances et de compétences ( 11 ( * ) ). Cette analyse débouche donc bien sur la reconnaissance de la nécessité d'un diagnostic précis de l'état actuel de la difficulté scolaire, de la détermination des moyens d'action correspondants, et de leur ciblage vers les élèves en fonction de leurs besoins.
* 8 Lettre de mission adressée à MM. Gérard Hamel, député, et Pierre André, sénateur.
* 9 La « difficulté scolaire » semble le plus souvent définie comme une incapacité à maîtriser le niveau requis du « socle commun des compétences et connaissances » défini par la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, alors que « l'échec scolaire » correspond, selon la définition internationale, à une sortie du système éducatif sans diplômes ni certification.
* 10 Doit-on les décompter à partir des premières difficultés lourdes du premier degré ? Au seuil du second degré ? Au terme de l'enseignement obligatoire ?
* 11 La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 25 avril 2005 a défini le principe d'un socle commun de compétences et de connaissances, qu'a précisé le décret n° 2006-870 du 11 juillet 2006, ainsi que le principe d'une action individualisée vers chaque élève. Le site ministériel (education.gouv.fr) rappelle que « le socle commun constitue la référence pour la rédaction des programmes d'enseignement de l'école et du collège » et que « ce texte présente l'ensemble des valeurs, des savoirs, des langages et des pratiques dont la maîtrise permet à chacun d'accomplir avec succès sa scolarité ». Le décret n° 2007-860 du 14 mai 2007 (article D. 311-7 du code de l'éducation) a enfin créé un « livret personnel de compétences » permettant la validation des résultats atteints par l'élève par rapport au socle commun de compétences et de connaissances.