III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE

A. LA SITUATION EN BIÉLORUSSIE

Prenant acte des violations répétées des droits de l'Homme en Biélorussie, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a suspendu en 1997 le statut d'invité spécial accordé au Parlement biélorusse. L'évolution du régime de M. Loukachenko n'a, jusque dans un passé récent, donné aucun signe susceptible d'amender la position de l'Assemblée tant la répression a visé toute forme de contestation et pris la forme d'atteintes aux libertés d'expression et d'association.

La dégradation de la situation économique et sociale locale, dans un contexte de dépendance énergétique et économique à l'égard de la Russie, ont néanmoins conduit Minsk à alterner, depuis 2006, phases d'ouverture et maintien d'une politique répressive. Le conflit entre la Géorgie et la Russie de l'été dernier et l'isolement dans lequel tend à s'enfermer Moscou ont, depuis, poussé la Biélorussie à effectuer plusieurs gestes significatifs en vue de nouer un nouveau partenariat avec l'Union européenne. Ainsi, la libération des trois derniers prisonniers politiques internationalement reconnus ou l'établissement d'un dialogue entre le pouvoir en place et l'opposition ont incité l'Union européenne à engager une nouvelle coopération avec la Biélorussie. D'autres signes sont également révélateurs, qu'il s'agisse de l'engagement à assouplir certaines dispositions du code pénal et du code électoral ou l'autorisation de publication accordée aux deux principaux journaux d'opposition.

Les efforts en direction du Conseil de l'Europe se sont, quant à eux, notamment traduits par la réouverture d'un centre d'information de l'Organisation. Une évolution semblable a conduit la commission des questions politiques à préconiser le rétablissement du statut d'invité spécial. Une délégation de l'opposition extraparlementaire devrait parallèlement être invitée à toutes les parties de session de l'Assemblée, ainsi qu'à toute réunion de commission concernant la Biélorussie.

Invité à intervenir devant l'Assemblée, M. Ivanov, vice-président de la Chambre des représentants de l'Assemblée nationale de la République de Biélorussie a rappelé les progrès entrepris par son pays, insistant sur un délai à accorder à Minsk. A ses yeux, le statut d'invité spécial n'est pas un but mais bien un moyen pour devenir membre à part entière du Conseil de l'Europe.

Ce rétablissement n'est pas, aux yeux de la commission des questions politiques, un blanc seing accordé à Minsk, le Conseil de l'Europe devant être en droit d'enquêter sur les affaires en cours. L'exercice des libertés politiques devra être progressivement assuré et des réformes en vue de renforcer la liberté des médias, moderniser le code électoral ou abolir la peine de mort devront, en outre, aboutir. Un moratoire sur la peine de mort apparaît de surcroît comme une condition indispensable avant le rétablissement du statut d'invité spécial. Le bilan de la coopération avec la Biélorussie serait par ailleurs évalué dans un délai d'un an.

Selon M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , président de la délégation, cette main tendue à la Biélorussie doit cependant s'inscrire dans une démarche concertée avec l'Union européenne :

« Quelle formidable opportunité, à quelques semaines du soixantième anniversaire du Conseil de l'Europe, de pouvoir revenir sur la décision prise en 1997 de suspendre le statut d'invité spécial de la délégation du Bélarus ! Que de chemin parcouru depuis 1949 et les efforts des grands pionniers, les Churchill, Bevin, Schumann, Adenauer, de Gasperi, Spaak pour concevoir un véritable projet européen, propre à éviter les guerres nées du nationalisme.

Ce débat s'inscrit dans le prolongement de ceux au cours desquels nous avons eu, depuis 1990, à nous prononcer sur l'opportunité d'accueillir en notre sein la partie de l'Europe qui nous faisait défaut. Nous étions alors une vingtaine : nous sommes aujourd'hui quarante-sept. Qui regrette la décision que nous avons prise d'accueillir tous ces pays qui frappaient à notre porte et qui sont aujourd'hui des démocraties exemplaires, auprès desquelles nous aurions bien des leçons à recevoir. Il ne s'agit pas de penser seulement aux autorités du Bélarus, mais aussi et surtout aux citoyens du Bélarus, qui attendent de nous un signal fort pour nous rejoindre.

Votre contribution, monsieur le rapporteur, est d'une qualité éminente. Il convient néanmoins de vous rappeler, messieurs, que le statut d'invité spécial comporte, non seulement des droits, mais aussi beaucoup d'obligations, si vous ne voulez pas revenir à la situation de 1997. Si le vote est positif, vous devez observer ces devoirs que sont la préservation des droits de l'Homme et l'abolition de la peine de mort. C'est ainsi que le Bélarus deviendra un véritable État de droit.

Quant à nous, il nous faudra impérativement prendre l'attache de l'Union européenne afin de coordonner nos efforts et ne pas agir de façon incohérente.

Les amendements que nous allons examiner prouvent qu'il reste cependant de nombreuses questions en suspens, qu'il ne s'agira pas de prendre à la légère : si nous votons ce projet de résolution aujourd'hui, ce sera à vous, demain, de nous en rendre compte. »

Ce souhait d'un retour au dialogue immédiat n'est pas totalement partagé par la commission des questions juridiques qui souhaite l'adjonction de nouvelles conditions avant de rétablir la Biélorussie dans ses anciens droits. Invité à intervenir devant l'Assemblée, M. Lebdeko, coprésident des Forces unies démocratiques, mouvement d'opposition biélorusse, s'est lui montré extrêmement sceptique sur le changement d'attitude à l'égard de son pays, estimant que les changements devaient avant tout avoir lieu à Minsk plus qu'à Strasbourg.

M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) estime, pour sa part, que s'en tenir à un moratoire sur la peine de mort apparaît à l'heure comme un excellent compromis :

« Comme l'Union européenne, notre institution s'interroge aujourd'hui sur la reprise d'un dialogue avec le Bélarus. Minsk a certes esquissé l'an dernier quelques gestes d'ouverture dont il convient de prendre acte, mais gardons-nous de crier trop vite à la libéralisation. Après quelques actes symboliques, nous avons constaté un retour à des méthodes répressives. Cette circonspection est d'autant plus nécessaire qu'il convient de s'interroger sur les motivations du régime : le Bélarus a besoin de l'Europe pour s'affranchir d'une relation un peu étouffante avec la Russie, et plus encore dans le contexte de la crise économique et financière et du conflit entre Moscou et la Géorgie. Son comportement relève donc plutôt de la stratégie politique.

Quelques actes positifs tels que l'autorisation de publication de certains journaux ou l'enregistrement du mouvement pour la liberté d'Alexandre Milinkevitch ne doivent donc pas occulter le maintien en prison de plusieurs opposants ou les refus d'enregistrement du parti chrétien démocrate ou de l'ONG de défense des droits de l'Homme « Nacha Viasna ». Cependant, nous pouvons approuver le rapport de M. Rigoni. Il ne s'agit pas en effet de décerner a posteriori des brevets de démocratie, mais de faire en sorte que celle-ci avance là où cela est nécessaire. En outre, la stratégie de l'isolement n'a pas produit les résultats espérés - à supposer qu'il en était attendu.

Lier le retour du Bélarus en tant qu'invité à un moratoire sur la peine de mort me semble être une excellente idée. Notre Assemblée se doit de poser des conditions. Elle aurait pu en fixer de nombreuses, mais elle se limite à celle-ci, qui revêt un caractère très symbolique. Il ne s'agit pas encore d'une abolition. Si le Bélarus souhaite devenir membre du Conseil de l'Europe, il devra aller beaucoup plus loin, mais dans l'immédiat nous nous en tenons à un moratoire qui serait de nature à montrer que les choses évoluent dans le bon sens. »

M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) a, quant à lui, indiqué que la coopération entreprise avec la Biélorussie devait demeurer conditionnelle :

« Le rapport excellent et circonstancié de M. Rigoni pose clairement un vrai problème. Il propose à notre Assemblée de reconsidérer la décision de 1997 par laquelle elle avait suspendu le statut d'invité spécial du Parlement du Bélarus en raison de violations répétées des droits de l'Homme. Il nous recommande d'adresser à ce Parlement un signal positif montrant que nous prenons en compte des « améliorations majeures, objectives et tangibles ».

Le rapport note, et c'était indispensable, un déséquilibre entre, d'une part, des avancées ponctuelles et encore bien modestes et, d'autre part, l'état réel de la démocratie et des droits de l'Homme dans ce pays, état qui pose toujours problème.

Dès lors, je m'interroge. Pouvons-nous considérer que le corps de nos valeurs - démocratie, primauté du droit et droits de l'Homme - ne forme pas un tout indissociable ? Or, sans droits de l'opposition, par exemple, quel contrôle de la validité et de la durabilité des progrès sur les droits de l'Homme peut-être assuré ?

Le rapport qui nous est soumis propose d'envoyer un signe d'encouragement aux autorités du Bélarus. Sont-elles capables de le recevoir, elles qui demeurent notoirement responsables de restrictions sévères sur les libertés politiques et publiques ? Le gouvernement du Bélarus ne va-t-il pas se prévaloir d'une sorte de brevet de bonne conduite démocratique ? Il est bon de l'encourager à poursuivre sur la voie sur laquelle il est engagé, mais pas à n'importe quel prix ou sans le rendre quitte de tout autre progrès.

Notre rapporteur nous invite donc à juste titre à la plus grande prudence. Il propose de soutenir l'opposition, et il le fallait. Il demande de suivre de très près l'évolution de la situation au Bélarus au cours de l'année qui vient et des suivantes, et il a raison. Soyons toutefois conscients que la tâche est immense. Prenons en considération les nombreuses et importantes évolutions à réaliser en ce qui concerne les prisonniers politiques, le droit et les pratiques électorales, la liberté d'association et de réunion, les droits de l'opposition, la liberté d'expression et évidemment la peine de mort. Gardons-nous donc de tout excès d'optimisme. Interrogeons-nous plutôt sur les motivations profondes des autorités du Bélarus.

N'oublions pas que nous allons dialoguer avec un Parlement dont la légitimité reste discutable, ne serait-ce que parce qu'il ne compte aucun représentant de l'opposition, ce qui est en contradiction flagrante avec nos textes fondateurs.

Le rapporteur a tout de même raison de nous orienter vers le rétablissement de relations avec le Parlement du Bélarus même si sa représentativité pose problème. Nous devrons cependant faire preuve de la plus grande vigilance et maintenir une pression permanente sur nos interlocuteurs. Ceux-ci doivent être parfaitement conscients que si nous leur tendons la main, c'est de façon conditionnelle et que nous demanderons des avancées concrètes et régulières en échange du rétablissement de ce dialogue avec le Parlement de Minsk.

Dans ce dialogue, il est pour moi un sujet au plan des principes qui a donné lieu ce matin à un vrai débat au sein de notre commission politique, c'est-à-dire la peine de mort. Son abolition est au coeur de la Convention européenne des droits de l'Homme. Nous plaidons d'ailleurs pour l'abolition universelle de la peine de mort. Un moratoire est donc bien le minimum à exiger de ceux qui souhaitent bénéficier d'un statut d'invité spécial. A charge pour nous, une fois le dialogue établi, d'obtenir d'eux, et dans les meilleurs délais, une abolition complète et sans conditions.  »

Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a, pour sa part, souhaité que l'on scinde la démarche entreprise par l'Union européenne à l'égard de la Biélorussie de celle du Conseil de l'Europe, fondée sur d'autres valeurs :

« Sans doute est-il bon que la reprise du dialogue politique avec les autorités du Bélarus, formellement interrompu depuis douze ans, ait lieu par la voie parlementaire, mais cela ne va pas sans poser problème. L'article 59.5 de notre Règlement prévoit en effet qu'« un parlement bénéficiant du statut d'invité spécial doit désigner sa délégation de façon à assurer une représentation équitable des partis ou groupes politiques présents en son sein ». Or, le parlement biélorusse ne comprend aucun élu de l'opposition. Nous serons donc contraints de dialoguer avec des collègues à la légitimité plus que douteuse.

Certes, le Bélarus est un État jeune, indépendant depuis 1991 et marqué par son passé soviétique, ainsi d'ailleurs que par la religion orthodoxe. Il a aussi joué un rôle important dans la disparition de l'Union soviétique puisque c'est dans sa capitale qu'il a signé avec la Russie et l'Ukraine, le 8 décembre 1991, les accords instituant la Communauté des États indépendants, mettant fin à l'URSS. C'est également Minsk qui a été choisie pour être le siège de cette organisation. Pourtant la démocratie ne s'est pas enracinée au Bélarus, en dépit de débuts prometteurs sous la direction de son premier président, dont la destitution en janvier 1994 a été fortement influencée par un rapport de M. Loukachenko, qui lui a succédé. Le pays est depuis qualifié de « dernière dictature d'Europe », voire de « poste avancé de la tyrannie » pour reprendre l'expression de l'administration Bush.

Notre rapporteur justifie sa proposition de reprise du dialogue par les progrès réalisés par le Bélarus en matière de démocratisation, par l'échec supposé de la politique d'isolement menée par notre Organisation et par la stratégie de dialogue entamée par l'Union européenne. Chacun de ces arguments me paraît contestable. Il suffit de lire le rapport pour se rendre compte que les avancées consenties par les autorités biélorusses sont extrêmement limitées, surtout face à l'ampleur des violations des droits de l'Homme dont elles se rendent coupables. Quant à l'isolement, il n'a pas empêché l'ouverture d'un « point d'information sur le Conseil de l'Europe » dans la capitale du Bélarus. Enfin, s'il est indéniable que Bruxelles est en train de normaliser ses relations avec Minsk - le Bélarus fait d'ailleurs partie des six pays qui participeront au Partenariat oriental qu'elle a récemment engagé - quels sont les véritables objectifs de l'Union ? Sa position a-t-elle évolué parce que les autorités du Bélarus se seraient soudainement converties à la démocratie ou parce qu'elles cherchent à sortir de leur tête-à-tête stérile avec Moscou ? N'oublions pas que le Bélarus a refusé de reconnaître la prétendue indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud après la guerre entre la Géorgie et la Russie, en août dernier.

Le rapprochement de l'Union européenne avec le Bélarus est bien davantage motivé par des considérations d'ordre économique et géopolitique que relatives aux droits de l'Homme. C'est parfaitement légitime, parce que l'Union européenne est une organisation généraliste. La raison d'être du Conseil de l'Europe, en revanche, est la démocratie, la prééminence du droit, les droits de l'Homme. C'est à l'aune de ces valeurs que nous devrons nous déterminer, dans la clarté et la cohérence des objectifs que nous nous sommes assignés. »

La résolution telle qu'adoptée ne retient comme condition à remplir pour la levée du statut d'invité spécial que la seule adoption d'un moratoire sur l'exécution de la peine de mort. Elle appelle parallèlement les autorités biélorusses à libérer immédiatement tous les prisonniers politiques et effacer leurs casiers judiciaires. Minsk doit également garantir la liberté d'association en autorisant notamment l'enregistrement de l'ONG Nasha Viasna . Des mesures en faveur de l'indépendance des médias, qu'il s'agisse de l'enregistrement de chaînes par satellite ou la création d'imprimeries indépendantes. L'autonomie universitaire et la liberté d'enseignement doivent également être renforcées.

Le rétablissement du statut d'invité spécial est une décision qui relève de la compétence du Bureau de l'Assemblée qui peut l'adopter à la majorité des deux tiers. Cette décision sera prise à l'automne prochain.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page