2. Les DPU renouvelés
Il ne faut pas oublier que les éleveurs reçoivent également des aides aux revenus : les droits de paiement uniques (DPU), censés apporter un complément de ressources particulièrement adapté aux périodes de baisse de prix. Tous les agriculteurs européens préfèreraient vivre dignement de leur production sans être dépendant de cette sorte d'assistance européenne, incomprise et humiliante. L'argument est connu : « Des prix plutôt que des primes ».
« Assurer un niveau de vie équitable aux producteurs » est l'un des cinq objectifs de la PAC énoncés à l'article 33 du traité de Rome. L'objectif des éleveurs est de vivre de leurs produits et non de l'assistance européenne. Les éleveurs préfèreront toujours des prix rémunérateurs à des aides communautaires. Néanmoins, ces DPU peuvent garder un rôle tampon dans les situations de crise. Ces DPU permettent à cette profession de vivre. Dans le secteur laitier, le montant des aides directes représentaient en 2007, environ le quart du revenu total. Pour de nombreux éleveurs, l'abandon des DPU serait une condamnation à mort.
Pourtant, il faut bien reconnaître que le système doit être réformé. Tout particulièrement en France où le système a été calculé sur des références historiques de 2000-2002, chaque année plus injustifiables. Les DPU sont également indéfendables par leur inertie. Dans le système actuel, les DPU sont versés chaque année, quelles que soient les productions et quels que soient les prix. Versés quand les prix sont bas. Et versés quand les prix sont élevés. Il peut donc se produire des situations paradoxales et indéfendables où les agriculteurs, à certains moments, ont à la fois des prix élevés rémunérateurs et des primes européennes.
Ce système ne peut se maintenir en l'état et doit être réformé. Il paraît nécessaire d'imaginer un système de DPU, plus équilibré, plus juste, mieux ciblé sur les secteurs les plus vulnérables, mais aussi modulable en fonction du marché. Est-il pertinent de maintenir des DPU lorsque les prix flambent ? Ne vaudrait-il pas mieux les utiliser comme des amortisseurs de crise qui viendraient en complément des autres instruments de régulation ?.
3. Et demain ?
Cette crise est une épreuve. Mais demain, le marché repartira. On anticipe déjà que la collecte de l'automne 2009 sera la plus faible des dix dernières années. La pénurie jouera son rôle : les prix augmenteront.
Faudra-t-il oublier ce mauvais moment, comme certains déjà, semblent oublier que la crise générale a eu, un moment, le mérite de forcer à une réflexion sur le fonctionnement et les repères de nos sociétés ?
Les Français ne peuvent se résigner à ce passage si rapide de la sécurité à l'insécurité alimentaire, de l'indépendance à la dépendance alimentaire. Les Français ne peuvent se résigner non plus à faire du prix le seul indicateur de performance d'un secteur.
En 1992, le secteur laitier avait provoqué la réforme de la PAC. Aujourd'hui, il peut encore jouer ce rôle en orientant la PAC - seule politique commune pleine et entière - sur de nouvelles bases.
Plusieurs pistes peuvent être évoquées. La première est celle de l'évaluation .
Paradoxalement, toutes les autres politiques - recherche, politique de cohésion... - ont intégré le concept d'évaluation. La PAC, même la nouvelle PAC de 2003 et de l'OCM unique, ne fait pas mention de ce concept. Pourquoi ne pas évaluer la PAC, le secteur laitier, comme les autres secteurs ? Évalue-t-on la recherche au prix des brevets ou à la qualité des innovations ? Évalue-t-on les fonds structurels au prix des fournisseurs ou à la cohésion qu'ils entraînent ?
Il faut faire ce même travail pour la PAC. Évaluer la PAC appliquée au secteur laitier en prenant en compte sa compétitivité, bien sûr, mais aussi ses performances en termes d'emploi, de cohésion sociale, d'équilibre des territoires, d'harmonie, de solidarité, d'environnement ... Autant de critères complémentaires, mais justes et défendables.
L'une des missions de la prochaine PAC sera de définir des critères d'évaluation qui ne seront pas les seuls crédits budgétaires et les prix les plus compétitifs.
Dans cette liste, il faudra faire une place à la biodiversité . Quel est l'apport des élevages laitiers « à la française » ou « à l'irlandaise » ou « à la polonaise » en termes de biodiversité ? Dans ces pays, les vaches sont encore dans les champs, c'est-à-dire vivent dans des espaces ouverts et entretiennent la vie, un foisonnement, un écosystème complet et crucial.
La France, à plusieurs reprises, a exprimé ses réserves à l'égard du « modèle alimentaire unique » proposé, par petites touches, par la Commission européenne (profils nutritionnels, coupage du vin, alimentation issue d'animaux clonés ...). De même qu'il ne peut y avoir de modèle alimentaire unique, il ne doit pas y avoir de race unique conservée, multipliée, clonée à l'infini sous prétexte qu'elle assure les meilleurs rendements laitiers. L'Europe pourrait aussi faire le choix de préserver son patrimoine animal, ses dizaines de races bovines dont certaines disparaissent - la vache de Bazougers, dont il ne subsiste que quelques spécimens issus du clonage -, ou régressent telle que la Jersiaise, vache magnifique utilisée jadis dans les troupeaux pour accentuer la proportion de matières grasses dans le lait... Le différentiel de « rendement » les condamne sur l'autel de la compétitivité et au détriment de la biodiversité. Le maintien de la biodiversité est une responsabilité collective qui pourrait être soutenue par l'Union européenne.
L'agriculteur, parfois accusé de polluer, peut aussi avoir pour mission de préserver la biodiversité et cette mission essentielle peut et doit être rémunérée au juste prix.