II. LES AXES D'UNE REFONDATION DU SYSTÈME FINANCIER INTERNATIONAL

Ainsi que cela a été développé dans la première partie, le G 20 a donné une impulsion décisive pour initier ou poursuivre de nombreuses réformes de la supervision et de la régulation financières, qui ont été singulièrement « reprises en mains » par les Etats, et tenter de modifier les comportements des acteurs. Les enjeux du nouveau cadre de surveillance financière sont simples dans leur formulation mais indéniablement complexes dans leur traduction opérationnelle : introduire davantage de transparence dans la prise de risques, limiter les risques qui mettent en péril la stabilité financière, et faire en sorte que les exigences de rentabilité financière prennent mieux en compte ces risques .

Trois grands axes de réforme doivent dès lors être consolidés et approfondis : atténuer les zones d'ombre et l'hétérogénéité persistantes de la supervision, limiter la procyclicité consubstantielle au système financier et les effets du risque systémique, restaurer dans les comptes et les incitations le prix et la responsabilité du risque.

A. ATTÉNUER LES ZONES D'OMBRE ET L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DE LA SUPERVISION

Il existe actuellement une réelle fenêtre d'opportunité - qui pourrait ne pas durer - pour étendre le champ de la supervision et renforcer la coopération internationale. La convergence d'intérêts est réelle entre les régulateurs nationaux, quoique potentiellement limitée par la volonté implicite d'être « moins-disant » sur le plan réglementaire pour renforcer l'attractivité de la place, et les échanges sur des thématiques transversales se sont intensifiés, notamment sous l'égide de l'OICV.

1. La nouvelle supervision européenne macro et micro-prudentielle

Le 23 septembre 2009, la Commission européenne a publié cinq propositions législatives - soit quatre règlements et une décision 107 ( * ) - sur la mise en oeuvre des recommandations du groupe de travail présidé par Jacques de Larosière, qui avaient été remises le 25 février 2009 et approuvées par la Commission et le Conseil en mars. Ce groupe de travail a ainsi préconisé de renforcer la supervision financière à l'échelle européenne, par la création :

- d'un Comité européen du risque systémique (CERS), responsable de la surveillance macro-prudentielle du système financier afin de prévenir ou atténuer les risques systémiques ;

- et d'un Système européen de surveillance financière (SESF), consistant en un réseau d'autorités nationales travaillant en coordination avec trois nouvelles autorités européennes de surveillance (AES). Ces autorités sectorielles succèderaient aux trois comités actuels 108 ( * ) qui, dans le cadre de la « comitologie », relèvent du « niveau 3 » du processus Lamfalussy, et amélioreraient l'harmonisation des normes et pratiques de surveillance.

a) Le Comité européen du risque systémique

Le premier volet est traité par la proposition de règlement relatif à la surveillance macro-prudentielle et instituant un Comité européen du risque systémique (CERS), complétée par une proposition de décision confiant à la BCE des missions spécifiques relatives au fonctionnement du CERS. Ce comité ne dispose pas de la personnalité juridique ni d'aucun pouvoir contraignant sur les Etats membres , et est conçu comme un organisme d'influence et de « réputation », institutionnellement proche de la BCE. L'organisation interne du CERS comprend :

- un conseil général, organe décisionnel de 61 membres 109 ( * ) , dont 28 ne disposent pas du droit de vote. Avec 29 représentants sur 33, les banques centrales sont largement majoritaires au sein des membres disposant du droit de vote. Les décisions du conseil général sont prises à la majorité simple et son président est élu pour cinq ans parmi les membres du Conseil général de la BCE ;

- un comité directeur (« steering committee ») de douze membres ( dont cinq gouverneurs de la BCE 110 ( * ) ), sous-ensemble du conseil général qui prépare ses réunions et surveille la progression des travaux du CERS ;

- un secrétariat, assuré par les services de la BCE ;

- et un comité consultatif de 61 membres.

Les deux grandes attributions du CERS sont :

- collecter, échanger et analyser des informations sur les risques systémiques, ce qui implique un large accès aux données de la BCE, des futures AES (sous forme résumée ou agrégée), et le cas échéant des autorités de surveillance et banques centrales nationales. Sur demande motivée auprès des AES, qui constitue l'exception, le secrétariat du CERS aura accès à des données individuelles sur des établissements de nature systémique ;

- émettre des alertes et des recommandations générales ou spécifiques sur les mesures correctives à prendre, adressées à l'ensemble de la Communauté ou à un ou plusieurs Etats membres, ou à une ou plusieurs autorités nationales ou européennes de surveillance. Elles ne peuvent être ignorées dans la mesure où le destinataire doit appliquer le principe « se conformer ou expliquer ». Toutes les alertes et recommandations sont transmises au Conseil européen 111 ( * ) , et le CERS décide au cas par cas de leur publicité, une majorité des deux tiers du conseil général étant requise.

b) Les trois autorités européennes de surveillance

Les trois autres propositions de règlement instituent respectivement une Autorité bancaire européenne (ABE), une Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP), appelées à fonctionner à partir de 2011, disposant de la personnalité morale et dont l'essentiel des caractéristiques de fonctionnement sont communes.

Conformément aux réflexions engagées en 2008, les missions et responsabilités de ces nouvelles autorités sont plus étendues que celles des actuels « comités Lamfalussy » :

- l'élaboration de normes techniques d'application de la législation sectorielle concernée, correspondant au niveau 3 du processus Lamfalussy et donnant lieu à l'adoption de règlements ou décisions par la Commission. A la différence des comités actuels, ces normes sont adoptées à la majorité qualifiée (et non par consensus) et ont une portée contraignante pour la Commission, qui ne peut refuser ces normes, les adopter partiellement ou les modifier que « lorsque l'intérêt communautaire l'impose », et en motivant sa décision auprès de l'Autorité concernée. Les AES conservent la faculté de publier des orientations et recommandations non contraignantes à destination des autorités nationales et intermédiaires financiers ;

- une garantie d' application cohérente des règles communautaires lorsque le comportement d'une autorité nationale est jugé contraire à la législation européenne, selon un mécanisme en trois phases. Néanmoins si l'autorité nationale ne se conforme pas à la recommandation émise par l'AES, c'est la Commission, après avoir informé l'AES compétente ou de sa propre initiative, qui peut prendre une décision imposant à cette autorité nationale de prendre des mesures spécifiques ou de s'abstenir d'agir ;

- l'adoption de décisions individuelles imposant aux autorités nationales compétentes ou à un établissement financier de prendre des mesures correctives (notamment la cessation d'une pratique) en situation d'urgence transfrontalière 112 ( * ) , dont l'appréciation est du seul ressort de la Commission européenne ;

- un mécanisme de règlement des différends entre autorités nationales de régulation 113 ( * ) , en trois phases : conciliation par l'AES, décision en l'absence d'accord, et décision directement à l'égard des établissements financiers en cas de non-respect par l'autorité nationale concernée ;

- la promotion des meilleures pratiques et d'une culture commune en matière de surveillance et la détermination de tâches et responsabilités susceptibles d'être déléguées entre autorités nationales. Les AES doivent faciliter la mise en place d'équipes conjointes et mener régulièrement des analyses réciproques des autorités nationales ;

- l'analyse micro-prudentielle des tendances, risques et vulnérabilités dans chacun des trois secteurs, selon une logique ascendante, l'analyse macro-prudentielle du CERS étant descendante (« top-down »). A cet égard, des procédures sont prévues pour garantir la collecte et la communication d'information entre les autorités nationales, les AES et le CERS ;

- un rôle de coopération internationale et de conseil : les AES ont enfin vocation à être des points de contact pour les autorités de surveillance des pays tiers et peuvent donc conclure des accords administratifs bilatéraux et contribuer aux décisions portant sur l'équivalence des régimes des pays tiers. Elles peuvent également, sur demande ou de leur propre initiative, conseiller les institutions européennes et publier des avis, notamment sur l'évaluation prudentielle des fusions et acquisitions transfrontalières.

Particularité importante, l'Autorité européenne des marchés financiers sera investie du pouvoir d'enregistrer les agences de notation de crédit, conformément au compromis trouvé avec le Parlement européen sur la récente proposition de règlement sur les agences de notation. Elle serait habilitée à prendre des mesures en matière de surveillance, telles que le retrait de l'enregistrement ou la suspension de l'utilisation des notes de crédit à des fins réglementaires. Elle pourrait également demander des informations et mener des enquêtes ou inspections sur place. Ces compétences ne sont pas définies dans la proposition de règlement sur l'AEMF, mais le seront par un acte modifiant le règlement sur les agences de notation 114 ( * ) , qui devrait être présenté d'ici le 1 er juillet 2010.

Une des principales limites à l'action des AES réside dans la clause de sauvegarde budgétaire , réclamée par le Royaume-Uni et enjeu politique majeur des négociations, qui est destinée à préserver les compétences budgétaires des Etats membres et permet, le cas échéant, à une autorité nationale de ne pas appliquer une décision d'une AES 115 ( * ) . Cette clause pourrait en particulier être invoquée en cas de difficultés ou faillite d'un groupe bancaire transfrontalier, qui poserait la question du « partage de la charge » financière entre Etats membres.

Chaque autorité est dotée d'un conseil , organe décisionnel composé de 32 membres 116 ( * ) et d'observateurs, d'un conseil d'administration, d'un président (dont le mandat est de cinq ans, renouvelable) et d'un directeur exécutif. Deux organes communs aux trois AES sont prévus : un comité mixte destiné à favoriser la coopération et la cohérence des approches des trois autorités, et une commission de recours de six membres susceptible de statuer sur l'application du droit communautaire, les interventions d'urgence et le règlement des différends.

La transformation des comités actuels en agences autonomes requerra des ressources humaines et budgétaires supplémentaires , évaluées avec précision en annexe de chaque directive 117 ( * ) . Les sources de financement de chaque agence ne sont pas encore arrêtées, mais devraient se fonder sur une subvention du budget de l'Union européenne, une contribution obligatoire des autorités nationales de surveillance et une redevance des principaux établissements européens pour chaque secteur.

c) La position du groupe de travail sur le « paquet supervision financière » de la Commission européenne

Le groupe de travail approuve totalement la démarche d'évaluation et de prévention des menaces potentielles sur la stabilité financière européenne, incarnée par le futur CERS, qui dispose opportunément d'un mandat large. De même que les banques centrales ont une réelle légitimité institutionnelle et technique pour assurer la surveillance prudentielle, il est logique que le CERS soit placé dans l'orbite de la BCE.

En revanche, le groupe de travail émet les observations suivantes :

- la composition du comité directeur devrait être conforme aux conclusions du Conseil Ecofin et ne comprendre que deux gouverneurs de la BCE au lieu de cinq . En outre, ce comité n'étant pas décisionnaire (puisque son rôle est de préparer les travaux du conseil général), sa représentation n'a pas à refléter celle du conseil général et doit accorder une plus large place aux trois autorités sectorielles, qui disposent de l'expertise technique ;

- il importe que la transmission au Conseil de toutes les alertes et recommandations ne conduise pas ce dernier à « filtrer » ou valider tacitement ces documents, pour ne pas mettre en péril l'indépendance du CERS ;

- la portée des alertes et recommandations non individuelles (au niveau d'un Etat ou établissement) qu'émet le conseil général, et donc l'effectivité de la prévention des risques, seraient sans doute renforcées si la décision de les publier était prise à la majorité simple plutôt que qualifiée, à l'instar des autres décisions du conseil général.

Le groupe de travail salue également le travail accompli par la Commission européenne sur les autorités européennes de supervision , qui fixent le cadre d'une véritable régulation à l'échelle européenne et marquent l'aboutissement de la réforme des comités de niveau 3 initiée sous la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de 2008.

L'articulation de leurs pouvoirs avec les prérogatives de la Commission se révèle cependant complexe et laisse encore une impression d'inachevé ou de transition , l'étape vers des autorités dotées de véritables pouvoirs contraignants ou d'initiative 118 ( * ) n'ayant pas été complètement franchie. Il est en particulier regrettable que les AES ne puissent s'autosaisir pour prendre des mesures d'urgence , puisque seule la Commission est en mesure de constater la situation d'urgence, de sa propre initiative ou à la demande d'une AES, du Conseil ou du CERS.

Il est également nécessaire de préciser la portée de la clause de sauvegarde budgétaire , qui suscite des divergences d'interprétation entre Etats membres. Le groupe de travail estime qu'elle devrait être limitée aux situations appelant une recapitalisation ou la mobilisation de garanties publiques.

Enfin, concernant le pouvoir d'élaborer des projets de normes techniques, le groupe de travail souligne la nécessité de ne pas reproduire les dysfonctionnements trop souvent constatés de la « comitologie », et donc de veiller à ce que ces normes ne soient pas le réceptacle de tous les différends politiques, ambiguïtés et incertitudes qui peuvent émerger au premier niveau du « processus Lamfalussy ».

* 107 Ces propositions sont les suivantes :

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la surveillance macro-prudentielle du système financier et instituant un Comité européen du risque systémique (E 4777) ;

- proposition de décision du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques relatives au fonctionnement du Comité européen du risque systémique (E 4778) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité bancaire européenne (E 4779) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (E 4780) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne des marchés financiers (E 4781).

* 108 Le Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM), le Comité européen des superviseurs bancaires (CEBS) et le Comité européen des contrôleurs des assurances et des pensions professionnelles (CECAPP).

* 109 Soit les gouverneurs des banques centrales nationales, le président et le vice-président de la BCE, un membre de la Commission européenne, les présidents des trois autorités européennes de surveillance, un représentant de chaque autorité nationale de surveillance compétente, et le président du Comité économique et financier.

* 110 Ainsi que le président et le vice-président du conseil général, les présidents des trois autorités européennes, le président du Comité économique et financier et le membre de la Commission européenne.

* 111 Il s'agit par ce moyen, selon les termes de l'exposé des motifs de la proposition, d'accroître la « pression morale » sur le destinataire final.

* 112 Soit « lorsque des circonstances défavorables risquent de compromettre gravement le bon fonctionnement et l'intégrité des marchés financiers ou la stabilité globale ou partielle du système financier dans la Communauté ».

* 113 Par exemple si des mesures ou l'absence de mesures prises par une autorité de surveillance nuit fortement à la capacité d'une autre autorité de protéger l'intérêt des dépositaires, des assurés, des investisseurs ou des clients de services financiers.

* 114 En l'état actuel, c'est donc un régime transitoire qui s'applique : le CESR centralise la demande d'enregistrement, qui est instruite par l'autorité compétente de l'Etat membre d'origine de l'agence.

* 115 Si un Etat membre estime qu'une décision d'une AES empiète sur ses compétences budgétaires, il peut informer l'autorité et la Commission de sa décision de ne pas appliquer cette décision. Si l'AES la maintient, l'Etat membre peut porter l'affaire devant le Conseil (avec effet suspensif), qui dans un délai de deux mois décide à la majorité qualifiée de maintenir ou annuler cette décision. Une procédure accélérée est prévue s'il s'agit d'une mesure d'urgence.

* 116 Soit le président de l'AES concernée (sans droit de vote), le directeur de chaque autorité nationale de surveillance concernée, un représentant de la Commission européenne (sans droit de vote), et un représentant de chacune de deux autres AES (sans droit de vote).

* 117 Pour leur première année de fonctionnement (2011), le budget prévisionnel des autorités est ainsi évalué à 13,01 millions d'euros pour l'ABE, 13,67 millions d'euros pour l'AEMF et 10,59 millions d'euros pour l'AEAPP. Les effectifs prévisionnels de l'ABE et de l'AEAPP seront de 40 en 2011 puis 90 en 2014, et ceux de l'AEMF de 43 en 2011 et 89 en 2014.

* 118 L'Autorité bancaire européenne et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles peuvent en revanche prendre l'initiative de publier un avis sur une évaluation prudentielle d'une opération de fusion ou acquisition réalisée par toute autorité d'un Etat membre.

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