C. LES PEUPLES OUBLIÉS DE L'EUROPE : PROTÉGER LES DROITS FONDAMENTAUX DES PERSONNES DÉPLACÉES DE LONGUE DATE
Deux millions et demi de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDI) vivent au sein de onze États membres dans des conditions extrêmement difficiles, essentiellement dans le Sud-est européen. La situation des ces personnes a déjà été envisagée dans une recommandation adoptée en 2006, reprenant les principes directeurs des Nations unies en la matière. Elle n'a pas été suivie de véritables changements, incitant par conséquent la commission des migrations, des réfugiés et de la population à proposer un nouveau texte.
Les conflits interethniques ou les différends territoriaux sont le plus souvent à l'origine de ces migrations forcées. Ces conflits ont eu lieu il y a entre 15 et 35 ans. Environ un quart des personnes concernées ont retrouvé des conditions de vie décentes. 390 000 vivent par contre dans des centres collectifs.
Invité à intervenir devant l'Assemblée, M. Walter Kälin, représentant du Secrétaire général des Nations unies pour les droits des personnes déplacées dans leur propre pays, a rappelé les situations d'extrême pauvreté dans lesquelles évoluent nombre de familles en Bosnie-Herzégovine, en Serbie, en Croatie, en Turquie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, en Arménie ou au Kosovo. Otages politiques de conflits larvés, ces personnes sont victimes de nombre de pratiques discriminatoires : logements précaires, ségrégation scolaire, marginalisation socio-économique.
Le traitement des difficultés rencontrées par ces personnes passe bien évidemment par un règlement politique des conflits larvés qui conduisent aux déplacements de populations. Une assistance internationale permanente, technique ou financière, apparaît parallèlement indispensable. Une mobilisation des autorités d'accueil semble enfin plus que nécessaire.
Dans le texte qu'elle a adopté, l'Assemblée invite les États membres concernés à mettre en oeuvre des plans d'actions nationaux, associant pleinement les personnes déplacées en vue de favoriser le retour, l'intégration ou la réinstallation. A défaut d'une restitution des biens ou droits d'occupation, les États devraient s'engager à fournir une indemnisation juste et effective. L'accent doit être mis sur la réinsertion sociale et le développement économique de ces populations ayant tout abandonné. La Banque du développement du Conseil de l'Europe est également invitée à renforcer sa coopération avec les États concernés.
Intervenant dans le débat, M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a, par ailleurs, invité le Conseil de l'Europe à prêter une attention encore plus soutenue au problème au travers notamment de la procédure de suivi qu'il a mis en oeuvre à l'égard des nouveaux adhérents :
« La situation des personnes déplacées de longue date rappelle avec cruauté que les conflits ne cessent pas avec l'obtention d'accords de paix ou de cessez-le-feu. Les guerres achevées ou larvées qui ont déchiré et divisent encore le sud-est du continent européen ont laissé dans nombre de territoires des mines antipersonnel et autres obus, prêts à exploser sous les pieds d'innocents. Elles ont aussi laissé des blessures morales et culturelles qu'aucune campagne internationale ne saurait effacer.
Les personnes déplacées de longue date incarnent en quelque sorte les stigmates de ces tragédies. Exilées hors de leurs territoires d'origine, regroupées, pour certaines d'entre elles, dans des ghettos, elles sont la mémoire vivante de conflits que l'on veut désormais taire, en vue de tourner une page. La paix n'exige pas l'oubli ou pire, la condamnation au silence. Elle exige, pour être effective, que les principales victimes d'une guerre recouvrent une once de sérénité.
Les cas détaillés dans l'excellent rapport de notre collègue, John Greenway, mettent en relief les difficultés majeures que peuvent rencontrer les personnes déplacées dans leur retour à une vie, qui ne sera plus jamais totalement normale. La cicatrisation morale qu'implique l'exil est ralentie par la multiplicité des obstacles que peuvent rencontrer ces femmes et ces hommes sur le chemin du retour à une vie décente. L'histoire fourmille d'exemples où les victimes de conflits ou de discriminations ressentent in fine un sentiment de culpabilité. Nous ne sommes pas loin de cette situation dans nombre de situations décrites par le texte de la commission des migrations, des réfugiés et de la population.
L'octroi de conditions de vie satisfaisantes comme le plein exercice des droits fondamentaux doivent être des priorités pour les États membres qui rencontrent ces phénomènes de migrations involontaires, pour ne pas dire forcées. Aucun raisonnement de nature budgétaire ne peut tempérer cette suprême exigence. Rappelons qu'elle constitue l'essence même des valeurs qui nous réunissent au sein de cette Assemblée.
Il serait, à cet égard, plus qu'intéressant de renforcer le suivi de la situation des populations déplacées dans les dispositifs de monitoring actuellement mis en oeuvre à l'égard des nouveaux États membres. Ne mésestimons pas le foyer de tensions que peuvent représenter à moyen terme le maintien dans le dénuement de ces populations. Si l'on entend légitimement tourner la page de certains conflits, nous ne pouvons laisser prospérer chez des victimes une culture du ressentiment.
Je suis heureux que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'alarme d'une telle situation et qu'elle n'hésite pas à pointer du doigt des cas précis, sans langue de bois. Notre action doit désormais être concertée avec d'autres instances internationales en vue d'offrir de nouvelles garanties à ces populations. Une coopération plus étroite avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies est ainsi une piste à ne pas négliger, tant l'expertise de cette organisation peut permettre à certains de nos États membres de progresser plus rapidement. »