B. LES PÔLES, AU SERVICE D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE INDUSTRIELLE
Si la politique industrielle ne doit pas se limiter aux pôles de compétitivité, comme l'ont souligné MM. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) et Pierre Laffitte, sénateur honoraire, lors de leurs auditions par le groupe de travail, ce dispositif doit être un élément structurant de la politique industrielle de notre pays .
1. La labellisation de pôles sur un « terrain favorable »
Comme l'ont souligné MM. Luc Rousseau et Pierre Mirabaud, « la politique des pôles est caractérisée par une démarche « bottom up » de soutien aux initiatives des acteurs de l'innovation. L'outil privilégié est ainsi l'appel à projets tant dans l'identification et la sélection des pôles de compétitivité (...) que dans le financement des projets de R&D (...). Le gouvernement a donc suscité la création des pôles de compétitivité mais a laissé aux seuls acteurs de ces pôles (entreprises, laboratoires et organismes de formation) le soin de définir leur feuille de route stratégique et le contenu des projets visant à les mettre en oeuvre » 97 ( * ) .
Cette démarche « bottom up » a conduit les acteurs locaux à proposer la constitution de pôles sur un « terrain favorable » : les pôles se sont ainsi constitués là où préexistaient des activités économiques dans le domaine du pôle, voire là où le triptyque entreprises-recherche-formation préexistait .
La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) estime ainsi que « les pôles les plus importants en termes d'emplois, tels « Aerospace Valley » en Midi-Pyrénées ou « Véhicule du Futur » en Franche-Comté, se sont constitués sur des territoires qui présentaient une forte concentration d'acteurs spécialisés sur une même activité » 98 ( * ) .
De même, l'évaluation réalisée par CM International et le BCG indique que « pour une grande majorité des pôles de compétitivité, un terreau de relations nouées au fil des ans entre acteurs de la recherche et de l'industrie préexistait . Sur les 71 pôles, 54 s'inscrivent ainsi dans le prolongement d'une dynamique de collaboration préexistante, structurée ou non. Les pôles ont souvent été vécus comme l'opportunité de donner un cadre et de renforcer ces interactions préexistantes » 99 ( * ) . Les pôles « s'inscrivent la plupart du temps dans des secteurs identifiés en adéquation avec les réalités d'un tissu industriel et de recherche préexistant » 100 ( * ) .
Lors du déplacement du groupe de travail à Toulouse, les responsables du pôle Aerospace Valley ont ainsi souligné que ce pôle était né sur un territoire déjà très actif dans le secteur aéronautique. Ils ont également estimé que les moins bons résultats du pôle Mobilité et transports avancés (MTA) montraient que la préexistence du triptyque recherche-industrie-formation était nécessaire au bon fonctionnement d'un pôle de compétitivité.
La labellisation des pôles sur un « terrain favorable » apparaît d'ailleurs clairement dans la stratégie de labellisation .
Comme l'a souligné M. Gilles Bloch, directeur général de la recherche et de l'innovation au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, certains critères utilisés afin de sélectionner les projets de pôle pour la labellisation sont révélateurs. Figurait notamment parmi ces critères la visibilité internationale du pôle : ce critère indique donc qu'un pôle devait déjà disposer d'une certaine existence et d'une certaine visibilité afin d'être labellisé.
2. Les pôles au service des priorités de recherche industrielle
Afin que le dispositif des pôles de compétitivité puisse être encore plus fécond, le groupe de travail estime utile d'intégrer les pôles dans une stratégie globale en matière de recherche industrielle .
De ce point de vue, le ministère de l'agriculture et de la pêche, dont dépendent directement ou indirectement 21 pôles de compétitivité, a pris une initiative particulièrement intéressante.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche a ainsi défini le 24 mars 2009 dix priorités agro-industrielles de recherche-développement avec pour objectif de « mobiliser les moyens de la recherche autour de ces dix priorités et de les articuler avec les compétences technologiques développées au sein des pôles de compétitivité » . Il s'agit de dix thèmes sur lesquels il est nécessaire que la France se situe en première ligne : les pôles sont donc invités à s'organiser autour de ces priorités.
LES PRIORITÉS AGRO-INDUSTRIELLES DE RECHERCHE-DÉVELOPPEMENT Le 24 mars 2009, le ministre de l'agriculture et de la pêche a rendu public les dix priorités agro-industrielles de recherche-développement : - « l'alimentation, le goût, la santé et le bien être : promouvoir une alimentation bénéfique pour la santé et le bien-être ; - une nouvelle alimentation de l'animal : concevoir une alimentation de l'animal favorisant la santé et le bien-être de l'homme et préservant les ressources naturelles ainsi que l'environnement ; - la chimie du végétal : valoriser les molécules végétales pour remplacer les molécules de synthèse de la pétrochimie ; - l'énergie verte : valoriser la biomasse pour produire des carburants et de l'énergie ; - les engrais naturels et la phytopharmacie : innover pour protéger et guérir ; faire croître les plantes avec des produits naturels ; - les variétés végétales de demain : sélectionner des variétés végétales adaptées au changement climatique et répondant aux attentes nutritionnelles et environnementales ; - la valorisation des produits de la mer : valoriser 100 % du produit issu de la pêche afin de répondre à la demande des consommateurs tout en préservant les ressources halieutiques ; - le « prêt-à-consommer » : adapter les aliments et les processus de production pour répondre aux besoins des consommateurs en matière de cuisine simplifiée ; - de nouveaux produits pour une viticulture, une arboriculture et un maraîchage durables : innover dans les domaines de la viticulture, des fruits et des légumes pour accompagner les nouveaux modes de consommation ; - la traçabilité et l'emballage : répondre aux besoins de sécurité sanitaire des produits, des nouvelles formes de consommation et au respect de l'environnement ». Ces axes de recherche ont été définis après une réflexion stratégique lancée par le ministre de l'agriculture et de la pêche en février 2009, accompagnée par un comité de pilotage national, rassemblant des acteurs publics, des grandes entreprises, des chercheurs et des pôles de compétitivité. Ils seront pris en compte dans le soutien aux projets des pôles de compétitivité et conduiront à déterminer des pôles « leaders » sur certaines thématiques et à rechercher une meilleure coordination entre pôles. |
Source : ministère de l'agriculture et de la pêche.
Cette initiative montre que les pôles peuvent être mis au service d'une véritable politique de recherche industrielle : l'État détermine, en concertation avec les acteurs du secteur d'activité concerné, une stratégie nationale avec des priorités de recherche qui orientent l'action des pôles.
Le groupe de travail estime que cette initiative peut servir d'exemple à d'autres ministères pour les pôles de compétitivité d'autres secteurs d'activité.
Par ailleurs, les pôles doivent également s'insérer dans la stratégie des organismes nationaux de recherche.
3. La nécessité d'une logique « top-down »
Au-delà de cette logique « bottom up » et de l'intégration des pôles de compétitivité dans la politique de recherche industrielle, nombre d'interlocuteurs ont souligné qu'une nouvelle logique, complémentaire à la logique initiale du dispositif devait également être mise en oeuvre : une logique de labellisation des pôles de compétitivité dans les secteurs stratégiques dans lesquels la France doit être présente et doit disposer de « champions ».
Les pôles de compétitivité ne doivent en effet pas seulement être un « label » donné à des structures existantes, dans des domaines dans lesquels la France dispose déjà de champions .
Comme l'indique une étude effectuée à la demande de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) sur les pôles de compétitivité étrangers, il convient de « passer d'une logique de consolidation de l'existant à une logique de constructions des champions technologiques de demain » 101 ( * ) .
Le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) de septembre 2004 a souligné, lors du lancement du dispositif des pôles de compétitivité, que la constitution des pôles visait notamment à « renforcer les spécialisations de l'industrie française » et à « créer les conditions favorables à l'émergence de nouvelles activités à forte visibilité internationale » . Force est de constater que si le premier objectif a été au coeur de la politique des pôles de compétitivité depuis son lancement, l'émergence de nouvelles activités n'a pas marqué la première phase du dispositif.
La naissance et le développement de la technopole de Sophia Antipolis constituent d'ailleurs une référence en la matière : il est ainsi tout à fait possible de faire émerger de nouvelles activités sur l'ensemble du territoire national.
LA TECHNOPOLE DE SOPHIA ANTIPOLIS Sophia Antipolis constitue aujourd'hui une référence mondiale en matière de technopoles et des parcs scientifiques . Dans un discours prononcé pour le centenaire de la Chambre de commerce et d'industrie Nice Côte d'Azur en décembre 1960, M. Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l'Industrie, estimait que la Côte d'Azur, tournée essentiellement vers le tourisme, avait intérêt à se diversifier en accueillant des activités du tertiaire et de la recherche . En 1969 a alors été lancé par M. Pierre Laffitte le projet de Sophia Antipolis, dont la naissance a été officialisée par le Comité interministériel d'Aménagement du territoire (CIADT) d'avril 1972. Située sur 2 400 hectares répartis sur les communes d'Antibes, Biot, Vallauris, Valbonne et Mougins, cette technopole s'est développée au cours des dernières décennies. S'y concentrent aujourd'hui des grandes entreprises, des PME, des start up , des centres de recherche et des établissements d'enseignement supérieur. Le site compte ainsi 1 300 entreprises, employant 27.000 personnes issues de 70 nationalités différentes . Les technologies de l'information représentent 50 % des emplois et 25 % des entreprises, les services 30 % des emplois et 50 % des entreprises. Sophia Antipolis constitue également un centre de haute technologie : 40 % des entreprises ont une activité recherche-développement. 4.000 chercheurs y travaillent dans les technologies de l'information, les sciences du vivant ou l'environnement. Le développement de cette technopole repose sur le principe de la fertilisation croisée , également au coeur du dispositif des pôles de compétitivité. |
Afin de permettre l'émergence des champions de demain, les pôles doivent donc s'intégrer pleinement au sein d'une politique industrielle qui détermine des secteurs dans lesquels la France doit être présente et ne peut être en retard par rapport au reste du monde. Les responsables du pôle Aerospace Valley ont souligné cette exigence lors de leur rencontre avec le groupe de travail.
Le soutien de l'État aux pôles de compétitivité doit ainsi constituer un investissement sur l'avenir, une « dépense d'avenir » , c'est-à-dire en faveur de secteurs d'activité qui seront économiquement essentiels dans une ou plusieurs décennies.
Comme le souligne le « Worldclass Clusters Club » , il convient aujourd'hui d' « insérer les pôles dans les stratégies nationales industrielles et d'innovation » . Le club estime qu'un des enjeux de la seconde phase des pôles est d'incuber les marchés du futur car le monde actuel est « un monde en constante évolution qui appelle un renouveau industriel » . Plusieurs marchés d'avenir sont évoqués : les écotechnologies, des biotechnologies marines, les nanotechnologies ou encore de l'Internet du futur. Sur ces marchés l'émergence de champions français est donc un enjeu majeur.
En conséquence, le groupe de travail estime que la labellisation de nouveaux pôles ne doit pas constituer un tabou .
Le Gouvernement a d'ailleurs annoncé le 30 juin 2009 sa volonté de labelliser des pôles de compétitivité dédiés aux écotechnologies . Les dépôts des dossiers de candidature dans le cadre de cette labellisation ont eu lieu avant le 2 octobre 2009.
La croissance verte devrait en effet, selon le Gouvernement, être au coeur de la reprise de l'économie française. D'après les informations transmises au groupe de travail, « une politique industrielle de développement des éco-industries, en lien avec la tenue des objectifs du Grenelle de l'environnement, peut représenter en 2020 une augmentation de l'activité directe en France de 50 milliards d'euros par an et 280.000 nouveaux emplois, ainsi qu'une réduction annuelle d'émission de dioxyde de carbone de 80 millions de tonnes, un impact positif sur la balance commerciale de l'ordre de 25 milliards d'euros par an » 102 ( * ) .
Le groupe de travail estime cependant que la labellisation de nouveaux pôles ne doit pas concerner seulement les écotechnologies .
D'autres secteurs clés peuvent en effet émerger dans les années à venir car, comme le souligne le Conseil économique et social, « les mutations technologiques s'accélèrent et l'innovation n'est pas figée ». En conséquence, « il ne faut pas exclure l'apparition de nouveaux secteurs innovants pour lesquels pourraient être mis en place d'autres pôles compte tenu de leurs richesses spécifiques » 103 ( * ) .
La labellisation de pôles de compétitivité permettrait donc d'accompagner le développement de secteurs d'activité jugés stratégiques en matière industrielle , c'est-à-dire conditionnant l'indépendance nationale ou européenne à terme.
Le groupe de travail note d'ailleurs avec intérêt que, lors de son audition, M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, ne s'est pas déclaré opposé à de nouvelles labellisations.
* 96 Conseil économique et social, « Les pôles de compétitivité... », Ibid., p. I-22.
* 97 Luc Rousseau, Pierre Mirabaud, « Les pôles de compétitivité », in : Conseil d'analyse économique, « Innovation... », Ibid., p. 164.
* 98 DGCIS, « Le 4 Pages », Ibid.
* 99 DIACT, « Evaluation des pôles de compétitivité... », Ibid., p. 14.
* 100 DIACT, « Evaluation des pôles de compétitivité... », Ibid., p. 16.
* 101 « Étude sur les bonnes pratiques de dix pôles de compétitivité étrangers » réalisée pour la direction générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services (DGCIS) par la société Algoé, mai 2009, p. 127.
* 102 Contribution écrite de M. Christian Estrosi, ministre de l'industrie, communiquée au groupe de travail.