COMPOSITION DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
La mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes comprend 36 sénateurs :
Mmes Eliane Assassi, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, M. Jean Desessard, Mmes Sylvie Desmarescaux, Bernadette Dupont, MM. Jean-Léonce Dupont, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Paul Fournier, Patrice Gélard, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Annie Jarraud-Vergnolle, Sophie Joissains, Virginie Klès, Françoise Laborde, MM. Antoine Lefèvre, Jacques Legendre, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Mahéas, Pierre Martin, Jacques Mézard, Alain Milon, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jackie Pierre, Mmes Janine Rozier, Catherine Tasca, M. Michel Thiollière, Mme Catherine Troendle, M. Jean-François Voguet.
Elle est ainsi composée, son bureau ayant été nommé lors de sa réunion constitutive du 18 mars 2009.
Présidente : Mme Raymonde LE TEXIER (Soc - Val d'Oise)
Vice-présidents : M. Jean-Léonce DUPONT (UC - Calvados)
Mme Virginie KLÈS (Soc-App. - Ille-et-Vilaine)
Mme Françoise LABORDE (RDSE - Haute-Garonne)
Mme Janine ROZIER (UMP - Loiret)
M. Jean-François VOGUET (CRC-SPG - Val-de-Marne)
Secrétaires : M. Yves DAUDIGNY (Soc - Aisne)
Mme Sylvie DESMARESCAUX (NI - Nord)
M. Pierre MARTIN (UMP - Somme)
M. Michel THIOLLIÈRE (UMP - Loire)
Rapporteur : M. Christian DEMUYNCK (UMP - Seine-Saint-Denis)
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EFFECTUÉES AU SÉNAT
Audition de M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Évaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc)
(24 mars 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous recevons Matthieu Angotti, qui est directeur du département évaluation des politiques sociales du Crédoc, et qui est l'auteur de l'étude « Quelle deuxième chance pour les jeunes en difficulté ». Le Sénat commence à travailler sur cette mission sur la politique en faveur des jeunes. C'est notre première audition aujourd'hui.
Pourquoi cette mission ? Cela va de soi : nous faisons tous le constat depuis longtemps et, a fortiori, ces derniers mois, que les jeunes de 16-25 ans prennent de plein fouet toutes les difficultés économiques : problèmes de formation, problèmes d'emploi, problèmes de logement, problèmes de santé, problèmes d'autonomie ou d'absence d'autonomie financière. C'est l'ensemble de ces problèmes que nous voudrions traiter, dans un temps très court puisque nous devons rendre, au minimum, un rapport d'étape fin mai. Notre travail va donc être intense et un peu ramassé. Nous souhaitons donc que les personnes que nous écoutons, que nous auditionnons, soient le plus pragmatiques possible : quel a été votre constat dans la problématique à laquelle vous vous êtes intéressé, qu'est-ce qui, de votre point de vue, va bien, qu'est-ce qui va mal et quelles seraient vos suggestions et vos propositions ? Si vous ne deviez nous en faire que deux, lesquelles pourriez-vous nous faire ? Et si vous voulez nous en faire plus...
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - En fait, j'en ai trois.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous irons alors jusqu'à trois. Je vous précise également que les auditions sont enregistrées et diffusées sur Public Sénat, ainsi que sur Internet. Nous allons vous passer la parole, merci.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Bonjour et merci de m'accueillir. Le travail que je vais vous présenter est un travail de recherche du Crédoc, association sous tutelle du ministère de l'économie qui reçoit à ce titre une subvention de recherche, ce travail est un travail public, financé au titre de cette subvention. Il a été réalisé tout au long de l'année 2008 et publié en 2009.
Nous nous sommes penchés sur la problématique que nous avons appelée la « problématique de la deuxième chance ». L'idée, c'est que, en sortant des études, il y a un grand nombre de jeunes qui ne parvient pas à s'insérer durablement sur le marché du travail, manquant ainsi leur première chance d'insertion professionnelle. Pour ces jeunes, qui sont donc en difficulté sur le marché du travail, intervient cette problématique de la deuxième chance : ont-ils une possibilité de rebondir après ce premier échec et de trouver, dans un deuxième temps, un emploi durable ? Et, si nous pouvons leur offrir cette chance, par quel moyen cela passe, comment les aider et les prendre en charge de façon à ce qu'ils saisissent cette deuxième chance. Voilà donc le coeur de la problématique que nous avons étudiée. Nous sommes vraiment sur une problématique très « insertion professionnelle », et sur cette catégorie des jeunes qui ont échoué dans leur insertion après leurs études.
Concrètement, voici ce que je vais vous présenter aujourd'hui : d'abord, qui sont ces jeunes en difficulté sur le marché du travail ? Ensuite, quels sont les obstacles à la prise en charge de ces jeunes pour les aider à saisir cette deuxième chance ? Quelles sont les approches politiques de cette prise en charge, aujourd'hui ? En conséquence, quels sont les acteurs et dispositifs en place (ce qui constitue, en quelque sorte, le versant concret des approches politiques) ? Pour finir, comment les employeurs se positionnent-ils face aux jeunes en difficulté ? et, ce qui est un des noeuds du problème : comment ces jeunes sont accueillis par les employeurs ? J'ai donc trois recommandations, dont deux principales.
Je commence tout de suite par les jeunes en difficulté sur le marché du travail : nous nous appuyons sur des données de l'Insee - des données de l'enquête sur la formation et la qualification professionnelle - car nous tenions vraiment à avoir des chiffres, nous voulions commencer en nous demandant : « C'est qui ?» Et : « Ils sont combien ? » Notre tranche d'âge, de 18 à 29 ans, est un tout petit peu différente de celle des 16-25 ans, mais elle nous paraissait plus pertinente pour notre problématique de l'insertion professionnelle, et ce que je vais vous dire aujourd'hui reste tout à fait valable pour les 16-25 ans.
Premier point : il y a, aujourd'hui, en France, 8,8 millions, un peu moins de 9 millions de jeunes âgés de 18 à 29 ans et il y en a, à peu près, 5,5 millions qui ont fini leurs études : nous parlons de cette dernière catégorie.
Ensuite, qu'est-ce que nous entendons par « être en difficulté sur le marché du travail ? » et « qu'est-ce qu'un emploi de qualité ? » C'est une notion par définition subjective, parce qu'un emploi de qualité, chacun va le définir à sa manière, cela correspond aux aspirations de chacun. Globalement, quand nous regardons les études qui ont été faites sur la question, il y a trois notions-clés sur cette notion « d'emploi de qualité » : il y a la notion de stabilité - est-ce que mon emploi est un emploi stable, est-ce qu'il me permet d'anticiper, l'avenir, mon budget du mois prochain, mais aussi le fait que je vais pouvoir avoir un travail dans les années qui viennent - il y a la notion de confort, au sens très large du terme - c'est-à-dire le confort des conditions de travail, que ce soit en termes de sécurité, mais aussi les questions d'horaires, d'adaptation des horaires à son train de vie et à celui de ses enfants - et, enfin, il y a la notion des perspectives : « est-ce un travail qui m'offre des perspectives, d'éventuelles évolutions de carrière ? ».
Cette notion d'emploi de qualité est flou pour que nous puissions l'étudier comme cela. Nous nous sommes donc fixés un point de repère, forcément arbitraire : le CDI à temps plein. Evidemment, qui dit CDI à temps plein ne dit pas forcément emploi de qualité, et qui dit emploi de qualité ne dit pas forcément CDI à temps plein. Il n'empêche que, si nous devions prendre un repère arbitraire, c'est celui-là le plus percutant et le plus pertinent.
Et donc, nous nous sommes dits : « combien de jeunes sortis des études sont en CDI à temps plein ? » (ils sont 44 %) et : « où sont les autres ? » Nous avons alors défini des types d'éloignement de l'emploi de qualité par rapport au CDI à temps plein : nous avons défini l'éloignement relatif, en y mettant le CDI à temps partiel, le CDD et l'intérim à temps plein ; nous avons défini l'éloignement fort : c'est le CDD ou l'intérim à temps partiel, les contrats aidés et le chômage ; et nous avons défini une troisième catégorie qui est « hors du marché du travail », c'est-à-dire des jeunes qui ne sont même pas, officiellement, en demande d'emploi. Cela permet d'avoir des repères et, du coup, de chiffrer ensuite les jeunes en difficulté sur le marché du travail. Cela aboutit à ce schéma un tout petit peu compliqué et, surtout, à ce constat qui nous a un peu surpris : c'est qu'il y a donc, aujourd'hui, en France, plus de 1,7 million de jeunes âgés de 18 à 29 ans sortis d'études qui sont en CDD ou intérim à temps partiel, en contrat aidé, au chômage ou en dehors du marché du travail.
Ce que l'on peut dire, c'est que, même si, parmi ce 1,7 million de jeunes, certains ont choisi d'être en CDD ou en intérim à temps partiel, certains ont choisi d'être en dehors du marché du travail, il y a des femmes et des hommes au foyer, il y en a aussi, parmi les 18-29 ans, qui assument pleinement leur statut, il n'empêche que cette question de la deuxième chance touche, au minimum, des centaines de milliers de jeunes. Nous avons été étonnés de découvrir un tel chiffre. Nous considérons que ces chiffres-là montrent bien à quel point ce n'est pas marginal.
Voilà donc le premier constat que nous avons fait. Ensuite, nous nous sommes dit que nous allions affiner un petit peu. Parmi ces jeunes en difficulté sur le marché du travail, il y a des facteurs de risque. Etre une femme, c'est un facteur de risque : il y a plus de chances d'être éloigné de l'emploi durable pour une femme que pour un homme. Si la personne est peu qualifiée, elle a plus de risques, mais aussi quand elle a une formation à caractère généraliste ou très théorique : elle prend alors largement plus de risque qu'en ayant une formation à l'optique professionnelle, comme BTS, DUT, licence professionnelle ou master professionnel. La personne a aussi plus de chances d'être éloignée de l'emploi de qualité lorsqu'elle vient d'une Zone urbaine sensible, ou quand ses deux parents ne sont pas européens. Voilà, c'est une série de facteurs de risques que nous avons relevés.
Et au final, nous avons construit une typologie des jeunes en difficulté sur le marché du travail, en nous intéressant uniquement à ce que nous avons appelé « l'éloignement fort » - CDD ou intérim à temps partiel, le chômage et les contrats aidés. Et nous nous sommes aperçus qu'il existe deux catégories que nous aurions pu repérer intuitivement et que tout le monde connaît, à savoir, des jeunes qui ont une très faible formation et viennent de milieux plutôt défavorisés. Donc ceux que nous avons appelés « jeunes marginalisés » sont ceux qui ont un faible capital académique et sont issus d'un milieu défavorisé, plutôt âgés - au-delà de 26 ans - qui sont durablement marginalisés ; et des jeunes « rapidement décrocheurs », ceux-là ont moins de 24 ans et sont déjà en dehors des circuits de l'emploi durable. Tout cela totalise plus de 60 % de l'ensemble.
Il n'empêche qu'il en reste quasiment 40 % qui sont soit juste bacheliers, soit diplômés du supérieur, c'est-à-dire avec un bagage académique qui est loin d'être négligeable, qui sont souvent issus de milieux qui sont loin d'être modestes, mais qui sont en inadéquation entre leur qualification, leur propre réseau personnel et le marché du travail. Donc, l'éloignement de l'emploi de qualité ne touche pas que des jeunes marginalisés, que des jeunes qui ont eu ni formation, ni structures sociales derrière eux, cela peut toucher aussi beaucoup de jeunes issus de milieux plus favorisés.
Tel est le tableau que nous avons brossé des jeunes en difficulté sur le marché du travail. Ensuite, nous nous sommes posé la question : « quels sont les obstacles à leur prise en charge ?» ; « pourquoi ces jeunes restent en dehors des circuits de l'emploi durable ? » ; « qu'est-ce qui fait qu'ils ont des difficultés d'insertion ? ». Et là, nous nous sommes aperçus qu'il y a beaucoup de difficultés. D'abord, il ne faut pas négliger leur propre représentation d'eux-mêmes, c'est-à-dire comment, eux, ils se positionnent en tant qu'individus dans la société et, plus particulièrement, face au marché du travail. Nous nous apercevons que, globalement, la plupart des jeunes, quels qu'ils soient, ont aujourd'hui une vision relativement pessimiste et surtout assez angoissée de leur avenir professionnel, avec l'idée que, compte tenu du chômage de masse, aujourd'hui surtout avec la crise, leur potentiel d'intégration sur le marché du travail est relativement limité, sinon en danger. Cela, à la limite, est transverse à toutes les générations et c'est assez variable selon les années.
Ce qui est très fort, c'est que du côté des jeunes qui viennent de milieux défavorisés et qui, en général, ont peu de qualification, il y a des choses beaucoup plus profondes qui se sont construites tout au long de leur jeunesse, autour de stéréotypes, du type « je ne suis pas adapté au monde du travail », « le monde du travail ne m'acceptera jamais ». Dans ces cas-là, ils verrouillent - il y a beaucoup de travaux sociologiques là-dessus, sur cette notion de verrou - c'est-à-dire comment ils fixent des représentations personnelles totalement en clivage par rapport au monde du travail ; et ce sont ces verrous, ces représentations professionnelles, qui peuvent entraîner l'image classique de comportements passifs, voire agressifs, à l'égard des employeurs. Il y a donc un très gros problème de manque de confiance en soi et, surtout, d'image de soi verrouillée, comme n'appartenant pas au monde du travail, qui entraînent, qui peuvent faire que les employeurs - c'est une minorité - nous le verrons par la suite, ont des images assez négatives des jeunes sur le marché du travail.
Il y a ensuite des problèmes qui sont indépendants des jeunes eux-mêmes, c'est-à-dire la difficulté d'accès à l'offre disponible. Nous savons, par exemple, que Pôle Emploi (anciennement l'ANPE) ne recense pas toutes les offres sur le marché du travail, loin de là. Nous savons aussi que, même si il y a tout un tissu - nous allons le voir tout à l'heure - de dispositifs pour que les jeunes puissent aller chercher les informations, les jeunes n'y vont pas tous, et ce n'est pas si facile d'aller chercher des informations : ils ne sont pas tous connectés à Internet, ils n'ont pas tous la possibilité d'avoir l'offre disponible.
Il y a, ensuite, ce que l'on peut appeler « le mur » des difficultés pratiques : beaucoup de ces jeunes ont des problèmes de mobilité, ils n'ont pas forcément le permis, pas forcément de véhicule, ils n'habitent pas forcément dans une zone où il y a un tissu de transports en commun suffisant. Ils ont parfois des problèmes de santé, parfois des problèmes de santé mentale, d'addiction, ils ont des problèmes de logement. Ils ont aussi, globalement, des problèmes de précarité financière. Nous sommes dans le coeur du débat aujourd'hui : c'est vrai, ces jeunes, surtout les moins de 25 ans, échappent, pour la plupart, sauf ceux qui ont des enfants, au RMI et, bientôt, au RSA. Les rémunérations de l'apprentissage, du contrat de professionnalisation et des contrats aidés ne permettent pas d'être autonome, il faut habiter chez ses parents pour pouvoir vivre avec les rémunérations qui y correspondent.
Donc il y a des difficultés pratiques qui sont très fortes. Il y a le problème de l'accès à une qualification consistante pour ceux qui souffrent de manque ou de mal qualification. Souvent, les jeunes critiquent les dispositifs de formation auxquels ils ont droit, en disant : « c'est de l'occupationnel », « on nous fait des petites évaluations, des petits bilans de compétence, des petites formations en langue ou à l'informatique, mais rien de vraiment professionnalisant ». Et, au final, même si un jeune est bien préparé, il y a toujours la barrière du recrutement, à savoir l'adoption des codes de l'employeur : savoir faire un CV, une lettre de motivation, savoir se présenter devant un employeur... Mais cela, vous le savez parfaitement.
Mais il n'empêche que, lister toute cette série d'obstacles, qui se dressent entre le jeune en difficulté et l'emploi durable, fait que nous pouvons remettre en cause une idée classique, qui est celle que je présente dans le schéma suivant, à savoir que : dans le fond, il y a tant de centaines de milliers d'offres disponibles d'un côté, il y a tant de centaines de milliers de jeunes de l'autre qu'il suffirait de faire se rencontrer l'un et l'autre, et puis le problème est réglé. Non, cela ne marche pas comme ça, il ne suffit pas de faire se rencontrer l'offre et la demande. Il y a tout un travail à faire et donc, nous l'avons présenté sous forme circulaire parce que, malheureusement, le circuit est parfois en boucle et recommence à chaque fois : travailler sur les représentations personnelles, accéder à l'information sur l'offre, résoudre les difficultés pratiques et personnelles, accéder à une formation qualifiante et, finalement, être soutenu pour le recrutement.
Tout cela fait qu'il y a une nécessaire prise en charge globale des jeunes qui sont en difficulté sur le marché du travail, et qui est absolument nécessaire pour qu'ils puissent franchir tous ces obstacles.
Face à ces constats que, nous, nous refaisons là, mais que nous ne sommes pas les premiers à faire, mais que nous avons essayé de synthétiser du mieux que nous pouvions, il y a des approches politiques de la prise en charge de ces jeunes et nous constatons qu'il y a énormément d'attention portée à cette problématique et d'initiatives qui sont prises. A différents échelons de subsidiarité, d'abord à l'échelle européenne, c'est très présent dans la Stratégie de Lisbonne, dans la Stratégie européenne pour l'emploi, dans les programmes nationaux d'action pour l'inclusion sociale, à chaque fois, même dans le programme du Fonds social européen pour les années 2007-2013, partout, en très bonne place, nous trouvons la problématique de l'insertion des jeunes, les jeunes sans qualification, etc.
A l'échelle nationale, ensuite, il y a énormément d'initiatives. Le problème, c'est que cela crée un paysage qui est relativement difficile à cerner. D'abord, il y a beaucoup d'angles politiques qui sont concernés : il y a l'angle « emploi et formation professionnelle », il y a l'angle « lutte contre la pauvreté » - on sait aujourd'hui que Martin Hirsch lance tout une série d'expérimentations sur la question des jeunes, en tant que Haut commissaire à la jeunesse, mais aussi aux solidarités actives - il y a l'angle « politique de la ville », il y a l'angle, parfois, de la justice avec la Protection judiciaire de la jeunesse, il y a l'angle « discrimination »... Tout cela, on va le voir, produit un émiettement des dispositifs. Il y a aussi, parfois, un problème de cohérence dans le temps, avec cette tendance, sur ce sujet-là, à avoir des dispositifs qui s'enchaînent, qui remplacent les précédents, mais qui complexifient la donne.
Les deux exemples types, ce sont les contrats aidés - il y a eu les Tup, puis les emplois jeunes, puis les contrats jeunes en entreprise, maintenant les contrats d'accompagnement dans l'emploi et les contrats d'avenir : tout cela a tendance à rendre le paysage confus - et les dispositifs d'accompagnement - il y a eu Pacte, puis Trace, puis Civis et maintenant le contrat d'autonomie - et, à chaque fois, cela rend les choses encore plus difficiles à suivre, à la fois pour les jeunes, pour les acteurs de terrain et puis pour les employeurs.
Enfin, un dernier élément de complexification : il y a une dynamique de décentralisation très forte, dans tout le champ de la solidarité. Aujourd'hui, on ne compte plus les initiatives, même extralégales, des collectivités territoriales, les régions sur le domaine de la formation notamment, mais aussi les départements, mais aussi les CAF, mais aussi les Chambres de commerce et d'industrie qui interviennent sur ce domaine. Dans notre recherche, nous avons fait un panorama assez exhaustif de tous ceux qui interviennent. Interviennent pour le soutien et la deuxième chance des jeunes en difficulté, les organismes qui participent au service public de l'emploi (ANPE-UNEDIC devenus Pôle Emploi et, bien sûr, le réseau des missions locales dont c'est vraiment la mission propre), les structures de réinsertion par l'activité économique, les associations intermédiaires, les entreprises de réinsertion, etc. Il y a de nouveaux acteurs de l'insertion privés qui interviennent de plus en plus, parce qu'il y a là aujourd'hui une niche, avec notamment la fin du monopole de l'ANPE : il y a des groupements d'employeurs qui se mettent à travailler sur ces questions, notamment les groupements d'employeurs pour l'insertion et les qualifications (les Geiq) ; il y a aussi une grande entreprise comme Ingeus, des plus petites entreprises comme le cabinet Nécessité...
Il y a donc les structures territoriales (régions, départements, chambres de commerce, Caf, etc.) et il y a les organismes de formation, dont les deux plus emblématiques dans notre domaine sont les Écoles de la deuxième chance d'une part, et les Centres défense deuxième chance de l'autre, les premières étant plutôt portées par les départements et les régions, les secondes plutôt par le ministère de la Défense en partenariat avec d'autres acteurs. Et ces deux-là - les Écoles de la deuxième chance et les Centres Défense deuxième chance - sont vraiment orientés sur le public des jeunes en difficulté, ils prennent en charge des 16-25 ans qui ont décroché de l'univers scolaire et, avec des méthodes adaptées, très orientées sur l'apprentissage de métiers techniques et sur les expériences professionnelles, essayent de les réinsérer durablement sur le marché du travail.
Pour récapituler, nous avons choisi cette expression du « Mille-feuilles de la deuxième chance », parce qu'il y a énormément d'acteurs qui interviennent, avec des changements assez réguliers en termes de législation et de dispositifs. Et, du coup, cela crée une grande confusion, une faible lisibilité. Pour essayer d'y voir un peu plus clair, nous avons dégagé cinq grandes modalités de prise en charge. Tout ce qui concerne l'accompagnement : être suivi par un professionnel (ou par un bénévole, ce que l'on appelle le parrainage, les missions locales développent cela, de nombreuses fondations aussi), la notion de bourse pour être suivi (comme dans le contrat d'autonomie) ; des actions ponctuelles : essayer de résoudre les difficultés pratiques (logement, santé, mobilité), des immersions en entreprise de courte durée ; la notion de formation : l'accès à la formation professionnelle (les Écoles et les Centres de la deuxième chance) ; les emplois de transition, c'est-à-dire les emplois de type contrats aidés, l'insertion par l'activité économique ou le travail temporaire ; et les contrats en alternance (professionnalisation et apprentissage), et le Pacte dans la fonction publique.
Ces cinq domaines ne sont pas exclusifs puisque, en fait, dans les Écoles de la deuxième chance, il y a de l'accompagnement et de l'emploi de transition. Dans les contrats aidés, il y a de la formation. Ils ne sont donc pas exclusifs les uns des autres, mais permettent, dans un champ extrêmement complexe, d'y voir un peu plus clair. Là aussi, nous avons présenté cela sous forme circulaire, parce qu'une grande partie des jeunes a tendance à aller d'un type de dispositif à l'autre.
La question que pose la complexité de ce grand nombre de dispositifs : « Que deviennent ces jeunes qui sont pris en charge par ces dispositifs ? ». D'abord ceux qui sont pris en charge avec succès : nous constatons une tendance lourde qui consiste à orienter ces jeunes vers ce que l'on appelle les métiers en tension. Cela ne pose pas de problème pour une bonne partie des jeunes qui sont simplement à la recherche d'un travail mais cela peut poser des problèmes pour les jeunes dont ce n'est absolument pas le projet professionnel, c'est-à-dire qu'ils sont orientés massivement vers une série de métiers, une série de secteurs, qui ne sont pas forcément ceux de leur choix. La deuxième question qui se pose : « ces jeunes qui sont pris en charge, mais sans succès ? ». Quand nous regardons les taux de sortie « positive » à la sortie de tous les dispositifs dont je parlais, il y a énormément de jeunes n'en sortent pas vers le haut et ce sont eux qui continuent à tourner en circuit fermé, allant de dispositif en dispositif.
Il reste l'épineuse question des jeunes que l'on peut appeler « invisibles », c'est-à-dire ceux que l'on ne voit jamais dans les dispositifs. Je vous rappelle qu'il y a 430 000 jeunes qui sont hors du marché du travail. Parmi eux, il n'y a pas que des jeunes qui sont « invisibles » mais également des jeunes qui ont choisi d'être en dehors du marché du travail ; il n'empêche, il y a certainement des dizaines de milliers de jeunes qui ne sont jamais atteints par les dispositifs. Il faut reconnaître que ces dispositifs sont relativement sélectifs, parce que leurs financements dépendent aussi de critères de réussite. Du coup, cette sélectivité, si les critères ne sont pas adaptés à ces jeunes qu'on ne voit pas, fait qu'ils ne sont pas pris en charge par ces dispositifs.
Ce « panorama de la deuxième chance » fonctionne difficilement aujourd'hui. Et nous en venons à nous poser la question : « finalement, ces jeunes, s'ils ont tant de difficultés à s'insérer sur le marché du travail, est-ce que ce n'est pas aussi de la responsabilité des employeurs ? » Comment se positionnent ces employeurs par rapport à des jeunes en difficulté sur le marché du travail ? D'abord, pour les dédouaner, il faut constater qu'il y a, en France, depuis 25 ans, un phénomène qui s'appelle le chômage de masse, et que ce n'est pas de la faute directe des entrepreneurs. Dans un climat de chômage de masse, et particulièrement en temps de crise, il est bien évident que, malheureusement, les jeunes, comme les autres, subissent cet état de fait. Le problème est qu'ils le subissent plus que les autres.
Cela n'empêche pas que, dans ce contexte-là, une notion a émergé en France, surtout dans les années 90, qui est la notion de « responsabilité sociale des entreprises », avec un mouvement massif à la fois de l'opinion (au sens large), de la sphère politique mais aussi des entreprises elles-mêmes, à savoir : « Est-ce que nous n'avons, nous, pas un rôle à jouer en termes d'inclusion sociale et, pourquoi pas, sur l'insertion des jeunes en difficulté ? » Alors, ce sont plutôt des positions de principe aujourd'hui. Si nous regardons le positionnement des partenaires sociaux, nous nous apercevons d'abord que les représentants des salariés sont très timides sur la question, puisque leur travail, au départ, c'est de protéger ceux qui sont déjà en emploi, et pas ceux qui sont en recherche d'insertion. Mais il n'empêche qu'ils commencent à se positionner. Et il y a une très grande ambiguïté du côté des représentants du patronat, qui sont très proactifs dans leurs discours mais qui, une fois confrontés à leurs responsabilités - on l'a vu au cours du Grenelle de l'insertion - ont bloqué toute initiative vraiment concrète. Il n'y a pas eu d'engagements très concrets du patronat à ce moment-là, sur la question : « est-ce que les entreprises devaient être contraintes à agir sur ces questions-là ? ».
Il y a quand même des leviers pour essayer de mobiliser les entreprises. D'abord, les entreprises ont besoin de recruter, et c'est au moment où elles ont besoin de recruter que nous pouvons les solliciter. Elles ont besoin d'être à l'écoute de leur marché ; et, en termes de communication, il y a en a beaucoup qui communiquent sur cette question de responsabilité sociale, ce qui peut entraîner des actions par la suite. Il y a des contraintes réglementaires sur les marchés publics, sur l'insertion des travailleurs handicapés, des jeunes travailleurs handicapés. Il y a aussi une contrainte sur l'apprentissage pour les entreprises de grande taille. Bref, il peut y avoir des leviers. Mais il y a aussi des freins. Il y a le frein très fort du diplôme, très fort en France que nous avons appelé « le rubicond du diplôme », c'est-à-dire que les entreprises, surtout les plus grandes, ont des processus de recrutement extrêmement rigides, où il y a d'un côté les postes, les fiches de postes, et, de l'autre, les diplômes correspondants, et c'est très difficile d'en sortir.
Il y a des préjugés habituels vis-à-vis des publics en insertion, des discriminations. Vous connaissez peut-être les travaux de M. Amadieu du Bureau international du travail sur cette question : l'âge fait partie de ces questions de discrimination. Et puis, il y a une peur spécifique du comportement des jeunes (j'en parlais tout à l'heure), avec cette image d'Epinal du jeune inemployable, du jeune qui n'est jamais à l'heure, du jeune qui se comporte mal, du jeune qui est passif ou agressif, et qui, en fait, même si cela concerne une toute petite minorité des jeunes en difficulté sur le marché du travail, est encore très forte dans l'esprit des employeurs.
Bref, nous travaillons depuis deux ans sur cette question, nous nous apercevons qu'il y a un très fort effet de taille : ce sont plutôt les PME qui mettent en place des actions concrètes pour l'insertion des jeunes en difficulté. Il y a un effet « opportunité » : ce sont plutôt les entreprises qui ont besoin de recruter qui le font (cela paraît évident, mais il n'empêche qu'en dehors des entreprises qui ont vraiment des besoins très forts de recrutement, il n'y a pas grand-chose qui se passe). Il y a un effet « personnalité » qui est très fort, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait un manager qui soit convaincu et, sur des territoires, on s'aperçoit que dès qu'il y a un manager convaincu, tous les acteurs de l'insertion lui envoient les publics en difficulté : ils sont repérés en deux minutes, et tous les publics en difficulté sont drainés vers eux, autour de ces cinq ou six managers.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Ils restent convaincus combien de temps ?
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - En général, ils restent convaincus assez longtemps, mais c'est pour eux une situation difficile parce qu'ils se retrouvent avec un flot de demandes. Donc, aujourd'hui, l'insertion : les employeurs vraiment actifs sont des entreprises de petite taille, qui ont des besoins de recrutement et dont le manager est convaincu. Nous sommes loin d'une généralisation massive de l'implication des entreprises.
Pour conclure, il y a des centaines de milliers de jeunes qui sont concernés par cette problématique de la deuxième chance, qui sont en difficulté après un premier échec d'insertion. Il y a un paysage très riche et une vraie volonté politique de s'y investir, mais c'est très confus et difficile d'y voir clair ; il y a une sorte de fatalité dans les parcours, parce que beaucoup sont drainés vers les métiers en tension, même si cela ne correspond pas à leur projet. Et ceux qui n'arrivent pas à suivre ce qu'il leur est proposé, en général, restent en circuit fermé ou disparaissent de la circulation ; et il y a une certaine frilosité des employeurs, surtout en temps de crise, pour s'investir sur ces questions.
S'agissant de nos recommandations, nous avons constaté à quel point les missions locales, depuis 25 ans, faisaient un travail de terrain, à quel point elles étaient bien inscrites dans les territoires, et notamment dans les quartiers classés zones urbaines sensibles. Nous sommes donc favorables à ce qu'elles soient officialisées en tant que service public de deuxième chance, avec les moyens à la clef, une vraie légitimation des missions locales sur les territoires. Il y a une deuxième recommandation à propos de la lutte contre la pauvreté : je le disais tout à l'heure, il est impossible de vivre correctement avec un salaire d'apprenti, de contrat d'insertion, de contrat aidé, de contrat de professionnalisation, si l'on n'habite pas chez ses parents. Il y a vraiment une problématique autour de cette question de la lutte contre la pauvreté ; et puis il y a cette notion de mobilisation massive des employeurs, qui, aujourd'hui, à l'exception de certaines PME actives sur les territoires, pour des questions de conviction et de besoin, reste dans les beaux discours, mais relativement peu active sur le terrain.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Merci pour cet exposé qui est très exhaustif. J'aurais tout de même quelques questions à vous poser. Cette étude que vous avez effectuée, vous l'avez réalisée à partir de quoi ? Vous avez évoqué tout à l'heure les statistiques Insee. Ensuite, comment avez-vous réussi à arriver à ces conclusions sur tous les sujets que vous avez abordés ? La deuxième question concerne l'orientation des jeunes vers les secteurs en tension : j'ai bien compris que vous disiez qu'il fallait le faire, mais qu'il y avait d'autres solutions ; j'aimerais que vous puissiez nous dire quelles mesures alternatives vous proposez à cela, c'est-à-dire pour mettre en adéquation les jeunes qui sont en recherche d'emploi et les offres d'emploi. Par ailleurs, vous nous proposez la fixation de quotas d'embauches, de jeunes de 18 à 29 ans en insertion : j'aimerais que vous nous expliquiez un peu comment cela fonctionne, c'est-à-dire que vous détaillez les modalités d'application de cette mesure, comment vous identifiez les jeunes ; et quelles mesures, à votre sens, pourraient favoriser la mobilisation des entreprises.
Vous indiquez aussi que vous êtes favorable à la mise en place d'une allocation d'insertion pour les jeunes de 18-29 ans. Là aussi, pouvez-vous rentrer un peu plus dans les détails : comment vous voyez les choses, comment cela fonctionnerait, comment cela se coordonnerait avec le RSA et, toujours la même chose, comment peut-on inciter les entreprises à s'investir ? Et puis, la dernière : vous avez évoqué les missions locales en disant que c'était, à votre sens, la structure qui devait organiser, qui devait être l'unique structure dans le millefeuille que vous évoquiez tout à l'heure. Pourquoi les missions locales ? Est-ce que vous avez des statistiques sur les résultats qu'elles obtiennent ? Enfin, comment êtes-vous arrivé à considérer que les missions locales étaient véritablement la structure qui devait s'occuper de ces jeunes ?
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - D'abord, d'un point de vue méthodologique : effectivement, sur la première partie, nous nous sommes appuyés sur les données de l'Insee. Ensuite, c'est une approche du terrain, une approche qualitative, que nous menons depuis deux ans... C'est d'abord cette approche terrain, en rencontrant des acteurs de l'insertion d'un côté, des personnes dans les entreprises (des recruteurs) de l'autre, et des jeunes, dans un troisième temps. L'année dernière et cette année, nous avons rencontré toute une série d'acteurs, que ce soit au sein des ministères, au sein des structures territoriales, au sein des missions locales, et puis dans les entreprises (grandes et moins grandes), dans les structures d'insertion, etc. Nous nous appuyons aussi sur tout le travail de fond que, dans le département d'Évaluation des politiques sociales, nous faisons, en permanence, puisque nous sommes amenés à travailler depuis des années auprès de personnes en difficulté ; nous faisons des évaluations, en fait, auprès de bénéficiaires des minima sociaux, auprès des bénéficiaires de tel ou tel dispositif, de contrats aidés, d'accès à la formation, de missions locales, etc. Nous nous sommes appuyés aussi sur cette expertise.
Ensuite, je suis convaincu qu'il faut absolument qu'une bonne partie des jeunes aillent vers ces métiers en tension : il y a des besoins de recrutement et les jeunes peuvent tout à fait correspondre. Nous savons qu'il y avait 40 % des jeunes en difficulté sur le marché du travail qui avaient au moins le bac, sinon beaucoup plus : pour ces jeunes-là, en général, les propositions restent des propositions de métiers en tension, c'est-à-dire dans la construction, dans la logistique, dans l'hôtellerie-restauration. Cela ne correspond pas forcément à leurs aspirations, à leur projet. Alors comment faire ? C'est extrêmement compliqué : cela tient beaucoup à des questions de culture de recrutement. Et là, c'est sur cette question de la mobilisation massive des employeurs qu'il faut jouer, sur cette notion de diplôme, comment pouvons-nous - cela, c'est le premier point - jouer sur la culture de recrutement des entreprises, et, notamment, des plus grandes ? Ce n'est pas vrai que quelqu'un qui a juste son bac ou une licence de sociologie ne peut absolument pas faire du marketing, de la communication, de la vente, des achats : c'est faux, ils ne sont pas obligés d'être issus d'une grande école de commerce. Il y a donc un point à jouer là-dessus.
Et puis, il y a cette notion de formation professionnalisante, l'accès à la formation professionnalisante, une fois sorti des études. Nous ne le traitons pas dans ce dossier-là parce que nous ne pouvions pas tout traiter, mais, évidemment, cela renvoie à des questions sur la première chance : comment, du côté de l'éducation nationale, sommes nous en mesure, avant qu'il y ait un échec, de travailler sur la notion de professionnalisation ? Pour ce qui est de ce sujet-là, c'est la culture de recrutement et l'accès à la formation professionnalisante qui permet de compléter les formations très théoriques.
Les quotas d'embauche, cela va avec la question suivante, sur la notion d'allocation d'insertion. C'est une proposition que nous faisons, effectivement ; j'avoue que je ne suis pas allé étudier dans le détail administratif si c'était vraiment parfaitement applicable et dans quelles conditions. Le concept est de dire que si nous accordons un statut à des jeunes qui font la démonstration qu'ils sont en difficulté sur le marché du travail et qu'ils sont en recherche d'une réinsertion, alors, associé à ce statut, il peut y avoir, d'un côté, des quotas dans les entreprises, et de l'autre un droit à une allocation différentielle, de type RSA (c'est-à-dire, en fonction d'un minimum qui aura été défini), et en fonction de leur situation familiale. Nous avons fait beaucoup d'études sur les apprentis : le clivage entre les apprentis qui habitent chez leurs parents et les apprentis qui n'habitent plus chez leurs parents, est absolument stupéfiant. Et il y a aujourd'hui un nombre grandissant de CFA (centres de formation des apprentis) qui, de manière totalement improvisée, sont contraints de mettre en place des mesures d'urgence pour aider leurs apprentis à manger, s'habiller et même se loger. Donc, ce clivage-là, il est très fort. Cette allocation différentielle pourrait être modulée selon ce type de critères.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Allocation différentielle, c'est-à-dire ?
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - C'est-à-dire, nous essayons de viser, comme le RMI ou le RSA, un revenu minimum.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Un seuil minimum.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Absolument : s'il y a un salaire d'apprenti, il serait complété simplement pour arriver à un minimum satisfaisant.
Et c'est lié au problème des missions locales. C'est-à-dire : qui est en mesure d'instruire ce type de dossier et de suivre les jeunes ? A notre sens, il faut que ce soit un réseau très bien identifié, et identifiable par les jeunes qui sont, par définition, des publics extrêmement volatils, qui vont et viennent et qui demeurent, parfois très longtemps éloignés - de l'emploi. Or le seul réseau qui s'approche de cela, c'est le réseau des missions locales, qui sont là depuis longtemps, qui sont vraiment inscrites dans les quartiers et qui ont acquis une certaine légitimité. Et nous avons le sentiment que ces missions locales, si tant est qu'elles fassent un véritable effort de professionnalisation de leurs agents, seraient en mesure, peut-être en association avec les CAF, d'instruire des dossiers de type « statut deuxième chance », allant de pair avec un accompagnement de type Civis, contrat d'autonomie ou une allocation différentielle en faveur des jeunes, etc.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Une question parmi d'autres. Je trouve que l'exposé qui vient d'être fait est un balayage tout à fait intéressant, et assez exhaustif de la situation des jeunes ; et particulièrement du fait que vous ayez réussi à pointer que les difficultés ne sont pas toujours les mêmes. Les jeunes en difficulté, c'est un concept, mais cela recouvre des difficultés très différentes. Moi, j'avais deux questions ou remarques : ce qui me frappe - c'est un sujet que je connais un petit peu -dans ce que vous nous avez expliqué, c'est, d'une part, - je ne m'en étais jamais rendu compte à ce point-là que - près de 40 % des jeunes dits « en difficulté » ont au moins le baccalauréat général, technique ou professionnel ; et qu'un bon nombre, parmi ceux-ci, ont aussi un diplôme d'enseignement supérieur. Et je me demande, ici, si cela ne va pas de pair - je vais le dire de manière un peu caricaturale - dans un monde qui est compliqué, où les représentations des jeunes sont très négatives sur leur avenir (ces jeunes-là), avec une espèce de peur à s'engager dans la vie, dans l'insertion professionnelle et tout court.
J'en veux pour preuve, pour expliquer cette réflexion, d'une part qu'il y a aussi des diplômés qui sont en difficulté et, qu'en même temps, ce que nous offrons à ces jeunes en difficulté, ce sont des métiers en tension, c'est-à-dire, quelque part, des métiers dans lesquels personne ne veut aller. C'est du moins ce qu'ils se disent. Alors, il me semble, pour être un peu précis et vous poser la question : est-ce que l'une des propositions, l'une des solutions, ce n'est pas d'essayer de sécuriser les parcours de ces jeunes ? Sécuriser, soit dans l'entreprise, une fois qu'ils y sont entrés ; et nous savons bien, pour avoir travaillé dans des dispositifs d'insertion, nous savons bien que nous n'avons pas réglé le problème de l'accès à l'emploi lorsque le premier contrat de travail a été fait, surtout si c'est un CDD, mais même si ce n'est pas un CDD, d'ailleurs.
Comment sécurisons-nous leur parcours professionnel ? Cela renvoie, à la formation « tout au long de la vie », même si c'est un terme un peu galvaudé. Ce n'est pas parce qu'ils entrent dans une entreprise, et ce n'est pas parce qu'ils sont dans un premier ou un deuxième emploi, qu'ils ont vocation à passer toute leur vie dans cet emploi : cela génère de l'inquiétude dans les deux sens (« mais comment je peux m'en sortir et me construire un parcours professionnel »). Et cela renvoie - mais vous l'avez dit, me semble-t-il - au revenu de subsistance, c'est-à-dire, au seuil en dessous duquel il y a besoin d'un complément par rapport au salaire qui est donné. Est-ce que, par rapport à ces questions-là, on peut avoir effectivement quelques recommandations.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - A ce besoin financier des apprentis, le fait que vous proposez de leur attribuer une « allocation différentielle » - je n'ai pas bien compris - est-ce que c'est dû à une évolution de la société (de la difficulté des parents, des familles) ? Ou, est-ce que l'âge de l'apprentissage est plus élevé (parce que, maintenant, nous l'avons étendu à des âges plus élevés) ? Quelle en est la cause ? Et, l'autre deuxième question : sur les métiers en tension. S'il y a des métiers en tension qui ne sont pas pourvus, cela pose une autre question ; c'est-à-dire, une société ne peut pas dire : « nous fabriquons 80 % de têtes bien pensantes et il y a 80 % de métiers qui ne vont pas être pourvus », parce qu'il y a des horaires pénibles, des petits salaires et qu'ils sont tellement dévalorisés, quand ils font ce travail, qu'il vaut mieux ne pas en faire. Est-ce que ces métiers en tension, qui ne sont pas pourvus, ou mal pourvus, est-ce que c'est dû au fait qu'ils sont mal connus ? Est-ce que c'est dû au fait que les formations préparent mal ? Ou bien c'est qu'ils sont, par eux-mêmes, trop dévalorisants, pour n'importe quel individu, qu'il soit jeune ou âgé ?
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Ce que j'ai apprécié, dans votre étude, c'est l'approche globale, effectivement, qui était importante dans un travail que je qualifierais un peu « d'universitaire ». Alors, ce qui est important dans ce domaine-là, que vous avez fait ressortir et, je crois, que nous devons prendre en compte, c'est le problème des représentations des jeunes. Effectivement, tant que les politiques ne prendront pas en compte ce travail d'accompagnement sur les représentations des jeunes, je crois que nous mettrons en place des tas de dispositifs qui se superposeront - comme l'ont été, vous l'avez dit, les Pacte, Trace, Civis et autres - et, en fin de compte, n'aboutiront pas à insérer durablement des jeunes. Donc je reviendrais un peu sur ce qu'a dit ma collègue sur la sécurisation des parcours : effectivement, en valorisant le travail des missions locales, dans le sens d'une sécurisation des parcours, avec la mise en place de la notion de « référent », cela permettrait certainement de pouvoir traiter tous les obstacles à l'emploi, en partant des représentations qu'ont les jeunes du monde du travail.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Sur cette notion de sécurisation des parcours, c'est vraiment ce que nous entendons par « service public de la deuxième chance ». Effectivement, pour nous, les missions locales ont vocation à être le référent unique (le guichet unique, pour reprendre un terme à la mode), quitte à, ensuite, pouvoir réorienter sur d'autres dispositifs de suivi d'actions de formation, d'immersion en entreprise, etc. Donc, effectivement, c'est la notion clé de sécurisation des parcours. C'est valable pour tous les publics en difficulté sur le marché du travail. C'est, pour nous qui avons pas mal travaillé dessus, la clé du RSA ; c'est la clé, dans ce domaine-là, pour parvenir à avoir un accompagnement qui sécurise les parcours. Ce n'est pas facile à faire, cela coûte beaucoup d'argent, d'accompagner des jeunes, et il faut aussi être très clair.
Par exemple, aujourd'hui, il y a un débat qui secoue l'univers de l'insertion des jeunes : c'est la concurrence que se font le Civis et le contrat d'autonomie. Le Civis est un dispositif d'accompagnement qui existe depuis quelques années, et le contrat d'autonomie, qui existe depuis l'année dernière. Ils se télescopent, littéralement, sur le terrain : ce ne sont pas les mêmes acteurs, à quelques exceptions près, qui les mettent en oeuvre. Du coup, ils s'accaparent les publics l'un l'autre... Bref, cela ne se passe pas très bien. C'est dommage. C'est assez compliqué comme cela. Que vraiment ce soit très clair, pour les employeurs mais pour les jeunes aussi, que les missions locales font office de guichet unique, avec cette notion de référent.
Cela va de pair avec une professionnalisation des agents. Les agents des missions locales, aujourd'hui, il y en a très peu qui sont capables de travailler profondément sur les représentations des jeunes. Il y a très peu de psychologues dans les missions locales (il y en a, et quand il y en a, cela fonctionne). C'est un angle. Mais il y a l'angle des difficultés pratiques, de l'accès à la formation, de connaître les secteurs qui recrutent dans son bassin d'emploi. Donc, c'est très important que les missions locales densifient les compétences de leurs agents.
Sur la question de l'allocation pour les apprentis, il y a plusieurs phénomènes sociologiques qui expliquent que cela devient une problématique qui s'accroît. Les foyers explosent, les familles ne sont plus aussi soudées qu'elles pouvaient l'être par le passé, les jeunes partent plus tôt de chez eux et, surtout, ils doivent aller plus loin pour trouver du travail. En fait, ce dont nous nous apercevons en travaillant avec les centres de formation des apprentis, c'est que ceux qui sont en difficulté, c'est ceux dont les parents habitent à plus de 50 ou 100 kilomètres, mais qui n'avaient pas le choix. Pourquoi ? Parce que, quand on est apprenti, il faut à la fois trouver un centre de formation et une entreprise d'accueil, et la conjonction des deux, c'est rarement au coin de la rue. Cela peut l'être quand on habite en région parisienne ; c'est très rarement le cas dans les autres régions. C'est un problème qui se pose pour les apprentis.
Pour ce qui est de l'attractivité des métiers en tension, il faut vraiment distinguer des notions : qui dit métier en tension ne dit pas forcément métier de mauvaise qualité. Du coup, il y a une majorité de jeunes qui, du fait de qualification technique, cela ne pose aucun problème de travailler dans les métiers en tension, si tant est qu'il y a - c'est ce que je vous disais tout au début - une stabilité du contrat de travail, un certain confort et des perspectives. Il y a donc un travail à faire, sur la qualité de l'emploi dans les métiers en tension, qui est énorme. Ensuite, pour la partie des jeunes qui, de facto, ont des ambitions autres - du fait de leur parcours académique - là, nous revenons à ce que nous disions tout à l'heure, c'est-à-dire : comment faire pour ouvrir les portes des entreprises, pour casser les verrous des processus de recrutement rigidifiés et pour donner accès à des formations professionnalisantes complémentaires ? Pour que, quand il a fait une maîtrise de philosophie antique, il puisse quand même accéder à un emploi qui ne soit pas (comme j'en ai rencontré par le passé) mettre des cintres chez H&M.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - J'ai bien compris que, dans les métiers en tension, la nature du contrat passé en CDI plutôt qu'en CDD est intéressante... Moi, j'entends à chaque fois nous dire : « il y a des métiers dans la restauration qui ne trouvent pas preneur ». Ce n'est quand même pas un problème de CDI ou de CDD : cela s'explique par les conditions de travail, les salaires, travailler le dimanche, etc.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - C'est cela : stabilité, confort et perspectives.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Quand - c'est la nature du CDD - c'est une partie de l'exploitation, etc. Mais quand il s'agit de salaires peu importants et de métiers durs avec des horaires pénibles, nous comprenons que personne n'ait envie de les faire.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Oui, c'est vraiment cela : stabilité, confort et consistance des perspectives. S'il n'y a pas cela, c'est difficile d'attirer du monde.
L'archétype, c'est tout ce que nous avons entendu dire sur les caissières qui travaillent deux heures le matin, puis deux heures en fin d'après-midi : même si c'est un CDI, ce n'est pas possible, quand on a des enfants, cela ne marche pas. Cette notion de qualité de l'emploi dans les métiers en tension est un enjeu qui est très important, au-delà de la question des jeunes.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Vous avez évoqué la deuxième chance, en étudiant la première chance. C'est votre rôle d'étudier la première chance. La première chance qui est donnée, nous, nous la vivons bien en tant que maire, Monsieur Demuynck particulièrement d'ailleurs, parce que, à la rentrée scolaire, quand les gens n'ont pas retrouvé de quoi se former, nous essayons de leur trouver un établissement : nous sommes bien d'accord, les uns et les autres. A ce moment-là, nous nous apercevons que c'est ce que les autres n'ont pas voulu où il y a des places, encore. Cela veut dire que, en amont, les CIO n'ont pas fait tout à fait bien leur travail. Cela voudrait dire ça. Pourtant, nous avons besoin des CIO, et il semble qu'ils vont être supprimés en partie : à votre avis, quelle est la structure qui pourrait nous permettre d'avoir une première chance qui soit mieux élaborée ?
Cela me paraît pas mal, les CIO, globalement. Il y a un pourcentage, peut-être, de gens qui ne trouvent pas leur voie, parce que les métiers sont - comme vous l'avez très bien dit - décriés, pas stables, ils profitent, d'ailleurs, pour donner des salaires de misère dans des conditions de travail complètement délirantes. Même si, quelques fois, les choses ont changé. Par exemple, dans le bâtiment et des travaux publics, il y a des grands groupes qui se sont investis, qui ont des écoles de formation, et qui ont montré que ce n'était pas la « galère » comme les anciens ont connu. Je voudrais connaître votre réflexion sur les CIO.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - D'un mot, parce que j'ai travaillé sur cette question il y a quelques années, en faisant un important travail sur les CIO et les SCIO (l'équivalent, dans les universités). Ils sont vides : vous allez dans n'importe quel CIO d'université d'Ile-de-France, il n'y a pas d'étudiant. C'est un constat. C'est un sujet très sensible, je ne vais pas m'immiscer trop. Mais, comme je parlais tout à l'heure de la professionnalisation des agents des missions locales, il y a un effort absolument drastique, à faire sur la formation des conseillers d'orientation ; tels qu'ils sont formés aujourd'hui, cela ne fonctionne pas. Ce sont des outils - je suis tout à fait d'accord avec vous- qui pourraient être absolument bien placés pour être performants : ils sont bien placés, on sait qu'ils sont là, et ils sont à disposition, en plus, des élèves et des étudiants. Mais ils sont vides, et cela tient beaucoup, à mon sens, à la formation des agents.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Quelle est leur formation ?
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Surtout une formation « psy » et très peu de formation sur le monde du travail, le panorama des études en France, les filières, et, ensuite, à la sortie les métiers qui existent, les métiers en tension, les métiers moins en tension, les débouchés, etc. Je ne veux pas m'avancer parce que je ne connais pas par coeur leur cursus, mais ils ont une formation essentiellement autour de psychologie, de pédagogie et d'accompagnement, mais très peu en contact avec ce qui est la matière des études et, ensuite, de l'insertion professionnelle.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Juste pour vous donner une information : j'ai reçu - peut-être vous aussi - un excellent rapport du COE (Conseil d'orientation de l'emploi) sur la question de l'orientation.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il faudra que nous nous reposions la question de savoir pourquoi les CIO sont vides. Vous nous avez donné une partie des réponses.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - Sur les CIO : nous avons déjà pas mal travaillé dans ce domaine, au travers d'autres travaux du Sénat et de plusieurs commissions. Et nous arrivons toujours au même constat, qui est extrêmement clair, de l'inadéquation de ce qui est proposé par rapport au public. Si nous voulons aller un peu plus loin, il faut que nous nous interrogions sur le courage que nous pouvons avoir pour proposer des transformations relativement importantes. Mais je crois qu'il faut vraiment poser la question. Cela fait tellement de fois que j'entends strictement les mêmes conclusions ; si nous n'allons pas un petit peu plus loin, ce travail n'aura pas servi.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Monsieur Angotti, merci mille fois, c'était très intéressant. Vous nous mettez, pour cette première audition, en appétence.
M. Matthieu ANGOTTI, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie - Merci à vous, merci de votre accueil.
Audition de Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? »
(24 mars 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Madame Catherine Dumont, vous êtes membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politique d'insertion des jeunes : quel bilan ? ». Pour nous c'est la première journée d'audition sur cette mission d'évaluation des politiques en faveur des jeunes. Nous avons ciblé notre travail sur les jeunes 16-25 ans, en sachant que les problèmes ne s'arrêtent pas à 25 ans, et nous avons essayé de travailler un peu sur l'urgence, c'est-à-dire sur les thèmes de l'orientation, de la formation, de l'emploi, du logement, de l'autonomie - c'est-à-dire des revenus des jeunes - de la santé et de la citoyenneté. Nous sommes limités dans le temps dans la mesure où nous voulons, au minimum, un rapport d'étape fin mai. Donc, nous avons un certain nombre d'auditions et nous souhaitons que vous soyez la plus concrète possible, et que vous puissiez nous faire deux ou trois suggestions fortes. Merci par avance.
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Tout d'abord, merci de m'accueillir et d'avoir bien voulu m'auditionner dans le cadre de votre mission sur la politique en faveur des jeunes et, surtout, de me permettre de vous présenter cet avis du Conseil économique, social et environnemental de la section des affaires sociales. En tant que rapporteure, c'est vrai que, depuis plus d'un an, c'était un sujet qui me tenait à coeur. D'abord, parce que j'ai une expérience de quinze ans sur le terrain, et que cela peut aider. Pour répondre aux différents points que vous venez de me citer, vous trouverez, dans cet avis, énormément de propositions du CES. D'ailleurs, j'ai pu constater que M. Hirsch s'en était inspiré dernièrement : je reviendrai peut-être là-dessus.
Je voudrais d'abord vous donner deux axes. Ce qu'il me semble important, aujourd'hui, dans la politique d'insertion des jeunes, c'est avant tout de savoir qui sont nos jeunes. Parce que les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas les jeunes d'il y a 20 ans, d'il y a 30 ans, et, de ce fait, je souhaitais vous donner quelques éclairages de cette façon-là.
Premier point, il y a effectivement un phénomène très important qui conduit à un allongement temporel de la période de la jeunesse, aujourd'hui. Les jeunes, ayant beaucoup plus de difficultés, se retrouvent, bien entendu, chez les parents. Et, de plus en plus, ils ont une difficulté à passer, je dirais, le statut d'adulte (nous entendons, par là, emploi, nous entendons mariage, nous entendons autonomie financière).
Le deuxième point, c'est qu'en fait, si on regarde les tranches d'âge aujourd'hui, au niveau européen, nous nous apercevons que la jeunesse va jusqu'à 34 ans dans certains pays. Et le Crédoc, en France, détermine l'âge des jeunes jusqu'à 30 ans. Or quand nous parlons de 16-25 ans, nous nous apercevons, sur le terrain, qu'il y a une problématique qui existe : c'est celle du passage des dispositifs des jeunes qui, quand ils arrivent à 25 ans, à part le RMI, il n'y a plus rien. Donc, il est important, aujourd'hui, de s'interroger aussi sur les dispositifs qui permettraient, peut-être, l'allongement de la jeunesse jusqu'à 30 ans, sans pour autant qu'ils soient, soit au RMI, soit au RSA, de fait, déjà, par l'allongement des études de certains d'entre eux.
Il y a deux points qui sont essentiels s'agissant de ce que l'on appelle le phénomène de déclassement de la jeunesse. Le premier, c'est que ce déclassement, aujourd'hui, n'est pas seulement perceptible à l'accroissement des écarts des salaires entre les salariés de 50 ans et ceux de 30 ans (bien que l'écart était de 15 %, en moyenne, en 1975, il est de 40 % aujourd'hui, donc ce n'est pas quelque chose de négligeable).
C'est un point qui nous semble excessivement important. Et le deuxième élément, sur le phénomène de déclassement, c'est l'évolution et l'évaluation du niveau général d'éducation, qui s'est accompagnée, en outre, d'une dévalorisation des diplômes obtenus et que, de ce fait, à diplôme égal, le poste occupé aujourd'hui par un jeune est inférieur à celui de la génération qui l'a précédé. Louis Chauvel disait : « c'est d'ailleurs la première fois dans l'Histoire que les parents s'interrogent sur l'avenir de leurs enfants ». Et je crois que c'est aussi une des problématiques de notre jeunesse aujourd'hui, de ce malaise diffus, voire, pour certains jeunes, de situations très défavorables, et, donc, d'un sentiment de révolte et d'injustice, qui peut être généré par cette situation.
Enfin, les jeunes subissent aujourd'hui prioritairement les grandes modifications des conditions d'emploi, et, donc, occupent majoritairement des emplois temporaires et précaires ; vous les connaissez aussi bien que moi : CDD, intérim, etc.
Quelques chiffres : 30 % des non diplômés du secondaire sont chômeurs, de 5 à 10 ans après leur sortie du système scolaire : 9 % des jeunes ménages de moins de 30 ans n'occupaient pas d'emplois, ou ne poursuivaient pas d'études en 2005. 15,3 % des jeunes hommes et 17,8 % de jeunes femmes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. 31,5 % : c'est le taux d'activité, particulièrement faible, pour les jeunes en France, alors que la moyenne européenne est de 27 à 37 %. Enfin, le taux de chômage était, jusqu'à l'année dernière, de 7,3 %, alors que la moyenne européenne est de 6,8 %.
Je crois que le décor est planté et de ce fait, ma deuxième introduction sera : quelle politique d'insertion des jeunes ? Depuis toutes ces années, il y a quand même eu une volonté gouvernementale de réduire le chômage des jeunes depuis 25 ans. Vous savez tout aussi bien que moi, il y a eu des commandes et des inspirations de rapports. Je dirais, le premier : Schwarz ; le dernier : celui de Ney. Il y en a eu neuf, en tout, en 25 ans, qui ont permis de dire : qu'est-ce que c'était que les jeunes, qu'est-ce qu'il fallait pour les jeunes. Mais cela a été aussi la création d'ordonnances, de décrets, de lois, la mise en oeuvre de plans, la création de programmes, de stage de formation, d'ateliers de pédagogie, de dispositifs d'insertion ; cela a été la réforme de la formation professionnelle - et, encore, aujourd'hui, elle est en négociation - la mise en oeuvre de tous types de contrats (pour un budget non négligeable, puisque cela correspond à 12,36 milliards d'euros pour 2007).
Quelles sont les problématiques ? Nous avons constaté au CES que neuf ministères et deux délégations interministérielles s'occupaient de la politique de la jeunesse, en passant par l'agriculture, la pêche, la défense, l'éduction nationale, l'enseignement supérieur, l'économie, l'industrie, la justice, le logement, la ville, la santé, la jeunesse et les sports, le travail, les relations sociales, la famille, la solidarité, l'égalité des chances, etc. En plus de ces 9 ministères et délégations, nous avons une décentralisation. Donc nous avons : les régions, les départements, les communes, les communautés de communes qui, elles aussi, contribuent aux politiques d'insertion des jeunes.
Premier constat que nous avons fait, au niveau des instances décisionnelles, c'est une complexité ministérielle qui n'est pas toujours cohérente sur trois points : un manque d'interministérialité, qui nuit à une véritable stratégie de politique générale des jeunes - mais je sais que M. Hirsch, actuellement, est en en train d'y songer ; une interdépendance non maîtrisée entre l'insertion sociale et l'insertion professionnelle (c'est-à-dire que nous nous retrouvons avec des jeunes qui, parfois, peuvent entrer dans des cadres de dispositifs d'insertion professionnelle, mais n'ont pas la possibilité, parce qu'ils ne répondent pas aux critères d'entrée dans les dispositifs sociaux) ; et puis, un système éclaté et difficilement lisible dans la répartition entre les différents services de l'État et des services extérieurs (c'est-à-dire de la déclinaison au niveau de la décentralisation), de fait, une décentralisation qui manque de coopération territoriale, avec une coordination confuse entre les instances régionales, départementales, locales. Une complexité des partenariats institutionnels locaux ; des lourdeurs administratives conséquentes ; un partenariat relevant plus de l'obligation de résultat entre les acteurs de l'insertion, que d'une véritable dynamique d'insertion. Et puis, peu de consultation de partenaires sociaux au niveau des décisions institutionnelles.
Le CES propose, bien entendu, d'abord, que l'État soit garant du bien-être social des politiques d'insertion de la jeunesse, et donc, de renforcer la gouvernance, au plan national, en créant - et j'ai entendu, je crois M. Hirsch, dans un discours, dernièrement ; donc je dis qu'il a repris une de nos propositions - un service public de l'accueil, de l'information et de l'orientation, qui sera chargé de définir les grands axes de l'orientation et, surtout, d'être en lien étroit avec le service public de l'emploi. Car, effectivement, sur le terrain, cela ne se passe pas comme ça.
Je crois que, un autre élément de notre proposition, c'est de mettre en place des politiques plutôt préventives, que curatives, c'est-à-dire, qu'il y ait réellement un travail de réflexion en amont et, donc, d'avoir une approche plus préventive, mais aussi, de modifier le concept d'analyse des publics : le public est - pardonnez-moi l'expression - saucissonné. Et, en dehors du fait qu'il puisse être de 16 à 25 ans, tout l'ensemble des dispositifs correspond à des critères qui ne permettent pas les passerelles entre les dispositifs. Bien entendu, favoriser les solidarités fiscales et territoriales, notamment par la création d'un fonds de solidarité dans toutes les régions, permettrait ainsi de subvenir aux problématiques des jeunes les plus en difficulté.
Donc, il est proposé d'organiser le territoire, pour une mise en oeuvre coordonnée des politiques d'insertion des jeunes, avec une co-construction de la gouvernance au niveau territorial, et la création de passerelles entre les collectivités et les différents acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels ou d'acteurs associatifs.
Deuxième constat : j'ai essayé de recenser l'ensemble des structures qui gèrent les politiques d'insertion les structures d'insertion relevant ou concourant au service public (que ce soient missions locales de l'emploi, missions locales, Plie, etc.), les structures d'insertion à caractère social, les structures d'insertion liées à l'activité économique (les OI, AIE, etc.) et les associations, bien entendu. Et je me demande comment les jeunes peuvent se retrouver dans ce foisonnement de structures d'orientation et d'insertion qui ne facilite pas leur orientation.
Repenser totalement l'accueil, l'information et l'orientation, en simplifiant, clarifiant la visibilité des services pour les publics, en matière d'accueil, d'information, d'orientation, et d'insertion, est un des points importants pour nous. Le deuxième, c'est de développer le repérage des jeunes dès la classe de 5e, et de mettre en place un passeport orientation/formation, pour éviter, justement, la sortie de certains jeunes du système scolaire, sans aucune qualification ni compétence.
Je crois qu'il y a un point, aussi fondamental, qui est d'accepter le droit à l'erreur des jeunes et, donc, faciliter les réorientations par des passerelles au sein de l'éducation nationale en passant d'un niveau technique à un niveau général, ou d'un niveau général à un niveau technique, si nécessaire. Et puis, il faut proposer à tous les jeunes qui sortent de l'éducation nationale, sans qualification et sans diplôme, un certificat de validation des acquis, et une orientation directement vers les structures leur permettant de travailler à un nouveau projet professionnel. Pourquoi ? Parce que nous voyons qu'une grande partie des jeunes qui, aujourd'hui, sortent avant la terminale (ou après, dans le cadre de l'université), ne savent pas toujours où ils doivent aller. Or, il existe des structures, aujourd'hui, qui leur permettent de continuer leur projet professionnel, justement parce qu'ils n'ont pas de diplôme, et parce qu'ils n'ont pas de qualification.
Vous avez soulevé un point, Madame la présidente, qui est fondamental : c'est la levée des freins sociaux à la réussite scolaire, universitaire et professionnelle. Le Conseil économique s'est penché sur le fait d'aider plus largement les parents, notamment en cas d'enfants en difficulté dans leur éducation ; de rendre le système des bourses plus transparent et plus lisible et de mener une réflexion approfondie sur l'attribution d'une allocation unique d'autonomie, pour tout jeune engagé dans un parcours professionnel. Car nous constatons qu'effectivement, les ruptures de parcours sont dues, en partie, non pas au fait qu'il n'y ait pas un accompagnement (parce que, sur les territoires, l'ensemble des structures essaie de se fédérer pour mettre en oeuvre un accompagnement auprès des jeunes), mais au fait qu'un jeune, même s'il dispose d'une bourse spécifique dans le cadre de plans ou de programmes comme le Civis bénéficie d'une aide ponctuelle de l'ordre de 300 euros dans l'année, pour vous donner un exemple précis. Que peut-on faire, quand il n'y a aucune autre ressource, et quand les parents sont parfois, même, au chômage ou en difficulté financière.
Un point qui nous a semblé important, aussi, c'est de faciliter la mobilité des jeunes (et plus particulièrement ceux sans qualification et sans diplôme) dans l'espace européen, et de mettre en oeuvre, ou de s'associer à des programmes existants aujourd'hui, et financés par le Fonds social européen.
Autre élément : il s'agit de décloisonner l'insertion pour mieux accompagner à l'emploi. Pour nous, il nous a semblé important de favoriser l'enseignement sous forme de modules, et de permettre la reconnaissance des acquis à tous les niveaux, pour les jeunes. De développer, aussi, l'apprentissage, pas seulement au niveau V pour les jeunes sortant de classe de 4 e ou de 3 e mais jusqu'au niveau I, c'est-à-dire l'enseignement supérieur.
Il est proposé également de créer, comme il se fait en Europe, des doctorats professionnels, c'est-à-dire, non pas des doctorats liés à ce que nous connaissons aujourd'hui, en France, mais plutôt allant vers des métiers reconnus, de rendre plus juste le système de la formation professionnelle, par un droit à la formation différée, pour les jeunes sortis du système scolaire sans qualification et sans diplôme. De favoriser le double tutorat au sein de l'entreprise, pour accompagner le jeune dans son insertion sociale et professionnelle, afin d'éviter les ruptures de contrat. Quand nous parlons de double tutorat, nous pensons qu'il est important d'associer les personnes qui accompagnent les jeunes, au sein des structures (que ce soit Pôle Emploi, missions locales, Plie) et d'aider, dans l'entreprise, le tuteur qui, lui, va apporter la compétence professionnelle ; et la structure permettra d'apporter la compétence sociale pour éviter la rupture de parcours.
Un autre constat est une séparation excessive entre le système éducatif et le système productif, la faible liaison entre l'éducation nationale et les entreprises, l'absence de confrontation entre les éducateurs et les employeurs potentiels sur les contenus de formation, et sur les évolutions du travail et les organisations, un service de l'orientation peu ouvert sur les besoins du marché du travail ainsi qu'un engagement partiel de l'entreprise à l'adaptation et à l'emploi, malgré les aides existantes.
Nous nous sommes aperçus que cette séparation était aussi due aux entreprises, qui mettaient des freins pour embaucher les jeunes. Le premier frein, c'est la méconnaissance et la non-lisibilité, par les chefs d'entreprise, de l'ensemble des dispositifs d'insertion des jeunes, due, bien entendu, à la multiplicité et à la complexité des mises en oeuvre, qui sont, obligatoirement, des obstacles à une embauche que nous pourrions considérer de facile. Et puis, le deuxième point qui peut être un frein, pour les entreprises, à embaucher, ce sont des jeunes avec des diplômes généralistes - voire obsolètes, dans certains cas, sur le marché du travail - sans aucune expérience professionnelle, ou, parfois, qui ne souhaitent pas entrer dans les métiers dits « en tension », car éloignés de leurs aspirations.
Aussi, il nous a semblé important d'accompagner tous les jeunes vers l'emploi durable, en identifiant un référent dans chaque entreprise, dans chaque établissement ou université, qui fasse le lien, justement, avec le référent en entreprise mais aussi de renforcer le corps enseignant, notamment dans les lycées techniques et professionnels, nous avons appris qu'il y avait de moins en moins d'enseignants professionnels dans ces lycées techniques. Un point important encore est de respecter les capacités d'absorption des diplômés par le marché du travail. J'ai envie de dire : arrêtons de faire des filières dont on sait que les jeunes ne trouveront pas de travail, parce qu'il n'y a pas d'emploi.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Un exemple, Madame, s'il vous plaît ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Psychologie, entre autres. Nous avons énormément de jeunes qui font des licences, des maîtrises de psychologie et qui se retrouvent, malheureusement sans débouchés... C'est un des diplômes, mais il y en a d'autres où, en fait, l'évolution du marché de l'emploi, l'apparition de nouveaux métiers, aujourd'hui, n'ont pas toujours été pris en compte au niveau de l'éducation nationale, ce qui aurait permis d'aller vers des diplômes permettant l'emploi de façon plus immédiate.
Autre constat qui nous a semblé étonnant et effarant : c'est celui de l'évaluation des politiques d'insertion des jeunes. Je me suis aperçue que nous avions eu de grandes difficultés pour obtenir des éléments, tant sur la mise en oeuvre des programmes et des dispositifs, que sur les coûts réels, même si des éléments statistiques et, ce que je vais appeler des fléchages, existent sur les lignes budgétaires, inscrites dans les différents ministères concernés. Je ne suis pas arrivée à savoir combien coûtait l'insertion globale, si je puis dire, à travers tous ces ministères et ces délégations. J'ai trouvé des montants un peu partout, mais je ne suis pas sûre qu'en en faisant l'addition, ils correspondent effectivement au budget mis en oeuvre.
Deuxième point : très peu d'évaluations sont menées dans les politiques publiques, à l'exception de la politique de la ville ou de la politique éducative. Et, bien entendu, un manque certain d'évaluation et de lisibilité existe dans le cadre de la politique de l'emploi, notamment sur le plan de l'insertion des jeunes, tant au plan national, qu'au plan territorial.
Donc, le CES propose d'évaluer les politiques d'insertion des jeunes pour une meilleure efficacité et, de ce fait, de concevoir et mettre en oeuvre une évaluation intégrée à chaque orientation politique, afin de pouvoir en mesurer son efficacité à l'aide d'indicateurs de performance, et de pouvoir en apprécier la pertinence. Deuxième élément, il est souhaitable de mesurer l'impact des politiques de l'emploi sur les territoires, par la mise en place d'une évaluation de la politique générale d'insertion des jeunes, par territoires, et de la formation professionnelle, et de permettre ainsi la réalisation de statistiques nationales exploitables. Nous pensons, entre autres, à la création d'observatoires de la jeunesse.
Je dirais en conclusion : 25 ans de politiques d'insertion des jeunes, malheureusement, n'ont pas fait disparaître les difficultés sociales et économiques. Elles ont, cependant, permis de limiter une exclusion durable. Pour nous, trois objectifs fondamentaux doivent guider la politique d'orientation et d'insertion des jeunes : premièrement, ne laisser aucun d'entre eux au bord de la route, deuxièmement, leur redonner confiance en l'avenir, et, troisièmement : valoriser le capital humain que représentent les jeunes pour l'ensemble de la société. Et j'en finirai, puisque je suis dans cette enceinte, par une phrase de Shakespeare, qui dit : « jeune sang, n'obéis pas à vieux décret ». Merci de faire pour eux ce que vous pourrez.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je suis très heureux de cette présentation et je dois dire qu'à titre personnel, je suis assez d'accord avec vous sur ce que vous avez exprimé en termes de flou, de complexité, de difficulté pour se reconnaître, aussi bien par les professionnels que par les jeunes. Vous avez évoqué le « mille-feuille », vous avez précisé qu'il fallait simplifier. J'aimerais que vous puissiez aller plus loin dans cette expression, c'est-à-dire : comment imaginez-vous pouvoir simplifier le système ? Qu'est-ce que nous devons mettre en oeuvre, qu'est-ce que nous devons supprimer, qu'est-ce que nous devons créer, sur quelles structures nous devons nous appuyer ? Est-ce sur les missions locales, ou sur d'autres ? La deuxième question que j'aimerais vous poser, nous sommes aujourd'hui dans un contexte budgétaire de rigueur ; est-ce que vous pourriez nous faire trois propositions qui seraient des propositions majeures, à votre avis, prioritaires, que nous pourrions mettre en oeuvre très rapidement ?
Vous avez évoqué aussi le rapport entre les entreprises, les enseignants, les élèves, les étudiants : comment vous voyez cela ? C'est-à-dire : est-ce que c'est officiellement structuré ? Ou on laisse à disposition ? On décentralise ? On contractualise ? Enfin, comment vous imaginez les choses ? A un moment, vous avez opposé, me semble-t-il, l'obligation de résultat et la dynamique d'insertion : donc, si vous pouviez, là aussi, nous préciser un peu les choses. Vous avez mentionné aussi le certificat de validation à la sortie de l'école : je considère que c'est une très bonne décision. Et vous avez indiqué ensuite que les jeunes devraient être orientés vers des structures : mais de quelles structures parlez-vous ? Est-ce c'est la mission locale, les CIO, etc. ? Vous évoquez aussi la formation différée qu'est-ce que c'est, pour vous, la formation différée ? Et comment vous la structurez ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Merci. Effectivement, je pense qu'il faut simplifier ce foisonnement de structures. J'étais, pas plus tard qu'hier, à Bercy, au Comité de suivi du Fonds social européen, avec la DGEFP. Et, nous avons constaté qu'aujourd'hui il y a un fort lobby des plans locaux d'insertion pour l'emploi, avec une réorganisation territoriale de ces structures, par ce qu'ils ont appelé un « Plie pivot » qui deviendrait l'organisme intermédiaire du Fonds social européen, pour toutes les actions qui seraient menées en matière d'insertion sur un territoire ; et que les Plie existants aujourd'hui, nous ne savons plus bien ce qu'ils vont devenir, s'ils vont rester. Sachant que ce Plie pivot aurait une orientation, soit régionale, soit départementale, soit en fonction de la communauté d'agglomérations. Donc rien n'est précisé.
Le Pôle Emploi : quid du Pôle Emploi aujourd'hui ? Sur le territoire, je crois qu'il n'est pas encore mis en oeuvre. Si nous arrivions déjà à faire que le Pôle Emploi fonctionne, et qu'il fonctionne avec des partenaires spécifiques, par rapport aux politiques jeunes, qui sont les missions locales. Pour moi, ce sont des structures incontournables, elles ont l'expérience depuis plus de 20 ans de tous les types de publics, même si certaines sont plus orientées vers des publics en grande difficulté, d'autres sont sur des publics plus larges, intégrant même des publics diplômés. Je suis tout à fait favorable à un rapprochement entre le Pôle Emploi et les missions locales, et qu'il y ait un partenariat soutenu dans ce sens.
Je m'interroge sur les maisons de l'emploi et ne sais pas si c'est purement français, mais nous avons toujours l'habitude d'empiler des dispositifs, des structures, au lieu de simplifier. Car chacune a ses fonctions, chacune remplit son rôle. Alors, au niveau du territoire : plus de liens entre les régions, les départements, les communautés d'agglomérations, et mise en oeuvre d'une structure chapeau qui permette de définir qui s'occupe des jeunes. Qui s'occupe des personnes qui ne sont plus dans la tranche d'âge 16-25 ans ? Il faut envisager une coordination territoriale en donnant à chacun les moyens de pouvoir travailler sur des dispositifs qui leur sont propres, sans qu'il y ait des phénomènes importants, sur le terrain, de concurrence, parce qu'ils existent. Et vous parliez de budget, tout à l'heure : l'ensemble des structures sont sur des budgets de fonds publics, en majorité (pour ne pas dire à 100 %).
Aujourd'hui, où il y a des restrictions budgétaires, non seulement de l'État, mais aussi des collectivités territoriales, peut-être que, si nous avions fait une clarification des niveaux d'intervention avec une structure chapeau, cela permettrait de pouvoir faire des évaluations intégrées à chaque politique, et de mieux savoir, aussi, comment perfectionner, à terme, le dispositif, pour qu'il soit de plus en plus adapté au public.
Deuxième élément : pourquoi autant de dispositifs qui dépendent de critères très spécifiques, qui font qu'un jeune, quand il n'entre pas dans un critère, ne peut pas entrer dans le dispositif ? Il importe donc de lisser ou ouvrir l'ensemble des critères dans un dispositif général, l'idée étant bien d'accompagner le jeune, soit dans une formation, soit, vers un emploi durable, qui permette, de ce fait, de mieux prévoir - sur le territoire et en fonction des bassins d'emploi - les métiers qui sont disponibles. Parce que, là aussi, nous avons un vrai problème, c'est la notion d'offres d'emplois disponibles dans le bassin d'emploi. Est-ce qu'il faut obligatoirement former des gens ? Je suis tout à fait favorable à la mobilité. Mais nous avons des jeunes qui, aujourd'hui, sont de moins en moins mobiles. Est-ce qu'il ne faut pas commencer par bassin d'emploi, travailler avec les entreprises, les enseignants, les structures d'insertion, et mettre en oeuvre une vraie stratégie de politique d'insertion des jeunes, où chacun va mettre un dispositif - qu'il soit dans l'éducation nationale, qu'il soit dans le cadre des politiques d'insertion générales, etc. - adapté au public, mais aussi au bassin d'emploi. Et donc, on fait disparaître l'ensemble des critères qui sont liés au dispositif.
Ce qui m'amène à un des points qui était le quatrième (mais je vais le passer avant le troisième), qui est la notion d'obligation de résultat. Dans les structures, aujourd'hui, que ce soient les missions locales, que ce soient les Plie, il y a un paradoxe : d'un côté, nous ne sommes pas capables d'évaluer les politiques publiques, tant sur le plan statistique que sur le plan des budgets, mais de l'autre, il est demandé aux gens de ces structures d'avoir une obligation de résultat à l'emploi, parce qu'on leur donne un budget sur des fonds publics. Nous sommes plus sur du quantitatif dans le travail, que sur du qualitatif. Je ne dis pas qu'il faut enlever l'approche quantitative, mais pondérer ces éléments qui permettent ainsi de dire : « vous avez aujourd'hui un budget ». Et pour revenir à cette commission d'hier, quand j'ai entendu dire par la DGEFP que, concernant les missions locales, il y avait une réflexion sur leur financement, parce qu'aujourd'hui elles étaient financées sur du Fonds social européen en matière de fonctionnement, et que, effectivement, le FSE ne peut absolument pas financer du fonctionnement : de quoi vont-elles vivre demain, au niveau de leur budget ? Est-ce que c'est l'État qui va les financer ? Est-ce que ce sont les collectivités territoriales ? Je m'interroge. Et c'est une réflexion pour 2010. Cela pénalise la dynamique d'insertion.
Quatrièmement sur la relation entre entreprises et enseignement, je regrette deux choses. La première est qu'il n'y ait pas obligatoirement des passerelles, entre les structures d'insertion et l'éducation nationale. C'est-à-dire que, quand un jeune est sorti du système scolaire, il passe dans une structure - qu'elle s'appelle mission locale ou autre - qu'on arrive à le remettre à niveau dans le cadre de la formation professionnelle, à le rendre diplômé (c'est-à-dire avoir un Bac), et qu'il souhaite revenir dans le cursus de l'éducation nationale, pour reprendre des études plus longues, là, on se trouve face à un barrage total, parce qu'il est sorti du système depuis deux ou trois ans. Il me semble donc important de créer une passerelle dans ce domaine-là.
Il faut des passerelles aussi entre entreprises et enseignants. C'est assez étonnant parce qu'il y a eu une enquête qui a été faite en 2007, qui a démontré la perception des jeunes qui sortaient de l'éducation nationale et la perception des entreprises. Et, en fait, nous nous apercevons que ce sont deux perceptions à l'opposé. La perception des jeunes, c'est : « nous, nous rentrons dans cette entreprise, mais nous savons que nous n'y resterons pas » (je caricature, mais c'était à peu près cela) ; et les entreprises disent : « nous, nous voulons des jeunes qui intègrent l'entreprise, qui s'y impliquent, qui se conforment aux règles organisationnelles ». S'il n'y a pas de passerelle entre les enseignants (qui apportent la connaissance, qui apportent le savoir, qui apportent tout ce dont l'entreprise aura besoin) et les entreprises, nous allons nous retrouver avec des jeunes qui, même diplômés, n'auront pas le potentiel et le comportement adaptés à l'emploi. Et là, je crois que c'est un point très important.
S'agissant du certificat de validation des acquis, nous nous apercevons aujourd'hui que, quand des jeunes sortent de l'éducation nationale sans diplôme, à aucun moment il n'est donné un élément de compétence de ce que le jeune a pu mettre en oeuvre au sein de l'enseignement scolaire ; et c'est bien dommage. Je vais prendre le cas d'un jeune en grande difficulté (je pourrais prendre un autre cas, mais je pends celui-là parce qu'il est plus démonstratif), n jeune qui sort de 3e sans BEPC, va arriver dans une structure, par exemple une mission locale, après, sans doute, un certain nombre de semaines, voire de mois, d'errance. En effet, il y a une disposition qui dit « qu'un jeune qui sort de l'éducation nationale ne doit pas intégrer une mission locale avant un an ». Pourquoi ? C'est totalement anormal.
Deuxième élément : ce jeune, quand il sort, la personne qui va l'accueillir dans une mission locale, elle n'a aucun élément de ce qu'il a pu mettre en oeuvre au sein de l'éducation nationale. Est-ce qu'il a fait un bilan de compétences ? Est-ce qu'il a validé des UV lors de son brevet professionnel ? Etc. Nous ne savons rien. Alors, c'est bien dommage, parce que ces jeunes qui sont en situation d'échec, quand ils arrivent dans une structure, ils n'ont pas envie de retourner à l'école, c'est clair. Donc, si nous pouvions arriver à avoir ce lien, qui permette de dire : « il y a une certification de validation des acquis. Ce jeune, en français, il est bon. Ou, en maths, il est bon. Il a pu passer cette UV sur un brevet professionnel, mais il n'a pas acquis les autres UV ». C'est beaucoup plus facile pour pouvoir lui faire passer les UV complémentaires manquantes, et obtenir une qualification.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées Atlantiques - Et le centre interinstitutionnel de bilans de compétences ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Non, parce qu'en fait, le CIBC est prestataire de service des missions locales : c'est elles qui demandent. Et là, on arrive sur une problématique de la formation professionnelle, que l'on retrouve pour les jeunes, en général, sortis du système scolaire : c'est le manque de place. Parce que, quand vous avez une structure... Je prends Marseille - c'est une des plus grosses missions locales - qui a plus de 10 000 jeunes en suivi ; si vous avez, par exemple, 500 bilans de compétence dans l'année : où les mettent-ils ? Comment font-ils pour établir un parcours professionnel du jeune ? Quand il y a 100 places sur des BEP ou des CAP, alors qu'il y a peut-être 800 jeunes à rentrer ? Comment faire ? Donc, là aussi, on retrouve la problématique de l'insertion des jeunes sans qualification ou diplômés, sortis de l'éducation nationale - c'est-à-dire avec un Bac, une ou deux années universitaires - qui, derrière, n'ont rien, en fait.
Vous me dites : « politique de rigueur » ; oui, peut-être, ou plutôt mettre l'argent sur des points essentiels, comme la formation professionnelle, l'accompagnement, l'autonomie des jeunes (il y a une réflexion à avoir sur l'autonomie des jeunes), qui permette ainsi, à un jeune, de ne pas se retrouver systématiquement en situation d'échec. Parce que, comment redonner confiance, quand un jeune va de situation d'échec en situation d'échec ?
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - J'avais deux remarques et trois questions : des remarques un petit peu pointues par rapport à ce que vous avez dit. Vous parliez du financement, par le Fonds social européen, des missions locales : c'était, par définition, une dérive du système. Les missions locales, à leur création dans les années 80, avaient deux financeurs : l'État et les communes, ou les groupements de communes. Il y a eu la décentralisation, les compétences transférées, dans les années 90, aux conseils régionaux et, du coup, un troisième partenaire financeur : les conseils régionaux. Mais, comme il y a eu un moment où il y avait du FSE et que nous ne savions pas qu'en faire il a servi à financer les missions locales et, du coup, les trois autres partenaires (je ne dis pas les responsabilités), se sont un peu retirés. Je trouve qu'il faut vraiment faire très attention sur les différents dispositifs.
Deuxième remarque. Vous dites : « un jeune qui sort du système éducatif ne peut pas être pris en charge par une mission locale avant moins d'un an » ; ce n'est plus tout à fait vrai. Il y a, maintenant, des passages qui se font, et des complémentarités qui se font. Je fais un peu ancienne combattante, mais je voudrais rappeler pourquoi : à un moment, dans les années 90, l'État a considéré qu'il était de la responsabilité de l'éducation nationale de se préoccuper du devenir des jeunes qui quittaient l'école (collèges et lycées professionnels). Donc, ce qui est devenu aujourd'hui un handicap était quand même assez louable : demander aux établissements scolaires de se préoccuper de ce que devenaient les jeunes.
Trois questions. Vous avez parlé (même si ce n'était pas le terme exact que vous avez utilisé) de « contrat unique d'insertion », de la nécessité de financer. Comment ? Est-ce que vous avez une idée sur le dispositif qui pourrait être mis en place ? Deuxièmement, vous avez dit (vous y avez déjà un petit peu répondu, mais peut-être de manière plus précise) : « il faut décloisonner l'insertion pour favoriser l'accès à l'emploi ». Là aussi : comment ? Et, troisième question, qui est une question plus précise : est-ce que vous pensez - vous avez dit qu'il manquait des places en formation, et en particulier pour les jeunes sortis du système éducatif sans qualification - que le code des marchés publics appliqué à la formation n'est pas un frein terrible au fait de développer plus de places en formation, que ce soient des formations préqualifiantes ou des formations qualifiantes, pour les jeunes ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - D'abord, je suis tout à fait d'accord avec vos remarques, particulièrement concernant le Fonds social européen. Au sujet du contrat unique d'insertion, c'est difficile pour moi d'en parler, parce que cela se négocie par les partenaires sociaux. Et, donc, le budget et les fonds, ce sont les partenaires sociaux qui en décident. En ce qui concerne le décloisonnement de l'insertion : c'était un petit peu ce que je disais. Il s'agit de faire en sorte qu'il y ait une espèce de trépied, avec l'entreprise, les structures d'insertion et l'éducation nationale, et que tous ces trois importants partenaires puissent créer, ensemble, une vraie dynamique de politique sur le territoire et de lien. C'est difficile à deux niveaux : peut-être parce que chacun est dans sa sphère, et qu'il ne prend pas toujours le temps d'aller voir la sphère de l'autre. Et puis, parce que chacun pense aussi qu'il possède la vérité. Il est donc difficile, dans la notion des comportements, de faire en sorte que les choses fonctionnent bien. C'est pourquoi, dans certaines régions, cela marche très bien, parce que les gens ont un enjeu : ce sont les jeunes. Et, je crois que c'est cela qu'il ne faut pas oublier ; toutes les politiques et tous les comportements doivent arriver à un seul objectif : comment arriver à résoudre les problèmes des jeunes et passer outre les comportements personnels ?
Certainement, le code des marchés pénalise le développement de la formation. Je crois qu'il y a aussi une question de budget. Et il me semble que, tant que sur les territoires régionaux (il me semble que c'est le territoire approprié), il n'y aura pas un observatoire des jeunes qui permette de définir, le nombre de jeunes sortis du système scolaire, de jeunes sans diplôme, de jeunes diplômés qui n'ont pas d'emploi, les métiers sur le bassin d'emploi, les formations que nous devons adapter par rapport à ce bassin d'emploi. Il est évident que ce n'est pas comme cela que nous allons résoudre les besoins des entreprises, en matière d'emploi, d'un côté, les jeunes qui doivent être formés par rapport à ces emplois, de l'autre, et puis, suivre, de façon statistique, au fur et à mesure des années, l' évolution de ce bassin d'emploi.
Et je crois que c'est là la vraie force : c'est cet observatoire de la jeunesse qui doit être créé. Et il sera valable, si on le met en place pour la formation professionnelle au départ, il sera valable pour tout ce qui est la santé, le logement, tout ce qui est freins sociaux, aujourd'hui pour les jeunes.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Alors que j'étais séduit, au départ, par l'idée d'un service public de la jeunesse qui était défendue tout à l'heure et qui est encore défendue maintenant, je pose la question : est-ce que, vraiment, il faut mettre une catégorie de la jeunesse ? Parce que vous avez quand même bien montré l'intérêt qu'il y aurait à concentrer toutes ces activités, arrêter de catégoriser ; à chaque fois qu'il y a un problème, on dit : « tiens, il y a un problème, on a pointé qu'il y a un problème pour les 18-19 ans, qui habitent dans tel endroit, etc. ». Donc, on va mettre un service spécifique, et puis des degrés. Et donc, au bout d'un moment, on répond à une catégorie et, deux ans plus tard, la catégorie a changé, et nous avons un carcan qui ne sert plus à rien, ou qui est inadapté. Je commence à me poser la question : « y a-t-il intérêt à catégoriser ? ».
Et, quand on parle d'un observatoire de la jeunesse parce qu'il y a des problèmes d'adéquation entre l'emploi et les jeunes : est-ce qu'il n'y a pas un problème d'adéquation de l'emploi avec l'ensemble de la société et, bien sûr, pour les jeunes qui arrivent ? En tout cas, pour moi, se pose aujourd'hui une question : avons-nous intérêt à catégoriser ? Ou intérêt à dire : « justement, on a trop fait ». Ce sont les mesures que nous devons mettre en place pour tout le monde qui doivent être généralisées.
Ma première question porte sur la formation professionnelle, je suis toujours surpris, et peut-être avez-vous des réponses. Enfin, il n'y a personne, dans le ministère de l'éducation nationale, qui est capable de dire : « nous avons besoin de tant de personnes ». Je prendrai deux exemples. En premier, celui des personnes pour la maintenance des ascenseurs. J'ai écrit au ministre Laurent Wauquiez parce que j'avais vu qu'il voulait supprimer une formation Afpa d'ascensoriste en Seine-Saint-Denis. Je me renseigne, je fais des études, et je m'aperçois qu'il y a besoin de 2 000 ascensoristes par an et qu'on en forme 400. Honnêtement, il me semble que c'est un véritable emploi, où bien sûr il faut faire des permanences de nuit, mais, a priori, c'est un travail plutôt valorisant. Je suis vraiment surpris. J'ai rencontré récemment une amie qui est vice-présidente à la formation professionnelle de Languedoc et qui m'a dit : « on a créé trois formations de maintenance d'éoliennes ». Avant même que la formation soit finie, ils étaient embauchés. Comment cela se fait qu'il n'y ait pas, au moins, des indicateurs, des personnes, qui disent : « attention, c'est là qu'il faut créer des formations. Nous avons un manque, nous sommes alertés ». Cela, c'est ma question principale.
J'ai deux questions annexes. Vous n'avez pas parlé des stages qui durent de plus en plus longtemps, comme ils sont jeunes, il leur est dit : « il faut que vous vous formiez ». Quand j'étais jeune, on m'a embauché et j'étais peut-être payé 10 % de moins que les anciens, mais j'avais un vrai travail dès le début. C'était notre génération. Maintenant, il leur est dit : « vous n'avez pas d'expérience, donc, il faut que vous fassiez un stage, un stage, un stage, un stage ». Et puis, ils n'en finissent jamais. Vous n'avez pas abordé cette question-là, mais vous avez dû en entendre parler lors de vos auditions.
Troisième point qui est un petit intérêt personnel : vous n'avez pas parlé d'un service civil. Puisque vous savez, vous avez parlé de l'âge, que nous sommes de plus en plus longtemps jeunes. Et il y en a qui disent que le service civil pourrait être aussi un rite de passage à l'âge adulte. Le service civil remplacerait le service militaire, d'une autre façon.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Ma question principale était celle posée par Jean Desessard. Nous sommes frappés, dans ce pays, par la masse d'emplois disponibles non pourvus, et la masse de demandeurs d'emplois. L'inadéquation : comment la résoudre ? Je n'irai pas plus loin. Deuxième question. L'intervenant précédent nous a dit : « les CIO sont vides ». Que faire ?
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - En ce qui me concerne, ce n'est pas tant une question que le rendu d'une expérience, ou d'une expérimentation. Je suis sénatrice du Finistère, et dans le Finistère, nous avons pris en compte, depuis déjà 2001, ce que nous avons appelé une mission jeunesse, au conseil général. Et cette mission jeunesse a aboutit à créer un fonds d'autonomie des jeunes et qui, ensuite, a conduit à une rencontre entre l'État, les missions locales, le conseil général, et différents partenaires encore, pour faire en sorte qu'il y ait un guichet unique et un fonds unique, que l'on appelle le « Fonds avenir jeunes 29 ». Ce fonds-là est traité - vous évoquiez une réorganisation territoriale - au niveau départemental. Et maintenant, nous avons mis en place une mission d'évaluation, justement, de ce que cela a pu donner en termes d'aide à l'insertion pour les jeunes, et en termes, également, d'aide à l'autonomie.
M. Martin Hirsch est venu dans le département pour constater ce que ce dispositif pouvait donner. Je pense qu'une des difficultés, qui va être évoquée, ce sera de pouvoir connaître exactement le taux de sortie du dispositif. J'aimerais bien savoir si vous avez quelques indicateurs, quelques critères à mettre en place. Parce que nous sommes en train d'y travailler sur le département et nous nous heurtons à quelques difficultés pour avoir le retour.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - J'ai juste envie de vous poser une question : êtes-vous prête à aller jusqu'au bout de votre réflexion ? Quand vous dites : « nous avons un certain nombre de formations qui sont sans débouché ». Et vous avez cité la psychologie, c'est vrai que nous savons que la France forme 50 % des psychologues européens. Donc ce n'est pas étonnant qu'il y en ait un certain nombre qui ne trouvent pas d'emploi. Alors, est-ce que vous êtes prête à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire, à expliquer qu'il faut peut-être accueillir moins d'étudiants en psychologie ? Et cela veut dire également qu'il faut réorienter des enseignants au sein des UFR de psychologie.
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Je vais commencer par la dernière question. Oui, je crois que certains membres de notre section des affaires sociales, disaient : « arrêtons de mettre des jeunes dans des filières dont on sait que le potentiel d'emplois n'est pas possible ». Et, là, c'est une réalité. Alors, je pense qu'il y a une réorganisation ou une réflexion à envisager, peut-être, au sein de l'éducation nationale, pas seulement au niveau des enseignants, pour établir des quotas de jeunes. Quelle est la réalité aujourd'hui d'évaluation des besoins d'emploi dans cinq ou dix ans ? Est-ce qu'on les connaît ?
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Mais qui est-ce qui devrait le faire, selon vous ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Pour moi, c'est l'État.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Oui, mais le ministère de l'éducation nationale ?
Mme Catherine DUMONT, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? » - Je crois qu'il y a une étude globale qui doit être faite en fonction de l'ensemble des ministères. Mais, quels sont les métiers de demain ? De combien de personnes aura-t-on besoin dans tel domaine, tel domaine ou tel autre ? Je pense que c'est excessivement important, pour pouvoir, derrière, dire à l'éducation nationale, nous allons créer des filières, nous allons peut-être inscrire moins de jeunes dans telle filière, etc. pour permettre, justement, de faciliter l'emploi. Cela répond, en partie, à ce que vous me demandiez.
Monsieur, vous me parliez d'inadéquation et je suis tout à fait d'accord avec vous. Quand on sait qu'il y a entre 40 et 50 % d'offres d'emploi qui restent sans réponse au niveau de Pôle Emploi, nous pouvons nous interroger. Je n'ai pas la réponse ; j'ai quelques réponses. La première est de constater beaucoup trop de complexité dans tous les types de contrats qui sont à disposition des entreprises et de formalités, particulièrement sur les contrats aidés, sur les contrats en alternance, etc. Il faut simplifier tout ce dispositif.
Deuxièmement, il serait peut-être intéressant que les personnels, dans les structures d'insertion, à ce que c'est que l'entreprise, et soient formés à tout ce qui est l'économie de l'entreprise. Parce que, en général, ce sont des profils sociaux et pas trop économiques. Et, donc, il y a peut-être des perceptions qui sont, là aussi, à vérifier, pour faire en sorte que ces personnels soient beaucoup plus en adéquation avec ce qu'est l'économie, ce qu'est l'entreprise et ce qu'est un chef d'entreprise.
Sur le service civil : je ne répondrai pas, je n'ai pas travaillé sur ce thème. Le CIO vide : oui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que les missions locales font de l'orientation. Les Bij, les Pij, les Crij (tout ce qui est « bureaux d'information jeunesse », qui dépendent du ministère de la jeunesse et des sports) font de l'orientation. Les CIO ont de l'orientation, les associations font de l'orientation, les CIBC font de l'orientation... Enfin beaucoup de structures font de l'orientation. C'est un premier point.
Deuxième point : je crois que les CIO sont trop sur le modèle « éducation nationale », et ne sont pas assez ouverts sur l'ensemble des métiers, et des emplois. Un troisième élément a trait à internet. Beaucoup de jeunes, aujourd'hui, cherchent leur orientation sur internet. Il est peut-être intéressant - et c'est aussi une proposition que nous avons faite dans notre avis - de faire en sorte qu'il y ait un seul système d'orientation (avec une adresse seule) à destination des jeunes, avec des liens sur tout ce qui existe. Quand nous regardons, il y a au moins une quarantaine d'adresses qui donnent de l'information sur l'orientation des jeunes. Et, quelque part, dans tout cela, nous nous posons la question de savoir comment les jeunes vont s'en sortir pour trouver, réellement, non seulement ce qu'ils veulent faire, mais, surtout, pour avoir l'information précise de ce qu'ils veulent faire. Je pense qu'Internet est une solution, mais le contact humain, l'approche de réflexion avec une personne qui a les compétences en matière d'orientation, sont, aussi, amplement nécessaires.
Le taux de sortie : j'aimerais bien vous aider sur les indicateurs. Sincèrement, là, dans l'immédiat, je ne peux pas vous répondre mais c'est avec plaisir que je prendrai vos coordonnées et que j'essaierai de voir si je peux vous aiguiller ou, en tout cas, de vous orienter vers des personnes. Parce que le vrai problème, c'est de trouver les bons indicateurs de performance qui permettent de dire comment nous mesurons, après.
Guichet unique, aussi, j'ai entendu. Il avait été question, à une époque, de mettre en place des guichets uniques dans les structures d'insertion, pour permettre, justement, de simplifier. En matière d'orientation - particulièrement d'information et d'orientation - cela ne s'est jamais fait. Parce que, quand nous voyons que chaque ministère essaime ce qu'il lui importe, c'est difficile, ensuite, de regrouper le tout. J'avais suggéré, quand j'ai rédigé cet avis, -et ce sera ma conclusion - qu'il était important qu'il y ait, auprès du Premier ministre, quelqu'un qui gère la politique de la jeunesse, en coordination avec l'ensemble des ministères et, surtout, qui simplifie les choses. Je dirais qu'aujourd'hui, avec Monsieur Hirsch, apparemment, c'est chose faite. Ceci étant, je ne sais pas si, par l'approche de l'expérimentation - même si c'est une bonne approche - cela débouchera sur une politique de la jeunesse, parce que, ce qui est valable sur une expérimentation d'un territoire, n'est pas obligatoirement ce qui peut être mis en oeuvre sur un autre territoire, les acteurs n'étant pas les mêmes. Et, donc, je ne sais pas ce qu'il en ressortira, certainement des choses très bien. Mais je me demande si cela permettra de mettre en oeuvre une politique de la jeunesse, par rapport à l'ensemble des constats que nous avons fait au CESE, et des orientations et propositions que vous avez bien voulu entendre aujourd'hui en m'auditionnant.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci Madame, d'avoir participé à notre réflexion en devenir.
Table ronde avec des représentants des organisations étudiantes
(25 mars 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les sénateurs ont souhaité mettre en place cette mission d'information sur la politique en faveur des jeunes, compte tenu des difficultés multiples que nous percevons, relatives à la jeunesse.
Afin de sérier les problèmes et parce que nous souhaitons être le plus concret possible, nous avons choisi de travailler sur la tranche d'âge 16-25 ans, sachant que ce n'est pas exhaustif et que ne sont pas non plus exhaustifs les thèmes que nous avons retenus. Mais ce sont ceux qui nous paraissent les plus urgents à traiter, et sur lesquels nous allons vous demander vos points de vue, à savoir l'orientation, la formation et l'emploi ainsi que l'autonomie des jeunes, le logement et la santé.
Je voudrais, avant de vous passer la parole, vous remercier d'être là. Nous sommes très sensibles au fait que vous vous soyez déplacés. Cette mission est très limitée dans le temps. Nous voulons rendre au moins un rapport d'étape si nous ne sommes pas en mesure de conclure définitivement d'ici la fin du mois de mai. Ce que nous voudrions vous demander, à vous et aux personnes que nous auditionnons en général, c'est d'être le plus concret possible. C'est-à-dire, parlez-nous de votre état des lieux, de ce que vous constatez, de ce qui marche, de ce qui ne marche pas et faites-nous des propositions, de ce qui vous paraît le plus urgent dans le cadre des thèmes retenus.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Comme l'a dit la présidente, nous sommes contraints par le temps. Les thèmes que nous abordons sont plus limités que prévu mais bien évidemment si vous avez des informations à nous donner, vous pouvez nous les donner par notes, par dossiers, cela enrichira notre réflexion.
La première question concerne la manière de renforcer les dispositifs d'orientation, d'améliorer l'articulation entre lycée et université. Selon vous, le dispositif d'orientation active commence-t-il à porter ses fruits ?
Deuxième question, la loi relative aux responsabilités des universités leur a confié une mission d'insertion professionnelle. Les universités organisent-elles efficacement ces structures ?
Comment répondre au double problème récurrent qui est le suivant : de nombreux jeunes diplômés ne trouvent pas d'emploi tandis que de nombreux employeurs surtout dans certains secteurs ne trouvent pas de personnes qualifiées pour occuper les emplois qu'ils proposent.
Autre question : comment, à votre avis, régler le problème de la première année de faculté ? Est-ce qu'il faut modifier, mettre en place des passerelles ? Parce qu'aujourd'hui, comme vous le savez, on est obligé d'aller jusqu'à la fin de l'année. Est-ce que c'est un problème sur lequel vous avez des idées, des suggestions à faire ?
Voilà les quatre questions que je souhaitais vous poser sur cette première partie.
M. Jean-Baptiste PREVOST, président de l'UNEF - Dans un premier temps, nous vous remercions de votre invitation et de cette table ronde. Le constat que nous faisons aujourd'hui à l'UNEF sur la jeunesse, avant d'en venir à quelques propositions sur les thèmes que vous évoquiez, est le suivant : la jeunesse est une transition dans la vie d'un individu et la jeunesse devrait être l'âge de tous les possibles, où les individus peuvent conduire leurs projets de vie, de formation, d'insertion, en étant libres d'un certain nombre de contraintes.
Or ce que l'on constate est que, malgré l'allongement de la durée des études, malgré l'évolution de la société d'ailleurs, de l'évolution en termes de qualifications imposées, malgré un âge également de plus en plus long entre la sortie de l'enseignement obligatoire et l'entrée dans le premier emploi stable depuis une trentaine d'années, la société n'a pas mis en place en direction de la jeunesse les mécanismes de protection et les réponses politiques permettant de couvrir ce voyage de la vie de la même manière qu'après la seconde guerre mondiale. Alors même qu'après le travail, un nouveau temps de la vie était apparu, notamment l'âge de la retraite, la société avait mis en place un système de retraite solidaire pour sortir les individus de la solidarité familiale ou du travail pauvre.
Donc premier constat, il existe nouveau voyage de la vie qui n'est couvert par aucun statut social. Deuxième constat, je voudrais revenir sur quatre fautes politiques ou quatre mauvaises approches que l'on a eues par le passé, en direction de la jeunesse et dont, je crois, nous devons sortir aujourd'hui. La première erreur politique qui a été faite est de considérer la jeunesse comme un mal nécessaire, un purgatoire, une période dont il faudrait sortir assez vite. C'est toujours un état d'esprit que l'on constate et que l'on rencontre notamment dans les entreprises qui continuent à demander même à des jeunes très qualifiés de faire leurs preuves et de faire preuve de leur expérience. Et cela, je crois, est un premier problème.
Deuxième erreur, une opposition qui a été faite par le passé entre deux jeunesses, entre une jeunesse très qualifiée, sous-entendue dorée et une jeunesse défavorisée, celle qui sort du système éducatif notamment sans diplôme. Je crois que cela correspond à une réalité sociale - il y a des inégalités fortes entre les jeunes - mais que les situations sont différentes. Il y a besoin aujourd'hui de reposer le problème de la jeunesse dans sa globalité et de répondre à des aspirations qui sont communes à l'ensemble des jeunes : l'aspiration à se former, l'aspiration à l'insertion professionnelle et le besoin d'autonomie. Et je crois qu'à force de diviser les jeunes entre eux, on a eu des réponses partielles, on a revu à la baisse les objectifs notamment. Et je crois que c'est un moyen d'amoindrir les ambitions dont on doit se passer et cela ne correspond surtout pas à la réalité. Aujourd'hui, deux tiers des jeunes sont dans le post-bac, se qualifient de plus en plus. Il y a une réelle massification. Et beaucoup d'enfants des milieux populaires sont aujourd'hui en formation supérieure.
La troisième erreur qui a été faite est, je crois, celle-ci : les politiques en direction de la jeunesse ont jusqu'à présent toujours procédé par soustraction par rapport à des dispositifs et à des droits communs, notamment sur le marché de l'emploi, le marché du travail, l'exemple type étant l'idée d'un SMIC jeune ou d'un contrat spécifique. Il faut absolument considérer le fait qu'un jeune a un projet de formation, un besoin de formation, aspire à une insertion durable et qui soit la plus stable possible et souhaite accéder aux dispositifs de droit commun. On a constaté que depuis une quinzaine d'années, concernant tous les dispositifs mis en place en direction de la jeunesse : soit on revoit à la baisse un certain nombre de droits, soit on ne reconnaît pas la nécessaire autonomie des jeunes par rapport à leur famille. Et c'est notamment le volet politique familiale : les jeunes entrent par effraction dans certains nombres de dispositifs. Je pense, par exemple, aux aides aux logements qui, aujourd'hui, sont un dispositif très efficace, qui aide les jeunes à accéder à un logement indépendant mais qui au départ n'était pas prévu pour eux. Donc on n'est pas aujourd'hui dans une demande. Avant d'en venir aux propositions concrètes, je termine sur mon constat. On n'est pas aujourd'hui dans une demande de charité, on n'est pas aujourd'hui dans une demande d'empilements de mesures sans cohérence pour colmater les brèches d'un système. On est dans une demande de refonte globale, de propositions à la jeunesse, et de nouveau projet politique global qui répondent à leurs aspirations, qui ouvrent des droits nouveaux et qui répondent à leur besoin de formation et d'insertion. On parlera de la question financière mais elle ne s'y réduit pas.
Je crois qu'il faut, et c'est mon dernier mot sur le constat, reconnaître, au préalable, les situations de dépendance que subissent les jeunes aujourd'hui : dépendance familiale qui reproduit les inégalités sociales, dépendance aussi à l'égard d'une situation de précarité notamment de la précarité des petits « boulots », pour ce qui concerne les étudiants, concurrents aux études, et qui augmente de près de 40 % l'échec en premier cycle universitaire. Donc il faut poser, au préalable, des objectifs, pour nous. Cela doit être de donner les moyens à une génération de construire son projet de vie, de formation et d'insertion, d'accéder à une formation supérieure. C'est le préalable pour entrer dans de bonnes conditions dans la vie active et un tel projet aurait d'ailleurs des effets macroéconomiques non négligeables mais on aura peut-être l'occasion d'y revenir.
Pour répondre plus spécifiquement aux questions que vous posiez : je vais tout d'abord répondre à celle concernant l'orientation. Elle doit aujourd'hui être considérée comme un moyen d'aider les jeunes à construire leur projet, et pas comme une contrainte ou comme un moyen de les décourager. C'est notamment le problème de l'orientation active telle que nous le constatons aujourd'hui. Principalement par manque de moyens, elle ne fait pas l'objet, par exemple, de rendez-vous individuels avec les lycéens. Cela n'est pas entrepris non plus dans les universités ni dans aucune autre structure. Cela se limite surtout à une réponse automatique, parfois par voie électronique, aux questions que peuvent se poser les jeunes et leur famille. Elle est souvent utilisée comme un moyen de réguler les flux en fonction soit des objectifs des établissements en termes de remplissage de certaines filières, soit en fonction d'objectifs en termes d'insertion professionnelle sur lesquels on manque aujourd'hui d'outils et de dispositifs pour mesurer notamment les besoins en la matière.
Donc il y a besoin en matière d'orientation, premier élément, de moyens humains, de suivi individualisé à partir de la troisième jusqu'au lycée et aux premiers cycles universitaires. Nous sommes favorables, à l'UNEF, à l'instauration d'un rendez-vous obligatoire d'orientation et à la mise en place d'un suivi d'orientation qui suive l'étudiant et le lycéen pendant tout son parcours. Sur l'articulation entre lycée et université, la transition entre le secondaire et le supérieur est déterminante, notamment pour lutter contre l'échec dans les premières années à l'université. Ce que l'on constate est que le premier cycle universitaire est souvent un « bizutage pédagogique ». Les lycéens n'y sont pas préparés.
Deuxième constat : il y a des voies de contournement aujourd'hui qui existent et qui font que, trop souvent, les premiers cycles universitaires sont des choix par défaut pour des lycéens qui n'ont pas pu notamment aller dans les filières auxquelles ils se destinaient. Je pense en particulier aux bacheliers professionnels technologiques qui concentrent un certain nombre de difficultés aujourd'hui quand ils sont dans les universités et pour lesquels on avait mis en place des filières qui ont été détournées de leur objectif initial. Je pense aux BTS et aux IUT notamment. Je ne développe pas mais il faut poser la question des structures. C'est un élément important, notamment dans l'enseignement supérieur et unifier, rééquilibrer notre système d'enseignement supérieur au bénéfice des universités.
Deuxième remarque, il y a besoin de changer la pédagogie en premier cycle universitaire. On est encore trop dans le modèle des cours en amphithéâtre à l'ancienne et dans une pédagogie qui, par manque de moyens, est peu individualisée et fait que les étudiants sont perdus dans les premiers cycles. Il faut détecter l'échec et les situations d'échec dans les premières années. Et notamment, l'orientation active pourrait servir à cela, mais ne le fait pas aujourd'hui. Elle pourrait mettre en place dès le premier semestre des dispositifs de rattrapage et de lutte contre l'échec.
Troisième remarque, il faut mieux préparer les lycéens à l'enseignement supérieur. Imaginons une réforme du lycée qui notamment prépare à l'autonomie des lycéens dans le travail et qui leur donne un certain nombre de prérequis méthodologiques qui leur manquent dans les premiers cycles. Je pense à la recherche documentaire, au travail en groupe, à la nécessité de construire un travail qui soit moins un travail scolaire.
Et bien évidemment, quatrième élément dans les premiers cycles universitaires, il y a un besoin aujourd'hui de renforcer l'encadrement qui est aujourd'hui sous les moyennes européennes en la matière. Il n'y a pas assez d'encadrement humain dans les premiers cycles. C'est vrai pour tous les sujets : l'orientation dans les premières années, les bibliothèques peu ouvertes mais aussi sur l'encadrement en termes d'enseignement. Tant que l'on n'aura pas réglé cette question-là et que l'on ne mettra pas les universités au niveau des classes prépas aux grandes écoles ou même des grandes universités européennes en matière d'encadrement du premier cycle, la lutte contre l'échec restera une vaine promesse. Donc j'ai répondu sur l'échec en partie et mon dernier mot sera sur la mission d'insertion professionnelle des universités.
Notre sentiment est que nous avons un peu réinventé la poudre en 2007 sur ce sujet. Cela faisait bien longtemps que les universités s'étaient posé la question du lien au monde du travail, qu'elles avaient créé des IUT. On parle d'établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel depuis 1984. Donc il y a eu beaucoup d'habillage autour de cet élément-là. Si on regarde dans le détail, les universités ont pour rôle de mieux préparer les étudiants à l'insertion professionnelle. C'est la question des stages encadrés et rémunérés, intégrés dans les cursus et le corollaire doit être d'ailleurs leur interdiction après le diplôme notamment. On y reviendra peut-être en parlant d'emploi mais, aujourd'hui, cela crée un effet d'aubaine pour les entreprises et empêche les jeunes d'accéder à une solution d'embauche stable.
Deuxième élément, il faudrait des modules d'enseignement qui préparent à l'insertion professionnelle. De ce point de vue-là, on a très peu évolué.
Troisième élément, il faudrait avoir au sein des universités des lieux comme des bureaux qui permettent de concentrer l'offre de stage, de mettre en place un suivi des stages et de mettre à disposition des informations sur l'insertion professionnelle. Les bureaux d'aide à l'insertion professionnelle prévus par la loi sur l'autonomie ont été peu mis en place, en particulier par manque de moyens.
Remarque générale : de notre point de vue, si l'on veut traiter sérieusement cette question de l'insertion professionnelle, il faut sortir d'un débat public dont la tonalité aujourd'hui ne permet d'aborder la question de manière satisfaisante. Nous sommes notamment en permanence dans une mise en accusation du système éducatif, quasiment responsable du chômage des jeunes. Je crois que nous n'en sortirons pas et que nous ne parviendrons pas à trouver les bons dispositifs par cette seule approche.
Dernière remarque sur l'emploi. Cela sera mon dernier sujet. Sur la question de l'emploi, je crois qu'il faut « marcher sur ses deux jambes » en matière d'emploi des jeunes. Il y a la question des jeunes non qualifiés qui ont un besoin prioritaire d'accès à une formation qualifiante. De ce point de vue-là, les dispositifs prévus par Martin Hirsch de contrats d'apprentissage, de professionnalisation, d'alternance sont une réponse intéressante à monter en puissance, à la condition qu'il y ait une perspective d'embauche claire à la suite et que l'on résolve la question du taux de rupture particulièrement important dans les contrats d'apprentissage. Aujourd'hui, c'est un problème et on ne peut pas faire comme si cela était une solution valable qui ne pose aucune difficulté.
La troisième remarque est celle des jeunes qualifiés qui sont de plus en plus nombreux et qui sont eux en difficulté lors de leur entrée dans le marché de l'emploi. Nous proposons plusieurs choses. La première est d'évacuer toutes les solutions qui participent d'une précarité importante. J'ai parlé des stages hors cursus. Je pense qu'il faut aussi résorber au maximum les emplois précaires dont les jeunes sont les premiers à occuper et qui ne permettent pas une insertion durable et de qualité. Je crois qu'il faut également reconnaître mieux les qualifications notamment dans le cadre des conventions collectives, puisque l'on se rend compte que les entreprises bénéficient des compétences acquises et des connaissances des jeunes diplômés sans les reconnaître ni les rémunérer. Il y a un effet d'aubaine important qui participe d'une désespérance, je pense, chez les jeunes qui rencontrent des difficultés d'insertion professionnelle.
Dernière remarque, et c'est une proposition que nous formulons auprès de Martin Hirsch, nous avons besoin de protéger et de sécuriser d'un point de vue social la période de recherche du premier emploi pendant laquelle, aujourd'hui, les jeunes diplômés n'ont pas droit à une indemnisation chômage suffisante malgré les dispositions prévues par l'accord entre les partenaires sociaux en janvier dernier et n'ont droit à aucun des minima sociaux. On chiffre les besoins financiers, en matière de recherche d'emploi de 300 à 400 euros par mois. C'est à peu près le coût d'un mois de recherche d'emploi. Il faut sécuriser cette période de recherche d'emploi et l'accompagner. Il faut mettre en place un accompagnement individuel des jeunes qui n'existe pas aujourd'hui ou qui est trop faible comme dans le cas des missions locales. Donc je crois que concernant la recherche du premier emploi et sur la nécessité de mieux sécuriser cette période, il y a un enjeu de réforme important pour les jeunes diplômés.
M. Maximilien CARTIER, vice-président de la FAGE - La jeunesse, pour nous, c'est la période de 15 à 25 ans. C'est la période fondamentale de la vie, qui va déterminer énormément l'avenir de chaque jeune. C'est une période qui, en termes d'emploi, en termes intellectuels et en termes culturels, va lui donner des acquis et lui permettre plus ou moins d'avoir un tremplin, ou au contraire de partir avec un handicap dans sa vie qui va le pénaliser, qui va l'empêcher de continuer par la suite.
Au niveau de la FAGE, on note la multiplicité pour cette tranche d'âge de dispositifs existants et on a un séquençage de la jeunesse entre les étudiants d'un côté, les jeunes qui n'ont pas d'emploi, qui font de la formation de l'autre, et donc il y a un groupe hétérogène qui existe en termes de jeunesse. Pour nous, ce qui est fondamental est de recréer une certaine homogénéité et de créer une sorte de dispositif où un jeune de quinze ans entre et va pouvoir combler les inégalités qui existent entre les différents jeunes de cette classe d'âge. Il est illusoire de penser que l'on va réussir à rééquilibrer totalement les inégalités existantes. Il y aura toujours effectivement des étudiants qui seront plus fortunés que d'autres.
Mais il faut au moins permettre d'obtenir un socle, un minimum qui va permettre à ces jeunes d'accéder à un véritable tremplin, qui va permettre d'arriver à combler les lacunes qui peuvent exister en termes financiers, culturels ou intellectuels, de telle sorte qu'ils puissent avoir de véritables chances pour l'avenir. Ce dispositif doit englober tout ce qui existe actuellement, c'est-à-dire au niveau des étudiants et de ce côté c'est assez simple, financièrement, ce sont tous les systèmes de bourses qui existent avec notamment une refonte du système.
Malgré tout, le système actuel ne tient pas vraiment compte de l'étudiant lui-même. Ils se basent sur les ressources des parents. Il y a des effets de seuil qui sont créés par les différents échelons de bourse et on peut avoir pour dix euros, une différence du montant des bourses qui est importante et qui peut ne pas être justifiée. Cela exige une refonte. Pour un jeune qui n'est pas dans l'enseignement supérieur et qui a un projet professionnel qui ne s'inscrit pas dans une démarche d'enseignement supérieur, il serait intéressant d'avoir un peu, comme les FAJ, des fonds d'aide pour les jeunes dans certaines régions, une sorte de tremplin de financement qui va lui permettre de construire un avenir et un projet professionnel, de telle sorte qu'il ait un accueil, un accompagnement tout au long de son projet professionnel afin qu'il puisse se diriger lui aussi vers une insertion convenable.
Au-delà de tout ce qui est financier, j'y reviendrai un peu plus tard, il y a aussi, vous parliez d'orientation, le problème de l'insertion professionnelle. Il ne faut pas se leurrer : un étudiant ou un jeune de quinze ans n'a pas obligatoirement les mêmes compétences, les mêmes chances, on va dire, qu'un autre étudiant qui sera plus fortuné. Je vais prendre mon exemple. J'avais des difficultés en mathématiques quand j'étais jeune, j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont payé une remise à niveau. Malheureusement, si un étudiant ou un jeune n'a pas ces possibilités-là, il part avec un désavantage.
Il faut également mettre en place tout un dispositif de remise à niveau de cette tranche d'âge et cela concerne aussi l'université. Actuellement, le baccalauréat « déverse » beaucoup de jeunes. Quelque part, on s'en débarrasse un petit peu et il revient à l'université de trouver la solution pour les insérer, pour les « recycler » en quelque sorte s'ils n'y arrivent pas. Là aussi, il y a tout un dispositif à repenser, un lien qui doit être repensé avec le lycéen, de telle sorte, non plus de se débarrasser de ces étudiants sans se préoccuper de leur avenir, mais aussi de les favoriser. Tout ce qui est BTS, insertion par alternance etc. et qui ont une image négative parce que destinés soit à ceux qui sont moins bons, soit à des personnes qui n'ont pas les moyens, il faut aussi revaloriser ces formations pour permettre à ces jeunes qui réussissent plus ou moins leur baccalauréat de s'insérer dans ces filières.
En termes financiers, une autre problématique concerne le RMI. Le RMI n'est pas disponible pour les jeunes de moins de 25 ans. Là aussi, on est un des derniers pays en Europe qui considère qu'une classe d'âge ne peut avoir accès à une aide en cas de perte d'emploi, en cas de non-emploi. A mon avis, le fait d'élargir le RSA qui existe, mis en place par Martin Hirsch à l'ensemble de cette catégorie d'âge pourrait être aussi un dispositif supplémentaire qui permettrait une bonne insertion des jeunes de 15 à 25 ans. Encore une fois, ce dispositif ne doit pas être pris de manière isolée mais doit être inséré à un dispositif global qui prenne non seulement en compte le côté financier mais aussi le projet professionnel et l'accompagnement du jeune ou de l'étudiant.
Au-delà de cela, j'aimerais quand même aborder le point de vue culturel. Les jeunes de 15 à 25 ans n'ont pas les mêmes avantages culturels en fonction de leur catégorie sociale. Là aussi, il y a des dispositifs qui existent chez les étudiants qui sont les Pass Culture, ce genre de choses... Dans ce dispositif pourraient aussi être incluses des mesures pour faciliter l'accès à la culture, pour faciliter l'obtention du permis de conduire. Pour un jeune de 15 à 25 ans, pouvoir obtenir son permis de conduire, c'est quand même un avantage fondamental. Les classes moyennes ou les classes plus pauvres ont beaucoup de difficultés à avoir cet avantage-là.
Vous vouliez que l'on aborde la santé, je vais vous parler de l'équilibre alimentaire. Prenez un étudiant qui va avoir la chance d'accéder à la restauration universitaire, donc pour 2,85 euros, un tarif social, il peut avoir un repas équilibré constamment et donc réussir à se nourrir convenablement. Malheureusement, un jeune qui n'est pas dans l'enseignement supérieur, qui n'a pas accès aux services du CROUS, lui, est dans la même tranche d'âge et n'a pas accès à ce même service. Donc peut-être, il faudrait prévoir dans ce dispositif général, d'avoir soit une sorte de ticket restaurant pour jeunes ou bien même élargir l'accès des restaurants universitaires. Ce sont des structures qui existent et qui fonctionnent déjà bien. On sait qu'elles n'ont pas une fréquentation extrême et qu'il y a un déficit à ce niveau-là. Cela pourrait aussi être un avantage pour ces jeunes d'accéder à ce type de services.
Concernant le logement comme le disait l'UNEF, les APL sont un peu rentrées dans ce système par hasard et les jeunes ont eu cette chance. Je crois que c'est quand même un dispositif fondamental, pour cette tranche d'âge, d'accéder et d'avoir une certaine autonomie vis-à-vis du domicile familial. Vous savez qu'actuellement, c'est assez injuste. Finalement, lorsque vous êtes étudiant, vous n'avez pas de revenus. Donc théoriquement vous avez le maximum d'APL, mais malgré cela, un barème est appliqué de 5 000 euros. Comme si vous touchiez un minimum de 5 000 euros par an qui pour certains étudiants qui n'ont vraiment pas de moyens les pénalise par rapport à ceux qui auraient un travail à côté ou qui ont plus d'APL. Donc là aussi, il y a une certaine inégalité qui est mise en place et ce système d'accès au logement est quand même un accélérateur formidable. Surtout pour cette tranche d'âge, ce sont ceux qui ont le plus besoin d'accéder au logement, ce sont ceux qui ont le plus besoin d'avoir une indépendance vis-à-vis de leur famille. Je crois que ce sont des dispositifs qui sont à repenser, mais encore une fois dans la globalité et pas seulement les APL d'un côté, les bourses de l'autre, une sorte de RMI/RSA pour étudiants et pour jeunes. Il faut vraiment un dispositif global pour offrir une sorte de paquet à un jeune qui arrive à 15 ans pour qu'il puisse savoir en termes d'orientation et financiers à quoi s'en tenir. Il faut créer une sorte de remise à niveau, une sorte de plafond de telle sorte qu'il puisse véritablement bien démarrer dans la vie.
Pour terminer, je vais encore vous parler rapidement de la citoyenneté. Le service civique, c'est également quelque chose qui nous tient particulièrement à coeur. Je crois que cela ne doit pas être obligatoire pour les étudiants, pour les jeunes mais qu'il doit être un vrai « plus de vie ». C'est un service à repenser. Il faudrait essayer de le généraliser le plus possible pour donner une expérience à cette jeunesse. Et c'est aussi une démarche en termes de citoyenneté qui peut être très intéressante et qui à mon avis est à promouvoir au sein de ces futurs dispositifs.
M. Rémi MARTIAL, délégué national de l'UNI - En guise d'introduction, merci à vous d'avoir mené cette mission. Effectivement la question des politiques de la jeunesse est aujourd'hui importante, centrale. Elles sont au coeur du débat. Permettez-moi avant d'aborder les thèmes de l'orientation, de l'emploi, de l'insertion de faire une petite introduction sur ce qui nous semble important sur la politique de la jeunesse.
Tout d'abord on a deux écueils à éviter, des réflexes que l'on a eus dans le passé quand on s'adressait à la jeunesse, lorsque l'on menait une politique de jeunesse. Tout d'abord, évitons de mener une politique spécifique aux jeunes. Généralement, les politiques dirigées vers les jeunes ont été des politiques en termes associatifs, de développement sportif, etc... une politique essentiellement basée sur le loisir. Et puis, évitons aussi l'écueil d'un certain jeunisme. Je m'explique. Je pense notamment aux créations d'institutions, pensant qu'en créant des institutions dans lesquelles les jeunes sont représentés comme le conseil national de la jeunesse ou aux assises nationales de la jeunesse que cela pourrait répondre aux besoins des jeunes. Non seulement cela ne répond pas aux besoins des jeunes mais cela n'a pas une véritable utilité. Surtout, cela confirme l'impression que l'on pourrait avoir que la jeunesse est à part dans la société, et que quelque part qu'elle en est coupée. Ce qu'il faut savoir en deux points est qu'il n'y a pas une seule jeunesse finalement mais des jeunesses. Tous les jeunes sont différents. On ne peut pas s'adresser à la jeunesse de la même manière, étant donné par exemple, qu'un jeune qui a 28 ans, qui est doctorant peut se sentir plus jeune qu'un agriculteur qui a 20 ans ou qu'un jeune qui monte son entreprise.
Il est difficile de s'adresser à la jeunesse comme un seul bloc et on comprend l'intérêt de s'adresser aux jeunes et de mener une politique pour les jeunes entre 16 et 25 ans. Mais c'est vrai qu'il faut réfléchir et aller au-delà, c'est un premier point. Le deuxième point : les jeunes ne demandent pas à être enfermés dans un statut parce qu'il est vrai que c'est une idée qui peut germer dans certains esprits. Les jeunes sont finalement des jeunes adultes et n'aspirent qu'à une chose, que l'on les considère comme tels et n'aspirent qu'à leur autonomie, l'autonomie étant un thème central aujourd'hui.
Un petit point là-dessus : pour nous, l'autonomie est d'abord un processus, ce n'est pas quelque chose qui se décrète, ce n'est pas quelque chose qui se décide mais c'est un processus dans le temps qui est non linéaire et qui n'est pas le même pour chaque jeune. Deux jeunes de vingt ans peuvent ne pas avoir les mêmes priorités au même moment. Pour certains, la priorité est d'abord le logement ; pour d'autres, c'est l'emploi ; pour d'autres c'est d'abord une formation.
Donc ce n'est pas quelque chose que l'on peut décréter. Au contraire, pour nous, il faut lever certains obstacles et répondre à trois priorités principales qui sont l'accès à l'emploi, l'accès au logement et l'accès à la formation. Alors juste un petit point sur l'autonomie, il faut penser également à l'accompagnement de la famille. Lorsque l'on parle d'autonomie, on peut avoir ce réflexe de vouloir nous couper de la famille. Ce n'est pas forcément une volonté et la famille a un grand rôle à jouer. Une étude de l'INSEE qui prouve notamment que 88 % des jeunes de 19 à 24 ans reçoivent une aide financière de leur famille et c'est un taux qui monte jusqu'à 97 % chez les étudiants.
L'autonomie, c'est donc vis-à-vis de la famille qui doit nous accompagner. Il ne doit pas y avoir de rupture. Dans un autre sens, l'autonomie, c'est aussi vis-à-vis des pouvoirs publics. Il faut faire attention, nous ne devons pas être les récipiendaires et être dépendants des pouvoirs publics lorsque l'on parle de politique de la jeunesse.
Alors juste quelques propositions concernant l'emploi, l'information, l'orientation. Premièrement, nous devons multiplier les passerelles entre les étudiants et les entreprises. Pour nous c'est vraiment une priorité. Effectivement, cela a été institutionnalisé dans le cadre de la mission insertion avec la loi LRU. Cependant, il y a encore beaucoup de choses à faire. Il est difficile de faire un bilan aujourd'hui. Mais si certaines universités jouent le jeu aujourd'hui, ce n'est pas le cas de toutes les universités en France. Nous devons favoriser l'emploi étudiant, les jobs étudiants. Les universités ont un rôle important à jouer là-dedans.
Nous, nous proposons par exemple que les universités puissent embaucher des étudiants dix heures par semaine pour faire notamment de la surveillance en bibliothèque, ce qui permettrait en même temps d'ouvrir les bibliothèques plus tardivement ou le week-end. Nous devons mettre en place de véritables bureaux d'aide à l'insertion professionnelle. C'est quelque chose qui a été instauré par la loi LRU. Cependant, les dossiers qui ont été remis sont un petit peu différents. Certains manquent de moyens. Nous concernant, les BAIP, doivent surtout être une ouverture vers le monde extérieur et un moyen pour les entreprises d'embaucher des contractuels, de signer des partenariats avec de vrais professionnels de l'insertion. Nous devons également multiplier les unités d'enseignement sur la connaissance de la vie de l'entreprise. Si toutes les filières n'ont pas la même valeur professionnalisante, il est important pour tous les étudiants d'avoir au moins des bases, un minimum de connaissances de la vie professionnelle, de la vie de l'entreprise : quelles sont les fonctions de l'entreprise ? Comment s'y adresse-t-on ? Comment rédiger un CV ? Savoir rédiger une lettre de motivations, savoir s'exprimer lors d'un entretien, ce sont des choses importantes auxquelles de nombreux étudiants, même de niveau bac plus cinq, n'ont pas accès.
Enfin concernant les passerelles université/entreprise, pour nous, il est important de pouvoir accompagner le jeune vers un premier emploi. Et la solution qui est peut-être à développer est celle-ci : les stages de fin d'étude. On le voit dans les Grandes Écoles, c'est quelque chose qui marche très bien. Souvent le stage de fin d'étude est un premier travail finalement. A la fin du stage, on est généralement embauché par l'entreprise. C'est quelque chose qui n'est pas encore ancré dans les Universités. Cela n'est pas encore dans leur culture et c'est un point que l'on pourrait développer.
Pour les jeunes qui sont « moins » étudiants, puisqu'il s'agissait jusqu'ici de propositions qui se destinaient aux étudiants, ceux qui se sont arrêtés au bac ou qui n'ont pas le bac, il nous semble intéressant de pouvoir améliorer des dispositifs existants. Plutôt que de créer de nouvelles aides, regardons plutôt ce qui existe déjà. Il y a deux contrats qui me semblent intéressants : le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation. Ces contrats répondent à des attentes. Il y a aussi un certain consensus que l'on voit notamment autour de la mission de Martin Hirsch, un consensus qui a l'air de se dégager : regarder comment favoriser l'emploi dans ce domaine avec des contrats de professionnalisation et fiscalement encourager de plus en plus les entreprises à développer ce type de contrats.
Un point sur l'orientation, qui est pour nous une priorité. Aujourd'hui, il y a un vrai problème d'orientation. On se rend compte notamment qu'il y a des collégiens qui ne vont pas forcément dans les bonnes filières au lycée, des lycéens qui ne vont pas forcément dans les bonnes filières dans l'enseignement supérieur. Pour nous l'orientation, c'est un accompagnement au quotidien qui commence très tôt, dès le collège, qui se poursuit au lycée, qui se poursuit à l'université. On a un vrai besoin d'information, c'est pourquoi les annonces récentes de Xavier Darcos avec une hotline et la création d'un site Internet sont intéressantes pour avoir toutes les informations et notamment sur la réalité du marché du travail et sur les débouchés des filières d'enseignement supérieur et de l'Université. Aujourd'hui, il y a profusion de formations sauf que l'on leur dit peu souvent la vérité. Il faut savoir que lorsque l'on s'engage dans certaines filières, il n'y a pas forcément de débouchés à la fin et c'est vraiment important d'améliorer ce dispositif. Ce que l'on demande, qui a surtout trait aux universités et à la loi LRU, c'est de connaître enfin en les publiant les taux de débouchés de chaque filière diplôme par diplôme, université par université. Que ce ne soit pas des taux qui différent d'université en université mais que cela soit des taux comparables au niveau national. Cela fait très longtemps que cela doit être fait. Et là, très clairement, les universités ne jouent pas le jeu.
Enfin, dernier point qui est un peu différent, nous souhaitons favoriser l'entreprenariat. Lorsque l'on voit le succès du statut d'auto-entrepreneur, on se rend compte qu'il y a une volonté d'aller vers la création d'entreprise et c'est quelque chose qui peut s'adresser notamment à des jeunes qui n'ont pas de diplôme. Cela peut-être une solution intéressante mais les jeunes ont besoin d'outils. Ils ont besoin que l'on favorise leurs initiatives parce que, généralement, lorsque l'on se tourne vers les jeunes, on a souvent la larme à l'oeil. Or, ce que les jeunes attendent des pouvoirs publics, c'est certes en partie de pouvoir bénéficier d'aides directes mais c'est aussi surtout que l'on puisse les aider, les favoriser dans leur projet professionnel parce que nous sommes également une génération qui a énormément de projets, et d'idées. Nous n'avons qu'une envie, celle de pouvoir concrétiser ces projets.
M. Mathieu BACH, délégué général de PDE - Je souhaiterais tout d'abord faire deux remarques en préambule et puis j'essaierai de répondre pragmatiquement aux différentes pistes que vous avez soulevées. Première remarque : les étudiants sont multiples, divers et variés de par leurs origines sociales certes mais aussi pour leur appétence concernant leurs études, leur projet professionnel, l'envie de construire leur avenir et cela représente chacun d'entre nous. Même si chacun a sa vision de son avenir. C'est une remarque que je pense nécessaire en guise d'introduction. La deuxième chose est celle-ci : nous avons vécu depuis quarante ans une massification, une démocratisation de notre enseignement supérieur. C'est une réelle chance pour notre pays, pour notre société, pour l'économie mais également pour faire grandir ensemble notre Nation.
Concernant ce premier thème orientation-formation-insertion, c'est une bonne idée de regrouper ces trois thèmes puisqu'il n'y a pas de bonne insertion sans une bonne formation et pas de bonne formation sans une bonne orientation. Donc il est impensable de séparer ces trois aspects. Du point de vue de l'orientation, on peut dire qu'elle se construit tout au long du lycée. Pour nous, il est nécessaire de renforcer les relations entre le lycée et l'université en faisant en sorte que les heures de vie de classe aux lycées soient consacrées à la venue d'enseignants, de professionnels afin qu'ils donnent un aperçu des différents métiers. Nombreux sont les étudiants qui ont une certaine vision, une certaine icône d'un métier alors que c'est très loin de la réalité.
Il est nécessaire que les enseignants de l'université et de l'enseignement supérieur en général aillent dans les lycées rencontrer les lycéens, leur futur public. Il faut que les professionnels rencontrent les lycéens et ce pendant les heures de vie de classe qui existent déjà dans les cursus des lycéens.
Il s'agit d'expliquer la différence, la diversité des métiers mais également de lever cette autocensure qui empêche des étudiants de se diriger vers des formations qu'ils craignent de ne pas réussir alors qu'ils en ont tout à fait les moyens. Il y a de multiples établissements qui proposent de nombreux parcours. Il faut que les lycéens tentent l'excellence, qu'ils tentent ce dont ils ont envie sans aucun frein, sans aucune auto censure. Cela serait une bonne chose, pour nous, que les étudiants entrent en confiance même dans les filières les plus difficiles.
Nous sommes favorables à la création de portails uniques. Vous parliez de l'admission post-bac, de l'orientation active qui est une bonne chose mais il faut aller plus loin. Il faut que les entretiens soient systématisés. Il faut également créer un portail unique qui permettrait au cours de l'année de terminale, au moment de la pré-inscription à l'université, d'accomplir l'intégralité des formalités, simplement pour que l'étudiant puisse bénéficier de tous les dispositifs qui existent et que son orientation et sa situation future ne soient pas le résultat d'un défaut d'information mais bel et bien d'un choix, c'est à partir de ce choix, que l'on construit son avenir et envisager un premier cycle universitaire d'une manière plus sereine.
On parle de l'orientation active, je préfère le terme d'orientation progressive. Progressive parce qu'un lycéen ne sait pas s'il va faire un doctorat de chimie organique ou s'il préférera faire des études de pharmacie ou d'ingénieur dans tels ou tels domaines. Pour nous il est nécessaire qu'il y ait une orientation progressive pendant la licence en optant pour un premier choix généraliste qui se spécialiserait au fur et à mesure du cursus universitaire.
Vous avez rappelé que la loi « liberté et responsabilité des universités » a instauré comme missions l'orientation et l'insertion professionnelle dans son article premier, mais cela n'est pas une préoccupation nouvelle de notre enseignement supérieur. Les IUT ont été créés en 1970 ; en 1984, on ajoute le terme professionnel à des établissements à caractère culturel et scientifique. Or, force est de constater que le résultat est mitigé, certaines filières sont excellentes, elles ont de très bons taux d'insertion professionnelle alors que d'autres sont plus fragiles. Il faut poursuivre ces efforts et ils passent, pour nous, par la mise en place et le renforcement, la montée en puissance des bureaux d'aide à l'insertion professionnelle prévue par la loi puisque pour nous le seul et unique moyen d'être efficacement intégré dans le marché du travail, c'est d'abord de le connaître, de savoir faire une lettre de motivation, de savoir remplir un CV mais également de le connaître à travers les stages. Les stages doivent être encadrés pédagogiquement et intégrés dans les cursus. Il faut qu'ils aient une valeur non seulement pédagogique mais de formation au monde professionnel et notamment au travail en équipe qui ne s'acquiert pas forcément sur les bancs de l'université. Tous ces aspects qui sont à traiter au sein des BAIP, doivent concerner tous les étudiants pour construire leur projet professionnel personnel tout au long de leur cursus. Pour nous, ce BAIP est une des clés de cette insertion professionnelle réussie.
Un autre aspect réside dans l'échec. L'échec en licence qui est une chose catastrophique peut être expliqué par de multiples facteurs. Certains disent un taux d'encadrement trop faible, d'autres disent une mauvaise orientation, je pense que l'on ne peut pas donner qu'une raison, c'est une multiplicité de facteurs. Mais, on ne pense pas souvent au manque de reconnaissance, au manque de sentiment d'appartenance qu'ont les étudiants dans leur établissement. Etre fier de son université, avoir envie d'y aller, de travailler, cela peut également être une raison et donc nous soutenons une orientation renforcée certes mais nous voulons également donner aux étudiants l'envie de venir et d'y instaurer une véritable vie de campus. C'est un point que nous avons souhaité souligner ici.
Formation professionnelle tout au long des études, mais également tout au long de la vie, il faut accepter le fait que l'on puisse retourner à l'université se former. On peut la quitter pour s'insérer sur le marché du travail et puis y revenir. Mettre en place des comptes qui nous permettraient de nous doter d'un certain capital de formation pour pouvoir y retourner, puis ensuite acquérir des compétences supplémentaires et se réinsérer dans le marché du travail, c'est une solution qui pourrait être extrêmement intéressante.
Je terminerai en disant que nous vivons, à l'heure actuelle, une crise économique qui est grave : une crise qui nous fait prendre des décisions pour la résoudre mais qui nous offre également une opportunité qui est de repenser, refonder une méthode, un système. Offrons-nous le droit de chercher toutes les pistes, de chercher tout ce qui est fait en France, à l'étranger, pour essayer de répondre simplement à la demande des étudiants qui est de se construire un avenir. Merci.
M. Baki YOUSSOUFOU, président de la confédération étudiante - Alors tout d'abord, je veux parler uniquement des étudiants, pas par corporatisme mais surtout par efficacité et par respect des autres jeunes qui ne sont pas autour de cette table. Les propositions que nous, la confédération étudiante, allons faire sont des propositions en direction des étudiants. Les problématiques des autres jeunes nous intéressent mais nous ne sommes pas aptes à les représenter.
Monsieur le rapporteur, les quatre questions que vous posez, pour nous, sont regroupées dans une seule question qui est celle de l'orientation et de l'insertion professionnelle. Le constat que nous avons partagé depuis 2006 est de dire qu'aujourd'hui, les jeunes qui sortent de l'université se retrouvent de plus en plus souvent au chômage des premières années aux bacs plus cinq. Or, le Bac+5 est le niveau de diplôme le plus élevé en France.
Nous considérons qu'il est très grave qu'un pays comme la France ne puisse plus donner envie aux gens d'aller jusqu'au niveau le plus haut de diplôme pour s'insérer dans la vie professionnelle. Ce constat-là, nous l'avons partagé en 2006 et c'est pourquoi cette année-là, nous nous sommes battus pour que les candidats aux élections présidentielles se positionnent clairement sur l'éventualité de mettre une nouvelle mission à l'université, celle de l'insertion professionnelle qui, en plus de la recherche et de la formation, permettrait aux universités de prendre en charge les étudiants qu'elles forment au cours de leurs études et de les accompagner pour mieux réussir leur insertion professionnelle.
Ainsi nous avons mené une campagne, un référendum dans les universités. 200 000 étudiants y ont participé et différents candidats se sont engagés, en cas d'élection, à mettre en place cette nouvelle mission. Cette nouvelle mission étant aujourd'hui dans le texte, nous nous sommes posé la question lors de cette rentrée : qu'est ce qui a vraiment changé dans la vie des étudiants ? Nous avons lancé une enquête et le résultat que nous avons obtenu aujourd'hui montre que les étudiants restent encore préoccupés à 76 % par leur avenir professionnel. Cet avenir, les étudiants s'en préoccupent parce que lors de la construction même de leur formation, ils n'ont pas eu les moyens suffisants et nécessaires pour faire des bons choix de formation. Les étudiants ne demandent pas à être assistés ni à être protégés, ils demandent que l'on leur donne les armes nécessaires pour pouvoir eux-mêmes se battre dans un monde qui est difficile et qui le devient encore de plus en plus avec la crise.
C'est pourquoi, pour nous, la question de la troisième mission dont nous avons mené la campagne avant même qu'elle soit dans la loi est essentielle, nous sommes bien sûr contents que cela soit aujourd'hui dans la loi. La mise en place des BAIP en tête de mission va dans le bon sens mais le résultat tarde encore à venir. En effet, aujourd'hui les universités comme le disaient un certain nombre de camarades ne publient pas encore les taux de débouchés de leurs filières. Et les étudiants nous disent dans notre enquête à 76 % qu'ils aimeraient bien savoir que sont devenus ceux qui sont passés par leur filière. C'est une question centrale chez les étudiants aujourd'hui et cette question résout en même temps la question des emplois non pourvus ? Nous nous voulons attirer votre attention sur le fait qu'il faut éviter les solutions d'entonnoir, c'est-à-dire qu'il y a des emplois qui ne sont pas pourvus aujourd'hui en France, il y a de plus en plus de diplômés et on crée des diplômes pour pourvoir ces emplois. Ce seraient des solutions dangereuses.
Pour nous, il faut juste faire en sorte que chaque étudiant puisse faire des choix nécessaires et qu'ils soient éclairés sur le monde professionnel en sachant exactement ce qui existe dès le lycée, pour qu'ils puissent s'orienter tout au long de sa vie.
Nous pensons que la question de l'orientation est liée à celle des passerelles. Parce que l'orientation est considérée en France comme un moment de transition. Or pour nous l'orientation doit se faire de manière perpétuelle pour permettre aux étudiants de changer de filières, de s'orienter dans de nouvelles filières, de composer avec de nouvelles matières et de faire en sorte qu'ils obtiennent un diplôme et des compétences valables sur le marché du travail.
Sur la question plus spécifique de l'emploi, les étudiants nous disent à 80 % que leur formation et leur université leur permettent d'acquérir des compétences. En même temps, ils disent que l'université ne les met pas en valeur et qu'eux-mêmes se sentent mal à l'aise pour vendre ses compétences.
Donc aujourd'hui, nous pensons que les universités devraient mettre suffisamment de moyens pour faire en sorte que chaque étudiant puisse disposer d'un portefeuille de compétences qui validerait à la fois celles acquises dans sa formation et en dehors de sa formation pendant qu'il est à l'université. Il y a aujourd'hui 50 % des étudiants qui travaillent, qui déclarent travailler pendant leurs études et surtout si l'on prend en compte les étudiants qui travaillent l'été, on peut monter jusqu'à 75 %. On sait que l'on acquiert des compétences lorsque l'on travaille en plus des études. On apprend à travailler en groupe, on apprend à gérer notre temps, on apprend même souvent à gérer un agenda d'une entreprise sauf que ces compétences ne sont ni valorisées par l'université, les étudiants ne peuvent pas les valoriser une fois sortis du système universitaire, donc les étudiants demandent un portefeuille de compétences dans un même document ou dans un même panier les compétences acquises dans la formation et les compétences acquises en dehors de la formation, que cela soit associatif, un emploi étudiant ou un stage.
Pour finir sur la question des stages, nous estimons que les étudiants sont très vigilants sur ce problème. Ils n'aimeraient pas que les stages qui peuvent apporter de vraies compétences deviennent des remplacements de jobs et qu'ils souhaitent que les stages ne dépassent pas le cadre universitaire, c'est-à-dire que les stages hors cursus soient considérés comme un CDD et l'étudiant qui ne peut pas aller travailler l'été parce qu'il effectue un stage puisse être en contrat dans l'entreprise où il est en stage.
Donc soit on interdit les stages hors cursus, soit on les considère clairement comme des CDD pour ne pas pénaliser les étudiants. Parce qu'aujourd'hui quasiment 80 % d'étudiants travaillent l'été. Voilà les quelques réponses que nous voulons apporter à cette première série de question.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Alors trois questions simples : il y a eu une récente réforme des bourses, est-ce que vous pensez qu'il faut l'adapter ?
Deuxièmement : quelles sont vos propositions pour renforcer l'autonomie financière des étudiants ?
Et troisième question : quelles sont vos propositions en matière de logement pour les étudiants ?
M. Jean-Baptiste PREVOST, président de l'UNEF - Avant de répondre à vos questions, je ne ferai pas mystère des propositions de l'UNEF en matière de renforcement de l'autonomie financière.
Nous proposons la mise en place d'une allocation d'autonomie pour les jeunes en formation et en insertion, qui soit non pas un revenu minimal d'activité mais une aide à un projet de formation et d'insertion, qui repose sur la remise à plat de l'ensemble des dispositifs actuels, que ce soient les aides au logement, les aides directes en matière d'aide sociale étudiante, et également les exonérations fiscales que touchent les familles au titre de leur enfant étudiant ou en formation, et toutes les allocations familiales. Il y a besoin de créer un dispositif nouveau, universel, c'est un droit nouveau ouvert à l'ensemble de la jeunesse, et individualisé en fonction de critères propres à chaque jeune. Nous proposons que les jeunes effectuent une déclaration fiscale indépendante à partir de 18 ans, sur la base de laquelle on pourrait calculer leurs revenus, on pourrait également mesurer les transferts intrafamiliaux, qui, comme cela a été rappelé sont aujourd'hui les principales sources de financement de la formation, mais qui, s'ils existent sont par nature profondément inégaux et injustes socialement. On est dans une situation actuelle du point de vue du financement de la formation, qui est quand même la priorité aujourd'hui - car on nous répond souvent « vous parlez de politique jeunesse et vous résumez cela à une aide à la formation supérieure » - cela concerne deux tiers des jeunes, et nous pensons qu'aujourd'hui ce doit être une priorité de renforcer l'accès des jeunes, notamment des non qualifiés, à une formation qualifiante.
Donc on ne pourra pas faire l'impasse à la réponse à la difficulté financière que rencontrent les jeunes pour avoir les moyens de se former. Je rappelle que les raisons financières sont aujourd'hui la première cause d'interruption d'études. On peut le traiter par le biais du logement, on peut trouver d'autres angles d'attaque, mais cette question-là est néanmoins indispensable. Nous pensons aujourd'hui, qu'évidemment ce projet a un coût, mais qu'il relève d'un choix de société sur lequel il sera difficile de faire l'impasse. Nous pensons qu'il faut procéder par étapes en la matière, et qu'une première étape pourrait être la remise en cause, et c'est une priorité pour nous si on veut vraiment parler d'autonomie, des dispositifs fiscaux dont bénéficient aujourd'hui les familles au titre de leur enfant étudiant. On est dans une situation très paradoxale en France, on est dans un entre-deux assez exceptionnel en Europe. Je ne vous fais pas le tableau, mais les pays du Nord évidemment font le pari de cette autonomie renforcée, assortie bien évidemment de contreparties et de garanties en termes de réussite dans les études, de recherche d'emploi, etc. C'est évidemment un sujet sur lequel il faudra discuter, mais n'inversons pas les choses, discutons des contreparties une fois que l'on a posé un principe et un droit.
Deuxième chose, dans les pays latins, c'est encore évidemment par le biais de la famille. En France, c'est un entre-deux, qui rend aujourd'hui le système totalement illisible, et surtout totalement anti-redistributif et injuste socialement, et j'insiste sur cette dimension-là : on ne peut pas traiter de la question de la jeunesse, si on ne s'attaque pas aux inégalités qui se reproduisent dans ce temps de la vie et que l'on traîne pendant toute sa vie pour le futur. Nous sommes également partisans de sortir d'une logique qui soit une logique de financement individuel, que ce soit par le biais de dispositifs remboursables, ou de prêts. On a vu d'ailleurs que les prêts mis en place à la rentrée dernière par Valérie Pécresse ont été un échec total. Je ne reviens pas sur le désaccord de fond sur le droit à l'endettement que cela a ouvert pour les jeunes ; ajouter l'endettement à une insertion professionnelle difficile après les études, c'est quand même un problème. Au-delà des éléments de principe, et au-delà du fait que les banques ne sont pas promptes aujourd'hui à ouvrir les vannes des crédits individuels, on a constaté un échec parce que les étudiants ne veulent pas prendre ce risque. Mme la Ministre avait parlé de 15 000 prêts au 30 décembre, 60 000 pour la fin de l'année 2009. Il y en a à ce jour 2 300 qui ont été décaissés. Il faut sortir un peu des préconçus et des logiques en la matière, on a essayé, réessayé l'ensemble de ces formules pendant longtemps, cela n'a pas résolu le problème.
Avant de répondre à vos questions, je termine rapidement sur la question de l'allocation autonomie ; notre position est de dire qu'aujourd'hui, il faut sortir les étudiants de la situation de dépendance dans laquelle ils sont, dépendance familiale notamment et dépendance à la précarité, notamment des petits boulots. Il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a pas aujourd'hui une masse importante d'étudiants obligés de travailler à côté de leurs études, il s'agit de reconnaître à un moment donné que la vocation sociale de l'étudiant, c'est d'étudier, de se former, et que l'on pourra avoir l'ensemble des exigences des jeunes en matière de formation, à partir du moment où on leur donne les moyens de le faire dans de bonnes conditions, et qu'aujourd'hui, la situation « salarié et étudiant » est une cause de renforcement de l'échec.
Je fais juste une remarque : ce n'est jamais dans les grandes écoles, jamais dans les écoles de médecine, jamais dans les classes préparatoires, là où les publics sont socialement homogènes, que l'on a les moyens de cumuler les emplois et les études ; c'est toujours dans les filières, qui socialement accueillent les jeunes les plus en difficultés.
Donc cela pose quand même une question de justice sociale importante. Il y a des effets en termes de progrès social, en termes d'effets macroéconomiques ; avec une telle mesure, on libère des emplois, un nombre important d'emplois et dans le contexte actuel d'évolution du chômage, je pense que c'est un élément important ; on augmente le nombre de jeunes qualifiés et ce sont les emplois de demain. Préparer l'après-crise, cela nécessite aussi dès maintenant de mettre le paquet sur l'information. Une telle mesure a également un effet fortement redistributif, notamment depuis qu'il y a une grande majorité des jeunes qui sont en formation supérieure. Quand on était sur 150 000 à 200 000 jeunes, faire un dispositif spécifique, c'était pour les enfants des milieux favorisés. Aujourd'hui, on serait dans un dispositif largement redistributif.
Je termine juste, je ne peux pas m'empêcher de répondre au rapporteur. La réforme des bourses, son principal problème, c'est qu'elle était insuffisante. Laurent Wauquiez avait parlé en 2006 de la nécessité d'une politique pluriannuelle à hauteur de 350 millions d'euros, qui permette d'augmenter le nombre de boursiers, notamment vers les classes moyennes. Et le montant des aides a été à la rentrée 2007 annoncé autour de 50 millions d'euros, on a donc un problème d'ambition.
Deuxième problème, la réforme des bourses a modifié les critères d'attributions ; on a beaucoup travaillé pour faire en sorte que les objectifs de la ministre fixés pour atteindre les 50 millions d'euros supplémentaires pour cette rentrée soient atteints. Les plafonds n'ont pas assez été relevés et beaucoup d'étudiants se sont retrouvés avec une aide moins importante parce que l'on prenait moins en compte l'éloignement etc. On a un peu rectifié les choses mais pas suffisamment, il faut rétablir un certain nombre de critères qui ont été supprimés précédemment, je ne développe pas. Et nous pensons aujourd'hui, nonobstant le dispositif global qu'il faudra mettre en place dont j'ai parlé, qu'il y a besoin en direction des étudiants d'un nouvel effort pluriannuel en matière d'amélioration des conditions de vie étudiante, la mise en place d'un 10 e mois de bourse pour couvrir le coût de la rentrée. Le président de la République a fait des gestes en matière notamment d'allocations de la rentrée scolaire, pour un certain nombre de familles et d'enfants, et les étudiants sont la seule population pour laquelle on n'a rien fait pour couvrir le coût de la rentrée.
Donc dans le contexte, cela aurait un sens, et à partir du moment où l'année universitaire s'est allongée depuis 2003-2004 - 74 % des étudiants rentrent avant le 15 septembre - pourquoi est-ce que l'on ne touche les bourses qu'à partir du mois d'octobre ? Cette mesure-là est importante, et après, bien entendu, des mesures d'augmentation du système sur lesquelles je ne reviens pas.
M. Maximilien CARTIER, vice-président de la FAGE - Je vais répondre directement à vos questions. Concernant la réforme des bourses, cela a été un bon progrès aujourd'hui en termes d'augmentation du nombre de boursiers échelon zéro et même la création de l'échelon six. Après, il faudrait de plus en plus que ces aides sociales soient adaptées aux besoins de l'étudiant, à différents niveaux. Dans un premier temps, il faudrait que le CROUS soit un guichet unique des bourses. Vous avez différents systèmes d'aides sociales qui existent, pour les étudiants qui sont rattachés au ministère de la culture, ou les infirmiers qui sont rattachés aux régions, donc on a un manque de lisibilité à ce niveau-là. Une chose importante est déjà de permettre que le CROUS soit l'interlocuteur unique pour tous les demandeurs de bourses.
Ensuite, il faut que ces aides sociales soient adaptées aux besoins réels des étudiants. J'ai déjà parlé des effets de seuils qui existent tout à l'heure, et donc il faudrait mettre en place une sorte de linéarisation des bourses, de telle sorte qu'en fonction des revenus, on puisse avoir une courbe qui augmente et qui ne soit pas par effet de pallier.
La deuxième chose est la question d'une répartition plus équitable des aides. On parle souvent de la demi-part fiscale et, nous, on est favorable à la suppression de cette demi-part fiscale, et à une redistribution un peu plus équitable des aides des étudiants, qui soit réinvestie à ce niveau-là dans le système de bourses.
Au-delà de ça, on prend encore trop en compte le revenu des parents dans les calculs des bourses. Il faut aussi se rendre compte qu'il y a une indépendance avérée des étudiants et qu'elle doit être prise en compte. Il y aussi la particularité d'un étudiant, effectivement comme Jean-Baptiste Prévost le disait, la rentrée étudiante est un moment important. Ca fait de nombreuses années que la FAGE milite pour la mise en place d'une allocation rentrée étudiante, de telle sorte que les étudiants puissent s'installer et faire face à leurs premières dépenses importantes, dès le début de l'année. Le 10ème mois de bourse est aussi important : effectivement, depuis la réforme LMD, nous sommes à dix mois effectifs avec les examens et c'est quelque chose d'important à prendre en compte.
Sur le logement étudiant, je vais être un peu plus rapide. Il y a des préconisations qui ont déjà été faites par le député Anciaux. On est en retard sur de nombreux programmes et on est loin d'atteindre les objectifs. Là encore, il faut un investissement supplémentaire pour rattraper ce retard, on nous expliquait que d'ici 2020, on n'aurait pas rempli les objectifs. Donc, d'ores et déjà, il faut savoir qu'il faudra attendre deux CPER pour pouvoir répondre aux besoins actuels de rénovation et de construction de logements étudiants. C'est une chose fondamentale. Il faut penser aussi le logement étudiant dans une perspective pluriannuelle, pas uniquement voir maintenant les objectifs d'urgence, mais vraiment construire sur les dix, vingt, trente prochaines années en tenant compte de l'évolution possible du nombre d'étudiants, de la répartition géographique.
Les PRES, les dix pôles de compétitivité qui ont été mis en place par le plan campus, sont aussi des choses à considérer, qui vont modifier le paysage universitaire, et il faut y penser dès maintenant, de telle sorte à proposer une offre convenable pour les étudiants.
Il faut aussi permettre aux étudiants d'accéder à l'immobilier privé. Il y a encore énormément d'étudiants, notamment des classes moyennes, qui ne peuvent pas accéder aux logements CROUS, et qui doivent pouvoir, par différents mécanismes, accéder assez facilement à du logement privé, cela peut être conventionné avec le CROUS, avec des dispositifs qui existent déjà comme « logement ville », mais je ne vais pas développer.
Concernant l'autonomie financière des jeunes, je serai un peu plus réservé que l'UNEF. Effectivement, il faut qu'il y ait une aide aux étudiants de telle sorte qu'ils puissent réussir convenablement leurs études, mais nous ne sommes pas pour une sorte de salaire étudiant, qui a pu être proposé mais on peut l'utiliser de temps en temps, une sorte d'allocation d'autonomie à la jeunesse.
Effectivement, il faut des leviers, qui permettent aux étudiants, notamment ceux issus des classes moyennes - sont souvent ceux les plus pénalisés dans la mesure où ils n'accèdent pas aux bourses et ont beaucoup de difficultés et donc se salarient le plus - qui les aident à mener à bien leurs études. Je n'ai pas de solution miracle, à mon avis, c'est encore quelque chose qui doit être pris au cas par cas, étudiant par étudiant, et donc qu'il faut plus une aide personnalisée, un accompagnement personnalisé, notamment avec le projet professionnel de l'étudiant qui doit être pris en compte, pour lui verser une sorte d'autonomie financière qui va lui permettre de réussir.
M. Olivier VIAL, délégué national de l'UNI - Pour répondre à vos questions directement : l'autonomie financière, pour l'UNI, est un processus et cela ne se décrète pas, même avec la carotte d'une nouvelle allocation d'autonomie. L'allocation d'autonomie financière est le vieux cheval de bataille de l'UNEF et de tous les partis de gauche, c'est un vieux cheval dont on sait malheureusement que contrairement à ce qui a été dit, ce n'est pas plus juste socialement ; il faut m'expliquer comment, dès lors que l'on donne la même aide à tout le monde, comment on aura plus de justice sociale que le système actuel qui est un système sur critères sociaux, et qui permet de donner de l'aide à ceux qui en ont réellement besoin. On a véritablement quelque chose qui doit être pensé très différemment. L'autonomie financière se base d'abord sur un revenu stable, un revenu qui doit être un revenu qui vient de l'emploi, donc il y a plusieurs choses qui peuvent être mises en place.
Pour les jobs étudiants, là encore une fois, contrairement aux chiffres qui ont été donnés, si on cite des chiffres sérieux, l'INSEE parle de 13 % d'étudiants salariés, et pas de 50 % ou 80 %. On est du coup le pays européen où on a le moins d'étudiants qui travaillent pendant leurs études, et si on veut améliorer cela, puisqu'effectivement le travail pendant les études permet d'améliorer l'aspect professionnel de beaucoup de cursus et est un véritable plus au moment de l'insertion professionnelle, il faut un meilleur accompagnement pédagogique de ces étudiants, une meilleure reconnaissance de leur expérience, et aussi peut-être des mesures qui permettent de défiscaliser encore plus fortement les étudiants que ce qui a été fait dans la loi TERA.
La seconde chose est effectivement le système de bourses. Tel qu'il a été mis en place et tel qu'il a été réformé, il va dans le bon sens et permet déjà d'aider beaucoup d'étudiants et les études de l'Espace Vie Etudiante montrent bien que les étudiants qui bénéficient de bourses sont ceux qui ont vu leur pouvoir d'achat relatif le plus augmenter et le moins diminuer sur la période des dix dernières années.
Aujourd'hui, le vrai problème que rencontrent les étudiants est le problème des classes moyennes, et comment on aide les classes moyennes, cela, effectivement, la réforme du système de bourses n'y a pas du tout répondu. Si on veut encore améliorer le système de bourses actuel, il y a quelque chose, surtout en période de crise, auquel il va falloir répondre rapidement, aujourd'hui le montant des bourses est calculé sur le revenu des parents de l'année n-1. En période de crise, quand on a des parents qui sont commerçants, quand on a des parents qui sont salariés et qui perdent leur emploi, cela veut dire qu'il faut attendre un an et demi pour bénéficier d'une bourse s'il y a un accident dans la famille. Il faut donc que l'on soit beaucoup plus réactif. On ne peut pas laisser des étudiants soumis simplement au régime d'aide d'urgence, et il faut que l'on puisse rapidement faire bénéficier, à un étudiant dont les parents viennent de perdre leur emploi, ou pour un étudiant dont les parents sont commerçants et voient leur revenu d'activité baisser rapidement, du système de bourses et ne pas attendre un an et demi pour que ce soit le cas.
Pour les classes moyennes, il y a une seule chose aujourd'hui envisageable, c'est la solution qui est mise en place aujourd'hui dans tous les autres pays du monde : c'est une allocation remboursable, un prêt étudiant garanti par l'État, effectivement, le système que l'on a mis en place aujourd'hui en France, est un peu insatisfaisant, parce qu'il s'agit de prêts bancaires et peu de banques ont joué le jeu. Ce qui existe, et ce qui avait été d'ailleurs une des propositions de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle, et que l'on avait soutenu fortement, c'est la création d'un prêt à taux zéro, garanti par l'État, avec un système de remboursement qui soit spécifiquement étudié pour des jeunes. C'est-à-dire que si on veut permettre à des jeunes de recourir au prêt bancaire ou au prêt tout simplement, il faut que l'on leur garantisse que ce ne soit pas un fardeau, et qu'ils auront toutes les facilités pour le rembourser.
Ce qui existe dans les autres pays du monde, c'est une garantie, on ne rembourse son prêt que dès lors que l'on a un contrat à durée indéterminée ou au prorata de son revenu, ce qui fait que l'on n'a jamais un fardeau dès l'entrée dans la vie active et c'est vers ce système-là qu'il faut aller. Il s'agit du seul système qui permette un effet de levier important, et qui permet de passer d'un système où aujourd'hui 15 % des jeunes sont aidés en France à un système comme il existe en Nouvelle-Zélande, où 100 % des jeunes sont aidés, grâce à un système d'allocations remboursables. Donc on a vraiment aujourd'hui quelque chose qui pour nous est important, c'est ce système de prêts, le renforcement des revenus du travail, et une meilleure défiscalisation de l'emploi étudiant, parce qu'aujourd'hui, la loi TEP permet à des étudiants qui travaillent pendant l'été de voir leurs revenus défiscalisés, alors que dès lors qu'ils travaillent pendant l'année, ils sont fiscalisés - puisque cela correspond seulement environ à trois mois de travail pendant l'année.
Pour la question du logement, là aussi, contrairement à ce qui a été dit précédemment, effectivement, si on suit les préceptes du plan Anciaux, il faudra dix ans, quinze ans, pour permettre à 10 % des étudiants de trouver un logement. Si l'on continue la logique du logement tout CROUS, il faudra dix ans pour que les étudiants se contentent d'une chambre de 9 m². Il y a un moment donné où il va falloir peut-être penser à autre chose et regarder ce qui se fait ailleurs et notamment, il y a de nouveaux acteurs, qui ont une importance plus grande dans ce qui se fait dans l'enseignement supérieur : ce sont les universités. Elles ont la maîtrise de leur foncier, elles ont la capacité à contracter des partenariats public-privé, et cela, ça peut être un véritable levier pour créer du logement étudiant. D'ailleurs, certaines universités, mais elles sont peu nombreuses - pour l'instant il n'y en a qu'une seule - ont décidé de s'investir sur cette question-là, ce qui permet véritablement de créer beaucoup plus de logements.
La deuxième chose, qui peut être aussi intéressante, c'est de faciliter le fait que les collectivités locales investissent dans le logement étudiant, et une des propositions que l'UNI avait faite, est une modification de la loi SRU, pour que le logement étudiant soit totalement intégré dans les 20 % de logements sociaux, ce qui permettrait à beaucoup de municipalités de créer du logement étudiant de façon un peu plus importante. Ce sont deux mesures qui peuvent être prises rapidement.
Et la troisième mesure est effectivement un renforcement de tous les dispositifs qui tendent à rassurer les propriétaires privés, en défiscalisant certains éléments, mais aussi envers les spécificités des jeunes et du logement. Une des premières spécificités des jeunes, est qu'ils sont beaucoup plus mobiles que les autres catégories de la population, et que donc ils ont tendance à changer plus souvent de logement, donc un propriétaire préfère louer à un couple installé qu'à un jeune. Là justement les universités et les grands établissements peuvent mettre en place des structures, qui sont capables de dire aux propriétaires : « on vous assure et on vous garantit la rotation des étudiants, de façon à ce que votre logement ne soit jamais vacant ».
C'est ce qui a été fait par certaines écoles, notamment dans la région d'Angers, et c'est ce qui permet à beaucoup d'étudiants d'accepter beaucoup plus simplement au parc privé, parce qu'autrement, si l'étudiant est tout seul face au parc privé, il a des difficultés qui sont quasiment infranchissables. Donc il faut effectivement un intermédiaire, et cet intermédiaire, c'est bien souvent le seul possible : l'établissement d'enseignement supérieur. Il y a des mesures à prendre, de façon à faciliter notamment les colocations, la rotation dans le logement, avec une garantie de l'établissement, de façon à ce que vraiment on ouvre toutes les modalités pour le logement parce que c'est la première des difficultés des jeunes aujourd'hui. Les étudiants ont des difficultés, mais sont plutôt les mieux servis puisque les jeunes apprentis, ceux qui étudient dans les CFA, sont, eux, dans des situations encore plus difficiles, et n'ont par contre aucun système qui leur permettre de répondre à leur nécessité de se loger.
M. Mathieu BACH, délégué général de PDE - Merci beaucoup, donc je vais répondre à vos trois points. Concernant la récente réforme des bourses que la ministre a enclenchée l'année dernière, cela a permis de rendre le système plus lisible, plus visible. C'est une bonne chose mais il est inachevé. Inachevé parce que la simplification du nombre de critères a fait que les étudiants qui sont en situation de handicap, les étudiants ayant des enfants, ont été exclus de ce dispositif, et nous avons demandé à la ministre un état des lieux des dispositifs qui se sont mis en place pour répondre à ces demandes bien spécifiques. Le dispositif des bourses sur critères sociaux répond quant à lui à des aspects que tous les étudiants partagent, que sont : la distance par rapport au foyer des parents, le nombre de frères et soeurs dans l'enseignement supérieur, le revenu des parents, etc.
Nous avons des recommandations pour l'améliorer : la linéarisation de ce dispositif car à l'heure actuelle, les effets de seuil qui permettent l'attribution des bourses sont catastrophiques ; pour un euro de plus gagné par le foyer fiscal pendant un an, il y a une différence de 1 400 euros par an pour l'étudiant, ce qui est très important. L'année universitaire s'allonge, nous demandons un versement sur 10 mois des bourses, avec un effort tout particulier sur la rentrée, qui est le moment de l'année où les coûts sont les plus importants. Nous demandons également que les CROUS soient des guichets uniques pour l'ensemble des aides à destination des étudiants, parce qu'il existe de multiples aides, 150, 200 aides, que ce soit des régions, des départements, des villes, des fondations, etc. Il y a énormément de dispositifs d'aides, nous demandons que le financement des études ne soit pas une question d'information ou de manque d'information des étudiants mais bien que toutes ces aides soient répertoriées auprès d'un guichet unique qui devrait être piloté par le CROUS. Le versement des bourses pourrait être également amélioré, je ne rentrerai pas dans le détail, par rapport à un rapport de l'IGAENR de 2006 qui est extrêmement intéressant et qui propose que les CROUS soient ordonnateurs du paiement de ces bourses, ce qui permettrait de raccourcir fortement le délai de paiement.
On parle d'autonomie financière, les bourses permettent de répondre à des besoins spécifiques d'étudiants défavorisés, mais il ne faut pas oublier les étudiants des classes moyennes, souvent trop riches pour avoir des bourses et trop pauvres pour avoir les aides fiscales. Ces classes moyennes ne sont pas aidées. Nous proposons de relever les plafonds des bourses sur critères sociaux, et également d'avoir une approche sur le long terme qui serait sur une dotation en capital de ces étudiants, enclenchée pendant leur enfance, alimentée par la puissance publique et également des familles, qui disposent néanmoins d'une certaine capacité d'épargne, et qui permettrait de doter l'étudiant, à l'entrée dans l'enseignement supérieur, d'un capital certain, pour aborder ses études avec un petit peu plus de sécurité. Un rapide calcul : une initiation de 250 euros, puis un abondement des familles - à la discrétion des familles - de 30 euros par mois, doterait l'étudiant de 10 000 euros de capital à l'entrée dans l'enseignement supérieur, ce qui peut être assez intéressant pour lui-même.
Concernant les prêts, nous considérons que les prêts doivent être un recours marginal, parce que nous souhaitons qu'étudier ne signifie pas s'endetter. Néanmoins les étudiants ont parfois besoin de prêts, il faut le reconnaître, c'est une réalité. Le dispositif des prêts Pécresse n'est pas satisfaisant, car il ne met pas en place un remboursement qui soit en fonction du salaire. Nous demandons à ce que l'on mette en place un seuil de déclenchement, et également une interruption de ce remboursement, en cas de période difficile, de chômage etc. Donc nous voulons des garanties supplémentaires pour le dispositif des prêts étudiants.
Concernant le logement, il faut renforcer le nombre de logements. Les logements CROUS représentent 150 000 chambres pour 2 300 000 étudiants. Il en manque beaucoup. Le rapport Anciaux II a préconisé 7 000 réhabilitations, 5 000 constructions par an. Les objectifs ne sont pas atteints. Ils ont été atteints pour la première fois grâce au plan de relance. Il faut poursuivre un effort majeur de la Nation en matière de logements étudiants CROUS, et je dirais même plus dans la région Ile-de-France, où la situation est extrêmement tendue. Mais le logement CROUS ne répondra pas à toutes les demandes, il faut également l'admettre. Il faut également permettre aux étudiants d'aller se loger dans d'autres structures, qu'elles soient publiques ou privées. Néanmoins, il y a un frein : le logement est la principale dépense des étudiants. Il faut que les aspects de caution et de garants, soient rendus beaucoup plus faciles pour les étudiants, élargir les systèmes de Loca-PASS, porter la puissance publique au service de cette caution et de ce garant pour faire que ce ne soit pas un parcours du combattant de se loger et de se loger d'une manière assez convenable, c'est pourquoi nous demandons à ce que les logements qui sont destinés aux étudiants soient labellisés par le CROUS, qui est l'expert depuis 50 ans dans le logement étudiant. Il est le seul label à avoir de véritables critères, ce que l'on appelle le « référentiel CROUS ». Cela permettrait également un meilleur dialogue entre les étudiants et leur bailleur. Donc nous sommes en faveur de ces différents points.
M. Baki YOUSSOUFOU, président de la confédération étudiante - Oui. La question du financement des études, de l'accès à l'autonomie et du logement s'associe à la question du choix, c'est-à-dire pour nous l'autonomie est un choix. Ce n'est ni une attribution, ni un combat, ni quelque chose que l'on te laisserait acquérir tout seul, mais c'est te donner suffisamment d'armes pour te permettre de faire des choix dans ton avenir. Cette question de l'autonomie, du parcours de l'autonomie, est pour nous au centre du débat du financement des études et aussi du logement étudiant. Pourquoi ? Aujourd'hui, nous sommes tous d'accord pour dire - et la crise vient le renforcer - que les bourses sur critères sociaux ne sont plus suffisantes, surtout quand on loge dans certaines grandes villes. Néanmoins, les étudiants plébiscitent un système basé sur les critères sociaux, dont les bourses doivent être la base. Nos enquêtes le montrent une fois de plus : à 90 % les étudiants disent que la base de l'aide sociale doit les bourses sur critères sociaux, parce que cela permet de donner plus à ceux qui en ont le plus besoin. Ensuite, ce système étant insuffisant, aujourd'hui il y a beaucoup d'étudiants qui travaillent. On peut discuter sur les chiffres. En 2007, le Conseil économique et social a rendu un rapport sur la situation des étudiants, qui démontre qu'il y a 40 % des étudiants qui travaillent, et la même année, l'Observatoire de la vie étudiante démontre le même chiffre, donc on ne peut plus dire aujourd'hui qu'il n'y a pas suffisamment d'étudiants en France qui travaillent, sauf si on veut l'ignorer ou se mettre la main sur le visage. Néanmoins, les statistiques disent aujourd'hui, et le rapport de CES le démontre, que les étudiants qui travaillent au-delà de 15 heures risquent d'échouer dans leurs études.
Nous proposons, et c'est ce que nous avons proposé au Haut commissaire à la Jeunesse, que la puissance publique complète le revenu du salariat étudiant à hauteur des 15 heures, cela veut dire qu'un étudiant qui n'est pas éligible quels que soient les critères que l'on fixera pour la bourse, qui a un peu de temps pour aller travailler, au lieu que ce travail devienne pénalisant pour ses études, que la puissance publique complète son revenu à la limite d'un certain seuil horaire. C'est une base pour compléter le système des bourses.
Donc pour nous le système social doit toujours être basé sur le système de bourses, qui doit augmenter en nombre et en volume, mais complété le premier pilier qui est celui du revenu du salariat étudiant. Ensuite, il y a les bourses d'entreprises, parce qu'aujourd'hui, beaucoup de filières sont des épinières pour les entreprises, donc il faudrait associer les entreprises pour qu'elles participent au financement, avec l'État comme garant de ce financement. Par exemple, un étudiant qui rentre en BTS de porcelaine dans le Limousin, qui veut travailler dans une entreprise spécialisée, et qui change d'orientation, l'État se substitue alors pour que l'argent investi par l'entreprise devienne un prêt entre l'État et l'étudiant, qu'il remboursera une fois inséré dans sa vie. Bref que les entreprises puissent participer au financement des études de certaines filières.
Et un troisième pilier : il s'agit d'une allocation universelle remboursable, qui serait avancée par l'État, pas par les banques, car aujourd'hui, surtout avec la crise, les étudiants se méfient beaucoup du système bancaire, et à juste titre, car tous les jours on en découvre toujours un petit peu plus. Les étudiants néanmoins sont prêts à prendre une allocation auprès de l'État, remboursable une fois insérés dans un travail durable. Pour le remboursement, on pourra trouver des solutions soit de remboursement indexé au salaire, soit de remboursement intégral par l'étudiant lui-même. Un tel système est efficace, car c'est une aide universelle, elle permettra à tout étudiant d'y accéder, en plus des autres formes d'aide, et elle est efficace, car elle permettra qu'à partir d'une génération T, la solidarité renfloue les caisses d'un tel système. Voilà donc les trois piliers du système social.
En ce qui concerne le logement, nous pensons que, que ce soit les différents rapports rendus publics, et le projet de la ministre de construire des logements, cela va dans le bon sens, mais ce n'est pas suffisant. Il faut répondre aux préoccupations immédiates des étudiants, et aujourd'hui beaucoup d'étudiants sont dans des situations super précaires en matière de logement. Contre cela, il ne suffit pas de construire de nouveaux logements, il ne suffit pas de changer d'acteurs, il faut surtout que tous les acteurs se mettent autour d'une table, que l'on propose des solutions immédiates, transitoires, qui permettent à tous les étudiants de se loger, et au moins que les acteurs publics et les territoires créent des espaces où l'offre et la demande de logements peuvent se rencontrer.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - D'abord, je voudrais dire qu'en tant que rapporteur sur l'enseignement supérieur, j'ai toujours beaucoup de bonheur à écouter nos syndicats étudiants, qui dans leur diversité sont à la fois responsables et créatifs. Je voudrais simplement dire que sur le domaine de l'insertion professionnelle, je ne voudrais pas leur poser une question complémentaire, je voudrais nous poser une question complémentaire. Ce qui est frappant depuis les quelques années où je les écoute, c'est la prise en compte de la nécessité de cette insertion professionnelle. C'est vraiment une évolution tout à fait caractéristique. Et que constatons-nous ? Qu'il y a souvent une inadéquation entre l'offre de formation et les débouchés professionnels. Imaginons une seconde qu'il y a en France une formation qui forme 50 % de la formation en Europe, imaginons que les étudiants de cette formation aient beaucoup de difficultés à trouver des débouchés, imaginons que l'insertion professionnelle et les salaires à la sortie soient inférieurs à ce que touche un lycéen avec un niveau BAC, imaginons que nous prenions conscience de cette situation, imaginons que nous ayons le courage de restructurer cette offre de formation, allons-nous jusqu'au bout dans la gestion de l'évolution des structures et des personnels ?
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Oui, c'est simplement un élément que je voudrais soumettre à la réflexion de tout le monde, mais je ne pense pas que l'on aura une réponse aujourd'hui. Dans le dictionnaire, la solidarité est une aide mutuelle et réciproque et non pas à sens unique, contrairement à l'assistance, et en matière de solidarité familiale notamment, je voudrais juste rappeler à tout le monde que l'on a des obligations légales vis-à-vis de nos ascendants, en matière de solidarité et d'aide financière. Donc quand on veut se passer de sa famille très vite et très tôt, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
J'avais en début de semaine, en tant que maire, un monsieur dans mon bureau, qui me disait « moi ma famille ne m'a jamais aidé, aujourd'hui on m'impose de l'aider, cela n'est pas juste ». C'est juste un élément de réflexion.
M. Jean DESSESSARD, sénateur de Paris - Ma question s'adresse plus spécialement à l'UNEF, puisque je partage leur souci d'un salaire de formation ou d'un outil de formation de façon inconditionnelle du revenu des parents. Je ne suis peut-être pas majoritaire dans l'assemblée, mais je suis sensible, au-delà d'un salaire de formation, à ce que les stages soient rémunérés, donc c'est quelque chose d'un peu différent, le salaire d'un stage que le salaire de formation, parce que l'on peut dire que dans le salaire de formation, il y a un stage obligatoire.
Mais je suis assez sensible au fait que le stage soit mieux rémunéré que maintenant, et je suis assez sensible aussi à l'insertion professionnelle que donne, par exemple pour quelqu'un qui étudie cinq ou six ans le fait de pouvoir aller côtoyer différents milieux professionnels. Et donc là, cela peut être un peu contradictoire avec l'idée du salaire d'étudiant, dont par ailleurs je comprends le principe.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Merci Madame la présidente, une toute petite question. On entend de plus en plus parler de la singularité, de la spécificité des problèmes de santé qui peuvent habiter le monde étudiant. Je voudrais saisir, Madame la présidente, l'occasion de la présence parmi nous de toutes les organisations étudiantes pour connaître leur point de vue à ce sujet.
M. Jean-Baptiste PREVOST, président de l'UNEF - Je vais répondre rapidement.
Sur la famille, on est mineur civilement jusqu'à 18 ans, on est mineur socialement jusqu'à 25 ans. Donc cela renvoie effectivement à un choix politique. Nous ne prônons pas la rupture familiale, nous ne prônons pas le désamour entre les mères et leurs enfants, nous ne prônons pas la guerre ouverte au sein des familles. On explique juste qu'à un moment donné, au sein d'une société, si on parle juste d'autonomie sérieusement - car après on peut en parler et ne rien mettre derrière - il faudra nécessairement donner aux jeunes les moyens de construire leur propre projet sans dépendre financièrement de leur famille, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient en situation de rupture, et de ce point de vue-là, la remise en cause des aides fiscales et des demi-parts fiscales aujourd'hui, me paraît déterminante, pour des raisons de principe philosophique d'autonomie des jeunes par rapport aux familles, mais aussi pour des raisons de justice sociale, parce que les transferts intrafamiliaux, la solidarité familiale, créent des inégalités dans notre société, et toutes les familles n'ont pas les moyens de subvenir à la formation supérieure de leurs enfants. Et à un moment donné, cela pose aussi question dans une société ; j'aime beaucoup mes parents, j'aime beaucoup ma famille, mais je souhaiterais pouvoir faire à mon âge mes choix de vie, mes choix de formation et d'insertion, indépendamment de leur choix et de leur pécule. Donc c'est un choix politique je le reconnais, et il y a des divergences politiques sur lesquelles il faudra se prononcer.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Il y a des obligations légales à un certain moment de la vie.
M. Jean-Baptiste PREVOST, président de l'UNEF - Mais la loi peut être changée. Sur l'allocation d'autonomie, nous sommes favorables à une prise en compte des revenus complémentaires qui pourraient être ceux des étudiants qui toucheraient cette aide-là. J'ai parlé d'une part d'individualisation, qui me paraît nécessaire. Dans ce cadre-là, des revenus d'un salarié étudiant choisi pourraient être intégrés et mesurés, des revenus d'un stage rémunéré également. Je pense que la question que vous posez est importante, mais pas contradictoire. On peut poser un principe et accorder un droit universel, et ensuite individualiser en fonction de multiples sources de revenus, même en fonction des revenus des familles, qui verseraient des pensions alimentaires, et dans ce cas-là, il serait normal que l'aide soit moins importante pour les étudiants en question. Mais si on veut parler de liberté de choix, il faut effectivement la donner cette liberté, et qu'elle soit effective.
Sur la question de l'expérience professionnelle que vous mentionnez, il y a quelque chose qui me gêne - et pour répondre à Monsieur Dupont également - si on est dans la perspective que vous mentionnez, c'est-à-dire de faire évoluer l'offre de formation pour mieux préparer à l'insertion professionnelle, il y a un peu une contradiction à un moment donné avec le fait de dire que tant que les étudiants et les jeunes en formation n'auraient pas eu un premier travail à côté de leurs études, n'auraient pas fait une première expérience professionnelle après le diplôme avant de trouver leur premier emploi stable, ils ne sont pas préparés au monde du travail. Je pense qu'il faut concevoir la préparation au monde du travail dans le cadre des cursus, y intégrer des stages, et du coup combattre toute forme d'expérience que les entreprises obligent les jeunes à avoir en dehors de leurs études. Il y a une contradiction : soit on prépare mieux dans la formation, soit cela relève de choix individuels, mais il y a là un débat à trancher. Et sur la santé, je ne réponds pas, je laisse les autres.
M. Olivier VIAL, délégué national de l'UNI - Juste pour répondre à votre remarque, on est tout à fait sensible à cela, quand on dit justement que pour nous, l'autonomie se construit avec la famille et pas contre la famille. Trois exemples : la famille est le premier soutien financier ; elle est aussi le premier vecteur d'orientation, les jeunes se retournent aujourd'hui en premier vers leur famille pour savoir quelle carrière embrasser, plus que vers les institutions qui existent aujourd'hui, qui sont totalement décrédibilisées ; cela concerne aussi la santé : on s'aperçoit que quand l'autonomie est un peu trop rapide, la santé des étudiants est bien moins bonne chez les décohabitants que chez les étudiants qui sont encore dans leur famille. Une des vraies spécificités, ce n'est pas la spécificité jeunesse, c'est la spécificité entre ceux qui ont choisi, finalement dans un ordre assez normal, de vivre seuls, et ceux qui n'y étaient pas préparés ; et donc c'est la raison pour laquelle pour nous, cela se construit et ne se décrète pas.
Chaque individu doit choisir à quel moment il doit être autonome, et alors cela se fait de la façon la plus juste possible. Et socialement, nier le fait que les familles aident financièrement leurs enfants, cela conduira de toute manière à donner une aide, qui sera pour certains de l'argent de poche et pour d'autres totalement insuffisante, puisque quand on dit que l'allocation sera faite sur le revenu des étudiants, cela veut dire que l'on ne prendra pas en compte le revenu des parents.
M. Mathieu BACH, délégué général de PDE - Je vais être extrêmement concis, je vais répondre spécifiquement sur la santé. Vous avez raison, les étudiants ont des problèmes de santé bien spécifiques, dus à de multiples raisons : des comportements plus à risques, il faut le reconnaître, mais également un manque de formation à la santé, un manque d'éducation à la santé, et également un manque financier, parfois l'aspect complémentaire santé est sacrifié pour des raisons financières. Il est nécessaire de mettre en place des chèques santé pour pouvoir répondre à cette problématique-là, de renforcer le rôle des centres universitaires de santé, la médecine préventive universitaire, afin d'intégrer durablement les étudiants dans le circuit de santé, pour qu'une fois pleinement autonomes, ils puissent avoir conscience de l'importance de leur santé.
Il y a également, on l'oublie souvent, un certain sentiment de puissance renforcé quand on est jeune : on pense que l'on est assez fort, et c'est peut-être également une raison sous-jacente à cet aspect-là. Ce n'est pas un aspect majoritaire, mais il faut tout de même l'avoir à l'esprit.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On vous remercie beaucoup d'être venus.
Audition de M. Jean-Baptiste de FOUCAULD, inspecteur général des finances, président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes
(25 mars 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons M Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, membre de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes et auteur du rapport « Pour une autonomie responsable et solidaire ».
Vous savez que nous venons de constituer cette mission parlementaire. Nous nous fixons deux mois pour rendre un rapport d'étape. Nous centrons notre réflexion autour de quatre thèmes qui sont l'emploi (orientation, formation, autonomie financière), le logement, la santé et la citoyenneté. Nous nous intéressons essentiellement à l'emploi.
M. Jean-Baptiste de FOUCAULD, inspecteur général des finances, président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes - Je vous remercie de m'inviter pour parler de ce sujet passionnant mais difficile. Je n'aurai pas l'imprudence de vous dire que je traiterai de tous les sujets que vous avez évoqués car nous avons environ une heure. Je vais donc essayer d'être concis. Je voudrais vous rappeler les axes de réflexion de la commission pour l'autonomie des jeunes de 2001-2002, et essayer d'actualiser le propos. Mais je n'aurai peut-être pas des réponses à tout. Comme la réflexion redémarre, je me garde le droit de changer d'avis pendant encore quelque temps. Je pense qu'il ne faut pas se précipiter sur des sujets aussi complexes.
Je voudrais premièrement rappeler le travail important que nous avions fait avec une commission en 2001 - 2002, qui m'avait tout à fait passionné. Il s'agit d'une commission créée par le Parlement, ce qui est tout à fait rare. On en confie ensuite la charge à un fonctionnaire. Elle se composait de 72 membres. Il y avait donc une forte représentativité, et en même temps des débats compliqués. Car sur ces sujets-là, comme vous avez pu le constater, les réponses varient en fonction des personnes interrogées, étudiants, familles, partenaires sociaux, patronat et syndicats, qui n'ont pas nécessairement le même avis. Trois mouvements de chômeurs participaient d'ailleurs à cette commission, ce qui n'est pas fréquent. Eux aussi n'ont pas nécessairement la même vision des choses. La jeunesse est elle-même hétérogène : il y a les étudiants et les lycéens qui ont une assez grande force de frappe, mais il y a aussi tous les autres, qui ne sont pas représentés pour un grand nombre. Il s'agit de jeunes qui dérivent, qui ont quitté l'école, qui ne s'y plaisaient pas, avec une faible qualification. Ils peinent à accéder à l'emploi, et ont souvent des familles qui les soutiennent relativement peu. Ils n'adhèrent pas à des mouvements institutionnels clairs et bien représentés dans la société. Ceux-là n'ont donc pas droit au chapitre dans notre société. Lorsque l'on travaille sur la question des jeunes, il faut toujours penser aux jeunes que l'on ne voit pas et qui ne parlent pas, aux « sans voix » comme on le dit parfois.
Cette commission avait mis en valeur quatre points. Premièrement, les difficultés particulières de la jeunesse aujourd'hui. Je passerai vite car j'imagine que c'est bien évident pour tout le monde dans cette commission. Lorsque l'on met bout à bout l'allongement de la durée des études qui accroît la période de la jeunesse, les difficultés d'accès à l'emploi des jeunes, qui vont de contrats précaires en contrats précaires avant d'accéder à un contrat à durée indéterminée, leur maturité qui est plus grande qu'autrefois et une demande d'autonomie accrue par tout le système culturel et par l'évolution des moeurs, à cela s'ajoute le fait qu'ils aient une couverture sociale plus faible que les adultes. Nous voyons alors qu'ils sont dans une situation de contradiction, voire de schizophrénie assez forte. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un hasard si le taux de chômage des jeunes est environ le double du taux de chômage moyen. Leur taux de pauvreté est le double du taux moyen, même lorsque l'on prend en compte les transferts familiaux, qui ont été importants car les familles ne sont pas égoïstes à l'égard des jeunes - elles sont dans l'ensemble plus généreuses qu'on ne le dit. Et les transferts intergénérationnels, c'est un des problèmes majeurs de notre société. Il est même étonnant qu'il n'y ait pas plus de mobilisation autour de ce sujet.
La deuxième constatation que nous avions faite, c'est qu'il y a une multiplicité de dispositifs qui ont malgré tout été mis en oeuvre, de manière empirique, peu à peu dans tous les domaines, afin de venir en aide aux jeunes. Compte non tenu des dépenses de l'éducation nationale, à peu près 15 milliards d'euros étaient centrés sur des dispositifs d'aide aux jeunes. La moitié était pour l'insertion sociale et professionnelle, des mesures de revenus passant par les familles ou directement, et une partie pour le logement. Le problème est que l'on s'apercevait en comparant ces mesures qu'elles n'étaient pas parfaitement cohérentes entre elles. Certaines sont soumises à des conditions de ressources, d'autres pas. Certaines sont versées aux familles, d'autres directement aux jeunes. Les aides au logement se déclinent différemment selon que le jeune réside ou non chez ses parents. Quant aux aides à l'emploi, c'est encore d'autres critères de durée de chômage ou de qualification qui jouent. Nous avons donc un dispositif assez important puisque nous ne sommes pas très loin d'un point de PIB, et en même temps hétérogène, dont l'efficacité globale s'avère insuffisante.
Troisièmement, cette notion d'autonomie. Il faut y réfléchir car elle est évidemment très séduisante. Mais il faut éviter de tomber dans les visions simplistes et regarder la réalité avec deux yeux, et non pas avec un seul oeil. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de savoir ce que nous voulions dire par autonomie. Nous ne sommes jamais totalement autonomes. Nous le sommes parce que nous sommes liés. On ne peut pas séparer l'autonomie du lien social. Dans les années 1950 ou 1960 quand nous avions le plein-emploi, nous n'avions pas besoin de poser cette question de l'autonomie des jeunes. Les jeunes accédaient à l'autonomie par le travail, et ils avaient à ce moment-là un revenu qui leur permettait de se loger et de se marier. A l'époque, on disait que l'on gagnait sa vie. Être autonome était assimilé à gagner sa vie. « Que fait-il ? Maintenant, il gagne sa vie », disait-on. Cela réglait tout le problème.
L'allongement de la durée des études et le chômage font que le problème se pose en termes nouveaux. Nous avions retenu comme titre, qui n'était pas un titre innocent : « Pour une autonomie responsable et solidaire ». L'idée était que l'autonomie est une construction progressive, dans laquelle on devait aider les jeunes à acquérir les attributs de l'autonomie que sont une bonne formation, un emploi, un revenu et une capacité à vivre avec autrui. Mais l'autonomie n'est pas une subvention donnée à quelqu'un pour lui permettre de faire ce dont il a envie. Cela, c'est une vision artificielle de l'autonomie. Elle est d'ailleurs fausse, puisque c'est une vision de dépendance vis-à-vis de l'État. Il faut donc que l'État intervienne dans un contexte nouveau avec une vision de l'autonomie responsable et solidaire, comme une construction, pour que quelqu'un puisse être pleinement citoyen, c'est-à-dire participer à l'échange économique et social et obtenir de son travail et de la collectivité les moyens qui lui permettent de jouer son rôle et de se développer en tant qu'être humain.
Nous nous étions donc méfiés des mesures simplistes et générales car il y a au fond un grand choix d'orientation. Peut-on régler cette question de l'autonomie par une mesure générale ou par un ensemble de mesures correctives ? La mesure générale est évidemment très séduisante, c'est d'ailleurs pour réfléchir à cette idée que nous avions créé la commission. A l'époque, un groupe parlementaire de l'Assemblée nationale proposait une loi pour que l'on donne une allocation d'autonomie importante à tous les jeunes à partir de 18 ans, de manière peu conditionnelle. Il fallait suivre des études ou bien chercher du travail. La mesure était extrêmement coûteuse, son coût était même supérieur à celui du revenu minimum d'insertion. Cela ne pouvait pas ne pas poser de problème à un moment où l'on refusait dans le même temps aux jeunes le revenu d'insertion et où il y avait du chômage. Si l'on était en situation de plein-emploi, cette idée qu'il faut aider la jeunesse à s'autonomiser serait une mesure qui pourrait aussi avoir de l'intérêt. Dans cette situation, j'avais trouvé la commission extrêmement divisée. Nous retrouverons dans les débats actuels cette division entre ceux qui veulent des mesures générales mais très coûteuses, et qui peuvent tout de même apparaître comme des mesures luxueuses. Car financer le droit, pour un jeune de bonne famille, d'aller habiter tout seul est très bien, mais l'argent public n'étant pas illimité, il serait peut-être mieux de l'utiliser pour les jeunes à la dérive. C'est en même temps une mesure plus simple donc séduisante. Pourquoi pas à terme ? Les autres veulent un ensemble de mesures qui corrigent progressivement les situations et permettent éventuellement d'envisager une mesure plus générale. Pour cela, après des débats un peu compliqués nous avions abouti à des propositions en deux étapes. Une première étape était consensuelle. Elle consistait à remettre de l'ordre dans les dispositifs pour converger vers une société plus juste et plus cohérente, avec des efforts de redistributions ciblées qui permettaient de faire des progrès considérables. Ces mesures devaient fonctionner pendant une législature, de 2002 à 2006. Une fois que cette étape était franchie, il fallait un deuxième débat, moins consensuel, par lequel nous allions vers une formule d'autonomie très large, financée assez généreusement par l'État, moins conditionnelle et moins ciblée. Voilà le compromis auquel nous étions arrivés. Je pense que c'était un compromis juste. J'ai regretté que l'UNEF le trouve, à l'époque, insuffisant. Il ne le dit plus aujourd'hui. Ils demandaient trop, ils ont fini par avoir moins.
Je vous donne les cinq propositions du compromis qui faisaient l'objet d'un consensus général : patronat, syndicats, familles et un certain nombre de mouvements de jeunes à l'exception de l'UNEF. Il y avait cinq idées fondamentales. La première était qu'il y a absolument besoin d'un service public partenarial et local d'aide à l'orientation des jeunes. Les jeunes sont mal orientés, nous proposions donc de mener une réflexion fondamentale sur ce sujet. Nous ne l'avions pas menée nous-mêmes, car la commission avait travaillé en quatre mois. Nous n'avions pas eu beaucoup de temps. Ces cinq propositions restent valables pour moi. Elles ont été partiellement mises en oeuvre, nous avons nommé sur cet aspect-là un délégué interministériel. Nous sommes cependant très loin d'un véritable service public d'orientation pour les jeunes qui démarreraient tôt, qui utiliserait les formules d'éducation déjà prévues dans les parcours scolaires pour que les jeunes soient informés tôt de la réalité de la vie. Car il est souvent compliqué de construire son chemin. C'était la première proposition.
La seconde consistait en un accord général trouvé à l'époque avec les partenaires sociaux, MEDEF compris, je le souligne, pour que tout jeune sans exception bénéficie d'une première expérience professionnelle. Je n'ai pas dit premier emploi. La déléguée à l'emploi et à la formation professionnelle de l'époque était Madame Barbaroux. Elle m'avait dit être d'accord pour que l'on redéploye les moyens que l'État met à disposition pour l'emploi des jeunes en fonction de ce que les partenaires sociaux se mettraient d'accord de faire, afin que ce droit à une première expérience professionnelle soit acquis pour tout le monde. Ce point-là a un peu disparu.
Notre troisième proposition était de revoir le système des bourses assez profondément, et cela de deux manières. Nous gardions le système de conditions de ressources des parents et le transformions en allocations formation, plus fluides, plus généreuses, et surtout reportables dans le temps. Il y a en fait deux propositions.
La transformation du système de bourses en allocations de formation sous conditions de ressources des parents couvrait un peu plus de lycéens. Je m'étais aperçu dans cette commission qu'il y avait beaucoup de lycéens qui étaient obligés de travailler, notamment parce que les parents sont au chômage. C'est une proviseure d'un lycée de la région parisienne qui nous avait parlé de cela. Nous nous sommes aperçus que les bourses lycéennes n'étaient pas très généreuses. Ces bourses se poursuivant assez naturellement lorsque les jeunes deviennent étudiants, nous avions prévu d'être un peu plus généreux : ajouter une sixième catégorie, et surtout de les reporter dans le temps. Je veux dire par-là que lorsqu'un jeune quitte l'école vers 16 ou 17 ans parce que ça ne va pas, alors que du fait des revenus de ses parents il aurait eu le droit à une bourse, s'il trouve sa vocation au bout de deux ou trois ans, il aurait le droit à ce moment-là de réclamer sa bourse. C'était au fond l'idée que l'État amorçait la formation tout au long de la vie par une espèce de capital éducatif. Le rapport Wauquiez a permis d'améliorer le système des bourses sans le transformer exactement en allocations formation tel que nous le voulions. Il n'y a pas de rapport dans le temps. Alors qu'il y aura des jeunes qui risquent un chômage assez rapide, il ne serait pas absurde d'y penser à la rentrée ou dans les mois qui viennent. Je me trouvais il y a quelque temps dans une mission locale de région parisienne, un endroit plutôt dynamique en termes d'emplois, disant qu'elle rencontrait plus de difficultés à faire accéder les jeunes à la formation qu'à l'emploi, et que cela était sûrement différent ailleurs. C'étaient que ce n'est pas facile. C'étaient la troisième et quatrième propositions.
La cinquième venait du fait que nous voyions bien que tout ceci risquait de ne pas régler le problème des jeunes en situation très difficile qui dérivent. Nous avions émis l'idée du contrat d'accès à l'autonomie, un contrat dans lequel dès lors qu'un jeune commençait par s'engager, à suivre des actions d'insertion sociale et professionnelle, une allocation égale au RMI lui était versée, que nous avions limitée à six mois. Le CIVIS fait un peu cela mais pour des sommes beaucoup plus faibles, et nous sommes très loin, comme vous le savez, de remplir le total de ce qui est en principe prévu.
Il s'agissait donc de cinq propositions relativement précises et pas très compliquées à mettre en oeuvre, sauf éventuellement la seconde. Le contrat d'autonomie dans les ZUS est semblable mais n'est pas identique, et cela ne marche pas partout. J'ai rencontré récemment un CCAS à Avranches dans la Manche, qui n'est pas en ZUS. Et bien l'on peut avoir des jeunes à la dérive sans être en ZUS. Pour ceux-là, le contrat d'autonomie actuel ne fonctionne pas. Je pense donc que cette dernière proposition reste valable. Voilà où nous en étions. J'étais un peu triste que ce rapport tombe aux oubliettes alors qu'il y avait une partie consensuelle. Cela fait partie de mes regrets car j'avais eu le sentiment que nous avions bien travaillé, et je dirais que dans ma vie professionnelle, c'est un des rapports que je suis content d'avoir fait.
Où en est-on aujourd'hui ? Et que pourrait-on faire ? Je pense que l'on ne peut pas, même dans une période où l'on ouvre un peu plus les vannes sur le plan budgétaire pour soutenir la conjoncture, ne pas tenir compte du fait que les fonds budgétaires ne sont pas illimités. Nous devons cibler là où il y a le plus de besoins. Nous devons regarder - je proposais cela hier à la commission de Martin Hirsch - la situation des jeunes en études au lycée ou à l'université et voir s'ils font leurs études dans de bonnes conditions, et s'ils n'abandonnent pas leurs études pour des raisons financières. Voilà une première chose à regarder.
Nous devons aussi regarder les jeunes en emploi : sont-ils dans de bonnes conditions ? Sont-ils suffisamment rémunérés ? N'ont-ils pas trop d'emplois précaires ? Les stages sont-ils correctement rémunérés ?
Nous devons enfin regarder les jeunes sans emploi, avec une distinction proposée hier par un membre de la commission, entre ceux qui cherchent, qui sont adossés à une mission locale pour l'emploi, et ceux qui sont dans le vide, ce qui n'est pas la même chose. Il y a aussi des situations mixtes, des jeunes travaillant tout en étant étudiants.
Pour regarder tout cela, il me semble qu'il faut cibler les mesures de la manière la plus efficace en termes sociaux. Nous avons à faire de la redistribution positive. Nous avions chiffré les propositions de la première étape du rapport de 2002 à environ deux milliards d'euros, et nous avions trouvé des moyens de financement. Nous avions notamment proposé que l'allocation de rentrée scolaire soit mise sous conditions de ressources, et dit que la prime pour l'emploi posait problème, ce qui était un peu prémonitoire. Nous avions surtout proposé, et je reconnais que c'est un peu audacieux, que l'on supprime la demi-part fiscale des foyers dans lesquels il y a un enfant autonome. Car on ne comprend pas très bien à quoi sert cette demi-part. A l'époque, c'était un rendement d'1,2 milliard d'euros. Cependant, on accroît alors la charge des personnes qui ont élevé un enfant.
Nous avons deux problèmes à résoudre. Il y a un contexte structural qui était déjà là avant la crise, et qui n'a pas été suffisamment travaillé. Et il y a le contexte conjoncturel : les jeunes vont être les premiers à payer les « pots cassés » de la crise. Je n'ai pas la prétention d'être exhaustif. Dans le rapport, nous avions travaillé non seulement sur l'emploi, mais aussi sur le logement, la santé et la citoyenneté. Je laisse de côté le logement et la santé que je connais moins bien. Je voudrais évoquer cette piste de réflexion.
Premièrement, il est nécessaire de construire ensemble des engagements à l'égard des jeunes. Je crois qu'il y a aujourd'hui besoin d'une démarche collective d'engagements positifs à l'égard des jeunes. Dans une réunion qui a eu lieu hier soir à laquelle je n'ai pas pu assister, de la commission présidée par Martin Hirsch, les questions ont été posées dans ce sens-là : qui s'engage à quoi. Il faut que tout le monde s'engage aujourd'hui, l'État, bien sûr, mais aussi les entreprises, les organisations syndicales et le monde associatif. Il faut que l'on construise ensemble quelque chose. Je trouve que le Grenelle de l'insertion a été une démarche très intéressante d'éthique de la discussion, dans lequel un bon travail a été fait ensemble, avec les usagers et les chômeurs qui étaient justement présents. Je pense qu'il faut avoir une démarche telle que celle-ci, conduisant à des engagements plus forts qu'une feuille de route des différents acteurs. Ceci pourrait être concrétisé, car il faut tout de même que cela débouche sur quelque chose de concret, sur deux points. D'abord, il faut prévoir un rapport annuel ou biannuel sur la situation de la jeunesse, que nous proposions dans notre précédent rapport. Il faudrait peut-être aussi quelques indicateurs, des objectifs pour les jeunes, comme cela a été fait en matière de pauvreté. Ce serait assez logique, de façon à ce que l'on mesure les efforts de chacun. Nous visons au fond plutôt le modèle nordique. Il y a en France un grand désir d'un système social de qualité et efficace. Le modèle d'Europe du nord implique de l'engagement, de la citoyenneté, un peu de vertus civiques. Essayons de les mobiliser pour les jeunes. Voilà ma première proposition.
La seconde se rapporte à la question de la représentation des jeunes dans la société, et notamment des jeunes en difficulté, qui est une question importante, comme je le disais en commençant. Il existe bien le Conseil national de la jeunesse, nous avions proposé qu'il soit rattaché au Premier ministre. Je ne sais plus si cela a été fait, je n'ai pas eu le temps de vérifier. Il y a là en principe tous les mouvements de jeunes. Je pense qu'il y a besoin de quelque chose d'un peu fort, où les jeunes peuvent s'exprimer et où les différentes catégories de jeunes puissent discuter ensemble. Car je vois bien que les étudiants qui sont organisés, intelligents, bien formés, mènent beaucoup le jeu. Nous avons ensuite rediscuté de tout cela, et je leur ai dit qu'ils auraient mieux fait d'accepter le compromis du rapport, tout en disant qu'il était insuffisant de leur point de vue, ce qui est tout à fait concevable, mais d'en voir les aspects positifs. Ils ont organisé un débat avec des gens de la JEC et de la JOC. Il n'y avait pas le même discours. Car les jeunes de la JEC et de la JOC leur disaient « voilà ce que l'on vit, nous, c'est un peu différent de votre problème ». Je pense donc qu'il y a besoin d'une instance dans laquelle les jeunesses parlent entre elles, s'expriment vis-à-vis des pouvoirs publics, et où l'on puisse les consulter. Ce n'est tout de même pas normal que les emplois jeunes aient été supprimés sans qu'il y ait eu de vrai débat. Peut-être fallait-il les supprimer, je pense personnellement que ce fût une erreur, même une grave erreur, mais il n'y a pratiquement pas eu de débats. Il y en a eu au Parlement bien entendu, l'opposition n'était pas d'accord.
Mais dans la société, il y a eu moins de débats que sur d'autres thèmes, à mon avis, importants. Or, la suppression des emplois jeunes est tout de même un vrai sujet. Le Président de la République veut qu'il y ait davantage de jeunes au Conseil économique et social. Je pense qu'il a raison mais que cela ne suffit pas. Je pense qu'il y a quelque chose à imaginer et qu'il faut soutenir l'éducation populaire. Elle a sans doute besoin elle-même de se moderniser, de trouver les formes qui conviennent aux jeunes d'aujourd'hui, qui ne sont plus les formes des années 1960 ou 1950. Mais il est important que la jeunesse puisse sortir soit de l'individualisme, soit de la bande, où il se passe des choses, où le droit n'est pas nécessairement respecté. Tout ce travail éducatif qui a été fait par les grands mouvements, tant laïcs que religieux, est un peu en décroissance, et il faut les aider à se rénover.
Troisièmement : la formation. J'aurais deux propositions à faire sur la formation. Il convient de faciliter le maintien en formation des jeunes dans l'année qui vient. Il y a peut-être des choses à regarder. Vous savez par exemple que les bourses sont supprimées si l'on redouble deux fois. Peut-être faudrait-il lever cela pendant un ou deux ans. La durée des bourses est assez limitée. Je ne sais plus exactement si l'on s'est adapté au LMD, mais l'on pourrait peut-être allonger la durée des bourses. En d'autres termes, le maintien à l'université ou au lycée est une réponse de qualité et valable dans une période comme celle-là. De même pour l'idée du report : la possibilité d'utiliser après coup une bourse pour se former alors que l'on a quitté l'école pourrait être mise en place maintenant. Voilà deux propositions assez simples, à préciser bien sûr.
Quatrièmement, je voudrais dire un mot des contrats aidés, sur lesquels je trouve que nous sommes un peu en contradiction. D'un côté, ils sont devenus un instrument de régulation du marché du travail dont on ne peut plus se passer, et d'un autre côté, on les gère de manière très conjoncturelle, car on diminue les contrats quand le chômage baisse. C'est le « ventre mou » budgétaire : au moment de chaque arbitrage budgétaire, on diminue les crédits des contrats aidés, et dès que le chômage remonte, on ouvre des crédits budgétaires et l'on demande au préfet de mobiliser tout le monde. Nous faisons de la quantité là ou le but d'un contrat aidé est de faire de la qualité de l'insertion. Et nous le faisons en en ayant presque honte. On parle de traitement social à propos de contrats aidés par exemple, je suis en désaccord total avec ce terme de « traitement social » du chômage. Le traitement social du chômage, c'est le RMI sans contrat d'insertion ou l'assurance chômage. Mais lorsque quelqu'un travaille tous les jours, se rend chez un employeur, est payé par un salaire et reçoit des ordres, ce n'est tout de même pas du traitement social. Ou alors, tous les fonctionnaires sont en état de traitement social.
Je suis pour qu'il y ait des contrats aidés en quantité suffisante et que l'on fasse des contrats aidés de qualité, c'est-à-dire des contrats à plein-temps et non pas à mi-temps, avec un accompagnement, une formation et une durée suffisante, l'idée étant qu'il faut y entrer pour en sortir. Il faut jouer la qualité. Sur ce point, il me semble qu'il faudrait avoir des critères de justice pour savoir le volume de contrats aidés que la collectivité décide de s'imposer. Je vois deux critères possibles. Le premier est de mettre une certaine somme au départ, et la conserver tant qu'il y aura des chômeurs de longue durée. Le but est d'arriver à un chômage de longue durée zéro. C'est l'objectif que l'on doit se donner. Vous savez que la durée moyenne de chômage en France est de quatorze mois, alors qu'aux États-Unis, elle était avant la crise de cinq mois. Le débat est focalisé sur le taux de chômage, mais la durée du chômage est au moins aussi importante. Je pense donc que les contrats aidés sont tout de même une réponse honorable et innovante à la crise, notamment pour les jeunes, à condition de jouer la qualité et non seulement la quantité, le structurel et non pas le conjoncturel. Je dis au passage que les contrats aidés sont en principe réservés aux chômeurs de longue durée, avec des possibilités de marges, d'actions locales et une certaine souplesse. Il me semble que pour les jeunes, nous devrions avoir des critères un peu plus souples d'entrée dans les contrats aidés. Je ne propose pas de remettre en route des contrats jeunes, car un des défauts de ces dispositifs est qu'ils ont changé trop souvent, et il y a chaque fois un coût énorme pour les acteurs, de se réapproprier une nouvelle réglementation.
La cinquième proposition concerne ce qui tourne autour du Pôle emploi et de l'assurance chômage. Je dirais ici trois choses. L'assurance chômage : il y a à mon avis un point qu'il faudrait corriger dans la convention nouvelle. Il s'agit de donner la possibilité à tous les demandeurs d'emploi qui ont acquis des droits aux titres de deux contrats différents de cumuler des droits. Actuellement, lorsqu'un demandeur d'emploi se trouve au chômage, il sort d'un CDD de quatre mois par exemple, mais il avait eu avant trois mois de chômage, et il avait encore avant eu six mois de chômage. Il a donc des droits à deux titres. Dans le système qui poursuit la convention établie que nous n'avons pas modifiée, on prend - ce qui est déjà mieux que rien - le droit le plus avantageux et on l'attribue à la personne. Mais cela n'est pas conforme à une logique de sécurisation des parcours, et à l'idée que toujours cotiser donne droit à un jour indemniser, qui est le nouveau principe de la filière unique. L'idée est donc de cumuler les droits : lorsque l'on a eu deux contrats, on additionne les deux. Cela a été une des raisons pour lesquelles l'un des syndicats n'a pas voulu signer la convention. C'est un enjeu autour d'un nombre relativement important de personnes, apparemment 300 000 à 400 000, qui se trouveraient couvertes par l'assurance chômage, qui couvre mieux que les minima sociaux. Nous avons trop de débats collectifs sur les minima sociaux et pas assez sur l'assurance chômage. J'en profite pour dire que je suis pour l'universalisation de l'assurance chômage, c'est-à-dire qu'elle couvre tout le monde et que tout le monde cotise, y compris la fonction publique. La sécurité de l'emploi a un prix aujourd'hui, et je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas que progressivement la fonction publique cotise à l'assurance chômage, de façon à avoir plus de ressources, et éventuellement étendre les allégements de charges aux cotisations employeurs d'assurances chômage. Cela profiterait aux jeunes. Il y a donc à mon avis quelques propositions à faire en matière d'assurance chômage.
Je pense qu'il faut faire attention à un phénomène assez ponctuel mais je le cite parce que cela risque d'être oublié. Le plan Borloo a, à juste titre, créé un droit à l'insertion pour les jeunes que les missions locales ont à mettre en oeuvre. Pour cela, deux mille postes de référents ont été créés, accompagnant les jeunes avec une présence plus forte. Mais les personnes que l'on a employées sont régies par une convention collective, dans laquelle il y a un GVT. Ainsi, la charge budgétaire augmente et les crédits ne suivent pas. De ce fait, les missions locales réduisent le nombre de référents. Ce sont des petits détails, mais des détails faisant que les jeunes sont moins bien accompagnés ensuite.
Toujours dans ce même thème de l'assurance chômage et de l'emploi, je voulais vous dire un mot des problèmes de cet organisme confronté à un problème délicat. Il a à gérer à la fois une fusion difficile, une forte hausse des demandeurs d'emploi inscrits, à ne pas confondre avec le chômage, et le fait que beaucoup de personnes du RSA vont être inscrites pour l'emploi. Il a donc une augmentation de ses charges. Les gains de productivité sont possibles mais ne vont pas suffire. Je suis moi-même administrateur en tant que personne qualifiée de Pôle Emploi. J'ai proposé deux choses, d'une part que l'on propose aux personnes qui partent en retraite de Pôle emploi de reprendre du travail pour l'emploi à temps partiel, à titre volontaire, puisque l'on peut maintenant cumuler plus facilement ; et d'autre part, que l'on anticipe les recrutements des années prochaines qui seront destinés à compenser les départs en retraite. Mais ne rêvons pas : nous ne ferons pas de gain de productivité. Ce n'est pas parce qu'il y aura davantage de chômeurs accompagnés que nous les accompagnerons beaucoup mieux par miracle. Ce serait même plutôt l'inverse : plus la situation de l'emploi est difficile, plus l'accompagnement est difficile. De toute façon, la question des moyens pour l'emploi et des missions locales est posée.
Je voudrais dire un mot du RSA pour lequel je n'y vois pas très clair. Je vais seulement vous faire part de mes doutes. Il y a un projet actuel. Certains émettent l'idée de donner le RSA aux étudiants qui travailleraient entre sept et quatorze heures par semaines, un peu mais pas trop. Car il semble que l'on peut cumuler des études et un travail à condition que le travail ne pèse pas trop lourdement sur l'emploi du temps. Dans ce cas-là, le RSA viendrait abonder le salaire. C'est une idée séduisante, mais je me dis que si on le donne aux étudiants, on ne peut pas ne pas le donner à tous les jeunes. Pour les étudiants nous pouvons concevoir qu'il y ait un plafond, mais pour les autres qui ne sont pas étudiants, il ne peut pas y avoir de plafond. Nous pouvons avoir un RSA pour les moins de 25 ans avec un plancher d'un minimum d'heures. Pourquoi pas, mais cela fait un peu drôle. Je me dis en même temps que reprendre cette vielle idée du contrat d'accès à l'autonomie de notre commission base sur le RSA pour les jeunes en grande difficulté se justifie comme un moyen nouveau donné aux travailleurs sociaux, pour qu'ils aient vraiment les moyens d'offrir à des jeunes un vrai parcours. Il faut donc que nous étudiions tout cela, c'est-à-dire une entrée partielle et conditionnelle dans le RSA. Il faut voir le coût, si nous le faisons, mais il faut que l'on avance sur cette affaire. Nous ne pouvons pas rester exactement là où nous étions avant. Je vois que même des personnes considérées comme relativement libérales, comme l'économiste Cahuc dans ses derniers travaux, disent qu'il n'y a pas de raison de ne pas donner le RMI ou le RSA aux jeunes. Il faut que l'on trouve une formule qui ne soit pas assistancielle mais conditionnelle. Je pense que la discussion reste ouverte. C'était mon sixième point, et j'en ai presque terminé avec le septième, qui est le service civique.
Je suis d'accord avec les propositions de Luc Ferry. Je pense que le modèle italien dans lequel on a réussi à avoir 60 000 jeunes faisant un service civique est une bonne chose. Le service civique doit être bien distingué des contrats aidés. Ce n'est pas du travail, mais autre chose. C'est un engagement pour la collectivité. Que cela valide des périodes de retraite est normal. Il s'agit d'une expérience où l'on acquiert quelque chose, mais ce n'est pas un contrat de travail.
Cela dit, avec les associations dont je m'occupe - je m'occupe de Solidarité nouvelle face au chômage et de Démocratie et spiritualité - nous sommes partisans d'un service civique universel et intergénérationnel. C'est-à-dire que tout le monde au cours de sa vie ait donné une partie de son temps à la collectivité. Cette formule a été étudiée dans l'intéressant rapport de Luc Ferry, mais tout de même exclue. Or ce n'est pas du tout pareil de démarrer un service civique volontaire dans l'idée de l'élargir et de le généraliser un jour, et de le faire sous une forme volontaire, surtout dans une période de chômage où cela apparaît un peu comme un compteur. Le but doit être plus ambitieux. Que cela serve au passage dans une période difficile, je suis d'accord. J'étais cependant parmi ceux qui ont signé l'appel de La vie. C'est en effet l'hebdomadaire La vie qui avait lancé cette idée que beaucoup de parlementaires avaient relayée. Je pense qu'il ne faut pas abandonner cette idée, je l'ai dit à Martin Hirsch. Si cela vous intéresse, je peux vous donner la communication que nous avions faite à la commission de Luc Ferry sur ce point.
Voilà où j'en suis de mes réflexions, je vous remercie de votre écoute et lirai vos travaux avec beaucoup d'intérêt.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup Monsieur, je pense que vous allez susciter des questions. Votre approche du problème est intéressante et originale. Avez-vous des questions ?
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci de votre présence et de la qualité de l'exposé comme de celle de votre rapport, qui est une vraie référence en matière d'autonomie des jeunes notamment. Au fur et à mesure que vous avanciez dans votre exposé j'ai rayé un certain nombre de questions car vous avez été extrêmement précis notamment sur le coût et le problème des bourses.
Mais j'aurais souhaité que vous puissiez détailler un peu plus l'allocation de formation pour les étudiants et le contrat d'accès à l'autonomie. Comment l'imagineriez et le structureriez-vous ?
Vous avez parlé de la manière dont elles viendraient compléter le dispositif actuel en disant qu'il fallait continuer à travailler sur le lien avec le RSA, et préciser quel serait leur coût. Par ailleurs, j'aurais aimé que vous puissiez nous dire ce que vous pensez des propositions du Haut commissaire qui ont été faites récemment, à propos de l'embauche de 100 000 jeunes avec une prise en charge des salaires par l'État et un remboursement des entreprises par la suite. J'aurais aussi aimé que vous puissiez nous dire si vous avez étudié, et je sais que oui, les systèmes d'autonomie dans les pays d'Europe du nord. Quel est à votre avis le pays le plus exemplaire ?
Concernant toutes ces allocations et aides, ceux qui s'y opposent disent que cela favorise l'inactivité des jeunes : le fait qu'ils aient une allocation amène à ne pas forcément rechercher un emploi. J'aimerais avoir votre avis aussi sur ce sujet.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées Atlantiques - Monsieur de Foucauld, vous êtes effectivement brillant dans votre présentation.
J'aurais deux points sur lesquels je voudrais vous demander des précisions. De par mon expérience professionnelle, je sais que nous sommes souvent confrontés à un problème de représentation qu'ont les jeunes, à la fois de la vie étudiante, de la vie professionnelle et de la vie en entreprise. D'ailleurs, lorsque nous avons auditionné les jeunes étudiants tout à l'heure, ils nous parlaient de vision de la vie. Ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant de faire un rapprochement entreprise-école avec un peu plus de stages en entreprises dès le secondaire ? Cela afin de permettre aux jeunes de se rapprocher de façon plus pragmatique de la vie en entreprise. C'est ma première question.
Nous avons ensuite auditionné d'autres interlocuteurs qui nous ont fait part d'un souci qu'ils avaient de validation des acquis des jeunes. Validation des acquis qu'ils avaient obtenus soit dans leur vie scolaire, soit dans leur vie associative, soit dans leur vie culturelle, qui n'est pour l'instant pas visible. Ne pensez-vous pas qu'il pourrait y avoir un système permettant cette validation des acquis ?
M. Yves DAUDIGNY, sénateur de l'Aisne - Est-il envisageable d'ouvrir le RSA aux moins de 25 ans qui seraient étudiants pour les périodes de travail tel que vous l'avez indiqué, sans l'ouvrir aux moins de 25 ans qui travailleraient, qui pourraient être éligible s'ils avaient plus de 25 ans mais qui ne seraient pas étudiant ? Ne faudrait-il pas dans ce cas-là envisager un autre dispositif ?
M. Jean-Baptiste de FOUCAULD, inspecteur général des finances, président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes - Effectivement il y a plusieurs modèles européens d'évolution familiale et d'accès à l'autonomie. Nous avions regardé cela avec un certain nombre de chercheurs. Il y a le modèle anglais où les jeunes sont autonomisés très tôt de leur famille. Ils vont très vite sur le marché du travail. Dans le modèle italien, les jeunes restent longtemps dans la famille. Ils sont plus libres, d'une certaine façon.
Je pense qu'il serait intéressant que nos amis de l'UNEF rencontrent des jeunes en Italie car ils n'auraient à mon avis pas du tout la même démarche. Les jeunes en Italie préfèrent rester dans leurs familles plutôt que de se marier, parce qu'ils considèrent qu'une fois mariés ils sont moins libres. Il me semble sinon que le modèle le plus intéressant à regarder serait plutôt la Suède. Nous avions à un moment lié l'évolution vers l'autonomie des jeunes à ce que nous avions appelé un certain nombre de compromis sociaux. En Suède, l'enseignement par alternance est beaucoup plus développé. Ce n'est pas du tout pareil de donner une allocation à un jeune qui est en enseignement par alternance, que l'entreprise ne rémunère pas beaucoup mais qui travaille assez dur, et de donner une allocation à un jeune au chômage. C'est cela le problème. En Suède, les jeunes sont autonomisés assez tôt avec des aides publiques assez fortes. Ce serait donc plutôt la Suède.
Mais il est très important de traiter cette question des jeunes par rapport aux grands compromis sociaux. Pour le compromis éducatif, il s'agit de la place de l'enseignement par alternance. Pour le compromis familial, la question est de savoir si la majorité sociale et la majorité civique doivent absolument coïncider. Il y a aussi le compromis capital travail et plein-emploi, ainsi que le compromis étatique. Car nous avons peu parlé de l'enchevêtrement des aides d'État, des aides régionales, avec la formation départementale, le RSA local, les CCAS etc. Tout cela est tout de même bien compliqué.
Pour la transformation des bourses en système d'allocation formation, il y avait quand même une partie de changement de nom : il y avait quelque chose d'un peu plus attirant qu'une bourse. Mais il y avait aussi l'idée de revaloriser les plafonds de 25 %, et de créer un niveau supplémentaire. Nous voulions que les effectifs d'étudiants bénéficiaires à l'époque passent de 440 000 à 630 000, et doubler le nombre des lycéens, qui passerait d'environ 500 000 à 1 million. C'était notre proposition. Je n'ai pas vérifié où nous en sommes exactement aujourd'hui, car les propositions du rapport Wauquiez notamment ont permis de bien avancer. L'idée était en fait assez simple : un changement de nom et le report dans le temps.
Le report dans le temps posait des problèmes. Car comment enregistre-t-on les droits ? Cela implique un système d'enregistrement pour les familles dans lesquelles les bourses ne sont pas utilisées. De la même manière qu'il y a le DIF, le droit individuel à la formation, il faudrait qu'il y ait un DIF d'État, si j'ose dire. C'est ici qu'est le problème, mais cela ne me paraît pas inconcevable.
Faut-il rapprocher les jeunes de l'entreprise plus tôt ? Je ne suis pas contre. Dans la vocation de ce service public partenarial et local d'orientation, j'aurais bien vu l'idée de mettre vraiment en application les dispositifs de l'éducation nationale qui prévoient cela. Je vous signale d'ailleurs que le sous-gouverneur de la Banque de France, Monsieur Landau, a mis en place des stages afin que des jeunes de quartier viennent voir ce qu'est la Banque de France pendant une semaine. L'initiation à la vie professionnelle vient, je crois beaucoup trop tard en France. L'éducation nationale a prévu un certain nombre de choses, dont j'ignore tous les domaines d'application.
Pour ce qui est de la validation des acquis dans la vie associative et dans l'action culturelle, je trouve que c'est une bonne idée. Rien ne l'empêche actuellement, mais le processus de validation des acquis de l'expérience est un peu lourd. Vous voudriez un système allégé pour les jeunes. Je pense que c'est une piste à envisager. Beaucoup de sociologues insistent aujourd'hui sur les problèmes de reconnaissance. Le successeur de Habermas à Francfort, Axel Honneth, a énormément travaillé sur cette notion de reconnaissance. Il explique que beaucoup de conflits sociaux sont dus au fait que les personnes manquent de reconnaissance. Selon lui, la reconnaissance est liée à trois attributs : le fait d'avoir des droits et de les exercer, le fait d'être aimé par d'autres - c'est intéressant de voir un sociologue parler ainsi - et le fait d'être estimé pour son rôle. Il faut donc à la fois de l'affection, du droit et de l'estime. Vous parliez de vision. Je pense qu'il est intéressant d'enrichir les rapports entre les jeunes et la société. Ils ont besoin de ces trois choses : affection, droit et estime de ce dont ils sont capables, de ne pas être rejetés. La société a été assez fermée à leur égard. Nous ne sommes au fond jamais vraiment sortis de ce que Michel Albert dans le Pari français des années 1980 avait appelé la « société des vieux mâles », qui fermait beaucoup les portes. Je pense qu'il faudrait mettre en place des mécanismes de reconnaissance un peu allégés pour les choses faites par les jeunes, le service civique pourrait d'ailleurs y concourir, afin que l'on puisse mettre une expérience sur un curriculum vitae.
Il reste la question sur le RSA. Je crois que le vrai problème est celui que vous avez dit. Si l'on ouvre la porte aux étudiants qui travaillent en leur donnant une prime immédiate pour l'emploi - car le RSA revient au fond à cela - on ne peut pas dans ce cas le refuser aux jeunes non étudiants qui travaillent, et qui travailleront peut-être plus que le plafond. On peut cependant mettre un plancher de travail, avoir un RSA plancher pour tous les jeunes, et un RSA de sauvetage en plus, pour les jeunes en difficulté. Mais nous ne sommes pas très loin d'une généralisation du RSA. Je pense que la conditionnalité est tout de même une question délicate, et qu'il est important pour les jeunes de bénéficier d'aides de l'État en fonction d'un contrat passé avec la société. C'est très important que l'on entre dans une logique de dons et de contre-dons. S'il y a du don, il faut qu'il y ait du contre-don, c'est une règle anthropologique de base qui doit faire partie de l'éducation.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je crois que c'est bien de terminer là-dessus. Merci beaucoup pour être venu jusqu'ici, pour l'approche et pour la réflexion que vous suscitez chez nous.
Audition de Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur de l'ouvrage « Devenir adulte en Europe. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe »
(25 mars 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons maintenant Mme Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur de l'ouvrage « Devenir adulte en Europe. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe ». Vous savez dans quel contexte se situe cette mission : les 16-25 ans, la problématique « emploi et autonomie financière », logement etc.
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Je vous remercie beaucoup de m'avoir conviée à cette audition. Mes travaux portent sur les modes de passage à l'âge adulte en Europe, en particulier sur les dimensions à la fois familiales, comment on quitte ses parents et comment on accède à l'autonomie, mais aussi sur les dimensions d'insertion, de rapports aux études, de trajectoires d'entrée sur le marché du travail et des dimensions plus identitaires de rapport à l'avenir et à l'âge adulte.
J'ai choisi quatre pays européens qui sont représentatifs des principales diversités en matière de modèles sociaux : le Danemark, le Royaume-Uni, la France et l'Espagne. Je vous propose de faire un rapide tour d'horizon européen des modes de passage à l'âge adulte, tels qu'ils sont plus ou moins favorisés par les modèles sociaux, contemporains, et d'éclairer, à la lumière de cette perspective, les principales caractéristiques distinctives du modèle français de la jeunesse, et en particulier de comprendre pourquoi -cela pourrait paraître anecdotique, mais c'est en fait une clé de lecture fondamentale à la fois de leurs comportements familiaux, sociaux mais même des mouvements étudiants- les jeunes Français, par rapport à leurs homologues européens se distinguent par une absence perçue de droit à l'erreur, l'intériorisation très forte du poids du diplôme sur l'ensemble de leur trajectoire, une pression sociale au placement avant 25 ans. Cette pression sociale au placement explique beaucoup de leurs caractéristiques à la fois familiales et sociales.
D'abord une petite cartographie européenne : les modèles sociaux scandinaves, que j'ai davantage étudiés par le Danemark, qui est aujourd'hui le pays européen qui a mis en place les politiques les plus avantageuses envers les jeunes, j'y reviendrai bien sûr : ces modèles sociaux d'obédience sociale-démocrate tendent à promouvoir un modèle très particulier de jeunesse que l'on pourrait, à grands traits, résumer sous l'expression « se trouver », c'est-à-dire des parcours de jeunesse vraiment vécus dans une logique de développement personnel, dans une logique exploratoire qui s'amorce par un départ précoce de chez les parents, (cela a déjà été dit à l'audition précédente, l'âge médian auquel 50 % d'une classe d'âge décohabite est de 20 ans dans l'ensemble des pays scandinaves), cette indépendance précoce se prolongeant par une longue phase de cette mobilité entre différents statuts sociaux, surtout entre les études, l'emploi auquel on accède relativement tôt mais qui peut être prolongé par un retour, même tardif, aux études, cela est très distinctif des pays scandinaves et favorisé par la politique publique. On a donc une longue mobilité entre études et emploi, une longue phase d'alternance, également entre des statuts résidentiels, vie seule ou vie en couple, jusqu'à un premier enfant assez tardif. Cette mobilité, à la fois familiale et sociale, n'est pas du tout vécue, bien au contraire, comme une précarité. Elle est vécue dans une rhétorique de la construction de soi, comme une exploration légitime, comme l'idée d'une phase assez longue de détermination de soi et de définition de soi dans la société. Cela est associé, c'est plus anecdotique, à une image assez tardive de l'âge adulte et très identitaire et relationnelle. Ce modèle, on le trouve porté, en termes d'aspirations, par l'ensemble des jeunes générations européennes, mais beaucoup plus marqué dans les trajectoires d'indépendance et de mobilité dans les sociétés scandinaves et de façon assez homogène socialement, à la fois en termes de milieux sociaux et en termes sexués.
Un des premiers facteurs, et qui est le plus structurant sur cette forme de trajectoire, ce sont les politiques publiques mises en place sur ce domaine. Pour donner le cas danois qui est quand même le précurseur en la matière, ce sont des politiques de financement quasi intégrales de la vie étudiante où c'est l'âge de la citoyenneté, de la majorité qui marque l'accès à des droits sociaux ouverts à l'ensemble des trajectoires adultes, et j'y reviendrai parce que dans la pensée sociale française des politiques de la jeunesse, on reste encore trop cloisonné à des politiques segmentées jusqu'à l'âge de 25 ans. Les pays scandinaves -et, on le verra aussi, les pays libéraux- uniformisent leurs politiques en fonction de l'âge et pensent construire des citoyens à partir de 18 ans, et donc les politiques jeunesses ne sont pas spécifiques à certains âges. Cette bourse, par exemple, offerte par l'État danois, est ouverte sans limite d'âge, elle prend la forme de 72 bons mensuels, c'est un droit de financement de six ans de vie d'études que l'individu est libre de gérer à sa guise, donc très flexible, il peut l'arrêter et le reprendre sans limite d'âge avec bien sûr une couverture assez généreuse, cela est dégressif en fonction de l'emploi occupé, s'il y a un emploi occupé. Mais avec une bourse qui fait deux tiers, plus un prêt qui représente un tiers, avec certaines conditions d'allégement des prêts en cas de réussite des études, et inversement, certaines conditions de suspension de cette bourse en cas de redoublement, ils sont financés à plus de 1 000 euros par mois, par l'État. Donc bien sûr, à la fois la directivité, l'universalité et la flexibilité, c'est-à-dire la possibilité, et cela, je trouve que c'est intéressant, au-delà de son montant, de pouvoir arrêter et de reprendre, ce qui explique ces trajectoires très mobiles. Le retour tardif aux études est un temps vécu non pas dans l'urgence comme les jeunes Français, ce qui a pour conséquence des trajectoires moins linéaires, plus discontinues, qui sont plus adaptées aux trajectoires d'emplois futurs et aux réversibilités que l'on peut voir aujourd'hui dans les trajectoires socioprofessionnelles liées aux évolutions du capitalisme.
C'est un premier facteur extrêmement structurant, l'impact des politiques publiques est très marqué sur les trajectoires. Si vous prenez la Suède et la Norvège, cela s'inverse, c'est plutôt deux tiers de prêt pour un tiers de bourse. Bien sûr, il ne s'agit pas d'importer directement ce type de politique, parce qu'elle s'articule dans une configuration sociale qui va leur donner sens, notamment un marché du travail qui intègre relativement les jeunes. Le taux de chômage des jeunes est relativement peu différent de celui des dits "adultes". Il y a donc une intégration relativement aisée, ce qui induit l'idée de perspectives sociales, d'une légitimité d'un temps long, et donc le premier cycle d'études n'est pas forcément vécu comme labellisant les trajectoires, au contraire il y a ce retour potentiel aux études, donc des trajectoires relativement mobiles. Et enfin, bien sûr, cela s'inscrit également dans des racines culturelles très profondes. Cette politique a été elle-même mise en place pour contrecarrer des comportements de surendettement étudiant puisque les étudiants prenaient leur indépendance quoi qu'il arrive même sans l'existence de ces politiques avant les années 1980. C'est donc pour favoriser l'accès aux études que l'État a décidé de se substituer à l'endettement par cette politique d'émancipation et de financement des études. Cette politique étudiante est aussi associée à un accès, à 18 ans, à l'équivalent du RMI, du revenu minimum, comme dans l'ensemble des pays scandinaves et un peu des pays libéraux. C'est l'âge de 18 ans qui ouvre l'accès aux droits sociaux dits "adultes" et donc également au revenu minimum. Il n'y a donc pas cette contrainte matérielle et temporelle dans les parcours que l'on peut trouver chez les jeunes Français ou chez les jeunes Méditerranéens, et cela va favoriser cette forme de trajectoire assez longue et assez mobile vers l'âge adulte.
Pour tracer peut-être brièvement le modèle plus libéral des trajectoires de jeunesse, cela va être là un modèle beaucoup plus court, comme il a déjà été dit avant, tourné vers l'emploi mais où l'indépendance se prend quasiment aussi précocement que dans les pays du Nord. L'âge médian du départ de chez les parents par exemple au Royaume-Uni est à 21 ans, mais cette indépendance n'est pas garantie par l'État, ou en tout cas partiellement, comme dans les pays scandinaves, elle se doit d'être prise par ses propres moyens, et donc d'être autofinancée, ou par l'endettement ou par l'emploi. Ce statut d'indépendance est culturellement fortement valorisé, cela, c'est très important de le comprendre. À 20 ans, être dépendant peut être stigmatisé ou vécu comme coupable.
Il y a donc une norme d'indépendance très forte dans les trajectoires et là, elles prennent plutôt le sens de « s'assumer », dans une logique d'émancipation individuelle et en construisant son indépendance par ses propres moyens. On a donc une indépendance précoce mais suivie là par des trajectoires d'études courtes, autofinancées, cumulées souvent à l'emploi -directement cumulées- non pas alternées, et largement autofinancées par l'emprunt bancaire, ce qui est vécu comme un problème social : les mouvements sociaux de jeunesse portent sur la question de l'endettement. Les politiques mises en place au Royaume-Uni étaient initialement des bourses étudiantes qui se sont transformées peu à peu en prêts garantis par l'État, qui sont contractés par la quasi-majorité des étudiants britanniques, mais qui se traduisent, le prix des études étant tellement cher, par un arrêt relativement précoce des études au profit d'un emploi salarié très tôt dans les trajectoires, et plus valorisé que les études elles-mêmes. Leur problème social, ce qui est en tout cas aujourd'hui en débat social, c'est comment allonger, dans la perspective d'un LMD européen, l'accès aux études, et comment, face au prix du logement qui a augmenté fortement, lever une contrainte financière très forte sur les trajectoires des jeunes Britanniques. Et c'est en cela que leurs mouvements sociaux de jeunesse et leur débat public portent sur cet équilibre libéral qui est très fragile et qui va se fragiliser bien sûr en temps de crise.
Le modèle maintenant méditerranéen, avant de passer au modèle français : très rapidement, c'est un modèle de légitimité d'un maintien prolongé au domicile parental avec un âge médian au départ de chez les parents de 27 ou 28 ans, donc beaucoup plus tardif que dans les autres pays européens. Il est donc légitime de rester au domicile tant que ne sont pas remplies les conditions d'entrée dans une stabilité adulte. Il y a trois conditions majeures : l'emploi stable, le couple, et notamment le couple marié, même si c'est en train d'évoluer lentement, et, notamment pour les classes moyennes et aisées, mais dans un marché immobilier très tourné vers l'achat d'un logement. Ces trois conditions arrivent de plus en plus tard dans les trajectoires, et au cours des années 1980, ils ont vu l'âge à la décohabitation se retarder peu à peu. Il y a une double conjonction qui vient expliquer cela. Une norme culturelle légitime de maintien, vous pouvez donc trouver des jeunes de 30 ans qui sont au foyer parental et qui ne se sentent pas pour autant coupables de cette situation. Pour autant, au-delà de cette norme culturelle, ce qui explique fondamentalement cela, ça reste quand même le destin social très marqué par le chômage, ils évoluent dans des sociétés qui font peu de place aux entrants dans des trajectoires de longue précarité.
Les deux facteurs interagissent pour expliquer ces trajectoires très longues de jeunesse et leurs mouvements sociaux justement se cristallisent, non pas en début de trajectoire, parce qu'il est légitime d'avoir ce temps de jeunesse sur la formation et dans le cadre familial mais beaucoup plus sur la question des faibles salaires à l'issue des trajectoires étudiantes. Par exemple, le mouvement assez connu des « mileuristas » en Espagne ou de la génération 700 euros en Grèce, qui s'est diffusé à la fois en Espagne, en Italie et en Grèce, est porté par des jeunes qualifiés, des architectes, des journalistes, à l'issue de leur formation et qui se trouvent bloqués dans de trop faibles salaires pour pouvoir partir. C'est un peu l'effet pervers de ce modèle méditerranéen, même si la dépendance prolongée n'est pas vécue comme un mal. On est donc dans une trajectoire qui repose beaucoup plus sur l'idée de « s'installer » dans une logique d'appartenance familiale.
La France dans ce panorama porte un caractère assez hybride et intermédiaire mais avec cette spécificité dont je vous ai parlé en introduction : l'idée que l'on accepte un maintien partiel sous dépendance familiale. Mais pourquoi ? Parce que ce qui compte, c'est avant tout l'enjeu des études, la centralité des études sur les trajectoires, la centralité du premier emploi. Nous sommes dans une société à la fois corporatiste, qui stratifie fortement les rangs sociaux, mais méritocratique, qui en ferme l'accès au diplôme. Mais en ce moment, en période de pénurie d'emplois et d'intériorisation du chômage juvénile, il y a du coup un surinvestissement, une intériorisation d'autant plus aiguë de ce poids et de cette importance du diplôme, même si on sait bien qu'il ne garantit plus forcément un emploi, et donc un investissement majeur dans les problématiques d'orientation d'études et d'insertion.
La jeunesse française est, plus que les autres -cela m'a étonnée mais maintenant, à l'issue de plusieurs enquêtes, j'en suis convaincue- traversée de plusieurs tensions. On est dans un modèle où les politiques ne sont pas cohérentes avec les normes d'indépendance, où le modèle méritocratique est mis à mal par l'assombrissement des perspectives d'emploi. On est donc dans une double tension majeure. Une première, sur l'indépendance, on a des normes d'indépendance qui sont beaucoup plus précoces que celles des pays méditerranéens. On se rapproche pour cet aspect-là davantage, même si cela est décliné, des pays protestants du nord de l'Europe que des pays catholiques légitimant le départ par le couple. L'âge médian au départ est de 23 ans, dès que les jeunes peuvent partir, ils partent. Le salaire ou la possibilité d'autofinancement déclenche le départ, ce qui n'est pas le cas dans les pays méditerranéens. On a donc cette tension entre une volonté d'indépendance précoce, on commence à couper le lien avec les parents relativement tôt, mais des moyens réels d'autofinancement qui arrivent beaucoup plus tard. Ce qui est spécifique des jeunes Français, ce n'est pas Tanguy, pas du tout, c'est plutôt cet accès long, progressif à l'indépendance qui va se décliner différemment selon les milieux sociaux.
Dans les milieux sociaux aisés, cette semi-dépendance se décline davantage par un logement indépendant mais financé par les parents et partiellement par l'État quand il y a la possibilité d'APL, donc une prise d'indépendance résidentielle sans réelle indépendance financière. Cela, c'est pour les classes moyennes et les milieux aisés. Dans les milieux plus défavorisés, il y a maintien au foyer parental avec construction d'une autonomie à l'intérieur du foyer et l'obtention d'un emploi va déclencher, même parfois dans des conditions précaires, le départ. Cela, c'est la première tension : une norme d'indépendance précoce mais pourtant, même au niveau politique, toujours cette légitimation d'une prise en charge familiale, on le voit avec le système d'allocations familiales, le système d'allégements fiscaux qui valorisent plutôt les parents qui aident l'enfant. On est dans un modèle assez continental sur cette perspective avec cette frontière d'âge de 25 ans pour le RMI. A part l'APL, qui est d'obédience plus sociale-démocrate dans sa pensée, universelle et directe, le reste est d'obédience plus continentale ou corporatiste : l'État aide les parents à aider les enfants.
La seconde tension, c'est effectivement ce sentiment de déclassement croissant, ce surinvestissement qui reste très fort dans le diplôme, les études, même dans les milieux populaires, où la seule façon de contrecarrer des trajectoires d'embourbement sur le marché du travail est encore le salut par le diplôme, donc un espoir de retour aux études pour pouvoir avoir ce salut ou cette sortie. Il y a donc une intériorisation qui est transversale, qui va des grandes écoles aux formations dites moins valorisées, j'ai appelé cela « les rails de la jeunesse », cette intériorisation de la jeunesse comme une phase d'investissement pour la vie. C'est ce sceau de l'irréversible qui est très anxiogène, et ce n'est pas un hasard si les mouvements sociaux de jeunesse en France sont portés par les étudiants et portent sur ces questions d'études et d'insertion puisque ce qui est considéré comme prioritaire ce sont les études et le premier emploi qui sont censés marquer à vie le statut social de l'individu. On est dans une société qui segmente en tant que tel son marché du travail et qui effectivement valorise le diplôme tout au long de la vie. Cela répond donc à une réalité sociale qui est en train d'évoluer mais aujourd'hui, dans les perspectives des jeunes, elle est accentuée par la pression familiale. Ce poids du diplôme est sur intériorisé et il y a cette idée que personne n'est à l'abri d'une erreur, même ceux des grandes écoles.
Les jeunes Français vont donc plus se dire en retard par rapport aux autres. Il y a cette idée d'accumulation d'attributs pour pouvoir être choisi, pour pourvoir accéder aux rangs préétablis par la société. Ce qui va être important, c'est le stage, l'année d'études, le diplôme ; ce qui commence à se surajouter c'est l'expérience professionnelle et cette angoisse aussi du retard, avec du coup des trajectoires d'études très précoces. Les jeunes Français ont un âge médian aux études supérieures entre 20 ans et 21 ans, qui est l'âge le plus jeune de toute l'Europe occidentale. Ils ont aussi les trajectoires les plus linéaires, ce sont celles que l'on coupe assez peu et qui sont assez peu cumulées, même si cela augmente, à l'emploi. Pourquoi ? Parce que c'est le diplôme qui est considéré comme central, donc les syndicats d'étudiants défendent plutôt l'idée d'études complètes peu cumulées à l'emploi, que l'idée d'une allocation. C'est très français, selon moi, comme philosophie, c'est justement de considérer les jobs étudiants comme -et on le voit dans les statistiques- secondaires, alimentaires au profit de ce qui est considéré comme l'issue et l'horizon principal des trajectoires, le premier emploi stable. C'est vraiment ce qui nous distingue et les politiques accentuent ce côté très ternaire où l'on reste sur cette philosophie des âges de la vie, où l'on pense l'âge de la jeunesse comme celui uniquement de la formation puisque la formation initiale dans notre pays compte pour l'ensemble des trajectoires adultes. On pense donc effectivement cet âge comme une catégorie à part, on n'ouvre pas forcément les droits à l'ensemble des majeurs, on pense cet âge comme l'âge légitime de la formation et de l'insertion. Or, cela ne correspond plus aux trajectoires adultes d'aujourd'hui, ni à la mobilité des trajectoires que l'on a sur le marché du travail et qui encouragent plutôt une mobilité tout au long de la vie. Ce que l'on pense donc comme irréversible est en fait réversible.
Selon moi, des pistes de réflexion pour les politiques, ce serait déjà de lever cette angoisse qui joue sur les trajectoires, qui accentue le côté « déclassements » quand on reste dépendant de ses parents, c'est de lever cette linéarité des parcours en favorisant que ce soit, de façon libérale, le cumul direct emploi-études, ou prêt bancaire, ou une alternance, de façon plus sociale-démocrate, c'est-à-dire des études puis un temps d'emploi puis un retour potentiel aux études même à un âge tardif, afin de lever cette forme d'irréversibilité des parcours, qui pourrait paraître très lointaine des préoccupations d'aujourd'hui, mais qui sont en fait, selon moi, centrales dans la construction d'individus adultes, dans des parcours qui vont être mobiles, dans un retour à la formation adulte qu'il faut valoriser parce qu'aujourd'hui on a, comparé à d'autres pays, une survalorisation de la formation initiale par rapport à la formation continue. Une des clés ce serait effectivement d'organiser un retour tardif -au moins potentiel- aux études tout en encourageant également un accès plus précoce à l'emploi. D'ailleurs on voit, toutes les enquêtes le montrent, que plus l'on met de l'emploi dans les études, que ce soit en même temps ou en alternance, plus l'intégration des jeunes sur le marché du travail est aisée puisqu'il y a déjà cette expérience professionnelle demandée et qu'il y a aussi une interconnaissance entre employeurs et jeunes un peu plus mobilisée. Cela, c'est une première piste.
La seconde piste, selon moi, ce serait la directivité des aides. Là, comme vous l'avez évoqué, on est sur des aides qui restent très indirectes, en tout cas certaines aides. J'avais parlé des allocations familiales, des allégements fiscaux, cela prend acte qu'effectivement, en France, les parents s'occupent de leurs enfants jeunes adultes mais cela consacre toujours cette idée d'un âge à part où l'on est considéré non pas comme citoyen mais encore à charge, encore en préparation, ce qui est en fait très loin de la réalité sociale, au profit d'aides plus directes qui, j'en suis sûre, auraient un impact assez marqué sur l'accès à l'autonomie des jeunes Français puisqu'il y a cet envol un peu contrarié et que les normes valorisent une indépendance plus précoce que les politiques le font aujourd'hui.
Enfin, selon moi, une troisième réflexion, mais que j'ai déjà évoquée, c'est de faire attention aux seuils d'âge. On a une pensée très segmentée sur les parcours de vie, des contrats jeunes ou des contrats plus âgés en sortie de trajectoire. Cela reste une pensée très française qui a tendance, c'est ce que l'on appelle les marchés internes, à privilégier les internes sur le marché du travail et à réguler les conjonctures sur les entrants et les sortants et ces seuils d'âge au fond ne correspondent pas non plus à la réalité. On observe même des phénomènes de vases communicants. Par exemple, favoriser des contrats jeunes, cela a un effet d'aubaine d'un ou deux ans mais c'est souvent au détriment plutôt des sortants et, en fait, cela ne joue que très peu sur le taux moyen de chômage. Les seuils d'âge sont donc, selon moi, plutôt à lever au profit d'ouverture des droits à tous les majeurs en formation. Donc il faut penser plutôt « formation », « couverture du chômage dès 18 ans », plutôt que « 16-25 ans », des catégories qui sont créées par la pensée sociale française par cette conception d'une vie un peu ternaire : on se prépare, on travaille et on sort. Cela ne correspond plus à la réalité sociale contemporaine.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup, C'était vraiment très intéressant. Cela nous remue un peu, cela nous culpabilise peut-être en tant qu'éducateurs. On aurait dû vous rencontrer plus tôt, on aurait moins mis la pression sur nos propres enfants.
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - La pression est liée à la réalité sociale française. Les Français sont d'ailleurs tiraillés entre des aspirations à se définir longuement, à avoir le temps de construire leur place, - et, en termes d'aspirations, ils sont assez proches des jeunes du Nord - avoir le temps de ne pas se déterminer à 18 ans, et des enjeux d'orientation qui accentuent le mal-être, c'est aussi la période de lycée où l'on a l'impression de choisir sa vie, ensuite la période d'études où l'on a l'impression de jouer sa vie, et cela se rapproche presque des sociétés japonaise et coréenne. C'est le modèle très méritocratique mais qui a ses effets pervers en temps de crise parce que cela accentue l'inquiétude et l'investissement nécessaire.
Mme Janine ROZIER, sénatrice du Loiret - Et qui entraîne le mal-être des jeunes et les suicides. Parce que la France a un taux de suicide assez important dû justement au phénomène d'anxiété que peut avoir cette pression des parents, etc. Vous avez évoqué tout à l'heure le Royaume-Uni après leur A-level . Les jeunes britanniques ont cette possibilité d'avoir une année de transition pour justement faire autre chose, c'est-à-dire ou s'investir dans un domaine humanitaire ou découvrir l'économie, entrer en entreprise etc., et ne reprendre des études qu'après, et c'est vrai qu'effectivement nos jeunes nous disent qu'après le bac, il y a cette pression de la famille et de l'environnement. Je me souviens d'un exemple, des amis m'ont dit « Alors tes enfants que vont-ils faire ? », « Ils partent un an en Angleterre, ils vont voir un peu le monde et faire autre chose », ils m'ont dit « Ah bon, ils ne vont pas... ». Voilà, c'est aussi l'image qui est reflétée par les autres et le modèle social français entraîne aussi des mal-être.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Le problème aussi c'est que dans la mesure où tout le monde ne suit pas, à partir du moment où l'on respecte le rythme de l'enfant, si une fois que vous avez fait un peu votre chemin personnel, vous vous présentez chez un employeur à 24 ans avec un CV vierge sur trois ans, l'employeur ne vous prend pas parce que c'est suspect. Si vous écrivez « 19 à 23 ans : voyage en Angleterre, au bout du monde, musique, théâtre », vous n'êtes pas recruté. Tout va donc ensemble.
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Je vous rejoins totalement dans les deux commentaires. Il y a aussi tout un travail à faire sur les représentations des employeurs eux-mêmes. Ce modèle méritocratique par le diplôme est très intériorisé aussi par les employeurs. Les trajectoires linéaires sont donc valorisées au détriment de trajectoires qui seraient un peu plus ce dont vous parliez, les gap years, les années transitoires, qui sont très marquées au Royaume-Uni mais aussi dans l'ensemble des pays scandinaves où ce qui compte pour se construire, pour trouver sa place, ce n'est pas uniquement le scolaire. Tout ce qui est hors scolaire est également valorisé et même pour l'entrée à l'université, au Danemark, vous rajoutez des points si vous avez fait cette année transitoire. C'est pour cela que l'on voit souvent de jeunes nordiques en voyage à 18, 19 ans, souvent encouragés par les parents d'ailleurs, c'est donc intériorisé socialement et justement dans l'idée de trouver des études qui correspondent aux aspirations. Mais ce n'est pas directement importable, on est dans des pays qui favorisent l'intégration des jeunes. Il y a donc d'emblée moins d'angoisse sur leur devenir. En France, les trajectoires discontinues - les voyages à l'étranger commencent à être un peu plus valorisés, en termes linguistiques notamment - sont vues comme suspectes.
Il y a donc aussi un fossé entre les employeurs et les jeunes mais c'est lié au fait que les études sont encore peu cumulées à l'emploi et que cette population est encore peu connue des employeurs et donc triée sur le diplôme. On peut penser que cela va évoluer mais les représentations jouent dans le cercle vicieux français de trajectoires d'insertion difficiles. En France, on a un taux de suicide qui est intermédiaire, en termes de moyenne générale sur les âges, par rapport aux autres pays européens mais sur les jeunes justement, spécifiquement, il est surélevé. On observe une corrélation entre le taux de suicide et le chômage de longue durée vécu notamment comme un échec personnel puisque l'on est aussi - et, cela, il faut en avoir conscience - dans une configuration générationnelle très particulière où les jeunes entrants aujourd'hui ont été socialisés au modèle de réussite véhiculé par leurs propres parents qui, eux, ont vécu dans une trajectoire d'ascension sociale liée aux Trente Glorieuses, donc à un diplôme équivalait une forme de perspective sociale, une ascension sociale possible.
Aujourd'hui, on est dans une génération qui a accédé, pour beaucoup, à des diplômes au moins équivalents, sans ce statut coordonné qui accroît ce sentiment de déclassement et parfois la gêne par rapport à une dépendance parentale prolongée, par exemple. Cela se cristallise sur des détails, les cautions que l'on doit demander pour l'accès au loyer jusqu'à très tard, même avec un salaire, donc cette non-confiance pour l'accès au crédit, au prêt immobilier qui est très familialisé. Qui achète aujourd'hui dans les jeunes, même au sens très large ? Ce sont les trentenaires, ceux qui ont une aide parentale. On est donc en train de familialiser très fortement les trajectoires, ce qui est un choix politique par rapport aux inégalités que cela peut créer.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je voudrais poser une question sur le travail manuel. Comment le travail manuel est-il appréhendé dans ces pays ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - C'est plus valorisé qu'en France mais je ne suis pas spécialiste de cette question. Mais ce qui m'a frappé, par exemple chez les jeunes Danois, c'est que cette alternance entre études et emplois transitoires pouvait être totalement déconnectée et sous-classée par rapport aux études et à leur propre milieu social. Vous avez donc des jeunes de 25 ans qui ont fini un premier cycle d'études, par exemple, d'infirmier ou littéraire et qui se retrouvent dans des emplois très manuels, sans que pour eux cela soit dévalorisant. Le modèle allemand est encore plus fort de ce point de vue puisque le modèle éducatif lui-même n'a pas dévalorisé le côté manuel par rapport au côté littéraire ou intellectuel tel que la France l'a clivé pour l'instant. On peut penser, mais ce n'est qu'une hypothèse de ma part, qu'au niveau des jeunes générations qui font leur choix d'études, il y a encore une croyance très forte au diplôme, surtout l'idée que de toute façon c'est minimum, mais il y a cette idée qu'il n'y a plus rien à perdre puisque plus rien n'est garanti. Je crois que cela va donc casser un peu la hiérarchie actuelle, qui va rester forte bien sûr puisqu'il y a la pression familiale, la pression individuelle, mais sur certains comportements on observe par exemple l'idée de créer son entreprise qui est montante, donc l'idée de créer sa place, même si cette place est moins valorisée socialement, plutôt que d'aller gravir tous les échelons pour aller s'inscrire dans une place préétablie à la française.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Et j'ai une question concernant les difficultés dans les quartiers. J'imagine qu'ils sont confrontés aux mêmes problèmes que nous. Est-ce que le traitement est différent ou est-ce qu'il y a moins de difficultés par rapport justement à leur philosophie ou à la manière dont ils imaginent les choses ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Je connais assez peu ces problématiques, juste que par exemple, le Danemark a des mouvements sociaux de jeunesse un peu «rebelles». Ce ne sont pas du tout les mêmes problématiques qu'en France, à Copenhague, vous avez dû en entendre parler, c'est plutôt vu comme l'envers d'une jeunesse dorée. C'est plutôt une rébellion également politique, idéologique, et d'ailleurs cela prend cette forme de problématiques très sociales. Leur débat social est presque l'inverse du débat social français, qui est plutôt centré sur l'idée de ne pas sacrifier une génération et de considérer comment partager la précarité, pour ne pas la faire porter que sur les entrants. Leur débat est le suivant : est-ce qu'avec cette bourse si généreuse on n'est pas en train de créer une jeunesse dorée qui peut bénéficier à la fois des ressources d'emplois, des ressources de l'État et qui sort le soir, que l'on voit à Copenhague, etc ? En ce moment, ces effets pervers potentiels de la bourse d'études sont en tout cas en débat public. Elle est quand même vue comme l'étendard d'une politique jeunesse scandinave, c'est vrai qu'ils ont été précurseurs et ce sont les plus généreux en la matière, en sachant que l'on est dans un petit pays avec des finances d'État qui ne sont pas l'équivalent des finances françaises.
M. Jean DESSESSARD, sénateur de Paris - Je n'étais pas là au début donc je ne sais pas si vous avez parlé de la méthodologie que vous avez employée pour les études donc cela peut être intéressant. Je n'avais pas l'impression que ce que vous dites là maintenant des jeunes, des étudiants, était la même chose il y a vingt ou trente ans. Est-ce que l'on pourrait situer une date où les choses ont évolué, ont changé, et, mais là c'est vous demander beaucoup, est-ce que vous auriez quelques pistes d'explication ? Cela, c'était la première question. La seconde, c'est par rapport au salaire, je suis plutôt pour un salaire étudiant, je suis pour un revenu pour les 18-25 ans, par exemple que le RMI soit pour les 18-25 ans, cela ne rejoint pas forcément une revendication d'un syndicat étudiant qui est un salaire d'études, mais quand même garantir un salaire. Mais ce qui est intéressant, c'est comment on peut concilier, par rapport à ce que vous dites, un salaire étudiant avec la possibilité de faire autre chose puisque ce qui est intéressant dans ce que vous nous avez expliqué c'est la possibilité de travailler. Donc si la personne n'a un salaire que pour étudier, cela lui donne moins cette mobilité professionnelle d'une année ou de faire un stage rémunéré assez long. Est-ce que vous avez réfléchi à ces questions ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Sur la méthodologie, je n'en ai pas du tout parlé mais c'est une articulation de méthodes quantitatives donc statistiques d'une enquête très large en Europe qui s'appelle le panel européen des ménages, qui est longitudinal, qui a permis de reconstruire toutes les trajectoires de départ du foyer parental et d'insertions socioprofessionnelles associées à des entretiens faits dans chacun des pays auprès des jeunes, dans une fourchette large, âgés de 18 à 30 ans de tous les milieux sociaux, donc plus de 140 entretiens en tout, et associées à la reconstitution statistique longitudinale des trajectoires qui a permis de confirmer ce que l'on retrouvait, pour une large partie, dans les discours, et, plus encore que je ne le croyais, cela s'est clivé de société en société. C'est-à-dire que bien sûr il y a des différences sexuées, de milieu social mais elles restent moins significatives que l'impact de la configuration sociale sur les trajectoires qui va faire que l'on peut avoir des trames de lecture sur les jeunesses françaises mais qui ont quand même des problématiques communes : cette problématique de l'insertion, des études, l'accès un peu contrarié à l'indépendance, donc cette dichotomie entre des politiques un peu familiales et une aspiration assez précoce à l'indépendance. Cela va traverser l'ensemble des jeunes Français. Il s'agit d'une méthodologie qualitative et statistique articulée sur l'évolution.
Je crois que ce modèle méritocratique et corporatiste, le poids du diplôme par exemple, s'accentue parce que quand les horizons étaient ouverts c'était beaucoup plus souple et potentiellement flexible puisqu'il y avait cette garantie d'avoir une place. C'est donc lié à la crise, à l'impact de cette montée progressive à la fin des années 1970 et des années 1980 du chômage juvénile qui, en fait, a révélé le caractère anxiogène de notre modèle social sur les jeunes. Il y a aussi ce que l'on appelle l'inflation scolaire, c'est-à-dire que cette démocratisation massive des études a quand même induit des comportements où justement comme elle s'est passée en contexte de pénurie d'emplois et du coup d'accumulation d'attributs et donc d'avancées massives vers le bac plus trois, même le bac plus cinq sans qu'il y ait la garantie, du fait de la démocratisation, d'un emploi associé. Je n'ai pas de date précise, mais en tout cas je crois que c'est un mouvement qui s'est accentué avec l'assombrissement des perspectives elles-mêmes.
Sur le salaire étudiant, je n'ai pas de position sur l'idée d'allocation ou de prêt, ce sont des choix politiques que cela soit les prêts, les allocations ; par contre, je crois que ce qui est important dans ce financement c'est qu'il passe, en tout cas partiellement, par l'emploi et ce n'est pas pour des questions d'autonomie, ce serait aussi pour des questions d'intégration future. Au-delà d'une allocation, il y a aussi des idées, par exemple je vois les Britanniques qui ont mis en place des horaires universitaires qui permettent de cumuler désormais avec un emploi et il y a beaucoup de cours qu'il est possible de suivre de 17 heures à 19 heures. Cela paraît anecdotique, mais permet par exemple aux adultes et même aux jeunes de cumuler plus facilement avec un emploi. L'idée aussi de favoriser le retour en formation est intéressante, donc l'idée de flexibiliser un peu les âges sur certaines aides est intéressante puisque cela permet d'arrêter ses études et de les reprendre, ce qui peut à terme bouger les représentations mêmes des employeurs et faire accepter ces parcours discontinus ponctués d'expériences professionnelles.
Le salaire étudiant, dans les pays nordiques, est dégressif en fonction de l'emploi. Or ils ont une culture d'emploi très précoce, comme souvent dans les pays protestants, donc une valorisation aussi de l'emploi, ils accèdent à l'emploi plus précocement que les Français et les Méditerranéens alors qu'ils ont une bourse parce que l'idée c'est celle aussi du cumul ou de l'alternance selon laquelle on se construit aussi par l'expérience professionnelle, pas uniquement par les études, ce qui est la pensée française et par conséquent leur bourse est dégressive en fonction de l'emploi. Pourtant, la quasi-majorité des étudiants nordiques contractent évidemment cette bourse, (on doit être proche des 100 %) et elle est cumulée à l'emploi et dégressive.
Des seuils ont été instaurés, si l'individu atteint un certain seuil de salaire par l'emploi, sa bourse ne fait que compléter son salaire. Il y a donc un système de vases communicants entre emploi et bourse d'études.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Est-ce que vous avez observé, aussi bien dans les pays que vous avez cités qu'en France, des différences de comportement et d'approche entre les jeunes en milieu rural, les jeunes en milieu urbain et une troisième catégorie qui correspondrait aux quartiers difficiles ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - C'est une question que j'aimerais approfondir parce que je crois qu'elle est très importante cette différence entre rural et urbain. Je n'ai pas eu les moyens de bien l'opérationnaliser au niveau européen mais j'ai un petit peu travaillé ces problématiques et ce que l'on observe quand même, effectivement, c'est que l'un des clivages émergents au sein des jeunesses européennes, donc au-delà des sociétés en sociétés dont je vous ai parlé, se situe entre les jeunes potentiellement mobiles et les immobiles. Chez les immobiles, je regrouperais ceux en milieu rural et ceux en quartiers difficiles ; ce sont des problématiques qui sont très proches et il y a eu des enquêtes ethnographiques faites en France sur les jeunes ruraux qui montrent des parallèles avec les jeunes piégés un peu dans les cités, c'est-à-dire dans des lieux qui leur offrent paradoxalement les seules ressources identitaires, en termes de relation notamment, pour vivre leur situation et en même temps qui les contraignent, par absence d'emploi, à des trajectoires d'insertion extrêmement difficiles.
Le coût du départ est tellement élevé puisque cela voudrait dire abandonner ses seules ressources relationnelles ou identitaires -ce que l'on appelle le capital d'autochtonie, le fait d'être de quelque part- qu'ils restent dans ce lieu, même si ce n'est bien sûr, pas le cas de tous car beaucoup partent. Un clivage important à prendre en compte, c'est effectivement cette jeunesse urbaine, mobile, nationale, voire internationale, la jeunesse Erasmus et, paradoxalement, des pièges de lieux où les jeunes peuvent rester enfermés dans des problématiques d'insertion difficiles mais cela se comprend rationnellement quand on sait que c'est leur seule ressource et que, du coup, ils préfèrent rester que de partir, ce qui serait extrêmement coûteux. Et pour avoir fait des enquêtes à Valenciennes, dans des quartiers sinistrés, on observe ce phénomène d'un coût des départs, aller à Valenciennes même ou à Lille chercher un emploi est considéré comme extrêmement difficile parce que zone de grande inconnue, de grande solitude, est trop difficile identitairement pour certaines personnes déjà un peu vulnérabilisées.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On a la même chose à Paris. Certains n'y sont jamais allés alors qu'ils sont à dix-sept kilomètres.
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Tout à fait, c'est vrai que la mobilité est un enjeu très important aujourd'hui à penser parce qu'il y a des jeunes immobiles. Je crois qu'à l'avenir c'est amené à se cliver de plus en plus.
M. Jean DESSESSARD, sénateur de Paris - Donc mobile et discontinue ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Ce sont déjà les trajectoires que l'on nous propose. On pense la vie telle que l'on en a hérité, c'est-à-dire en trois temps, mais les trajectoires d'aujourd'hui, là je le vois parce que je travaille sur ce que veut dire devenir adulte, ne sont plus associées à un statut stable. Cette stabilité est devenue réversible, c'est-à-dire que l'emploi que l'on peut avoir, qui est censé fonder l'adulte, peut partir, de même la fondation d'un foyer peut être réversible et on est donc sur des trajectoires aujourd'hui fondamentalement destinées à être discontinues. Que le système de formation, de financement et d'aide publique s'adapte, cela me paraît relativement contemporain dans la pensée, de lever les seuils d'âges, de décloisonner la formation des seuls âges entre 18 et 25 ans.
M. Jean DESSESSARD, sénateur de Paris - Peut-être n'y avez-vous pas réfléchi mais la question du service civil se pose. Parfois on évoque l'importance du service civil pour se sentir appartenir à une communauté nationale ou européenne, est-ce que vous avez des éléments sur le service civil ?
Mme Cécile VAN DE VELDE, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Très peu. Au-delà de l'appartenance citoyenne, c'est plutôt au niveau européen qu'elle serait amenée aujourd'hui à se développer. Les bourses européennes ont quand même fait beaucoup, ce que l'on voit augmenter chez les jeunes, c'est à la fois l'augmentation de l'appartenance européenne, ou transnationale, et le sentiment d'appartenance à son propre quartier. C'est donc l'ultra-local ou le transnational qui sont importants en termes d'appartenance et d'identification aujourd'hui. Le national reste important mais il est en déclin. Après, c'est un choix politique de valoriser cela au niveau transnational plutôt que national mais je crois que l'ultra-local, les associations aussi, en termes urbains, ont un rôle à jouer, et on voit les communautés urbaines qui investissent de plus en plus. Je crois que ce sont effectivement des pistes intéressantes pour favoriser la citoyenneté, au-delà du seul service civil dont je connais peu les contours.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci infiniment, c'était absolument passionnant.
Audition de M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS)
(31 mars 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Monsieur Galland, nous avons le plaisir de vous recevoir. Il est inutile je pense de vous présenter à nouveau cette mission. Je vous rappelle que nous sommes enregistrés, que l'émission sera retransmise sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. Je vous passe la parole tout de suite et renouvelle mes remerciements.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Je vais vous présenter les principaux points d'un petit livre qui va sortir dans quelques jours sur le sujet qui nous préoccupe, puisque son titre est « Les jeunes Français ont-ils raison d'avoir peur ? »
Ce livre part du constat un peu attristant et inquiétant que les jeunes Français sont parmi les plus pessimistes des Européens. 20 % seulement d'entre eux se disent confiants en l'avenir, contre 60 % des jeunes Danois. L'écart est donc énorme. Les jeunes Américains sont également très optimistes. Les jeunes Français n'ont donc confiance ni en l'avenir, ni dans les autres, dans les interactions quotidiennes, ni dans la société en général. Cet état d'esprit est, à l'évidence, inquiétant pour un pays développé comme la France puisque la jeunesse représente l'avenir et qu'on devrait y trouver l'enthousiasme, l'envie de réussir, le dynamisme, l'envie de créer et d'innover.
Les jeunes Français se révèlent aussi relativement conformistes : dans une étude très intéressante conduite par la Fondation pour l'Innovation politique sur les jeunesses européenne et américaine, il apparaît qu'ils font partie de cette minorité de jeunes Européens qui estiment ne pas avoir la maîtrise de leur destin personnel et sont plutôt enclins à se conformer à ce que l'on attend d'eux.
L'objet de mon ouvrage est de tenter de comprendre et d'expliquer cette situation. Je passe en revue un certain nombre d'interprétations que je vais rapidement résumer devant vous.
Il y a tout d'abord des thèses classiques qui sont assez bien connues et que l'on peut regrouper sous le vocable d'explications générationnelles. Dans ces explications générationnelles, il y a en fait trois registres assez différents.
L'explication générationnelle la plus classique et la plus évidente est que les jeunes souffrent de discriminations générationnelles de nature essentiellement économique.
Ces discriminations peuvent être résumées en trois points : tout d'abord, la flexibilité de l'économie et la précarité de l'emploi vont croissant et le poids de cette précarité repose essentiellement sur les jeunes. Je reviendrai ultérieurement sur ce que l'on peut en penser. La deuxième idée très souvent avancée est que l'ascenseur social est en panne c'est-à-dire que l'on ne progresse plus d'une génération à l'autre en termes de catégorie sociale ou de revenus. Le troisième point qui découle évidemment des deux premiers, est que l'accès des jeunes Français à l'indépendance est extrêmement problématique, très long, s'avère même parfois impossible.
Que penser de ces trois points à la lumière d'un examen attentif des faits et des enquêtes dont on dispose aujourd'hui ?
Tout d'abord, le point sur la concentration de la flexibilité sur les jeunes est tout à fait exact. Une solidarité familiale informelle, sorte de pacte générationnel implicite, compense la précarité de la jeunesse. Ce pacte générationnel ne fonctionne pas si mal, sauf bien entendu pour les jeunes sans famille ou pour ceux dont la famille n'a pas les moyens d'aider leurs grands enfants, leurs jeunes adultes. Ce système repose aussi sur un marché du travail fondé, vous le savez, sur cette fameuse dichotomie entre CDD et CDI ; et lorsqu'on regarde les statistiques, on constate qu'effectivement la flexibilité du marché du travail s'est accrue - bien qu'il y ait débat entre les économistes sur ce point - quasi exclusivement pour les jeunes actifs, les adultes dans la force de l'âge ayant été presque totalement épargnés par cette croissance de la précarité de l'emploi.
Le constat est assez clair, les jeunes Français sont, sans doute plus que dans d'autres pays, la variable d'ajustement de l'économie. Évidemment, dans les phases de récession, notamment celle que nous connaissons aujourd'hui, ils sont les premières victimes de cet ajustement.
Deuxième point, qui doit être nuancé, la panne de l'ascenseur social. Je dirais plutôt que l'ascenseur social fonctionne au ralenti, parce que l'idée qui prévaut suggérant qu'il n'y a plus du tout de mobilité sociale ascendante est une idée fausse. En fait, lorsque l'on regarde les statistiques de l'INSEE, on constate qu'un tiers des enfants d'ouvriers ou d'employés accède à des emplois de cadres ou de professions intermédiaires. Cette proportion d'un tiers n'a cependant pas varié depuis un quart de siècle. Nous pouvons donc dire que l'ascenseur social monte toujours un peu, lentement et surtout sans changement de vitesse depuis 25 ans.
Troisième point, les difficultés d'accès à l'indépendance des jeunes. C'est un point qui doit aussi être précisé. Il est vrai que les jeunes accèdent de plus en plus tardivement à l'indépendance économique, mais la plupart d'entre eux y parviennent malgré tout : entre 25 et 30 ans, 80 % des jeunes obtiennent un CDI. Par contre, le clivage est de plus en plus marqué entre les jeunes avec diplôme et ceux qui en sont dépourvus, au détriment de ces derniers qui, eux, ont de plus en plus de difficulté à s'insérer dans la société.
En résumé, je dirais que les conditions d'entrée dans la vie adulte sont certainement plus difficiles en France que dans d'autres pays développés et qu'elles contribuent certainement à entretenir un sentiment d'incertitude, mais elles ne suffisent pas à expliquer entièrement le profond sentiment d'angoisse chez les jeunes.
La seconde explication générationnelle, très différente de la précédente, est plus de nature culturelle : il y aurait, dans les familles, une crise de la transmission et une crise de l'éducation. C'est une idée un peu différente de l'intégration, qui consiste à dire qu'une société n'existe que si ses membres partagent des valeurs et respectent des normes communes ; vue sous cet angle, la crise de confiance des jeunes dans les valeurs et les normes de la société serait causée par un dysfonctionnement des modalités de leur transmission, notamment au sein de la famille.
Sur ce diagnostic de la transmission des valeurs, le débat entre les sociologues n'est pas clos. Il y a des optimistes tel François de Singly, sociologue bien connu, auteur d'un livre qui vient de paraître sur les « ados naissants » - un joli néologisme - qui s'inscrit en faux contre l'idée d'une démission familiale, d'une renonciation des parents à exercer leur autorité. Il y a des pessimistes, telle Dominique Pasquier, l'une de mes collègues, qui a écrit un très beau livre sur la culture des lycéens où elle fait état non pas d'une crise de la transmission des valeurs - au fond, tout le monde aujourd'hui entre 18 et 60 ans partage les mêmes valeurs, l'écart des valeurs entre les générations qui existait dans les années 60 ayant disparu -, mais plutôt d'une crise de la transmission culturelle. La culture adolescente, fondée sur la communication et l'apparence, est aux antipodes de la culture scolaire que les parents veulent que leurs enfants acquièrent. Le problème résiderait donc dans ce gap culturel entre la culture adolescente et la culture scolaire. Et puis il y a aussi des psychiatres qui, tel Philippe Jamet, disent que parents ont renoncé à exercer leur autorité.
Il y a donc débat, les choses ne sont pas définitivement fixées. Il me semble exagéré de dire ou de supposer que la crise de la jeunesse provient d'une crise familiale. En réalité, lorsqu'on regarde bien les choses, la famille reste un lieu de socialisation extrêmement fort. Je ne vois pas les signes annonciateurs d'une telle crise, les jeunes s'entendent beaucoup mieux avec leurs parents et partagent plus de valeurs avec eux, notamment l'idée de tolérance, qu'il y a 30 ou 40 ans ; par ailleurs, les parents aident très fortement leurs jeunes adultes à entrer dans la vie en société. Donc je ne crois pas que la matrice de la crise de la jeunesse se trouve véritablement dans la famille.
Il y a une dernière explication générationnelle qui est plutôt de nature politique au sens large qui part du constat de l'évidente sous-représentation politique des jeunes, aussi bien dans les instances gouvernementales qu'au niveau de la représentation politique des jeunes. C'est un autre point de vue important. Il n'y a jamais eu en France de véritable politique de la jeunesse jusqu'à la création récente du Haut Commissariat de la jeunesse dont on verra s'il tient ses promesses.
J'aborde dans mon livre la question des associations de jeunesse, peu nombreuses au demeurant, enfin les vraies associations de jeunesse, celles qui ne sont pas dirigées par des vieux mais par des jeunes. Noyées dans un ensemble hétéroclite connu sous le nom « d'associations de jeunesse et d'éducation populaire », les associations de jeunesse sont finalement très minoritaires, peu consultées et écoutées dans ce grand fourre-tout ; c'est ce dont se plaint Animafac, une dynamique et véritable association de jeunesse. Toutes ces associations sont regroupées dans un organisme dénommé le CNAJEP qui joue le rôle d'interlocuteur des pouvoirs publics en matière de jeunesse à défaut d'une instance légitime de la représentation des jeunes. D'ailleurs, les pouvoirs publics sont parfois bien en peine de trouver des interlocuteurs crédibles pour engager le dialogue avec les jeunes.
Par ailleurs, le système de participation des jeunes aux affaires qui les concernent directement, notamment dans le système éducatif, ne fonctionne pas du tout ou très mal. Au lycée par exemple, les instances de consultation et de concertation comme les conseils de la vie lycéenne, sont trop formelles, trop strictement consultatives. L'écart trop important entre le rôle conformiste qui est attendu des élèves dans le cadre du système scolaire et le rôle de citoyen de la cité scolaire que l'on pourrait imaginer est une des causes de désaffection de la plupart des élèves pour ces instances. Et puis surtout, le champ des prérogatives des conseils de la vie lycéenne est limité et concerne tout sauf l'essentiel, ce qui se passe véritablement à l'intérieur des classes et notamment les interactions entre élèves et professeur. C'est là que résident les tensions dans le système scolaire français avec leur corollaire, les manifestations scolaires périodiques.
Ces explications générationnelles que j'ai passées très rapidement en revue ont en commun de traiter la question d'un point de vue discriminatoire, en opposant les jeunes au reste de la société : la jeunesse est sous-dotée économiquement, sous-encadrée moralement et sous-représentée politiquement. Ces explications-là ont leur valeur, mais je crois qu'elles ignorent une partie importante de la question. Une autre façon de voir le problème est de considérer la jeunesse comme un révélateur de la crise institutionnelle et culturelle du modèle français de formation. Et je crois qu'il y a véritablement une crise du modèle méritocratique à la française.
Quel est donc ce modèle ? Il correspond en fait à ce que l'on appelle l'élitisme républicain, c'est-à-dire la sélection des meilleurs selon le principe de la seule récompense du talent et des efforts de chacun.
Et c'est un peu sur ce modèle de l'élitisme républicain qu'on aborde la question de l'égalité des chances scolaires en France ; c'est de cette façon-là que tous les candidats à l'élection présidentielle en ont parlé d'ailleurs, en évoquant le modèle de politique de recrutement des élèves de Sciences Po en banlieue et c'est ce qu'a dit encore récemment le Président de la République dans un discours à Polytechnique : sélectionner les meilleurs et faire en sorte que, parmi ces meilleurs, il y ait une représentation des jeunes de toutes origines. Je crois que ce modèle-là pouvait fonctionner et fonctionnait dans un état antérieur du système éducatif où une grande partie des élèves n'avait de toute façon pas accès à l'enseignement secondaire. Je crois qu'il ne fonctionne plus du tout dans une école de masse qui doit gérer des talents et des aspirations de plus en plus divers. Et dans cette école de masse, l'obsession du classement scolaire, qui est un peu une particularité française, est à la base de ce système de l'élitisme républicain et conduit à une vision dichotomique de la réussite qui sépare les vaincus et les vainqueurs de la sélection scolaire et aboutit finalement à un système qui élimine plutôt que de chercher à promouvoir le plus grand nombre. On sait bien que c'est ce qui se passe à la fin de la troisième au moment de l'orientation vers les filières générale et professionnelle, c'est ce qui se passe à la fin de la seconde pour la sélection vers la voie royale de la filière S, et c'est ce qui se passe après le baccalauréat, entre ceux qui sont retenus dans les filières sélectives et les autres. Et tout ceci finalement aboutit à un taux d'échec très élevé, puisque 20 % des jeunes Français sortent du système éducatif sans diplôme. On constate également dans les enquêtes internationales sur les acquis scolaires - les fameuses enquêtes PISA - que les élèves français sont dans une position très médiocre et ont un niveau d'acquis scolaire assez faible, malgré l'une des plus longues durées de scolarité au monde ; et ces études montrent que la qualité de l'offre éducative est certainement un facteur important de cette faible réussite. Pourquoi ? Parce que ce système extrêmement élitiste génère beaucoup de découragement et atteint l'estime de soi, facteur absolument essentiel de la réussite. Dans une étude très intéressante du ministère de l'éducation nationale, une cohorte de jeunes qui entrent en sixième a été suivie ; elle montre que le découragement et le doute quant à leur valeur personnelle s'amplifient au fur et à mesure de l'avancement dans leur scolarité.
Les difficultés de ce système méritocratique à la française sont très bien illustrées par la façon dont fonctionne le système d'orientation à la fin de la classe de troisième. Quand on rencontre les jeunes qui sont passés au travers de ce système d'orientation, ils sont très critiques et on voit bien qu'il fonctionne de manière très autoritaire et arbitraire et qu'il équivaut beaucoup plus à une mise à l'écart, à une sélection par l'échec plutôt qu'à une véritable orientation. Beaucoup de jeunes le ressentent ainsi. Ce système est basé sur une fiction - je ne sais s'il s'agit de « l'élève au centre » - la fiction d'un élève autonome et responsable qui est capable d'effectuer des choix correspondant à des projets raisonnés. Je ne dirai pas que cet élève n'existe pas, mais beaucoup de jeunes n'ont pas cette capacité de construire des choix en toute connaissance de cause, il ne faut donc pas attendre que l'autonomie se manifeste, il faut la susciter et l'aider à se manifester. De toute évidence, la plupart des élèves qui sont orientés vers les filières professionnelles à la fin de la troisième ne correspondent pas à cette image idéale de l'élève autonome et ils sont trop souvent laissés à eux-mêmes. Ces mauvaises orientations et ces échecs entament profondément l'estime de soi et la confiance que les jeunes peuvent avoir dans une société qui les déclare incapables d'exercer un métier qualifié.
Le paradoxe est que ce système méritocratique à la française, qui est très élitiste, est fondé en réalité sur une conception très exigeante de l'égalité. Chacun est censé avoir les mêmes chances. Mais ces principes égalitaires sont trop formels et finalement, ils finissent par produire le résultat inverse de leurs intentions et cela ressortait très bien du rapport Thélot sur l'école.
Vous vous rappelez la grande consultation sur l'école qu'avait faite Claude Thélot, qui malheureusement a été un peu oubliée, mais montrait une chose très importante : la véritable égalité suppose une inégalité de traitement par exemple des parcours différenciés et modulaires. On constate en fait que la culture scolaire française est très réticente à cette idée. L'égalité est postulée mais du coup on ne porte pas assez d'attention aux difficultés de ceux qui réussissent le moins bien ou alors, si on ne réussit pas, c'est que l'on a des problèmes psychologiques. C'est d'ailleurs de cette manière que les conseillers d'orientation définissent leur métier, comme un travail d'assistance psychologique. Un certain nombre d'entre eux refusent d'exercer une tâche de conseiller d'orientation professionnel qui devrait pourtant être à la base de leur mission.
Il y a un autre paradoxe : les jeunes Français semblent adhérer à ce modèle éducatif qui est paré des vertus de l'égalité formelle bien qu'il échoue en grande partie à produire de l'égalité réelle et même de façon plus modeste, à gérer de façon équitable les aspirations. En tout cas c'est ce qu'ils semblent exprimer depuis une vingtaine d'années puisqu'ils refusent systématiquement les réformes de ce système éducatif et montrent une préférence pour le statu quo. Je crois que ce résultat est moins irrationnel qu'il n'y paraît. Au fond, nous sommes dans un système très opaque de filières et d'orientations qui est aussi celui de la débrouille individuelle, de l'activation de réseaux sociaux et d'informations, de stratégies de placement (trouver la bonne filière, le bon établissement, éviter le lycée « pourri », etc.). Une partie des jeunes, sans doute les mieux informés - de toute façon, on n'entend pas beaucoup les autres - arbitrent en faveur de ces stratégies individuelles plutôt qu'en faveur d'un changement collectif qui est risqué et dont les gains sont incertains. En effet, jusqu'à présent, les politiques ont été incapables d'expliquer de façon convaincante et transparente l'avantage collectif qu'il pourrait y avoir à une réforme du système. Et je pense que la dernière réforme avortée du système éducatif de Xavier Darcos entre tout à fait dans ce schéma d'explication. Parce que les politiques ont peur des jeunes généralement, ils engagent les réformes à la sauvette, subrepticement, souvent sans afficher l'ensemble de leurs intentions et du coup, cela crée de la défiance et de l'échec. Il me semble que c'est ce qui s'est passé avec cette dernière réforme, parce que ce n'était pas seulement une réforme de la classe de seconde, mais une réforme beaucoup plus ambitieuse du second degré, une bonne réforme. Mais en tout cas elle a été mal comprise, mal expliquée avec ce problème de relations entre les jeunes et le système politique.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci. Je vais passer la parole à Monsieur le Rapporteur pour des questions et on prend les inscriptions.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Tout d'abord, je partage tout à fait votre avis concernant les organisations représentatives de la jeunesse. Nous-mêmes, dans cette mission, avons du mal à les rencontrer, mis à part celles des étudiants, qui sont extrêmement bien structurées.
J'ai bien compris votre démonstration concernant la méritocratie, aujourd'hui, nous avons les meilleurs. Faut-il supprimer ce principe et ne plus se baser sur les meilleurs, ou faut-il conserver ce côté méritocratie et modifier la structure pour ceux qui sont laissés-pour-compte ? A votre avis, comment faut-il faire pour développer un système éducatif qui soit de meilleure qualité ? Comment voyez-vous les choses ?
Ma deuxième question concerne les politiques menées en faveur des jeunes et les structures qui s'occupent de ces jeunes. Est-ce qu'à votre avis le fait qu'elles soient nombreuses, complexes, difficilement visibles, est un des éléments qui fait que l'orientation en matière d'emploi, en matière de formation est freinée ? Faut-il rationaliser ou laisser ces structures fonctionner de la manière dont elles fonctionnent aujourd'hui ?
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Merci beaucoup. Je ne crois pas qu'il faille supprimer les filières d'excellence ! Ce serait catastrophique, ce n'est pas du tout mon propos. Je crois qu'il faut révolutionner les mentalités plutôt que d'effectuer des changements institutionnels, c'est-à-dire sortir de l'obsession du classement scolaire, porter attention à la réussite de tous, avoir peut-être une conception moins exigeante de l'égalité mais considérer que chacun peut réussir à son niveau.
C'est ce que l'on trouve chez le champion des enquêtes PISA, l'école finlandaise. Bien évidemment, il ne s'agit pas de transposer un système d'un pays à l'autre, surtout deux pays aussi différents, mais on trouve malgré tout quelques principes intéressants dans cette école nordique. Je viens de lire un article des Cahiers Pédagogiques qui fait le point sur l'école finlandaise et qui relate l'expérience d'élèves qui ont été scolarisés dans les deux systèmes ; la distinction entre les deux est claire... Quelques points intéressants : dans l'enseignement fondamental qui va de 7 à 16 ans, pas de sélection, pas de redoublement, ça n'existe pas. Entre élèves, une culture de coopération plutôt que de compétition. Les élèves qui ont expérimenté les deux systèmes se disent atterrés que, dans l'école française, on n'arrête pas de se comparer aux autres ; on est dans un esprit de compétition permanente. Un professeur qui n'est pas omnipotent : en France, c'est le professeur qui délivre son savoir et on écrit, on note, on avale, on apprend par coeur. Là, un système de cours basé sur des échanges entre professeurs et élèves. Et on observe dans beaucoup d'enquêtes sur les élèves, collégiens et lycéens - celles qu'a faites François Dubet ou d'autres - que les élèves français se plaignent de ne pas être assez écoutés, assez aidés, ils se plaignent de méthodes d'enseignement un peu désuètes, de contenu d'enseignements qui ne sont pas assez en prise avec la société actuelle. Il me semble qu'il y a beaucoup de choses à faire, mais qui ne relèvent pas de réformes institutionnelles.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Permettez-moi de vous interrompre à ce moment de votre intervention. J'aimerais savoir si vous avez fait un comparatif entre le nombre d'enseignants et le nombre d'élèves dans un système qui marche et le nôtre ?
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Un petit peu, oui, parce que je sais que l'argument de beaucoup de syndicats d'enseignants est de dire que l'école française manque de moyens. Dans le supérieur, oui, c'est certain. Dans le secondaire, non, d'après les chiffres à ma disposition. Les dépenses par élève en France sont à un niveau tout à fait honorable et au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. Le nombre moyen d'élèves par classe est aussi à un niveau correct. Bien sûr, on peut faire des progrès, et moins il y a d'élèves par classe, mieux c'est. Mais enfin je ne crois pas que les différences de performance des systèmes éducatifs viennent principalement de cette question des moyens, dans le secondaire.
Il me semble qu'il y a quand même des réformes institutionnelles à faire dans la conception de l'orientation dans le secondaire. Tout le monde les connaît, il y a eu beaucoup de rapports de l'éducation nationale sur cette question qui sont très précis et excellents. Je dirai qu'on ne peut pas concevoir aujourd'hui l'orientation des élèves comme un processus autoritaire, ce n'est pas possible. Cela ne veut pas dire qu'il faut faire de la démagogie et du jeunisme à tout va, mais on ne peut pas imposer à des jeunes une orientation, comme cela se passe très souvent. Combien de jeunes ai-je rencontré qui me disent : « Moi, on m'a dit que je devais être charcutier, boulanger », sans leur demander leur avis. Cela suppose que l'orientation soit probablement moins précoce qu'elle ne l'est aujourd'hui. Beaucoup de jeunes nous disent : « Comment choisir un métier à 15 ans ? »
Autres pistes de réflexion : on a créé une seconde de détermination pour les filières générales, ce qui signifie qu'on laisse aux élèves le temps de faire leur choix, de réfléchir ; mais dans les filières professionnelles, il n'y a pas de seconde de détermination, il faut choisir tout de suite. Il faudrait donc laisser plus de temps aux élèves. Il faudrait probablement des spécialités moins étroites - il y a pléthore de spécialités de CAP et de BEP - créer des familles de métiers plus larges. Cela suppose aussi de favoriser la mobilité géographique des élèves pour créer les conditions optima de choix - on ne trouve pas forcément une palette de choix très importante dans sa ville de résidence ni même dans sa région - en conséquence développer les internats.
A propos des structures d'information et d'orientation, je suis persuadé qu'il y a un enjeu majeur pour les politiques publiques en faveur de la jeunesse. Je quitte l'école à présent, pour parler des jeunes. De nos jours, la jeunesse est une période de transition très longue, ce n'est plus une période d'ajustements automatiques et très brève entre une qualification et un emploi ; il y a des tâtonnements, des expériences, qui prennent du temps et la jeunesse au fond c'est cette phase d'ajustements entre des aspirations et un statut. Rien de plus normal que cela se fasse par tâtonnements, par expériences et il faut abandonner l'idée que c'est pathologique. D'ailleurs dans les pays où ça se passe très bien, comme le Danemark par exemple, c'est la conception qu'ont les jeunes de leur entrée dans la vie adulte : on fait des expériences. Mais évidemment, il y a des risques, des échecs, on se fourvoie. Elles doivent donc être accompagnées par des politiques publiques, notamment en matière d'information. Je crois que c'est un enjeu absolument essentiel, il faut une politique d'information en faveur des jeunes qui soit rénovée et dotée de moyens. On a trop de structures hétéroclites, il faudrait un effort de rationalisation. Je crois aussi qu'il faut considérer que l'information et l'orientation ne concernent pas que les jeunes en difficulté, elle concerne tous les jeunes. Il faut en faire une politique générale pour tous les jeunes afin de ne pas stigmatiser les jeunes en difficulté - on est le jeune qui va à la mission locale, le jeune étiqueté, etc. - Je pense qu'il faut que ce soit également une politique qui prenne en compte tous les aspects interdépendants de la vie des jeunes, c'est-à-dire non seulement l'information et l'emploi mais aussi le logement, la santé, les voyages, les loisirs, l'accès à la culture et à la citoyenneté. Tous ces domaines sont interdépendants, parce que la réussite dans un domaine peut être un facteur de réussite dans un autre. Je crois que c'est un enjeu central car aujourd'hui, on a de grandes inégalités entre les jeunes sur ce plan de l'accès à l'information. Notre système est très opaque et certains ont des réseaux sociaux, familiaux, qui leur permettent d'être bien informés et bien orientés, d'autres ne les ont pas, d'où de fortes inégalités.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Une dernière question concernant les métiers manuels. On sait qu'il y a des offres d'emploi, des métiers en tension ; d'un autre côté, il y a des jeunes qui ne sont pas formés. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous, grâce au comparatif que vous avez fait avec d'autres pays, des solutions, des suggestions à faire à ce sujet ?
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Il est vrai qu'il y a un réel problème. On sait que certains métiers sont aujourd'hui délaissés ou même rejetés par les jeunes. Je participe à une évaluation pour VEOLIA, qui a mis en place un programme dans le 93 pour favoriser l'emploi dans les métiers de l'eau, du transport, de la propreté, de personnes éloignées du monde du travail. Ils ont du mal à atteindre leurs objectifs de recrutement, bien que relativement modestes. Peut-être y a-t-il de la méconnaissance, un manque d'information, des images de métiers faussées ? Je n'ai malheureusement pas de solution miracle à ce problème.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - J'ai beaucoup apprécié que vous ayez mis en évidence ce manque d'égalité dans l'accès à l'information pour les jeunes. Pour avoir vécu en Finlande dans des structures privilégiées de recherche, je peux affirmer que c'est un des points forts du système à la finlandaise. Je pense que le système, tel que nous le connaissons, qui fait une sélection et laisse donc de côté des gens parce qu'on les classe en disant : « Ils ne sont pas bons et ne peuvent pas faire ce qu'il y a de mieux à faire », la méritocratie doit être repensée et je vous rejoins tout à fait. En termes de réponse à ce point névralgique des jeunes, la formule que j'avais constatée sur le terrain était de dire à chaque jeune : « Chacune et chacun a une spécialité potentielle en lui et, nous, Finlandais, nous attachons à rechercher cette spécialité potentielle et toutes les spécialisations se valent ». Je livre ça tout simplement parce que comme sur ce point-là on peut gourmander vos questions, je me permettais de savoir si vous faisiez le même relevé de terrain un peu plus poussé. Car une fois que l'on a fait le diagnostic, quel traitement ? Vous avez pointé chez nous la problématique de la fin de la troisième ; on sait qu'il y a des souffrances, la voie royale d'un côté et la voie considérée comme moins royale de l'autre pour être pudique et qui fait une abomination dans le choix par défaut et le choix obligé. Ce sera ma question ponctuelle après la question générale, que nous proposez-vous de faire à une évolution rapide pour sortir du choix tel qu'il se produit aujourd'hui en fin de troisième ? Si notre commission, sur ce point, pouvait déjà bénéficier des éléments de réponse que vous avez mûris, je vous en serais très reconnaissant.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - C'est un vaste sujet. Je crains malheureusement de ne pas être capable d'apporter toutes les réponses et je crois qu'il y a beaucoup de structures qui réfléchissent à cette question de l'orientation. Je crois d'ailleurs qu'il y a une commission qui réfléchit sur l'orientation, il y a la Commission Hirsch qui s'est saisie également de ce sujet, les esprits s'agitent beaucoup sur cette question. Je pense qu'il faut tout d'abord une réforme de la culture professionnelle des conseillers d'orientation, c'est-à-dire sortir de cette définition purement psychologique du métier de l'orientation. Les conseillers d'orientation doivent être au fait des évolutions les plus pointues des systèmes de formation et des métiers, notamment au niveau régional ; il y a là une question de culture professionnelle. Je crois également à cette idée que je développe dans mon livre, de créer une seconde de détermination professionnelle qui permettrait aux jeunes qui sont orientés vers les filières professionnelles de prendre le temps de faire leur choix et de ne pas se voir imposer ces choix directement et définitivement à la fin de la troisième. Il faut intégrer dans le processus d'orientation cette idée de tâtonnements et d'expérimentations. Il faut pouvoir essayer et avoir le droit de changer, reconnaître ce droit de tester et de ne pas être dans des tubes où soit on échoue, soit on réussit.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Je voulais vous interroger et faire des remarques sur trois éléments. Vous avez parlé des enseignants et je précise aussi que les enseignants jouent un rôle dans l'orientation des élèves, en particulier les professeurs principaux. Vous avez parlé de la diversification du recrutement des conseillers d'orientation qui sont aujourd'hui conseillers d'orientation psychologues et c'est vrai que le « p » qui conviendrait le mieux ce serait quand même « professionnel ». Ne pensez-vous pas ou avez-vous quelque chose à nous dire sur la question de la formation des enseignants, car aujourd'hui se pose la question du recrutement. J'ai fait par le passé de la formation de jeunes enseignants qui n'avaient pas encore commencé à travailler, justement sur ces questions d'éducation à l'orientation. Ils étaient obsédés par leur discipline, à aucun moment ils ne parlaient « enfant », « jeune » ; ils parlaient « élève ». N'y a-t-il pas là aussi des choses à creuser ? Certes, les conseillers d'orientation ont leur responsabilité mais je crois que dans la préparation des enseignants, il y a, me semble-t-il, de vraies interrogations et peut-être des propositions à faire.
Deuxième élément, je voudrais évoquer l'actualité. Viennent de sortir les bilans des évaluations des élèves de CM2 en maths et français. On observe une très claire corrélation entre résultats scolaires et lieu de vie. Que fait-on par rapport à ce constat ? Que fait-on de la relation entre égalité des chances et - je reprends votre terme - inégalité de traitement ? N'y a-t-il pas là des choses à faire ?
Troisième élément, l'orientation. Ce que vous avez dit sur la seconde de détermination professionnelle me paraît tout à fait intéressant, je ne m'étendrai donc pas sur le sujet. Ma question porte sur la coexistence de divers systèmes d'orientation : le système d'orientation de l'éducation nationale, qui ne s'occupe pas d'ailleurs que des jeunes scolarisés puisque les CIO peuvent aussi accueillir des adultes ; les systèmes type mission locale financés de manière tripartite ; les systèmes d'orientation du ministère du travail et de l'emploi - je pense en particulier au service d'orientation professionnelle de l'AFPA sur lequel il y a beaucoup d'interrogations ; et puis tous les dispositifs associatifs qui se sont mis en place. N'y aurait-il pas intérêt à réfléchir à des plates-formes sans doute gérées au niveau régional, où des professionnels de cultures différentes pourraient, certains accompagner les jeunes, d'autres les informer parce qu'on ne peut pas, quand on est un professionnel de l'orientation, tout connaître des organismes de formation des métiers ? De plus, on sait bien qu'au moins 30 % des métiers dans cinq ans ne sont pas connus aujourd'hui. N'y aurait-il pas moyen ou nécessité de travailler à des coordinations et des plates-formes régionales ?
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Je rebondis sur ce dernier point, cela me semble une excellente idée. Chacun travaille effectivement de son côté. On aurait pu rajouter l'ONISEP à votre liste. Il y a aussi les CRIJ qui d'ailleurs font un très beau travail ; ils ont une philosophie très intéressante qui prend en compte tous les aspects de la vie des jeunes, et je trouve ce réseau excellent. Une meilleure coordination, sans doute au niveau régional, éviterait cet éclatement des structures si préjudiciable à la visibilité et à l'efficacité du système. Mais c'est toujours le même problème en France, on ne supprime jamais une structure, on rajoute une couche, on éparpille, on empile. Je suis tout à fait d'accord avec vous et si vous faites des propositions dans ce sens-là, ce sera une très bonne chose.
A propos de la formation des enseignants - ce n'est pas un domaine que je connais bien et je m'en excuse - mais vous avez certainement raison et je pense notamment que la formation pédagogique des enseignants est à revoir. D'après les études de comparaison internationales, la France attache beaucoup d'importance au contenu des enseignements mais pas assez à la façon dont ce contenu est reçu et assimilé par les élèves. Il faut vraiment réfléchir sur la façon dont on enseigne et probablement mieux l'intégrer dans la formation des enseignants ; il faudrait dans cette formation une formation pédagogique, didactique, des stages pratiques, etc. Evidemment, je sais que les réformes en cours sont précisément critiquées sur ce point-là et si effectivement dans ces réformes cela n'est pas prévu, c'est une aberration.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Je voudrais revenir sur un sujet que vous avez évoqué rapidement qui est celui du rôle de la famille. Vous avez dit et c'est vrai que la famille était toujours une valeur sûre et je dirais même qu'en période de crise, c'est une valeur refuge. Cependant elle est facilement absente voire impuissante. Parce que parfois elle n'a pas la culture pour accompagner les enfants, et quand je dis « enfants », je parle surtout des adolescents, et que cette culture adolescente est très prégnante dans la vie des jeunes. Ils ont des bandes de copains, ils sont beaucoup plus longtemps à l'extérieur de chez eux qu'à l'intérieur, donc il y a une influence énorme de l'environnement extérieur. La famille n'a donc malheureusement plus ce rôle essentiel qu'elle devrait pouvoir jouer, qu'elle a joué voici quelques décennies.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je n'ai pas abordé ce point dans mon exposé parce que je n'ai pas eu le temps mais dans mon petit livre, je fais tout un développement là-dessus. Effectivement, ce que l'on appelle dans notre jargon de sociologues « le groupe des pairs » c'est-à-dire le groupe des jeunes et des amis, prend de plus en plus d'importance dans la vie des jeunes et vient concurrencer d'une certaine manière la socialisation familiale. Cela n'a pas beaucoup d'importance lorsque ça se passe bien mais cela ne se passe pas toujours bien dans tous les milieux. Le groupe des jeunes est extrêmement prégnant surtout dans des quartiers sensibles ; nous avions fait d'ailleurs avec mes collègues une enquête à Aulnay-sous-Bois après les événements de novembre 2005 et nous avions rencontré les jeunes, leurs familles et des éducateurs et ces derniers nous décrivaient ce qu'ils appelaient des jeunes à double face : anges le jour et démons la nuit. C'est pour cette raison qu'on fait une erreur en incriminant les familles, en disant que les familles ont renoncé à remplir leur rôle éducatif. Je ne dis pas que ça ne peut pas arriver mais il nous a semblé que ce n'était pas le fond du problème. Souvent, ces parents sont simplement impuissants parce que les jeunes ont leur vie de jeune ; lorsqu'ils sont dans leur cadre familial, ça peut bien se passer et quand ils sont avec leurs pairs dans la rue, il y a une force d'entraînement du groupe des pairs extraordinaire. D'ailleurs, ils avaient inventé un terme pour traduire cette situation, ils disaient « engrainer » se faire entraîner par la force. De ce point de vue-là, vous avez raison.
En outre, il y a un autre point à relever sur la famille française : elle est dans un système un peu intermédiaire entre le système nordique et le système méditerranéen. Dans le système nordique, les jeunes sont autonomes très tôt, ils le sont parce que c'est dans leur culture mais aussi parce qu'il y a des aides publiques très importantes. Par exemple, au Danemark, tout jeune à partir de 18 ans qui fait des études a droit à une bourse, quels que soient les revenus de ses parents, parce qu'on considère qu'à 18 ans, un jeune est autonome et qu'il ne dépend plus de sa famille. A l'extrême opposé, on a le système italien où les jeunes peuvent rester jusqu'à 30 ans ou plus chez leur mamma, où c'est la famille qui véritablement gère la vie des jeunes et les aide, ce qui n'empêche pas qu'ils aient leur vie de jeunes. Le système français est un peu intermédiaire : les jeunes quittent leurs parents plus tard que dans le système nordique, mais beaucoup moins tard qu'en Italie, mais bien souvent ils ne sont qu'à moitié indépendants et continuent à être aidés matériellement par leurs parents pendant plusieurs années, soit parce qu'une partie du logement est payée, soit parce qu'ils sont aidés de diverses façons. Il s'agit donc d'un détachement progressif de la famille. Ce système est assez souple et fonctionne assez bien sauf pour ceux qui soit n'ont pas de parents, soit se sont brouillés avec les leurs ; ils ont alors des difficultés économiques et on sait bien que c'est la voie d'entrée vers des formes d'exclusion très graves et parfois vers des formes d'errance ou de vie dans la rue. Lorsque coexistent la précarité économique et une absence de soutien familial, les choses se compliquent.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de Seine-Saint-Denis - Vous nous avez dit que l'écart était de plus en plus marqué entre les jeunes non diplômés et diplômés. Il semble que cette affirmation soit admise par tout le monde. Cela signifie que l'on doit s'attaquer aux non diplômés. Et à partir de ce moment-là, vous nous avez dit que les jeunes doivent prendre le temps de faire leur choix ; je suis entièrement d'accord avec cela. A ceci près, qu'il faut alors établir la liste des obstacles qui font que ces jeunes n'ont pas tous le temps de prendre leur temps et quelquefois n'en ont pas les moyens.
Mes questions sont les suivantes : pour faire son choix, il faut avoir une expérience. Est-ce que l'on doit intervenir dans le monde de l'entreprise pour par exemple exiger qu'une entreprise, à partir d'un certain nombre de personnes, propose obligatoirement des stages aux jeunes ?
Deuxième point : vous nous dites qu'on a mis des strates différentes, des expériences différentes et que l'on rajoute toujours quelque chose. Est-ce que l'on doit demander au gouvernement de faire une évaluation sur ce qui réussit le mieux et qui ferait que l'on pourrait plutôt généraliser ces points forts - est-ce l'école de la deuxième chance, est-ce l'éducation en milieu fermé - pour tel ou tel type de jeune, bien évidemment ?
Troisième question : doit-on exiger qu'il y ait de véritables passerelles dans le monde éducatif pour que ces jeunes ne soient pas toujours en situation d'échec ?
Point suivant : avoir le temps, c'est avoir l'autonomie financière et économique. Je connais dans la banlieue du 93 - vous nous parliez tout à l'heure d'Aulnay-sous-Bois - vous êtes allés à Aulnay nord, pas à Aulnay sud, parce que là, ça va beaucoup mieux ; mais à Aulnay nord, entre les familles monoparentales et celles qui sont au chômage, les jeunes n'ont pas le temps parce qu'ils n'ont pas d'autonomie financière. Est-ce qu'on doit, dans notre commission réfléchir à une autonomie financière des jeunes ?
Point suivant : quelle est la relation ténue qu'il doit y avoir entre l'économie et l'éducation nationale ? C'est une chose très importante. Excusez-moi d'avoir autant de questions... Comment voyez-vous cela ? Je vais vous donner une anecdote toute simple : en tant que maire, je cherchais une psychologue. Je fais paraître une annonce : trois cent soixante candidats pour un temps non-complet ; manifestement il y a un problème d'adéquation de la formation avec l'économie. Je sais bien que l'on ne peut pas calquer une formation pour que les gens aient un métier, c'est absurde, parce qu'on sait les uns et les autres par nos expériences qu'on change de métier donc qu'il vaut mieux une excellente formation générale pour pouvoir changer de métier au cours de sa vie. Mais quand même, il y a des filières où la situation est compliquée. Donc, est-ce que l'on doit faire aussi des évaluations, est-ce que l'éducation nationale doit faire des évaluations et mettre en garde les jeunes sur les débouchés plus ou moins favorables dans le domaine choisi ?
Je voulais vous dire aussi que les méthodes que vous avez évoquées dans les pays nordiques ont été expérimentées chez nous. Après 1968, on ne notait plus les élèves, on faisait des groupes, groupe A, B, etc.
Un intervenant - Oui, mais la mentalité n'avait pas changé.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de Seine-Saint-Denis - C'est cela. La forme avait changé, mais comment faire changer le fond ?
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Ah voilà, vaste question ! Merci, mais je crains de ne pouvoir répondre à toutes ces questions. Je vais essayer de répondre à quelques-unes.
D'abord sur le temps, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous parce qu'en fait, ces élèves qui échouent, perdent énormément de temps : on les met dans une voie, ils ratent ; ils prennent une autre voie, ils ratent à nouveau. Ce n'est pas une question de temps mais d'organisation, une meilleure organisation et adéquation entre leurs aspirations et la voie qu'ils vont emprunter. Je ne crois pas que le temps soit la question centrale.
Maintenant, faut-il faire des stages obligatoires pour les jeunes en entreprise ? J'avoue ne pas savoir. Je ne crois pas à l'obligatoire de façon générale, je crois plutôt à des méthodes incitatives. Dans la Commission Hirsch à laquelle je participe, il y a un groupe citoyenneté où l'on a discuté à un moment de l'opportunité d'établir des quotas de jeunes, dans les partis politiques par exemple. Débats difficiles. Je n'ai pas de religion toute faite sur la question.
Deux points très importants. En ce qui concerne l'autonomie des jeunes, je crois qu'il y a effectivement un vrai problème. Les jeunes aujourd'hui en France sont mal protégés des aléas économiques puisqu'ils occupent très souvent des emplois précaires et de courte durée et que, lors de l'instauration du RMI, on a décidé que celui-ci ne serait pas donné aux personnes de moins de 25 ans ; d'autre part, les conditions d'accès aux systèmes d'indemnisation du chômage se sont durcies et restreintes depuis dix ou quinze ans, ce qui fait qu'une grande partie des jeunes qui ne bénéficient pas du soutien de leur famille vivent dans des conditions très précaires. L'UNEF réclame une allocation d'autonomie - je ne sais pas s'ils la réclament pour les étudiants ou pour l'ensemble des jeunes - c'est une idée qui court depuis longtemps, depuis le rapport Foucault. J'avoue ne pas avoir d'opinion toute faite, c'est un débat très compliqué. Il faut se rappeler pourquoi on avait refusé l'idée du RMI pour les jeunes ; à l'époque c'était Marie-Thérèse Join-Lambert qui avait fait un rapport pour Lionel Jospin sur cette question et qui avait dit que ce n'était pas une bonne idée parce que commencer sa vie d'adulte en entrant dans un statut d'assisté, ce n'est pas une perspective réjouissante. Mais le débat est ouvert. En tout cas, la question de l'indemnisation du chômage pour les jeunes en situation précaire devrait faire l'objet d'un débat - d'ailleurs c'est un débat qui avait commencé à être ouvert dans la négociation entre les partenaires sociaux sur la réforme de l'indemnisation du chômage. Je sais que la CFDT était favorable à une meilleure indemnisation des jeunes mais elle était la seule si je me souviens bien ; je ne sais pas où en est la négociation sur ce point. Il y a une vraie question sur la protection économique des jeunes dans cette phase de transition.
En ce qui concerne vos trois cent soixante Psychologues, je crois que c'est un point très important. Il faut que les jeunes et notamment les étudiants aient une information crédible et fiable sur les débouchés des filières dans lesquelles ils souhaitent s'engager et leurs chances de réussite selon leur parcours antérieur. On en est encore loin ; des progrès sont faits. Il s'agit d'un enjeu important.
Mlle Sophie JOISSAINS, sénatrice des Bouches-du-Rhône - En fait, je voulais juste émettre une réflexion sur la notion de guide et de guidance parce que j'ai l'impression que depuis 1968, si la famille a beaucoup gagné au niveau du dialogue, de la protection de l'enfant en son sein, elle y a beaucoup perdu aussi sur ce qu'on pourrait appeler « l'a potestas », c'est-à-dire qu'auparavant l'enfant se structurait par rapport à un modèle, modèle qui allait lui permettre ou de s'opposer ou de répéter un schéma familial mais en tout cas de s'appuyer sur quelque chose. Et aujourd'hui, j'ai le sentiment, tant au niveau de la famille parce que je pense que la crise est quand même tant au niveau familial que social et de l'éducation nationale, je ne pense pas que l'on puisse véritablement distinguer tous ces aspects. Je crois que c'est illusoire. Ce sont des instruments quand on les distingue mais ce ne sont pas des choses établies. C'est une machine qui marche avec ces trois éléments. Auparavant, nous avions tout de même dans le système d'apprentissage, le système du compagnonnage qui permettait aux enfants qui n'étaient pas diplômés justement, d'acquérir un métier mais en s'identifiant à quelqu'un, en ayant donc un support, c'est-à-dire qu'il sortait du schéma familial pas pour tomber directement dans la vie active, mais justement en étant guidé par quelqu'un et c'est justement une notion que l'on aurait intérêt à intégrer dans les schémas que l'on va mettre en place.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Juste une petite réflexion. Effectivement, certains psychiatres de l'adolescence comme Philippe Jamet, que vous pourriez d'ailleurs entendre, vont un peu dans votre sens. Ils regrettent qu'aujourd'hui les parents ne jouent plus leur rôle de parents. Pour ce qui est de l'apprentissage, oui, mais il n'a pas disparu, il existe toujours et même il se développe. Peut-être pourrait-on espérer un développement plus important.
Mme Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines -Je voudrais revenir à la réponse que vous avez faite sur l'obligation d'accueillir des stagiaires dans les entreprises. Aujourd'hui, dans beaucoup de cursus, il y a obligation d'effectuer un temps de stage, ça va du petit stage d'une semaine en troisième à des stages beaucoup plus longs. Or, c'est un constat, les entreprises françaises, les administrations aussi, ne sont absolument pas accueillantes, malgré ces obligations. Et je connais un nombre tout à fait préoccupant de jeunes qui réussissent l'entrée dans une école professionnelle et qui ratent l'année de formation parce qu'ils ne trouvent pas de stage exigé. Il faut sortir d'une demande sociale totalement incohérente. Il y a une espèce de consensus sur l'idée que le passage en entreprise est nécessaire pour le très jeune au cours de la formation, mais on ne fait rien pour rendre cela possible. Et tout passe par le réseau des relations familiales. Si vous avez des parents bien installés, vous trouverez. Sinon, tant pis. De nombreux jeunes qui, aujourd'hui, ratent leur première année de formation pour cette raison-là. Je pense à la suggestion de mon collègue, à laquelle je répondrais favorablement, il faut que, dans les entreprises, il y ait une véritable obligation d'accueil ; peut-être pas dans la toute petite entreprise, ça peut se faire sur la base du volontariat, mais dans les grandes entreprises, c'est indispensable. D'autant que, et vous le savez, les établissements de formation ne font pas un geste pour aider à la recherche des stages. Il y a donc là un problème majeur pour les jeunes.
En second lieu, je voulais revenir sur ce qu'a dit mon éminent collègue, à propos de la notion des passerelles. Je crois qu'il y a quand même aujourd'hui une incohérence, une contradiction - et ça rejoint tout le problème de l'orientation - dans l'idée qu'il faut guider les jeunes vers les métiers pour lesquels ils sont les plus doués, les mieux préparés et en même temps tout le monde reconnaît qu'on ne sait pas quels seront les métiers d'avenir, qu'il est difficile, vous l'avez très bien dit, de se choisir un métier à 15 ans, mais même après 15 ans. Le problème des passerelles entre les différentes formations est donc un problème fondamental qui est très mal accepté en particulier parce que les enseignants sont très attachés à leur spécialité. Et je pense qu'il faudrait qu'il y ait une réflexion sur ce qu'on appelle l'employabilité : pour être employable, il faut notamment avoir une base de formation générale qui permette de glisser d'une formation à une autre mais il faut aussi que les filières acceptent ces passages et on en est très loin aujourd'hui. J'aimerais donc que vous poussiez votre réflexion sur ce problème des passerelles.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Je pense que c'est un point très important et je pense aussi que cela suppose peut-être des spécialités moins pointues dans les filières professionnelles.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je vais prendre la parole suite à l'intervention de Madame Tasca qui nous parle des difficultés de trouver des lieux d'apprentissage. La situation est tellement compliquée qu'un certain nombre de jeunes qui ont intégré un centre d'apprentissage s'en trouvent exclus de fait après le premier trimestre, au mois de décembre, parce qu'ils n'ont pas trouvé de terrain d'apprentissage. Or, le groupe s'est constitué pendant trois mois et eux doivent partir. Ça me renvoie à une partie de vos propos, Monsieur, concernant l'échec scolaire, le découragement, le doute quant à sa valeur personnelle, cette destruction de l'estime de soi de mon point de vue amène non seulement à tout ce qu'on a évoqué ici : la difficulté de trouver un travail, la difficulté de s'intégrer dans la vie, mais aussi à la constitution des bandes où on retrouve ensemble une certaine dignité, et ça me paraît extrêmement grave.
Monsieur, je voudrais vous remercier pour votre intervention, très intéressante en soi et qui a provoqué, vous l'avez vu, des questions aussi très pertinentes.
M. Olivier GALLAND, sociologue, directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (CNRS) et chercheur au groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique (GEMAS) - Merci beaucoup.
Audition de M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), directeur par intérim de l'INJEP, délégué général de l'Agence française du Programme européen Jeunesse, accompagné de M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'Unité de la recherche, des études et de la formation de l'INJEP
( 31 mars 2009 )
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons pour cette deuxième audition de l'après-midi M. Jean Chiris qui est directeur adjoint de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, et par ailleurs directeur par intérim de cet institut. Vous êtes également délégué général de l'Agence française du Programme européen jeunesse, cela va beaucoup nous intéresser. Vous êtes accompagné de M. Jean-Claude Richez qui est responsable de l'Unité de la recherche, des études et de la formation (UREF) du même institut. Merci à l'un et à l'autre. On vous passe la parole tout de suite.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Merci Mme la présidente. Mesdames et Messieurs les sénateurs, avant de laisser la parole à M. Richez qui est le responsable de l'unité recherche, études et formation, je préciserai, vous le savez peut-être, que l'INJEP est actuellement en phase de restructuration dans le cadre de la RGPP, avec de nouvelles missions qui passent d'abord par un renforcement du caractère interministériel et trois axes prioritaires : le premier porte sur l'observation et l'évaluation avec une veille informative, le second sur la valorisation et la diffusion des études et des recherches et le troisième sur la documentation.
Cette démarche va s'appuyer encore plus qu'auparavant sur un travail en réseau avec différents chercheurs et universités, c'est le cas de M. Galland avec lequel nous avons travaillé précédemment. Le plus intéressant est que ce réseau va continuer à se développer de façon encore plus marquée avec les collectivités territoriales qui d'ailleurs seront davantage représentées dans le conseil d'administration de l'INJEP futur format.
L'INJEP a traité de multiples thèmes dont ceux que vous souhaitiez voir évoqués : l'autonomie, la formation/emploi, la transition entre le mode d'éducation et celui du travail, l'inclusion sociale et la santé, je ne vais pas tous ici les citer, mais nous faisons une approche très globale de l'ensemble des problématiques de la jeunesse. Compte tenu du profil des différents personnes que vous avez auditionnées ou prévu d'auditionner, du temps imparti et puis aussi quelque part de l'absence de connaissances très fines de l'ensemble des politiques publiques d'évaluation sur les différents thèmes que nous devions aborder, nous avons pris le parti de traiter certains thèmes à partir de différentes études et travaux qui ont été conduits par l'INJEP. Je vous ai amené un certain nombre de documents que je laisse à votre disposition et qui peuvent vous aider dans votre processus de réflexion.
L'exposé de M. Richez va porter sur cinq points qui nous semblent importants en matière de politique de jeunesse. Le premier point c'est l'importance du pilotage politique, le deuxième point, fondamental, c'est la reconnaissance de la place des jeunes comme acteurs à part entière de ces politiques. Le troisième point est la nécessité d'un continuum au-delà de la tranche d'âge des 18-25 ans mais aussi sur ce qui se passe en amont et en aval, une approche de tranches d'âges ne pouvant être faite sans la situer dans un continuum. Le quatrième point traitera de l'intérêt d'avoir une approche sociale mais aussi éducative, les deux devant être étroitement liées, et enfin un dernier point portera sur les enjeux de la qualité des intervenants dans le domaine de la jeunesse, avec notamment un focus sur tout ce qui est animation dans le domaine de la jeunesse.
Je terminerai en précisant que, vous le savez, M. Martin Hirsch, Haut Commissaire à la jeunesse, a mis en place une réflexion sur l'autonomie des jeunes et nous participons avec les différents experts de l'INJEP aux différentes sous commissions de cette réflexion globale. Voilà donc ce je voulais dire en guise de propos introductif pour expliquer le contexte de l'INJEP.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Quelques mots sur la méthode que nous avons adoptée. L'INJEP intervient essentiellement sur l'évaluation de politiques locales de jeunesse, l'un des axes privilégiés par notre autorité de tutelle. Chaque année nous réalisons deux ou trois diagnostics territoriaux soit un diagnostic de politique jeunesse globale soit de politique éducative. Nous travaillons sur une tranche d'âge beaucoup plus large que celle des 16-25 ans et sur les politiques jeunesse de temps libre, d'animation, d'équipements de proximité au niveau local. Ceci induit un léger décalage par rapport aux questions qui vous intéressent dans le cadre de la mission, mais j'ai essayé de recentrer mon propos sur vos demandes concernant les 16-25 ans.
Je vais donc surtout intervenir sur un certain nombre de travaux, de diagnostics effectués récemment, et en particulier sur les pratiques artistiques des jeunes, sur la citoyenneté, les pratiques de participation et sur l'information et l'orientation des jeunes.
J'ai laissé de côté les questions d'emploi sur lesquelles nous intervenons mais de façon marginale et je pense que parmi vos invités, des personnes beaucoup plus compétentes que nous ont traité la question. A titre d'exemples en matière d'emploi, nous avons régulièrement travaillé avec le conseil national des missions locales et avons participé au groupe de travail « Situation des jeunes travailleurs ». Nous avons également fait l'audit d'une initiative portée par le ministère de la jeunesse et des sports sur l'entreprenariat dont le bilan était relativement négatif, ce n'est peut-être donc pas la peine de s'y attarder.
Sur le cadre général, je ne m'étendrai pas puisque je pense qu'il faudrait replacer dans un cadre plus global mais je pense qu'Olivier Galland et Cécile Van de Velde que vous avez reçus et avec lesquels nous travaillons régulièrement ont traité de ces questions abondamment. Nous participons au comité de rédaction de la revue dont le dernier numéro, piloté par Cécile Van de Velde, traitait de la question si importante des relations entre les âges.
En arrière-fond nous avons cette réalité d'une jeunesse française qui, en matière d'emploi, sert de « variable d'ajustement », formule empruntée à des économistes par Olivier Galland dans l'étude de la Fondation pour l'innovation politique. Cette institution produit des effets désastreux en termes de précarité, de longueur de parcours d'insertion, de chômage. Le deuxième élément qui interfère avec ce que je vais dire est la question du pacte intergénérationnel qui, vous le savez, est très défavorable à la jeunesse en termes d'évolution du pouvoir d'achat, en termes d'accès à l'emploi - on sait que l'écart s'est considérablement creusé entre les plus jeunes et les plus âgés - en termes également d'accès à la représentation syndicale et parlementaire dont l'âge a tendance à augmenter - peut-être ne devrais-je pas évoquer ce sujet ici - je vous renvoie aux travaux de Louis Chauvel qui ont déjà été évoqués je pense dans le cadre de ce groupe de travail.
Ceci renvoie à la question tout à fait fondamentale de la place que notre société sait faire ou ne pas faire à la jeunesse.
Comme mon collègue Jean Chiris vient de le rappeler, voici quatre points, ou plutôt propositions que nous faisons à votre mission. Nous nous basons essentiellement sur des diagnostics de politique territoriale jeunesse, soit au niveau d'un département soit au niveau d'une ville, le plus souvent au niveau d'une ville.
Ce qui apparaît absolument décisif et engendre de sensibles différences est l'existence ou non d'une coordination des politiques sur le terrain. La coordination apparaît d'autant plus efficace qu'elle intègre le plus grand nombre de dispositifs possibles et qu'elle associe non seulement les décideurs politiques mais aussi les opérateurs. Plusieurs éléments sont importants, tout d'abord le pilotage qui permet de limiter les effets assez désastreux de l'empilement des dispositifs, de réintroduire des logiques de sens et de tendre vers un pilotage unique, sans aller jusqu'au guichet unique. Ceci permet ensuite une plus grande cohérence, une plus grande lisibilité de l'action publique et, même si on n'a pas de travaux fins là-dessus, certainement des économies d'échelle et la prévention des doublons.
C'est donc un point très important et chaque fois que l'on fait un diagnostic, on repère immédiatement les effets d'un pilotage concerté, partenarial ou l'absence de pilotage : dispositif extrêmement abouti en Savoie autour des politiques éducatives locales, valable aussi pour les politiques autour de l'emploi, la logique est la même. Ou encore une expérience menée dans le Bas-Rhin autour des projets territoriaux jeunesse où le pilotage est assuré par le conseil général et qui intègre tous les aspects de la politique jeunesse, ce qui génère une véritable dynamique politique au niveau local. A contrario, nous venons de faire une étude sur une ville de la banlieue de Strasbourg que je ne nommerai pas où il n'y a pas de pilotage partenarial. Cette situation entraîne un effet de dispersion de l'action publique tout à fait important.
Le deuxième point c'est la façon dont on positionne les jeunes dans les politiques publiques. Il apparaît très important et beaucoup plus productif de les positionner non seulement comme public cible mais aussi comme acteurs de cette politique. Ils ne sont pas seulement dans une situation où ils reçoivent mais aussi où ils contribuent au développement de ces politiques. Je vais prendre deux ou trois exemples.
Premier exemple tiré d'une étude sur un dispositif d'orientation des jeunes et d'information des jeunes en matière d'orientation, première étude d'ailleurs confirmée par la suite par toute une série de travaux faits sur d'autres départements ou régions. L'une des conclusions est que « certains jeunes, même très jeunes, sont porteurs d'analyse sur le système d'information dans son ensemble, comme on a pu l'observer au cours de cette étude. Dès lors, il sera intéressant de susciter une participation beaucoup plus systématique et légitimer des jeunes à la conception, à la production et à l'organisation de l'offre d'information. Les formes de participation des jeunes existent pour certains aspects de la présentation d'informations, ainsi la démarche de certains points d'information jeunesse ». C'est un point très important. Je vous livre une observation tirée d'une vie antérieure : on pense très souvent l'information et l'orientation des jeunes en termes de production de documents et on estime qu'une fois les documents produits donc l'information délivrée, cela suffit ; alors qu'il faut absolument s'interroger sur les conditions d'appropriation de cette information. On s'aperçoit qu'aujourd'hui les jeunes s'approprient l'information selon des modalités tout à fait différentes des modalités traditionnelles. On note en particulier l'importance d'Internet dans l'information, celle très importante des pairs dans l'orientation et ensuite, et contrairement à une idée reçue, une très forte demande de la part des jeunes d'adultes référents qui leur permettent ensuite de hiérarchiser et de trier, c'est-à-dire une demande d'accompagnement. Mais il y a aussi, c'est ce que met en évidence cette étude, une dimension importante qui est celle de mettre les jeunes en situation de produire eux-mêmes l'information et de participer à la production de cette information.
La deuxième étude qui met en évidence exactement la même logique alors que l'on est sur un terrain totalement différent c'est celui des pratiques artistiques des jeunes et l'initiation aux pratiques artistiques. On s'aperçoit aujourd'hui que pour une part très importante, l'initiation artistique se fait en dehors de tout cadre institué, c'est-à-dire dans le cadre de groupes spontanés, autonomes, mis en place par les jeunes et au travers d'apprentissages avec les pairs. Avec des mécanismes d'apprentissage totalement différents. Ce qui ne veut pas dire encore une fois qu'il n'y a pas nécessité d'interrelations avec des adultes, ils ont besoin d'échanger avec des artistes, auprès desquels ils vont rechercher des compétences plus techniques, artistiques ou esthétiques plus ciblées, mais c'est eux qui font la démarche. Donc on retrouve cette nécessité de positionner le jeune comme acteur d'une politique publique. On retrouve cette dimension dans les dispositifs de participation des jeunes à l'exercice de la citoyenneté.
Certains d'entre vous en tant qu'élus locaux ont l'expérience de conseils d'enfants ou de jeunes ; il faut que ces conseils soient un espace de dialogue avec les élus, les décideurs politiques, mais on s'aperçoit aussi qu'il est extrêmement important que ce soient des espaces d'actions, d'initiatives concernant la vie locale. Et un travail mené sur l'agglomération grenobloise met en évidence l'importance des démarches de participation en dehors de toute institution. C'est dans l'ordre des deux tiers d'actions hors institution, c'est-à-dire à travers des projets et des initiatives les plus divers. On notera dans ces initiatives une part importante de projets culturels. La culture dans notre société joue, en termes de socialisation, d'accès à l'autonomie et de construction de l'autonomie des jeunes une place très importante. Pour revenir aux conseils de jeunes - c'est une étude que nous venons de terminer et que je peux mettre à votre disposition si cela vous intéresse - contrairement à une idée reçue, l'existence d'un conseil d'enfants et de jeunes impacte les politiques de jeunesse. On s'aperçoit qu'elles contribuent, à condition qu'elles soient menées de façon conséquente et cohérente, aux représentations réciproques des jeunes et des politiques ; il y a donc une évolution de ces représentations. Cela a un impact non négligeable sur les orientations politiques et les programmes en matière de jeunesse et génère souvent d'autres relations entre les services et les partenariats associatifs ainsi que sur le développement des compétences des professionnels intervenant dans le champ.
Tous ces éléments renvoient - je pense que d'autres contributeurs ont insisté là-dessus - aux modes d'engagement des jeunes, ce qu'on appelle le nouveau régime d'engagement des jeunes : aujourd'hui les jeunes s'engagent mais sur des modalités assez différentes de ceux qui furent les nôtres - je parle pour les plus anciens. Le taux de bénévolat des jeunes est plus élevé que celui des adultes en particulier dans la tranche d'âge qui vous intéresse avec par exemple un phénomène tout à fait spectaculaire, celui de la Fondation des étudiants pour la ville (FEV), qui arrive à mobiliser chaque année environ 8 000 étudiants pour faire de l'accompagnement éducatif et chaque année ils parviennent à renouveler le nombre d'étudiants engagés. Sur ces modalités d'engagement, ce sont des engagements ponctuels, en général limités dans le temps c'est-à-dire que tel étudiant qui va s'engager pour accompagner des jeunes dans un quartier une année va s'engager l'année suivante sur une cause humanitaire et puis l'année suivante par exemple sur une lutte liée à l'environnement. Donc c'est la façon de se mobiliser qui diffère. Ce qui compte pour ces jeunes qui s'engagent c'est la visibilité immédiate, la perception du résultat. Dans les mobilisations que proposent la FEV par exemple, ils voient l'évolution dans la relation avec l'enfant et sa progression. Il faut qu'ils y trouvent une gratification personnelle notamment en termes d'estime de soi, c'est un élément important, et la dimension très forte d'utilité qui apparaît comme la motivation principale de ces jeunes. On retrouve l'importance d'être acteur et de les positionner comme acteurs, puisqu'on mobilise ainsi cette mécanique d'engagement.
Nous pourrons revenir sur ces régimes d'engagement si vous le souhaitez. Mais il est évident qu'ils ne sont pas identiques selon les groupes sociaux, en particulier pour les jeunes les plus en difficulté. Selon des enquêtes faites à partir des missions locales mais aussi à partir d'un travail autour des pratiques artistiques, la possibilité d'accéder à ce type de mobilisation par l'action, qu'elle soit citoyenne ou à caractère artistique, est beaucoup plus difficile pour les jeunes les plus exclus et nécessite un effort plus important en termes d'accompagnement et d'apprentissage. Le constat est le même avec les programmes européens jeunesse puisque, vous le savez, les jeunes avec le moins d'opportunités en sont les cibles privilégiées. Il faut accompagner ces jeunes pour les mettre en position d'acteurs et être très vigilants. Par ailleurs, les dispositifs de droit commun apparaissent beaucoup plus pertinents que les dispositifs spécifiques. En effet, si l'on explique à un jeune que c'est un programme fait pour lui parce qu'il est en difficulté, il va se sentir enfermé dans une image négative de soi et n'adhérera pas totalement au dispositif. Au contraire si c'est un programme de droit commun, il nécessitera un accompagnement particulier pour le jeune.
Un point qui remet peut-être en cause l'approche de la mission mais que je ne peux m'empêcher de relever puisque vous êtes centrés, à juste titre, sur ce dossier brûlant de la politique en faveur des jeunes. A moins que des outils politiques vigoureux ne soient mis en place, ce sont les jeunes qui risquent de payer les frais de la crise, surtout avec l'aggravation de la situation économique, puisqu'ils sont considérés comme variable d'ajustement. On ne peut donc faire de différence entre les tranches d'âge : d'un côté les 16-25 et d'un autre côté les 11-15. En conséquence, une politique jeunesse doit se penser de façon globale et la question de l'articulation et de la continuité est une question absolument essentielle. On pourrait d'ailleurs donner des exemples sur l'ensemble des cas que j'ai déjà évoqués. En matière d'information jeunesse, l'étude que nous avons menée sur l'orientation met en évidence que les jeunes les plus âgés auprès desquels nous avons développé cette enquête disent tous qu'ils auraient aimé être sensibilisés au dossier information/orientation beaucoup plus tôt, et qu'en général cette sensibilisation s'est faite trop tard. De même en termes d'autonomie, le développement se fait aussi en amont de l'âge de 16 ans.
Un autre dossier, peut-être moins important que celui des 16-25 ans et de l'emploi est celui de l'accueil des préados ou des 11-15 ans notamment dans les activités de loisirs. Je rappelle qu'il y a quand même tout une série de rapports qui se sont répétés depuis l'an 2000, en particulier des deux défenseurs de l'enfant, Mme Claire Brisset et Mme Dominique Versini qui attirent l'attention sur l'importance de ce dossier et quelque part, l'autonomie et le développement du jeune comme sujet autonome se prépare dès cet âge-là. Souvent les institutions ne répondent pas à cette question. Dans les centres de loisirs par exemple, on va souvent mettre la tranche des 11-15 ans dans le même moule que les enfants, sans tenir compte de la nécessité de les reconnaître aussi comme acteurs de leur activité de loisirs. Et il est évident que plus on les prend tôt comme acteurs et qu'on participe à leur construction comme sujet autonome, plus on peut développer par la suite des politiques favorisant l'autonomie des jeunes. Autour de pratiques sportives ou culturelles sur des objets ciblés, la dialectique entre plus grand et plus jeune peut fonctionner de façon très productive. Cela existe nettement dans les groupes artistiques que j'ai évoqués tout à l'heure où souvent les plus grands apparaissent comme ceux qui initient les plus jeunes, également dans les pratiques sportives spontanées où souvent les plus grands jouent ce rôle d'encadrement des plus petits. On a vu des expériences très intéressantes de mobilisation des 20-22 ans pour l'encadrement, des 14-15 ans dans le cadre d'une étude sur l'accueil des 11-15 ans sur onze départements.
Le quatrième point que je voulais évoquer est l'enjeu important de la nature du travail du professionnel de jeunesse. Je pense que c'est un élément extrêmement important, et j'y reviendrai tout à l'heure dans les propositions, puisqu'à travers les différents diagnostics que l'on fait sur le terrain, on s'aperçoit qu'il y a quand même un élément central, celui de la qualification et de la reconnaissance de la qualification des professionnels de jeunesse. Je voudrais insister sur le fait que le professionnel de jeunesse et en particulier l'animateur, celui qui est le plus proche des jeunes, doit être considéré non seulement comme un travailleur social mais encore comme un éducateur. La notion d'animateur/éducateur est un élément extrêmement important.
On s'aperçoit d'ailleurs - c'est une considération un peu marginale par rapport à ma démonstration - que dans le cadre des pratiques artistiques, les jeunes ne veulent surtout pas que leurs pratiques relèvent du social. Ils veulent qu'elles soient reconnues comme culturelles. Cela se traduit en général par le fait que c'est le service jeunesse qui finance les activités artistiques des jeunes mais les jeunes qui ont développé, construit des projets artistiques ou esthétiques disent qu'ils veulent être reconnus par le service de la culture. C'est une chose d'autant plus importante que nous sommes en ce moment en phase de reconfiguration de l'administration de jeunesse et sports, repositionnée dans des pôles de cohésion sociale tant aux niveaux régional que départemental. Il faut que ces politiques ne soient pas réduites seulement au social, qu'on garde la dimension éducative qui existait historiquement à jeunesse et sport. Il faut savoir combiner activités de cohésion sociale, travail social et travail éducatif. On sait d'ailleurs le rôle fondamental de l'éducation non formelle - toute activité éducative développée en dehors du cadre scolaire, en général portée par des associations - à côté de l'éducation formelle. Vous connaissez les fameux rapports PISA qui mettent tous en évidence que la performance d'un système éducatif passe par sa capacité à trouver un juste équilibre et à redonner place à l'éducation non formelle. C'est le fameux exemple finlandais, puisque la Finlande, qui avait de très mauvais résultats il y a une trentaine d'années, a réussi à renverser complètement la vapeur en redéployant et en redonnant place à l'éducation non formelle.
Je termine très rapidement. Voici deux propositions ou plutôt pistes de travail pour votre étude. La première renvoie à ma première remarque sur la cohérence dans la mise en place du pilotage des politiques jeunesse. Il est certain que le problème existe. Même s'il y a de vastes et ambitieux projets de réforme des collectivités territoriales et que le principe « une mission, une collectivité » a été affirmée afin d'éviter les empilements, je ne suis pas sûr qu'on arrive jusqu'au bout. Il serait peut-être intéressant d'explorer plus avant une piste juste esquissée, celle de schémas territoriaux jeunesse pour introduire une plus grande cohérence avec le modèle des schémas qui existe au niveau départemental pour l'enfance c'est-à-dire comité de pilotage/diagnostic/priorités/évaluations avec évidemment détermination du pilote. Deux options existent en matière de jeunesse : la première option est la région : on peut penser que la région occupe naturellement, par ses missions en matière de formation et en matière de développement économique, une place absolument déterminante. Mais on peut aussi bien défendre l'idée du département. C'est un choix politique ; est-ce qu'on pense les politiques jeunesse en termes de politique de développement ou en termes de cohésion sociale et de réparation sociale ? Si on les pense dans ces termes-là, le département apparaît plus logique. C'est un élément important. On notera qu'à l'échelle européenne, puisque j'avais été amené dans le cadre des travaux de l'INJEP à travailler sur une étude sur les systèmes d'administration des politiques jeunesse, les politiques jeunesse sont pour l'essentiel pilotées par les régions. Il y a des pays où il n'y a pratiquement pas de politique jeunesse au niveau de l'État central. En Grande-Bretagne et en Belgique, les politiques jeunesse n'existent plus qu'au niveau régional.
Deuxième proposition, un dossier très complexe, celui de la qualification des professionnels de jeunesse et en particulier de la qualification des professionnels de jeunesse au plus bas de l'échelle, aux niveaux V et IV. Notre ministère de tutelle a fait un gros travail sur les niveaux supérieurs, notamment sur les niveaux II et III et même sur le niveau IV avec la création des brevets professionnels, mais je pense qu'il reste de façon cruciale la question du niveau V qui n'a pas été traitée, et on sait qu'on reste dans une situation provisoire, anarchique, qui favorise la non-reconnaissance du travail des animateurs et pénalise tout le travail qu'ils font dans l'espace social. En particulier les fameuses annexes II et IV de la Convention de l'animation socioculturelle, annexe 2 qui permet de payer les animateurs de façon forfaitaire deux heures, en fait, de les sous-payer ; le deuxième aspect est que, jusqu'à présent, aucun diplôme n'existe. On considère que le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) est un diplôme : c'est comme si je considérais que le permis de conduire me faisait chauffeur routier par exemple ! C'est un titre qui m'habilite à encadrer un groupe de jeunes mais ce n'est pas un véritable diplôme professionnel. Il y avait le brevet d'aptitude professionnelle d'assistant animateur technicien (BAPAAT), mais plus personne ne passe le BAPAAT, il y avait aussi la possibilité d'acquérir une sorte de validation des acquis de l'expérience à travers les certificats de qualification de la vie professionnelle (CQP) mais qui ne sont pratiquement pas utilisés. Ce dossier vous intéresse peut-être plus particulièrement dans la mesure où les travaux que l'on a faits sur les trajectoires des animateurs mettent en évidence que très souvent ce sont des parcours d'insertion, c'est-à-dire que l'entrée dans la profession d'animateur pour des jeunes des quartiers populaires est souvent un parcours d'insertion professionnelle. Dossier extrêmement important quand on sait le rôle joué par ces animateurs, en particulier en période de trouble, de tensions et de rupture où, immédiatement, ils apparaissent en première ligne soit comme agitateurs, soit comme régulateurs - Ce qui souligne le caractère stratégique de ce groupe, souvent laissé de côté et non pris en considération est le fait qu'on se repose sur des agents peu qualifiés et mal reconnus pour mettre en oeuvre des politiques d'action publique. Il est donc difficile de construire des logiques de participation des jeunes comme acteurs, et de pilotage cohérent et conséquent. Voilà quelques remarques, certainement très partielles.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je souhaiterais que vous puissiez nous communiquer ce dont vous avez parlé à propos de l'enquête sur les compléments de politique de la jeunesse au niveau mondial. Vous avez fait si j'ai bien compris une évaluation des politiques au niveau mondial qui serait très intéressante pour nous, parce que ça nous permettrait de faire des comparatifs. Vous avez parlé de la Norvège, etc.
Vous avez également rendu un rapport en février 2009 sur l'autonomie des jeunes. On ne vous a pas questionné sur le sujet mais si vous avez des documents, si vous pouviez nous les faire parvenir, ce serait extrêmement important pour nous.
J'aurais voulu que vous puissiez nous dire comment s'inscrit l'éducation populaire dans les politiques sociales et éducatives qui sont notées par l'État et par les collectivités territoriales, quelles sont les formes de partenariat entre les associations et les collectivités et comment l'INJEP travaille pour renforcer ces liens.
Si vous pouvez nous dire aussi un mot des maisons des jeunes et de la culture. Est-ce que ce sont des structures qui existent toujours, qui ont tendance à disparaître, qui sont efficaces, comment ça marche, est-ce qu'une amélioration des actions...
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Il y a eu samedi un grand rassemblement des maisons de la culture organisé par la ville de Lyon pour le soixantième anniversaire de la première MJC de Lyon, c'est une manifestation qui a rassemblé près de trois cents personnes dans la grande salle de l'hôtel de ville qui était archicomble.
Au niveau national, les MJC et les centres sociaux forment les principaux réseaux en termes d'équipements de proximité ainsi que quelques clubs Léo Lagrange et des maisons de quartier, en général gérées directement par des municipalités ou des associations à caractère local. Ils sont aujourd'hui en grande difficulté liée à la transformation des politiques et des modes d'engagement des jeunes. La transformation des politiques, puisque, de plus en plus, les collectivités locales se sont investies dans les politiques de jeunesse, pèsent dans les finances des MJC de plus en plus fortement et directement avec une tendance à instrumentaliser ces équipements, à ne pas prendre en compte l'autonomie associative. L'association considère qu'elle a, elle aussi, son projet. Donc difficile partenariat si bien que, depuis une dizaine d'années, beaucoup de municipalités font le choix de municipaliser ces équipements de proximité. Je pense que si conjoncturellement, la municipalisation peut apparaître comme une solution, ce n'est pas forcément à moyen terme la bonne solution. Il est très important pour une collectivité de pouvoir bénéficier de ce qu'on appelle la « plus-value associative » qui repose sur deux régimes de légitimité différents. Ce qui fait la légitimité de l'élu, c'est l'élection ; il est renouvelable dans un cadre de mandat municipal tous les six ans, et doit effectivement rendre compte dans un temps assez court auprès de ses mandataires. Par contre, ce qui fait la légitimité de l'association va être sa capacité de mobilisation : si une association ne mobilise plus de public ni d'acteurs, elle n'a plus tellement d'intérêt. Pour une collectivité, la dimension société civile est importante aussi en termes de régulation. Faute de quoi on tombe très vite dans un face à face entre la population et la municipalité. C'est aussi un espace démocratique, un espace de débat. Donc tensions entre les équipements de proximité et les collectivités liées à la difficulté de trouver un rapport équilibré où chacun trouve son intérêt et peut mettre en oeuvre son principe de légitimité. Par exemple, j'interviens comme médiateur sur Grenoble où la ville est dans une relation extrêmement conflictuelle avec les MJC. La ville de Grenoble met énormément d'argent dans ses maisons des jeunes et de la culture et estime qu'elle n'y trouve pas son compte. Dossier délicat mais important. Si les grands réseaux, très fragilisés, étaient amenés à disparaître, ce serait une perte importante en termes de vie sociale, de vie publique.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Je voulais apporter quelques précisions par rapport à ce qui vient d'être dit et également de part mon expérience de directeur départemental jeunesse et sports. A propos des quatre aspects de la municipalisation, il y a aussi l'autre aspect de délégation de service public où la relation est presque basée sur celle de prestataire de services. Le troisième élément porte sur l'aspect convention et le quatrième sur les aides ponctuelles mais qui là ne vont pas pouvoir s'inscrire au niveau associatif d'un projet. Au sujet des aspects convention, ayant aussi été amené à faire de la médiation par rapport à certains conflits qui ont pu avoir lieu entre des municipalités ou des structures associatives, je pense qu'il est important d'avoir une approche contractuelle sur un projet établi en commun et qui s'inscrit dans la durée, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas évaluation au bout de cette durée. L'aspect convention me semble une démarche intéressante, parce que ça permet de situer le milieu associatif comme une force de proposition et aussi comme un acteur par rapport à la médiation et de ne pas faire une assimilation à la politique d'une municipalité.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Une dernière question. J'aurais voulu savoir la vitalité du réseau associatif jeunesse dans les zones difficiles. Est-ce que ce secteur associatif participe à l'insertion ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Oui, le réseau qui est le plus présent dans les quartiers populaires est aujourd'hui le réseau des centres sociaux. Dans une moindre mesure, le réseau des MJC. Avec beaucoup de difficultés puisque, aussi bien les centres sociaux que les MJC ont beaucoup de mal à prendre en compte ce que j'expliquais tout à l'heure, les modes de mobilisation et d'engagement des jeunes. Samedi dernier à Lyon, le débat s'est en partie cristallisé sur la participation des jeunes au conseil d'administration. Les jeunes ne sont pas tellement intéressés par cette participation ou alors ils peuvent comprendre la nécessité de s'inscrire et participer au conseil d'administration si la MJC a su leur faire place comme acteurs dans le champ culturel, acteurs dans le champ de la solidarité, de l'accompagnement éducatif. Ils ont ainsi trouvé leur place dans la structure en termes de positionnement, de programmation, de possibilité de développer des projets. Les réseaux d'éducation, les maisons de quartier ont du mal et fonctionnent aujourd'hui sur l'impératif du projet : un jeune ne peut pas venir dans une structure s'il n'a pas un projet. C'est une catastrophe. C'est un facteur de tensions entre les équipements de proximité et les jeunes. Ceci dit, et sur la base de travaux antérieurs, qu'une structure de proximité fonctionne ou pas, elle demeure un élément de régulation. Il y a une très grande différence entre les villes possédant un réseau dense de maisons de quartier, d'équipements de proximité, et les villes où ces équipements sont inexistants. Celles qui rencontrent le plus de difficultés sont en général celles qui ont un réseau d'équipements de proximité le plus faible.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Au niveau rural, il y a un relatif maillage associatif avec les familles rurales, les foyers ruraux, la ligue de l'enseignement, avec les difficultés inhérentes à ce milieu. Mais à y regarder de près, beaucoup d'initiatives se prennent aussi en milieu rural.
Tant dans le milieu rural qu'urbain, tout ne se fait pas dans le réseau des associations qui sont affiliées au grand réseau des Fédérations. Il y a malgré tout une évolution et une éclosion importantes mais effectivement on est très souvent sur une conduite de projet qui débouche ou pas sur l'émergence d'une association.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Aujourd'hui on est dans un processus de renouvellement profond de l'éducation populaire qui n'est plus nécessairement instituée. On a assisté depuis le début des années 90 à l'émergence de toute une série de réseaux comme l'association nationale des conseillers d'enfants et de jeunes, les petits débrouillards, la fondation des étudiants pour la ville, Animafac, le Mouvement hip-hop, de nouveaux mouvements qui se sont réclamés de l'éducation populaire. Puis on a vu des mouvements anciens comme les centres sociaux ou ATD Quart Monde qui relevaient d'autres histoires et qui se sont dits qu'ils faisaient, eux aussi, de l'éducation populaire. Donc il y a une vraie actualité de l'éducation populaire, étroitement liée aux problématiques de cohésion sociale. Ce qui définit l'éducation populaire, c'est l'accès du plus grand nombre à la culture, à la connaissance comme condition de l'exercice de la démocratie ou étroitement liée aux pratiques démocratiques. On voit comment, quelque part, des mouvements comme ceux qui tournent autour de la démocratie participative ou de l'éducation tout au long de la vie, de l'éducation non formelle, viennent à la rencontre de la question de l'éducation populaire. Nous avons consacré un numéro de notre revue Agora à cette question de l'éducation populaire et dans le cadre du congrès international des villes éducatrices, nous avons produit un travail sur « Ville éducatrice et éducation populaire ». A suivre de près. Si on ne réduit pas de façon dogmatique la cohésion sociale à du travail social, mais si on est capable de l'ouvrir sur du travail éducatif, il y a une place importante pour l'éducation populaire.
A propos maintenant de ce qui se passe dans les autres pays - la France est à peu près dans le mouvement. On repositionne très fortement une administration centrale au niveau de l'État sur une mission interministérielle, soit directement le Premier ministre, soit un ministre important du gouvernement. Dans certains pays, comme en Grande-Bretagne, le Secrétaire d'État ou le ministre en charge de ce dossier a priorité en termes d'administration sur l'administration d'origine, par exemple sur la culture, sur un dossier jeunesse. C'est une tendance esquissée depuis quelque temps. Deuxième élément, la délégation aux régions en général. Troisième élément, de très gros efforts ont été faits en particulier en Grande-Bretagne mais aussi en Allemagne et en Scandinavie sur une meilleure dotation à la construction de services locaux de jeunesse, sur le travail de l'accueil au plus près des jeunes. Quatrième élément, la transformation des modes de gestion de l'État : de plus en plus de pays se sont dotés d'agences qui gèrent les programmes et qui travaillent à travers les appels à projet ou à expérimentation. C'est comme si, en France, on regroupait l'ensemble des programmes destinés à la jeunesse au sein d'une même agence. Une douzaine de programmes viennent d'être élaborés dans le cadre du Haut Commissariat mais il y a aussi tous les programmes comme Envie d'Agir. En Suède, il y a regroupement d'une centaine de programmes dans une agence nationale.
Les articulations sont les suivantes : renforcement des logiques interministérielles au niveau de l'État central, forte préoccupation en termes de référentiels. Sous l'impulsion de l'Union européenne, l'emphase est mise sur les jeunes en rupture. Vous savez que, dans le cadre de l'élaboration du nouveau programme, l'Union européenne insiste sur les jeunes en difficulté et a déplacé des problématiques participation, information, bénévolat, connaissance de la jeunesse sur les problématiques emploi, formation, welfare , bien-être et mode de vie. On ne sait pas très bien ce qui précède et ce qui nourrit. L'Union européenne joue un rôle important, plus important qu'on ne le pense peut-être, dans la structuration des programmes jeunesse. Bien des dispositifs dont on se demande l'origine sont impulsés ou encouragés par l'Union européenne.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Piloté par le Conseil de l'Europe, le Centre européen de la connaissance situé à Strasbourg a une approche comparative de l'ensemble des politiques jeunesse des différents pays au-delà de l'Union européenne.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Mme la présidente savait que j'étais intéressé par le sujet, puisque c'est ma profession de base d'être animateur, d'avoir fait de longues années avec les mouvements d'éducation populaire, l'encadrement de camps de formateurs, d'animateurs, de directeurs et d'ailleurs je me suis lancé dans l'animation parce que j'avais lu le livre de Saul Alinsky, L'animateur social .
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Il paraît qu'il a inspiré aussi Obama.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - On a eu notre heure de gloire quand on a su qu'Obama était animateur social. Ça m'a fait plaisir à moi aussi, il avait lu le même livre, il est venu à l'animation sur les mêmes bases, c'est intéressant. Ça remonte à une période lointaine.
La première question est : quel est le rapport de votre institut avec les mouvements d'éducation populaire de façon générale ? Comment vous situez-vous ? Comme des guides, comme une institution ? C'est ma première question parce que j'ai bien vu que vous réfléchissiez et que vous étiez dans les mêmes options : l'importance d'être acteur dans la vie, pas seulement quand on est salarié, l'importance de la plus-value associative.
La deuxième chose, justement par rapport au fait d'être animateur social ce qui était un peu ma motivation pour rentrer dans l'animation socioculturelle, vous avez dit, peut-être ai-je mal compris, que les gens ont envie d'être connus par la culture.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - La culture occupe une place très importante dans la socialisation des jeunes. Par exemple, tous les programmes qui viennent en premier, que vous preniez le programme Envie d'Agir ou les programmes européens, sont des projets à caractère culturel.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Mais de la part des jeunes ou bien des professionnels ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - De la part des jeunes. Par exemple sur l'agglomération grenobloise c'était autour de 46 % ; si je prends les programmes européens, de mémoire, c'est autour de 40 % ; sur Envie d'Agir c'est autour de 35 %. Avant toute autre forme de thématique, ce sont les thématiques culturelles qui sont premières. Ce qui prépare aussi un terreau fécond pour l'éducation populaire.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Et justement, M. le rapporteur a posé la question. Ou en est l'éducation populaire aujourd'hui ? C'est une vraie question. J'ai connu l'éducation populaire dans l'encadrement scolaire : avant, après la classe, etc. mais de fait est-ce qu'elle ne s'est pas un peu perdue ? Dans cette gestion, dans ces contacts avec les municipalités ? Je sais bien qu'au départ, pendant les dix premières années, il y avait cette volonté d'une éducation différente puis au fur et à mesure du temps, peut-être est-ce la gestion qui l'a emporté ? L'éducation populaire reposait quand même sur un idéal militant pas obligatoirement militant partisan, mais pour une société nouvelle. Est-ce qu'on le retrouve dans cette refondation de l'éducation populaire et en quoi les jeunes peuvent s'y retrouver ?
Ensuite vous avez parlé de la profession en tant que telle, donc vous avez été très technique puisque vous nous avez parlé de niveaux...
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - C'est encore plus complexe.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - On vous remercie de rendre les choses encore plus complexes, mais vous avez parlé des niveaux I, II, III, IV, j'ai cru comprendre que le niveau IV c'était le niveau d'animateur des centres de loisirs ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Non c'est le niveau V, c'est-à-dire en dessous du bac, niveau IV c'est bac, niveau III, licence, niveau II, maîtrise, niveau I, doctorat.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Et vous disiez que c'était le niveau 5 dans lequel on employait les gens qui avaient le BAFA, comme si c'était un brevet d'études professionnelles, alors que ça ne l'est pas, ça nécessiterait un certain nombre de formations ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - C'est un dossier qui est complètement bloqué parce que les financeurs ne sont pas intéressés par augmenter le coût en termes d'emploi de ces jeunes vacataires.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Alors mes questions recoupent celles de M. le Rapporteur. Au niveau institutionnel, où en est votre institut par rapport à l'éducation populaire ? Au niveau politique de l'éducation populaire où estimez-vous qu'elle en est, est-ce qu'elle a rempli sa mission, la gestion n'a-t-elle pas perdu quelque part son idéal militant du début ? Comment peut-on dire qu'il faut être acteur de la vie associative et puis en même temps, mais vouloir professionnaliser l'encadrement de la jeunesse ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Je réponds à la dernière partie de votre question. Place de l'éducation populaire : aujourd'hui, je pense que les grandes fédérations de l'éducation populaire restent les premiers opérateurs en termes de politique de jeunesse, au plus près des habitants et des jeunes. Les animateurs et en particulier les animateurs de centres de loisirs, dans le cadre d'équipements de proximité, sont très majoritairement encore membres de fédérations d'éducation populaire. L'autre option de dépendance aux collectivités territoriales reste minoritaire.
Je n'ai pas évoqué cette question, vous savez que pour les fonctionnaires territoriaux il n'y a pas de filière complète de l'animation puisqu'il n'y a que les catégories B et C, pas de catégorie A. C'est une filière incomplète donc, premier opérateur, les fédérations d'éducation populaire et la plupart des politiques aujourd'hui de jeunesse au plus proche des habitants, au plus proche des jeunes sont encore faits avec des fédérations d'éducation populaire.
Deuxième point sur l'idéal. Je vous l'ai dit, je pense qu'il est vivant. Il est surtout d'actualité pour toute une série de raisons qui font que, aujourd'hui, il y a une demande d'éducation populaire. C'est une belle utopie, une des rares utopies dont on peut continuer à se réclamer et qui ne soit pas trop compromise. C'est un terreau vivant. Si bien que, par exemple, on voit une part du Mouvement hip-hop se réclamer de l'éducation populaire, d'ailleurs d'une façon polémique contre d'autres composantes qui conçoivent le hip-hop uniquement dans un cadre marchand ou d'exaltation de la violence - le hip-hop fric ou le hip-hop gangsta. Ce sont des éléments très importants, ce n'est pas un hasard si ATD Quart monde qui faisait du caritatif vient sur de l'éducation populaire et de façon extrêmement pertinente sur la mobilisation la plus difficile, celle des plus démunis, en dehors de tous réseaux. Ces pratiques se réactualisent en permanence à travers des opérateurs qui ne sont pas nécessairement les opérateurs historiques de l'éducation populaire. Je pense au travail que font les Petits Débrouillards - culture scientifique et technique -, la FEV, Animafac - solidarité étudiante - qui utilisent des techniques d'éducation populaire. Les réseaux institués sont en effet professionnalisés, ils encadrent le plus grand nombre de professionnels de jeunesse. Leur difficulté est de prendre en compte les jeunes et de leur faire une place dans l'équipement et la volonté d'efficacité immédiate de la collectivité. Ils ont le même problème que dans notre société, il n'y a pas de miracle. Mais ça se renouvelle, il y a des expériences, de l'innovation, de vraies dynamiques.
Nous, ce que l'on fait avec les fédérations d'éducation populaire est compliqué puisque nous sommes institution d'État ; eux sont institutions civiles. Il y a donc toujours cette crainte d'être récupéré par l'État même si, historiquement, tous les cadres des MJC, en tout cas les premières générations, ont été formés dans le cadre de l'INJEP. Certaines associations comme la Ligue de l'enseignement considéraient cette concurrence déloyale. Nous travaillons ponctuellement et de façon régulière avec certaines fédérations mais avec parfois chez certaines des réticences parce que l'on peut être en concurrence sur des formations - le nouvel INJEP ne fera plus de formation, le problème est réglé. Sur les audits aussi, on ne fait pas d'audit systématique, ce n'est pas notre vocation, on fait des audits et des diagnostics uniquement pour alimenter notre connaissance du terrain. Mais parfois quand on remporte un marché et qu'une fédération d'éducation populaire est également sur ce marché, ça crée quelques tensions.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Je préciserai aussi que ça c'est appelé Institut national de la jeunesse, Institut national d'éducation populaire, aujourd'hui ça s'appelle Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire ; c'est une reconnaissance du rôle d'acteur principal de l'éducation populaire dans les problématiques jeunesse. Notre travail futur se situe, comme par le passé, aux niveaux de l'observation, de l'évaluation, de l'analyse et de l'aide à la réflexion. Il nous arrive de conduire des études à la demande des fédérations d'éducation populaire ou avec l'éducation populaire, idem par rapport à l'organisation de colloques et idem par rapport aussi à des demandes d'expertises. L'évolution se fait principalement sur comment demain l'INJEP peut être plus performante par rapport aux différentes thématiques et aux problématiques jeunesse ; Pour vraiment affiner ce travail d'évaluation il faut non seulement passer par des études mais aussi par un ancrage réel dans le terrain, ce qui signifie que tout ce qui relève du diagnostic, de l'expertise et de la formation demeurera, dans la mesure où ça servira l'objectif principal. On a par exemple une formation de consultant de la jeunesse qui est un cycle long en liaison avec l'université et qui est intéressant de part la composition des gens qui suivent ce type de formation puisqu'il y a aussi bien des techniciens que des collectivités territoriales, des agents de l'État que des travailleurs sociaux de milieux associatifs. On s'inscrit là dans une démarche globale par rapport aux politiques jeunesse avec un retour permanent théorie et pratique, un travail de terrain puisque c'est une formation de longue durée.
Je terminerai en disant que, en ce qui concerne l'éducation populaire, les fédérations d'éducation populaire seront aussi membres du conseil d'administration de l'INJEP. L'évolution réside dans le fait qu'à l'avenir nous essaierons de prendre davantage en compte l'implication des collectivités territoriales avec une présence accrue au sein du conseil d'administration de l'INJEP.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - J'ai plaidé pour les régions mais nos partenaires privilégiés sont aujourd'hui plutôt les communes, les intercommunalités et les départements. On participe notamment à l'animation d'un réseau d'une trentaine de départements qui travaillent sur les politiques jeunesse et qui se réunissent deux ou trois fois par an.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Et je précise aussi que l'évolution va se faire à travers un conseil scientifique sur un certain nombre de thématiques qui vont être prioritaires et la façon de les mener y compris en termes de réseaux avec de multiples partenaires, chercheurs et universitaires.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - J'avais une question à poser et vous venez en partie d'y répondre. Il s'agit effectivement de la politique jeunesse. Elle a été saucissonnée selon l'âge, les situations sociales, la situation géographique, etc. et vous avez positionné le pilotage unique sur la « région ».
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Ça peut être sur le département.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Mais vous avez quand même plus privilégié la région. Peut-être travaillez-vous avec mon département ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Quel département ?
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Le Finistère.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Oui, bien sûr.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Nous avons travaillé à partir des études de Patricia Loncle et de François Dubet, nous avons fait un bel état des lieux et des enjeux, des perspectives en matière de jeunesse avec des actions fortes et nous avons pris les jeunes à partir de 12 ans jusqu'à 25 ans. Finalement, 12 ans, c'est le public cible que vous évoquiez pour les collégiens mais qu'ensuite nous avions l'insertion, toutes les aides en matière de logement, de transports, les jeunes ruraux, les urbains, etc. donc tout ça a été fait.
Vous avez également évoqué la reconnaissance des jeunes comme acteurs, or nous avons mis en place le « Groupe des trouveurs » et la « Quinzaine des initiatives des jeunes ». Toutes ces actions sont portées par le département en partenariat très fort avec tous les organismes que vous avez cités et j'en ai là toute une liste très importante en passant aussi par le relais départemental des Junior associations...
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Dont je n'ai pas parlé.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Dont vous n'avez pas parlé effectivement. Pour vous dire que le département peut être un porteur politique dès lors qu'il y a cette volonté affichée par les élus de devoir se dire : « La jeunesse est divisée, que va-t-on en faire, c'est une richesse pour le territoire ». Et vous avez parlé de l'ancrage dans le territoire et vous vous rendrez compte que les jeunes sont particulièrement attachés à leur territoire. Et en Finistère encore plus parce que je suis chauvine évidemment.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Pour des raisons historiques.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - J'allais évoquer également cette possibilité d'avoir recours aux travaux du Conseil de l'Europe mais aussi aux programmes européens de jeunesse et nous avons en partenariat avec Gwen Eli, fait venir des professionnels - vous avez parlé de la qualité des professionnels - sur la Semaine de la mobilité, des professionnels de cinq pays d'Europe dans notre département pour justement engager ce travail auprès des jeunes les plus en difficulté, des jeunes en insertion et ça a déjà abouti à quelques venues de jeunes de 18 à 20 ans qui sont complètement déstructurés. Des jeunes Cornouaillais anglais sont venus en Cornouaille bretonne pour pouvoir essayer de créer des liens. Voilà des exemples et la région n'est pas la seule.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Je n'ai pas dit que la région était la seule. C'est un problème de choix politique et aujourd'hui, nous travaillons beaucoup plus avec les départements qu'avec les régions. Donc le Finistère participe à ce réseau de longue date. On n'a pas répondu à l'appel d'offres que vous avez fait à la rentrée en septembre, on ne peut pas répondre à tous les appels d'offres, mais c'est un département avec lequel on travaille très régulièrement parmi disons une vingtaine de départements. Nous avons une plaquette intitulée « Conseil général, acteur des politiques jeunesse ».
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Par rapport à cette intervention, je voulais insister sur un mot récurrent qui est le mot « synergie ». Ce qui me semble fondamental c'est que l'ensemble des acteurs au niveau d'un territoire, que ce soit au niveau du département ou de la région, que ce soient les acteurs associatifs, les acteurs des collectivités territoriales, des différentes administrations et pas que d'une administration mais aussi de la caisse d'allocations familiales et de la mutualité sociale agricole se mettent autour de la table pour poser ensemble un diagnostic, une bonne connaissance du territoire en faire une analyse conjointe et dégage bien des politiques qui sont à la fois communes sur certains aspects et séparées, mais en tous cas en synergie avec un système d'évaluation et de suivi, y compris avec la représentation des jeunes.
Les programmes européens de jeunesse sont intéressants dans la mesure où ils visent à favoriser la mobilité des jeunes, la citoyenneté européenne et la participation. Ils proposent non seulement des actions par rapport à différents porteurs de projets, que ce soient des jeunes en service volontaire européen, que ce soient des échanges de jeunes, des initiatives de jeunes, des séminaires pour les jeunesses démocratiques ou des séminaires de jeunes qui visent à faire se rencontrer des jeunes et des élus mais aussi parce qu'il y a des mesures de soutien qui visent à aider les différents porteurs de projets, à mettre en place ces projets mais aussi à discuter de politique jeunesse et à les confronter. C'est à ce titre-là, que sur l'action « Mesures jeunesse action 83 », on a financé Gwen Eli parce qu'il me semble toujours intéressant d'avoir une approche comparative de ce qui se passe chez les uns et chez les autres. On s'enrichit des différentes expériences. Il n'y a pas forcément un transfert qui se fait mais en tout cas une interpellation, une revisitation de nos propres pratiques. Ce programme permet aussi toute cette confrontation des différentes politiques jeunesse. Sur l'INJEP vous avez aussi le site www.jeunesseenaction.fr. Je terminerai en disant que, vous le savez, il y a le Livre blanc de la jeunesse en 2001 au niveau européen. J'étais tout à l'heure avec le directeur de l'Unité jeunesse, sport et citoyenneté qui m'a informé que la Commission européenne a relancé une vaste consultation visant à refonder la politique jeunesse pour les dix années à venir l'ensemble des acteurs et aussi pour arriver à situer le rôle de la Commission européenne, des États et des collectivités territoriales.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Vous savez très bien que dans l'animation il y a parfois de la réunionnite : multiplication des intervenants, multiplication des personnes qui visent et au bout d'un moment, tous les travailleurs sociaux, les animateurs se rencontrent, et comme ils ne se sont pas vus, ils vont se rencontrer encore et vont discuter, et au bout d'un moment, outre le fait qu'il n'y a pas prise de décision, cela fait beaucoup d'énergie à se rencontrer, à faire de la synergie. C'est un petit peu le reproche fait dans ce milieu de l'éducation et de l'animation de quartier. Donc synergie, oui, mais il ne faudrait pas que faire des réunions soit l'activité principale.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Mais Monsieur, la réponse a été donnée tout à l'heure. La réponse est qu'à un moment, il faudrait définir le pilote. Même demande dans d'autres domaines, on peut élargir la réflexion.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Question d'observation. Vous avez dit un moment, les jeunes les plus exclus sont ceux qu'on a le plus de mal à faire participer et ça nécessite un accompagnement, etc. Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles ça se passe comme ça ? Ça me renvoie à l'audition précédente : pour des jeunes en échec scolaire qui ont perdu complètement l'estime d'eux-mêmes, quand ils sont bien cassés, bien persuadés qu'ils ne valent rien, il est très difficile de les amener à retenter quelque chose, parce qu'ils craignent sans doute qu'on leur dise une fois de plus : « décidément, on avait raison, tu es nul ». C'est mon hypothèse, peut-être ai-je tort, vous avez peut-être une autre réponse à cela.
Ce qui m'avait intéressée aussi, vous avez dit qu'ils rechignaient devant des actions spécifiques et préféraient à cela des actions de droit commun. Là aussi, ça me renvoie à une réflexion précédente sur l'autonomie financière des jeunes à laquelle on réfléchit depuis 15 ans. On rejette l'idée du RMI jeunes qui stigmatiserait les jeunes. J'avais dans la tête que, si on donne une allocation à tous les jeunes à partir de 18 ans pour faire des études ou autre, il n'y a plus de stigmatisation. Donc vous me confortez un peu dans ma position.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - C'est clair là-dessus. Tous les rapports, le rapport Charvet, le rapport de Foucault vont dans ce sens-là.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - C'est-à-dire ?
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de formation (UREF) de l'INJEP - Dans le sens d'une allocation destinée à l'ensemble des jeunes et qui peut se décliner de façon différente selon leur situation mais c'est la règle. Ensuite, l'exception vient en effet. Celui qui a de l'argent, etc. Mais la règle c'est une allocation d'autonomie pour tous les jeunes qui peut prendre des formes et être modulée de façon différente.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Au niveau européen, l'ensemble des dispositifs s'adresse à tous les jeunes, c'est un système de droit commun ce qui n'empêche que par rapport aux jeunes avec moins d'opportunités, il y a une information et un accompagnement adaptés dans les actions avec les autres jeunes également.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Je peux vous donner un élément de réponse à la première partie de votre question. Une enquête faite auprès des missions locales autour de la citoyenneté montre que 23 % des jeunes interrogés ne se considèrent pas comme citoyens. Ils le justifient par le fait qu'ils sont peu insérés, par le fait qu'ils ne votent pas ; leur conception de la citoyenneté est exigeante. Pour eux, être citoyen c'est être engagé, mais cet engagement leur apparaît impossible. « Je ne me sens pas capable de m'engager actuellement pour faire bouger, changer les choses autour de moi », répond un jeune au cours de l'enquête. Ils décrivent un cercle vicieux, ceux qui se sentent en déficit de citoyenneté parce que incapables de s'engager finissent par ne pas se sentir dignes de s'engager ou prêts à le faire. La seule façon de briser ce cercle vicieux, c'est d'effectivement accompagner ces jeunes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les valoriser.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Je pense aux programmes européens que vous avez été amenés à expérimenter dans vos communes ou sur vos territoires, les dispositifs d'aide aux projets jeunes ou aux initiatives jeunes ; on sait que pour un projet porté par des jeunes en difficulté, on n'a pas exactement les mêmes critères en termes d'accompagnement.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - On a des crédits supplémentaires pour l'accompagnement sur l'initiative des jeunes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Ma dernière observation. Vous avez fait remarquer que, si les grands réseaux d'éducation populaire étaient amenés à disparaître, ce serait une grande perte. J'en suis pour ma part persuadée pour avoir été, non pas comme Jean Desessart, professionnelle dans les réseaux d'éducation populaire, mais acteur et participante. C'est là que j'ai appris à m'intéresser à ce qui se passait autour et où j'ai découvert tout ce qui était le lien social. Ceci étant, je pense qu'ils sont déjà en train de disparaître.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Ça c'est clair.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - ... et vous avez parlé de l'intérêt qu'il y avait de faire gérer tout cela par le milieu associatif, l'importance du conseil d'administration même si on y pouvait discuter de la place des jeunes. Vous avez fait une autre observation sur toutes les autres structures qui disent : « nous, on reçoit les jeunes s'ils sont porteurs d'un projet ». Pour avoir été un des maires qui a transféré la gestion, mais je ne devrais pas l'avouer, de quatre maisons de quartier de l'associatif à la gestion municipale, je butais sur le conseil d'administration. Ces quatre structures représentaient une soixantaine de salariés dont une trentaine équivalent temps plein dans une ville pauvre comme Job, où les gens sont d'origine extrêmement différentes, où on ne compte plus le nombre d'ethnies, des gens qui n'ont pas fait d'études, etc. C'est extrêmement difficile de confier à des administrateurs de ce type qui sont confrontés à leurs propres limites la gestion d'une structure où il y a des dizaines et des dizaines de salariés. Quand vous avez une première fois comblé le trou de l'URSSAF, pas payé depuis un an, etc. vous commencez par vous inquiéter un peu quand même. Dans ces villes, on trouve des bénévoles bien sûr, de l'encadrement, de l'animation, des gens qui ont des idées, mais pas pour gérer une grosse boutique de dizaines de salariés. Et le lieu a quand même une responsabilité dans la mesure où les quatre cinquième des recettes de cette association viennent des fonds publics. Deuxième problème, le projet. Cela énerve beaucoup, quand vous avez des centaines de jeunes qui sont dehors toute la soirée, toute la nuit, qui tiennent les murs et que la Maison de quartier ou la MJC vous dit : « chez nous on ne vient pas pour se chauffer, on vient avec un projet » et que vous, maire, vous prenez des précautions oratoires pour leur expliquer que, peut-être, s'ils viennent pour se chauffer, au bout de quelques jours, cette envie leur passera et s'il y a quelqu'un capable de les accueillir correctement, un projet pourra émerger, quand vous en avez assez qu'on vous dise non, vous reprenez en main la structure et vous demandez qu'elle soit ouverte quand les jeunes sont là et qu'on les accepte même s'ils n'ont pas de projet pour que les projets émergent.
C'était entre parenthèses mais ma question est la suivante : les structures d'éducation populaire se mettent en danger pour ces problèmes très pragmatiques et je ne sais pas quelle est votre position là-dessus, c'est d'autant plus problématique que les élus d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Je crois que les maires, en particulier dans les villes difficiles, ne sont plus des notables. Ce sont des gens qui réfléchissent, qui mettent les mains à la pâte, qui s'impliquent, qui ont des idées... Je crois donc que beaucoup d'équipements, que ce soient des centres socioculturels ou des MJC, se sont mis en difficulté à cause de ça, de mon point de vue. Je regrette que l'éducation populaire ne soit pas plus présente.
M. Jean-Claude RICHEZ, responsable de l'unité de la recherche des études et de la formation (UREF) de l'INJEP - Effectivement, les équipements sont dans une situation très difficile. J'ai bien expliqué la règle : pour moi, il vaut mieux avoir une structure gérée par une association que directement par une municipalité. Mais j'ai bien dit que, dans certains cas, ça pouvait être absolument impossible. On est dans une situation tellement pourrie, qu'il faut absolument municipaliser. Après la municipalisation, on peut être dans deux logiques. Soit pour démunicipaliser, c'est-à-dire créer une association. Soit la vocation devrait être un équipement de quartier qui devrait fonctionner aujourd'hui comme plate-forme d'initiatives des habitants, ils doivent pouvoir y trouver des ressources pour développer leurs projets, leurs initiatives, pour éventuellement se qualifier, se former. On reste quand même dans la logique de générer de la vie associative et de la mobilisation associative. Je pense que c'est le fil rouge et que, peut-être à terme, on arrivera à reconstituer un réseau associatif suffisamment dynamique sur le quartier à travers un accompagnement très rigoureux qui permettra de recréer les conditions d'une démunicipalisation de l'équipement.
Deuxième point essentiel, il faut combattre l'idée qu'on ne peut pas venir dans un équipement si l'on n'a pas de projet. Les jeunes ne peuvent développer des projets que s'ils peuvent se retrouver entre eux. L'équipement de proximité doit pouvoir jouer ce rôle. On ne peut pas soumettre les jeunes en permanence à l'impératif éducatif, à l'impératif du projet. Nous, adultes, on n'est jamais en permanence mobilisés ; on a besoin de ce qu'on appelle vulgairement « le droit de glander », d'être ensemble, etc. Après, et c'est effectivement toute la difficulté du travail de l'animateur, il doit être capable d'imposer des règles du vivre ensemble pour que l'espace puisse fonctionner. En général, il n'y a pas de projet s'il n'y a pas ces espaces pour se retrouver ; c'est un élément absolument essentiel et d'ailleurs c'est une partie non négligeable du travail que l'on fait sur la question des valeurs des jeunes puisqu'on participe tous les neuf ans à la grande enquête sur les valeurs des Français et qu'on gère le volet jeunesse - l'enquête a été faite l'année dernière et on va avoir les résultats cette année -. La première valeur des jeunes c'est l'amitié. Avec une grosse différence, les amis, les pairs, jouent un rôle absolument indispensable. Et si on veut passer du privé au public, il faut que la sphère publique offre des possibilités pour les jeunes de se retrouver. Evidemment, c'est très difficile à gérer sur le territoire, sur l'équipement et c'est là qu'il faut des animateurs qualifiés, reconnus et valorisés. Si on paie des animateurs au rabais juste pour avoir la paix sociale comme cela s'est fait dans un certain nombre de collectivités, c'était la fameuse politique des grands frères, c'est une catastrophe et très destructeur puisque la question de la règle est une question essentielle. C'est encore mieux si on élabore la règle avec les jeunes, si on discute, si elle n'est pas imposée, on peut les positionner en tant qu'acteurs et dans ce cas-là il faut faire attention parce qu'on s'aperçoit qu'une convention passée avec les jeunes du quartier autour de la règle doit être renouvelée annuellement. On s'est aperçu, c'est une micro expérience qui s'est passée tout près de Marly-le-Roi, qu'une Maison des jeunes gérée pratiquement que par les jeunes ne fonctionnait plus aussi bien au bout de trois/quatre ans parce qu'on n'avait pas pris soin de renouveler le contrat avec les nouveaux jeunes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup pour votre participation qui aide notre réflexion.
M. Jean CHIRIS, directeur adjoint de l'INJEP - Nous vous remercions de nous avoir invités et de la richesse des échanges qui laissent augurer non seulement de pistes de réflexion mais aussi d'actions.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci, c'est parce que vous avez provoqué des réactions.
Table ronde « Jeunes au sein des partis politiques »
(1 er avril 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente -Je vous remercie beaucoup, au nom de la Commission, de bien avoir voulu venir jusqu'ici. On attend d'échanger avec vous, que vous nous apportiez un petit peu vos lumières, à propos des thèmes que nous avons retenus pour cette mission d'information. On a choisi de travailler sur les 16-25 ans -- on sait bien que ce n'est pas exhaustif, que les problèmes commencent avant et que toutes les difficultés ne s'arrêtent pas à 25 ans. Et l'on a retenu essentiellement les thèmes de l'emploi -- c'est-à-dire tout ce qui tourne autour de l'emploi : l'orientation, la formation -- et de l'autonomie des jeunes -- autonomie financière et autonomie de vie, c'est-à-dire les problèmes de logement, de santé, d'accès à la culture.
Ce que l'on vous propose pour travailler sur cette table ronde, c'est de vous passer la parole à tour de rôle -- ou dans l'ordre que vous choisiriez, si le tour de rôle ne vous va pas -- autour de deux thèmes. Une première série d'interventions de chacun de vous sur l'orientation, la formation, l'emploi, avec deux ébauches de questions -- mais vous n'êtes pas obligés de rester enfermés dans ce carcan. Comment améliorer l'orientation des jeunes, notamment pour renforcer l'adéquation entre les formations et les besoins des entreprises ? Quelles mesures préconisez-vous pour réduire le chômage des jeunes ? Donc on va d'abord vous écouter là-dessus, en sachant que lorsque l'on aura fait un premier tour de table, on passera à un second tour de table sur l'autonomie, les revenus, le logement. Quelles propositions défendez-vous pour améliorer l'autonomie financière des jeunes ? Avez-vous des propositions pour augmenter l'offre de logements financièrement accessibles aux jeunes, qu'ils soient étudiants ou non ? L'accès des jeunes au système de santé vous paraît-il suffisant ? En question liminaire que vous pourrez évoquer dans le cours de vos interventions si vous le souhaitez : pensez-vous que des politiques spécifiques doivent être développées en direction des jeunes ou qu'ils doivent être intégrés dans les dispositifs de droit commun ?
Monsieur Lancar, voulez-vous commencer ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci vraiment de votre invitation. Pour nous, Jeunes Populaires, qui sommes le mouvement de jeunes de l'UMP, le principal mot d'ordre pour la jeunesse est l'autonomie. Pourquoi est-ce aujourd'hui particulièrement fondamental ? On constate partout, quand on va dans les lieux étudiants, les lieux lycéens et les entreprises, que la jeunesse d'aujourd'hui et en particulier les 16-25 ans, est une jeunesse déclassée. Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, elle à l'impression que quoi qu'elle fasse aujourd'hui, demain sera pire et que surtout, quoi qu'elle fasse, son avenir sera pire que le quotidien de ses parents. C'est vraiment le constat dont on part, avec, vous avez lu la presse mieux que moi, des chiffres qui dévoilent que 25 % de jeunes pensent que leur avenir sera meilleur en France, un taux de dépression de 30 %, un taux de suicide ou d'envie de suicide de 10 %. Donc clairement, on appartient à une génération qui va mal, pour qui le taux de chômage est le triple du chômage actuel. Mais tout cela, je pense qu'on le développera tous, donc je ne vais pas le développer plus que cela.
Vous posez cette question préliminaire : faut-il ou pas des politiques spécifiques aux jeunes ? Nous, notre idée est qu'évidemment, le problème de la jeunesse est propre aux jeunes, mais qu'évidemment, les jeunes subissent les carences du marché du travail et surtout les carences du système de formation. Il ne s'agit donc pas de faire une politique seulement pour les jeunes. Notre mot d'ordre sur cela est plutôt de songer à résoudre la fluidité sur le marché du travail, à résoudre la manière dont les jeunes sont traités lors du premier emploi, lors du premier stage. Nous ne souhaitons pas des contrats aidés spécifiques aux jeunes ou simplement faire ce que d'autres gouvernements ont essayé de faire sur les Emplois Jeunes ou dans la logique d'un contrat spécifique aux jeunes, avec une rentrée sur le marché du travail que l'on souhaiterait faciliter et qui au final n'est qu'une manière de déclasser encore plus les jeunes. Donc notre mot d'ordre est quand même de réfléchir avec une approche globale. Ça, c'est pour répondre à votre première question.
Pour réfléchir à cette question de l'orientation, de la formation ou de l'emploi, il va sans dire qu'au départ il faut forcément réfléchir en amont, c'est-à-dire dès le secondaire. C'est peut-être le premier point, j'en ai quatre à vous développer. Le premier point est en effet l'amélioration du secondaire avec la question de l'amélioration du lycée et de l'autonomie du lycéen dans cet établissement. Aujourd'hui, grosso modo, un lycéen à 18 ans est considéré comme un collégien à 11 ans. Peut-être qu'il ne montre plus son carnet de correspondance, il montre sa carte de lycéen, mais au final, c'est le même traitement. Ce que l'on voudrait, c'est que l'on arrête de se poser des questions sur son orientation un mois seulement avant le baccalauréat. Parce qu'aujourd'hui, c'est encore cela : quand vous allez sur « 3614 Ravel » ou sur Internet, c'est seulement à ce moment-là que vous vous posez des questions. Evidemment, on va dans une voie de garage si l'on se pose des questions seulement un mois avant la fin de l'enseignement secondaire. Donc on voudrait que puisse se développer la prise de choix dès la classe de seconde, avec la réforme du lycée qui est une avancée dans ce domaine, notamment avec le fait de faire 6 heures d'options choisies dès la seconde. L'idée c'est cela : on choisit 6 heures sur 30 heures. Cela serait pour nous une avancée forte parce que les jeunes se poseraient des questions. Ça, c'est la première chose au niveau du lycée.
Le deuxième point porte sur l'enseignement supérieur. Je dois vous dire que pour nous c'est une aberration que l'on puisse encore sortir de l'université avec un diplôme Bac +3 ou Bac +5 sans le moindre stage et sans la moindre expérience à l'étranger. Nous voulons obliger à cela, de la même manière que dans les grandes écoles, pour valider ses diplômes, on doit nécessairement faire un stage ou avoir une expérience à l'étranger. Cela, pour nous, c'est essentiel. Cela suppose un travail au sein de l'université, peut-être que l'on pourra en parler après dans la deuxième thématique sur le travail étudiant, mais cela suppose que la scolarité puisse être aménagée plus facilement. Cela suppose de donner des crédits là-dessus et cela suppose aussi que le stage soit quelque chose d'attirant. C'est pour cela que les Jeunes Populaires ont une proposition forte sur la question des stages. Aujourd'hui, si vous faites un stage de moins de trois mois, vous pouvez ne pas être payé. Nous proposons qu'entre 0 et 2 mois, nous soyons payés au minimum 20 % du SMIC et qu'au-dessus de 2 mois nous soyons payés 40 % du SMIC. Evidemment, cela s'applique dans le secteur public comme dans le privé, il est quand même aberrant qu'aujourd'hui dans le secteur public, on ne soit pas payé -- et c'est quand même la majorité des cas. Donc cela suppose une inégalité totale de traitement suivant que l'on soit ou non favorisé. Là aussi, on veut que cela change.
Quant à l'expérience à l'étranger, elle nous paraît fondamentale. Cela fait partir d'une idée que les Jeunes Populaires défendent sur la question des élections européennes d'un droit opposable à l'Europe, qui serait une expérience obligatoire en Europe pour chaque jeune de 18 à 25 ans. On ne peut plus considérer qu'aujourd'hui, pour un jeune de 25 ans, l'Europe soit simplement un match de foot à la télévision ou un film qui s'appelle L'auberge espagnole. On pense que ça doit être un peu plus et c'est pour cela que l'on veut développer ce droit opposable à l'Europe, soit par le biais d'Erasmus, soit par le biais d'un service civique européen que l'on voudrait également développer. Il doit y avoir une expérience à l'étranger quand on est diplômé de l'université.
Autre élément sur l'enseignement supérieur : la question de l'alternance. Il y a 500 000 étudiants en alternance sur 2,2 millions d'étudiants. Nous considérons que ce n'est pas assez et nous voulons développer jusqu'à 1 million d'étudiants en alternance d'ici 2012. C'est un objectif essentiel pour nous parce que c'est une possibilité de mêler les études avec le marché du travail, donc on y rentre plus facilement. Cela permet aussi d'avoir un pouvoir d'achat supplémentaire, comme nous pourrons en parler ultérieurement. Cela permet vraiment d'avoir une expérience et de rentrer d'autant plus facilement sur le marché du travail. Il suffit de se dire que 54 % des bacs +4 mettent plus d'un an à trouver un emploi pour comprendre l'importance de développer cela. Nous allons même plus loin que simplement dire : « Il faut plus d'élèves en alternance. » Nous réfléchissons à proposer l'alternance dès l'âge de 16 ans. Une fois que la scolarité obligatoire est terminée, pourquoi ne propose-t-on pas aux lycéens ou aux collégiens qui viennent d'avoir leur brevet d'aller en alternance, quitte à ce qu'ils puissent y revenir ultérieurement ? C'est une manière d'aider les jeunes, notamment les jeunes des quartiers populaires.
Justement, un point complémentaire, si je peux me permettre, sur l'action dans les quartiers populaires. Nous avons une volonté forte sur ces quartiers populaires, cela nous paraît essentiel. Le taux de chômage dans les quartiers populaires est le double du taux de chômage des autres jeunes. Face à cela, nous avons mené une grande opération avec une commission qui est allée travailler pendant six mois dans les quartiers populaires, les « Pépites de la Nation », et nous avons choisi de développer un certain nombre de propositions. D'abord, il est essentiel dans ces quartiers-là que désormais, les documents d'orientation ne soient pas seulement accessibles en français. Notre objectif est que les parents doivent davantage être au courant et qu'aujourd'hui, beaucoup de parents ne comprennent pas comment ça fonctionne. On voit bien la différence entre les enfants des professeurs et personnels de l'éducation nationale et le reste, et en particulier dans les quartiers populaires, les parents qui ne parlent pas français. Il y a une vraie inégalité de traitement. Nous proposons donc qu'un certain nombre de documents d'orientation soient traduits en langues étrangères pour rendre ces documents plus accessibles. Je vous avoue que c'est une proposition qui fait débat au sein même de ma famille politique, mais on considère que c'est une manière forte pour développer la question de l'orientation.
Autre idée forte pour les quartiers populaires, ce sera de développer des « écoles de la deuxième chance ». Le gouvernement s'était donné comme objectif 15 000 jeunes dans les écoles de la deuxième chance d'ici 2012, nous souhaitons monter à 50 000 jeunes. C'est en tout cas également très important pour nous.
Je terminerai en évoquant la question de l'orientation de manière plus générale. Nous pensons qu'aujourd'hui, l'orientation est quelque chose d'extrêmement fouillis, confus. On ne sait pas qui sont les bons interlocuteurs, est-ce que c'est l'ONISEP, est-ce que ce sont les conseillers d'orientation que l'on trouve dans les collèges et dans les lycées ? En général, ce sont des personnes dont on a l'impression qu'ils sont là pour casser les ambitions des jeunes. Je vous donne mon exemple très personnel : j'ai fait deux grandes écoles et pourtant, mon conseiller d'orientation en terminale m'a dit : « Non, surtout, va à la fac. » Alors c'était très bien, j'aurais pu faire autre chose, j'aurais pu aller à la fac et réussir mais ceci dit, c'est assez significatif de voir qu'on a aujourd'hui ce problème en termes de conseillers d'orientation. Moi, la chance que j'ai, c'est d'avoir des parents qui m'ont donné les informations nécessaires, mais on peut imaginer que ce n'est pas le cas pour tous les jeunes, donc c'est un problème.
Il faudrait peut-être développer un service public de l'orientation, en uniformisant réellement toutes les informations et surtout les formations des conseillers d'orientation, car aujourd'hui, ce n'est absolument pas le cas. Il faudrait également développer l'accessibilité dès le collège. On ne peut pas se contenter, lorsqu'on est en troisième, que la question de l'orientation soit simplement la visite d'un salon de l'orientation au mois de janvier. Je pense qu'on l'a tous vécu quand on est collégien, et nous pensons que c'est largement insuffisant. Nous pensons qu'il faut aller beaucoup plus loin là-dessus, développer les liens avec les formations professionnelles dès la classe de troisième et pas simplement par un stage « machine à café ». Il faut absolument que l'on puisse le développer. Concernant l'orientation dans les universités, nous demandons que des initiatives comme La Manu, développée par Julie Coudry et Laurent Bérail, soient développées dans l'ensemble des facultés. La Manu est en effet un réseau entre les universités et les entreprises. Deuxièmement, nous demandons que les universités publient des chiffres sur l'entrée dans le marché du travail de leurs diplômés et le salaire qu'ils obtiennent. L'idée est de dire que ce n'est pas le problème des étudiants mais bien leur problème, il faut qu'ils le traitent de manière tout à fait dynamique. Troisième point, l'orientation active qui faisait partie de la loi sur l'autonomie des universités est aujourd'hui encore balbutiante. On vous dit globalement si vous avez des chances ou pas de réussir. Il faut que cela soit beaucoup plus clair, que vous ayez un pourcentage de chances d'avoir un emploi, un chiffre sur les salaires perçus. On demande d'aller beaucoup plus loin, en amont -- à l'entrée de l'université -- et surtout en aval.
Voilà un peu l'ensemble de nos démarches avec une idée-clé : l'autonomie. On pourra la développer également sur la question des ressources et du logement. Je pense que notre idée forte est de proposer de mettre le pied à l'étrier à tous ces jeunes. De manière générale, ces questions-là ne se résoudront pas si on ne résout pas la question de l'enseignement dans le secondaire et de l'enseignement supérieur. On a énormément d'ambition et votre mission est vraiment essentielle parce qu'aujourd'hui la jeunesse va mal -- vous le savez mieux que quiconque, et elle attend beaucoup des solutions que vous lui proposerez.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Très bien, merci beaucoup. Mlle Margaux Gandelon, vous avez la parole.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - Merci. Je vous remercie de nous avoir tous invités. Je pense que c'est un signe en faveur des jeunes. Pour travailler sur la politique de la jeunesse, la tranche 16-25 ans est peut-être un peu restreinte. J'aimerais voir cela d'une manière générale. La jeunesse, c'est le moment où l'on passe de la première autonomie à l'indépendance et c'est pour cela que c'est un âge si riche et si important. J'aimerais aborder deux points. Tout d'abord, l'orientation. Nous proposons une approche globale : il est important de savoir si l'on veut d'abord former des producteurs au sens large du terme -- c'est-à-dire des gens qui vont produire des objets, des services et s'intégrer dans le marché de l'emploi. C'est important, mais nous pensons, chez les Jeunes Démocrates comme au MODEM, qu'il y a également un vrai effort à faire dans la formation du citoyen. On ne forme pas la jeunesse seulement pour qu'elle ait un emploi, on ne forme pas la jeunesse seulement pour qu'elle soit active économiquement. On forme aussi des citoyens, on forme une future nation, des personnes qui seront conscientes de leur poids dans une société.
Concernant l'orientation, nous proposons qu'elle commence beaucoup plus tôt, que des rendez-vous soient pris dès la quatrième. Dès la moitié du collège, cela nous paraît raisonnable. En quatrième et en troisième devraient être mises en place des rencontres avec des professionnels de tous bords, même dans les lycées favorisés. Quand j'étais jeune, je me souviens que je connaissais des enfants dans des lycées plus populaires qui voyaient des manutentionnaires et des boulangers, et moi j'avais vu des médecins et des avocats. Je trouvai cela insensé. Des rencontres avec des professionnels de tous bords sont nécessaires -- des gens qui ont fait peu d'études, des gens qui en ont fait beaucoup. Nous proposons également de développer quelque chose qui peut être assez simple et relativement peu coûteux : des rencontres avec des anciens élèves. Des anciens élèves du même collège, qui ont grandi dans le même quartier et qui cinq ou dix ans plus tard se retrouvent à faire des études, à ne pas faire d'études, à avoir un emploi, à être heureux dans leur vie professionnelle. Ils peuvent également parler des erreurs qu'ils ont faites. On pense que cela peut permettre de créer un vrai lien, de vraies solidarités et c'est quelque chose de facile à mettre en place. On voudrait mettre l'accent sur le partage des parcours et la solidarité. On pense que les professionnels autant que les anciens élèves seront heureux de faire partager leur métier, leurs expériences, dès le collège. Il faudrait évidemment continuer au lycée, avec des choses beaucoup plus cadrées. Nous pensons que l'orientation active, si elle a un principe d'efficacité, ne prend pas assez en compte les désirs des élèves. Elle est encore balbutiante, mais je pense que dans sa première mouture en tout cas, il n'y a pas d'entretien personnalisé automatique avec la faculté que l'on a choisie. Il y a juste une réponse automatisée par e-mail. Je vais dans le sens contraire des Jeunes Populaires en affirmant que l'on n'a pas besoin d'un pourcentage de réussite, mais de savoir ce qui nous manque -- si c'est de la motivation, s'il faut que l'on étudie l'histoire ou que l'on se penche vers le management. On a besoin de savoir des choses palpables, des choses que le jeune peut améliorer et non pas des pourcentages bruts sortis par un ordinateur. Quelque chose me paraît également très important au niveau de l'orientation, c'est de détruire la culture du redoublement en France. Des études récentes ont prouvé que le redoublement était relativement inefficace, que dans beaucoup de pays, notamment les pays nordiques, il n'existait quasiment pas. Il est coûteux, il est relativement humiliant pour les élèves qui redoublent car on casse ainsi un lien avec la classe. Nous pensons que le redoublement est en bonne partie à éliminer de la culture du collège et du lycée.
Deuxième point, sur la formation. Comme je le disais, on forme des producteurs et on forme des citoyens. Ce sont deux choses qui doivent s'intégrer et qui doivent être en communion, cela doit former une sorte d'équilibre. Nous proposons qu'il y ait des stages obligatoires à partir de la troisième. En troisième, il existe déjà un stage, mais effectivement, un stage comme tu le disais, Benjamin, « café-photocopies ». Nous proposons donc dès la troisième un stage de quinze jours comme il est déjà prévu puis un stage d'un mois à chaque année du lycée. C'est tout à fait faisable en prenant une partie des vacances, cela apporterait beaucoup aux lycéens. Ce stage aurait lieu en entreprises et dans les administrations : il faudrait effectivement que l'État fasse un effort pour s'ouvrir aux lycéens. Le stage obligatoire pourrait, pour nous, apporter beaucoup. Même si c'est un stage « photocopies et café », on peut se rendre compte de l'ambiance d'une entreprise, savoir ce que l'on veut, savoir où est-ce que l'on veut travailler, rencontrer des adultes dans la vraie vie, en dehors du cercle familial. Cela pourrait apporter beaucoup aux lycéens, notamment ceux qui se posent des questions sur leur orientation. Pour ce qui est de se former en dehors de l'école, nous pensons qu'il est indispensable pour la jeunesse d'avoir accès à la culture, aux musées, aux théâtres, aux livres, aux opéras. Il faut que cela soit beaucoup plus encouragé. Nous proposons un « pass livres » qui serait délivré à tous les élèves au collège et au lycée. Ce « pass livres » d'un certain montant serait à dépenser non pas dans des bandes dessinées mais dans des livres à la FNAC, dans n'importe quelle librairie. Quand on a un « pass », on le dépense, donc on a des livres, on les a chez soi, on les lit, on en achète d'autres. Il s'agirait d'essayer de créer un engrenage, surtout dans les familles -- et il y en a un certain nombre -- qui n'ont pas du tout de livre, qui ont seulement quelques magazines. Il y a un certain nombre d'enfants qui arrivent à l'école et qui découvrent le livre à l'école. Il faut donc qu'ils puissent en avoir également chez eux. Se former en dehors de l'école, c'est aussi généraliser les accès gratuits aux musées. Les musées nationaux sont déjà gratuits aux moins de 18 ans, nous pensons qu'il est possible d'aller plus loin dans cette mesure et d'étendre la gratuité aux moins de 25 ans. Les musées ont la plupart de leurs revenus dus au tourisme et surtout au tourisme étranger. Ce n'est pas de les rendre gratuits pour les jeunes de la ville qui va coûter très cher.
Toujours dans la formation, un partage des compétences plus important entre l'école et l'entreprise est nécessaire. Nous ne sommes pas contre le fait de former aussi des producteurs et des gens actifs économiquement. Une plus grande synergie est fondamentale, il faut que les entreprises n'aient pas peur d'aller dans l'école, pas sous forme de sponsors, mais qu'ils soient présents comme une continuité, notamment à l'université. Néanmoins, on se positionne contre ce que l'on peut appeler « la culture du zapping » qui était présente dans la loi sur le lycée. Les jeunes doivent être astreints à une certaine discipline. Quand on commence le latin, on ne l'arrête pas six mois plus tard parce que cela nous ennuie. Quand on commence quelque chose, on le finit. Il s'agit d'une culture de la discipline et non pas quelque chose qui pourrait être zappé comme à la télévision ou comme sur Internet. L'école est quelque chose de sérieux, de sacré, pour nous. Il faut que le jeune ne puisse pas passer d'un cours à l'autre comme si ce n'était pas important, comme si en six mois il avait appris assez.
J'ai terminé sur l'autonomie et la formation et j'aimerais parler d'un point qui nous tient particulièrement à coeur au Mouvement Démocrate : le service civique. On peut l'appeler « service civil » ou « service civique » et le terme de « service civique » a pour moi plus de sens. Nous souhaitons le rendre obligatoire et nous pensons qu'un service civique obligatoire de 9 à 12 mois pour tous les jeunes gens, jeunes hommes et jeunes femmes entre 16 et 20 ans -- je ne sais pas quel est le meilleur moment pour le faire -- serait vraiment une manière de cimenter la citoyenneté française et européenne. Il faudrait évidemment que le service civique soit faisable à l'extérieur de nos frontières nationales et dans toute l'Europe. Cela créerait un sentiment d'appartenance à quelque chose, que le service militaire a pu faire à son époque -- mais seulement pour les hommes et dans un cadre très particulier. Il faudrait que le service civique mixe des jeunes de toutes les origines qui travaillent de 9 à 12 mois dans un projet citoyen commun. Il y a tellement de choses à faire dans les associations, dans les administrations, pour des projets citoyens, que le mettre en place serait vraiment une bonne chose. Si toute une génération y passait, il y aurait un ciment, un sentiment d'appartenance. Je vous remercie.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci à vous, Mademoiselle. On va passer aux Jeunes radicaux de gauche. Qui prend la parole, Mademoiselle Reviriego ou Monsieur Rocher ?
Mme Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - C'est moi. Madame la présidente, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Concernant les 16-25 ans, je pense qu'aujourd'hui, nous sommes tous unanimes pour voir apparaître le fait que la crise a un effet dévastateur sur les conditions d'avenir des jeunes de 16-25 ans. Je vais développer mon point plus précisément sur l'orientation et sur le chômage des jeunes.
Concernant l'orientation, nous sommes défavorables au fait que les stages puissent être faits depuis le collège et même au lycée. Il ne nous semble pas que cela soit gratifiant ou que cela constitue une expérience significative puisque c'est vrai qu'à ces jeunes âges, certaines subtilités du monde du travail, de l'organisation d'une entreprise et des jeux de pouvoir ne sont pas décelables, et seront plus pertinentes et plus appréciables pour un jeune qui entre en premier cycle universitaire ou en école, après le secondaire. Concernant la rémunération des stages, nous sommes pour une gratification substantielle de 600 euros minimum, dès le deuxième mois de stage. Nous sommes aussi pour le fait, au niveau de la représentativité, de pouvoir effectuer son parcours universitaire au niveau européen. Nous sommes effectivement pour l'échange. Il existe déjà pas mal de ressources à ce niveau par le biais d'Erasmus ou de Leonardo. Je pense en tout cas qu'en premier lieu, ce qui nous fait défaut ici en France, c'est la compétence linguistique. Je pense que notamment dans certaines filières, comme en sciences humaines, il faudrait adapter une option dès la première année sur les compétences linguistiques dans ce domaine parce que c'est aussi ce qui fait défaut aux jeunes. Ensuite, ce sera au jeune de choisir soit la langue la plus utilisée en Europe -- l'anglais -- ou une autre langue. En tout cas, la compétence linguistique fait clairement défaut aux jeunes Français.
Il y a aussi un autre point sur lequel je voudrais attirer votre attention, toujours concernant l'orientation. Je ne veux pas faire de militantisme, mais il est vrai que l'on constate dans certaines filières une surreprésentation féminine, notamment dans les filières paramédicales. Il me semble que cela n'est pas tout à fait significatif du système méritocratique dans lequel nous évoluons et pour lequel nous constations une certaine panne. Je pense que les surreprésentations féminines ou masculines sont bien l'un des signes des failles du système.
Concernant les jeunes issus des quartiers populaires ou en tout cas issus de milieux plus défavorisés, il y aurait beaucoup de choses à faire. Nous nous sommes penchés sur la possibilité des expériences de busing qui consistent à amener certains jeunes de ces quartiers dans d'autres écoles de milieux plus favorisés. Il est vrai que ces expériences sont assez intéressantes mais elles ne sont pas tout à fait concluantes, notamment par rapport aux parents, qui du fait de l'éloignement ne peuvent pas être aussi impliqués qu'ils pourraient l'être s'ils étaient dans un territoire plus proche. Mais en tout cas, il y a quelque chose à faire, je pense, dans cet élan, comme cela a été fait pour les grandes écoles, avec Sciences-Po. Il y a pas mal de choses à faire là-dessus et je pense qu'en priorité, il n'est pas pertinent de mettre des professeurs qui viennent juste d'avoir leur diplôme dans des environnements qui sont un petit peu compliqués au niveau social et même sociologique. Il faudrait peut-être mettre des enseignants un peu plus formés car c'est assez difficile pour eux et les conditions d'enseignement du système méritocratique ne sont pas assurées, me semble-t-il, dans ces territoires.
Concernant les problèmes liés à l'emploi, je pense qu'il faudrait essayer de créer une institution similaire aux comités locaux pour le logement et l'autonomie des jeunes, qui serait un comité pour l'emploi et l'autonomie des jeunes et mettrait en relais ces institutions, les jeunes et les entreprises susceptibles de recruter. Effectivement, il en existe déjà sur Internet ou cela passe également par le réseau des Bureaux des étudiants, mais je pense que d'avoir une structure complètement dédiée à cette vocation, comme cela existe pour le logement, pourrait être une solution afin de faciliter l'autonomie des jeunes et d'apporter un complément d'information sur l'orientation et les possibilités à venir.
Comme M. Lancar, nous partageons l'idée selon laquelle les universités et les établissements de formation doivent systématiquement publier des statistiques sur leurs taux de réussite, leurs taux d'échec et sur l'éventail de possibilités qui suivent les formations proposées. Pour prendre l'exemple des sciences humaines -- que ce soit la sociologie, la psychologie, les sciences du langage -- il est vrai qu'il existe un réel intérêt à la base mais que souvent, à l'issue de la licence, beaucoup se rendent compte que ce sont non pas des voies de garage, mais qu'il va être beaucoup plus difficile de trouver une issue professionnelle et un master, par rapport à quelqu'un qui a suivi un cycle généraliste comme le droit ou l'économie. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons qu'il y ait un stage obligatoire dès le premier cycle à l'entrée de l'université de manière à ce que les élèves soient en mesure d'évaluer dans quel secteur d'activité et vers quel type de formation professionnalisante ils veulent se diriger.
J'ajouterai que tout comme nos amis Jeunes Démocrates -- j'étais d'ailleurs assez surprise de l'entendre -- nous sommes pour un service civil obligatoire, qui serait un service de réciprocité vis-à-vis de la République. Cela pourrait se faire sous forme de mobilisation au sein d'associations ou dans d'autres types de structures, dans les administrations publiques. En Europe également, me souffle-t-on. Ce serait une manière pour le jeune d'avoir une première expérience, pour laquelle on pourrait d'ailleurs peut-être imaginer une validation des acquis, comme la VAE. Ce serait surtout une manière de bien comprendre les fondements républicains, le système méritocratique, la base du système éducatif français qui, je pense, est parfois mal perçu, notamment au niveau de la laïcité, qui est l'un des primats de notre système éducatif.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci bien. Nous passons la parole à Mlle Jeanne Thomas.
Mlle Jeanne THOMAS, coordinatrice des jeunes Verts Paris-Ile-de-France - Je voulais encore une dernière fois vous remercier de nous avoir invités. Je trouve cela très intelligent d'inviter des jeunes quand on réfléchit à des politiques sur la jeunesse et cela n'a pas toujours été fait.
Concernant l'orientation, il faut sortir du parcours à sens unique obligatoire, j'entends par là l'enchaînement « études-emploi stable-retraite ». C'est en effet quelque chose qui pèse beaucoup sur les jeunes aujourd'hui. On parlait de la crise, on a commencé en disant que la jeunesse allait mal, qu'il y avait un taux de suicide important. Et je pense que l'une des angoisses de la jeunesse est justement ce parcours pesant, ce parcours où l'on n'a pas le droit à l'erreur. Je pense qu'il faut promouvoir des parcours plus flexibles, permettant de pouvoir revenir aux études en passant par le monde du travail. Par exemple, un système de cours à crédits où l'on aurait un nombre de crédits que l'on pourrait utiliser tout au long de notre vie, pour pouvoir revenir aux études après avoir exercé un emploi. Je pense en effet que l'orientation est quelque chose qui demande du temps, de la maturité et que l'on ne peut pas forcément faire les bons choix au premier moment, que l'on n'a pas toujours la possibilité de les faire. C'est donc quelque chose de très important. Dans ce cadre, nous pouvons également parler de la validation des acquis et notamment celle de l'activité politique, associative et syndicale, permettant d'exercer l'esprit critique, ce qui est très important, dès le lycée. Cela permettrait également de ne pas laisser de côté les jeunes sans diplôme, qui sont les jeunes les plus touchés par le chômage aujourd'hui.
Nous pensons également qu'il faut revaloriser les filières professionnelles, notamment en les amenant vers les filières de l'économie de demain, comme les énergies renouvelables et les services à la personne. Nous pensons aussi qu'il faut revaloriser la faculté. Nous sommes en ce moment dans un système à deux vitesses avec les grandes écoles et la faculté. Nous pensons qu'il faudrait arrêter le système des classes préparatoires, qui est un système élitiste. La préparation aux grandes écoles devrait être insérée dans les facultés. Il faut promouvoir une université de qualité accessible à tous, et non pas la reléguer au rang de poubelle pour ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder aux grandes écoles. On disait au départ que certains ont la possibilité d'en entendre parler grâce à leurs parents et que d'autres n'ont pas accès aux grandes écoles.
Enfin, concernant le chômage, nous pensons qu'il faut avoir accès au chômage dès le premier emploi et non pas avoir dû travailler 6 mois dans les 24 derniers mois. Il y a en effet beaucoup de jeunes diplômés qui ont du mal à trouver un travail et on ne peut pas les laisser attendre d'avoir une expérience suffisante.
Je voudrais conclure en reprenant ce qui a été dit : on est là aujourd'hui pour réclamer une autonomie mais également plus d'égalité entre les jeunes. Je pense que lorsque nous parlons d'orientation et d'éducation, nous devons forcément parler d'égalité puisque c'est le premier but de l'école de la République.
Mme Nicole BONNEFOY, sénatrice de la Charente -Il s'agirait pour moi plutôt d'un complément puisque les jeunes du Modem et les jeunes Radicaux ont fait un certain nombre de propositions, dont celle d'un service civil ou civique obligatoire. J'aimerais simplement, puisqu'ils ne l'ont pas abordé, savoir ce qu'en penseraient les jeunes de l'UMP et les Verts ? Cette question me paraît fondamentale et je rappelle, Madame la présidente, que nous avions l'idée d'auditionner M. Ferry, je ne sais pas si nous l'avons finalement retenue... D'accord. Donc si on pouvait avoir sur ce point-là l'avis des jeunes de l'UMP et celui des jeunes Verts.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Tout d'abord, merci à vous d'être présents aujourd'hui. On dit souvent que les jeunes sont désabusés, qu'ils ne s'intéressent pas à la chose politique, vous nous montrez l'inverse parce que quelles que soient les convictions que vous avez, vous avez donné votre avis avec passion et c'est toujours intéressant d'avoir l'avis de jeunes qui s'intéressent à la chose publique. J'ai noté au fur et à mesure de ce que vous évoquiez un certain nombre de questions, même si les exposés que vous avez faits sont extrêmement complets. J'aurais aimé que vous puissiez nous donner plus de précision sur l'égalité des chances. J'ai entendu tout à l'heure qu'il y avait les « pépites de la nation », que vous aviez été dans les quartiers. Comment voyez-vous le moyen de diminuer la fracture qui existe entre les jeunes issus de milieux favorisés et d'autres qui sont dans des milieux beaucoup plus difficiles ? Je vais vite, pour cibler. Deuxièmement, vous avez les uns et les autres parlé d'un service civique. Certains ont été un peu plus précis. J'aimerais savoir comment vous l'imaginez. J'ai bien compris que pour un certain nombre d'entre vous, il était obligatoire, mais sur quel thème ? Les associations ? Comment vous voyez cela ? Sur 6 mois, sur 1 an ? Dans des associations caritatives, dans l'administration ? Comment imaginez-vous ce service civique obligatoire ?
Vous avez évoqué, pour un certain nombre d'entre vous, la filière professionnelle. Tous ne l'ont pas évoqué. Là aussi, j'aimerais savoir comment vous vous positionnez par rapport à cette problématique. Est-ce qu'il faut intégrer la formation professionnelle dès le collège, dès le lycée, comme c'était le cas il y a quelques années, ou est-ce que ce sont des filières particulières ?
Vous avez évoqué les stages dans les entreprises. Pour ce qui me concerne, bien qu'on n'en ait pas discuté dans cette mission, j'y suis assez favorable. Le problème est le suivant : comment convaincre les entreprises ? Vous avez également insisté sur la rémunération. Est-ce que ce n'est pas un élément qui risque de limiter le nombre de stages ?
Vous avez également évoqué l'orientation. Vous avez tous indiqué que l'orientation est aujourd'hui une espèce de superposition et qu'il existe un flou. Est-ce qu'à votre sens, il faut un service unique d'orientation ? Doit-on, sur un service unique, rassembler tout ce qui est à même théoriquement de vous donner les informations sur les métiers en tension ou sur les formations qui débouchent sur un emploi ? Voilà les quelques questions que je voulais vous poser, brièvement.
Mme Françoise CARTRON, sénatrice de la Gironde - Ma question recoupe cette problématique de l'orientation et notamment quelque chose que vous avez un petit peu évoqué et qui est très prégnant dans la jeunesse : ce pourcentage très important de jeunes qui décrochent du système scolaire et face auquel nous sommes un peu démunis. Très souvent cela se passe au collège, donc c'est bien en amont du lycée. Cela m'amène à poser la question de l'orientation au niveau du lycée, mais il me semble qu'il y a quelque chose à faire au niveau du collège. Il existe un débat autour de l'orientation précoce, qu'en pensez-vous ? Est-ce un handicap ou est-ce que cela pourrait être une solution pour certains jeunes ? Avec cette corrélation : intégrer un lycée professionnel à la fin de la troisième peut offrir plus de perspectives sur le déroulement de la scolarité que lorsque l'on y vient par défaut, après avoir été recalé dans le lycée d'enseignement général.
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP -Je vais commencer par la question de l'égalité des chances, car c'est une question qui nous a beaucoup animés. Je vous ai parlé de cette opération que l'on avait menée et grâce à laquelle nous avons remis toute une série de propositions. Quelques idées fortes, avec ce constat d'un taux de chômage des jeunes des quartiers populaires qui est le double du taux de chômage des autres jeunes. Les jeunes Radicaux parlaient de la pratique du busing. Pour nous, c'est en effet une bonne chose. L'idée clé est en fait de mettre un terme aux ZEP. Aujourd'hui les ZEP représentent 20 % des établissements scolaires dans notre pays, c'est beaucoup trop. Il faut mettre un terme à cela et se recentrer sur les réseaux « ambition réussite » qui sont en fait les ZEP les plus en difficulté. Au final, chaque ministre a un peu mis une ZEP dans sa circonscription ou son département, cela faisait plaisir aux élus locaux, sauf qu'au final, ce n'était pas cela qui améliorait la situation des collégiens et des lycéens. On souhaiterait donc mettre un terme aux ZEP et se recentrer sur les endroits les plus en difficulté.
Deuxièmement, on ferme les établissements les plus en difficulté où l'on sait qu'aujourd'hui ce sont des endroits où l'on va à la casse, pour pratiquer à la place le busing. Cela ne veut pas dire qu'on les ferme définitivement, cela veut dire qu'on les ferme pendant au moins une dizaine d'années et qu'on propose cette pratique de l'hétérogénéité sociale. Troisièmement, l'idée n'est pas de sortir les jeunes des quartiers et de les renvoyer le soir, finalement, dans ce ghetto. L'idée est au contraire de dire que les établissements qui doivent se réinstaller dans ces quartiers sont des établissements où il doit y avoir une plus grande autonomie, de l'autonomie dans les méthodes pédagogiques ou dans la gestion des élèves. Nous proposons donc qu'il y ait beaucoup plus d'établissements privés sous contrat où il peut y avoir de l'autonomie de manière plus importante, dans ces quartiers populaires. Ça, c'est pour la partie sur l'enseignement secondaire, peut-être que cela vous amène des débats.
Un autre point concerne la question de la carte universitaire, en particulier en Ile-de-France. On considère que ce n'est pas normal qu'un jeune, parce qu'il est dans le « 93 », soit condamné à aller à Villetaneuse. Non pas que ce soit une condamnation d'aller à Villetaneuse, mais le fait est qu'aujourd'hui, la réussite n'est pas à Villetaneuse. Pourquoi le jeune qui habite le XVIe arrondissement est-il pour sa part condamné à aller à Assas ? J'aimerais bien me poser la question. Donc on propose la suppression de la carte universitaire en Ile-de-France, pour nous c'est essentiel. Enfin, les Jeunes Radicaux parlaient sans le dire d'action positive, nous, nous sommes à fond pour l'action positive. Il s'agit en tout cas de développer un catalogue des meilleures pratiques de l'action positive. Je viens d'une grande école où le seul noir est un fils d'ambassadeur et où le seul arabe est fils d'ambassadeur. Ce n'est pas normal. Et ce que l'on veut, c'est que cela change. Alors, il y a plusieurs solutions, par exemple développer ce que fait Sciences-Po, dans le cadre d'un concours en parallèle. Je pense que ce que fait l'ESSEC, sur la pratique du tutorat, n'est pas suffisant, parce que finalement ils aident les lycéens, mais cela ne fait pas changer le public de l'ESSEC. Il faudrait aller plus loin et peut-être même jusqu'à proposer une voie différente sur des critères sociaux et territoriaux. En tout cas, cela commence aussi dès la classe préparatoire avec l'augmentation du pourcentage d'élèves boursiers en classes préparatoires, peut-être même avec un quota. Enfin, dans le même ordre d'idée, obliger les 10 % de meilleurs élèves de tous les lycées de France à aller en classes préparatoires, comme cela nous aurons au moins des jeunes de tous horizons qui seront orientés vers ces filières -- que l'on ne veut pas supprimer, je ne vois pas pourquoi c'est un problème, même si elles sont élitistes, moi je suis pour l'égalité des chances et pas pour l'égalité tout court.
Quelques précisions sur le service civique. La conviction des Jeunes Populaires, c'est : « Oui à un service civique obligatoire », mais 9 à 12 mois, cela paraît beaucoup trop. Nous pensons que la durée de 3 mois est une bonne durée, et qu'elle peut permettre en plus de le faire sur deux périodes, entre la première et la terminale et ensuite entre la terminale et l'enseignement supérieur. L'échelle européenne est pour nous essentielle, cela doit faire partie d'un service civique européen que l'on aimerait voir se développer à l'échelle de l'Union européenne. Voilà les quelques points que je souhaitais aborder.
Monsieur le sénateur, sur les stages en entreprises, je ne pense pas qu'il faille subventionner les entreprises pour les attirer davantage. Je pense que ce qui les attirera sera de savoir que les jeunes qu'ils pourront accueillir aujourd'hui seront des jeunes qu'ils recruteront demain, des jeunes qui seront donc mieux formés. Typiquement, si vous êtes à Clermont-Ferrand, Michelin peut avoir intérêt à prendre en stage des étudiants de l'université de Clermont-Ferrand. Il faut rapprocher, d'une manière générale, les entreprises des universités. C'est comme cela également que le lien se fera plus facilement. Au niveau des quartiers populaires nous serions pour la création d'un label fondé sur des critères territoriaux et sociaux : les entreprises qui recrutent les jeunes des quartiers populaires pourraient avoir un label et nous serions fermes avec celles et ceux qui n'ont pas ce label. Aucune entreprise n'ayant pas ce label ne pourrait prétendre accéder aux marchés publics.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - La question qui me paraissait très importante était celle sur les jeunes qui « décrochent » et sur l'orientation précoce. Nous sommes contre une orientation précoce au collège. Nous pensons que le collège unique est un ciment pour la citoyenneté et que tous les jeunes sont à même de finir le collège. Ils tireront beaucoup de choses pour leur futur d'un collège de la mixité -- d'un collège qui doit aller vers plus de mixité, notamment par rapport aux territoires. Nous pensons qu'une orientation au lycée, c'est déjà souvent précoce. 15 ans nous paraît déjà un âge assez jeune pour être orienté et pour nous, il est hors de question que l'on oriente des jeunes à 11, 12 ou 13 ans. Cela ne nous paraît pas l'âge où l'on peut choisir sa vie et la voie que l'on veut suivre dans sa vie.
Sur le service civique, je pense qu'un service civique de 3 mois serait un gadget. Ce ne serait pas un facteur de cohésion sociale, le ciment de la citoyenneté française et européenne, comme je l'avais exposé. 9 à 12 mois, c'est un vrai service civique, c'est un service militaire sans être militaire, c'est à remettre au goût du jour, avec toutes les femmes qui le feront, évidemment. Cela nous paraît quelque chose qui sera à même de changer en profondeur la société française et les générations de demain -- et pas juste un gadget où l'on va dans une association pendant trois mois avec ses copains.
Mme Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - Très rapidement, toujours sur cette question du service civique volontaire. Comme je l'ai exposé, ce serait dans une optique ambitieuse et de réciprocité avec la République. Nous pensons que 6 mois minimum seraient optimaux pour le jeune et que ce serait peut-être également une manière de financer par exemple l'accès au permis de conduire. L'important est qu'il y ait un échange de réciprocité entre le jeune et la République.
Concernant l'égalité des chances, nous sommes totalement opposés à l'idée d'une « labellisation » de certains jeunes issus de quartiers populaires et aux lycées sous contrats dans les quartiers défavorisés. Pour nous, ce serait complètement détruire ce que représentent la population française et la mixité sociale. Effectivement, il existe des problèmes particuliers dans ces types de quartiers, mais supprimer l'école publique dans ces espaces serait complètement contraire aux principes de la République. Voilà ce que je voulais ajouter.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci. Monsieur Benjamin Lancar, vous êtes mis en minorité sur la durée du service civique par deux jeunes femmes.
Mlle Jeanne THOMAS, Coordinatrice des jeunes Verts Paris-Ile-de-France - Très rapidement, sur la question de l'égalité des chances. On a parlé de Sciences-Po et des étudiants qui venaient des milieux défavorisés grâce à un concours parallèle. Je pense qu'à cette échelle, c'est très bien, mais en même temps, on ne peut accueillir tous les étudiants des quartiers populaires à Sciences-Po Paris. Ce qu'il faudrait plutôt, c'est une vraie scolarité de qualité dans les quartiers populaires. Pour cela -- et cela a déjà été dit, donc je ne vais pas m'appesantir là-dessus -- il ne faudrait pas de profs qui sortent des IUFM comme c'est le cas en ce moment car aucun prof qualifié ayant de l'ancienneté ne souhaite aller dans ces quartiers populaires. Il faudrait donc arriver à inciter les professeurs à venir dans ces quartiers grâce à des mesures comme des primes ou des heures moins contraignantes, parce que ce sont des métiers très fatigants.
Mme Catherine TROENDLE, sénatrice du Haut-Rhin -Vous avez tous évoqué les uns et les autres le système des formations par alternance. Vous le savez certainement tous, il existe également de nombreuses filières susceptibles d'être suivies en alternance. Est-ce que les uns et les autres avez une idée des raisons pour lesquelles ces filières ne se développent pas davantage ? Quelles sont les réticences ou les obstacles qui font que dans ces filières-là, le nombre de jeunes en alternance ne soit pas plus important ?
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Vous avez tous répondu à votre manière, avec des points communs et des spécificités, sur ce qui pourrait être le traitement de cette problématique de la jeunesse dans les quartiers. Vous avez évoqué le busing, la carte universitaire. J'adhère totalement à cette histoire de carte universitaire. Je me permettrais simplement de dire qu'il ne faudrait peut-être pas limiter cette ambition à la seule Ile-de-France parce que vous avez une problématique du même style ailleurs, en province, où l'on a construit des facultés neuves à l'écart, dans des quartiers périphériques et où seule la vieille faculté garde une notoriété. C'est un problème qui n'est pas singulier, même s'il est plus important en Ile-de-France. Quant aux busing, je sais qu'il y a des études qui montrent que ce n'est pas toujours un succès et une performance. Mais enfin, tout cela désigne des approches thérapeutiques d'un mal dont je ne suis pas certain qu'on en cerne parfaitement les contours au plan de l'approche diagnostic. Et comme un bon traitement implique un bon diagnostic, je me demande si, compte tenu de vos appartenances respectives, de ce que vous représentez en termes d'implication partisane, vous ne pourriez pas nous apporter, sur le plan de la démarche diagnostic des approches complémentaires par rapport à celles que nous pouvons avoir.
Deux exemples. Hier, on nous a demandé si la méritocratie avait encore un droit de citer ou si au contraire, il fallait voir les choses autrement. Deuxième exemple : le rôle des femmes dans cette problématique de quartiers, comment le voyez-vous ? Comment l'analysez-vous ? Merci.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Mademoiselle Reviriego, vous avez tout à l'heure parlé de la surreprésentation des filles dans certaines filières, notamment dans les filières sanitaires et sociales. Je n'ai pas bien compris ce que vous vouliez dire. Vouliez-vous dire que tant que les filles seraient surreprésentées dans certaines filières, notamment tout ce qui tourne autour du social ou du paramédical, on ne serait pas dans l'égalité ? Vouliez-vous dire qu'il faudrait davantage de filles dans les séries scientifiques et dans les orientations traditionnellement dites masculines ? Je voulais que vous me précisiez cela.
Mlle Jeanne Thomas, vous avez parlé de l'intérêt qu'il y aurait à sortir de cette espèce de carcan dans lequel on vous enferme : « études, surdiplôme, emploi » et tout cela avant 25 ans de préférence. Vous demandiez quelque chose de plus souple. Je voudrais vous dire que nous avons auditionné ici la semaine dernière ou la semaine d'avant une jeune sociologue qui a travaillé sur ce qui se passait dans les pays du Nord de l'Europe, notamment au Danemark. Elle soulevait ce problème typiquement français : chez nous, il faut arriver chez un employeur avec un CV bétonné, c'est-à-dire : lycée, études supérieures, stages et démarches vers l'emploi, tout cela sans interruption. Elle expliquait qu'au Danemark au contraire, on incitait les jeunes après la fin des études secondaires à vivre leur vie, à faire des expériences personnelles, à reprendre des études s'ils en avaient envie, quand ils le souhaitaient. Elle expliquait qu'un employeur appréciait au contraire particulièrement qu'un jeune ait quelques expériences personnelles et ne déboule pas dans l'entreprise tout de suite après avoir quitté Papa, Maman, le lycée et sa formation. Cela étant facilité par une allocation qu'ils perçoivent tous et qui équivaut au financement de 6 années d'études, quand même, les deux tiers étant financés par les pouvoirs publics et un autre tiers par un emprunt. J'aurais aimé avoir votre point de vue sur le fait que l'on ne mette pas ainsi la pression sur les jeunes en France et que l'on réfléchisse un peu à quelque chose de plus souple.
Dernière question à Benjamin Lancar. J'ai été un peu étonnée. J'ai bien compris pourquoi vous parliez d'une école un peu spécifique avec le busing et pendant ce temps, on repense l'école qui était dans ce quartier d'où l'on a sorti les jeunes. Vous pratiquez le busing et on met là en place une école plus souple, sur projet, avec une pédagogie plus adaptée. Jusque-là, je vous suis. Mais là où je m'inquiète, c'est que vous pensez que cela ne peut se faire qu'avec des écoles privées sous contrat. Parce que si je vous suis dans vos orientations, une école adaptée à ce type de jeunes, plus souple avec une pédagogie plus innovante et peut-être plus d'adultes, il me semble que l'on doit exiger cela de l'école publique. Donc je ne vois pas pourquoi vous parliez d'écoles privées sous contrat, comme si c'était la seule possibilité.
Mme Janine ROZIER, sénatrice du Loiret - Vous vous êtes tous exprimés et vous avez beaucoup parlé de secondaire. Je pense que vous êtes tous étudiants et je trouve dommage que l'on n'ait pas pu inviter un jeune qui serait déjà dans le monde professionnel, notamment parce que vous avez tous parlé de chômage. Or on demande des jeunes partout dans certains métiers, notamment dans les métiers de service et dans le bâtiment. Je pense à tous les jeunes dont on dit qu'ils s'ennuient à l'école et ne s'intéressent pas, tous ceux qui, à partir de la cinquième ou de la quatrième, bâillent en classe. Pourquoi n'incite-t-on pas tous ces jeunes-là à s'orienter vers des métiers qu'on a beaucoup déconsidérés ? Le travail manuel, on avait l'impression de déchoir quand on le faisait, mais je pense que si on revient un petit peu en arrière, même si la comparaison est un peu euphorique, pour bâtir des cathédrales, on n'a pas demandé d'avoir un bac + « je ne sais combien ». Et pour savoir travailler de ses mains, il faut avoir une tête bien organisée et c'est aussi un métier noble. Et les jeunes, dès qu'on leur donne quelque chose à faire quand ils ont 12, 13 ou 14 ans, souvent, ça les motive. J'ai personnellement 10 petits enfants, donc j'ai un large échantillonnage de 2 ans à 22 ans et je suis très contente de voir quand un petit dit déjà : « Moi je veux faire tel métier. » Parce qu'il a vu des gens travailler à tel ou tel endroit. C'est très bien de parler des jeunes de 16 à 25 ans, c'est même indispensable, mais je crois qu'il faut en parler depuis la sixième et peut-être même avant. Certaines communes, comme la mienne, font tous les ans un « Forum de l'emploi » en invitant toutes les entreprises de la commune qui le souhaitent à installer un stand. On fait venir tous les enfants des écoles, on leur fait des démonstrations, on leur montre des choses, ils voient des gens travailler et je pense que c'est motivant parce que toutes les voies ne conduisent pas aux grandes écoles. C'est très important que vous y soyez allés et que beaucoup de jeunes y aillent, mais c'est aussi important de faire tourner la France autrement.
Mme Nicole BONNEFOY, sénatrice de la Charente - Moi j'aurais juste une remarque. Vous avez parlé des formations par alternance, formations qu'il faut développer. Le seul problème est le parcours du combattant des jeunes dans ce type de formations en alternance, pour trouver des entreprises. C'est extrêmement difficile, vous avez pu le constater. C'est un vrai parcours du combattant pour les jeunes et pour les familles parce que les entreprises ne jouent pas le jeu, ou pas suffisamment. Alors qu'il y a une réelle nécessité à développer les formations par le biais de l'alternance. Il y a donc quelque chose à faire, probablement, vers les entreprises.
Présidence de Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Nous saluons l'arrivée de Mlle Laurianne Deniaud, qui a remplacé au pied levé M. Antoine Detourne, qui a eu un empêchement personnel, pour le Mouvement des Jeunes Socialistes. Donc maintenant, ceux qui veulent s'exprimer s'expriment et on donnera la parole, après cette série de questions, au Mouvement des Jeunes Socialistes, sur la première question qui avait été posée de façon générale. Ensuite, nous passerons à la deuxième partie du débat.
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Pour répondre à quelques questions et tout d'abord à la question du Professeur Etienne sur le diagnostic des quartiers populaires. On peut le dépeindre de plein de manières différentes. J'oserai le mot de ségrégation sociale, voire même de ségrégation ethnique. Je pense que c'est une réalité que les jeunes des quartiers populaires vivent au quotidien. C'est donc ce que l'on veut combattre. Certains jeunes ici présents disaient : « Il ne faut pas simplement seulement les grandes écoles. » C'est vrai, il faut aller plus loin. Mais il faut que toutes ces mesures d'actions positives ne soient pas seulement basées sur le critère ethnique : le critère social et territorial est en effet assez important. Ces actions positives peuvent se développer dans l'enseignement supérieur mais aussi sur la question de l'entrée sur le marché du travail. Nous soutenons par exemple la proposition de Fodé Sylla dans son rapport au Conseil économique et social, où il propose des « zones franches urbaines à l'envers ». Aujourd'hui, les zones franches urbaines, c'est finalement faire venir des gens des centres-villes dans des quartiers populaires et dans des vrais bunkers. Or l'idée est bonne, je pense, de dire : « Subventionnons les entreprises qui vont faire venir des jeunes des quartiers populaires dans les centres-villes. » Donc voilà une pratique d'action positive qui nous paraît intéressante pour répondre à ce diagnostic de ségrégation ethnique et sociale.
Sur la question des établissements privés sous contrat, la vérité est qu'actuellement, l'autonomie pédagogique ne nous paraît pas possible dans l'éducation nationale. Alors on peut changer les méthodes dans l'éducation nationale, mais cela risque de prendre du temps et nous voulons agir vite car nous pensons qu'il y a une urgence de la situation. Et aujourd'hui, d'après les auditions que nous avions faites de responsables d'établissements privés sous contrat, aussi bien de confessions religieuses que d'autres mouvements, il apparaissait qu'il y avait beaucoup plus d'autonomie et les pédagogies nous paraissaient intéressantes. C'est pour cela que nous avons cette dynamique-là. Maintenant, si nous sommes convaincus que l'autonomie des méthodes pédagogiques peut se faire dans l'éducation nationale, tant mieux, mais aujourd'hui, cela ne nous paraît pas être le cas.
Enfin, sur les propos concernant la possibilité de ne pas rentrer tout de suite sur le marché du travail après le secondaire ou en faisant des passerelles, cela nous paraît en effet essentiel. On en parlera certainement dans la deuxième série de questions, mais le taux d'activité des jeunes en France est moitié moindre que dans les pays scandinaves. Cela représente donc un problème. Et peut-être que ce qu'il faudra, c'est développer le travail étudiant. Pour le coup, je suis contre cette idée d'une allocation parce qu'on est jeune, je pense que ce n'est pas vraiment croire en la jeunesse de faire cela, c'est plutôt croire en l'État. Par contre, je suis beaucoup plus pour une démarche de contrat d'autonomie qui me paraît vraiment intéressante entre un jeune qui s'engage sur un projet ou un parcours, et l'État qui est là pour l'aider.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Bien, merci. En ce qui concerne votre sentiment de non-autonomie dans les écoles publiques, je pense que vous n'avez pas auditionné assez de personnes car il y a quand même une autonomie des méthodes pédagogiques -- et heureusement -- dans l'éducation nationale.
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Malheureusement, les résultats sont là pour nous montrer que s'il y a une autonomie, elle n'apporte pas de résultat.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Si, ils ont l'autonomie de leurs méthodes pédagogiques.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - J'aimerais revenir, si vous me le permettez, sur la question de la dernière vague, que j'avais oubliée, portant sur un service unique ou un guichet unique de l'orientation. Je pense qu'il faut clarifier le fouillis de l'orientation, qu'il faut peut-être avoir moins d'acteurs, mais un guichet unique ne représenterait pas la diversité des jeunes. La jeunesse est diverse, les jeunes sont divers, les jeunes sont pris dans une complexité formidable, enrichissante pour eux et aussi douloureuse. Un service unique ou un guichet unique, cela rentre dans un carcan. On voit un conseiller, on ne peut voir que celui-là, il nous donne une réponse plus ou moins satisfaisante et on ne prend pas assez en compte l'humain. Donc je suis pour qu'il y ait moins de fouillis, que ce soit plus ordonné, avec éventuellement plus d'information sur les différentes manières de s'informer sur l'orientation, mais pas pour un guichet unique. Gardez des acteurs divers, qui apportent leur tonalité et leur teinte à l'orientation.
Concernant l'orientation vers le travail manuel, je pense effectivement qu'il faut un changement de mentalité pour revaloriser ces emplois, qui ont été dévalorisés par le passé. Au sein d'une ville, amener les élèves de primaire à la rencontre de tous les acteurs économiques pour les voir travailler est une très bonne chose, qu'il faudrait généraliser. Néanmoins, nous pensons que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas assez de travail dans les métiers intellectuels -- parfois, le chômage y est plus important -- et une carence dans les métiers manuels ou les services et l'hôtellerie, qu'il faut forcer des jeunes ou les inciter de manière très poussée à aller vers un travail manuel alors qu'ils préféreraient avoir un travail intellectuel. On a également besoin de quelque chose qui n'apporte pas forcément une plus-value immédiate à la société, mais qui apporte la culture, la richesse, la civilisation.
Mme Janine ROZIER, sénatrice du Loiret - Il ne faut pas laisser perdre ce besoin et cette chance d'avoir chez nous « la belle ouvrage ». Il faut qu'il y ait des gens pour réparer les châteaux de la Loire, les cathédrales et autres monuments. Il faut que tous ces métiers où l'on savait tout faire, où l'on disait qu'ils avaient des mains en or, perdurent. Les jeunes de chez nous peuvent aussi avoir les mains en or et pour cela, il faut également avoir une tête bien remplie, bien pleine, et l'envie de travailler.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Oui, je voulais revenir sur le guichet unique. J'ai bien compris que la jeunesse était diverse, nous en sommes tous convaincus, car nous avons été jeunes, autour de cette table, on parle tous en experts !
La question que l'on se pose rejoint le bilan que vous faites : c'est extrêmement fouillis et pour s'y retrouver, c'est extrêmement compliqué. L'idée que je présentais était d'avoir un guichet unique qui représente la diversité, pour que les jeunes sachent où s'adresser pour avoir des informations sur les métiers en tension, sur l'orientation, sur les formations manuelles, etc. C'était cela, ma question.
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Juste un point sur le guichet unique, les Jeunes Populaires sont pour un guichet unique, cela nous paraît plus simple et c'est essentiel. Peut-être que je prendrai la parole après, mais je voulais répondre, puisque je ne l'ai pas encore fait, sur la question des filières professionnelles. Moi je vous le dis, c'est très simple : quand vous êtes étudiant à la fac, c'est impossible d'être en alternance aujourd'hui parce que votre formation n'est absolument pas aménagée pour cela. La multiplication des acteurs est un problème, mais il y a aussi ce problème-là d'études non aménagées.
Dernier point, pour revaloriser les filières manuelles, je pense sincèrement que permettre l'alternance dès 16 ans est essentiel, avec la possibilité de revenir après dans la formation générale.
Mlle Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - Concernant le bureau unique pour l'orientation dont vous avez parlé, c'est vrai nous, JRG, défendons la création d'un système public de suivi individualisé des jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification, reposant sur un réseau de médiateurs. Pour revenir à ce que Madame la sénatrice a exposé concernant la mise en valeur des savoir-faire et des métiers manuels, nous sommes également convaincus que ce sont des voies injustement dépréciées et que pour peut-être inciter les jeunes à aller vers ce type de filières et à les valoriser, il serait intéressant de mettre en place des fiches avec des grilles salariales. Peut-être que beaucoup de jeunes s'imaginent qu'en ayant un emploi dans le tertiaire, ils vont mieux gagner leur vie, alors que parfois, dans les métiers manuels, on peut très bien la gagner. Je pense que ces fiches seraient peut-être l'un des éléments moteurs.
Enfin, pour terminer, je dois dire que j'ai été un petit peu flattée lorsque vous avez pensé que nous étions tous des étudiants. Pour ma part, ce n'est plus le cas, cela fait un petit moment que je suis sur le marché de l'emploi, et bien évidemment, la question du chômage des jeunes nous préoccupe. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : je crois qu'en France, cela fait plus de trente ans que le chômage des jeunes est deux fois supérieur au chômage global. Donc bien évidemment, nous sommes concentrés sur cette question, nous vous proposerons des choses et nous attendons aussi de la part des élus qu'ils nous aident en ce sens.
Mme Françoise CARTRON, sénatrice de la Gironde - Je vais rebondir sur ce qu'a dit la dernière intervenante. On dresse un tableau de l'éducation nationale qui m'apparaît bien noir. Je voudrais dire qu'il existe une filière qui marche très bien mais qui n'est pas suffisamment valorisée : la filière de l'enseignement professionnel. Dans les lycées professionnels, comme le disait Madame, on forme le savoir-faire mais aussi le savoir-être, en développant chez le jeune toute cette partie de culture générale nécessaire, à côté du bon geste. Vous parliez des problèmes de l'alternance, mais dans ces lycées professionnels, il existe un vrai partenariat avec les industries et les entreprises qui sont autour, qu'elles soient artisanales ou industrielles, avec cet aller-retour permanent qui permet au jeune de bien comprendre dans quel monde il va s'insérer. Certains lycées professionnels organisent même le parrainage entre un artisan qui s'en va prochainement à la retraite et des jeunes qui pourraient apprendre le métier et reprendre la petite entreprise. Vous savez en effet que nous allons être confrontés, avec les effets de la pyramide des âges, à une disparition de certains artisans et métiers d'arts qui ne trouvent pas de repreneur. Donc toutes ces initiatives existent, mais le problème, vous l'avez dit, est celui de l'image. C'est pour cela que je posais la question de l'orientation, et il y a beaucoup de jeunes qui à mon avis trouveraient à s'épanouir, trouveraient à donner un sens à leur avenir et qui ne se tournent pas vers ces filières. Je vous interroge à ce sujet parce que c'est vrai que là-dessus, nous n'avons pas bien réussi. Le contenu est là, ces lycées professionnels sont ancrés sur les territoires ruraux comme urbains, ils irriguent vraiment notre territoire et donc peuvent toucher les jeunes de tout notre pays. Pourtant aujourd'hui, ils manquent de candidats.
Mlle Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - Si je peux me permettre de reprendre brièvement ce que vous avez dit, je pense que sociologiquement il y a un premier fait. La part des jeunes issus de familles défavorisées est plus importante dans des filières professionnelles et cela participe au déficit de l'image. Dans les filières artistiques notamment, c'est une tradition nationale, si je puis dire, de considérer que tout ce qui est corrélé à l'art n'est pas purement sérieux puisque ce n'est pas purement de l'intellect et que cela va à l'encontre du généralisme. Ceci participe donc également au déficit d'image dont souffrent ces filières.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Nous remercions donc encore Mlle Deniaud d'avoir réussi à se libérer au pied levé et de nous avoir rejoints. Ensuite, nous passerons à la deuxième partie du débat. La question liminaire était : « Pensez-vous que des politiques spécifiques doivent être développées en direction des jeunes ou qu'ils doivent être intégrés dans des dispositifs de droit commun ? » Et la première question à laquelle ont répondu tous vos camarades ici présents concernait le débat sur la formation, l'orientation et l'emploi -- à l'issue des questions qui viennent d'être posées, vous vous en doutiez un petit peu -- en deux temps : « Comment améliorer l'orientation des jeunes notamment pour renforcer l'adéquation entre les formations des jeunes et les besoins des entreprises ? » Et d'autre part : « Si vous en avez, quelles propositions et quelles mesures préconisez-vous pour réduire le chômage des jeunes ? » On vous écoute.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Je vous remercie. Je tiens en préliminaire à excuser Antoine Detourne, président du Mouvement des Jeunes Socialistes, qui a eu un petit souci personnel et qui regrette de ne pas pouvoir être parmi vous aujourd'hui. En ce qui concerne la première question, pour vous répondre au pied levé, nous pensons, au Mouvement des Jeunes Socialistes que la question de la jeunesse ne regarde pas seulement les jeunes. En effet, traiter des questions de jeunesse, c'est traiter de l'avenir de la société dans sa globalité. C'est pour cela que l'on trouve très intéressant que cette commission de travail ait été mise en place. Il faut se dire que certes, la jeunesse est une période particulière dans la vie, une période de forte transition à laquelle de forts risques sociaux sont alloués. C'est une transition entre un âge où l'on est dépendant intellectuellement et financièrement de ses parents et un âge de l'autonomie où l'on est en capacité de faire ses propres choix de vie et de maîtriser son destin. Donc oui, des politiques spécifiques pour la jeunesse parce que la jeunesse est un passage de la vie qui rend compte de questionnements et de difficultés particulières, mais il ne faut pas traiter la jeunesse de façon complètement isolée des autres problématiques de la société. Il est vrai que l'équilibre est assez périlleux à trouver entre ces deux impératifs : mettre en place des politiques jeunesse qui répondent aux problèmes que peuvent rencontrer les jeunes au quotidien, mais qui soient aussi un pari pour la construction de l'avenir de la société.
En ce qui concerne la première question portant sur l'orientation des jeunes : comment renforcer l'adéquation entre les formations des jeunes et les besoins des entreprises ? Il est vrai qu'aujourd'hui, lorsque l'on parle d'orientation et d'éducation nationale, on a tendance tout de suite à rapprocher ce débat de la question de l'insertion professionnelle et de faire quelques raccourcis. Nous, au Mouvement des Jeunes Socialistes, la première question que l'on se pose par rapport au système d'orientation et d'éducation qui est en place, c'est celle-ci : comment faire pour que demain, l'ascenseur social fonctionne à nouveau dans notre pays ? Comment faire pour que demain, des fils d'ouvriers et d'employés puissent devenir des cadres supérieurs et puissent prendre des responsabilités dans notre société ? Quand on dresse aujourd'hui le constat de l'orientation qui ne permet pas à l'ensemble des enfants et des jeunes de s'émanciper dans la société, on se rend compte qu'il existe deux barrières. L'une est économique parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir continuer des études supérieures. Ce n'est même pas donné à tous les parents de pouvoir acheter les fournitures scolaires de leurs enfants, y compris au primaire et au secondaire -- donc la question de la gratuité des fournitures scolaires est quand même quelque chose d'extrêmement important pour nous dans un premier temps, y compris pour les filières professionnalisantes et les formations en alternance. Mais la question financière n'est pas la seule barrière. L'autre barrière est sociale et culturelle. Elle est extrêmement forte et c'est à cela que doit répondre notre système d'orientation : pouvoir permettre à plus de jeunes de s'insérer efficacement sur le marché du travail. Alors peut-être quelques propositions par rapport à cela.
En ce qui concerne le système d'orientation proprement dit, pour rompre ces barrières culturelles et sociales, nous pensons qu'il est important de renforcer le service public de l'orientation mais aussi de l'information. En effet, une bonne partie des informations sur les formations supérieures sont payantes et ne sont pas en accès libre pour l'ensemble des étudiants et des élèves du secondaire. Donc ça, c'est quelque chose qui nous paraît important : un service public de l'orientation et de l'information globalisant, avec un guichet unique, parce qu'effectivement quand on est jeunes, on manque de repères, on ne sait pas trop vers où se diriger. Cela suppose aussi plus de moyens pour les conseillers en orientation parce qu'aujourd'hui dans un certain nombre de lycées et c'est encore plus vrai dans les études supérieures, pour avoir un rendez-vous avec un conseiller d'orientation, il faut attendre des semaines, parfois des mois. La question des moyens est importante mais aussi celle de la spécialisation. Pour vous donner un exemple, j'étais chef de projets « politique de la ville » deux années auparavant et je voulais profondément travailler dans le développement local. Et quand au lycée je disais que je voulais travailler dans le développement local, mes conseillers d'orientation me regardaient avec des gros yeux en me disant : « Mon Dieu, c'est quoi, cela, les collectivités territoriales et le développement local ? » Et personne n'a su m'apporter de réponse par rapport à cela. Donc je pense que c'est quand même important d'avoir une spécialisation par métier pour avoir au niveau départemental quelques conseillers d'orientation qui soient spécialisés par métier, avec des secteurs géographiques, mais qui soient aussi amenés à bouger en fonction des établissements par rapport à leurs spécialisations. La barrière culturelle est également une question familiale, car la famille est le premier lieu de socialisation pour les jeunes enfants et les élèves. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de parents -- je l'ai beaucoup vu dans mon travail, puisque je coordonnais également un projet de réussite éducative -- qui ont des difficultés à accompagner les enfants. On se heurte, notamment dans les quartiers en difficulté, à un certain nombre de parents qui sont réticents à l'idée de laisser les jeunes filles continuer leurs études supérieures. Donc il faut aussi être en capacité de trouver un système pour pouvoir aider les parents dans l'accompagnement vers l'émancipation de leurs enfants, avec des lieux d'accueil parents-enfants et peut-être des conseillers d'orientation qui sont plus à même de s'adresser directement aux parents.
Pour combattre ces barrières culturelles, la mise en place d'un service civique obligatoire est fondamentale, qui ne soit pas compris comme un devoir que l'on donne aux jeunes car on leur offrirait des droits de l'autre côté -- les jeunes sont quand même la seule tranche d'âge en France à qui on dit : « Avant d'avoir des droits, vous devez remplir un certain nombre de devoirs. » Or nous sommes bien d'accord, en République, les droits et les devoirs vont ensemble. Pourquoi demanderait-on aux jeunes de remplir un certain nombre de devoirs avant de leur donner des droits comme à l'ensemble des citoyens ? Ce service civique obligatoire ne serait donc pas un devoir mais un droit à l'expérimentation, pour pouvoir rencontrer d'autres jeunes venant de milieux sociaux différents et avoir le droit à une expérimentation singulière d'utilité sociale, ce qui leur permettrait également de faire leurs propres choix d'insertion professionnelle.
Je fais directement le lien avec la question de l'éducation populaire. L'orientation ne concerne pas seulement l'éducation nationale mais aussi l'éducation non formelle. Aujourd'hui en France, on connaît une attaque sans précédent sur l'éducation populaire, puisque les budgets des grandes fédérations d'éducation populaire ont été sabrés à hauteur de 25 %. C'est pourtant grâce à ces grandes fédérations que les jeunes peuvent avoir des expérimentations singulières à travers les activités de loisir, de sport ou de départs en vacances. Nous considérons comme extrêmement important le fait que les jeunes aient d'autres référents adultes que leurs parents ou l'éducation nationale. Cela peut être aussi des encadrants de l'éducation populaire.
Pour finir sur la question de la barrière financière par rapport à l'orientation, ce qui me permet de faire le lien avec la question du chômage -- car le niveau de diplôme reste encore la meilleure garantie pour être moins victime du chômage. Mais ce n'est pas aujourd'hui suffisant car même les jeunes diplômés d'un bac +5 sont victimes de déclassement et ont du mal à s'insérer sur le marché du travail. On a très peur qu'avec la crise, cela soit encore plus vrai, car il est fort probable que la majorité des jeunes diplômés qui vont arriver sur le marché du travail en septembre ne trouveront pas d'emploi et quand on ne trouve pas d'emploi dans les six premiers mois, d'autres jeunes entrent sur le marché du travail six mois plus tard avec des diplômes qui sont plus d'actualité et c'est donc un chômage de longue durée qui s'installe. On reviendra peut-être sur cette question dans la deuxième partie des débats. Pour trouver une solution à la question de la barrière financière par rapport à l'orientation, nous sommes pour une allocation d'autonomie individualisée en fonction des projets de chaque jeune, de ses propres ressources. Il s'agirait de mettre en place une déclaration fiscale : le jeune devrait faire un choix entre la déclaration fiscale de ses parents et sa propre déclaration fiscale et à partir du moment où il fait sa propre déclaration fiscale, en fonction de ses propres revenus et de ses besoins -- on n'a pas les mêmes besoins si on habite Paris ou Nantes, notamment en termes de logement -- pouvoir lui attribuer une allocation d'autonomie qui soit individualisée.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Du tac au tac, Madame la présidente, pour nous permettre de comprendre le service civil obligatoire dont vous avez parlé. Vous avez dit que c'était surtout important pour que le jeune puisse tester et apprendre par lui-même. Vous vous êtes donc placée au niveau du jeune, pas dans la logique de la contrepartie défendue par le MODEM et les Radicaux de Gauche. Pourquoi ce service civil serait-il obligatoire ? Il pourrait également être volontaire.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Il devrait être obligatoire car on sait très bien que si on met en place un service civil qui n'est pas obligatoire, ce sont toujours les mêmes jeunes qui vont pouvoir en bénéficier, c'est-à-dire les jeunes dont les parents ont les revenus nécessaires pour se permettre qu'ils ne travaillent pas pour avoir le droit à cette expérimentation singulière. Le service civil doit être obligatoire pour que le plus grand nombre puisse en profiter, même ceux qui n'en ont pas les moyens. Grâce à cette allocation, ils pourront eux aussi faire leurs expériences.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Il y avait un débat sur la durée, tout le monde n'était pas d'accord. Quelle durée préconisez-vous ? 3 mois, 6 mois, 9 mois, 12 mois ? Ou plus ?
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - 9 mois.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - 9 mois, d'accord. Merci. Le second débat porte sur l'autonomie, le revenu et le logement. Les questions sont formulées sur trois axes. Premièrement, quelle proposition défendez-vous pour améliorer l'autonomie financière des jeunes ? Deuxièmement, avez-vous des propositions pour augmenter l'offre de logements financièrement accessibles aux jeunes, qu'ils soient étudiants ou non ? Troisième axe, l'accès des jeunes au système de santé vous paraît-il satisfaisant et suffisant ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Merci, Madame la présidente. Nous avons en effet tous parlé d'autonomie : je pense que c'est un mot que la gauche a utilisé avant nous, il faut le reconnaître et pourtant aujourd'hui, je pense qu'à gauche comme à droite nous sommes d'accord sur cet objectif pour la jeunesse.
Commençons par ce que vous avez appelé l'autonomie financière. Il y a un vrai débat pour savoir s'il faut faire une allocation d'autonomie. Nous considérons que non. Nous pensons que ce n'est pas une bonne démarche de dire : « Parce qu'on est jeune, on a forcément de l'argent. » Ce n'est pas parce qu'on maintient la jeunesse dans l'assistance ou qu'on la paupérise que la jeunesse va s'en sortir. Il faut plutôt du donnant-donnant ou du gagnant-gagnant. Donc, ce que nous appelons, c'est une logique de contrat d'autonomie. Le jeune s'engage sur une formation, sur un parcours, et en retour l'État l'aide. Ça, c'est la première chose.
Autre chose pour l'autonomie financière, c'est de développer le travail étudiant. On entend souvent que ce n'est pas bien de travailler quand on étudie. Je pense que c'est une hérésie et je m'appuie sur le travail du rapport de Laurent Bérail, au Conseil économique et social, qui montre bien que lorsqu'on travaille moins de 50 % du temps passé en cours, c'est une bonne chose. C'est une bonne chose pour le revenu, c'est une bonne chose parce qu'on gagne en maturité et c'est une bonne chose parce qu'on rentrera plus facilement dans le marché du travail. Donc pour nous, c'est essentiel. A ce sujet, nous sommes, Jeunes Populaires, pour le travail du dimanche pour les jeunes, parce que quand on est jeune et qu'on travaille un dimanche, avec le projet de loi qui était en cours, on pouvait gagner le double de ce que l'on gagnait en semaine. C'est-à-dire que si on travaille 8 heures un dimanche, cela fait 16 heures de travail perçu. Or si vous faites la même chose en semaine, cela vous fait 3 heures pendant les 5 jours de la semaine, cela fait autant moins de temps pour réviser et pour préparer vos cours. Donc voilà déjà cette idée forte : développer le travail étudiant. C'est une hérésie qu'en France, le taux d'activité soit la moitié du taux d'activité dans d'autres pays. Il faut absolument développer cela, développer la rémunération des stages, aménager les cours et le parcours de formation pour que l'on puisse avoir des stages et que l'on puisse développer l'alternance. Il faudrait également développer encore plus les cours du soir pour qu'on aide celles et ceux qui travaillent à poursuivre leurs études. C'est vraiment essentiel et cela nous paraît un vrai combat. Et puis parlons de ce plafond prévu en 2007 par le gouvernement afin de défiscaliser le travail étudiant à hauteur de trois mois du SMIC. Nous pensons qu'il faut aller plus loin et le défiscaliser totalement. Voilà notre vision sur le travail étudiant, qui nous paraît vraiment une priorité, une manière pour les jeunes de mieux rentrer sur le marché du travail et d'augmenter leurs revenus.
La deuxième chose est la question du logement. On sait très bien qu'aujourd'hui le parc locatif des cités universitaires représente 6 % du parc locatif global. Le gouvernement respecte les préconisations du rapport Anciaux et c'est très bien, mais on sait que cela ne suffira pas pour permettre que tous les jeunes puissent, s'ils le souhaitent, quitter le domicile parental. La solution réside évidemment dans le parc locatif privé. Pour cela, nous avons plusieurs possibilités. D'abord, que le problème du logement étudiant ne soit plus le problème des CROUS, mais celui des universités. Les universités doivent s'engager. Je sais que certains présidents d'université sont contre, j'en ai parlé à Laurent Batsch, président de Dauphine, il est contre. Mais moi je considère à nouveau que c'est comme pour l'orientation, ce n'est pas le problème des étudiants mais leur problème. Les universités doivent avancer sur cette question-là. Pourquoi serait-il gênant pour les étudiants de dormir dans la « cité Total » ou dans la « cité Microsoft » ? Je ne pense pas que les oreillers avec des logos soient gênants pour le sommeil d'un jeune. Voilà aussi pourquoi on aimerait développer cette question-là. Mais cela ne suffit pas, il faut vraiment approfondir la question des allocations personnalisées au logement. Je suis aujourd'hui dans une grande école où une amie qui est la fille d'un ancien vice-président du MEDEF touche la même somme qu'un jeune des quartiers populaires. C'est aussi une hérésie.
Il faut donc recentrer la question des APL et conditionner davantage l'APL aux revenus des jeunes et aux revenus de leurs parents. Il faut aller plus loin là-dessus. Il existe une graduation dans l'APL mais les seuils sont tellement ridicules par rapport à la situation actuelle que soit on les réactualise, soit on conditionne beaucoup plus cette allocation aux revenus des parents et à celui des étudiants. Il ne faut pas seulement prendre en compte le revenu des parents, parce que sinon, ce serait en contradiction avec mon envie de rendre la jeunesse autonome. C'est vraiment important que l'on développe cette question des APL.
Trois idées qui ne sont pas des idées-gadgets, qui sont des idées importantes. Peut-être développer ce que l'on appelle « un toit, deux générations ». Aujourd'hui, il existe des chartes un peu pipeau que l'on peut trouver sur Internet, des chartes entre une personne âgée et un jeune qui vivraient sous le même toit. Il faut vraiment développer des garanties, dire au jeune qu'il ne sera pas un aide-soignant « bis », mais qu'il sera bien hébergé, et donner également des garanties à la personne âgée. Je pense que c'est quelque chose d'essentiel et cela rejoint le voeu exprimé par chacune et chacun ici d'avoir une jeunesse qui est aussi citoyenne, qui ne coupe pas le lien avec ses aînés. La deuxième possibilité est le logement modulaire, comme cela va être fait au Havre prochainement. Alors on peut gloser, on peut dire que c'est dommage de mettre des jeunes dans un conteneur, mais la vérité c'est que c'est peut-être mieux de les mettre dans des logements modulaires qui sont construits facilement et à moindres coûts et qui sont beaucoup plus modernes que certaines cités universitaires vieillissantes. Cela nous permettrait de développer le parc locatif dans les cités universitaires. Troisième idée : on a parlé des étudiants mais il faut aussi parler de celles et ceux qui entrent sur le marché du travail. Pourquoi est-ce que les mairies ne s'engageraient pas à laisser un quota de logement social pour ceux qui ont un premier emploi ? Voilà une possibilité qui existe. Certaines mairies l'avaient proposé dans leur programme pour les élections municipales de l'an dernier, ça n'a pas ou peu été appliqué, donc nous aimerions développer aussi cette idée.
En fin sur la santé, puisque c'était l'un des derniers points évoqués en ouverture, le chiffre des étudiants qui se considèrent en bonne ou plutôt bonne santé est de 93 %. Je ne considère donc pas que les jeunes ont un problème de santé dans ce pays, ils ont un problème de sommeil à 18 %, ils ont un problème de santé mentale à 30 % puisque beaucoup sont dépressifs mais par contre, je pense que ce qu'il faut absolument développer et mettre en pratique, c'est cette consultation annuelle gratuite pour les 16-25 ans qui est applicable depuis le 1er janvier 2009. Et puis sur des problèmes très directs comme la drogue ou l'alcool, nous avons une position qui est l'autonomie des jeunes. Cela veut dire que nous nous sommes posés contre la volonté du gouvernement de supprimer les open bars, nous pensons que c'est une mauvaise idée. Il est nécessaire de mieux encadrer les open bars mais ne pas les supprimer totalement. Ça, c'est la première chose. Et puis sur la question de la drogue, il faut vraiment que l'on accompagne davantage l'information. Aujourd'hui encore, cette question est trop taboue dans les collèges et lycées, il faut absolument améliorer l'information. Nous lancerons une mission qui réfléchira non pas à la légalisation mais à la dépénalisation. Voilà des possibilités que l'on a.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - De toutes les drogues ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Non, des drogues douces, évidemment, c'est vrai qu'il est important de le préciser.
Voilà notre vision. L'idée principale est l'autonomie des jeunes, privilégier la liberté de réussir mais aussi la liberté de se tromper. Voilà un petit peu nos idées sur cette question.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Merci. Comme vous allez bientôt nous quitter, je vais un peu bousculer l'ensemble des autres participants et l'ordre des choses. Je crois que Monsieur le rapporteur a quelques questions à vous poser et j'en ai une aussi très courte : 93 % des jeunes s'estiment en bonne ou plutôt bonne santé, ce sont des jeunes ou des étudiants ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Il s'agit des étudiants.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci, Madame la présidente. J'ai deux questions : vous avez parlé de l'allocation d'autonomie en disant qu'il ne fallait pas la généraliser. On peut ou pas partager votre avis mais il y a des systèmes qui fonctionnent très bien en Europe du Nord. Il y a un automatisme de l'aide, sans que cela pose de problème sur l'emploi, car les jeunes vont à l'emploi relativement rapidement. J'aimerais savoir si vous pensez -- même si vous avez dit non -- que ce qu'il se passe dans les pays nordiques pourrait être appliqué dans notre pays. Deuxièmement, vous avez évoqué les aides, notamment la façon d'aider en fonction du projet. Est-ce que vous pourriez aller un peu plus loin dans ce schéma ? Comment vous contractualisez ? Vous intégrez les revenus des parents, vous prenez essentiellement en compte le jeune, qu'est-ce que vous aidez, à quelles proportions ? Pouvez-vous rentrer un peu plus dans le détail ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - En effet, le modèle scandinave est un modèle intéressant. Ce que nous pensons vis-à-vis du problème de l'allocation d'autonomie, c'est qu'un jeune soit aidé dès 18 ans sans la moindre contrepartie ne nous paraît pas bon. Ce n'est pas notre vision de la société. C'est pour cela que l'allocation d'autonomie ne nous paraît pas une bonne chose en tant que tel. En revanche, quand on parle de contrat d'autonomie, cela veut dire que c'est pour aider les jeunes les plus en difficulté. Il s'agit de concentrer les aides sur celles et ceux qui en ont le plus besoin, mais avec vraiment cette logique de contrepartie. Comment calcule-t-on cela ? Peut-être que vous avez reçu les syndicats étudiants et notamment l'UNEF la semaine dernière, eux souhaitent regrouper les bourses et l'ensemble des allocations pour réaliser cette allocation d'autonomie. C'est clair que pour ces jeunes, si contrat d'autonomie il y a, il doit y avoir le conditionnement des bourses, des aides au logement, des aides pour l'accès aux soins. Il faudrait que toutes ces aides soient prises en compte selon les revenus des parents et suivant ce que donnent les parents aux enfants. Cela engagerait d'ailleurs une réflexion pour savoir comment on défiscalise cet argent donné par les parents aux enfants. Cela peut-être une idée. Cela suppose vraiment une approche globale sur tout ce que le jeune va percevoir comme revenu. Mais ce qui est essentiel pour nous, c'est cet engagement du jeune sur l'assiduité aux cours, le fait de s'engager sur telle période à avoir un stage ou un emploi, par exemple pendant les vacances. C'est cela que l'on suppose. Evidemment, ce n'est pas un blanc-seing que l'on donne pendant cinq ans, mais un suivi personnalisé. Je pense que ce serait une autre vision de la société. C'est vraiment de dire que l'on accède à cette aide et ce pari de l'État sur la jeunesse -- et non pas un pari de la jeunesse sur l'État -- en vertu d'un contrat et donc d'un parcours sur lequel on s'engage et qui doit viser la réussite. Voilà, j'espère vous avoir répondu de la manière la plus précise et je suis prêt à compléter mes propos.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - J'ai juste un peu tiqué sur le salaire double du dimanche. Il est vrai que beaucoup de jeunes, dans la mesure de leurs possibilités et des postes disponibles travaillent déjà soit sur les marchés, soit dans les boulangeries, soit dans les magasins ouverts le dimanche, soit en période de fête, certains dimanches matins. C'est vrai qu'ils ne sont pas spécialement payés double et je pense en effet que ce n'était pas l'objectif de la loi d'embaucher les jeunes et de les payer double. Je pense que dans ce cas, les employés réguliers auraient peut-être quelques soucis à se faire, si le travail du dimanche était réservé pour les jeunes, qui de surcroît seraient payés double. C'était juste une remarque, je n'ai pas pu m'empêcher de réagir. Sinon, j'apprécie beaucoup un certain nombre de vos propositions.
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Ceci dit, pour nous, le travail du dimanche est essentiel. Lorsque vous voyez les jeunes dans tout le pays, ils ont besoin de travailler le dimanche, parce que certains ne peuvent même pas le faire en semaine. Ils ont besoin d'avoir le choix de pouvoir le faire.
Mlle Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - Il a été exposé que l'une des possibilités pour l'autonomie des jeunes passait notamment par des stages en entreprises. Mais précédemment, tu as dit que tu étais en faveur de seulement 20 % du SMIC pour les rémunérations de stage. Donc comment avec 20 % du SMIC peut-on prétendre à l'autonomie ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Oui, voilà, c'est cela : la loi dit aujourd'hui que les stages de plus de trois mois sont payés un tiers du SMIC, 31 %. Nous, ce que l'on veut, c'est que même en dessous de deux mois, on soit obligés de payer 20 % du SMIC et qu'au-dessus de deux mois, ce soit 40 % du SMIC de rémunération. Ça ne veut pas dire qu'il faille seulement payer cela, mais cela veut dire qu'au moins, c'est un minimum. Je pense que c'est essentiel et j'insiste vraiment : dans la fonction publique comme dans le privé.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - J'aurais voulu savoir comment vous encadrez les open bars ? Vous avez dit que vous étiez pour les open bars. J'ai également apprécié ce que vous avez dit sur la dépénalisation, mais je voudrais savoir comment vous encadrez les open bars ?
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Je vous ai dit qu'on ouvrait une mission sur la dépénalisation, je ne vous ai pas donné l'avis des Jeunes Populaires dessus. Je dis que c'est une réflexion, car nous sommes en adéquation avec la société. Sur les open bars, il y a deux possibilités. D'abord, développer et subventionner beaucoup plus des associations étudiantes qui proposent des actions concrètes, comme des bus qui circuleraient entre toutes les boîtes de nuit d'un quartier ou d'un secteur pour ramener les jeunes en état d'ébriété. Voilà, c'est déjà un premier pas. Deuxième idée, ce serait de rendre beaucoup plus responsables les établissements où se pratiquent des open bars, sur l'état des jeunes à qui l'on donne des consommations. C'est cela, aussi : on incrimine beaucoup la jeunesse dans ce dossier-là, il faut aussi incriminer les responsables des établissements où l'on boit. C'est comme cela que l'on veut mieux les contrôler.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Oui, mais c'est bien cela, l'interdiction. L'interdiction des open bars, c'est de dire justement...
M. Benjamin LANCAR, président des jeunes de l'UMP - Non, mais quand je parle de contrôle, c'est aussi s'arrêter à une certaine heure, s'arrêter sur un niveau d'alcool -- peut-être que l'open bar sur la bière, c'est plus facile que l'open bar sur les tequilas ou sur la vodka. C'est cela, le débat que l'on ouvre sur le contrôle. En tout cas, cela ne paraît pas une bonne chose que d'interdire. Quand on parle d'autonomie, c'est aussi savoir se tromper et savoir apprendre de ses erreurs.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - Sur les trois points autonomie, logement et santé, je vais commencer par l'autonomie. Au Mouvement Démocrate, nous sommes réservés sur la possibilité d'une allocation d'autonomie universelle. Nous ne sommes ni complètement pour, ni complètement contre. Nous sommes encore en réflexion sur ce problème. Une allocation d'autonomie pour les étudiants qui suivent leurs études, qui ont eu une scolarité suivie, un suivi de stages ou d'emploi pendant l'été -- comme le disait Benjamin -- nous apparaît une meilleure chose qu'une allocation universelle donnée à tous et surtout sans considération des revenus des parents ou des revenus de l'étudiant.
Sur le travail étudiant, ce n'est pas une hérésie que de dire qu'il y a des étudiants qui travaillent, il y a des étudiants qui travaillent trop et que cela nuit à leurs études. Le président des Jeunes Populaires disait que quand on fait un travail qui dure moins de 50 % de ses heures de cours, ça ne nuit pas aux études. Mais moins de 50 % des heures de cours, à la fac, serait un travail qui dure de 5 à 10 heures par semaine et ce n'est pas comme cela que l'on a une autonomie financière. Ce n'est pas non plus ce que font les étudiants. Il y a des étudiants à l'université qui font un travail de presque 35 heures, qui font 25 heures de travail par semaine et cela nuit profondément à leurs études, c'est contre-productif. Ils voulaient un travail pour financer leurs études et finalement, ils ne font qu'un travail et ils ratent leurs études. On pense donc que le travail étudiant n'est pas à développer, en tout cas pour les classes les plus populaires qui travaillent parce qu'elles ont vraiment besoin d'argent et qu'ils ne peuvent faire autrement, il faut trouver une autre solution pour les sortir de cela, éventuellement une allocation d'autonomie s'ils font des études. Il ne faut pas vouloir à tout prix que les étudiants travaillent. Les étudiants sont là pour étudier et c'est une autre période de la vie que celle du travail. Sur le travail du dimanche, nous sommes absolument contre. C'est une journée particulière, le dimanche, c'est une journée par semaine pour les choses de l'être et non pour la société de l'avoir et de la consommation. Comme vous l'avez souligné, les heures ne sont pas forcément payées double, il y a des employés qui ont besoin de travailler le dimanche, on ne va pas mettre des étudiants le dimanche. Ils ont déjà cours parfois cinq jours par semaine, ils étudient, ils doivent aller à la bibliothèque, il n'y a pas de raison pour qu'ils n'aient pas cette journée de repos comme le reste de la société.
Sur le logement, nous proposons une idée forte pour l'accès au logement quand on est étudiant et que l'on n'a pas forcément les parents derrière soi pour aider : il s'agit d'interdire les cautions d'une manière générale et pas seulement pour les étudiants. Nous proposons d'interdire les cautions et de les remplacer par un système d'assurance mutuelle. C'est-à-dire que l'on prendrait une assurance en cas de défaut de paiement, il y aurait des assurances qui se spécialiseraient dans l'assurance du logement et les cautions seraient interdites pour tous les logements dans le parc privé. On voudrait également que soient construits de véritables campus, c'est-à-dire que les campus ne soient plus des lieux pour les personnes les plus défavorisées ou les plus éloignées de leur famille qui sont obligées d'y aller, mais que ces campus contiennent presque autant de place de logement que de place d'étudiants à la fac. Il faudrait que ce soit l'objectif pour les futures universités et les restaurations. Evidemment, il faudrait construire plus de logements, c'est facile à dire mais cela demande énormément de moyens. Il existe une pénurie de logements, les prix moyens flambent dans les grandes villes, il faut donc en construire plus. Il faut également construire plus de logements sociaux, surtout dans les villes qui ne respectent pas encore les 20 %.
Par rapport à la santé, nous proposons un carnet de cinq « tickets santé » par an et par étudiant, qui seraient incessibles et invendables. Ce ne serait donc pas une visite obligatoire mais 5 tickets. Alors les étudiants qui se sentent en très bonne santé - manifestement 93 % se sentent en bonne santé mais un tiers est quand même dépressif, je vois donc une petite incohérence dans ces chiffres -- n'auraient pas à utiliser ces « tickets santé », ils auraient seulement une visite médicale obligatoire dans le cadre de leurs études. Et ceux qui se sentent en moins bonne santé, qui ont des problèmes particuliers, qui doivent voir des spécialistes, auraient un carnet de cinq tickets santé à utiliser comme ils le veulent pendant l'année. Cela ne coûterait pas très cher puisque les visites sont actuellement globalement remboursées par la Sécurité sociale étudiante. Ce serait pour n'importe quel médecin de secteur 1.
Par rapport à la santé, nous proposons qu'il y ait plus de cours de prévention, plus d'information au lycée. Nous sommes complètement pour les distributeurs de préservatifs dans les lycées et que les infirmières scolaires soient en nombre suffisant pour accueillir les jeunes qui se posent des questions, les jeunes qui se sentent en demande, en mal-être, de questions par rapport à la santé.
Contrairement aux Jeunes Populaires, les Jeunes Démocrates sont pour la loi sur l'open bar et trouvent que c'est une bonne initiative du gouvernement que d'avoir supprimé les open bars qui font beaucoup de mal. Tous les open bars ne sont pas des lieux de beuverie où les jeunes sortent dans un état pas possible, mais beaucoup le sont. C'est donc une bonne chose que d'avoir supprimé les open bars. Il y a des soirées étudiantes où les boissons ne sont pas très chères mais cela permet au jeune de voir que boire un verre de vodka-coca, cela a un prix, c'est quelque chose, et cela permet également de ne pas en prendre dix dans la soirée, car cela crée des excès. Et je pense que les jeunes ont déjà chez eux pour faire éventuellement des excès, il n'y a pas de raison qu'un commerce fasse de l'argent sur les excès de l'open bar.
M. Romain ROCHER, président de la commission des Opérations électorales des Jeunes radicaux de gauche - Au niveau des ressources, nous sommes tout à fait pour la création d'une allocation d'autonomie. On pense que c'est une mesure juste, une mesure qui assurerait le minimum des droits fondamentaux. Et c'est vraiment connexe, puisque dedans, cela intègre une facilité pour les logements, une facilité pour la santé. Donc pour l'allocation d'autonomie, nous espérons qu'elle soit rapidement mise en place parce que pour l'instant, il n'y a que les systèmes de bourse et, pour certains étudiants, quand ils en ont la possibilité, les crédits. Et les crédits sont extrêmement chers et ont un impact sur leur temps de travail en université ou en école de formation qui est important, puisqu'un crédit, vous le remboursez immédiatement, parce que les banques, elles sont comme ça, maintenant. Donc ce que nous désirons, en plus de l'amélioration du système des bourses, c'est aussi qu'au niveau des crédits, le début des remboursements se fasse au moment où le jeune a un premier travail et se trouve donc dans la possibilité de pouvoir rembourser. Les crédits seraient garantis par l'État, c'est-à-dire que l'État donnerait la possibilité que tout jeune puisse disposer de ce genre de crédits.
Nous sommes aussi -- et c'est en rapport avec cela -- pour que les jeunes, dès leur majorité, remplissent leur propre déclaration d'impôt. Ils pourraient y indiquer cette allocation d'autonomie, un crédit s'ils en ont besoin, une bourse. Toutes ces choses-là pourraient donc être mises en vue.
Concernant le logement, la loi SRU a théoriquement instauré la notion de droit au logement opposable. Mais vu l'état du logement étudiant aujourd'hui, qui est très largement déficitaire, il nous est impossible de concevoir que ce soit mis en place de façon forte à travers toute la France. Pour cela, nous pensons que les étudiants ou les jeunes en formation professionnelle ou les jeunes commençant leur vie professionnelle doivent avoir accès plus facile au logement privé. Nous souhaitons pour cela un statut juridique de la collocation et de rendre opposable juridiquement la possibilité qu'il y ait deux ou plusieurs personnes prenant le bail et ainsi permettre que s'il arrive des problèmes et des difficultés, le propriétaire soit facilité dans ses démarches pour résoudre ces problèmes. Nous sommes aussi pour qu'il y ait beaucoup plus de comités locaux pour le logement et l'autonomie des jeunes. Il y en a environ une soixantaine à travers la France et il en faudrait largement plus. Je n'ai pas vraiment de chiffres, mais le double serait un minimum.
Concernant la santé, on revient toujours à la même chose, à savoir les problèmes financiers. Actuellement, un quart des jeunes passent par leurs parents pour avoir accès à un médecin, ce qui est quand même terrifiant. On a 23 % des jeunes qui ne se soignent pas, qui ne vont jamais chez le médecin. Il faut donc permettre que les jeunes aient plus facilement un accès au médecin. L'allocation d'autonomie aurait un impact sur cette question, parce qu'elle garantirait à tous -- bien sûr, dans un moment d'études, un moment de formation -- de pouvoir avoir accès au minimum, de pouvoir se soigner.
Mlle Sandra-Elise REVIRIEGO, trésorière des Jeunes radicaux de gauche - Je tenais simplement à préciser que suite à la parution du rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre, on apprend qu'une fraction considérable de jeunes loge dans des habitations qui ne répondent pas du tout à leurs aspirations, que ce soit du point de vue de la dégradation, de la mauvaise insonorisation, de la surface trop faible, des difficultés à se chauffer, sans compter une des résultantes de toutes ces difficultés qui s'accumulent : les retards de paiement. On peut appeler un effet « double ciseaux », il y a à la fois la pression des revenus et de l'autre côté la pression de la hausse du coût des loyers. Vous nous interrogez en cette matière à juste titre, mais c'est vrai que même si nous avons des éléments de solution, on en appelle à vous, élus, pour nous aider concrètement sur ce problème. Presque 30 % des jeunes sont aujourd'hui dans cette situation -- quand je dis « des jeunes », je suis désolée, j'élargis un peu plus, il ne s'agit pas seulement des 16-25 ans, mais plus les 18-29 ans qui sont aussi concernés. En tout cas c'est un problème qui est presque de santé publique. C'est vrai que lorsque l'on habite dans un logement qui est à la limite de l'acceptable au niveau sanitaire, on peut dire qu'il y a réellement un problème aujourd'hui en France.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Une parenthèse, puisque vous nous renvoyez l'ascenseur. Vous savez, on se sert un peu de vous, là. On n'a pas choisi cette mission par hasard, on a choisi de participer à cette mission parce qu'on est concerné par la problématique jeune. Simplement, le fait d'auditionner, vous et d'autres personnes -- des chercheurs et des personnes concernées par ces problèmes -- nous donne des arguments de plus pour convaincre l'ensemble des parlementaires qu'il y a urgence à trouver des solutions pour l'emploi, le logement, pour la santé.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Sur la question de l'allocation d'autonomie, je vais faire très court car j'en ai déjà parlé lors de ma première intervention. Je ne voudrais simplement pas que la proposition du Mouvement des Jeunes Socialistes soit caricaturée dans ce qu'elle est. Nous sommes pour une allocation d'autonomie qui soit universelle et individualisée en fonction du projet d'insertion et de formation professionnelle. Nous ne sommes pas pour un revenu minimum jeune. Ce n'est quand même pas la même proposition. Universelle, cela veut dire que chaque jeune y a droit à partir du moment où il est dans un projet, que ce soit de formation ou d'insertion professionnelle.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Universelle, mais conditionnelle.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Oui, mais ouverte à tous les jeunes, de 16 à 30 ans.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Mais pas conditionnée aux revenus des parents, conditionnée aux projets du jeune.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Conditionnée aux projets du jeune, à ses propres revenus, avec une déclaration fiscale qui soit indépendante, avec la suppression de la demi-part fiscale sur la déclaration des parents pour les jeunes qui ont plus de 18 ans afin de pouvoir récupérer cette demi-part fiscale et la remettre dans un paquet commun pour l'allocation d'autonomie, ce qui, d'après nos calculs qui datent d'un an, représentait à peu près 7 milliards d'euros.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'est donc la demi-part fiscale des parents que l'on récupère.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Oui.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - C'est à peu près la même chose, au MODEM ?
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates -Nous sommes encore en réflexion sur ces problèmes. Effectivement, le fait que l'allocation soit conditionnée au fait d'étudier, d'avoir un projet, d'être en alternance, nous sommes tout à fait pour. Sur la question de la demi-part, il paraît logique que les étudiants qui touchent une allocation ne soient pas sur le revenu fiscal de leurs parents et que les parents ne touchent pas en plus une déduction fiscale pour la demi-part.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Ils sont d'accord qu'on leur supprime la demi-part, vos parents ? Oui, on vous écoute.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes -Sur la question de la santé, je suis assez curieuse de savoir d'où vous tenez vos chiffres, parce que moi je n'ai pas eu accès à ce genre de chiffres. Benjamin Lancar n'est plus là mais je suis assez surprise des 93 % de jeunes qui se disent satisfaits car moi, dans les enquêtes que j'ai, c'est 13 % des étudiants n'ont pas de complémentaire santé et 25 % des étudiants qui disent ne pas avoir accès aux soins dont ils avaient besoin faute de revenus suffisants.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Le manque de soins concerne surtout les soins dentaires.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Les soins dentaires, les soins ophtalmologiques, les soins gynécologiques. C'est quand même toutes ces choses-là qui ne sont pas remboursées par un certain nombre de mutuelles et par la Sécurité sociale pour les pilules contraceptives de deuxième et troisième générations. C'est également important, quand on parle de prévention et de contraception. L'accès à la santé des jeunes nous interroge fortement. Nous proposons la mise en place d'une « carte santé jeune » pour que les jeunes puissent avoir accès aux soins sans les avancer, la mise en place d'un « chèque santé » pour permettre aux jeunes d'avoir accès à une mutuelle, parce que le gros problème n'est pas seulement l'accès à la Sécurité sociale, mais c'est bien l'accès aux mutuelles complémentaires pour les jeunes aujourd'hui. C'est là que se situe le décrochage, d'après les chiffres que nous avons.
En ce qui concerne la santé, Benjamin Lancar parlait du nombre de jeunes qui étaient fortement dépressifs. Nous avons rencontré pas mal de personnel soignant et il y a quelque chose qui nous remonte assez fréquemment et qui est un peu inquiétant chez les jeunes garçons qui ont quelques problèmes pour construire leur identité et notamment leur identité liée au genre, c'est-à-dire la construction sociale du sexe. Dans le cadre de l'éducation nationale, on n'aborde pas du tout la question du sexisme et de l'homophobie et il apparaîtrait -- je sais que des enquêtes sont en court -- que l'homophobie est quelque chose de plus en plus dur à vivre et notamment pour les jeunes garçons au niveau du secondaire. On n'a pas encore les données mais ce serait peut-être intéressant de pouvoir accéder à un certain nombre de recherches autour de cette question-là. On remarque notamment que le taux de tentatives de suicide chez les jeunes garçons est en forte augmentation.
En ce qui concerne la question du logement, qui représente le premier poste de dépenses pour les jeunes actifs et les 54 % d'étudiants qui ne vivent plus chez leurs parents, on a quelques chiffres. Il faut savoir que les petits logements ont des prix au mètre carré de 40 % à 50 % plus élevés que ceux des grands logements. Or les jeunes vont plus directement dans des petits logements, donc c'est une barrière importante. Autre élément important pour les dynamiques de logement que l'on ne peut pas traiter en dehors de la question de l'accès au logement de manière générale dans la société : on s'aperçoit que les loyers des petits logements augmentent beaucoup d'année en année parce qu'il y a un turnover important. Là où les propriétaires ont un plafonnement d'augmentation des loyers lorsque le locataire reste le même, il n'y a pas de plafonnement des loyers lorsque le locataire change tous les ans. Donc du coup, nous pensons qu'il serait quand même intéressant, notamment pour rendre service à ces étudiants qui changent de logement tous les ans ou tous les deux ans, de plafonner l'augmentation des loyers de manière générale. Bien évidemment, un plan important de construction de logements pour les étudiants est également nécessaire, mais cela a déjà été dit. Il y a aussi la question de la taxe d'habitation qui est une question qui se pose plus largement que pour les jeunes, parce que c'est quand même un impôt qui est profondément injuste de manière générale dans la société, mais c'est vrai que les jeunes sont touchés au même titre que tous les autres alors que ce n'est pas un impôt progressif en fonction des revenus. Comme les jeunes ont des revenus moins importants, dans un premier temps, on proposerait -- avant de revoir notre système d'imposition en France -- d'exonérer de taxe d'habitation les jeunes. Nous préconisons également la mise en place d'un service public de la caution qui soit plus efficace que celui que l'on peut avoir aujourd'hui.
En ce qui concerne la question de l'emploi des jeunes, qu'il est important de lier à la question du niveau de diplôme et du niveau de formation, je souhaite revenir sur la question du travail des étudiants et le discours qui consiste à dire : « Il n'y a pas de problème pour étudier et travailler en même temps. » Moi, cela m'interpelle quand même beaucoup, comme discours. J'étais étudiante en fac de droit et je travaillais le matin et le midi dans des centres de loisirs. J'ai quand même beaucoup « galéré », j'ai quand même passé plus de temps que ceux dont les parents avaient les moyens de financer leurs études. J'ai peur que si l'on dit cela, c'est que l'on n'a pas été confronté à cela dans sa vie d'étudiant. C'est peut-être possible dans un certain nombre d'études, mais par exemple, quand on est en classe préparatoire, quand on est en fac de droit ou d'économie dans des filières universitaires avec 35 à 40 heures de cours -- parce que malgré ce que l'on peut dire sur les universités, il y a quand même des filières universitaires qui vont jusqu'à 35 ou 38 heures de cours -- je ne vois pas comment est-ce que l'on peut travailler la nuit pour pouvoir étudier correctement le jour. Donc c'est quand même quelque chose qui va encore profiter à ceux dont les parents ont les moyens de financer les études.
Et puis sur la question des stages, nous sommes bien évidemment pour la rémunération progressive des stages en fonction du diplôme et du temps passé, mais aussi pour une limitation des stages dans le temps et dans l'entreprise, pour que, quand un stage est renouvelé une fois, deux fois, trois fois -- ce qui arrive de manière assez récurrente -- cela devienne un CDD, comme le CDD avec le CDI.
Mlle Jeanne THOMAS, coordinatrice des jeunes Verts Paris-Ile-de-France - Je rebondis sur ce que tu disais, il est vrai que le travail comme autonomie ne paraît pas du tout une bonne chose. Pour illustrer cela, nous avons un chiffre qui indique que l'augmentation du taux d'échec est de 40 % en première année lorsque les étudiants travaillent. Ça me paraît donc incompatible de parler de l'autonomie des étudiants grâce au travail.
Par rapport à ce revenu d'autonomie pour les jeunes, nous pensons que c'est quelque chose d'indispensable. Aujourd'hui, il existe en France un système social qui nous enferme dans une relation avec nos parents. On peut par exemple penser à ce que l'on disait tout à l'heure sur la caution parentale pour le logement, aux allégements fiscaux pour les adultes à charge que touchent les parents ainsi que les bourses, qui sont relatives aux revenus de nos parents. Il y a une classe d'âge des 18-25 ans qui est citoyenne mais sous tutelle parentale. Cela pose des problèmes car cela crée des inégalités suivant les revenus de nos parents mais cela pose aussi le problème de l'autonomie par rapport à nos parents, puisque certains jeunes ne peuvent suivre d'études car leurs parents touchent un revenu trop élevé et qu'ils ne leur donnent pas les moyens de les suivre. C'est donc un réel problème. Pour nous, il faut privilégier les aides directes et non pas les aides qui passent par la famille, pour arriver à une réelle autonomie des jeunes. Pour cela, on veut un revenu d'autonomie universel jusqu'à 25 ans, qui serait seulement conditionné aux revenus propres des jeunes, pour éviter toute dépendance vis-à-vis de notre famille. Voilà pour le revenu d'autonomie.
Sur la question du logement, je pense que l'on se rejoint plus. On pense qu'il ne faudrait plus fournir de cautions parentales pour pouvoir obtenir un logement. Il y a de nombreux jeunes qui n'arrivent pas à trouver de logement parce que leurs parents n'ont pas de revenus suffisants. Un chiffre également intéressant est qu'il y a une chambre de cité universitaire pour cent étudiants, à Paris. Il nous paraît donc absolument nécessaire d'élever ce chiffre et de construire de nouveaux logements étudiants. On peut également réfléchir à des formes de logement alternatif comme l'habitat intergénérationnel, qui amènerait en plus un lien social et une transmission du savoir entre les générations qui nous paraît très intéressante.
Enfin, concernant la santé, je pense que les idées-clés ont déjà été évoquées, on ne peut pas dire que la jeunesse est dans un bon état de santé aujourd'hui et il y a des mesures à prendre. On peut notamment réfléchir à ce que l'état avance le jeune sur ses dépenses de santé, pour lui faciliter l'accès à la santé.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Pour aller dans le sens de ce qu'évoquait Madame la présidente, si nous avons voulu les uns et les autres participer à cette mission, c'est parce que nous sommes convaincus qu'il faut changer les choses et que notre pays ne peut pas se satisfaire d'avoir 20 % de jeunes au chômage ou avec des difficultés qui ont été évoquées en matière de logement, de santé. Nous sommes donc là pour vous écouter. Chacun ici a ses idées, nous n'avons pas encore engagé le débat entre nous, cela se fera ultérieurement. Là, ce qui est important pour nous, c'est d'avoir vos idées, de voir comment vous vivez cela sur le terrain, ce que vous ressentez -- ce que vous faites en ce moment. Je voudrais poser deux questions concernant l'allocation d'autonomie. J'ai bien compris que vous étiez pour l'allocation universelle, il n'y a pas de problème, les choses sont claires pour moi et pour vous aussi. Pour ce qui concerne Monsieur Rocher et Mademoiselle Gandelon, je voudrais savoir comment vous organiseriez cela. Vous avez dit que c'était pour les étudiants ou ceux qui suivent leurs études. C'est quoi, pour vous, ceux qui suivent leurs études ? Vous intégrez ceux qui font des études professionnelles, où ça s'arrête, comment ça fonctionne, comment vous l'imaginez ? Par rapport aux revenus des parents ou essentiellement en prenant en compte les revenus des jeunes ?
Deuxième question concernant le logement. Tout à l'heure, une suggestion a été faite par Benjamin Lancar concernant la participation des entreprises aux logements étudiants dans les campus. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Est-ce à votre avis un moyen d'accélérer la construction de logements étudiants ou y êtes-vous farouchement opposés, en considérant qu'il faut absolument une séparation entre l'université et l'entreprise ?
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - Concernant les manières de mettre en place l'allocation d'autonomie, effectivement elle serait pour les étudiants, étudiants professionnels, en alternance, tous ceux qui suivent une formation dans leur période de jeunesse. Est-ce que c'est relatif aux revenus de parents ? Si les parents sont prêts à perdre la demi-part dans leurs impôts pour que leur enfant ait une allocation d'autonomie, cela veut dire que la demi-part leur rapporte moins que l'allocation d'autonomie et qu'ils ne subviennent pas aux besoins de l'étudiant, préférant qu'il ait une allocation d'autonomie et une feuille d'impôt séparée. Cela veut donc dire que leurs revenus sont moyens ou faibles. S'ils préfèrent, en accord avec le jeune et en aidant le jeune, qu'ils n'aient pas l'allocation d'autonomie pour garder la demi-part, cela veut dire qu'ils ont un revenu suffisant, donc cela compartimente en partie au revenu des parents.
Par rapport à la participation des entreprises, effectivement, dormir sur un oreiller Microsoft ne change pas le sommeil, a priori. Il faut voir ce que l'on entend par là. Si les entreprises investissent dans un campus pour le moderniser, c'est qu'elles en attendent une contrepartie. Il faut voir quelle contrepartie. Est-ce que c'est de la publicité, est-ce que c'est être valorisé au sein de la fac ? Nous sommes contre l'entrée des entreprises de cette manière-là dans les collèges et lycées, comme cela peut se faire aux États-Unis. Dans les universités, cela peut se faire de manière respectueuse des cours. Il n'est pas question que Microsoft -- je ne sais pas si on peut citer des marques -- dicte des cours ou fasse le programme pédagogique. En revanche, s'ils peuvent aider les campus à se moderniser avec une contrepartie simplement publicitaire ni écrasante ni agressive, c'est à réfléchir.
M. Romain ROCHER, président de la commission des opérations électorales des Jeunes radicaux de gauche - Pour revenir, Monsieur le sénateur, sur votre question sur l'allocation d'autonomie, ce sont évidemment les jeunes en formation, que ce soit des étudiants ou des jeunes en formation professionnelle, mais aussi les jeunes qui vont avoir comme projet une réorientation, qui peuvent s'être trompés et qui peuvent être dans un passage où ils vont vouloir se réorienter. Et à ce moment-là, dans cette période-là, oui, bien sûr, l'allocation leur serait accordée.
Pour ce qui est des entreprises qui entrent dans les facultés, nous sommes totalement opposés aux entreprises qui orientent les études. Après, qu'il y ait une marque sur l'oreiller ne change pas grand-chose, sauf s'il est conseillé que tous les ordinateurs de ces chambres aient cette marque. Il y a une différence : l'avoir sur son oreiller, ce n'est pas très grave, mais l'obligation de l'avoir dans son ordinateur est beaucoup plus grave, c'est autre chose.
Mme Bernadette BOURZAI, sénatrice de la Corrèze -Je voulais faire une observation qui vaut pour nous comme pour les jeunes que nous avons en face de nous. Pour discuter de cette allocation universelle qui serait compensée par une demi-part enlevée aux familles, je crois qu'il ne faut pas oublier que la moitié des foyers français ne paient pas d'impôt. Ils ne bénéficient donc pas de la demi-part en question. Donc là, je pense qu'il faut que l'on aille un peu plus finement dans les détails pour familles défavorisées, parce qu'elles ont droit à l'allocation individuelle et personnalisée, avec les conditions qui ont été évoquées, mais je pense que c'est un argument supplémentaire.
Je voulais m'associer aux félicitations de Madame la présidente parce qu'on a vraiment l'impression que vous avez travaillé, réfléchi à des propositions qui sont tout à fait cohérentes en fonction des orientations politiques qui sont les vôtres et je pense que l'on peut s'en féliciter par rapport à l'avenir politique de notre pays. Simplement, je vais vous donner lecture d'éléments recueillis dans une mission locale pour que vous puissiez élargir votre champ de réflexion à des situations que vous n'avez pas abordées, quelles que soient vos origines, plutôt urbaines, tout de même. Il se trouve que je représente un département rural avec des jeunes ruraux et des problèmes très spécifiques. Il s'agit de la mission locale de Tulle. Si je regarde le logement, par rapport aux jeunes qui arrivent - et je vous signale qu'en un an il en arrive 1 700 à la mission locale de Tulle -- 63 % des jeunes déclarent ne pas avoir de logement autonome, presque deux sur trois. Lorsqu'ils s'inscrivent à la mission locale, 71 % des jeunes déclarent n'avoir aucune ressource. 28 % des jeunes expriment une demande concernant la santé. Concernant la mobilité -- parce qu'en milieu rural, vous savez que c'est une grande question, les services publics de transport ne sont pas suffisants -- 54 % des jeunes n'ont pas le permis de conduire, et sur ceux qui l'ont, 28 % ne possèdent pas de moyen de locomotion. Donc ce que je souhaite, c'est que l'on ne reste pas sur une étude urbaine -- peut-être que je deviens le rat des champs, là, mais j'ai l'habitude -- et que l'on aille plus loin dans la perception des problèmes, parce que les jeunes en milieu rural ont des difficultés spécifiques. Certaines rejoignent celles des urbains, mais on a vraiment intérêt à regarder également ce qu'il se passe dans les régions plus isolées et moins densément peuplées. Toutefois, je vous remercie vraiment du travail que vous nous avez présenté et des efforts que vous avez faits pour nous répondre.
Mlle Margaux GANDELON, vice-présidente des Jeunes Démocrates - Je vous remercie. Sur la demi-part, il me semble que les foyers qui ne paient pas d'impôt remplissent quand même une feuille d'impôt dans laquelle la demi-part est prise en compte pour calculer, justement, s'ils paient un impôt ou pas. S'ils ne paient pas d'impôt, il est évident que la demi-part ne peut être retirée et que leurs enfants étudiants peuvent toucher l'allocation d'autonomie universelle.
Sur les jeunes ruraux, je vous remercie de l'éclairage que vous nous apportez. Il est vrai que dans les mouvements de jeunesse, on est souvent très urbains. Tout à fait, on a un effort à faire et la question de la mobilité est, je pense, cruciale pour les jeunes ruraux. Il y a des initiatives comme le permis à un euro par jour qui doivent être développées.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Je voulais revenir sur deux choses : la place des entreprises dans la construction de logements étudiants et le lien qu'il peut y avoir entre jeunes du monde rural et jeunes des quartiers dits périphériques, parce qu'on retrouve pas mal de similitudes. Je suis très sceptique sur le rôle des entreprises dans la construction de logements. Imaginons la carte de France des campus. Les entreprises vont choisir de construire des logements là où elles en ont envie, en fonction de leurs intérêts et des formations qui sont en adéquation. On revient dans la mise en place de pôles d'excellence où les étudiants ont plus intérêt à aller dans certaines universités que dans d'autres en fonction de l'investissement des entreprises. C'est en même temps juste la continuité de la loi sur l'autonomie des universités qui a été mise en place. Qui fixe le prix des loyers ? Qui fixe la question des cautions ? Qui est garant de l'intérêt général ? Moi je me dis que finalement, si les entreprises ont les moyens de construire des logements pour les étudiants, cela veut dire qu'elles ont peut-être aussi les moyens de verser plus au pot commun dans l'impôt, les cotisations, la taxation sur le capital -- et que l'État soit bien évidemment le garant de l'intérêt général et de la redistribution des richesses en fonction des intérêts différents sur un territoire donné.
Sur la question des jeunes du monde rural, nous croyons, au Mouvement des Jeunes Socialistes, qu'il existe de vraies correspondances entre les jeunes ruraux et les jeunes des quartiers dits sensibles. Pourquoi pense-t-on cela ? Parce qu'il y a aujourd'hui la question de l'enclavement qui se retrouve, avec la question de la mobilité, mais aussi la question de la stigmatisation, que ce soit dans le monde rural ou le monde périurbain. Ce n'est pas non plus facile pour le jeune qui vient d'un monde rural d'aller dans la grande ville d'à côté et de marquer sur son CV qu'il habite là, parce qu'il y a aussi un certain nombre de préjugés qui sont véhiculés par le monde urbain sur le monde rural. On pense que c'est important de garder cela en tête : il peut y avoir des similitudes entre ces différents territoires et il faut aussi que l'on ait une vraie approche territorialisée des problématiques. Je pense que la mobilité, comme pour le monde rural, est une question cruciale pour les quartiers de relégation sociale, notamment autour de l'Ile-de-France - puisque c'est ce que je connais le mieux comme exemple -- où il n'est pas facile d'aller d'une ville à l'autre de la première ou la deuxième couronne d'Ile-de-France, sans repasser par Paris. L'accès au lycée professionnel, à l'aéroport d'Orly ou de Roissy quand on habite la ville d'à-côté, est extrêmement compliqué.
Mlle Jeanne THOMAS, coordinatrice des jeunes Verts Paris-Ile-de-France - Je voulais revenir sur l'allocation d'autonomie dont on a parlé. Pour nous, c'est un revenu qui doit être accessible pour les étudiants mais également pour les jeunes travailleurs, dont beaucoup sont dans la précarité. On pense que le revenu d'autonomie devrait intervenir en complément du revenu propre du jeune, sur le même système que le RSA, jusqu'à ses 25 ans. Cela nous paraîtrait plus logique.
Pour la participation des entreprises dans les campus, il me semble que si c'est pour avoir une contrepartie comme ne serait-ce que des oreillers Microsoft ou des publicités sur les murs, on est déjà assez pollué comme cela dans le métro et partout pour ne pas avoir en plus des publicités dans notre chambre. Je pense que personne ne le souhaite.
Concernant la mobilité, je voudrais juste dire qu'il est important de garder des universités de proximité pour ne pas se retrouver avec des grands pôles universitaires d'excellence et des gros creux sans université. C'est important de garder des facultés dans des villes moyennes pour que tout le monde ait accès aux études supérieures.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Je me réjouis aussi d'avoir entendu les différentes formations politiques jeunes, leurs propositions, leur fougue, leurs explications. La question est la suivante. Personnellement, je suis pour un revenu d'autonomie à partir de 18 ans pour tous, indépendamment de ce que l'on fait. Cela va être une question à ceux qui le rendent conditionnel. Vous avez parlé de la nécessité de parcours flexibles, avec la possibilité d'avoir des passerelles, de changer. On fait une expérience dans le bac professionnel mais on peut revenir dans l'enseignement général, il ne faut pas être enfermé trop jeune, il faut que l'on puisse bouger. Cela, je l'ai bien compris, j'ai même cru que c'était partagé par l'ensemble. Ce qu'il en ressort, c'est qu'il y a un besoin d'autonomie par rapport aux parents, et qu'il n'y ait pas une façon unique d'apprendre. C'est-à-dire : on a le bac, ensuite on fait cinq ou six ans un master, ensuite on travaille un peu dans des boulots pour chercher et après on trouve sa voie, sa famille et on va vers la vie. On sait très bien que cela ne marche plus comme cela et donc, par exemple, il y en a qui en ont marre d'étudier, qui ont envie de faire une expérience artistique, d'autres ont envie de travailler, d'autres encore de bouger. Donc par rapport à ce revenu conditionnel, si vous le conditionnez aux études, c'est restrictif. Il faut le conditionner aussi au fait de partir un an quelque part, de faire un certain nombre de petits boulots, que l'on puisse chercher un peu sa voie. C'est cette notion conditionnelle aux études qui est un peu compliquée, parce que l'on sait très bien que les parcours flexibles ne sont pas simplement du professionnel vers le général, mais aussi l'expérience du travail, de moments où on se cherche soi-même. Je trouve donc votre conditionnel un peu conventionnel.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Pour répondre assez rapidement, bien évidemment que les parcours des jeunes sont flexibles, mais je voudrais juste mettre un petit bémol : nous sommes quand même pour une formation initiale qui aille le plus loin possible parce qu'il est quand même prouvé, par rapport à l'insertion dans le monde du travail et à la possibilité de la formation tout au long de la vie, que plus on va loin au début, plus on a de chance de s'insérer durablement sur le marché du travail. Au sein de cette question de la formation initiale qui va le plus loin possible, rien n'empêche de revoir le secondaire pour mettre en place une année de mobilité à l'international qui ne soit pas forcément de l'Erasmus mais qui puise être du Service volontaire européen ou international. Néanmoins, quand nous parlons d'allocation universelle, c'est quand même individualisé en fonction du projet de formation et d'insertion professionnelle. Dans l'insertion professionnelle, nous plaçons bien évidemment les possibilités de rupture, même si nous considérons que la meilleure façon pour un jeune de s'insérer durablement sur le marché du travail est d'aller le plus loin possible dans sa formation initiale.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Vous êtes dans la logique que je décrivais : il faut aller le plus loin possible dans sa formation, en sachant que de toute façon, ce n'est pas vous qui déterminez les débouchés. Je veux dire, ce n'est pas le nombre d'étudiants qui obtiennent un diplôme qui crée le nombre d'emplois derrière. Le nombre d'emplois est lié à la situation économique d'un pays, à l'organisation de la société au niveau mondial, et après vous faites une course entre vous pour savoir ceux qui auront davantage de diplômes pour en sortir. Admettre qu'il faut aller le plus loin possible pour avoir un diplôme, c'est déjà rentrer dans une course entre vous et dire : « Le standard est qu'on aille le plus loin possible, que l'on fasse tous des études et c'est comme cela qu'on fera une sélection. » C'est une sélection, en réalité, ce standard de la formation initiale. Justement, en déterminant que c'est le standard, on oublie ceux qui n'y rentrent pas, ceux qui ont envie de faire autre chose, des expériences différentes, de rentrer dans la vie professionnelle plus tôt et donc de créer un standard pour répondre à des impératifs économiques que la société fixe.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quelques-uns d'entre nous -- je crois que j'en ai parlé tout à l'heure avant que vous n'arriviez -- ont été assez impressionnés par l'intervention d'une sociologue qui nous parlait d'expériences au Danemark où les jeunes ont une allocation pour faire leurs études qui équivaut à la prise en charge financière de six années d'études. Mais ils l'utilisent quand ils le veulent -- et on les incite à faire des expériences personnelles, à travailler, à visiter le monde, à faire des séjours ailleurs, à reprendre des études un an puis à faire autre chose puis éventuellement reprendre encore leurs études. Donc cette allocation d'autonomie pour faire une formation ou des études couvre 6 années que l'étudiant utilise un peu comme il le veut. Donc c'est peut-être à cela que vous faisiez allusion.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Absolument. Merci de l'avoir traduit.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je ne sais pas ce que vous en pensez. Nous avions trouvé cela intéressant parce que ça levait la pression qui était exercée sur les étudiants en France, où on ne les lâche pas. Ça commence tout petits, puis au collège, au lycée, puis il faut faire les meilleures écoles ou les meilleures facs puis les meilleurs stages pour essayer d'avoir un véritable emploi stable autour de 25 ans. C'est le critère qui est un peu fixé. Vous vouliez réagir à cela, Monsieur Rocher ?
M. Romain ROCHER, président de la commission des Opérations électorales des Jeunes radicaux de gauche - Oui, sur cette allocation, bien sûr, nous ne nous arrêtons pas uniquement sur le système scolaire mais on ne doit pas oublier également tout ce qui est de l'ordre de la validation des acquis de l'expérience, dans le monde associatif, par exemple. Il faudrait que cela soit valorisé et reconnu comme expérience. Le temps qui est donné dans une association peut aussi rentrer dans le cadre de cette allocation. Les 6 ans, qui sont un très bon exemple, rentrent dans ce cadre. Quand on donne énormément de temps à une association qui a quand même un impact sur la société, ça bénéficie à la société, ça bénéficie à la personne, donc ça rentre dedans aussi.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Il y a quand même des jeunes qui ne sont pas étudiants, qui cherchent du travail et n'en trouvent pas, qui ont 19 ou 20 ans. Donc pour ceux-là, quel est le projet pour qu'ils aient droit au revenu d'autonomie ? Moi je suis pour qu'ils aient un revenu. Autrement, ils sont dépendants des parents, et parfois, les parents ne peuvent pas les aider. Mais vous, vous êtes dans un projet où ils doivent étudier, donc soit ils trouvent du travail -- et ce n'est pas toujours le cas -- soit ils doivent, selon vous, étudier.
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Je pense que c'est un peu compliqué, c'est ce que je disais au début dans la question de l'équilibre pour des politiques jeunesse efficaces, dans un monde en perpétuelle évolution. C'est compliqué pour nous en tant qu'acteurs politiques, ce n'est pas forcément la même chose pour les acteurs syndicaux ou associatifs, mais moi, en tant que responsable d'une organisation politique, c'est quand même compliqué de vous donner notre avis de manière catégorielle, parce que là pour le coup j'ai envie de m'enflammer sur l'avenir de la société, le changement de société dans lequel on insère le changement des jeunes. C'est donc un positionnement qui est compliqué pour nous. Oui, je pense que ce jeune a le droit de rentrer sur le marché du travail, que l'allocation d'autonomie est en fonction des projets individualisés pour que les jeunes puissent faire des expériences singulières. Je pense par ailleurs que le système de l'enseignement supérieur doit être revu pour qu'il y ait des pauses, parce que le problème aujourd'hui est que quand on arrête à la licence, qu'on travaille pendant un an et qu'après on veut reprendre un master, ce n'est plus possible. Il y a tellement de sélection à l'entrée du master que la licence que l'on a fait trois ans auparavant est complètement dévalorisée et que l'on ne tient plus la route par rapport aux jeunes qui ont fait la licence l'année juste avant. Donc cela veut dire que si on est dans un parcours flexible, on en revient à un débat qui est plus large sur la question de l'éducation et de l'accès à l'enseignement supérieur, à la transformation de l'enseignement supérieur de manière plus large.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Vous ne m'avez pas répondu : quelqu'un qui est chômage et qui n'a pas envie de faire une formation, peut-il avoir ce qui s'appelle le RMI ? Entre 18 et 25 ans, ils n'ont pas le RMI. Êtes-vous pour qu'il ait le RMI ou non ?
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Un projet d'insertion professionnelle est quand même nécessaire.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Donc vous dites : « Il faut qu'il rentre dans un projet de formation, peu importe lequel. »
Mlle Laurianne DENIAUD, secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes - Ou un projet d'insertion. S'il a une formation qui n'est pas en adéquation avec le marché du travail, peut-être qu'il faut qu'il entre dans une autre formation, formations qui ne sont pas aujourd'hui assez financées par les missions locales parce qu'elles ne sont pas assez subventionnées.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - C'est en même temps une question et une réflexion. Par rapport à ce que vous disiez dans le fait d'aller le plus loin possible, en parlant d'enseignement supérieur, j'ai envie de dire qu'il faut que ce soit un accompagnement de 5 ans ou de 6 ans -- nous aurons un débat et je pense qu'il commence à nous manquer, ce débat entre nous -- mais qu'il ne faut pas oublier le rural mais aussi ceux qui partent de pas très loin. Ceux qui sortent de troisième, qui font un CAP, un BEP, des choses sur de la vente, sur des métiers où ils ne savent pas si ça leur plaît ou si ça ne leur plaît pas. Ils partent sans spécialisation, ils travaillent un peu, ils reviennent et peut-être qu'ils finiront bacheliers, licenciés, avec des masters de professionnalisation. Mais on a un peu trop parlé d'étudiants, comme si là on ne parlait que des jeunes qui ont le bac. Et là, ça me gêne un peu, mais c'est un débat que l'on doit avoir entre nous. Il y a le rural mais il y a aussi ceux qui ne partent pas déjà avec le bac. Pour moi, c'était important à signaler.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Très bien. C'est quand même intéressant d'entendre le point de vue de jeunes qui ne sont pas les plus défavorisés et qui néanmoins pointent toute une série de problèmes. Nous allons mettre fin à cette rencontre et nous vous remercions infiniment.
Audition de M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris
( 7 avril 2009 )
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir pour cette première audition de l'après-midi M. Louis Chauvel qui est sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris.
Je vais essayer de vous rappeler notre raison d'être ici. Il s'agit donc d'une mission commune d'information chargée de plancher sur la politique en faveur des jeunes. C'est une mission parallèle au travail de M. Martin Hirsch. Le Sénat a souhaité que le législatif réfléchisse un peu à cette problématique et ne laisse pas uniquement l'exécutif plancher là-dessus. C'est une mission courte dans le temps puisque commencée il y a à peine quinze jours. Elle doit se terminer fin mai, en tout cas par un rapport d'étape et nous avons, pour être le plus efficace possible, sérié les problèmes : nous allons plancher sur les difficultés des jeunes de 16 à 25 ans en sachant bien que les difficultés commencent avant et qu'elles ne se terminent, hélas, pas forcément à 25 ans, sur les problèmes d'emploi c'est-à-dire d'orientation, de formation, d'emploi et sur les problèmes d'autonomie des jeunes, c'est-à-dire d'autonomie financière et d'accès au logement en ajoutant les problèmes d'accès à la culture et de citoyenneté.
Voilà l'ensemble des quelques problèmes sur lesquels nous allons travailler en partant des constats faits par tout un chacun. A savoir que, sur la classe d'âge 16-25 ans, le taux d'emploi est inférieur à 30 %, le chômage des jeunes en France pour la même tranche d'âge y est un des plus élevés d'Europe et, pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes de cet âge pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Voilà pour faire très court ce qui nous a motivés. Je vais vous passer la parole à présent.
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris - Merci infiniment pour cette occasion de rencontre, de discussion et de débat sur les questions de la dynamique des jeunes qui sont notre long terme à tous. Si nous mettons nos jeunes en échec, ce ne sont pas seulement les jeunes qui en sont les victimes, ce sont les adultes de demain et la société française dans son intégralité et dans sa capacité à se créer un long terme.
Malheureusement, depuis une vingtaine d'années que j'ai embrassé la profession de sociologue, ces questions-là demeurent ouvertes, n'ont pas trouvé leur solution en France alors que dans un certain nombre de pays, notamment de pays nordiques et anglo-saxons, les problèmes sont moindres. En tout cas, la prise de conscience des problèmes y a permis de prendre des décisions en matière de politique publique notamment d'emploi qui ont permis de progresser.
En fait, le débat que nous avons actuellement en France sur la question des jeunes n'est absolument pas une exception planétaire. Avec le ralentissement économique japonais du début des années 1990, se sont posées la question des parasaito shinguru, autrement dit de notre génération Tanguy - parasaito shinguru veut dire célibataire parasite - de ces jeunes Japonais qui restent jusqu'à l'âge de 25, 30, 35 ans au domicile de leurs parents sans vouloir en partir et la question des freeters, autrement dit de ces jeunes sans emploi qui peuvent avoir une éducation mais qui ne la prolongent pas. Par ailleurs, la question des hikikomori, autrement dit de ces jeunes qui préfèrent rester sur leur console Nintendo plutôt que trouver un emploi stable, correspond typiquement à un débat japonais que nous avons ici.
D'un côté, Yamada Masahiro fait l'hypothèse que c'est une culture de génération de jeunes sans appétence au travail parce que n'ayant pas connu la période, le temps de la pénurie qu'avaient vécu leurs parents et que cette culture de jeunes parasites doit être modifiée. A l'opposé, Genda Yuji signale la spécificité du cas japonais, celui d'un ralentissement économique massif à partir des années 1990 où les jeunes générations ont servi en quelque sorte de variable d'ajustement par rapport à un tissu industriel qui était en sureffectif, où il y a eu une préférence pour l'enfermement sur les insiders - adultes recrutés avant les années 1985-1990 - à la défaveur de nouvelles générations d'entrants dans la vie adulte - d'outsiders pour le dire en Français dans le texte - et qui, en quelque sorte, ont payé pour le maintien des salaires, des carrières et du bien-être des générations précédentes. Je ne cache pas qu'empiriquement, Genda Yuji a eu le dessus simplement parce qu'il a mis en évidence comment les conséquences japonaises du ralentissement économique ont été celles, comme dans un certain nombre de pays européens, d'une préférence pour les gens déjà en place à la défaveur des nouveaux arrivés, aussi diplômés soient-ils ou elles. Par conséquent, ces nouveaux jeunes préfèrent en définitive ne pas travailler puisque la société ne leur permet pas de trouver un travail décent.
Je souhaiterais indiquer en introduction le fait que, malheureusement, au cours des vingt dernières années, les progrès des sciences sociales en matière d'analyse et de connaissance de la jeunesse n'ont pas forcément irradié le tissu statistique français et administratif. Je m'efforcerai d'abord de définir la jeunesse. Quand on ne sait pas définir un problème, on n'est pas en général en capacité de le résoudre : c'est ce que les sciences sociales nous apprennent d'une façon générale. Le premier point consistera à analyser un certain nombre d'éléments de diagnostic de déstabilisation des nouvelles générations en France. Le deuxième point consistera à introduire un petit peu de comparaison internationale pour réfléchir aux spécificités du ratage français ou du ratage non pas latin, les Portugais faisant mieux que nous, mais du ratage de l'Europe méditerranéenne. Les mileuristas espagnols, la génération à 600 euros en Grèce dont on a entendu parler au cours des quatre derniers mois au moment des émeutes à Athènes mais qui a son équivalent en Italie aussi, nous amènent à réfléchir aux diversités de réussites ou d'échecs en matière d'intégration des nouvelles générations. Le dernier point nous amènera peut-être à réfléchir à un certain nombre de sujets.
Je risque d'être malvenu vu votre introduction. Je crois que l'un des défauts génétiques en France en matière de mauvais traitements vis-à-vis de la jeunesse est celui d'en rester à une définition. J'ai commencé à travailler la sociologie en 1989 à l'École nationale de la statistique et de l'administration économique et nous savions déjà à la fin des années 80 que définir la jeunesse comme la tranche d'âge des 18-24 ans ou 16-25 ans pour la plus grande extension était une erreur profonde. A la fin des années zéro du XXIe siècle, je pense qu'il est quand même temps de sortir de cette vision.
Il est vrai qu'au milieu des années 70 encore, la quasi-totalité de la population masculine et féminine était en couple stable et marié à 24 ans et en emploi stable dans un contexte où, avec 4 % de taux de chômage en moyenne, 6 % de taux de chômage dans les douze mois de la sortie des études, l'époque était propice à faire en sorte qu'à 24 ans, on était adulte et reconnu en tant que tel dans l'ensemble des institutions syndicales, du monde du travail mais aussi politiques.
Malheureusement la situation a totalement dévié depuis cette période avec une « tripartition » de la jeunesse. La première jeunesse est celle en éducation, les étudiants pour le dire vite. La deuxième jeunesse est celle qui n'est ni en éducation, ni à l'université, ni à l'école, ni en emploi. Et la troisième jeunesse est celle qui se stabilise dans l'emploi, ce tiers autour de l'âge de 25 ans se divisant en deux parties : ceux à qui un diplôme ultra-sélectif assure une transition de la vie de jeunesse à la vie adulte sinon assurée en tout cas à peu près sûre à courte échéance versus ceux qui doivent se contenter d'emplois de working poor de longue durée. Disons que nous avons tendance à voir dans cette tripartition une typologie. Or ce n'est pas une typologie. C'est-à-dire que pour les uns, il y a une transition rapide et assurée d'études extrêmement valorisées à des emplois tout à fait stables, même dans des contextes économiques difficiles, et ces trois groupes ne sont pas à concevoir comme des groupes stabilisés pour toujours. Ce sont en fait des lieux de transition permanente et, en fait, l'erreur d'analyse, c'est l'erreur de l'enfermement de la jeunesse dans des statuts qui leur seraient réservés. Là, les politiques sociales en France adorent le ciblage, le targeting et la mise dans des cases définitives de groupes de la population. Faire cela aux jeunes est peut-être le pire service à leur rendre, simplement parce que si, effectivement, on peut souhaiter aux retraités d'être traités le plus longtemps possible, il n'est pas bon de souhaiter aux jeunes d'être jeunes toute leur existence du point de vue du statut de la jeunesse. Donc l'enfermement statutaire est un danger permanent des politiques sociales à la française et créer des statuts différentiels statutaires pour la jeunesse est quelque chose qu'il faut manier avec la plus grande précaution si l'on ne veut pas aller directement dans des erreurs durables.
Le deuxième point d'enfermement dangereux est un enfermement culturel, c'est-à-dire de considérer l'existence d'une culture jeune qui serait l'éternité de la jeunesse, la création d'une éternité des études, d'une éternité de la culture jeune et réifier les jeunes dans un style jeune pour toujours est peut-être la pire des choses à faire.
Le troisième élément extrêmement dangereux des politiques sociales à la française c'est de penser que la famille peut tout faire. La famille a un rôle mais elle ne peut pas avoir tous les rôles. Il existe un moment où effectivement, l'emploi, le travail et la stabilisation dans un statut définitif de citoyen et de personne en emploi relèvent de choses que la famille ne peut pas réaliser pour toujours. La famille est une protection, une ceinture de sécurité mais en même temps, les ceintures de sécurité sont faites pour ne pas être utilisées la plupart du temps et nous devons travailler à éviter les accidents.
Donc, en fait, comment penser la jeunesse ? Il faut la penser comme une transition qui doit être organisée pour être la plus rapide possible et il ne faut pas penser simplement les jeunes comme étant des jeunes pour toujours. Il faut penser la jeunesse comme un moment de transition qui va marquer les jeunes d'aujourd'hui pour tout le restant de leur vie adulte. Les générations de jeunes qui sont rentrées dans un contexte de plein-emploi en ont conservé les bénéfices tout au long de leur existence par des carrières meilleures, un accès meilleur à l'État-providence et une possibilité d'ascension sociale tout au long de leur existence. Au contraire des générations qui ont subi une crise économique, une guerre mondiale - je parle aux historiens évidemment - pour les historiens, les gens de 20 ans en 1914 ou les gens de 20 ans en 1940 ont subi des difficultés qui n'ont pas disparu au moment de la Libération parce que la jeunesse n'est pas simplement un moment de l'existence, c'est un moment stratégique qui risque de marquer des plis définitifs pour celles et ceux qui font l'expérience de difficultés fortes à ce moment clé de leur existence.
Comme j'ai relativement peu de temps, je n'insisterai pas sur la théorie des générations, sur le fait que ce que nous devons à nos jeunes, c'est une intégration rapide. La socialisation transitionnelle qu'ils rencontrent entre la fin de l'école obligatoire et le début de la stabilisation dans la vie adulte est un moment stratégique pour les individus et pour les générations qui le traversent, moment bénéfique ou beaucoup plus difficile. En fait, ce moment de socialisation transitionnelle, c'est le moment où les potentialités ouvertes autour de l'âge de 16-18 ans se transforment en situation, sinon irréversible, en tout cas marquant le reste de l'existence. A 16 ans, à peu près tous les jeunes sont susceptibles de devenir médecin, avocat ou d'embrasser toute autre profession. A l'âge de 25 ans et avant, l'essentiel des potentialités deviennent des trajectoires déjà fortement cristallisées qui marquent la stabilisation dans la vie adulte. Au niveau individuel comme au niveau collectif, si cela se passe dans de bonnes conditions, la génération va en tirer des bénéfices, si cela se passe dans de mauvaises conditions, les générations ultérieures vont le subir très durablement.
Je ne vais pas discuter le diagramme de Lexis mais ce diagramme extrêmement intéressant nous permet de croiser le temps du calendrier horizontalement, le temps des âges verticalement et le temps des générations en diagonale. Et nous savons au travers du diagramme de Lexis que certaines générations ont subi un destin absolument terrifiant. Parmi la cohorte d'hommes nés en 1894, enfin la classe qui fait son service militaire autour de 1914-1918, un tiers n'en reviendra pas, un autre tiers reviendra dans un état assez épouvantable ; l'essentiel, enfin une moitié des femmes de la même génération n'auront jamais d'époux ni d'enfants. Le destin de cette génération a été extrêmement terrifiant. Les survivants n'ont pas tout vécu parce qu'ils ont connu la crise de 1929 et ses conséquences à l'âge de 40 ans, ils ont connu une deuxième guerre mondiale et au moment de la reconstruction, ils étaient déjà des vieux, trop vieux pour pouvoir bénéficier des transformations sociales de l'époque. Si on compare à cela la génération née en 1948, ils ont 20 ans en 1968, 6 % de taux de chômage dans les deux ans de la sortie des études, une condition d'entrée dans le monde du travail extrêmement favorable. C'est la cohorte qui, aujourd'hui, est dans le basculement de cette deuxième transition vers la retraite dans des conditions qui sont peut-être plus critiques aujourd'hui qu'il y a cinq ans mais malgré tout, encore relativement favorables par rapport à ce que les générations futures vont connaître. La génération de leurs propres enfants qui a une trentaine d'années aujourd'hui est une génération qui, en moyenne, connaît au contraire une situation défavorable. Alors que la cohorte née en 1948-1950, rentrée dans le monde du travail aux alentours de 1970, connaissait 5-6 % de taux de chômage dans les douze mois de la sortie des études, les cohortes rentrées dans le monde du travail vers 1985 ont connu 33 % de taux de chômage dans les douze mois de sortie des études pour les hommes, 42 % pour les femmes. La question de fond est : quelles sont les conséquences de ce nouveau modèle de transition depuis les études vers le monde du travail des différentes générations de jeunes au cours des 20, 25 dernières années ? Et surtout d'un point de vue prospectif, quid de ce qui, à l'horizon 2010 est une histoire quasi écrite à la date d'aujourd'hui, c'est-à-dire un retour à 35 % voire plus de taux de chômage des jeunes dans les douze mois de la sortie des études ?
Quelles sont les conséquences de ce mode de transition nouveau ? En 1970, pour dix candidats à l'emploi, il y avait neuf places. En 1985 et certainement en 2010, pour trois candidats il y a au mieux deux places et les conséquences en termes de concurrence interne à une génération de jeunes, en termes d'accès à la ressource rare emploi, produisent des effets potentiellement délétères et extrêmement dangereux : hyper concurrence au sein des nouvelles générations ou non appétence au travail. Au Japon comme en France, les jeunes faisant face au non-emploi n'ont pas forcément une envie folle de se présenter devant le marché du travail le plus tôt possible vu les conditions d'accueil qui leur sont faites.
Les conséquences que nous mesurons depuis les années 70, par exemple pour les 25 ans, résident dans le fait que les nouveaux possesseurs d'un baccalauréat ni plus ni moins, évidemment ce ne sont plus les mêmes en 2005 qu'en 1970, ont connu une dévaluation, une inflation galopante de leur assignat baccalauréat sur le marché du travail français au cours des années récentes. En 1970, 65 % de chances d'être cadre dès l'âge de 25 ans, cadre ou profession intermédiaire, ce que l'on appelait les cadres moyens avant 1984, 25 % en 2005. Bien évidemment, en 2010, je vous laisse présager les conséquences. En même temps pour les 55 ans titulaires d'un baccalauréat, vous avez au contraire une parfaite stabilité de la valeur du baccalauréat, acquis donc aujourd'hui dans les années 1970, en termes de chances d'accès à la catégorie cadres et professions intermédiaires.
Deux interprétations à cette figure : nos jeunes débutent mal mais ils rattraperont. C'est une illusion d'optique générationnelle qui est en fait une illusion d'optique qui rate à chaque coup. En fait, contrairement aux pays anglo-saxons et aux pays nordiques, la structure du marché de l'emploi française est étanche par classe d'âge. Autrement dit, dans notre système créant des divisions insiders/outsiders, un bachelier de 25 ans n'est jamais en concurrence avec un bachelier de 55 ans. Les adultes déjà placés ont acquis leur statut, leur position et leur carrière du point de vue des conventions collectives. Si en 2010 nous décidons d'amener au doctorat 80 % d'une classe d'âge, faisons un rêve, ce rêve sera évidemment un cauchemar pour les jeunes titulaires de ce diplôme-là qui ne seront pas en concurrence avec l'ensemble de la pyramide des âges de leurs contemporains mais seront en concurrence entre eux au sein de la nouvelle génération et le mieux en termes éducatifs n'aura guère d'effet en termes de capacité de la société et du système économique français à s'en saisir.
Quelles sont les conséquences des différents modèles de socialisation ? Au début des années 80, en termes de revenu disponible, les quinquagénaires étaient, non pas des pauvres mais des gens vivant dans des conditions de relative pauvreté - 55 ça veut dire 55 à 60 ans - et de 1985 à 2005 les 55 ans ont gagné de l'ordre de seize points en termes de niveau de vie relatif. En revanche les gens de 25 à 29 ans - comme vous l'avez compris 18 à 25 ans ce n'est vraiment pas mon objet, je mesure les conséquences d'une mauvaise entrée dans le monde du travail cinq, dix, quinze ans plus tard - les gens de 25 ans n'ont pas gagné seize points mais perdu de l'ordre de douze points. Seize points gagnés d'un côté, douze points perdus de l'autre en relatif entre seniors et juniors, c'est une redistribution qui, en somme, correspond à près de trente points. Dans les temps anciens, juniors et seniors étaient à égalité dans la concurrence pour l'accès aux biens, aux services, à la location, au logement, au départ en vacances et tout ce que vous voulez. Aujourd'hui, en termes de répartition du revenu disponible, l'écart croissant entre juniors et seniors, à l'avantage des seniors, fait que les jeunes ne sont plus concurrentiellement en situation de tenir du point de vue de l'accès aux ressources marchandes pour le dire très rapidement. Quand bien même nos jeunes seraient extrêmement éduqués par rapport ne serait-ce qu'à ma génération qui a 42 ans aujourd'hui.
Je n'insiste pas sur la question de la dévalorisation sociale des titres scolaires, cela a été analysé par des gens comme Camille Peugny. L'un des grands éléments importants de déstabilisation, c'est aussi l'échange de mobilité sociale ascendante et descendante des différentes générations en présence. Les générations nées autour de 1948 avaient la chance d'avoir 20 ans en 1968 mais avaient aussi celle d'avoir des parents nés en moyenne en 1918 - trente ans d'écart c'est-à-dire que les personnes nées en 1948 ont des parents nés en moyenne en 1918 -. Donc les parents des premiers baby-boomers avaient 20 ans en 1948 et nous ne laisserons personne dire que c'était à l'époque le plus bel âge de la vie, excusez-moi de faire du Paul Nizan à bon marché, mais les chances différentielles des parents et des enfants en termes de position sociale ont fait que les cohortes nées aux alentours de 1948 ont bénéficié de chances de mobilité sociale ascendante, inédites dans toute l'histoire du XXe siècle. Leurs enfants nés à la fin des années 70 en ont subi les contrecoups, je n'insiste pas, le travail d'analyse de cela et ses conséquences politiques a été mené par un doctorant de Sciences Po qui a publié en février 2009 « Le déclassement social ».
Je n'insiste pas par ailleurs sur les différentiels qui pourraient s'inverser entre taux de croissance des salaires des salariés de Paris intra-muros versus le prix des logements entre 1996 et 2006 : + 8 % pour les salaires pour ceux en emploi à plein-temps, + 100 % pour le logement : les jeunes salariés ne bénéficient plus de la situation qui était celle des jeunes salariés des années 70, où le salaire, dès l'âge de 25 ans, permettait d'envisager une vie autonome, d'adulte autonome, ne dépendant pas des parents ni des institutions sociales pour se réaliser. La situation a complètement changé. Vous allez me dire que peut-être en 2010, nous retournerons à l'indice 50 mais alors la question sera : quid du devenir de celles et ceux qui ont acheté en 2006 avec 50 % d'endettement et qui ont 30 ans d'emprunt devant eux pour un bien qui aura connu une division par deux de sa valeur ? Mieux vaut bien évidemment être propriétaire de plein titre, c'est plus facile pour des gens qui sont rentrés dans le monde du travail en 1970 que pour des gens rentrés dans le monde du travail en 2000 par exemple.
S'agissant du taux de suicide, je n'insisterai pas mais c'est la première fois en 2005 que l'on se suicide aussi fréquemment à l'âge de 30 ans qu'à l'âge de 60 ans.
En termes de réussite de l'État-providence, en termes d'intégration des différentes générations, la société française a enregistré un succès considérable dans la stabilisation et l'intégration des seniors à tous points de vue, notamment dans le monde de la vie politique, intellectuelle et culturelle. Mais ce qui a été gagné d'un côté, je crains n'a pas été accompagné d'autant de succès du côté de la trajectoire de la vie adulte.
Juste pour terminer, en termes de comparaison internationale, les analystes des modèles d'État-providence, ceux qui travaillent notamment avec Gösta Esping-Andersen, le grand sociologue danois, savent qu'il existe trois ou quatre systèmes d'État-providence au niveau européen ou plutôt quasiment mondial.
Le modèle nordique est fondé sur la citoyenneté et sur la réaction immédiate de l'ensemble de la collectivité aux grands défis culturels et civilisationnels du développement de long terme du pays avec une interrogation sur la cible de long terme. En Suède par exemple, lorsque dans les années 90, autour de 1993-1994 plus précisément, le taux de chômage est passé brutalement, en moins de trois ans, de 3 % à 8 %, la société suédoise a réagi avec tout un ensemble de politiques ressemblant à de la flex-security et a vu son taux de chômage repasser de 8 % à 4 % en moins de trois ans, ce qui est une performance extraordinaire. Réfléchissons aux trente dernières années en France pour avoir une vue comparée sur les performances du modèle nordique par rapport aux défis de l'intégration notamment des nouvelles générations.
A l'opposé de cela le modèle étasunien a connu jusqu'à présent, jusqu'en août 2008 dirons-nous, de bonnes performances d'intégration des nouvelles générations. Le marché a su créer une certaine forme d'efficacité en matière d'entrée des nouvelles générations dans la vie adulte mais avec des risques croissants liés à des inégalités croissantes au sein des nouvelles générations mais aussi des plus anciennes générations. Mais, comme nous l'avons vu également, la notion même de market failure est centrale dans les capacités de soutenabilité et de stabilité de ce modèle-là. Que se passe-t-il lorsque le marché auto-équilibrant n'équilibre plus vraiment ? Jusqu'à présent il était plutôt vertueux en matière d'intégration des jeunes, nous pouvons en débattre aujourd'hui.
Troisième modèle, la France et l'Italie, je vais mettre la France dans le même groupe que l'Italie : stabilité des insiders, mise en concurrence des outsiders que sont les femmes, les immigrés et les jeunes non encore stabilisés dans le monde du travail. La réponse du système français ou italien à un ralentissement économique c'est un chômage de masse. En Italie, la réponse est encore pire que la réponse française : nous avons un système très familialiste du point de vue de sa philosophie, la famille doit être un support pour l'intégration des enfants, mais nous voyons apparaître en Italie un familialisme sans famille, autrement dit une quasi-division par deux du nombre d'enfants des nouvelles générations depuis une quinzaine d'années maintenant. Donc en Italie un familialisme sans famille qui se traduit par une aide de la génération des grands-parents envers ses enfants de 40 ans qui, pour la plupart, n'auront jamais d'enfants à leur tour. Versus la version française, nous avons un bon taux de fécondité, donc beaucoup de jeunes, donc beaucoup de problèmes de jeunes pour les vingt prochaines années mais avec malheureusement des conditions d'entrée et de stabilisation de ces jeunes dans la vie adulte ou simplement dans la vie adolescente qui posent de plus en plus de difficultés.
Je vous adresserai à la lecture de Cécile van de Velde, docteur de Sciences Po et maître de conférences à l'EHESS sur la diversité des jeunesses en Europe. Je ne vous fais pas la typologie issue de Cécile van de Velde et les conséquences en termes de différentiels de modèles d'entrée dans la vie adulte. Le modèle nordique est marqué par une transition vertueuse où travail et études sont un perpétuel aller et retour qui ne marque pas définitivement un échec ou un succès pour les uns et pour les autres, c'est quand même quelque chose d'assez favorable. Le modèle latin consiste pour les jeunes à faire le plein d'études le plus longtemps possible pour passer ensuite à un désert éducationnel entre l'âge de 25 ans et l'âge de 60 ans et pose de véritables difficultés de développement de long terme.
Donc, le pire des modèles est à mon sens plutôt le modèle conservateur voire le modèle familialiste méditerranéen et par ailleurs le corporatisme japonais n'a pas été très bon. Le modèle anglo-saxon a eu son heure de gloire mais il faut s'interroger sur ce qui se passe lorsque le marché est marqué par des faiblesses et des difficultés. Je vous avoue que je reste assez sensible au modèle nordique, quand bien même je suis moins social et peut-être plus démocrate que je ne l'ai été dans les temps anciens, mais peu importe. Pour moi, la question est celle du long terme. Je suis prêt à être sacrifié pourvu que mes enfants ne le soient pas.
Et donc la réponse est : attention famille, ne pas dépasser la dose prescrite. A partir d'un certain seuil, nous risquons d'assister à un enfermement des générations de jeunes au domicile de la famille et c'est la pire des choses qui puisse leur arriver lorsque cela dépasse l'âge de 30 ou 35 ans. Attention au suicide.
Attention à l'université low-cost. Nous avons eu une espèce de convergence vers un système d'université à bon marché, de silos à chômeurs dissimulés pour le dire un peu rapidement, la génération d'aujourd'hui dispose de trois ans d'études de plus que ses propres parents mais pourquoi ces trois années de plus ? Rappelons qu'un étudiant en université en France, c'est 6 000 euros de dépenses, 7 000 euros de dépenses collectives maintenant ; à l'âge de 15 - 16 ans un apprenti en Allemagne, ce sont 10 000 euros, donc dans le différentiel, où vaut-il mieux naître ? Vous allez me dire que les jeunes Allemands étant moins nombreux, peut-être que la dépense publique par tête d'Allemand peut être moins limitée. Attention au modèle d'université low-cost cela dissimule la carence d'enseignement supérieur à tous points de vue parce qu'on peut dire qu'il y en a mais en même temps il suffit de faire une visite à Censier, qui n'est pas si loin que cela, ou Nanterre pour avoir pire encore. Il y a quand même quelque chose d'inquiétant en la matière. Quel destin offrons-nous aux nouvelles générations de jeunes ? Il faut absolument faire quelque chose et remettre tout à plat, statuts inclus s'il le faut, peu importe.
Attention aux politiques sociales d'enfermement dans des statuts spécifiques et ciblés. Le raté du CPE est typiquement la pire des choses à ne pas faire, toutes les erreurs étaient commises d'un seul coup, rigidité dans la négociation incluse. Mieux vaut ne rien faire que de s'adonner à une « gesticulocratie » de cette nature-là qui n'aura pour effet que d'exciter la « mouvementocratie » de rue que vous voyez depuis les balcons assez fréquemment. Je pense qu'il y a une espèce de bouclage entre de mauvaises réformes et de mauvaises réponses de la rue. Et puis je pense que nous devons penser aux pays nordiques, la recette c'est le travail décent, autonomisant, permettant aux jeunes de préférer le statut de jeune en travail plutôt que de jeune en études à vie.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci pour ces analyses extrêmement précises et qui vont nous aider bien entendu dans notre réflexion. J'aurais voulu vous poser des questions qui vont être un peu plus concrètes mais je pense que vous allez pouvoir y répondre à partir des analyses que vous avez faites.
Vous évoquez le danger d'enfermement statutaire des jeunes et j'aurais voulu savoir si vous pensez que les politiques que nous mettons en oeuvre pour la jeunesse sont trop différenciées c'est-à-dire qu'en réalité chaque jeune selon sa situation a la possibilité d'accéder aux missions locales, etc. Est-ce que pour vous cette différenciation est nécessaire, est utile ou est-ce qu'au contraire, c'est un frein, un obstacle au règlement des problèmes des jeunes ? C'est la première question.
La seconde concerne l'allocation d'autonomie. Vous avez évoqué le modèle nordique. J'aurais voulu que vous puissiez nous dire ce qui, à votre avis, pourrait fonctionner dans notre pays. Est-ce que, pour vous, il faut conserver les bourses et faire une allocation d'autonomie qui deviendrait complémentaire, qui serait soit calée sur les revenus des familles soit, au contraire, une allocation d'autonomie qui serait identique pour tous les jeunes avec une modulation à partir des bourses ?
La troisième question concerne les éléments, les actions que nous devrions mettre en oeuvre rapidement. Nous avons entendu un certain nombre de personnes que nous avons auditionnées et qui nous ont dit qu'il fallait changer les mentalités, plutôt essayer d'aller dans le sens de la mentalité des pays nordiques, d'autres qui nous ont dit qu'il fallait modifier les structures, d'autres encore qui nous ont dit qu'il fallait améliorer la lisibilité. Aujourd'hui, pour vous, quelles seraient les actions à mettre en oeuvre immédiatement ? Notre objectif c'est de donner des propositions pour la fin du mois de mai et nous devons donc être extrêmement concrets dans ce que nous allons présenter. Quelle est la pierre angulaire qui permettrait de trouver des solutions ou une solution. En sachant bien que tout cela est utopique parce que si l'on avait la solution, elle serait appliquée depuis très longtemps, mais quel est votre avis sur le sujet ?
Quatrième question : est-ce qu'il est nécessaire que notre pays, la France, décide à un moment donné de dire qu'il y a un pourcentage du PIB qui devrait être consacré essentiellement à la jeunesse c'est-à-dire la France décide qu'un budget constant, proportionnel en tous les cas aux jeunes, devrait être utilisé.
Et enfin la dernière question va dans le sens de votre analyse, c'est-à-dire que nous avons vu chaque fois qu'il y a des modifications, des actions qui sont menées, des projets qui sont annoncés, on a une mobilisation des étudiants, on a une mobilisation du corps enseignant, les choses que vous avez évoquées ne sont peut-être pas bien présentées, c'est valable toutes tendances politiques confondues. Est-ce que vous pensez vraiment qu'en France on peut changer les choses ou que nous sommes voués à un statu quo absolu ?
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris - En fait je dirai que seuls les imbéciles ne changent pas d'avis et le nouveau contexte m'amènerait à penser différemment les choses. Vous avez résumé différentes propositions ou différentes visions où les politiques publiques sont un peu en difficulté. Il doit être possible pour les collectivités publiques d'être plus lisibles en simplifiant le maquis, c'est certain, mais en même temps, douze mois plus tôt, je vous aurais dit que cela fait trente ans qu'il y a urgence. Et donc pourquoi n'avons-nous pas répondu à ces urgences depuis trente ans ou si, nous avons répondu, mais avec des strates de replâtrage qui ont toutes lézardé vu l'intensité des transformations derrière. Je crois malgré tout que depuis quelques semaines il y a une nouvelle urgence qui amène à réfléchir de façon assez différente notre court terme par rapport à ce qui a été le long terme des trente dernières années.
Nous sommes à la veille de difficultés encore plus graves pour les nouvelles générations. Pour tout le monde certes mais amplifiées pour les nouvelles générations. Ce qui veut dire que les politiques ciblées de missions locales, j'aurais dit sur le relatif long terme, c'est enfermant, c'est une espèce de politique de voiture-balai pour jeunes vivant les pires difficultés. Il en faudra de toute façon, et certainement plus qu'aujourd'hui. Mais en même temps, en dehors de cette politique voiture-balai, il faut une politique d'emploi pour le gros des jeunes des catégories intermédiaires et moyennes leur permettant d'assurer une transition depuis les études vers le monde du travail qui soit la moins mauvaise possible mais qui va de toute façon mal se passer - de ce point de vue-là Jean-Baptiste de Foucauld et moi-même en étions d'accord dans la Commission de Martin Hirsch.
En fait, l'orthodoxie voudrait éviter tout un ensemble d'emplois du secteur public simplement parce que ce n'est pas le meilleur service et la meilleure forme de socialisation à rendre aux nouvelles générations. Mais, malgré tout, l'exceptionnalité de ce que nous allons connaître justifie une exception dans cette direction-là. En même temps, faire des assistants dans l'éducation nationale pourquoi pas, mais il faut aussi réfléchir à ce qui peut être créé en termes de devoirs de création, de stages - qui ne devront pas porter le nom de stages - dans l'industrie et les services de statut privé. Ce travail avec les entreprises privées d'une certaine taille ou selon d'autres dispositifs moins douloureux doit absolument être mené. En Allemagne, au moment de l'augmentation du taux de chômage à la suite du ralentissement économique du début des années 90, Helmut Kohl a constaté que le système des apprentis périclitait. Helmut Kohl a dit aux entrepreneurs allemands : « Vous devez faire des apprentis » et dans les cinq ans qui ont suivi, ils l'ont quand même un petit peu fait. Je crains malheureusement qu'en France il ne suffise pas de le dire pour que ce soit suivi d'effet parce que nous sommes Français mais je pense qu'il faut véritablement penser non pas à des emplois aidés mais à des incitations fortes pour recruter des jeunes sortant du système scolaire, de façon à en finir avec ce corridor qui peut durer un an, deux ans, trois ans, entre la cessation des études et la chance d'obtenir un premier emploi. Lorsqu'on voyage un petit peu on voit quand même le contraste entre la France et les autres pays : si un petit jeune de 18 ans se propose de remplir le bidon de votre automobile, le réservoir de votre automobile dans une station-service, vous avez quand même un peu peur qu'il le fasse mal. Aux États-Unis comme dans les pays nordiques, on accepte que des gens de 16 ans voire moins le fassent. Enfin il existe tout un ensemble de lieux d'emplois socialisants proches au minimum de la clientèle ou de l'altérité, de l'hétéronomie, liés au travail qui permettent de socialiser correctement les jeunes pourvu qu'ensuite on leur propose un minimum de carrière.
Véritablement, sur la question de l'allocation d'autonomie, je tique un petit peu. Je crois qu'il faut plus penser en termes de contrat d'autonomie avec une réciprocité, des obligations en face, d'éducation versus et/ou de travail, peut-être les deux ensemble. Je ne pense pas qu'on puisse continuer de créer des droits sans réciprocité. Je pense à la même chose du point de vue des retraites, la collectivité donne des retraites, je pense qu'il faudrait aussi des réciprocités à tous points de vue.
Réserver une part du PIB pour les jeunes, je ne crois pas, je pense qu'il faut réfléchir aux justes contreparties. Dire qu'il faut tel pourcentage de PIB pour les jeunes pourvu qu'ils se taisent et ne se mobilisent plus n'est pas la meilleure chose à faire. Le modèle idéal pour moi est celui des pays nordiques où les premières expériences d'emploi de stagiaire ont lieu entre 16 et 18 ans : on arrête ses études à la sortie de l'enseignement secondaire, on fait le tour du monde, on a des activités dans des ONG, on travaille dans le privé, dans le public pour acquérir des expériences, on retourne à l'université pour une licence à 25 ans, un master à 30 et un Ph. D à 45 ans pour devenir prof d'université à 50. C'est un modèle infiniment plus souple et efficace. Ce sont des pays qui connaissent un bon taux de fécondité et qui ont des performances à peu près au même stade que les nôtres.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - J'ai eu en partie une réponse à ma question, mais je me pose celle de l'accès des jeunes au RSA puisque vous savez que c'est en réflexion. RSA vers les actifs, pour complément de revenus ou contrat d'autonomie, je ne sais pas, ça me laisse dans l'embarras, je vous dirai. Alors vous avez en partie répondu mais je voudrais avoir votre avis.
M. Martial BOURQUIN, sénateur du Doubs - Votre exposé était intéressant. Peut-être volontairement, vous avez évité une contextualisation de ce travail. Je m'explique : après les trente Glorieuses, l'ensemble du salariat connaît un bouleversement extraordinaire avec notamment la précarité et l'installation d'un chômage de masse. Et les jeunes bien sûr sont très touchés, les plus de 50 ans à la fin des années 90 aussi, et vous savez qu'il y a toute une tradition sociologique maintenant qui vise à dire en gros que les jeunes sont les victimes des plus anciens. Je pense que les plus anciens sont aussi les victimes. Je voudrais avoir votre avis sur cette question.
La seconde chose, c'est qu'il y a deux théories. La première théorie est de dire qu'il faut des politiques publiques pour la jeunesse et l'autre théorie qui vise à dire que le marché peut tout régler. Je donne un exemple : je suis maire d'une commune. J'ai pris 35 emplois jeunes. Sur les 35 emplois jeunes, 33 ont un CDI à l'issue de leur contrat.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On a tous fait cette expérience.
M. Martial BOURQUIN, sénateur du Doubs - Ça a été un succès et ce n'est pas une question gauche ou droite, pourquoi ? Formation massive, préparation de concours pour certains, formation professionnalisante pour d'autres et tout ça avec cinq ans de stabilité salariale. Avec une formation lourde, on a eu des résultats. Alors je me pose une question pour l'avenir. Pour une entreprise comme celle de Sochaux par exemple, d'ici 2014, 50 % de ses effectifs partiront à la retraite. Est-ce qu'il ne peut pas y avoir, concernant le monde de l'entreprise, des politiques publiques visant à avoir en même temps des formations plus professionnalisantes et une volonté qu'il y ait un « tuilage » pour la personne qui part en retraite et la personne qui vient et qui peut être formée ? Y compris avec utilisation des fonds publics, avec la volonté de hisser ces personnes dans le monde du travail comme vous le disiez, parce que c'est le seul moment où ils sont autonomes, c'est le seul moment où ils arrivent à se situer par rapport à la famille et puis à se projeter dans la vie, ce qui est quelque chose d'important. Voilà ce sont quelques idées...
Mme Christiane DEMONTÉS, sénatrice du Rhône - J'avais une question plus générale sur la formation initiale et en particulier la formation professionnelle initiale. Vous avez dit : « Il faut renoncer au modèle de l'université bon marché ». L'apprentissage, on n'y arrive pas bien, on a quand même fait des progrès. Pour vous, est-ce que la formation professionnelle initiale permet cette transition rapide ?
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Je voulais vous demander si vous ne pensez pas que, à long terme, il fallait accentuer le rapprochement école-entreprise depuis le jeune âge ?
Mme Nicole BONNEFOY, sénatrice de la Charente - Au cours de différentes auditions que nous avons eues avec notre commission, est revenue à plusieurs reprises la question d'un service civil ou civique obligatoire. Voilà j'aimerais connaître votre point de vue, parce que vous n'avez pas évoqué cette question.
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris - S'agissant du RSA, s'il existe des contreparties obligatoires, je ne vois pas pourquoi il commencerait à 25 ans alors que l'âge de la fin des études obligatoires est de 16 ans. Le malaise français est que les mieux diplômés sont intégrés dans l'emploi plus vite que ceux qui ont quitté le plus tôt l'école, ce qui est quand même un paradoxe un peu épouvantable.
Concernant le contexte, vous n'êtes pas sans savoir que les conditions économiques de départ des seniors du monde du travail entre 57 et 60 ans sont quand même plus favorables que celles d'entrée des jeunes de la même classe sociale qui sont arrivés, malheureusement pour eux, trente ans plus tard. Malheureusement, la chance des retraités d'aujourd'hui c'est qu'ils ont eu la capacité à avoir une carrière complète. Le problème des personnes qui n'ont pas simplement 25 ans mais 40 ans aujourd'hui, parce que ça fait très longtemps que ce problème existe, les gens qui ont 40-45 ans aujourd'hui savent qu'à 60 ans, ils n'auront jamais une carrière complète. Je ne sais pas quel est votre groupe politique je pense qu'il faut effectivement penser social mais aussi long terme dans le monde social. Mais bravo pour vos emplois jeunes dans votre localité ; malheureusement la France n'a pas été dans sa moyenne aussi vertueuse que vous l'avez été. C'est vrai qu'il faut du public mais aussi du privé et je pense qu'il faudra de tout au cours des deux-trois prochaines années, ça me paraît extrêmement important, il faut vraiment aider à un meilleur long terme.
Côté automobile, départ à la retraite versus recrutement, vous savez comment les négociations voilà deux ou trois ans ont permis chez Renault d'avoir, pour six départs, un recrutement. Je pense que ce genre de promesses un peu biaisées, six pour un, c'est quand même assez tragique me semble-t-il, nous amène, dans l'automobile, comme au CNRS, comme dans d'autres professions, à voir des pyramides des âges posées sur leur pointe avec de plus en plus de retraités que de jeunes embauchés. Cet échange départ à la retraite contre recrutement de jeunes, vingt ou trente ans après, nous savons que ça ne fonctionne pas. En 1980, l'hypothèse sur la retraite à 60 ans était que les places libérées iraient à des jeunes ; entre 1980 et 1985, ce n'est pas mieux, les nouvelles générations ont connu pire. A penser à trop courte vue nous accumulons des difficultés de long terme que nous payons au prix fort aujourd'hui ; excusez-moi d'être très abrasif, c'est mon style, mais c'est ainsi.
Formation initiale plus proche de l'entreprise. Au nom de l'université, de l'éducation nationale plus généralement, je pense qu'il faut absolument penser en ces termes-là. C'est très difficile parce que, de part et d'autre, les intentions sont quand même assez hostiles. J'ai souvent essayé de travailler avec des entreprises privées, régulièrement au cours des quinze dernières années, cela a toujours été vraiment épouvantable. En discutant avec des collègues aux États-Unis ou dans d'autres pays vertueux de ce point de vue-là, on constate que, d'une façon générale, le monde du travail privé et le monde de l'éducation nationale auront un travail énorme à mener pour se rapprocher, simplement parce que l'hostilité est véritablement forte et souvent réciproque et même les gens doués des meilleures intentions de part et d'autre en reviennent assez souvent avec de très mauvaises expériences. Il m'est arrivé de travailler avec le MEDEF sur des questions de jeune génération, j'en suis revenu
Donc service civique, service civil obligatoire, j'y suis favorable. De mon temps, il y avait un service militaire qui servait à quelque chose, notamment au fait que des bourgeois puissent rencontrer des prolétaires. Même un petit peu, je pense que c'est une bonne chose. Au risque de passer pour un théoricien du kibboutz, un service civil obligatoire à 20 ans et un autre à 60 ans pourraient aider la société française à mieux réfléchir sa vie en commun.
M. Martial BOURQUIN, sénateur du Doubs - Monsieur, excusez-moi, mais est-il possible de souligner que j'ai maintenant des retraités qui arrivent à la retraite et qui vont aux Resto du Coeur parce que, effectivement, avec l'allongement de la vie, les retraités pauvres arrivent. Prenez cela en compte dans vos analyses aussi. Oui, j'en ai pas mal.
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris - Si vous m'aviez lu au cours des dix dernières années sur ces questions-là, le « destin des générations » 1998 tirait un gros signal d'alarme. Le retour du vieux au minimum vieillesse est inscrit dans la démographie actuelle à l'horizon de 2015, c'est-à-dire que nous avons le tout début du retournement de la tendance, les générations qui ont aujourd'hui 55 ans sont les premières générations à avoir subi les conséquences de cette courbe-là voilà quelque temps mais aujourd'hui, nous sommes dans une phase exceptionnelle de l'histoire de l'humanité où relativement en reste de la population et particulièrement aux jeunes, les vieux n'ont jamais été aussi riches, c'est la première fois et peut-être la dernière.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris -J'ai compris qu'il valait mieux avoir 60 ans aujourd'hui, qu'il valait mieux être cadre, fallait avoir acheté jeune et même les femmes, elles n'ont pas complètement rattrapé le retard mais elles ont réduit l'écart. Par contre ce que je n'ai pas compris, une fois que vous avez dit ça, c'est pourquoi vous voulez que tous ces gens-là continuent à cumuler le salaire et donc, mis à part les personnes qui n'en bénéficient pas parce qu'elles sont mises dehors de leur boîte, pourquoi est-ce que vous voulez que ces personnes-là continuent à travailler alors qu'il y a plein de jeunes justement qui aspirent à prendre ces places intéressantes. Donc je n'ai pas tellement compris votre raisonnement puisque vous avez dit que justement ils étaient fermés, qu'ils faisaient bloc, ils se serraient les coudes pour que les jeunes ne puissent y rentrer et vous, au lieu de dire, dégagez, on vous met dehors, on laisse la place, vous leur dites : « Travaillez encore cinq ans, bénéficiez de cela et comme çà, ça laissera encore les jeunes dans des situations plus difficiles à obtenir » ?
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Comme quoi l'écoute est sélective parce que M. Chauvel a expliqué que ça ne marchait pas cette histoire. Mais je vous laisse la parole.
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'institut d'études politiques de Paris - Merci Monsieur pour votre question qui m'offre l'opportunité d'y répondre. En 1981, pour un député de moins de 40 ans, il y avait un député de plus de 60 ans. C'est à peu près la même distribution qu'au moment de la Libération, où nous avions des assemblées totalement intergénérationnelles où François Fillon d'un côté en 1981 et de l'autre Marcel Dassault permettaient de représenter l'ensemble des étapes de la vie adulte quasiment. Aujourd'hui, pour un député de moins de 40 ans, il y a neuf députés de plus de 60 ans. Le Sénat rajeunit simplement parce qu'il n'y a pas de place pour tout le monde à l'Assemblée Nationale. (Rires)
La situation de dissymétrie que nous avons vu s'accumuler au cours des années récentes fait que le loisir valorisé par des retraites décentes et par ailleurs l'accès à la stabilisation dans l'emploi social, politique et syndical - je ne vous fais pas la pyramide des âges des syndicats, mais si vous le souhaitez, je puis vous le faire - les jeunes aujourd'hui sont sans emploi, sans beaucoup de ressources, ils sont les premières victimes de la situation de working poor, de travailleur pauvre, ce sont en même temps ceux qui payent les cotisations sociales d'un modèle qui malheureusement ne s'essouffle pas, il s'étouffe à la racine du renouvellement générationnel et je crains simplement que les jeunes ont été tout à la fois les victimes d'un faux libéralisme qui n'a donné de liberté qu'à ceux qui avaient les moyens de s'acheter de la liberté et d'un faux socialisme qui a oublié ses enfants.
Un intervenant - Mais le fait qu'il y ait quand même une répartition des revenus du capital qui va davantage vers le capital que vers le travail ça n'a pas une incidence sur le fait que les jeunes n'ont pas de travail ?
M. Louis CHAUVEL, sociologue, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris - Je vais aller dans votre sens. En fait ce dont a besoin la société française, c'est que les vieux riches puissent être solidaires des jeunes pauvres. En dehors de l'impôt progressif sur les revenus et sur la fortune, il n'y a pas d'autre solution pour assurer cela parce que malheureusement, les vieux riches sont surtout solidaires de jeunes qui sont de futurs vieux riches à leur tour, (rires) ce qui est une grande difficulté. Mais en même temps, c'est vrai que l'un des risques de l'augmentation de l'impôt sur le patrimoine c'est que nous risquons d'observer un certain intérêt des personnes âgées à transmettre de plus en plus vite leur patrimoine à leurs enfants. Donc plus d'impôts sur le patrimoine pourraient produire une plus forte - comment dire ça - reproduction intergénérationnelle par la transmission aux nouvelles générations du patrimoine des anciennes générations. Mais en fait ces paradoxes sont nombreux en sociologie et ce que nous savons c'est que rarement la société fonctionne d'une façon linéaire et qu'assez souvent nous avons de mauvaises surprises lorsque nous désignons un élément de politique publique qui n'a absolument pas la réponse sociétale que nous avions anticipée.
Juste pour terminer, j'ai l'occasion de le dire ici. Le Sénat a, par rapport à l'ensemble des autres institutions de la Ve république, une certaine capacité de vue longue de part son statut et par le statut même de ses élus. Il me semble que le Sénat doit véritablement prendre à bras-le-corps cette question de réflexion sur le très long terme du développement de la France, sa société, son monde politique. Depuis que le Plan n'existe plus et que le conseil d'analyse stratégique porte son nom d'une certaine façon, c'est vraiment le rôle intrinsèque du Sénat d'assurer une vision longue et une vigie des transformations longues quelle que soit l'appartenance en termes de groupe de ses membres, me semble-t-il. Merci.
Auditions de M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM, M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio, M. Yann GENESTE, directeur des chaînes musicales du groupe M6
(7 avril 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous allons continuer par cette table ronde radio/télévision à destination d'un public jeune. Nous accueillons Laurent Dumay, qui est directeur général d'Ado FM, Jérôme Fouqueray, directeur général de Fun Radio et Yann Geneste, directeur des chaînes musicales du Groupe M6.
Vous savez que Martin Hirsch réfléchit à la politique en faveur des jeunes. Il a semblé important aux sénateurs de travailler sur une mission un peu similaire pour ne pas laisser seulement l'exécutif plancher là-dessus et que le législatif s'occupe également de ces problèmes. Nous avons donc constitué cette mission commune, qui a commencé à travailler il y a quinze jours à peu près et nous souhaitons terminer fin mai. C'est donc une mission très ramassée dans le temps. Nous souhaitons être le plus concrets possible, sans ignorer du tout les problèmes qui peuvent exister en amont et en aval. Nous planchons sur les 16-25 ans, sur les problèmes qui tournent autour de l'emploi, c'est-à-dire l'orientation, la formation, l'emploi, sur les problèmes d'autonomie des jeunes c'est-à-dire l'autonomie financière, l'accès au logement, et sur les problèmes de citoyenneté, d'accès à la culture et les problèmes de santé. Je rappelle très brièvement que si nous nous sommes intéressés à cela, au-delà de la démarche de Martin Hirsch, c'est parce qu'en France, dans la tranche d'âge des 16-25 ans, le taux d'emploi est inférieur à 30 %, que le taux de chômage des jeunes est un des plus élevés d'Europe et que pour la première fois, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Il nous a ainsi semblé absolument indispensable d'avoir cette réflexion spécifique parce qu'un pays ne peut pas accepter que sa jeunesse entre dans sa vie d'adulte avec ce sentiment de désespoir et d'injustice.
Nous allons donc vous écouter les uns et les autres. On vous propose de faire une première intervention sur deux thèmes : le premier, quels sont les attentes et les besoins des jeunes d'après l'analyse que peuvent en faire les radios et les chaînes de télévision, d'après les analyses que vous pouvez vous-mêmes en faire ; et deuxième thème, comment les pouvoirs publics pourraient-ils s'adresser plus efficacement aux jeunes, notamment pour leur faire connaître les politiques publiques les concernant.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Madame la présidente. Tout d'abord, merci d'avoir répondu présent à notre invitation. Je vais faire un propos liminaire. Pourquoi recevoir les radios et télés aujourd'hui ? Parce que nous essayons dans cette mission de recevoir toutes celles et ceux qui s'intéressent aux problèmes de jeunesse. Nous avons des jeunes structurés qui sont les étudiants. Pour les autres, c'est beaucoup plus compliqué. Quand je dis les autres, ce sont les jeunes qui sont sortis du système éducatif à 16 ans, ceux qui sont bacheliers mais qui n'ont pas fait d'études supérieures. On a du mal à vraiment appréhender leurs problèmes, même si nous sommes tous élus et que nous recevons beaucoup de jeunes dans nos permanences, on n'a pas le même auditoire que vous. D'où l'idée de vous inviter aujourd'hui pour que vous puissiez nous dire, à travers les émissions, à travers les forums, à travers les débats que vous avez, quel est l'état de la jeunesse et comment on peut l'aider à partir des problématiques que les jeunes pourraient vous exprimer.
J'ai trois questions simples : comment aujourd'hui les jeunes utilisent les médias comme espace d'expression, c'est-à-dire qu'est-ce qu'ils vous disent d'une manière générale ; quel est l'état d'esprit des jeunes aujourd'hui d'après le miroir des médias ; et enfin l'utilisation d'Internet et du téléphone mobile a-t-elle modifié la relation des jeunes aux médias ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Tout d'abord, je me présente. Je m'appelle Jérôme Fouqueray. Je m'occupe depuis quelques années de Fun Radio qui est un réseau musical du groupe RTL destiné aux 16-25 ans, coeur de cible de la station. C'est une radio qui existe depuis 1986, qui a une longue histoire en matière de dialogue avec la jeunesse, parce que vous le savez peut-être, c'est la radio qui a inventé la radio libre au début des années 90 avec une émission qui a, en son temps, beaucoup défrayé la chronique avec Doc et Difool. C'est une radio qui n'a pas fait que ça. Elle a fait aussi des émissions qu'on a appelées citoyennes, notamment il y a quelques années avec Loubna, la vice-présidente de SOS Racisme. C'est une radio qui a une vraie expérience de dialogue avec la jeunesse, avec des jeunes qui constituent 80 % de l'audience de la radio qui est de quatre millions d'auditeurs par jour.
C'est une radio dont le programme est constitué de deux choses importantes : de musique évidemment, puisque c'est l'objet de la consommation principale des jeunes de 16-25 ans en matière de radio, et de ce qu'on appelle d'émissions parlées avec une dimension qui est plus de divertissement le matin, qui a plus trait à l'humour et au dialogue le soir, ce qu'on appelle d'ailleurs la libre-antenne. J'ajoute que sur ce type d'émission, nous participons, parallèlement à ce type de table ronde, à une mission qui est en cours actuellement avec le ministère de la culture sur toutes les thématiques de la protection de l'enfance et de l'adolescence, de tout ce qui est contenu pour adultes notamment qui peut être traité sur les radios. Et en ce sens, la libre-antenne que nous pratiquons est une libre-antenne que je qualifierai de responsable, on fait très attention à ne pas céder à la surenchère qui est pratiquée par d'autres, qui leur réussit d'ailleurs en termes d'audience. Nous avons fait un choix volontaire en matière de contenu et de protection de l'enfance et de l'adolescence, et en ce sens, on est différents de nos amis et néanmoins concurrents.
Alors moi ce que j'ai ressenti, ce que je ressens actuellement par rapport à ce que nous entendons, notamment dans ces émissions de libre-antenne ou sur nos sites Internet, que les 16-25 ans sont dans une situation difficile - je ne sais pas si cette situation est inédite mais en tout cas elle est effectivement très difficile - une situation de pauvreté qui, pour beaucoup de familles, est nouvelle. Une situation de précarité par rapport aux études, au logement qui est difficile. Une grande difficulté à s'intégrer dans le monde du travail et acquérir de premières expériences. La contrainte de financement est très forte aussi parce que les études sont plus longues et plus chères qu'avant, ce qui est lié au fait que les jeunes ont du mal à s'intégrer dans le monde du travail. Ces études doivent être financées par des jobs que l'on appelle des « mac jobs ». Ces difficultés sont particulièrement fortes sur les populations issues de la diversité, urbaines d'origine africaine ou maghrébine, on le ressent très fortement. Je ne sais pas s'il y a un échec global ou pas des politiques de la ville, ce n'est pas à moi de le dire, mais en tout cas, nous, on ressent fortement une vraie fracture sur ce type de population.
Il y a d'autres éléments qui sont importants et plus positifs. Je sens, et c'est un travail que l'on fait nous au niveau du développement marketing sur la radio, qu'il y a une prise de conscience très forte des jeunes sur des sujets très importants, qui méritent d'être défendus, une envie de participer. Je dois dire que nous, libre-antenne, avons un très grand succès. Il y a une volonté de participer, de s'impliquer sur le débat actuel, qui est très forte et de s'investir dans des causes que les jeunes estiment justes.
Il y a aussi une méfiance vis-à-vis de l'hyper marketing que l'on ressent très fortement aussi. Il y a une espèce de prise de conscience, de mise à distance des univers purement marchands. On se méfie de ça et on essaie de développer un marketing sincère, positif, qui ne soit pas uniquement de l'hyper marketing de vente. Et puis, il y a une chose totalement nouvelle qui est que ces jeunes communiquent de façon immédiate entre eux grâce aux nouveaux outils de communication gratuite, je pense évidemment à Facebook, à MySpace qui sont des outils fantastiques de communication des jeunes entre eux. J'ai fait la somme de tous les groupes sur Facebook qui sont concernés par notre média. Cela concerne 80 000 jeunes qui ont entre 13 et 22 ans, auxquels on peut s'adresser de façon directe, immédiate et quotidienne sur tous les sujets qui les concernent, soit pour vendre des choses, on ne parle pas de vente marchande mais de vendre nos émissions, vendre notre marketing, mais surtout avec lesquels on peut dialoguer. D'ailleurs, la plupart des remontées que je vous fais et dont j'ai fait une petite synthèse viennent beaucoup de ces dialogues à la fois des jeunes avec nous mais aussi des jeunes entre eux. Voilà ce que je pouvais vous dire de façon un peu synthétique.
Il y a un dernier élément. On invite des hommes politiques sur Fun Radio et on leur donne la parole. Le choix qui est fait n'est pas forcément d'inviter des hommes politiques parce que ce sont des hommes politiques mais parce qu'ils ont des parcours exemplaires qui sont intéressants à partager. Ce sont des parcours de réussite qui méritent d'être partagés avec les jeunes. En effet, je remarque que les jeunes qui nous écoutent ont très envie de dialoguer, de discuter, de faire partager leurs angoisses et leurs avis sur la politique et les parcours. C'est pourquoi on a invité Rachida Dati il y a quinze jours sur Fun. Cela a été un énorme succès au standard : il y a eu 26 000 appels en une soirée, et seules 80 personnes ont pu passer sur l'antenne. Nadine Morano était venue nous expliquer il y a deux mois les projets en matière de politique familiale et Jack Lang était venu nous faire une sorte de brief sur l'éducation et l'avenir en matière de politique éducative.
Il y a donc un besoin, une envie. Je ne sens pas de rejet, mais je sens une défiance par rapport à un discours qui serait trop construit, qui serait trop marketing. Les jeunes recherchent une vraie sincérité et ont une vraie envie de partager, de discuter dans un dialogue décomplexé, simple, franc, fraternel les dialogues qu'on a eus sur notre antenne ont été vraiment passionnants en termes de vérité, de sincérité, de proximité avec les jeunes.
M. Yann GENESTE, directeur des chaînes musicales du groupe M6 - Je vais essayer de passer après un si brillant exposé. Je suis Yann Geneste, je m'occupe de la musique pour la chaîne M6, je dirige également la chaîne M6 Musique sur le câble, le satellite et l'ADSL et je coordonne la musique pour l'ensemble du groupe M6.
On est effectivement sur la même perception et le même constat. Pour aller un peu plus dans le réel, nous identifions trois mots-clés qu'expriment les jeunes. D'une part les jeunes demandent du respect, ils ne veulent pas de jeunisme. Si on doit tout de suite réfléchir aux actions de communication, ils refusent parce qu'ils voient qu'on est dans le faux et qu'on essaie juste de s'adapter à eux, qu'on n'essaie pas de les traiter d'égal à égal. Tous les codes du jeunisme qu'ils perçoivent comme du marketing pur sont rejetés immédiatement. Le premier point, c'est le respect.
D'autre part, et ça peut être un peu surprenant, les jeunes sont en demande de repères. Aujourd'hui, le constat est assez violent, notamment pour une frange qui est potentiellement dans la marginalisation. Il y en a un certain nombre qui nous disent ne rien avoir à quoi se raccrocher. Ils ont besoin de repères et on a même une réelle demande d'autorité. C'est nouveau, ils ne veulent pas forcément qu'on les brosse dans le sens du poil. Ils peuvent même aller jusqu'à demander des « coups de pied aux fesses », en tout cas avoir un cadre dans lequel évoluer et que les choses soient dites parfois d'une manière un peu abrupte, mais au moins qu'elles soient dites franchement, clairement et directement. Ils n'ont pas forcément un sentiment de révolte et s'il y a volonté de transgression, elle reste assez sage. Ils ne vont pas jusqu'à la révolte physique, en tout cas pas en masse, mais ils sont en demande de repères. Et ce qu'ils nous disent - je cite des remarques qu'ils nous ont faites dans des groupes qualitatifs auxquels on leur avait demandé de participer - c'est qu'ils souhaitent de la part des adultes une forme d'autorité. Ils veulent que soit marquée l'autorité, que l'adulte joue son rôle parce que potentiellement dans la cellule familiale, ils n'ont plus cette autorité, ou plus suffisamment, ce qui fait que les parcours personnels sont un petit peu biaisés.
Et puis autre chose qui est assez surprenante, troisième point, c'est que, dès l'adolescence et par exemple dès 16 ans puisque c'est le début de la cible qui est concernée par cette discussion, ils regardent l'avenir de manière extrêmement concrète, ils sont déjà dans le concret. Je vais faire un parallèle de manière plus précise par rapport à l'antenne de M6. On n'est pas sur la musique, on n'est pas sur des projets générationnels, mais il y a une des émissions qui fonctionne très bien sur les moins de 25 ans : il s'agit de « Recherche appartement ». Un gamin de 16 ans aujourd'hui n'est pas du tout dans cette logique, il est juste en train d'essayer de préparer son bac et quand on les interroge sur le succès que remporte cette émission sur cette cible-là, ils disent que ça leur permet déjà de se projeter et de voir à quels problèmes ils vont être confrontés quelques années après. Ils y pensent dès cet âge-là, ils sont déjà dans le concret. Ils réfléchissent évidemment aux problématiques du financement des études, de leur avenir personnel, de l'emploi, mais de manière extrêmement concrète. Ils ont la perception, si on prend un peu de hauteur, d'une société extrêmement violente. C'est un constat qui est assez général, avec une réelle peur de l'avenir. Un constat que l'on peut tous faire est qu'ils ont une telle absence de visibilité sur ce que sera leur avenir à l'horizon six mois, un an, deux ans, a fortiori cinq ans, qu'ils se sentent menacés. Cette menace peut être physique, avec la violence quotidienne de la rue, elle peut concerner l'emploi, l'absence de visibilité, l'éclatement de la cellule familiale et donc le manque de repères. Tout cela se corrobore.
Si on doit revenir sur la transgression, on se rend compte qu'il y a un certain nombre de médias qui relayent cette valeur un peu transgressive mais de manière assez bordée, ça reste toujours dans certaines limites. Il y a ainsi une limite, mais c'est celle de la peur. La transgression doit rester ludique. Cela peut être aussi un axe pour la communication, sur la façon de s'adresser à eux. Transgression oui, mais elle reste finalement assez sage.
Pour revenir sur la matérialisation et le fait que les jeunes sont aujourd'hui dans le concret, on peut citer le récent très grand succès de l'émission Zone Interdite le dimanche soir sur M6. Celle-ci ne vise par forcément un public très jeune, elle est même une des rares émissions de M6 qui s'adresse aux quadras et plus, aussi bien aux moins de 50 ans qu'aux plus de 50 ans, une cible plus âgée que la moyenne des émissions de la chaîne du groupe M6. On a recueilli plus de 30 % d'audience sur les moins de 25 ans ce qui est assez inédit pour cette émission-là avec une thématique, qui va dans le sens de ce que je vous disais auparavant, qui concernait les dangers qui guettent les ados. Cela traitait aussi bien des problèmes d'alcool, de drogue, d'emploi, etc. Ils se sont sentis directement concernés : une problématique assez grave, extrêmement sérieuse qui a été traitée d'une manière claire, avec des exemples concrets sur le terrain. C'est très exactement ce qu'ils demandent et les réponses qu'ils attendent. On a pu constater que l'on était dans le vrai quand on a diffusé ce genre d'émission, en tout cas on répondait à une de leurs attentes qui était d'en savoir plus et d'avoir éventuellement des clés pour s'en sortir.
Un autre point qui doit nourrir la réflexion par rapport à la manière de communiquer concerne la forme. C'est une cible qui est extrêmement sensible aux innovations, techniques notamment. Tout ce qui touche aux nouveaux médias, notamment à ce qui leur permet d'avoir des relations « one-to-one » personnalisées, d'être en relation directe soit avec le média, la voix qu'ils écoutent au quotidien ou leur groupe d'amis, leur famille ou leurs proches, plus ou moins proches d'ailleurs, ils en sont extrêmement friands. On doit aussi intégrer cette dimension-là dans la forme de communication qui peut d'ailleurs commencer par une communication dématérialisée, notamment par les supports Web et mobile, avant d'investir les mass media. On voit bien qu'il y a une réaction immédiate sur ces médias-là avec une efficacité totale parce qu'il y a évidemment une relation personnalisée qui permet d'avoir un message ciblé avant d'élargir évidemment, d'avoir une part de voix beaucoup plus large, beaucoup plus massive.
Et puis enfin tout simplement, ils ont une envie assez incroyable de comprendre le monde dans lequel ils évoluent aujourd'hui, le monde qui les attend. Ils ont besoin de clés et je pense que nous, en tant que médias, avons ce rôle à jouer de leur donner des clés et de leur expliquer un petit peu où ils vont, comment est-ce qu'ils vont pouvoir aller dans la bonne direction. Voilà les éléments et le constat que l'on fait aujourd'hui.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Je suis directeur général associé d'un groupe qui s'appelle Start qui édite une petite dizaine de radios locales indépendantes dont Ado, Voltage et Latina sur Paris mais également Sud Radio dans le sud et des radios dans le centre de la France qui s'appellent Vibration, Forum, Black Box et Wit FM. On fait ce métier depuis plus de 25 ans maintenant et nous sommes des anciens jeunes bacheliers qui n'ont pas eu le temps de faire d'études supérieures parce qu'on a été très vite happés par ce très beau métier qu'est la radio. On a vieilli au même rythme que les gens qui nous écoutaient au début de la radio locale. On a un ressenti de ce qui s'est passé depuis plus de 25 ans et de ce qui se passe aujourd'hui mais contrairement à mes deux confrères, je serais peut-être un petit peu plus humble sur ma capacité ou notre capacité à pouvoir définir ce que sont les jeunes et ce que veulent les jeunes aujourd'hui. Si je le savais de manière très précise, je serais très content parce que j'aurais les moyens de pouvoir rentrer en conversation avec eux et au fond le but de notre travail c'est d'arriver à entrer en conversation avec eux et ce n'est, même pour nous, pas facile. Ce n'est pas facile parce que, plus on veut attaquer des groupes de personnes de plus en plus jeunes (et le marketing nous pousse à aller de plus en plus vers des marchés de gens de plus en plus jeunes) plus on se retrouve confrontés à des grappes et à des univers très nichés qui n'ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. C'est pour ça que je parlerai des jeunes avec humilité, parce que je pense que c'est délicat de parler des jeunes dans leur ensemble et c'est donc d'autant plus compliqué de communiquer en direction des jeunes dans leur ensemble. Il y a effectivement un ensemble d'outils, un certain nombre de médias qui sont de plus en plus ciblés, des médias généralistes. Nous, on est plutôt des médias locaux. Si je prends l'exemple de radios comme Ado qui est une radio très urbaine, entre le début du succès d'Ado et aujourd'hui, tout a changé. C'est très compliqué de rester en phase avec notre public. J'aurais beaucoup de difficultés à vous donner des pistes très précises pour communiquer de manière certaine avec les jeunes.
Maintenant, je pense que l'écueil dans lequel il ne faut pas tomber c'est effectivement le jeunisme, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que tout le monde autour de la table a des exemples en tête de soi-même consommateur de médias qui visionne ou qui écoute un message des politiques au sens large en direction de la jeunesse. C'est très compliqué de passer un message, de toute façon, pas uniquement en direction des jeunes. La Prévention Routière a beaucoup de mal, par exemple. Je pense qu'il faut faire attention de ne pas tomber dans les travers du jeunisme, c'est évident. Il faut savoir à qui on veut parler parce que plus on veut parler à des gens jeunes, plus c'est compliqué de s'adresser à eux dans leur ensemble, il faut donc aller par petites touches, par saupoudrage dans des directions bien précises. Effectivement, il y a une partie de la jeunesse qui a accès à un certain nombre de nouveaux médias, qui communiquent, avec lesquels on peut communiquer mais je crains que ce ne soit qu'une partie de cette jeunesse. Parce que, même aujourd'hui, pour être connecté, il faut avoir un certain nombre de moyens et ce n'est pas parce que l'on vend beaucoup de téléphones et que l'ADSL s'est démocratisé que ça touche aujourd'hui malgré tout l'intégralité des jeunes. Je pense que les jeunes qu'on voudrait toucher réellement pour ce qui est de la problématique de la société, ce sont ceux-là qui sont les plus difficiles à toucher.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Vous avez déjà pour certains répondu aux questions que je voulais vous poser. Quel est l'impact de la publicité, et d'une manière générale sur les jeunes, est-elle un outil efficace de prévention et d'information ? Comment informer les jeunes et créer des émissions citoyennes alors que les émissions qui sont proposées aujourd'hui sont plutôt des émissions musicales ou de divertissement ? Et la troisième question : les médias n'accentuent-ils pas le sentiment de défiance des jeunes à l'égard de la société, du monde politique, en raison de l'image parfois déformée ou caricaturale qu'ils en donnent ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Sur la publicité, je ne sais pas comment vous répondre. Oui, la publicité est un très bon moyen pour faire la promotion des différentes actions. D'ailleurs on le fait déjà, au final il y a beaucoup de causes et d'actions. Il y a des organismes auxquels je pense comme le CIDEM pour inciter les jeunes à voter, il y a beaucoup de choses qu'on fait en la matière, que ce soient des actions sur antenne ou sur le terrain, des actions « citoyennes » pour inciter les jeunes à être plus conscients et éveillés à ce type de problématique. La publicité est un excellent moyen pour le faire. La deuxième chose, ce sont les émissions. Chaque radio a son positionnement, chaque radio est libre de faire le programme qu'elle souhaite, elle en a fixé d'ailleurs le cadre par convention avec le CSA. Chaque radio respecte sa convention, ou tente de le faire en tout cas, sur les sujets aussi importants que la protection de l'adolescence, de l'enfance, la promotion des actions citoyennes, etc. Pour notre partie, nous avons des émissions de divertissement dans lesquelles nous intégrons la dimension dont vous parlez et ce dont j'ai parlé tout à l'heure s'inscrit dans ce cadre, c'est-à-dire que quand on invite des gens qui ont des choses intéressantes à dire ou avec lesquels il y a un dialogue intéressant à construire avec les jeunes en général, on le fait. On ne le fait pas de façon systématique mais à chaque fois que c'est vraiment intéressant. On l'a fait avec Rachida Dati, pour Jack Lang et Nadine Morano pour les trois derniers. On le fait toute l'année et chaque fois qu'on le fait, ça marche très bien. Il faut faire attention à ce que les émissions « citoyennes » ne fassent pas simplement plaisir aux gens qui les commandent. On se retrouve souvent dans des émissions qui malheureusement ne sont pas les plus écoutées et ne sont pas les plus « sexy ». En revanche, je crois important d'avoir un programme de divertissement qui soit un vrai programme responsable, et je peux vous assurer que là-dessus Fun Radio est vraiment engagé sur cette voie. Disons que - je n'ai absolument rien à vendre - ça fait partie du positionnement de notre radio, d'avoir une antenne qui soit une antenne de bonne humeur, de loisir mais aussi une antenne qui tire les débats vers le haut quand il y a matière à avoir débat. Encore une fois, pour chacun de mes confrères, les positionnements ne sont pas tous les mêmes selon les antennes. Sur Fun, on a fait le choix encore une fois d'émissions de divertissement dans lesquelles, à chaque fois que c'est important, il y a matière d'installer un vrai dialogue et ça se passe vraiment très bien. Donc le sentiment de défiance, je le ressens moyennement, je ressens surtout un besoin d'explications, un besoin de dialogue, un besoin de proximité sans jeunisme et sans émission qui soit encore une fois des émissions qui ne font plaisir qu'à ceux qui les commandent. Cela me fait toujours penser aux abonnements aux magazines, aux parents qui achètent des magazines pour les enfants, alors qu'e l'on sait en fait que les enfants ne les lisent pas. Mais en tout cas ça fait plaisir parce que les parents ont ces magazines à la maison. Il est vrai qu'il y a eu des émissions de télévision dans le passé qui ont fait plaisir à des gens qui les ont commandées mais malheureusement ce ne sont pas toujours les plus puissantes, il faut donc arriver à réconcilier les deux. Je pense que dans des émissions qui sont des émissions positives avec des positionnements de divertissement affirmés, on peut avoir des tranches ou des moments qui sont réservés à de vrais moments de dialogue comme on le fait.
M. Yann GENESTE, directeur des chaînes musicales du groupe M6 - Je répondrai en deux points. D'une part un constat, c'est que, en tout cas pour ce qui nous concerne, un programme dont la promesse serait un projet citoyen, la citoyenneté comme dit Jérôme, ce ne serait pas tellement « sexy » et je ne suis pas sûr qu'on arriverait à faire venir les jeunes. A chaque fois qu'on a traité de près ou de loin la citoyenneté, je vais prendre cette thématique même si la problématique est beaucoup plus large, c'est parce que c'était intégré dans une problématique beaucoup plus large. Je prenais l'exemple de Zone Interdite, c'est vrai aussi dans 100 % Mag, on voit qu'il y a une surreprésentation des moins de 30 et des moins de 25 ans sur ce type d'émission qui est une émission d'actualité sociétale, qui évoque des sujets plus ou moins légers, l'actualité de manière plus ou moins anecdotique, mais aussi des sujets un petit peu sérieux et traités d'une manière très sérieuse dans lesquels on peut d'ailleurs le cas échéant régulièrement héberger des problématiques liées à la citoyenneté, aux conditions de vie des jeunes, à leurs attentes. Mais je ne pense pas qu'on puisse aujourd'hui considérer naïvement que mettre une émission dédiée à la citoyenneté sur une des antennes radio, télé, même Internet, sur un des supports média qu'offre ce pays, rassemblerait les jeunes de manière importante.
Je pense que c'est la forme qui est très importante là-dessus, encore une fois. Je vais vous prendre un exemple de ce qui est pour moi un cas d'école de la manière dont on devrait travailler pour s'adresser aux moins de 25 ans, et donc d'avoir un esprit citoyen avec une action citoyenne. Cependant, cette action n'est pas vendue, n'est pas consommée comme ça par cette cible-là. C'est un projet qu'on n'a pas encore signé, donc je vous donne une espèce d'exclusivité. C'est un projet qui arrive en France en 2009, qui s'appelle Rock Corps. Il est initié par des Américains qui en ont monté quatre éditions sur les États-Unis. Ils préparent la deuxième en Angleterre. Le principe est d'une simplicité biblique, mais c'est redoutable. Un concert est organisé au bout de l'opération, donc là en l'occurrence le concert aura lieu en France à Paris début octobre 2009 : c'est la « carotte » de l'opération. Pour accéder à ce concert, vous n'avez pas de billetterie, vous n'avez pas d'invitation, il n'y a pas de copinage, rien de tout ça, pas de passe-droit. Vous êtes obligé de donner quatre heures de votre temps à une association. Et ça, c'est malin. Parce que, évidemment, tout ça se fait d'une manière extrêmement festive. Vous vous inscrivez, ensuite vous êtes contacté personnellement et suivant votre localisation géographique, on vous propose de choisir entre trois associations : humanitaire, citoyenne ou environnementale. Ensuite, vous allez sur le terrain, mais quand vous y arrivez, c'est musique à fond, tout le monde est habillé aux couleurs de l'opération et puis il y a un côté communautaire, collectif, qui est extrêmement festif. Les gens ont l'impression de participer à une gigantesque fiesta. Ca se fait d'une manière extrêmement positive et au bout des quatre heures, les participants repartent avec leur billet en mains et donc d'un coup, ils se rendent compte de la valeur que ça représente. Quand ils arrivent au concert, ils sont fiers parce qu'ils ont donné de leur temps, comme les artistes qui sont sur scène et qui eux aussi sont allés aussi sur le terrain. C'est la condition sine qua non pour qu'ils montent sur scène. Ainsi, quand les artistes s'adressent à eux, ils ont l'impression de faire partie de la même famille. Ce qui est aussi génial - et en tout cas ce sont les exemples qu'on a à l'étranger - c'est que l'opération n'est pas un one shot puisque près de 40 % des jeunes qui participent aux actions sur le terrain s'inscrivent ensuite durablement dans le cadre de l'association qu'ils ont aidée. On est sur une action extrêmement concrète, positive avec une action de moyen-long terme. On trouve cela absolument génial, il y a de belles histoires à raconter et le concert n'est presque qu'un prétexte. Ce qui est intéressant c'est tout ce qui va se passer en amont et en aval. C'est dans cette logique-là qu'il faudrait avancer plutôt que se dire qu'on va avoir ce côté un peu maître d'école, donneur de leçons. Il faut en tout cas essayer d'éviter de les guider de manière trop formelle sur une thématique qui est un peu abrupte, qui est un peu austère, mais plutôt l'enrober de manière un peu « sexy » avec un de leurs principaux centres d'intérêts qui est la musique parce que c'est une vraie thématique, une vraie matière facile à travailler sur laquelle ils réagissent immédiatement. C'est plutôt intéressant.
C'est juste un cas extrêmement concret mais qui nous semble vraiment correspondre à l'air du temps. C'est une démarche positive sans qu'à aucun moment cette cible puisse imaginer qu'il y ait récupération ou qu'elle soit instrumentalisée. Elle est active, elle participe, elle est même le premier acteur de l'opération, c'est grâce à elle si l'opération est un succès.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Je pense que si on arrive à fédérer ces jeunes, c'est parce qu'on essaye d'être en phase avec leurs centres d'intérêts. C'est forcément très difficile pour un média qui est centré sur les centres d'intérêts des jeunes de sortir de ce centre d'intérêt pour parler d'autre chose. Parce qu'on prend le risque de, nous aussi, ne plus les intéresser. Prenons l'exemple de l'éducation civique, je pense que c'est vraiment à l'école que ça doit se faire. On peut trouver des relais dans les médias pour déclencher des choses, ne serait-ce que dans les médias jeunes que nous représentons, se forcer alors que l'on sait que ce n'est pas forcément générateur d'audience de prime abord de continuer de faire des flashs d'information, de présenter l'information d'une certaine façon de manière à ce qu'elle soit reçue par les jeunes en question ou par la plupart d'entre eux en tout cas, ça peut rappeler des choses qui se sont passées à l'école. Mais si, en amont de tout ça, il y a une déscolarisation à l'âge de 14 ans, nous, en tant que médias, nous ne pouvons rien faire. On ne pourra rien rappeler à des gens qui n'ont rien entendu. Donc la difficulté - ce n'est pas pour botter en touche - elle est quand même en amont. En premier lieu, il y a l'éducation, il y a l'école, il y a tout un tas de choses qui se passent autour de l'école, autour des activités sportives, autour d'une socialisation normale qu'on apprend au fur et à mesure du temps. Et si ça n'existe pas, on peut toujours avoir la meilleure volonté du monde, ce sont des générations perdues, il faut juste en être conscient. Après on prend de gros risques à essayer à tout prix de rattraper les choses comme ça. C'est la difficulté.
A présent, on se rend compte de plus en plus que, comme je vous le disais, entre le début d'Ado FM et maintenant, tout a changé. Qu'est-ce qui a changé ? Au début d'Ado FM, la radio c'était nouveau, il y avait un attrait pour la nouveauté et pour une certaine forme de musique. Aujourd'hui, on sent que pour conserver le lien avec la nouvelle génération, il ne suffit plus de parler de musique, d'organiser des concerts, ce n'est plus suffisant. Ça reste vrai pour certainement une grande majorité des jeunes, mais encore une fois, pour ceux envers lesquels on a des difficultés de communication, nous aussi, il faut qu'on trouve d'autres moyens. On s'évertue à réfléchir à trouver d'autres moyens et on prend parfois les uns et les autres des risques à sortir de nos formats marketing initiaux pour tester des choses et pour voir comment les choses réagissent et souvent on a de bonnes surprises. Il faut échouer plusieurs fois pour réussir quelque chose mais on a parfois de bonnes surprises et ce n'est pas forcément là où on s'attendait à avoir des résultats positifs. Mais encore une fois, c'est difficile. Quand on va sur le terrain, on se rend compte que c'est complètement différent de ce qu'on a comme impression en tant que média en décrochant le téléphone et en écoutant les auditeurs qui passent à la radio. Ce ne sont pas les mêmes jeunes qu'on voit sur le terrain. Nous avons une opération où en fait on emmène des artistes dans les lycées, on fait gagner à l'antenne le droit à un élève de devenir la petite star de son lycée pendant une journée parce qu'il va recevoir un artiste qui vient en concert à Paris et on va le chercher à la sortie du lycée avec l'artiste. Et là, on est confronté à une double population en fait : d'une part, la population de ceux qui sont scolarisés et, d'autre part, on fait souvent face à des tensions, avec ce qui se passe à l'extérieur de l'établissement. On essaie de ne pas amener des artistes trop ghettos, mais on diffuse quand même, du fait de notre format, une certaine typologie de musique. On sent qu'il y a vraiment une dichotomie entre ce qui se passe à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement quand on va sur le terrain et cela, on ne le ressent pas quand on parle à nos auditeurs qui représentent en théorie l'ensemble de la population des jeunes. C'est pour vous dire que l'appréciation est différente quand on est sur le terrain et quand on est derrière nos consoles.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines -Est-ce que vous êtes capables de donner le type de public que vous touchez ?
Quel est le pourcentage d'écoute radio et les tranches horaires des radios ? En effet, je pense qu'il y a des concurrences avec les nouveaux médias. Il suffit de voir les enfants qui ont de plus en plus accès à Internet pour beaucoup. Ils sont beaucoup sur Internet et ils vous font de la concurrence puisqu'ils enregistrent même leur musique. Ils font des enregistrements sauvages, ils ont beaucoup de dialogues avec leurs copains, ils restent entre bandes de copains.
Troisième question, un de vous a parlé de la question des appartements, un sujet qui les intéressait. Est-ce que les recherches d'emploi les intéressent et est-ce qu'éventuellement vous avez une possibilité de leur offrir un petit peu d'orientation, voire de coaching dans ce domaine ?
Et puis, vous avez parlé de la citoyenneté. Vous avez eu l'air de dire, que c'était un petit peu difficile, mais quand, par hasard, le sujet passe, je me posais la question de savoir si, par exemple, l'Europe les intéressait et si les élections européennes pouvaient retenir leur attention.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Pour ce qui est de la dernière partie de votre question, l'Europe, j'aurais du mal à vous dire quel est le niveau d'intérêt ou de désintérêt. J'ai plutôt l'impression que c'est très éloigné de leurs préoccupations et malheureusement je pense que ce n'est pas uniquement quelque chose qui est lié aux jeunes. (Rires)
Mme Nicole BONNEFOY, sénatrice de la Charente - C'est leur avenir à eux plus que le mien. C'est l'élection où il y a le plus fort taux d'abstention.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - On n'est venus ni les uns ni les autres avec les outils nécessaires mais je pense qu'on pourrait s'engager à vous faire un petit « topo » écrit parce qu'on a des études à travers Médiamétrie qui donnent pour chacun de nous et encore plus précisément pour la télévision, les profils par tranche d'âge, par catégorie socioprofessionnelle, par tranche horaire, hommes/femmes. Cependant, cela reste des chiffres extraits d'un niveau statistique et il faut bien prendre en compte les marges d'erreurs dans ces chiffres. Plus vous avez une audience générale à la base qui est forte, plus vous pouvez vous permettre de descendre dans des niveaux statistiques de quelques marches sans prendre de risques. Plus vous avez une audience qui est faible, plus les chiffres que l'on vous transmettra seront à prendre avec précaution. Mais on a un certain nombre d'éléments, notamment sur les répartitions hommes/femmes, c'est quelque chose de crédible, sur l'audience générale, sur les tranches horaires. On voit que, en dehors de tous formats, la radio en général s'écoute de la même façon, la télé en général s'écoute de la même façon donc on sait à quels endroits et les publicitaires d'ailleurs font des études très précises sur le sujet.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - En fait, je voulais savoir si ce sont des jeunes qui vous appellent aux horaires scolaires ou bien si ce sont des jeunes qui sont plutôt désoeuvrés et qui vous appellent en cours de journée.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Ça, c'est très difficile, parce que les centres d'intérêts qu'on détermine sont liés avec ce qu'on met en jeu. D'abord, il faut être équipé d'un téléphone pour communiquer avec une radio ou il faut être en liaison avec Internet et j'insiste là-dessus, parce qu'on a vite fait de croire qu'aujourd'hui, tout le monde est équipé. Mais je suis absolument certain que ceux qui posent problème sont parmi ceux qui ont le taux d'équipement le plus faible. Et ceux avec lesquels on a le plus de difficulté à rentrer en contact sont parmi ceux qui sont un peu en dehors de la société.
M. Yann GENESTE, directeur des chaînes musicales du groupe M6 - Je vais essayer de répondre plus précisément sur la question de la déclinaison d'une émission de type « Recherche appartement » sur la recherche d'emploi. Il y a peut-être une problématique éditoriale, c'est que vous avez forcément un effet-miroir sur « Recherche d'appartement » parce qu'on peut tous se sentir concernés, directement ou en se projetant, a fortiori quand on a 16 ans. Sur l'emploi c'est plus difficile parce que ce sont forcément des cas particuliers donc ça sera traité de manière forcément plus sociétale. C'est le cas parfois, pas forcément de cette manière-là précisément mais sous un angle différent par exemple dans Zone Interdite, un des grands succès. Je reviens à cette émission mais elle est censée quand même prendre le pouls de manière assez correcte de la société et les audiences montrent que les thèmes qui sont traités un dimanche sur deux sont plutôt en phase avec ce que vivent et ce qu'attendent les Français, devant leur télé en tout cas. Une des thématiques récemment traitée ave succès était « Quand la France galère », où la problématique de l'emploi était forcément mise en avant. Je crois que ça traitait notamment du système D pour les gens qui avaient des problèmes d'emploi. Je ne dis pas que ça donne des clés ou du coaching pour retrouver un emploi parce que ce serait quand même un peu prétentieux de proposer ça mais c'est plus une photo de ce qui se passe aujourd'hui. Éventuellement, on pourrait proposer quelques exemples de parcours de personnes qui ont réussi à s'en sortir, qui venaient d'assez bas ou qui sont tombés assez bas et qui ont réussi à remonter. En cela on peut dire qu'on peut donner quelques clés à travers des exemples personnels. Au-delà de ça c'est vrai que c'est un peu compliqué et ça dépend plus de la manière dont on peut l'appréhender sur le plan éditorial, trouver la bonne idée pour que ça puisse rassembler le plus grand nombre, à la fois faire venir les gens et les faire rester.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Je n'ai pas l'impression que nos auditeurs viennent vers nous sur cette thématique. Il faudrait que je regarde d'un peu plus près mais je n'ai pas le sentiment qu'ils viennent pour ça, ils ne viennent pas pour se plaindre, pour exposer leurs problèmes.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Pourtant c'est un art de faire parler les gens, souvent ils viennent sous un prétexte fallacieux et c'est autre chose qu'ils cherchent.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Oui, mais il faut avoir le temps pour ça. Je crois que les statistiques qui ont été données tout à l'heure sont là pour montrer que c'est difficile. Quand on a 80 000 personnes qui essaient de joindre un standard et que seulement 26 personnes passent le standard... Voilà, on n'est pas là pour ça. Mais en tout cas ce que je voulais vraiment vous dire c'est que les gens ne viennent pas vers nos médias pour exposer, pour s'exposer et parler de leurs problèmes, à moins que, sur des émissions montées dans cette direction, on aille les chercher. Mais de manière naturelle, ils ont tendance à ne pas s'exprimer là-dessus.
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - La radio reste le média préféré des jeunes, donc un média très important dans l'esprit de la jeunesse. Sur les 16-25 ans, il y a même une étude, qui s'appelle « Média in life » de Médiamétrie, qui montre quels sont les médias préférés des jeunes de moins de 30 ans. La radio est encore en tête, assez largement d'ailleurs. L'Internet a fait un bond évidemment depuis quelques années, mais la radio est de loin encore le média préféré de la jeunesse.
Sur les initiatives d'émissions, un bon exemple a été fourni tout à l'heure, et je vais vous en donner un autre, avec une règle générale. Cela peut effectivement nous faire réfléchir à des initiatives qui sont plus larges ou différentes, qui pourraient nous inspirer ou vous inspirer dans les politiques publiques. Il convient d'avoir une cause juste, c'est évidemment la première chose. Peut-être qu'on ne l'a pas assez dit, mais il est important d'avoir des porte-parole, des personnes qui incarnent cette cause. Évidemment sur les artistes avec lesquels nous travaillons c'est très fort dans la dimension de concert d'avoir des gens qui fédèrent les jeunes, encore faut-il que ces artistes véhiculent des valeurs positives, mais il y en a beaucoup qui le font, il faut le souligner. Enfin, il faut que tout ça se cristallise autour d'événements. Nous travaillons d'ailleurs aussi sur des initiatives autour de l'écologie. Ainsi, un concert qui s'appellera le « Green festival » sera organisé à la rentrée avec une des radios qui est RTL2, en déterminant des artistes qui vont porter les messages de ce concert, par leur participation. Ce concert sera financé par des opérateurs privés, évidemment intéressés pour s'associer à ce type d'opération d'image. Je suis certain que les auditeurs seront sensibles à ce type d'événement, ils auront le sentiment de participer à une cause juste tout en se divertissant et tout en adhérant à un message porté par la radio mais surtout par les artistes qui sont parfaitement cohérents avec ça.
Je voulais enfin le souligner parce que vous avez parlé d'émissions sur l'emploi, RTL a fait une journée spéciale sur l'emploi -basée sur la mise en relation de demandes et d'offres. Il se trouve qu'il y a eu 5 000 mises en relation, ça a été un très beau succès - RTL n'a aucune vocation en matière de remplacement du Pôle Emploi évidemment - mais il y avait des auditeurs qui appelaient pour dire que c'était formidable parce ce que ce qu'avait fait la radio aujourd'hui, le Pôle Emploi ne l'a pas fait pendant dix ans. C'est incroyable à tel point d'ailleurs que l'opération se rééditera tous les mois. Il y aura d'ailleurs une journée spéciale pour les jeunes sur cette initiative et qui sera faite avant l'été.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Vous pourriez d'ailleurs dans ce sens pousser quelques métiers avec des grands témoins qui diraient « Je fais tel métier, c'est formidable, c'est extraordinaire », histoire de donner des idées aux jeunes qui n'en ont pas.
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - C'était absolument le cas. Non seulement ça se déclinait sur l'antenne, mais sur l'Internet aussi. L'Internet a été très fort en la matière. Cette opération était une opération spéciale, je ne pense pas qu'elle ait vocation à résoudre le problème de l'emploi en France, ce n'est évidemment pas la question, mais en tout cas c'était positif, c'était concret et ça a marché. Je pense que cela participe aussi de la valorisation de démarches qui étaient actives, concrètes et très efficaces. Un site Internet spécialement dédié à la recherche d'emploi a été créé sans avoir vocation à remplacer le service public. Ce serait bien prétentieux.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Sans les remplacer, vous pouvez leur donner des coups de pouce de temps en temps, ils en ont bien besoin.
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Bien sûr. D'ailleurs il y avait les gens du Pôle Emploi qui participaient et qui étaient évidemment partenaires.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - C'est une très bonne chose.
M. Yann GENESTE, directeur des chaînes musicales du groupe M6 -Pour revenir sur des exemples concrets, quand on voit les succès qu'ont rencontrés des actions citoyennes, humanitaires, en faveur de l'environnement, on voit bien qu'à chaque fois, ça s'est fait à travers le prisme du divertissement et du plaisir. Les Restos du Coeur, c'est quand même une énorme fête qui a lieu à Bercy. Les gens viennent et là en l'occurrence c'est la carotte, les volontaires sont récompensés de toute l'action qu'ils effectuent sur le terrain toute l'année. Mais bon, ils savent qu'il y a ça au bout alors dans quelle mesure cela joue-t-il, peut-être qu'au bout d'un moment, c'est oublié au contact de ceux qui souffrent et du bon esprit. Mais c'est quand même très important, ça a été lancé dans des conditions assez exceptionnelles avec Coluche.
Il y a d'autres exemples. Il y avait notamment quelque chose qu'on a relayé sur M6 avec un grand succès d'audience il y a cinq ou six ans et qui s'appelait le « Live 8 » à l'initiative de Bob Geldof, juste avant le sommet du G8 qui allait étudier la question de l'annulation de la dette du Tiers-monde. Il y avait un enjeu fort deux jours après. Ils ont réussi à mobiliser la population de douze pays qui ont chacun hébergé un concert qui avait lieu au même moment dans le monde entier. Vous aviez près de 180 diffuseurs, donc des milliards de téléspectateurs, au même moment sur la planète. Il y a d'ailleurs eu un moment magique où chacune des scènes se relayait et s'interpellait et c'était Will Smith qui a donné, je me souviens, le signal à Philadelphie. Il avait appelé Londres, ensuite Paris, etc. On était dans quelque chose d'extrêmement festif mais qui avait un objectif clairement affiché, celui de faire pression sur les gouvernements pour qu'ils décident tous ensemble d'annuler la dette du Tiers-monde purement et simplement. On peut citer également le « Live Earth » qui deux ans plus tard a souhaité sensibiliser à travers un grand concert, un même principe d'ailleurs, c'étaient plusieurs concerts au même moment dans le monde entier, sur la question environnementale. On voit bien qu'à chaque fois les grands succès ont été faits avec une logique beaucoup plus globale et surtout pas donneuse de leçons, quelque chose d'extrêmement festif.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - J'aurais voulu quand même réagir un petit peu à la description qui nous a été faite des demandes des jeunes. Vous nous avez parlé des demandes de respect, des demandes d'autorité également. Il est vrai que je viens d'un monde d'enseignants, et dans les classes, c'est ce que les jeunes demandaient et je suppose qu'ils le demandent toujours. Donc ce n'est pas très étonnant.
Vous avez évoqué cette vision de l'avenir un petit peu pessimiste qu'ils avaient. Je ne pense pas que ça ait beaucoup changé. C'est pour cette raison que je voulais vous demander depuis combien de temps faites-vous de la radio et des programmes pour les jeunes ? Comment expliquez-vous que vous le constatez maintenant, alors que c'étaient déjà des constats qui ont été faits avant ? Pensez-vous qu'il y a eu une accélération de la société qui fait que les jeunes se sont prononcés là-dessus un peu plus violemment ou plus fortement dans vos programmes ?
Tout à l'heure, vous avez parlé de la radio comme étant le média le plus utilisé par les jeunes. On a aussi beaucoup parlé des jeunes qui étaient la génération zapping. Est-ce que vous le constatez chez vous ou comment peut-on le constater ?
J'avais aussi une question sur l'influence, parce qu'on dit que la jeunesse est aussi influencée par les programmes, tels que la Star'Ac ou les reality shows. Pensez-vous qu'ils aient aussi quelque influence sur leurs réactions ?
Concernant le traitement de l'actualité, vous avez dit que c'était finalement la musique et le plaisir qui étaient le fil conducteur des programmes que vous élaborez pour les jeunes. Est-ce que vous partez de temps en temps d'un fait divers, par exemple ce qui s'est passé à Strasbourg, pour l'utiliser pour amener les jeunes à s'exprimer, à avoir des réactions là-dessus ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Je vais répondre très vite. Sur le fait de savoir si la jeunesse va plus ou moins mal, c'est un peu difficile à dire. Cela fait quand même dix ans que je fais ce métier et en tant que citoyen finalement, pas uniquement en tant que directeur de radio, je pense qu'il y a des sujets qui sont plus visibles, plus criants, plus dramatiques qu'avant. Ça, j'en suis convaincu. Deux exemples, deux thèmes : tout ce qui a trait à la précarité étudiante, à la pauvreté des enfants, des adolescents, est devenu beaucoup plus visible, beaucoup plus grave, beaucoup plus intense et nous, on le ressent fortement dans les appels entrants sur nos standards téléphoniques. Un deuxième thème que je vous ai mentionné tout à l'heure auquel je crois aussi beaucoup, est celui de la fracture avec les populations issues de la diversité, qui est devenue insupportable, de plus en plus visible et peut-être difficile à assumer pour ces populations.
Sur la génération zapping, c'est clair, d'ailleurs on en est nous-mêmes un peu victimes parce que les radios musicales ont une audience qui a plutôt baissé. Je ne vais par vous faire la revente, on n'est pas très concernés par cette baisse, mais l'ensemble du marché des radios musicales a plutôt baissé, les autres évidemment. Vous l'avez dit tout à l'heure, on est concurrencé, pas tellement d'ailleurs par les radios musicales. Le contexte concurrentiel a totalement changé, c'est-à-dire qu'il y a l'Internet, les baladeurs mobiles, mais il n'y a pas que ça, il y a aussi les consoles de jeux vidéo, le PC, tout ce qu'on peut imaginer en termes de support multimédia et qui fait que le temps n'est pas extensible à l'infini dans une journée ou dans une fin de journée qui fait quelques heures. On ne peut pas tout faire en même temps, même si la radio a cet avantage formidable, à la différence de la télévision, d'être un média synchronique, c'est-à-dire qu'on peut faire autre chose tout en écoutant la radio. Malgré tout, le temps accordé à la radio a un peu diminué et les musicales en sont aussi victimes. Je pense que les jeunes zappent plus d'un média à l'autre, ils sont plus sollicités donc ils passent plus d'une chose à l'autre. Ils zappent plus les choses qu'ils n'aiment pas et les choses dont ils estiment qu'on est dans l'hyper marketing, qu'on veut leur vendre des choses qui sont préfabriquées ou qui en fait ne leur correspondent pas. Je pense, je ne vous citerai évidemment personne, à des marques, à des cas concrets où visiblement on est dans un effet de cycles qui fait qu'il y a une prise de conscience que le discours n'est pas sincère. On en a tiré la conclusion qu'il faut avoir un discours qui soit très sincère, très vrai vis-à-vis des jeunes en général, encore que les jeunes en général c'est un vaste concept dont on n'a pas beaucoup parlé.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Oui, on est jeune de plus en plus tard ! (rires)
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - En tout cas on est un jeune consommateur de plus en plus tôt.
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Ce n'est pas faire insulte aux personnes de l'âge de mes parents de dire que les jeunes qui ont aujourd'hui 12-13 ans ont une ouverture, ce n'est pas toujours positif, ont un éveil par rapport à beaucoup de sujet. Ce qui est important, j'ai cette conviction, par rapport à mes enfants aussi, est qu'on ne peut pas interdire, on ne peut pas cacher les choses. Par contre, éveiller la conscience critique, la lecture critique ou l'écoute critique des contenus pour savoir les décoder, éventuellement les mettre à distance, est extrêmement important et encore une fois, je travaille sur un média qui est engagé sur cette voie.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Je pense que ma question va vous aider, puisque j'ai partiellement une réponse. La première question, c'était combien de personnes à peu près s'occupent de la remontée des informations, puisque vous avez 80 000 personnes en contact, il faut des personnes qui regardent ce qui s'est dit sur Internet, pour le standard, etc.
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Il y a 3 000 appels je vous rassure, on a un standard qui compte le nombre d'appels entrants mais on ne peut pas tous les prendre évidemment.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Mais les personnes qui prennent les messages par Internet ou par téléphone, ça fait combien de personnes ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Les choses ne sont pas tellement organisées comme ça parce qu'elles sont organisées par émission. Mais on a une petite dizaine de personnes sur l'Internet et au standard téléphonique qui s'occupent à la fois d'écouter les auditeurs, de traiter les sujets ou leurs demandes et éventuellement de faire remonter les informations sur les différents sujets qui sont évoqués.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris -Même si vous avez en partie répondu, quels sont les problèmes qui ressortent le plus : ceux liés à l'école, au revenu financier, aux relations, au logement ou encore aux discriminations ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Là vous parlez des émissions du soir, notamment. Je vous dirai que le thème numéro 1, il ne faut pas s'en cacher mais c'est quand même une question qui agite beaucoup d'adolescents, c'est l'histoire d'amour. Ce qui est franchement important, et j'en ai encore une fois la conviction, n'est pas tellement le sujet, c'est la façon dont on répond et dans quel environnement de programme on se situe.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - Vous pouvez expliquer un peu ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Si vous avez la curiosité de vous brancher sur les antennes jeunes le soir, vous avez trois antennes jeunes qui font de la libre-antenne le soir et il y a trois façons de traiter les sujets qui sont un peu différentes, ce qui fait que chaque radio a son positionnement. Mais vous avez aussi des façons plus ou moins graveleuses, plus ou moins sérieuses ou plus ou moins obscènes, on va dire ça comme ça, de répondre aux questions. Donc il y a les histoires d'amour, il y a les histoires au lycée avec les profs, les histoires familiales.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Au lycée entre eux aussi ?
M. Jérôme FOUQUERAY, directeur général de Fun Radio - Bien sûr oui. Ce sont les histoires de la vie quotidienne. En général évidemment ils viennent là parce qu'ils pensent, à juste titre souvent, qu'ils vont pouvoir dialoguer avec un avis extérieur qui va les aider à progresser sur le sujet. Ce sont des questions qu'ils n'ont pas pu résoudre dans le cadre familial immédiat.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Si je reviens à la première conscience que j'ai eue en écoutant la radio quand j'avais 12-13 ans, c'était le premier choc pétrolier et depuis ce moment-là, j'ai l'impression qu'on me parle de crise. Je suis un enfant de la crise et depuis que je suis jeune il y a eu plein d'autres jeunes qui ont toujours entendu parler de la crise et je pense que ça, ça n'a pas changé. C'est certainement plus aigu dans certaines classes. Les gens sont « ghettoïsés » et ça ne date pas d'hier. Il n'y a que cinq ou sept ans que j'ai commencé à entendre parler des premiers immeubles qu'on dynamitait, ce qui donnait le top départ une nouvelle organisation. Je l'ai ressenti comme ça, et à l'intérieur de ces ghettos ça a été également ressenti comme cela. Pourtant, on vient tous des grandes promesses de Jean Nouvel qui n'ont pas trouvé preneur. Je pense que ce qui surgit, enfin ce qui donne l'impression de surgir aujourd'hui, vient de plus loin que les jeunes aujourd'hui, peut-être deux, trois générations de jeunes.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Je ne voudrais pas mobiliser la parole. Adolescente dans les années 52-54, tout ce qui se passe aujourd'hui, moi, je l'ai vécu jeune fille : on ne trouvait pas de logement, il n'y avait pas d'emplois. Après on a vécu les trente Glorieuses alors évidemment, vous êtes tous les descendants des trente Glorieuses. Tout vous paraît très difficile aujourd'hui mais en fait on est dans une espèce de mouvement répétitif. On est en train de revivre ce qu'on a vécu après les années de guerre pendant lesquelles la vie était très difficile. Vous vous mariiez en 53 ou 54, vous n'aviez pas de logement, vous payiez horriblement cher une chambre avec un cabinet de toilette qui ne ressemblait à rien, ce n'était pas si évident que cela. Et je pense que c'est le fait d'avoir vécu trente années très riches qui fait qu'aujourd'hui, on a tous peur finalement.
M. Jackie PIERRE, sénateur des Vosges - En principe après les années de guerre, il y a du travail. Je suis né en 1946 donc après la guerre...
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Il y avait de l'espoir.
M. Jackie PIERRE, sénateur des Vosges - D'abord c'était la seule issue. Quand on avait 14-15 ans, la seule issue qu'on avait c'était de trouver du travail, il n'y avait aucun système parallèle qui permettait de faire croire qu'on pouvait s'en sortir. La seule issue c'était de commencer à travailler et moi, à 17-18 ans, j'étais bûcheron.
M. Laurent DUMAY, directeur général d'Ado FM - Mais aujourd'hui, il y a plus de monde donc moins de place.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous vous remercions très sincèrement d'être venus. Merci pour la simplicité et la sincérité de vos propos. Vous apportez quelque chose de tout à fait complémentaire aux auditions auxquelles on a pu procéder préalablement. Je suis ravie que vous soyez venus et merci de nous avoir consacré du temps.
MM. FOUQUERAY, GENESTE et DUMAY - Merci beaucoup.
Table ronde sur les discriminations
(8 avril 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons Mme Carole Da Silva , qui est membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - vous vous présenterez plus en détail tout à l'heure. Ensuite, nous avons Mme Sihem Habchi , qui est membre du Collège de la HALDE et présidente de Ni putes, ni soumises, puis Mme Caroline Bovéro , qui est responsable de l'Association Prévention Accueil Soutien Orientation (APASO) et qui coordonne le point d'accès au droit des jeunes. Nous accueillons également M. Guillaume Ayné , qui est directeur général de SOS-Racisme. M. Pascal Bernard , vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), nous rejoindra ensuite.
Je vous redéfinis en quelques mots l'objet de cette mission d'information sur la politique en faveur des jeunes. Nous avons pensé utile, au sénat, tandis que Martin Hirsch travaille sur les mêmes thématiques, que l'exécutif ne soit pas seul à plancher là-dessus. Le législatif travaille également et travaille vite, puisque nous avons démarré cette mission voici deux semaines et que nous souhaitons au minimum rendre un rapport d'étape fin mai. Nous avons donc sérié un peu les problèmes et nous avons décidé de travailler sur la tranche d'âge 16-25 ans en sachant que, bien sûr, ce n'est pas exhaustif. Les thèmes que nous avons retenus ne sont pas non plus exhaustifs, mais il faut faire des choix. On a choisi d'abord la problématique autour de l'emploi, c'est-à-dire : orientation, formation, emploi, puis la thématique de l'autonomie des jeunes, c'est-à-dire autonomie financière et accès au logement, ainsi que les problèmes de santé, de citoyenneté et d'accès à la culture. C'est donc là-dessus que nous allons essayer d'avancer, en sachant que cette table ronde traite des discriminations.
Pourquoi nous sommes-nous efforcés de mettre en place cette mission ? Au risque d'énoncer des banalités, je rappelle que les jeunes de 16-25 ans sont touchés de plein fouet par le chômage, que le taux de chômage des jeunes en France est l'un des plus élevés d'Europe, que ce chômage a augmenté de 24 % en un an pour cette tranche d'âge. On considère que 18 % des jeunes vivent en dessous du seuil de pauvreté et que pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Il se trouve que toutes ces difficultés sont aggravées pour certains, victimes de discriminations. Ils n'ont pas le bon nom, pas la bonne couleur, pas la bonne adresse lorsqu'il s'agit de trouver un emploi, lorsqu'il s'agit de trouver simplement un lieu de stage ou à plus forte raison, un logement. C'est donc essentiellement sur cette problématique que l'on voudrait vous entendre.
On vous propose de travailler sur trois thèmes. Pour gagner un peu de temps, je vais regrouper les deux premiers. Comment définir la notion de discrimination et quelles formes spécifiques peuvent-elles prendre pour les jeunes ? Existe-t-il dans notre droit et notre organisation institutionnelle des règles ou éléments discriminants pour les jeunes ou susceptibles de favoriser des situations discriminatoires ? Le cas du RMI ou du RSA, qui ne sont pas ouverts aux jeunes, retiendra tout particulièrement notre attention. Quel est votre point de vue là-dessus ? On va donc faire une première prise de parole sur ce thème et nous passerons ensuite à l'autre volet : quelles sont d'après vous les solutions à privilégier pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes ? Discrimination positive ? Mesures incitatives ?
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci d'avoir répondu présent à notre invitation. Il y a donc toute une série de questions concernant les deux premiers volets. La première question est la suivante : comment définir la notion de discrimination et la différencier de la simple inégalité de traitement ou des difficultés d'accès à certains droits ? La deuxième question est : pouvez-vous dresser un panorama des discriminations dont les jeunes sont le plus fréquemment victimes ? Troisièmement : observe-t-on des discriminations plus fortes à l'égard des jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Et est-ce que l'on peut même aller au-delà, par exemple, les jeunes issus de Seine-Saint-Denis, quels que soient leur nom ou leur couleur de peau, sont-ils victimes de discriminations simplement de par leur lieu d'habitation ?
Concernant le deuxième volet, c'est une question qui est plus particulièrement adressée à la HALDE. Estimez-vous que les conditions d'éligibilité au RSA puissent être considérées comme discriminatoires au regard des textes constitutionnels et européens ? Comment justifier les inégalités de traitement entre les jeunes actifs de moins de 25 ans sans enfant à charge et ceux d'âge supérieur ? D'une façon générale, estimez-vous opportun de mettre en place des structures ou des dispositifs spécifiques pour les jeunes ? Ces types de dispositifs ou politiques dédiées ne sont-ils pas stigmatisants et enfermants - comme l'a souligné le sociologue Louis Chauvel, que nous avons reçu ici la semaine dernière ? Enfin, dernière question, n'est-il pas préférable, pour insérer durablement les jeunes dans la société, de favoriser leur accès aux structures ou aux dispositifs de droit commun pour l'emploi, comme le RSA, plutôt que de segmenter les publics par tranche d'âges comme c'est le cas aujourd'hui ?
Voilà les quelques questions que je voulais vous poser. Bien entendu, vous pouvez largement étendre les réponses sur des sujets qui vous intéressent ou qu'il vous semble utile d'évoquer pour que nous soyons totalement informés sur les problèmes de la discrimination.
M. Guillaume AYNE, directeur général de SOS-Racisme - Je vais vous faire part de l'expérience que je peux avoir par rapport aux discriminations à proprement parler en tant que responsable de SOS-Racisme. Je m'occupe d'une organisation qui est intergénérationnelle, mais qui est composée en majorité de personnes qui ont moins de 25 ans, qui sont également issues des quartiers populaires et qui subissent donc souvent des discriminations.
La première chose à noter est qu'en France, il existe une sorte de schizophrénie. La jeunesse est érigée comme une valeur presque principielle et en même temps, quand on est jeunes, accéder au marché de l'emploi est particulièrement difficile. Il faut donc être jeune quand on est plus âgé et il ne faut pas être jeune quand on est jeune. Il y a un véritable malaise, quand même, pour contextualiser tout cela. On voit le malaise qui peut exister dans nos universités : il y a une soixantaine d'universités qui sont mobilisées en ce moment et c'est quand même une preuve d'angoisse extrêmement forte. Nous avons aussi des remontées de l'ensemble de comités en France où les jeunes, qu'ils soient ou non à l'université, ressentent une certaine angoisse vis-à-vis de l'avenir. Je voudrais quand même noter une chose par rapport à cela : ce n'est pas seulement l'avenir qui les angoisse, c'est aussi que le présent est difficile et c'est cela qui alimente une appréhension vis-à-vis de leur entrée sur le marché de l'emploi ou vis-à-vis du développement de leur carrière. Alors ce n'est pas qu'une question psychologique, où les jeunes seraient victimes d'a priori et de préjugés. Il y a des réformes structurelles que l'on peut mettre en avant et je pense que l'on peut décliner cela sur les questions d'emploi, de logement, d'école. Il faut également rappeler que lorsqu'on est jeune, c'est la première fois que l'on est confronté à tout. De fait, les difficultés se cumulent, dans un premier temps.
Je voudrais aussi dire, dans mon propos introductif, qu'il y a une unité très forte dans la jeunesse, notamment au niveau des aspirations et des projets de société qui veulent être portés. Mais il y a une partie de la jeunesse qui est plus discriminée que les autres. Nous travaillons énormément sur ces questions-là - mais je pense que l'on abordera ces questions dans un second temps, quand on rentrera dans les questions de propositions.
A SOS-Racisme, nous avons fait un constat : la difficulté est l'accès au premier emploi. On demande systématiquement une expérience professionnelle pour être embauché. Cette expérience professionnelle s'acquiert la plupart du temps par le biais des stages qui sont obtenus soit parce qu'on est dans une école renommée qui a déjà organisé son système de liens, soit parce qu'on a un réseau familial qui nous permet d'accéder à ces stages. On voit qu'un certain nombre d'entreprises publiques, et cela pose des questions, où les stagiaires sont uniquement les enfants de ceux qui sont déjà salariés, ce qui fait qu'il y a une barrière qui se crée à ce niveau-là.
Nous avions lancé un programme nommé « Ça va être possible », où l'on a fédéré un certain nombre de grandes entreprises et de PME qui acceptaient de recevoir les CV qu'on leur envoyait. De fait, ce genre de chose ne peut pas reposer sur le secteur associatif, qui est bien trop faible, et dont le rôle peut être d'aiguiller sur un certain nombre d'idées ou de projets, mais qui ne peut prendre à sa charge ce qui devrait être un véritable service public des stages. Et je pense que c'est un enjeu très important. Les entrepreneurs doivent également avoir quelques incitations à recruter des jeunes - je ne pense pas pour ma part que cela soit stigmatisant. Ce que l'on a pu voir par le passé comme les emplois jeunes qui ont existé pendant 5 ans et qui ont permis la création de plus de 2 millions d'emplois avec 90 % de jeunes qui à la sortie de ces contrats sont entrés dans le marché du travail, était une très bonne mesure. Aujourd'hui, on paye un peu le fait que cela n'existe plus.
Ensuite, il y a un certain nombre de mesures qui touchent l'ensemble de la jeunesse, autour de la question de l'objectivation et de la neutralisation des procédures d'embauche. Là, cela concerne particulièrement les questions de discrimination raciale. Il y a dans les procédures d'embauches, on le voit bien, un grand nombre d'éléments qui rentrent en compte dans le fait de convoquer quelqu'un pour un entretien d'embauche et pendant l'entretien d'embauche des questions sont posées, qui n'ont rien à voir avec les compétences requises pour l'exercice de la fonction. On a fait des enquêtes qualitatives, notamment auprès de Michael Page et l'on voit que de très nombreuses questions sont posées sur la langue parlée à la maison, sur le temps vécu en France, et de fait, cela n'a rien à voir avec le poste qui devrait être occupé.
Comment est-ce qu'on neutralise, comment on objectivise ? Nous avions fait la proposition du CV anonyme. Quand on passe son bac, dans la copie anonyme, il n'y a que les compétences qui sont prises en compte pour évaluer la qualité de la copie. Nous pensons que cela devrait être la même chose dans l'emploi. Par ailleurs, cela bénéficierait à tout le monde : à ceux qui sont victimes de discriminations en priorité, mais aussi aux autres, car comme vous l'avez bien fait remarquer, il existe aussi des discriminations territoriales, il y a aussi l'âge, bref, plein d'éléments qui n'ont rien à voir avec l'emploi qui doit être occupé, qui rentrent dans le processus de sélection. Ces éléments ont d'ailleurs des conséquences, que l'on appelle en anglais disparate impact, c'est-à-dire des conséquences discriminatoires sans en avoir l'objet a priori.
Ensuite, un autre élément, c'est que je pense qu'il faudrait intégrer soit dans les conventions collectives, soit dans la loi - cela, il faut que les techniciens y réfléchissent - le recrutement par la méthode des habiletés, c'est-à-dire que lorsque l'on recrute, la personne qui est en charge des ressources humaines a un schéma très précis de questions qui sont déjà fixées a priori et où les questions correspondent spécifiquement à l'emploi qui doit être occupé. Cela permet d'évacuer un certain nombre de questions qui viendraient perturber le processus de recrutement non discriminatoire. Voilà, pour commencer. Il y a énormément de choses à dire aussi sur la question de l'école, de l'accès à une éducation de qualité pour tous, parce que je ferai quand même remarquer que ceux qui passent par le cursus des Grandes Écoles ne se retrouvent pas confrontés à ces difficultés d'accès à l'emploi, à tous ces blocages qui peuvent exister pour une grande partie de la jeunesse.
Mme Caroline BOVERO, responsable de l'association APASO - L'Association pour la Prévention, l'Accueil, le Soutien et l'Orientation est une structure qui a été créée il y a une vingtaine d'années et qui croise les accompagnements psychologiques, sociaux et juridiques. Il s'agit donc d'une approche globale de la situation de la personne. On ne va pas donner une réponse simple et unique par un biais de compétences, mais on va regarder tout ce qu'il se passe autour de la situation de la personne.
On s'est intéressé très rapidement au public jeune et on a voulu mettre cette couleur insertion dans le cadre de l'accès au droit des jeunes et promouvoir un accompagnement spécifique pour que l'accès au droit des jeunes soit réellement effectif, qu'il y ait un passage à une réalisation concrète, par rapport aux informations qui peuvent être transmises. On intervient dans les missions locales, dans les Espaces dynamique insertion, qui sont des structures où il y a des jeunes qui sont extrêmement éloignés de l'emploi et qui souffrent de difficultés diverses et notamment de problèmes de santé. Nous intervenons également dans les foyers de jeunes travailleurs et, depuis 2007, on nous a demandé de coordonner et d'animer le point d'accès au droit des jeunes qui se situe au CIDJ. Ce qui est intéressant, c'est que nous avons là une vision régionale. On fait par ailleurs partie du réseau national d'accès au droit des jeunes, ce qui nous permet d'avoir une vision un peu plus nationale. Ce point d'accès au droit a une vocation régionale, et l'on se rend compte que les jeunes des quartiers dits difficiles se déplacent tout à fait naturellement vers le CIDJ, qui est quand même situé dans un quartier sympathique, dans le 15è arrondissement, près de la tour Eiffel. Ils s'y déplacent facilement, car ils y trouvent un accompagnement. Notre constat de départ était de dire que les jeunes ne se déplaçaient pas dans les structures classiques d'accès au droit. Ils ne vont pas dans les maisons de justice ou dans les points d'accès au droit classiques. Par contre, si l'on mobilise les professionnels qui travaillent au plus près de ces jeunes, on peut réussir à mettre en place un partenariat fort et un accompagnement spécifique qui permettent aux jeunes d'aller jusqu'au bout de la problématique juridique.
Dans le cadre des discriminations, il y a bien sûr des sollicitations, dans le cadre des permanences, sur la question des discriminations liées à l'âge, à l'origine, au territoire. Mais je dirais que de plus en plus, les associations très spécialisées sont bien identifiées. La HALDE, en particulier, a une communication qui est très bien faite et les professionnels, si ce n'est pas les jeunes directement, orientent vers la HALDE.
L'apport du point d'accès au droit par rapport à cette question est que certains jeunes viennent pour une autre problématique - par exemple, en droit du travail, en droit du logement - et c'est avec le juriste ou avec l'avocat - puisqu'au point d'accès au droit il y a également une permanence d'avocats - que la problématique liée à la discrimination va émerger. On va donc travailler avec le jeune pour éventuellement voir s'il n'y a pas, si ce n'est une discrimination, au moins un sentiment. Et ce que l'on remarque, c'est que les jeunes vivent un sentiment d'exclusion en se fondant très souvent sur le sentiment de discrimination. Au-delà de la discrimination au sens légal, nous, ce que l'on constate - parce que c'est un lieu de ressources assez formidable, on est sur tous les domaines juridiques et vraiment sur des problématiques jeunes très spécifiques - ce sont plutôt des traitements différenciés. On revient donc sur la différence entre la discrimination pure et l'inégalité de traitement, que vous avez abordée. Là, nous avons beaucoup de situations où l'on se rend bien compte que, pour parler de l'insertion professionnelle et suivre la ligne que vous avez amorcée, et en se plaçant peut-être plus dans une problématique de consolidation dans l'emploi - c'est-à-dire qu'une fois qu'ils ont réussi à avoir ce premier emploi, encore faut-il qu'ils le tiennent et encore faut-il qu'il n'y ait pas de discrimination à ce moment-là ou de problème d'inégalité de traitement.
Donc ce que nous constatons quand même très souvent, c'est que l'interlocuteur, l'employeur, peut se baser sur le fait que les jeunes sont peu informés, qu'ils sont souvent dans l'immédiateté donc qu'ils ne vont pas tenir la procédure ou qu'ils ne vont pas oser aller en procédure - personne n'a envie d'aller en procédure, mais les jeunes peut-être encore moins. Il va donc y avoir des passages à l'acte ou des comportements qui font que l'on va se comporter de manière différente avec le jeune. Par exemple, les périodes d'essai, qui sont très régulièrement non rémunérées, ou alors renouvelées - maintenant on est passé à deux mois, cela nous laisse une petite marge. Il s'agit également des jobs d'été. Les jobs d'été sont particulièrement importants, car ce sont des jeunes qui font leur première expérience professionnelle, qui ont un premier contact avec la relation d'emploi. On pense systématiquement au domaine de la restauration et de l'hôtellerie, mais ce n'est pas uniquement dans ces domaines-là. Il peut y avoir vraiment des abus et il y a un manque d'information totale de la part de ces jeunes-là. Je pense aussi aux contrats de qualification ou aux contrats de professionnalisation. Là, on est souvent sollicité. Vous savez peut-être qu'il y a des cas de ruptures qui sont très spécifiques, pour ces contrats-là, qui sont particulièrement réservés aux jeunes. On voit qu'il y a une espèce d'alliance entre les écoles et l'employeur pour pousser à la rupture amiable. Pourquoi ? Parce que le marché de l'emploi est sous tension et qu'il est difficile, après, de retrouver un emploi et qu'il y a un peu cette terreur de ne pas retrouver d'emploi parce qu'il y a un réseau de l'employeur. Donc nous, nous allons travailler en donnant des réponses basées sur du juridique, pour éviter qu'il y ait des comportements violents ou de la prostration qui émergent des jeunes. Par exemple, il suffit de passer parfois un simple coup de téléphone à la personne, juste pour avoir un éclaircissement sur la situation, et l'on remarque que la relation de travail continue parce que la personne sait que le jeune est soutenu, parce que la personne sait que là, il a en face de lui une personne qui a des droits et des obligations, qui est sujet et qui n'est pas objet.
Donc notre travail est là : dans la réappropriation des droits et des obligations pour faire en sorte que la personne qui est en face change de vision par rapport à ce jeune-là et ne soit pas tentée vers des positionnements, conscients ou pas, d'abus ou de discrimination.
Par rapport aux systèmes légaux, vous parliez du RSA, je vous ai dit que nous étions une association d'insertion et il s'avère que nous soutenons des personnes bénéficiaires du RMI qui ont des problématiques d'ordre psychologique. C'est la deuxième spécialité de la structure, le lien est donc fait très rapidement. Pas plus tard qu'hier, j'ai participé au sein du conseil général à une formation sur la mise en place du revenu de solidarité active et j'ai posé la question de savoir comment avait été envisagée la place des jeunes. Il m'a bien sûr été répondu que les jeunes étaient exclus du dispositif. Et le vrai problème qui se pose, et cela fait déjà partie des remontées, de la part de ces jeunes-là, concerne particulièrement les travailleurs pauvres jeunes. Le sentiment d'inégalité se situe beaucoup à ce niveau-là. Alors que le RSA a une visée d'aplanir les inégalités entre les différentes prestations, même si l'origine, au départ, était plus large, pourquoi ces jeunes travailleurs pauvres n'ont pas le droit à cette petite compensation ? Par contre, il existe la prime pour l'emploi, la fameuse PPE, qui peut permettre d'équilibrer. Mais c'est là que la problématique jeune doit être prise en compte. Ils ont besoin de cet argent au quotidien pour payer le loyer - qui est déjà d'accès difficile, on sait que les jeunes sont beaucoup sur des contrats à durée déterminée - alors que la prime pour l'emploi est versée, comme vous le savez, d'un seul coup et en fin d'année. Donc je pense que là, on crée un fossé supplémentaire entre les différentes catégories d'âge.
J'aimerais également vous alerter sur l'accès à la justice et sur la question de l'aide juridictionnelle. Vous savez peut-être que l'aide juridictionnelle est attribuée en fonction des ressources du foyer. Nous recevons des jeunes qui sont très en difficulté et la plupart n'ont pas acquis une autonomie, notamment par rapport au logement. Ces jeunes sont donc encore chez leurs parents. Lorsqu'il y a une problématique juridique qui implique d'aller en procédure et que les parents sont justes au-dessus du plafond, ils doivent alors s'acquitter des frais d'avocat. Et à partir du moment où les jeunes n'ont pas la possibilité d'accéder à cette aide juridictionnelle, on a un problème de représentation face à la justice.
Il y a une expérience intéressante qui a été menée dans un département, qui prend en compte les revenus du jeune, quand il a une activité salariée, et qui va faire une évaluation de l'avantage en nature que représente le fait d'habiter chez ses parents. Donc on va quand même prendre en compte le fait qu'il habite chez ses parents. Cette évaluation-là, couplée aux ressources du jeune, va permettre d'accéder un peu plus facilement à la justice et donc à faire respecter ses droits.
J'insiste pour ma part sur ce fait : je souhaiterais que dans les propositions, l'accès au droit spécialisé, avec un accompagnement vraiment spécifique, ait une place plus importante dans la politique en faveur des jeunes. Il s'agit là de consolider leurs parcours d'insertion, de construire leur identité - on est en pleine construction de l'identité, la discrimination a un effet direct là-dessus - et il s'agit aussi du rapport à l'adulte, pour les plus jeunes. Il ne s'agit pas simplement d'un contrat de travail, dans ces cas-là, on est dans un relationnel avec l'adulte, et des repères. J'insiste là-dessus parce que justement, comme je vous le disais, on reçoit des personnes bénéficiaires du RMI, qui sont très éloignées de l'emploi depuis très longtemps, et cette approche psychologique que l'on peut avoir fait que l'on voir émerger de graves ruptures avec le monde du travail qui fait que la situation s'obère, s'enkyste. Evidemment, c'est couplé avec d'autres problèmes, mais c'est un élément fondateur de la difficulté et cela intervient souvent lorsque ces personnes sont jeunes, c'est-à-dire à la sortie de l'emploi.
Je finirai par la question des STIC (systèmes de traitement des infractions constatées). Je fais remonter les ressources qui sont riches, de ce point d'accès au droit. Il y a une question qui se retrouve beaucoup dans les missions locales. Dans le cadre des STIC, il y a un délai d'effacement ou en tout cas, un délai de mise à jour qui est assez important.
Je crois que la HALDE a d'ailleurs été sollicitée dans ce cadre-là. Lorsqu'un jeune fait une demande dans certains métiers comme la sécurité, même s'il n'y a pas eu condamnation, il y a un délai de plus de 18 mois pour l'effacement des STIC. On touche ici des jeunes de basses qualifications et c'est le type de métiers vers lesquels ils sont orientés, il n'y a pas que la sécurité, mais cela joue beaucoup. Et lorsqu'il faut attendre 18 mois avant de voir prononcé cet effacement, cela pose de sérieuses difficultés. Donc là, je fais plus remonter les besoins des missions locales, mais nous travaillons très en lien avec les conseillers emploi. Je sais qu'il y a un collectif de missions locales dans un département qui a saisi la HALDE et la CNIL pour que des avancées soient faites à ce niveau-là.
M. Pascal BERNARD, vice-président de l'ANDRH - On peut en effet être jeune et Noir, jeune et handicapé, jeune avec d'autres facteurs de discriminations. A l'ANDRH, nous pensons que si l'on veut traiter efficacement le problème des discriminations des jeunes, il faut non seulement agir vis-à-vis de la population concernée, mais aussi vis-à-vis des populations qui sont appelées à les recruter, à les tutorer et à les encadrer. La cause des discriminations, elle tient souvent à celui qui aurait tendance, même sans le savoir, à avoir un comportement discriminant et qui bien souvent, a une certaine forme de pouvoir dans l'entreprise. Donc on travaille beaucoup, à l'ANDRH, sur le public des recruteurs et des managers. Parce que comme le mal vient de cette population - le mal ou le bien, selon la manière dont elle va exercer son job - on a porté une attention particulière à la sensibilisation de ceux qui recrutent, à la sensibilisation de ceux qui encadrent - notamment au travers du label Diversité, que l'on a porté à l'ANDRH et que l'on a conçu pour le compte de l'État, afin de leur faire prendre conscience des avantages de la diversité, notamment, de la diversité de l'âge, puisque nous pensons que des équipes où il y a des jeunes, des vieux, des Noirs, des Blancs, sont des équipes qui seront beaucoup plus efficaces et beaucoup plus réactives que des équipes où il n'y a que des clones, du genre l'homme blanc, « quadra » ou « quinqua », sorti des mêmes écoles d'ingénieurs ou des mêmes fabriques de l'élite républicaine. Donc là, on a travaillé sur la sensibilisation, mais on ne s'est pas arrêté là.
Nous avons proposé - et de plus en plus d'entreprises le font - d'évaluer les managers et les encadrants des entreprises non seulement sur les résultats qu'ils obtiennent en matière de job immédiat, de finances, de techniques, de management, mais de les évaluer aussi sur les résultats qu'ils obtiennent en matière de lutte contre les discriminations et en particulier de lutte contre les discriminations envers les jeunes. Je prends un exemple. Chaque année, dans une entreprise, tout le monde est évalué, tout le monde doit dresser le bilan de son action. Et on a initié dans certaines entreprises une évaluation un peu plus complète puisqu'on n'évalue pas simplement les résultats professionnels, on évalue aussi les résultats que le manager ou le recruteur a obtenus en matière de lutte contre les discriminations. C'est-à-dire qu'on lui demande : « Cette année, vous avez fait quoi, quand, comment, avec qui, selon quelles méthodes et quels résultats avez-vous obtenus pour augmenter la diversité dans vos services, dans vos bureaux d'études, dans vos usines, dans vos ateliers, dans vos bureaux ? Qu'avez-vous fait et quels résultats avez-vous obtenus ? » Et l'on s'aperçoit que, puisque de ces entretiens découlent pas mal d'éléments, comme la promotion interne, la part variable de la rémunération, les managers se sentent beaucoup plus incités à agir en faveur des populations traditionnellement discriminées et notamment des jeunes. On sort, si vous voulez, du discours marketing, et on entre dans l'imprégnation des processus de gestion des ressources humaines. Donc dire aux managers qu'ils seront évalués sur leurs résultats classiques, mais également sur les résultats qu'ils obtiennent pour réduire les discriminations - et donc insérer des jeunes, insérer des handicapés, insérer des personnes issues des minorités visibles - permet de montrer que c'est quelque chose d'au moins aussi important pour l'entreprise que les résultats plus directement liés au business. Et à terme, la sensibilisation est destinée à montrer que la performance économique d'une entreprise est aussi liée à sa performance sociale. Nous pensons qu'il n'a pas de performance économique durable s'il n'y a pas également une performance sociale. Or la performance sociale passe par la mixité et la diversité des équipes et donc par l'insertion de populations traditionnellement discriminées.
Dans ce label Diversité, on a monté en faveur des jeunes des actions de tutorats et de partenariats. S'il est clair qu'un jeune du 7è arrondissement peut avoir des problèmes d'accès à l'emploi, ce ne sont peut-être pas les mêmes problèmes qu'un jeune qui est issu des Mureaux ou de Seine-Saint-Denis. Donc nous avons monté des programmes de formation pour former les tuteurs qui sont généralement les cadres de l'entreprise et qui, sur la base du volontariat, passent deux heures par semaine ou deux fois deux heures par semaine, avec des jeunes issus de différents milieux, de différentes formations pour leur donner les clés des stages d'insertion professionnelle, mais également de l'emploi, sans que cela soit nécessairement un emploi précaire. Alors on sait bien que c'est très difficile de décrocher un contrat à durée indéterminée du premier coup, mais on sait que si on cantonne les jeunes dans des emplois précaires, où ils vont de stage en stage et où ils font le café, de préférence, ce n'est pas comme cela que l'on va atteindre la cohésion sociale, que nous allons les épanouir et que nous, entreprises, allons récolter les compétences dont on a besoin. Il y a non seulement une question d'éthique, mais cette question d'éthique et liée et influe fortement sur les résultats économiques. Ce n'est pas un acte de charité, c'est un acte non seulement citoyen mais un acte utile pour l'ensemble de la communauté sociale et économique que d'insérer des jeunes en entreprise.
Alors la première chose est de développer les systèmes de stages d'insertion, stages qui sont rémunérés. Certaines entreprises ont même prévu des lieux d'hébergement pour que le jeune qui vient peut-être de loin puisse vraiment s'investir. Il y a des systèmes de studios qui existent. Il est important de bâtir avec lui un véritable programme de stage. Pour ce faire, il nous paraît utile que les stages durent au moins deux mois, parce que c'est vrai qu'en deçà de deux mois, il est un peu difficile d'avoir une véritable action efficace sur l'accès à la qualification ou la hausse de la qualification. Donc la durée des stages est vraiment importante. La rémunération du stage est également importante, et à ce propos, il y a un problème de sémantique. Moi, quand je remplis des feuilles de stage et que je vois la colonne « gratification », cela me choque toujours un peu. Le terme de « gratification », sans heurter personne, rabaisse un peu. Moi je parle plutôt de rémunération. Le jeune va apporter un service, on va lui apporter quelque chose, il y a une relation gagnant-gagnant et le terme de « gratification » me heurte, c'est pourtant le terme utilisé par bon nombre de grandes écoles, de petites écoles, de tout ce que l'on voudra. Donc déjà, dans nos habitudes, dans notre sémantique, il faut peut-être un peu balayer.
Je pense ensuite que lorsque le jeune accède à l'emploi, donc franchit la première barrière, la qualité de son insertion ne peut pas être supérieure à la qualité de son accueil et des dispositifs que l'on a prévus. Il est donc clair que l'on préconise - et certaines entreprises le font - un système de coaching et de tutorat qui peut aller de deux à six mois, voire un an, cela dépend des métiers, cela dépend des niveaux initiaux, donc la personne est accompagnée par quelqu'un de l'entreprise qui va être un facilitateur, non seulement au plan strictement professionnel, mais également au plan relationnel, parce que l'on sait très bien que l'insertion peut très facilement échouer du fait de problème de sociabilité. Auparavant, on constatait que les tuteurs étaient des gens que l'on mettait là pour les occuper parce qu'on ne savait pas trop quoi en faire donc on disait : « Tiens, pendant qu'il tutore, au moins il va être utile. » Eh bien, non. Le tutorat est un acte important et il faut mettre les meilleurs professionnels, ceux qui a priori sont très occupés, ceux qui a priori ont beaucoup de responsabilités, on pense que c'est parmi ces populations que l'on trouvera les meilleurs tuteurs, et pas forcément dans des populations qui sont évaluées - à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet - comme des populations moins performantes.
Il y a également beaucoup d'associations qui sont très efficaces, qui travaillent sur tous les types de discriminations, donc là on encourage aussi vivement les partenariats entre les entreprises et les associations, de façon à offrir l'accès à l'entreprise des personnes qui sont dans ces associations, mais également de les suivre jusqu'à l'obtention d'un emploi en CDI. Et ce sont des critères très fortement marqués dans le label Diversité - que le gouvernement vient de remettre, puisqu'il y a une dizaine d'entreprises qui ont reçu le label Diversité. Il y en a plus de 200 qui postulent et parmi les critères déterminants pour l'obtention de ce label, qui est label d'État, il y a effectivement ce système de tutorat, d'accueil, d'accompagnement et d'insertion dans l'entreprise.
Je passe rapidement sur le CV anonyme. Je suis partisan du CV anonyme, il a fait ses preuves. Moi je l'utilise dans mon entreprise depuis 2006. Ce n'est pas la panacée, puisque s'il y avait un remède miracle pour vaincre les discriminations, je pense qu'il existerait, on l'aurait fait breveter et il n'y aurait plus de problème. Je pense que c'est l'un des outils, qui, ajouté à d'autres outils, est utile. Pourquoi ? Parce qu'il permet de franchir la première barrière. Le premier filtre, c'est la lecture sur le net ou la réception plus classique sous forme papier d'un CV. On sait très bien que si la première lecture sur le net ou la première lecture d'un CV sur papier est dans les mains de quelqu'un qui n'aime pas trop les jeunes, qui n'aime pas trop les minorités visibles, le CV ne va pas plus loin, il n'arrive même pas jusqu'au service de recrutement. J'ai pu constater que depuis que nous utilisons le CV anonyme, on a des progrès notables, au moins sur le franchissement des premières barrières.
Mme Sihem HABCHI, membre du Collège de la HALDE et présidente de « Ni putes, ni soumises » - Je suis présidente de « Ni putes, ni soumises », mais j'ai aussi la casquette de la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations. Je m'exprime donc aujourd'hui au nom de ces deux organisations. La HALDE est une autorité administrative indépendante, il faut le rappeler, qui a aujourd'hui près de cinq ans d'expérience. Elle donne des recommandations, mais c'est surtout le signe fort d'une volonté publique et politique de lutter contre les discriminations. Je pense par ailleurs que les préconisations que votre mission fera doivent s'appuyer très largement sur la HALDE, pour la valoriser davantage et lui donner plus d'outils pour lutter efficacement contre les discriminations. Nous n'avons que cinq ans et malgré la notoriété qui vient, on a par exemple seulement 2 % de femmes qui saisissent la HALDE.
Le mouvement Ni putes, ni soumises, que je préside depuis 2007, s'est quant à lui toujours attaché à briser la loi du silence qui pesait notamment autour des jeunes filles dans les quartiers populaires. Depuis 2003, nous ne cessons de porter les valeurs de laïcité, de mixité, de respect et d'égalité comme des préalables au vivre ensemble, et par conséquent, comme les seuls outils pour lutter contre les discriminations. Nous nous sommes attachés, notamment dans des débats, à expliquer et décortiquer en quoi l'égalité, la liberté, la fraternité n'étaient pas simplement des lettres écrites sur nos frontons de nos institutions, mais des armes que nous pouvions utiliser tous les jours. L'égalité, c'est à la fois un objectif mais c'est aussi un moyen. C'est-à-dire que tant que l'objectif n'est pas atteint, chaque citoyen et citoyenne a la possibilité de s'en saisir pour demander à ce que la société améliore les conditions d'accès à l'emploi, au logement, aux formations. C'est important, parce que cette notion d'égalité disparaît souvent aujourd'hui, derrière le mot de diversité, par exemple. Donc je tiens à le rappeler : c'est l'un des objectifs importants et c'est aussi un moyen. Et la diversité est un état de fait aujourd'hui dans notre pays. Il faut le dire : elle est incontournable. Elle n'est pas de l'ordre du virtuel. Il faut le rappeler.
Un point sur le terme de discrimination. La HALDE référencie plusieurs raisons interdites par la loi française. On peut discriminer en raison de l'âge - et on en reparlera largement tout à l'heure - par le sexe - et les activités de Ni putes, ni soumises le démontrent malheureusement quotidiennement - mais aussi par l'origine, la situation de famille, l'orientation sexuelle, les moeurs, les caractéristiques génétiques l'appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, l'apparence physique, le handicap, l'état de santé, le patronyme, les opinions politiques, les conditions religieuses ou encore les activités syndicales. Nous avons, à la HALDE, des associations qui se mobilisent beaucoup, notamment sur la question du handicap, sur la question de l'homophobie, et c'est vrai que sans ces associations, on a du mal à avancer et leur mobilisation nous permet, à la HALDE, de mieux travailler, de mieux répondre aux saisines que nous recevons. Les discriminations sont sanctionnées par différentes juridictions, vous le savez bien, que ce soit le code pénal ou le code du travail ou encore différentes lois. On peut mesurer les discriminations de manière directe - je pense par exemple au testing de discriminations qui ont valeur légale grâce à la loi du 31 mars 2006 - ou de manière indirecte comme avec des indices tels que les cautions exorbitantes. On a aujourd'hui des indicateurs et je suis assez surprise, dans les débats, de voir que l'on cherche des indicateurs pour mesurer les discriminations. Je ne sais pas, il y a des indices comme le nombre de personnes allocataires du RMI, le taux de chômage. Elle saute aux yeux, la discrimination, aujourd'hui ! Le nombre d'études qui ont été faites pourrait, je le pense, largement remplir la salle du sénat. Depuis plusieurs années, un certain nombre de ces études a été payé par les institutions - nos institutions - et donc par le contribuable. Il est donc important de rappeler que les études sont là, que les statistiques, si on en a besoin, je pense que l'on peut en avoir. Aujourd'hui, il faut par contre retrousser les manches et s'atteler à la tâche pour voir concrètement comment on permet la relance de l'ascenseur social, pour qu'il fonctionne réellement. Les indicateurs sociaux, comme je vous l'ai dit, sont là.
La lutte contre les discriminations doit passer par la lutte contre les préjugés et le changement des mentalités, mes prédécesseurs en ont parlé. Les freins, ce sont bien sûr ceux qui recrutent, c'est la première personne à qui l'on est confronté, aussi bien dans les missions locales, c'est-à-dire toutes les personnes vers qui on se dirige. Et c'est vrai que je trouve qu'il y a un décalage au niveau de la formation : le marché est en train d'évoluer très vite, les besoins changent et il y a peut-être à ce niveau-là des formations importantes à faire. Parce que ce que l'on a besoin de dire et d'entendre aujourd'hui, c'est que la diversité est une chance pour la France, que c'est une force et que l'on doit aussi pouvoir s'adapter à elle. Eh oui ! Je crois que c'est cela : on doit pouvoir s'adapter à elle aujourd'hui et la regarder, et pas l'inverse. Il faut également pouvoir s'adresser à ceux qui sont les premiers concernés par les luttes contre les discriminations, c'est-à-dire les Sihem, les Mohamed, les Mamadou, mais aussi les Mathilde, les personnes handicapées. Il faut dire qu'à un moment donné, on a tellement été bercé dans un fatalisme qui dirait : « De toute manière, ça ne sert à rien d'aller à l'école ! Regarde Sihem, elle a bac +5, elle cherche toujours du travail, elle est toujours en stage ! » Ce sont les fameux « bac +12 » - c'est comme cela qu'on nous appelle, « bac +12, et tu es toujours en bas du quartier, en bas de la tour d'immeuble. » Ça fait mal, parce qu'on a été les premiers à dire : « Si tu ne vas pas à l'école, tu vas te retrouver dans la galère. » Alors tu vas à l'école, tu vas à l'école et tu vas à l'école, mais aujourd'hui, on nous dit : « Tu parles bien la France, ça c'est vrai. » Donc on fait les scribes pour tout le monde, tout ce qui est fiches d'impôts, mais à un moment donné, c'est : « Sihem, tu es bien gentille, mais tu es toujours dans la même galère que moi. » Donc on doit s'adresser à ces populations, et moi, par exemple, j'ai plus de trente ans, on est nombreux aujourd'hui à avoir fait des études, à avoir participé à l'école de la République et à croire en ses valeurs - c'est important de le rappeler. Et donc là, il y a aussi une adaptation. Par exemple, beaucoup d'entre nous ont fait des études de sciences humaines parce que l'on voulait faire de la sociologie, faire de la philosophie... Bon, la difficulté, c'est que sur le marché du travail, aujourd'hui, c'est compliqué d'arriver avec un diplôme de bac +5 en histoire. Donc il y a aussi cela : comment, par rapport aux nouvelles demandes du marché du travail, que ce soit dans les nouvelles technologies, dans l'aide à la personne, comment on peut aussi proposer de nouveaux emplois. Et là, il y a de l'innovation. Je pense que le réchauffé ne marche plus, aujourd'hui. C'est pour cela que ceux qui veulent nous ramener en arrière, notamment avec l'idée des statistiques ethniques, n'ont pas compris que la véritable solution résidait dans le fait de trouver de nouveaux moyens de répondre à la demande actuelle sur le marché du travail, d'innover, de créer. C'est pour cela qu'il n'y a pas de recette miracle, il faut s'atteler à la tâche.
Et puis je vais parler d'orientation, en direction des publics qui sont jeunes aujourd'hui, qui ont des difficultés et qui ne sont pas pris en compte par le RSA. La HALDE a pris une délibération assez claire : pour nous, le RSA est discriminant, notamment pour les moins de 25 ans. Cela a notamment été dénoncé par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe, qui a pris une délibération très claire. Nous avons notamment demandé à M. Martin Hirsch d'élargir et de voir dans quelle mesure on pouvait prendre en compte les moins de 25 ans. Parce que quand vous êtes dans un quartier populaire aujourd'hui et que vous n'avez pas forcément réussi à passer votre bac, et qu'avant le bac, vous avez fait des stages, on vous dirige toujours vers les mêmes choses - notamment les filles, avec les filières « sextypées », c'est-à-dire le service et l'accueil. Alors, bien sûr, ces filles atterrissent à l'association, les Fatoumata, les Fatima, car elles n'arrivent pas à trouver de stage d'accueil. On les met donc à l'accueil de l'association et puis au bout d'un moment, c'est une catastrophe ! Je lui dis : « Tu n'as pas envie de faire cela ? Ce n'est pas cela que tu as envie de faire. » On leur donne alors des notes à faire, des articles à écrire, des livres à lire et alors là... Il suffit de leur donner autre chose. Et quelques semaines plus tard, ce n'est plus la même personne. Elle va répondre autrement, il y a une valorisation qui a été faite.
J'avais déjà expliqué au cours de la commission Thélot, sur la question de l'orientation, que l'on ne pouvait plus enfermer les femmes et les filles dans ces filières « sextypées ». J'ai participé hier à une remise des prix pour les Bourses de la chance, où il y a des grutières, maintenant, c'est-à-dire des femmes qui conduisent des grues. Dans les filières comme le BTP, la mixité est importante. Et je vous rejoins sur ce point : la mixité dans ces filières et dans les entreprises va nous permettre de changer notre manière d'agir en termes de productivité et d'efficacité. Et c'est aussi de cette façon que des pays comme la Suède, ou d'autres pays scandinaves, ont réussi. Ce n'est pas forcément par des politiques de rattrapage du type « parité 50-50 ». C'est aussi parce que l'on a démontré en quoi la mixité était une valeur ajoutée. Et la confrontation - pour moi, le terme de « confrontation » est un terme positif, dans mon langage - doit commencer le plus tôt possible. Dans le cadre des stages que ces jeunes filles doivent faire, on doit les impliquer sur des notions de citoyenneté, de respect et de mixité, et surtout faire en sorte qu'au niveau des orientatrices et des orientateurs, cela change. Parce que je me souviens que la personne qui a voulu m'orienter, je le rappelle à chaque fois, voulait que j'aille faire, alors que j'étais en seconde, un DEUG « sanitaire et social ». C'est vrai que c'est très déprimant. Alors j'ai expliqué à mon père ce qu'elle m'avait dit. Après j'ai tenté des études de médecine, tout ça, mais c'est très déprimant, quand vous avez vos parents qui vous poussent et qui vous disent : « Ma fille, je n'ai pas eu la chance de faire des études, toi, tu vas le faire. » Et que l'on vous explique que ce que vous pouvez faire, c'est « sanitaire et social », et que déjà, c'est bien. Donc on vous ferme des perspectives.
Dans un contexte de crise, contexte difficile, il faut le rappeler, je pense que la solidarité est importante, mais surtout l'ouverture. Il faut ouvrir, là ! Je ne vais pas faire le « Yes, we can », mais la positive attitude, ça sert, dans un contexte de crise. Pourquoi ? Parce qu'on ne va pas simplement se dire que c'est le système qui nous en veut ! On ne va pas simplement dire qu'on nous veut du mal et être dans la victimisation permanente. On a besoin de se dire : « C'est moi qui vais changer les choses. C'est moi qui vais aussi contribuer à l'innovation de ce pays. » Et je pense que c'est un changement de regard dont on a besoin. Mais, je vous le dis, j'ai l'impression de me répéter - la commission Thélot, c'était déjà il y a quelques années - j'ai rencontré le ministère de l'Éducation nationale, qui a un rôle crucial, essentiel. Et je crois que le débat aujourd'hui sur l'emploi, sur le RSA, sur les jeunes ne peut se faire sans l'implication de l'éducation nationale et la réforme - je dis le mot tabou - parce que les choses ont été dites, suffisamment dites, et aujourd'hui nous avons besoin d'actes. Il y a une jeunesse qui est mobilisée pour participer à la vie de ce pays, et je crois que malheureusement, les structures ne sont pas à la hauteur pour répondre à cette demande.
Nous préconisons, sur la question de la prévention, une « semaine du respect ». Pourquoi du respect ? Parce que comme vous l'avez expliqué, la lutte contre les discriminations, c'est aussi de la prévention. C'est connaître ses droits. On ne connaît pas ses droits. Les femmes ne connaissent pas leurs droits. Ça, c'est un test très simple à faire, même dans le quartier. Parce qu'on n'intervient pas simplement dans les quartiers populaires, on intervient aussi dans le 7 e arrondissement, un peu partout à Paris et dans les centres-villes en France. Et l'on constate qu'il y a une méconnaissance totale des droits. Alors comment voulez-vous lutter contre les discriminations quand vous ne savez pas reconnaître quand vous êtes victime de préjugés, de discriminations ou d'inégalités de traitement ? On utilise des mots dont certains jeunes aujourd'hui sont incapables de vous donner une définition. Et puis il y a le sentiment - c'est pour cela que je rappelais le rôle de la HALDE - qu'une arme existe. Or dans les débats, on a l'impression qu'il n'y a rien. Pourquoi je rappelle le rôle de la HALDE ? Les associations, c'est important, je sais que j'ai une mission de service public. Mais la mission qui est aujourd'hui attribuée à la HALDE doit être valorisée, parce que cela permet à tout citoyen de dire : « A tout moment, je peux saisir une autorité indépendante qui pourra m'entendre. »
Sur le RSA, je vous ai dit que la position de la HALDE était de dire que c'était discriminant et d'essayer de l'ouvrir aux moins de 25 ans. Je finirai sur les stages, pour dire que c'est quand même incroyable qu'en France, après avoir fini nos études, on fasse un stage. Non : après avoir fini nos études, on doit trouver un travail. Le stage doit faire partie intégrante de la formation. Et quand vous allez à l'étranger, et notamment en Angleterre, ils vous rient au nez. « Après, j'ai fait un stage. » On ne comprend pas pourquoi vous avez fait un stage. Et puis au niveau de la rémunération, c'est vrai que c'est très dur.
M. Pascal BERNARD, vice-président de l'ANDRH - Je voudrais dire que j'ai été frappé par l'exemple que vous avez pris sur les études d'histoire. Je pense que la discrimination est alimentée par deux choses. La première est ce que j'appelle les mauvais sentiments ou les mauvais ressentis, comme le racisme. Dans ces cas-là, j'oppose la loi à ces personnes-là. Il y a une loi et il n'y a pas de sentiment à avoir. Mais la deuxième chose qui alimente la discrimination, c'est le conformisme. Il y a beaucoup de gens qui discriminent non pas parce qu'ils veulent discriminer mais parce qu'ils agissent par conformisme. Je reprends votre exemple : vous avez dit que les études d'histoire, on pense que ça n'amène pas à grand-chose. Dernièrement, on a voulu recruter, dans mon entreprise, un auditeur interne. Mon recruteur me propose alors des CV classiques de personnes issues de HEC. Il y avait également plusieurs CV d'étudiants en histoire. J'ai alors dit : « Pour auditer une situation, il faut savoir l'identifier, analyser les faits, les recomposer et poser des conclusions. » Ne pensez-vous pas que quelqu'un ayant fait une thèse ou un mémoire de maîtrise sur telle ou telle situation n'a pas au moins autant de compétences que quelqu'un ayant suivi un cursus traditionnel ? Nous avons engagé l'historien et nous n'avons pas été déçus.
En objectivant les process, en revenant aux compétences et aux seules compétences, en cassant les routines et les habitudes, on arrivera à vaincre une partie de ce qui fait les discriminations.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous avez totalement raison, mais la culture d'entreprise et la culture de ceux qui recrutent et des patrons d'entreprise n'est pas celle-là.
M. Pascal BERNARD, vice-président de l'ANDRH - Non, mais il faut la faire évoluer.
M. Guillaume AYNE, directeur général de SOS-Racisme - Je voudrais revenir sur l'aspect de la victimisation. Je pense que c'est extrêmement important et que cela reprend ce qui a été dit. Les mesures incitatives, les labels, les chartes, c'est très intéressant. Je pense également qu'il faut s'attaquer à la discrimination par cet angle-là. Mais le seul moyen que la soft law soit efficace est qu'il y ait une épée de Damoclès qui soit le droit, et que le droit s'applique. Et je voudrais faire remarquer qu'en France, il y a très peu de procès sur des questions de discrimination. Les seuls sont ceux de SOS-Racisme et les amendes sont à chaque fois dérisoires. Pour un groupe comme L'Oréal, 20 000 euros d'amende avec sursis, c'est vraiment dérisoire. Je pense que si l'on veut que toutes ces mises en place de labels et autres soient efficaces et fassent changer les mentalités, il faut que l'effet du procès soit réel. Et pour que cela fonctionne, nous avons besoin de deux instruments qui existent aux États-Unis et sont, je pense, les éléments déclencheurs d'un changement de mentalité aux États-Unis : les class actions et les dommages punitifs. Une fois que l'on a mis en place cela, on peut commencer à travailler avec les labels et autres. Il y a un côté pédagogique au procès qui est extrêmement important et qui va accompagner toutes les mesures de soft law que l'on peut imaginer.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On est d'accord. Il faudra trouver les moyens de discriminer celui qui discrimine, pour changer les mentalités.
Mme Carole DA SILVA, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - Merci de m'avoir conviée ici. Beaucoup de choses ont déjà été dites, que je partage, et d'autres que je partage moins. Je vais donc parler de celles que je partage pour les renforcer. Nous sommes dans un contexte de crise économique et je le vois plutôt comme un moyen de réviser l'ensemble de nos pratiques et de tout notre système. Je le vois plutôt comme un atout et je pense que c'est le moment où il faut encourager les jeunes à décloisonner les choses et à sortir des cases, puisque nous sommes dans un système où tout est normé, formaté. Dès que vous avez quelque chose qui diffère un tout petit peu et que vous ne rentrez pas dans la norme, vous êtes considéré comme déviant et bien évidemment, rien ne vous correspond. Je pense que ce contexte de crise nous amènera à réfléchir.
Je vais essayer de répondre à vos trois questions. Sur la question de la discrimination, je trouve qu'il est important de faire la distinction entre discrimination et racisme. On en a parlé rapidement. Je pense que dès qu'il s'agit de la discrimination liée à l'origine, on l'amalgame souvent à du racisme. Après, on rentre dans la démarche culpabilisation, paternalisme entre le bon et le méchant, et je pense qu'il faut sortir totalement de cela. Il faut parler de la discrimination sur le champ économique et non pas social parce que sinon, nous entrons dans le côté très victimaire, avec les très bons qui ont envie d'aider les pauvres jeunes issus des quartiers, les pauvres Noirs... Je trouve que c'est important de bien clarifier cela.
Sur la question de l'orientation, je pense qu'il existe une absence d'information auprès du public jeune, en termes d'information sur les filières, sur les métiers, sur l'évolution des différentes formations. A ce propos je souhaite rappeler que je dirige l'AFIP, l'Association pour favoriser l'intégration professionnelle, qui existe depuis plus de 7 ans, que j'ai moi-même fondée et qui a pour objectif d'aider les jeunes diplômés à partie de bac +2, issus des minorités visibles ou des quartiers populaires à trouver un emploi correspondant à leurs compétences. Cette association a également pour objectif de former et sensibiliser les recruteurs sur l'impact des stéréotypes et des représentations, pour les aider à les dépasser. Parallèlement, je représente aujourd'hui le HCI. Dans le cadre de l'AFIP, nous avons mis en place un dispositif d'accompagnement où nous travaillons avec deux lycées de la Seine-Saint-Denis, à Saint-Ouen, où nous constatons que beaucoup de ces jeunes méconnaissent l'ensemble des formations. Ils ne connaissent que les formations que le conseiller d'orientation veut bien leur indiquer et que lui-même méconnaît. Donc bien évidemment, les voies sont très étroites. Ces jeunes manquent également de modèles d'exemplarité. Certains environnements culturels ou familiaux ne me permettent tout simplement pas de pouvoir oser le rêve. Et c'est une chose qui manque : avoir une jeunesse qui rêve, qui ose, qui enfonce les portes. Et cette jeunesse n'en a pas l'opportunité, car on ne lui permet pas d'oser. Nous sommes déjà dans un système où tout est tellement figé, que dès que vous parlez d'une idée qui semble un peu farfelue, vous avez toujours quelqu'un pour vous dire : « Je crois que ça ne va pas être possible. C'est super risqué, je ne le ferai pas, à ta place. » Donc bien évidemment, en ayant des adultes qui sont tous déjà très apeurés par l'avenir, on ne peut pas avoir une jeunesse qui soit un peu plus courageuse.
Je pense qu'il manque également de passerelles entre le monde éducatif et le monde professionnel. C'est un vrai souci, car bien évidemment, beaucoup de jeunes sont envoyés dans des voies de garage dont les entreprises n'ont absolument pas besoin. Je pense qu'il faudrait faire un travail particulier auprès des PME et des TPE, puisque ce sont elles qui embauchent le plus et ce sont elles qui pourront identifier le besoin de recrutement dans les années à venir pour cibler les formations en lien avec ces besoins, de manière à ce qu'on ne retrouve pas des candidats qui ont fait leur part de travail en réalisant une formation, mais qui finalement ne sont absolument pas valorisés sur le marché. Il y a aussi pléthore de formations privées qui ne sont pas reconnues par les entreprises. Elles coûtent très cher, les parents ont investi beaucoup d'argent pour payer ces formations-là et finalement, sur le marché du travail, elles ne sont absolument pas vendables. Je prends l'exemple récent que l'on a eu d'un jeune qui préparait une maîtrise commerciale dans le domaine des accessoires sportifs, qui se trouve à Montreuil. Or c'est une formation qui n'a aucune reconnaissance. Le jeune s'est donc endetté pour faire cette formation, il travaille tous les week-ends. Il a donc fallu faire tout un travail d'accompagnement pour pouvoir le sortir de là. Il faudrait donc trouver un moyen de normer ces formations pour que ceux qui se donnent la chance de pouvoir aller plus loin puissent accéder à des formations qui correspondent à un métier.
Il ne faut pas non plus sous-estimer le poids culturel, qui est important dans l'ambition et l'orientation du jeune. Des parents ou des grands frères ayant réalisé des formations qui n'aboutissent pas, ils ne s'estiment pas crédibles pour encourager les plus jeunes à poursuivre des formations d'enseignement supérieur ou à essayer des formations d'élite. Je pense que c'est un travail qui reste à réaliser. Pour moi, le parrainage et le tutorat répondent pleinement à l'ensemble des points que je vais vous identifier.
Nous sommes dans un système qui est très axé sur le diplôme et uniquement sur le diplôme, où on oublie tout ce qui est potentiel, tout ce qui est talent, tout ce qui est capacité. On est axé uniquement sur le diplôme, donc dès que je n'ai pas le diplôme, cela veut dire que je n'ai pas réussi. Or de nombreuses personnes possèdent une intelligence qui n'est pas reconnue par les diplômes. Dans les pays anglo-saxons, ils se révèlent capables de mobiliser le potentiel du jeune pour l'emmener vers ce qu'il a envie de faire et qui correspond à un besoin sur le marché. Le fait d'avoir constamment un parcours unique, où vous n'avez pas le droit à l'erreur, est également négatif. Dès que vous vous êtes trompés, que vous avez commencé par un CAP, vous ne pouvez pas décider de refaire une autre formation. Vous avez décidé de changer parce que vous avez muri, vous avez évolué, et que rien n'est figé dans la vie. Par rapport à cela, je pense que notre société a besoin d'être beaucoup plus souple et beaucoup plus à l'écoute. La question des ressources se pose également pour les personnes qui souhaitent poursuivre des formations beaucoup plus longues. La question des moyens fait que certaines personnes ayant un potentiel ne peuvent y arriver.
La question des stages ciblés en entreprise est également fondamentale. Si je prends le public que nous recevons à l'AFIP, certains jeunes ont réalisé des stages qui ne sont pas significatifs, qui ne peuvent être valorisés dans le cadre de la stratégie de recherche d'emploi. Une fois de plus, je pense que le parrainage et le tutorat, que l'on utilise beaucoup, constituent de vrais outils. Plus de 45 % du placement que l'on réalise chaque année se fait via le réseau de parrainage.
Concernant la question de l'emploi, je note plusieurs freins - j'aborderai ensuite les solutions proposées. Il y a en premier lieu la capacité de mobiliser les jeunes et de les maintenir dans les dispositifs qu'on leur propose. Beaucoup ne se rendent pas dans les structures des services publics de l'emploi, pour des questions de confiance et d'accueil. Beaucoup ne trouvent pas les informations qu'ils recherchent. Je suis en outre contre le fait de cloisonner, d'installer le service public de l'emploi en bas de la tour, dans les quartiers populaires. Lorsqu'ils trouvent le service dont ils ont besoin, les jeunes se déplacent pour y aller. Notre association est basée dans le 20è arrondissement et nous recevons des jeunes de toute l'Ile-de-France. Nous rêvons également d'accueillir des jeunes de province. Le type d'accompagnement et le service qu'on leur propose correspondent en effet à leur besoin. Il faut aider les jeunes à se décloisonner, à sortir de leur environnement. C'est aussi les amener à se responsabiliser, car nous avons aussi une jeunesse assistée, qui ne se donne pas les moyens d'assumer sa part de responsabilité. Je prends pour exemple la réactivité des candidats. Dans la recherche d'emploi, il existe toute une stratégie que les jeunes n'ont pas, parce qu'on ne leur a pas appris, parce qu'on ne leur a pas indiqué que le marché de l'emploi nécessite une stratégie, qu'on n'aborde pas le marché de l'emploi comme je fais un mémoire d'étude ou comme je fais une recherche. Je dois identifier quel est le besoin de la personne, vers qui je vais m'orienter, ce qu'il attend, ce que je peux lui apporter. Je dois donc bien connaître mes compétences, avoir assez confiance en moi, identifier mes points forts. Tout ceci est un travail qui devrait se faire et qui ne se fait pas aujourd'hui dans le service public de l'emploi, d'après ce que nous disent les candidats qui viennent nous voir. D'où l'importance de renforcer les associations de proximité qui répondent beaucoup plus aux besoins des candidats en termes de connaissance du marché de l'emploi, de stratégies de recherche d'emploi, de connaissance des métiers et des mécanismes de formation existants.
Il faut également pouvoir former les accompagnants à la recherche d'emploi. De nombreux publics se rendent dans des structures qui réalisent de l'accompagnement et je me demande s'il ne faudrait pas mettre en place une forme de démarche qualité au sein de toutes les structures qui font de l'insertion professionnelle dans les quartiers ou auprès des publics jeunes. La mise en place de cette démarche qualité permettrait de s'assurer vraiment des compétences de ces accompagnants. Ce n'est parfois que de l'amateurisme, cela fait perdre un temps énorme au candidat et certains ne trouvent pas d'emploi à cause de cela parce que cette stratégie entraine un échec de plus. Il y a vraiment un manque de compétences globales par rapport à cela.
Je milite donc beaucoup pour le parrainage et le tutorat, parce que ce sont des dispositifs qui fonctionnent très bien, tant en termes d'accès à l'emploi que d'accompagnement dans l'emploi et de démarche entrepreneuriale. En effet, l'un des points que je voulais aussi aborder est l'accès à l'emploi par la démarche d'entreprendre. Nous devons mobiliser et sensibiliser notre jeunesse à cette démarche. Une étude de l'ADIL indiquait que plus de 50 % des jeunes des trois Zones urbaines sensibles (ZUS) aspiraient à créer leur entreprise. Je pense qu'il manque des structures génératrices d'idées. Dans les pays anglo-saxons, vous avez des espaces où les candidats viennent uniquement pour échanger des idées sur ce qui pourrait marcher.
Il faut juste que je souligne, pour finir, que nous avons réalisé un travail sur le CV anonyme dans le cadre de l'année européenne de l'égalité des chances. Je laisse ce travail à votre disposition. Nous avons abordé quatre thèmes, dont les statistiques ethniques et le CV anonyme. Nous avons fait rencontrer des candidats et des recruteurs et vous allez avoir leurs retours sur cette question. Je vous ai également apporté le résumé d'une étude sur l'entreprenariat de cadres issus de minorités visibles, réalisée par notre structure en 2008 pour savoir comment on peut mobiliser ces candidats dans le cadre de la démarche entrepreneuriale, en tenant compte des freins psychologiques, sociaux et culturels.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous allons garder cela précieusement et en prendre connaissance. Vous pouvez également nous envoyer la partie de votre intervention que vous n'avez pas pu suffisamment développer.
Mme Carole DA SILVA, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - Oui, j'avais effectivement encore une réaction sur les statistiques ethniques.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Pouvez-vous répondre par oui ou par non, avez-vous le même avis que votre voisine ?
Mme Carole DA SILVA, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - Non, justement.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Vous avez déjà largement abordé le troisième volet. J'aimerais avoir votre opinion sur la question de l'orientation. Vous avez l'une et l'autre évoqué les difficultés en termes d'orientation, sur des objectifs ou des orientations qui ne vous convenaient pas. Est-ce qu'aujourd'hui, les choses ont changé ? Vous avez parlé de votre expérience : est-ce que cela a été restructuré, modifié, au sein du Pôle Emploi et des missions locales ? C'est ma première question.
Ma deuxième question porte sur les quotas. Est-ce qu'il faut instaurer des quotas, comme pour les handicapés, par exemple ?
La troisième question porte sur les évolutions qui peuvent être constatées. Une charte de la diversité a été élaborée, un accord national interprofessionnel a été conclu. Pour vous, ces procédures ont-elles changé les choses ? Constatez-vous une amélioration ? Les personnes qui viennent vous voir vous disent-elles que les choses évoluent petit à petit ? Quelles évolutions préconisez-vous pour tendre vers une égalité des chances dans le domaine de l'insertion professionnelle ? Quelles méthodes préconisez-vous pour évaluer les procédures de recrutement dont on a parlé tout à l'heure ?
Mme Carole DA SILVA, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - Ce que nous pouvons constater sur l'orientation est que les choses n'ont pas évolué tant que ça. Il y a toujours autant de méconnaissances des mécanismes de formation. Les formations ont évolué, le marché a des besoins que les responsables de l'orientation ne connaissent pas. Comme ces personnes ne vont pas régulièrement en formation pour être au fait de ce que réclame le marché, elles ne peuvent pas orienter les jeunes vers les formations innovantes où il y a des besoins.
Concernant les quotas, je pense que contraindre par la voie juridique est efficace. C'est l'un des moyens pour que les choses puissent évoluer, mais ce n'est pas exclusif. Ce n'est pas le seul moyen, il faut le mettre en place avec une démarche pédagogique, de l'accompagnement et une sensibilisation. Il faut surtout accompagner les personnes à prendre conscience de l'intérêt à lutter contre les discriminations et de l'intérêt à introduire la diversité au sein de leur entreprise. Car tant que je ne suis pas convaincue que cela peut être un atout pour moi, je le ferai temporairement, mais pas dans la durée. Si l'on parvient à faire comprendre à l'ensemble de la population que faire de la diversité n'est pas seulement aider les Noirs, les Arabes, les jeunes issus des quartiers difficiles, mais que c'est aussi un moyen de rendre nos entreprises beaucoup plus concurrentielles face à la mondialisation, que c'est un moyen de préserver nos emplois - car lorsque nos entreprises sont concurrentielles et qu'elles génèrent un bon chiffre d'affaires, cela a une incidence directe sur notre activité. Si l'on peut parvenir à convaincre que la diversité est un mieux vivre ensemble, indispensable pour la cohésion sociale, le pari sera gagné. La voie répressive, oui, mais pas de façon exclusive.
Les choses ont-elles évolué ? Je pense qu'aujourd'hui, il existe une prise de conscience. Personne ne peut plus nier qu'il existe de la discrimination. Personne ne peut plus dire que les choses fonctionnent bien dans notre société. Les émeutes de 2005 ont vraiment réveillé les consciences et depuis, nous voyons énormément de dispositifs, énormément d'actions. Il ne se passe pas un jour sans qu'un colloque soit organisé sur les discriminations ou la diversité. Donc oui, les choses ont évolué. Pour autant, je pense que dans le quotidien des personnes qui sont concernées par cette discrimination, en termes d'emplois, en termes de formation et d'orientation, les choses n'ont pas tellement changé. Je pense qu'à un moment on a sollicité l'élite, on a sollicité les recruteurs, les responsables des ressources humaines et je pense qu'aujourd'hui, il est temps de donner la parole aux personnes concernées. Elles auront certainement des solutions beaucoup plus pragmatiques, beaucoup plus opérationnelles et pensées avec beaucoup plus de justesse que ne pourrait le faire l'ensemble des élites. Nous ne travaillons pas sur une science exacte, mais sur l'humain. Ce sont des choses qui bougent, le sujet est extrêmement complexe et il faut l'aborder avec beaucoup d'empathie, il faut être dans la peau des personnes qui vivent cela.
Concernant la question de l'évaluation, il existe plusieurs méthodes. Pour pouvoir évaluer, nous avons besoin d'indicateurs. Aujourd'hui, tout le monde pense que le nombre d'indicateurs est suffisant, mais cela fait des années que l'on en parle et que rien n'a été fait. Donc si ce nombre est réellement suffisant, pourquoi ces évaluations n'ont-elles pas été faites ? Sur la question de la discrimination liée à l'origine, il faudra bien que le débat puisse avoir lieu, que l'on arrive à sortir des pôles « pour » et « contre ». Pourquoi a-t-on besoin d'indicateurs, pour quels objectifs et pour quelles finalités ? Que veut-on évaluer ? Il y a quasiment une forme de malhonnêteté intellectuelle où l'on fait exprès de mélanger les concepts, de créer un flou artistique au niveau de la sémantique de manière à ce que plus personne n'y comprenne rien, y compris les personnes qui travaillent sur ce sujet. Dans un débat opposant les « pour » et les « contre », vous ne comprenez en somme toujours pas ce que chacun est en train de défendre. Je pense que c'est un débat de société qu'il faudra aborder de manière responsable, de manière posée et surtout de manière beaucoup plus pragmatique, avec de vrais objectifs. Pour moi, l'un des freins de l'accès à l'emploi des candidats est l'absence de réseau, d'où l'intérêt d'élargir la démarche de parrainage et de tutorat.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - J'aurais bien aimé vous poser également une question sur l'école, mais on arrive au bout du temps qui nous est imparti. Que pensez-vous de l'école dans cette question des discriminations, quel est le rôle des enseignants ?
M. Guillaume AYNE, directeur général de SOS-Racisme - Je pense qu'il vaut mieux laisser le sujet de l'école de côté, car c'est tellement vaste qu'on ne ferait que traiter des choses que l'on a déjà entendues mille fois et qu'on ne pourrait pas pénétrer dans le sujet.
Par contre, sur la question de l'évaluation, je ferai parvenir à la mission commune d'information un texte, fruit d'un an de travail sur le thème de la mesure des discriminations. Je pense que le débat n'est pas si caricatural que cela. SOS-Racisme se positionne sur un côté du débat, je pense donc pouvoir m'exprimer légitimement sur cette question. Il faut mesurer les discriminations. Nous avons besoin de connaissances plus poussées sur les procédures et les traitements discriminatoires. Là où le débat est tronqué, c'est lorsqu'on essaie de nous faire croire que seules les nomenclatures seraient les instruments qui nous permettraient d'obtenir des informations. Mais je préfère vous renvoyer sur ce texte, qui demande des connaissances en termes de statistiques.
Vous avez parlé de l'orientation. Je pense que c'est un très gros problème aujourd'hui et nous sommes très souvent saisis de cette question-là, par le biais de nos points d'accès au droit. Les jeunes viennent nous demander si le fait de se retrouver en CAP ou en BEP n'est pas une discrimination en soi. C'est vraiment quelque chose qui revient extrêmement fréquemment. Nous préconisons deux choses : un service de l'orientation unique et un service public des stages. Ces deux éléments nous permettront de faire sauter un ensemble de verrous.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Peut-être pourriez-vous nous faire parvenir votre réflexion sur le service public des stages ? Nous avons eu une petite discussion à ce sujet tout à l'heure. Je me demandais à quelle période vous les voyez, pour combien de temps, rémunérés - pour moi, c'est évident - les missions qui y sont réalisées, etc.
Par ailleurs, Madame Bovéro, vous avez évoqué votre rôle d'accompagnement, dans l'emploi notamment. Est-ce que vous faites le parallèle avec les équipes d'intervention sur l'offre et la demande (IOD) qui existent dans les plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (PLIE) ? Vous connaissez ces équipes d'intervention sur l'offre et la demande qui existent dans les PLIE mais qui ne s'adressent pas aux jeunes. Préconisez-vous la même chose pour pouvoir les accompagner dans l'emploi ? J'aurais également voulu que vous précisiez exactement ce qu'est le STIC, parce qu'on a vu que ce n'était pas le casier judiciaire, mais on ne sait pas trop ce que c'est.
Madame Habchi, vous avez évoqué l'importance du changement de regard de la société, qui doit être enseigné à l'école - mais nous n'avons pas assez de temps pour en parler, c'est bien dommage. On a évoqué quelques constats : vous avez parlé de manque de passerelles entre les professionnels et l'école. Que préconisez-vous sur cette question ? Vous avez parlé du manque d'information sur les filières...
Mme Sihem HABCHI, membre du Collège de la HALDE et présidente de « Ni putes, ni soumises » - Je vais être très rapide. Je rejoins ma collègue sur le fait que cette crise doit être une opportunité pour nous tous de remettre à plat un système qui atteint ses limites. Il ne faut pas non plus se flageller, il faut aussi regarder la situation de manière assez pragmatique. Mais le pragmatisme ne signifie pas non plus qu'il n'y a pas de culture. C'est important, ce que je vous dis là et j'espère que vous m'écoutez, parce que le pragmatisme sans culture...
Je vais répondre très rapidement. Je dis juste que le pragmatisme sans culture n'a pas de sens et ne mènera nulle part. La culture, nous l'avons, c'est cette culture républicaine qui dit que l'égalité, comme je vous le disais tout à l'heure, est un objectif. Je ne crois pas du tout que les quotas ethniques ou les statistiques ethniques soient une solution, car ils ne parlent ni des objectifs, ni des finalités. Je suis pour le débat et je le mène partout, en France comme à l'étranger, et je crois qu'aujourd'hui, notre responsabilité est de regarder la situation actuelle de la France au coeur de l'Europe dans le contexte économique. Cette diversité est une force : le fait que je sois d'origine algérienne, née en Algérie, peut être un « plus », par rapport à tous ces pays de haut niveau économique, j'ai un avantage du fait de ma connaissance d'une culture et d'une langue supplémentaire. Il faut prendre les capacités de chacun et utiliser les compétences de chacun au maximum, face à la situation actuelle. La personne qui porte un peu l'emblème de la révision de cet outil qu'est l'affirmative action est le président américain. Contrairement à la lecture qu'on est en train d'en donner, qui est selon moi complètement erronée, il faut aller vers des politiques de redistribution des richesses. Il faut rappeler qu'aux États-Unis, l'affirmative action a été préférée à la politique de redistribution des richesses, au détriment, notamment, de l'égalité entre les territoires. Nous ne devons pas faire cette erreur-là.
Si nous devons aller vers cette affirmative action - la porte est ouverte, mais j'ai sur cette question une position extrêmement ferme - nous ne devons pas abandonner cette redistribution, alors que l'on est en train de mener des politiques de la ville assez ambitieuses. Je n'ai pas parlé des contrats d'autonomie, mais il faudrait les renforcer, notamment en direction des filles. Il faut les renforcer et il faut que tout le monde joue le jeu au niveau territorial. Il faut aller au bout de cette politique-là et l'évaluer. Ensuite, on va m'expliquer que cela suffit et que peut-être on prendra ma couleur de peau ou je ne sais quoi comme critère ! Mais pourquoi abandonne-t-on cette politique publique qui n'a jamais été menée à terme ?
Sur l'école, je demande à la mission commune d'information d'être vraiment très exigeante. Parce que tout se joue vers 14-15 ans, pour les filles comme pour les garçons, sur la citoyenneté, l'engagement dans la vie active, sur l'orientation. Je suis sûre qu'autour de cette table vous saviez déjà vers quoi vous diriger, à cet âge-là. Il faut ouvrir le champ des possibles et je crois que le rapprochement avec les entreprises doit se faire à ce moment-là. Les résultats des stages de découvertes en entreprise sont extraordinaires, notamment dans la connaissance de la culture d'entreprise qui implique la présentation, le langage. Sur la question de l'élite, je pense que oui, bien sûr, l'élite doit être renouvelée aujourd'hui. Je crois que tout ce que nous disons est possible seulement si l'élite qui va mettre en place les politiques publiques de demain est capable de comprendre, d'intégrer et de mettre en oeuvre tout ce dont nous parlons aujourd'hui. Cette élite doit donc être renouvelée avec des Fatoumata, des jeunes qui viennent du « 93 », etc. Et cela, nous sommes nombreux à vouloir y contribuer.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Attention à l'habillage rhétorique, tout de même : ce n'est pas parce qu'il y aura trois Fatoumata au gouvernement que les choses vont forcément changer, qu'il ne s'agira pas d'un alibi masquant les inégalités.
Mme Sihem HABCHI, membre du Collège de la HALDE et présidente de « Ni putes, ni soumises » - Non, je ne crois pas. Vous avez évoqué le label Diversité. Je crois qu'il a été extraordinaire de pouvoir se regarder dans le paysage. L'affichage, ce n'est pas juste rien. Mais cela, c'était un premier pas, il y a déjà plus de cinq ans. Il faut à présent regarder dans la mise en oeuvre et dans la mise en pratique. Les labels ne doivent pas juste servir à racheter notre conscience pour ne pas mettre en place des politiques d'évaluation en matière de direction des ressources humaines. Nous devons réellement évaluer si, en embauchant quelqu'un, on réussit à le faire évoluer. Je ne crois pas que le critère ethno-racial changera quelque chose. Je pense que par contre, les critères de compétence, de volonté et de motivation, jouent. Quand on a été discriminé, on a cet avantage d'avoir la rage et de pouvoir enfoncer des portes.
Mme Carole DA SILVA, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration - Je pense que l'engagement des entreprises a été réel. Il faut dire en même temps qu'elle est assez récente, donc la question de la gestion des carrières commence à peine à être abordée. Au départ, le travail portait ne serait-ce que sur l'intégration des personnes. Beaucoup n'ont pas changé leurs critères de recrutement. Je suis toujours gênée, quand on me parle de personnes issues de l'immigration, qu'on les associe aux quartiers des politiques de la ville. Toutes les minorités ou toutes les personnes issues de l'immigration ne vivent pas dans les quartiers des politiques de la ville. C'est le premier point. Le deuxième point est que les entreprises ne changent pas leurs critères. Elles veulent recruter Fatoumata, habitant un quartier « politique de la ville », mais ayant fait HEC. Et il n'y en a pas tant que ça qui l'ont fait. Je pense donc que c'est un point très important. Il faut vraiment que chacun fasse un point pour savoir de quoi il parle, parce que chaque fois, chacun met derrière ces mots ce qui l'arrange. Et finalement, cela crée une confusion dans le débat.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je vous remercie et propose que l'on s'écrive pour prolonger ce débat. Il y a aussi un point que l'on n'a pas du tout évoqué - je sors de mon rôle, mais tout cela est tellement passionnant. Quand vous dites que les jeunes issus de l'immigration ne vivent pas tous dans des quartiers sensibles, il faut aussi ajouter que les quartiers sensibles sont devenus de véritables ghettos ethniques où l'enfermement est en train de gagner du terrain et notamment l'enfermement des filles. Et l'on est en train de repartir en arrière et de régresser d'une manière incroyable dans ces quartiers et dans ces villes. Cela, nous ne l'avons pas du tout évoqué. Donc Fatoumata, dans quatre ou cinq ans, elle ne pourra même plus avoir accès aux Grandes Écoles, même si elle est la plus brillante et qu'elle est poussée par son tuteur. Je n'arrêtais pas, également, d'y penser, pour en être témoin là où je vis, là où je suis élue depuis 40 ans, on ne l'a pas évoqué non plus parce que ce n'est pas le thème : la discrimination au sein de la police, qui a des effets ravageurs dans les quartiers.
M. Guillaume AYNE, directeur général de SOS-Racisme - Et aussi le rôle que devrait avoir la police dans la collecte des preuves.
Mme Caroline BOVERO, responsable de l'association APASO - Et la relation des jeunes avec le monde de la justice et de la police.
M. Guillaume AYNE, directeur général de SOS-Racisme - Et si je peux dire un dernier mot sur l'exemplarité de l'État, parce que je pense que cela nous concerne tous. Il faut savoir que la plupart du temps, si on a une angoisse forte quand on est jeune, vis-à-vis de l'avenir, c'est que nos parents ont connu le chômage. C'est quelque chose de traumatisant et c'est vrai que cela touche toute notre génération aujourd'hui. Il faut savoir que 6,5 millions d'emplois sont aujourd'hui fermés aux ressortissants étrangers. Il y a eu une extension sur les communautés après une directive, ce n'est toujours pas le cas pour les ressortissants étrangers. Et un grand nombre de jeunes Français ont des parents étrangers dont les marchés de l'emploi étaient beaucoup plus limités que les autres, parce que l'État discrimine légalement.
Mme Sihem HABCHI, membre du Collège de la HALDE et présidente de « Ni putes, ni soumises » - Vous avez la délibération de la HALDE sur le RSA. Elle parle notamment de la discrimination faite aux étrangers, puisqu'il faut justifier de cinq ans sur le territoire pour pouvoir en bénéficier. C'est bien expliqué dans la délibération de la HALDE.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous aurions aimé avoir plus de temps à vous consacrer. Merci beaucoup.
Audition de M. Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'État chargé de l'emploi
(8 avril 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Monsieur le Ministre, je vous remercie infiniment d'avoir pris sur votre temps pour venir débattre avec nous ou du moins nous dire ce que vous pensez à propos des thèmes que nous avons retenus pour cette mission d'information sur la politique en faveur des jeunes. Il nous a semblé que, parallèlement au travail de Martin Hirsch, les parlementaires, les sénateurs, c'est-à-dire le législatif, pouvaient réfléchir sur les mêmes problèmes et ne pas laisser exclusivement l'exécutif plancher là-dessus. Pour un maximum d'efficacité, nous avons limité la durée de cette mission, commencée il y a deux semaines. Nous souhaitons avoir au minimum un rapport d'étape pour la fin du mois de mai. Pour les mêmes raisons d'efficacité, nous nous limitons aux jeunes de 15 à 25 ans, tout en sachant que les problèmes commencent avant et perdurent souvent. Nous avons retenu comme thème tout ce qui tourne autour de l'emploi - c'est-à-dire l'orientation, la formation, l'emploi - et ce qui tourne autour de l'autonomie des jeunes, c'est-à-dire l'autonomie financière, l'accès au logement, ainsi que les problèmes de santé et de citoyenneté.
Nous souhaitons donc vous entendre autour de ce problème essentiel de l'emploi, mais votre parole est libre. Je pense qu'il est inutile que je rappelle ici les chiffres : les jeunes de 16 à 25 ans sont touchés plus que d'autres par le chômage, le taux de chômage des jeunes Français est l'un des plus élevés d'Europe et il se développe à vitesse « grand V » puisqu'en un an, le taux de chômage des jeunes a augmenté de 24 %. Pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. En outre, les jeunes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté atteignent un nombre tout à fait préoccupant. Voilà pourquoi nous nous sommes accrochés à cette mission, en ayant l'ambition sans doute démesurée - mais nous persistons et nous signons - de sortir avec quelques propositions concrètes susceptibles d'être adoptées.
Monsieur le Ministre, je vous passe la parole.
M. Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'État chargé de l'emploi - Merci beaucoup, Madame la présidente, pour votre accueil. Je vais essayer d'être le plus direct et le plus efficace par rapport à votre travail, en me concentrant sur la problématique dont j'ai la charge, à savoir l'emploi des jeunes. Ce travail est évidemment une composante fondamentale de la réflexion qui a été voulue par le Président de la République et sur laquelle nous travaillons conjointement avec Martin Hirsch mais aussi avec Yazid Sabeg, qui contribue à apporter des aides et des suggestions précieuses notamment sur toutes les problématiques de la diversité.
Je voudrais d'abord, si vous me le permettez, repartir du diagnostic et notamment des chiffres qui sont absolument décisifs pour ne pas se tromper par rapport aux solutions que nous devons mettre sur la table. Et je suis convaincu que dans cette crise, il y a un certain nombre de pièges à éviter et sur lesquels nous devons nous mettre d'accord. La première chose, vous l'avez rappelé : le nombre de demandeurs d'emploi de moins de vingt-cinq ans a augmenté de façon considérable - environ 30 % en un an, ce qui représente 15 % de plus que les 25-50 ans. Cela constitue une vraie différence par rapport à l'emploi des seniors qui tend, au coeur de cette crise, à se maintenir, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans atteint ainsi à peu près 20 %, avec une caractéristique qui est très forte dans cette crise : il n'y a plus de sortie vers l'emploi. Si vous regardez de façon très précise les statistiques de l'emploi et du chômage, le problème n'est pas tellement que l'on a plus d'entrées dans le chômage, mais plutôt que l'on n'a plus aucune offre d'emploi. Si vous prenez les statistiques des offres d'emplois qui sont collationnées par Pôle Emploi, vous verrez qu'il y a un assèchement considérable de ces offres. Cela représente un déficit qui est gigantesque pour les jeunes, et un défi qui est encore devant nous. Le risque face auquel nous nous trouvons est le suivant : que vont devenir les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail et qui vont se heurter à un plafond de verre dans lequel ils ne vont pas réussir à trouver un emploi, tout simplement parce qu'il n'y a plus d'emplois qui sont mis sur la table ?
Or il faut ajouter à cela la deuxième menace qui est, nous le savons tous, qu'en termes de pratiques d'embauches et de ressources humaines, un diplôme qui vieillit et dans lequel nous n'avons pas de recrutement et d'expérience professionnelle pendant un à deux ans se dévalorise. On risque alors de scotcher toute une génération d'étudiants dans un plancher de béton dont ils n'arriveront plus à s'extraire, avec le risque de connaître un vrai gâchis générationnel.
Il y a donc bien un risque qui est propre à cette crise et qui est propre au fait que les 16-25 ans soient les premières victimes de cette crise. Mais on ne peut pas se contenter de cette analyse, trop facile ou un petit peu trop superficielle. Parce que si nous prenons un tout petit peu de champ, la difficulté d'accès des 16-25 ans à l'emploi ne date pas de la crise. Et si l'on est totalement objectif, c'est même un problème structurel de nos politiques de l'emploi depuis vingt à trente ans. Et la France se caractérise de ce point de vue, vous l'avez d'ailleurs fort bien rappelé, par une relative exception européenne, puisqu'en moyenne, sur une tendance longue, que ce soit en cycle haut de croissance ou en cycle bas de crise, le taux de chômage des jeunes se situe à peu près entre 10 et 15 points au-dessus du taux de chômage de la moyenne de la population et structurellement de 5 à 7 points au-dessus de la moyenne des pays européens.
Cela signifie donc bien que certes, la crise a exacerbé les difficultés de l'accès à l'emploi des 16-25 ans, mais qu'elle ne les a pas totalement créés. Et ces difficultés sont beaucoup plus structurelles et renvoient de façon beaucoup plus forte à une certaine approche de la formation et de l'accès à l'emploi des 16-25 ans dans notre pays. Ce qui est en train de se passer, c'est que dans cette crise, un certain nombre de vieux réflexes se réactivent, mais ces vieux réflexes étaient déjà là : problèmes de formation, problèmes d'orientation, problème de confiance des entreprises au moment où elles embauchent, incapacité de dire à un jeune : « Je vous prends, alors même que vous n'avez pas d'expérience professionnelle. » A cela s'ajoutent les problèmes d'accompagnement au niveau du service public de l'emploi. Toutes ces problématiques sont encore face à nous.
On ne peut donc pas - et en tout cas, cela me semblerait une facilité à laquelle il faut résister - utiliser la crise comme un alibi. La crise est un signal d'alerte très fort, mais ne peut pas nous servir d'alibi. Ce qui induit une approche à mon sens importante : ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de poudre aux yeux ou de bricoler des outils permettant de dire aux jeunes dans la crise : « Calmez-vous. » Ce dont nous avons besoin, c'est un travail de fond sur la situation de l'emploi et l'accès à l'emploi des 16-25 ans dans notre pays. Comment est-ce structuré ? Comment sont-ils formés ? Comment les informe-t-on des métiers qui sont en tension ou non ? Comment sont-ils accompagnés par un service de l'emploi efficace ? Comment remédier aux situations de décrochage scolaire ? Et tout cela, ce sont des questions qui sont beaucoup plus dures que les solutions qui consistent à ajouter « x » contrats aidés supplémentaires dans le secteur marchand ou tant d'accompagnement en plus. Ces questions nous obligent à repenser de façon beaucoup plus forte notre système de rapport à l'emploi des 16-25 ans.
Maintenant, si l'on va beaucoup plus au coeur de la situation qui positionne la France 23 e sur 27 en termes de taux de chômage des jeunes au niveau de l'Union Européenne, le premier point qui est frappant est que nous avons une partie très forte de jeunes de 16 à 25 ans quittant le secondaire sans le moindre diplôme en poche. Et là, les chiffres parlent d'eux-mêmes : on est un peu en dessous de 20 % d'une classe d'âge quittant le secondaire sans diplôme, là où la moyenne des pays les plus performants - notamment les pays nordiques - se situe à 8 %. On voit donc bien que l'on a ici un premier effet de barrage pour l'accès à l'emploi. Le deuxième effet de barrage, qui suppose d'ouvrir le ventre de la machine et de regarder comment elle fonctionne dans ses rouages les plus intimes, tout le monde le connaît : chacun d'entre vous, sur vos territoires, avez déjà eu ce type de réponse. Ce qui est très caractéristique c'est qu'en France, lorsqu'un étudiant pose son premier CV, il y a d'abord un effet de discrimination qui fait que grosso modo, quelqu'un qui a moins de 25 ans a deux fois moins de chances que quelqu'un qui a plus de 25 ans de voir son CV retenu. Nous avons un certain nombre de statistiques à votre disposition sur ce point. Un autre phénomène consiste à dire : « Ecoutez, c'est très bien, je vous aurais volontiers engagé, mais il vous manque de l'expérience. Et comme vous n'avez pas d'expérience, je ne peux pas vous prendre. » Nous sommes dans ce cycle infernal où la seule réponse est : « Bien sûr que je n'ai pas d'expérience, c'est d'ailleurs pour cela que je cherche mon premier emploi. » Mais on vous rétorque : « Désolé, mais pour vous faire confiance dans votre premier emploi, il faut que vous ayez de l'expérience. » Alors on peut se contenter de dire que cette pratique est totalement malsaine, qu'il faut que les entreprises bougent - ce qui n'est pas totalement faux. Mais cette réponse ne suffit pas.
En fait, elle renvoie à quelque chose qui est plus structurant : notre système éducatif ne permet pas à l'étudiant, dans le déroulé de sa formation, d'accumuler les expériences. Et effectivement, lorsqu'il se présente avec son CV, il bénéficie la plupart du temps d'une formation théorique qui est jugée peu opérationnelle, dans laquelle trop peu de place a été faite à la mise en place d'une culture d'apprentissage ou d'alternance permettant de dire à l'employeur : « Bien sûr, j'ai déjà de l'expérience. Pendant six mois, j'ai mené tel projet dans le cadre d'une formation en apprentissage ou en alternance, qui m'a permis d'être directement opérationnel par rapport à votre entreprise. » Mieux : cela peut permettre à l'entreprise, parce qu'elle a testé l'étudiant de 16-25 ans à l'intérieur de son entreprise sous forme d'alternance ou d'apprentissage, de lui faire confiance et de le considérer dans ses objectifs d'embauche au long de l'année.
On a donc dans ce cadre-là tout un sujet de fond qui émerge, qui est la manière dont on aide nos étudiants à percer ce fameux plafond de verre auquel ils se heurtent et qui constitue ce premier barrage, faisant que le déroulé pour un étudiant est grosso modo de 6 à 7 ans entre le moment où il sort de ses études et le moment où il va accéder à un CDI. Cette période est quand même extrêmement longue, avec un parcours du combattant qui va passer par des périodes de stage, des périodes d'intérim, des CDD très courts, des périodes où l'on prend espoir, des périodes où l'on perd espoir, qui en font un parcours d'oscillation. En conséquence, lorsqu'elle finit par obtenir un CDI, notre génération des 16-25 ans a perdu beaucoup de son appétence dans sa relation au travail. C'est donc un vrai défi de société qui est ici posé.
Pour l'aborder, il faut que tout le monde se mette autour de la table. Des problématiques relèvent de l'exclusion et donc notamment d'un certain nombre de compétences de Martin Hirsch. D'autres relèvent des politiques de la ville et des discriminations, donc d'un certain nombre de compétences de Fadela Amara. Beaucoup de ces dispositifs relèvent d'une capacité à s'articuler avec l'éducation nationale, notamment avec les services de Xavier Darcos. Or nous sommes là dans cette vieille mécanique typiquement française, qui est notre difficulté à mettre en relation différents services administratifs. Il faut être capable de mettre en tension ces services sur un travail en équipe, parce que personne ne possède la totalité de la solution, mais que tout le monde, en revanche, en tient un bout. Et l'un de nos problèmes - je sais que vous y êtes très attentif, Monsieur le Rapporteur - est précisément la mise en relation de tous ceux qui agissent, au sens administratif comme au sens large, et les services publics de l'emploi plus particulièrement.
Avant d'en venir à ce qu'il me semble être un spectre de solution, je voudrais juste poser un certain nombre de repères. Le premier est le suivant : je me méfie des usines à gaz. Il est très facile de réinventer tout un dispositif très complexe qui mettrait beaucoup de temps à monter en puissance. Il y a quand même un certain nombre d'outils qui existent, qui ont déjà fait leurs preuves. On a une situation qui est en partie d'urgence et qui suppose que nous ayons une capacité de réaction rapide. Il faut donc faire attention à ne pas inventer un dispositif qui serait d'une très grande complexité et qui mettrait beaucoup de temps à monter en puissance.
Le deuxième point est une conviction intime très forte - et c'est un ancien député qui a notamment travaillé sur la question des bourses étudiantes qui vous parle. Il ne faut pas transformer nos étudiants et nos jeunes de 16 à 25 ans en chasseurs de primes. Une vraie question de ressources est posée, sur ce point précis du financement des études. En revanche, je suis très réservé sur une réponse consistant à aborder cette question exclusivement sous l'angle de la ressource étudiante et en oubliant que ce que demandent avant tout nos étudiants, c'est de les aider à trouver un emploi. Je ne suis pas sûr qu'en termes de hiérarchie des priorités, il faille inverser la donne. La première priorité est d'aider nos étudiants à trouver un emploi le plus vite possible, et pas de les transformer en chasseurs de primes.
Le dernier point découle du diagnostic que je vous ai proposé. Il s'agit précisément d'articuler solutions de court terme et de long terme.
Une fois que l'on a posé cela, le premier point qui est à mon avis le socle fondamental est le suivant : développer toutes les logiques d'alternance dans la formation de nos étudiants. Aujourd'hui, nous avons à peu près 11 à 12 % de nos étudiants qui sont formés à travers de systèmes d'alternance - au sens large du terme, c'est-à-dire l'apprentissage, les contrats de professionnalisation et tous ces types de formations. Ces contrats et ces formations sont ceux qui aboutissent au meilleur taux d'insertion dans l'emploi. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 8 jeunes sur 10 qui s'engagent dans l'alternance finissent par trouver un emploi durable dans un délai inférieur à un an. Donc c'est très simple, c'est le meilleur de tous les outils de la politique de l'emploi. Je suis pragmatique - je ne sais pas si c'est mon caractère voisin de la Loire qui m'y incite, mais je regarde ce qui marche. 8 jeunes sur 10 trouvent un emploi durable après une formation en alternance, cela veut dire que là se trouve la solution. Et on a à peu près 500 000 jeunes qui suivent une formation en alternance. Il me semble que le but serait d'arriver à ce qu'un jeune sur quatre dans notre pays soit formé par le biais de systèmes en alternance, qui permettent à la fois de mettre un pied dans l'entreprise - mais pas seulement dans l'entreprise, j'y viendrai - d'accumuler une expérience et surtout de faire ses preuves par rapport à son futur employeur qui est ensuite beaucoup plus en confiance pour vous embaucher.
Comment y arriver ? Premièrement, il faut diversifier considérablement les secteurs dans lesquels on applique les formules de l'apprentissage : dans les nouveaux métiers comme les emplois verts et les services à la personne, notamment, mais pas seulement ceux-là. Qu'est-ce qui empêche les ingénieurs de se former par l'apprentissage ? Pourquoi ne pas ouvrir l'apprentissage aux domaines de l'administration ? Qu'est-ce qui empêche que des commerciaux ou des responsables de marketing soient formés par l'apprentissage ? L'apprentissage ne peut se réduire au secteur manuel. C'est une approche plus globale qui consiste à miser sur l'alternance entre des périodes de formation théorique, qui donnent l'armature intellectuelle pour bien assimiler son métier et sa formation, et des périodes de formation sur le terrain. C'est dons une véritable petite révolution culturelle que l'on doit enclencher et qui est applicable dans tous les domaines.
Deuxièmement, il faut que les entreprises prennent les jeunes en apprentissage. De ce point de vue, il y a une réflexion à mener sur l'incitation financière pour prendre des jeunes en contrat de professionnalisation et en contrat d'apprentissage. Un certain nombre de grandes entreprises ont montré la voie. Je pense notamment à des entreprises comme Veolia, qui sont tout à fait exemplaires sur l'apprentissage des jeunes et qui depuis dix ans ont développé l'un des meilleurs centres d'apprentissage pour les jeunes, avec embauche en CDI à l'issue pour chacun des jeunes qui rentre et qui mène sa formation jusqu'au bout. Vinci a enclenché le même type d'approche, Bouygues également. On a également des choses intéressantes chez Scheider Electric, chez Accor. Mais cela devrait être décliné dans toutes les grandes entreprises.
Ce système d'apprentissage devrait être applicable de la même manière pour les Grandes Écoles. L'ESSEC a développé une formation en apprentissage. Qu'est-ce qui empêche que des ingénieurs de Polytechnique soient formés également par cette voie ? En disant cela, je ne pense pas aux difficultés d'emploi des Polytechniciens. Mais quand Polytechnique s'engage sur la voie de l'apprentissage, elle contribue à revaloriser l'image de l'apprentissage pour tout le monde. Cela permet de montrer que l'on desserre ce carcan de l'apprentissage.
Troisièmement, il faut que cela soit incitatif financièrement. Pour que cela soit incitatif financièrement, il faut revoir les clauses, notamment pour les petites entreprises et les toutes petites entreprises, sur l'apprentissage comme sur le contrat de professionnalisation. Ce dernier n'est sans doute pas suffisamment incitatif, pour les jeunes de 16 à 26 ans. On a là aussi des marges de manoeuvre relativement intéressantes qui sont à explorer. Ces outils devraient s'accompagner d'un effort vigoureux pour relancer les places en apprentissage, ce qui supposerait d'avoir un chantier important de relance qui soit enclenché. Il me semble quel l'on devrait pouvoir atteindre, à un horizon raisonnable de 2015, une montée en puissance importante permettant de se fixer un objectif de 20 à 25 % d'une classe d'âge formée par l'apprentissage. Nous soulagerions de façon considérable les problématiques de l'emploi. C'est une réponse immédiate aux jeunes qui sont en recherche d'emploi et auxquels vous pouvez proposer des contrats de professionnalisation. C'est également une réponse de long terme parce qu'elle répond à ce qui est le principal verrou de l'accès à l'emploi des jeunes.
Cela étant, ça ne suffit pas. L'une de mes convictions est que quels que soient les efforts que vous fassiez, vous aurez toujours du décrochage scolaire dans le système de l'éducation nationale. Il reste une marge substantielle d'amélioration, car la France a quand même la palme, avec le Royaume-Uni, du décrochage scolaire. 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans aucune qualification. Que se passe-t-il dans ce cas ? Je vais vous le décrire en partant d'un exemple très concret - vous en connaissez tous - que j'ai vécu la semaine dernière lors d'un déplacement à Montereau. J'ai été amené à rencontrer un jeune qui a un parcours que je trouve à la fois exemplaire sur les difficultés qu'il traduit et sur la manière de s'en sortir.
Il échoue au bac professionnel à 18 ans, arrête l'école et décroche. Personne, à ce moment-là, ne s'occupe de lui. Il passe en option « sous-marin », avec ce qui va être trois années de parcours de galère plus ou moins compliquées, comme d'ailleurs il l'avoue à demi-mots, avec un peu de deal, quelques stages qu'il réussit à accrocher, un mini CDD qui va durer quatre mois et qui se conclura mal. Et au fur et à mesure, il dérive. Ce parcours-là, c'est grosso modo le parcours de 100 000 à 150 000 de nos étudiants sur chaque année, qui décrochent de la même manière. Et ce qui se passe, c'est qu'ils décrochent et que personne ne s'occupe d'eux. Et quand vous les retrouvez à 24 ou 25 ans dans nos missions locales, au moment où ils retrouvent le chemin de l'emploi, il est beaucoup trop tard. Les dégâts sont beaucoup trop profonds. Le découragement et l'abattement, les séquelles qui se sont superposées mois après mois sont beaucoup trop lourds pour arriver à redresser et repartir. On y arrive pour une partie d'entre eux, mais on a beaucoup trop laissé filer le temps dans ce qui est pourtant une course contre la montre, pour permettre de garder ce lien entre le moment de la formation et du décrochage, et l'accès à l'emploi.
Or là-dessus, il n'y a pas de fatalité, et l'exemple de Josselin est intéressant puisqu'il a eu la chance de croiser ensuite une École de la deuxième chance située à Montereau, très engagée dans la culture de l'emploi. Elle l'a pris par la main, a remis à niveau ses savoirs basiques pendant quatre mois, a ensuite défini avec lui son projet professionnel : être embauché dans le secteur de la vente. Il a pu passer un partenariat avec Carrefour, il a d'abord été embauché au rayon « produits frais » - n'empêche qu'il avait son CDI et qu'il en était rudement fier. Il vient de réaliser une formation interne à Carrefour pour passer chef d'équipe sur l'ensemble du rayon « produits frais ». Ce parcours traduit dans l'exactitude les difficultés de parcours de nos 16-25 ans et en même temps, les voies de solution.
Les voies de solution se présentent à deux niveaux. La première a commencé à être expérimentée. Cela fait partie des choses que j'ai voulu initier avec Xavier Darcos. Il s'agit de faire en sorte que dès qu'un jeune décroche, l'information soit transmise immédiatement à l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi. Et cette information, l'éducation nationale la possède dans ses statistiques. Immédiatement, les passerelles doivent s'établir avec la mission locale, Pôle Emploi, les Écoles de la deuxième chance qui peuvent être présentes, les différentes associations d'insertion. Il faut sortir de ce système absolument stupide que l'on n'a pas encore suffisamment secoué - mais le travail s'est enclenché avec Xavier Darcos - qui consiste à croire que les conseillers d'orientation ont un droit de suivi pendant un an sur les étudiants de l'éducation nationale. Cela veut dire que pendant un an, personne ne peut s'occuper d'un jeune qui a décroché, parce qu'il relève de la clientèle des conseillers d'orientation. Je n'ai rien contre ce dispositif, mais à un moment donné, il faut être sérieux. Vous n'allez pas laisser un jeune qui décroche du système scolaire « mariner » pendant un an avant de s'occuper de lui. Au bout d'un an, c'est trop tard et surtout, au bout d'un an, vous ne savez plus où il est, parce que la connaissance statistique, elle s'est perdue.
Le but est donc de mener, de ce point de vue, un travail en commun. Nous avons expérimenté des dispositifs en Normandie et en région PACA, qui permettent de transférer l'information immédiatement entre rectorat et service public de l'emploi afin de proposer tout de suite une solution. Cela permet de diriger le jeune vers une mission locale, vers une association implantée sur le territoire et pouvoir tout de suite remonter. Cette idée, que je désigne sous le terme de « dispositif anti-décrochage », est également parfois intelligemment nommée « garantie de septembre » - je ne suis pas l'auteur de cette deuxième expression. La garantie de septembre consiste à dire : « Un étudiant qui décroche doit avoir la garantie qu'en septembre lui soit proposée une solution alternative. » Cela peut être une autre formation, un contrat de professionnalisation. Pour ceux qui sont éloignés de l'emploi, cela peut être un chantier d'insertion ou une École de la deuxième chance. Mais il ne faut pas laisser sur le bord de la route nos étudiants et ne pas les laisser passer en « sous-marin » pendant trois à quatre ans.
Le troisième point peut être qualifié de « petits cailloux dans la chaussure ». Ce sont les petites choses que les ministres, dans l'isolement de leur bureau, ont tendance à oublier, mais qui sont concrètement sur le terrain - et vous le savez bien - les vrais obstacles à l'emploi. Un étudiant qui n'a pas son permis de conduire, qui n'a pas de voiture, pas de scooter, lorsqu'il cherche une place d'apprenti et qu'il en trouve une à 45 kilomètres de chez lui, sans moyen de transport en commun qui peut l'y amener, il se heurte à des obstacles qu'il n'arrivera pas à franchir. Cela vaut de façon très lourde pour l'apprentissage, où vous pouvez vous retrouver écartelé entre trois lieux : le lieu de votre famille ou le lieu où vous habitez, le lieu où vous allez faire votre formation en CFA ou en lycée professionnel et le lieu de l'entreprise où vous allez trouver votre maître d'apprentissage. Si les problématiques de logement et de mobilité ne sont pas résolues, il n'y a aucun espoir. Vous diminuez de façon considérable les possibilités d'un jeune d'accéder à l'emploi.
Pour résoudre ces questions, il n'est pas besoin d'inventer la poudre. Il faut développer des solutions d'internat sur les lieux d'apprentissage, mettre en place des financements de permis de conduire pour nos jeunes. Je préfère financer à un jeune le permis de conduire qui lui permettra de trouver un emploi à trente-cinq kilomètres de chez lui plutôt que de payer des indemnisations, quelles qu'elles soient, qui n'ont aucun intérêt pour lui. Cela signifie également qu'il faut développer un dispositif dont la ville de Saint-Etienne était pilote en la matière, permettant de mettre à disposition une voiture ou un scooter sur une période de trois mois, qui est la période de reprise d'emploi ou la période d'apprentissage. Cela permet de soulever cette barrière et de s'attaquer à ces petits obstacles qui sont en apparence très anodins, mais qui représentent de vraies barrières. Quand vous n'avez pas de moyen de locomotion et que le transport en commun n'est pas organisé, vous cherchez dans un périmètre de 15 kilomètres autour de chez vous. Quand on a un moyen de transport en commun qui est organisé, surtout pour des étudiants qui sont prêts à faire des efforts, on élargit le périmètre à 30 ou 45 kilomètres autour. On fait plus que doubler les chances et les possibilités qui sont offertes à un étudiant de trouver un emploi. C'est quand même stupide, pour des sujets aussi matériels et concrets, de s'interdire de faire cela. On s'y est attaqué. Les crédits de Pôle Emploi sur toutes les aides à la mobilité ont été doublés, pour avoir de vrais dispositifs. Reste à s'attaquer aux questions de logement et à la multiplication de toutes ces structures, associatives ou non, de prêt d'outils à la mobilité : mobylettes, scooters, petites voitures électriques, permettant d'avoir sur l'ensemble du territoire républicain des solutions qui soient ainsi proposées.
Enfin restent toutes ces questions concernant la façon d'aider les jeunes à faire face à la crise. Je pense que Martin Hirsch a dû vous parler des réflexions qui peuvent être les siennes sur la mise en place de contrats aidés marchands. Nous pouvons essayer de les développer, cela peut aider dans cette période. C'est une réponse de court terme, mais elle n'est pas à négliger. De la même manière, nous pouvons développer les contrats aidés dans le secteur non marchand, à condition qu'ils ne soient pas des voies de garage, mais qu'ils soient vraiment utilisés dans une trajectoire et dans une réflexion en termes d'insertion professionnelle et d'insertion dans l'emploi.
Par ailleurs, nous travaillons avec Fadela Amara sur des systèmes de parrainages, notamment dans des actions de diversité - je pense que les personnes qui sont intervenues avant moi ont dû l'évoquer. Ainsi l'association « Nos quartiers ont du talent », permet d'aider sous forme de tutorat et de parrainages des jeunes issus de quartiers plus stigmatisants, qui se heurtent à beaucoup plus de discrimination dans la possibilité d'accéder à un emploi.
Enfin, et c'est un sujet qui me tient à coeur, parce que là encore, c'est une réalité : on a souvent des étudiants qui ont déroulé un parcours honorable d'enseignement supérieur, qui peuvent avoir un bac +2 en psychologie ou différentes formations équivalant à une licence et qui, après avoir cherché un emploi pendant six mois ou un an, s'aperçoivent qu'ils sont dans une impasse. Cela ne veut pas dire que leur diplôme ne vaut rien. Cela veut juste dire qu'avec les pratiques de ressources humaines qui sont les nôtres, avec la situation dans laquelle ils sont, ils se retrouvent dans une impasse parce qu'il n'y a pas de job à l'arrivée et que personne, sur la base de leur diplôme, n'est prêt à leur confier un emploi. Pour autant, ils n'ont pas l'intention de tout recommencer. Si vous leur dites : « Désolé, vous vous êtes trompé de voie d'aiguillage, il faut tout recommencer à zéro. » Ils vont vous regarder d'un oeil peu confiant. Ce qu'il faut, c'est qu'en mettant à profit la réforme de l'enseignement professionnel, nous ayons ce que j'appelle des « formations commando », très courtes, de six mois à un an, très professionnalisantes et qualifiantes. Elles permettraient à ces étudiants qui sont dans des impasses de réaliser des formations pour rebondir sur des secteurs qui peuvent avoir des débouchés. Je vous donne un exemple très simple. Vous avez un bac +2 en psychologie. Il se trouve que dans les cinq ans à venir, on va recruter 200 000 commerciaux. Plutôt que de mariner en attendant sans rien trouver, ça peut valoir la peine de vous financer une formation très qualifiante qui durera un an, permettant d'acquérir les techniques de commercial, dans lesquelles faire preuve de psychologie et de sens des relations humaines n'est pas totalement inutile et qui permettra de vous faire rebondir en vous réorientant sur les voies et les métiers en tension. Parce que même dans cette crise, n'oublions pas que demeurent des métiers en tension, vers lesquels on a tout intérêt à orienter nos jeunes. Pour prendre un exemple tout bête, on va recruter dans les quatre ans à venir 10 000 postes de machinistes agricoles. Quand vous dites « agricole », tout le monde se dit : « Oh la, la ! Je n'ai sûrement pas envie d'y mettre qui que ce soit. » Or le métier de machiniste agricole repose sur des machines extrêmement techniques avec des commandes numériques très pointues. Ça vaut peut-être la peine d'orienter un certain nombre de nos jeunes qui sont peut-être partis vers des formations sans débouché, avec un peu de mécanique, comme dans la sous-traitance de la métallurgie où aujourd'hui tout s'est arrêté. Si l'on se donne un tout petit peu de mal, on peut mettre en place ces formations passerelles, permettant de réorienter ces jeunes dans d'autres directions.
Je ne vous ferai pas l'affront de revenir sur des questions d'orientation, que vous avez déjà dû traiter. J'y reviendrai peut-être au travers de vos questions, si vous le souhaitez. L'orientation est en effet l'une des graves lacunes dans notre système qui s'adresse aux jeunes, mais on en parle depuis longtemps.
Je pense profondément qu'il n'y a pas de fatalité, les autres pays européens le montrent. Il y a bien sûr une période de crise et nous ne parviendrons pas à tout arrêter et à tout protéger, mais pour autant, il n'y a pas de fatalité à ce que dans notre pays, en période de crise ou de croissance, les jeunes soient systématiquement ceux qui ont le plus de difficultés à accéder à un emploi. De ce point de vue, les comparaisons européennes sont assez éloquentes : on a vraiment la possibilité de changer les choses. Cela suppose que l'on ne se contente pas de réponses conjoncturelles à cette crise, mais que l'on aille chercher les problèmes de fond. Et si je devais la résumer d'un mot, ma conviction est que le problème de fond repose sur la révision de notre dispositif de formation, en misant beaucoup plus sur des techniques d'alternance et d'apprentissage, qui permettent à un étudiant d'accumuler à la fois une formation et une expérience professionnelle, qui s'avérera précieuse quand il va cherche son premier emploi.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci, Monsieur le Ministre. Nous rencontrons bien les mêmes jeunes : nous voici au moins rassurés sur un point. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci, Madame la présidente. Monsieur le Ministre, merci de cet exposé. J'avais prévu un certain nombre de questions sur l'apprentissage et la formation professionnelle, qui ont déjà été très largement évoquées. Je voudrais revenir sur deux ou trois points qui me paraissent majeurs, par l'expérience que nous avons les uns et les autres, sénateurs de terrain, mais aussi par ce que nous avons entendu au moment des auditions. Je voudrais revenir sur le service public de l'emploi et le service public de l'orientation. Vous avez évoqué l'orientation en soulignant que cela faisait des années qu'il y avait des problèmes, c'est une réalité absolue et ce que l'on nous a décrit tout à l'heure ne fait que le confirmer.
J'aimerais que vous me fassiez part de votre jugement sur le service public de l'emploi. Aujourd'hui coexistent le Pôle Emploi, les missions locales et toutes les structures qui ont été mises en place par les mairies, les conseils généraux, les conseils régionaux. Ne pensez-vous pas que cette politique soit totalement illisible ? Les jeunes ne savent pas vraiment comment cela fonctionne ni où s'adresser. Ils manquent, me semble-t-il, d'informations. De quelle manière imaginez-vous la restructuration de tous ces services ? Faut-il continuer avec ce genre de structures - qui répondent il est vrai de façon précise à des secteurs particuliers de difficulté selon l'âge ou la recherche d'emploi ? N'est-ce pas trop confus ? Est-ce que cela ne freine pas la recherche d'emploi, en apportant de nouvelles difficultés ?
Par ailleurs, il nous a été dit tout à l'heure par les jeunes qui étaient conviés ici qu'il existait des difficultés de compréhension par les spécialistes de l'orientation, qui n'écoutaient pas forcément les jeunes, qui essayaient de les enfiler dans des filières qui n'étaient pas forcément à leur goût. Ma question est donc la suivante : est-ce que le personnel présent dans ces Pôles Emploi et dans ces structures de formation et d'orientation a une formation de mise à niveau régulièrement adaptée aux offres qui pourraient se faire ? Ce constat va dans le sens de ce que l'on a pu vérifier lorsque nous nous sommes déplacés avec la mission, sur le « train pour l'emploi » ou au cours de l'audition que nous avons eu hier avec les directeurs des chaines de radios jeunes et des chaines de télévision. Le « train pour l'emploi » met directement en relation les chefs d'entreprise qui embauchent et les jeunes demandeurs d'emploi. Et nous nous apercevons que les résultats sont bien meilleurs que lorsque l'on rentre dans les structures. Idem avec les radios où RTL avait consacré une journée entière à l'emploi, qui avait bien fonctionné. N'y a-t-il pas un système à trouver pour essayer de supprimer ou d'amenuiser ce filtre qui existe entre les structures qui reçoivent les jeunes et qui contactent les chefs d'entreprise ? Je sais que c'est une lourde tâche, mais c'est quand même curieux de voir que lorsque l'on met directement en contact le chef d'entreprise et le jeune, cela se passe mieux qu'avec les structures.
Vous avez également évoqué la question des décrochages scolaires et les Écoles de la deuxième chance. Bien entendu, j'y souscris totalement. Les contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand sont bien entendu également importants. Je voudrais d'ailleurs attirer votre attention sur les contrats aidés dans les collectivités territoriales. Nous en avons débattu hier avec un certain nombre de collègues, quelle que soit la tendance politique. J'en ai moi-même fait l'expérience, avec des jeunes qui arrivent à un niveau où ils ont du mal à lire, écrire et compter. En les insérant dans les services des mairies, en leur mettant des tuteurs et en ayant bien entendu l'objectif de retrouver un emploi et de se réinsérer, ils peuvent passer des CAP. Les collectivités ont le temps, contrairement aux entreprises, d'amener ces jeunes à un niveau scolaire qu'ils n'ont pas forcément et de les engager. La question que je vous pose, Monsieur le Ministre, est la suivante : comptez-vous développer ces contrats aidés ? Envisagez-vous un autre dispositif ou comptez-vous le multiplier ? Je pense que ce serait une excellente initiative.
Concernant les stages pour les étudiants, vous avez souligné combien les stages en entreprise sont indispensables. Mais n'y a-t-il pas une nécessité de mieux réglementer les stages ? On a évoqué tout à l'heure les stages postérieurs au cursus universitaire, c'est-à-dire ces stages réalisés après la formation. Est-ce qu'ils sont utiles ? Faut-il les supprimer ? Ne serait-il pas préférable de les intégrer au sein du cursus scolaire ?
J'ai bien compris que vous n'étiez pas très favorable à l'allocation jeune, pour ne pas dire opposé. Pourriez-vous nous apporter plus de précisions sur cette question ?
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Monsieur le rapporteur a déjà évoqué des sujets que je voulais aborder. Juste une remarque et une question. Les départements et les collectivités territoriales ont déjà mis en place des dispositifs tels que Mobil'emploi qui permettent le prêt de mobylettes, de scooters, de voitures, pour amener les jeunes qui n'ont pas le permis de conduire sur leur lieu de travail. Mais on peut également à travers Avenir Jeunes 29 leur donner une possibilité d'aide financière.
Vous avez également évoqué le logement. C'est vrai que le logement des jeunes est un vrai problème et nous avons des structures telles que les Comités pour l'habitat des jeunes qui réalisent en ce sens un travail conséquent. Il existe également les Foyers de jeunes travailleurs, qui sont parfois dans des situations financières assez difficiles et nous arrivons ainsi au nerf de la guerre que représentent les financements, les moyens que l'on peut apporter à ces structures qui permettent justement de lever les obstacles que vous avez évoqués tout à l'heure.
Vous avez parlé de l'apprentissage et de la formation en alternance. Ce sont effectivement des secteurs qu'il faut développer, car ils permettent la sortie vers un emploi. Je voudrais pour ma part évoquer les IUT. Ce sont également des filières qui offrent une formation professionnalisante, qui ont un taux de sortie d'emploi très fort : 80 % des jeunes trouvent un emploi après une formation en IUT. Or dans la réforme actuelle des universités, ils ont beaucoup d'inquiétude. Leurs ressources, qui étaient en grande partie alimentées par la taxe d'apprentissage des entreprises, vont être noyées dans le budget général et ils ont effectivement beaucoup de craintes sur leurs capacités financières. Pour ces deux années d'enseignement, ils ont en effet les outils professionnels qui permettent à ces jeunes de se former, mais ils coûtent énormément. Beaucoup d'inquiétudes se forment donc pour ces jeunes en IUT. Ces IUT voudraient bien intégrer la réforme LMD, mais comme ils offrent des formations à bac +2, ils ont quelques difficultés. Nous avons un système qui existe, mais comment ne pas les sacrifier et ne pas les aider à s'intégrer dans ce dispositif LMD ?
M. Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'État chargé de l'emploi - Sur la première question posée par Monsieur le rapporteur sur les différents dispositifs et l'éparpillement du service public de l'emploi, je pense qu'en la matière il faut être assez pragmatique. Nous avons d'une part ce qui est la porte d'entrée logique pour tout le monde : Pôle Emploi. A terme, Pôle Emploi doit devenir la structure de pilotage quasi unique de tout ce qui concerne l'accès à l'emploi. S'agissant des jeunes, les missions locales s'ajoutent et ces structures restent à mon avis précieuses. Par contre, il faut que l'interconnexion entre Pôle Emploi et les missions locales se fasse de façon fluide. Personnellement, je m'arrêterai à cela. Je pense qu'il ne faut pas plus de dispersion et ne pas multiplier les guichets. Il est très important que les élus locaux soient associés à ces questions, mais il ne faut pas non plus que chaque territoire bricole son dispositif, sinon, on ne s'en sort pas. Les missions locales permettent d'associer les élus locaux, restons en là. Je suis moi-même président de la mission locale de ma ville, je vois bien comment cela fonctionne et je pense que c'est une bonne méthode.
Par contre, cela suppose que l'on ait une vision nationale, et vous l'avez très bien dit : on a d'excellentes missions locales. Soyons honnêtes : la très grande majorité des missions locales sont très bonnes. Mais il y a d'autres missions locales, minoritaires, qui ont tendance à considérer que les jeunes qu'ils ont et qu'ils suivent sont un peu leur portefeuille et le gage qu'ils obtiendront un budget l'année suivante - à un moment, il faut aussi dire les choses clairement. J'ai bien dit que c'était très minoritaire, mais cela existe. Ce n'est pas sain. Il faut donc que les missions locales soient évaluées, que leurs résultats soient comparés, que les meilleures pratiques soient transmises et que celles ayant besoin d'appui puissent être aidées à développer une culture de l'emploi un peu plus forte. De ce point de vue, j'ai une grande confiance dans le rôle que j'ai souhaité confier au Conseil national des missions locales, dont la présidence a été confiée à un parlementaire, Bernard Perrut. Je lui ai demandé de mettre en place une mission permettant de renforcer la synergie du réseau, afin que chaque mission locale ne soit pas toute seule dans son territoire et que les informations soient partagées.
De ce point de vue, vous l'avez dit, les meilleures pratiques sont celles qui permettent de bâtir des partenariats sur la durée avec des entreprises et des forums de mise en relation directe. Mais ces forums sont malgré tout animés par le service public de l'emploi, puisque ce sont eux qui mettent en relation les employeurs et les demandeurs d'emploi. Ces forums sont efficaces lorsqu'une entreprise sait qu'elle vient pour recruter des jeunes et qu'elle est prête à cette démarche. La SNCF a joué le jeu de façon très intéressante. J'ai participé plusieurs fois à des forums pour l'emploi des jeunes de la SNCF et là, ça fonctionne, parce que l'entreprise vient en se disant : « Oui, je suis là pour embaucher des jeunes qui n'ont pas d'expérience professionnelle. » L'Oréal l'a fait aussi de façon intéressante. C'est ce type de dispositifs que l'on peut développer.
Je me permets à ce propos d'ajouter un point sur les CV vidéo. Ça n'a l'air de rien, mais j'y crois beaucoup pour une raison toute simple. Soyons lucides par rapport aux a priori que nous avons les uns et les autres en tête. Quand vous recevez le CV d'un candidat de 21 ans, avec une photo dans l'angle droit de quelqu'un avec des dreadlocks et éventuellement un piercing, vous vous dites : « Ouh là ! Je ne vais pas mettre ce sauvage dans mon entreprise. » Il y a un a priori qui va complètement à rebours de la tendance au jeunisme de notre société, qui est la méfiance par rapport au jeune qui viendrait mettre le désordre dans l'équipe et qui ne serait pas bien cadré ni suffisamment mature. Quand on fait un CV vidéo, il y a tout autre chose qui passe. Il y a une énergie, un dynamisme, une volonté, qui vient complètement à rebours des a priori que l'on peut avoir sur les techniques de recrutement. On s'en est aperçu à la mission locale de Franconville où ils ont fait le test suivant. Ils envoient la candidature d'un jeune à travers un CV et une candidature à travers un CV vidéo. Le nombre d'entretiens a augmenté de 30 %. Ça n'a l'air de rien, mais c'est un petit outil qui peut être très utile là où on le développe.
Concernant les contrats aidés dans les collectivités territoriales, il est vrai que les partenariats sont très importants et nous avons d'ailleurs renforcé le taux de financement par l'État, porté à 90 %, ce qui permettra de compenser le fait que les cotisations de l'assurance chômage restent à la charge des collectivités locales. Personnellement, n'oublions pas que les contrats aidés bénéficient à des jeunes dans quasiment 40 % des cas. C'est un chiffre important qu'il faut avoir en tête. Donc lorsque l'on fait une relance de 100 000 contrats aidés, cela signifie que 40 000 contrats sont mis sur la table pour permettre à des jeunes de mettre un pied à l'étrier. Là où votre proposition, Monsieur le sénateur, est très intéressante, c'est dans son approche qui consiste à dire : « Profitons-en pour réaliser des formations, des remises à niveau. » C'est la logique du contrat aidé « passerelle ». Il me semblerait intéressant que cette idée puisse être mise en avant par le sénat, qui possède cette approche axée sur les collectivités locales. On pourrait imaginer des contrats aidés dans des types de compétences transposables dans le privé ou dans d'autres domaines. Quelqu'un qui va s'occuper de l'entretien de vos bâtiments acquiert ensuite une compétence parfaitement transposable dans le secteur privé. Un administrateur de réseaux Internet dans votre commune, votre communauté de communes ou d'agglomérations pourra ensuite exercer ses compétences dans une entreprise. Quelqu'un qui va s'occuper de communication ou de marketing dans votre collectivité pourra très bien ensuite décliner cette approche dans un autre domaine. Quelqu'un qui fait de la promotion dans un office de tourisme départemental peut ensuite basculer dans une entreprise de tourisme. Ne serait-il pas intéressant de mettre en place des contrats « passerelles » ciblés sur des domaines de compétences transposables dans le privé, avec un taux aidé, couplés à de la formation, permettant à un jeune de faire sa première expérience professionnelle en ayant la possibilité d'interrompre à tout moment son contrat s'il trouve un emploi dans le secteur privé ? Nous arriverions ainsi à donner un vrai sens à nos contrats aidés sans forcément inventer un nouveau dispositif, mais en utilisant pleinement ce que peuvent apporter les collectivités locales. En effet, tous ceux qui sont amenés à gérer des collectivités le savent, on ne peut multiplier les embauches à l'infini. Il est illusoire de faire croire à un jeune que vous prenez en contrat aidé qu'à l'arrivée, il sera embauché en CDI dans cette collectivité locale - c'est souvent promettre des lendemains qui déchantent. Il est donc sans doute plus intéressant de travailler sur cette idée du contrat aidé passerelle qui permet ensuite la bascule vers le contrat privé. Je pense que c'est un domaine de réflexion dans lequel le sénat, grâce à son lien avec les collectivités locales, peut s'engager.
Sur la question des stages, je suis pour ma part très favorable au fait d'interdire les stages hors cursus. Je vais prendre un exemple très simple, pardonnez-moi, on voit tous midi à sa porte. L'un de mes amis a fait trois ans de stage dans un cabinet d'avocat, où il a été rémunéré 300 euros comme spécialiste de droit fiscal. Je pense qu'il y a un moment où il y a des limites à l'exploitation. Cela n'est pas acceptable et c'est malgré tout très courant. Je pense que tout le monde est prêt à interdire les stages hors cursus et cela me semble être une mesure qui va dans le bon sens. De la même manière, la proposition qui a été faite conjointement par le MEDEF et FO consistant à ramener le délai de rémunération des stages de trois mois à deux mois, me semble également intéressante. Enfin, tout ce qui permet d'établir des passerelles entre un stage et un emploi, tout ce qui permet d'inciter quelqu'un qui a pris un jeune en stage à l'embaucher me semble utile, que ce soit sous forme d'incitation financière ou de dispositifs de charges.
Madame Blondin, vous avez très justement évoqué les dispositifs qui existent déjà, mais l'une de mes convictions fortes sur le domaine de l'emploi est que nous sommes sur un domaine qui suppose de concilier des initiatives locales et une vision républicaine de la solidarité nationale. Il faut maintenant que ces dispositifs mis en place en fonction des territoires locaux puissent être déclinés sur tout le territoire français. Que vous soyez à Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Lyon, Aurillac, il est important que vous puissiez avoir accès à des plates-formes de mobilité telles que celles que vous avez mentionnées.
Concernant les foyers de jeunes travailleurs, il nous manque souvent une mise en réseau. C'est quelque chose qui a été expérimenté notamment sur la région Rhône-Alpes, où sont listées toutes les possibilités d'hébergement pour les étudiants. On constitue une base d'informations : on liste les foyers de jeunes travailleurs, les lycées qui ont des internats, les CFA qui ont des capacités d'accueil. On met tout cela en commun, et l'étudiant qui cherche un logement a la possibilité d'en trouver un par le biais de sa mission locale. Là encore, l'idée est simple, de bon sens. Elle mériterait d'avoir un peu de crédits d'ingénierie pour accroître ce listing des différents moyens qui existent. Je vous remercie d'avoir abordé cette question, car c'est un sujet que l'on avait un peu perdu de vue dans notre réflexion. Cela m'avait beaucoup marqué lors d'un déplacement et je pense que cela fait partie des choses que l'on doit mettre dans la boucle.
Enfin, vous avez parlé des IUT. Les IUT sont aujourd'hui les secteurs de formation qui assurent la meilleure insertion professionnelle. Nous avons tout intérêt à miser sur les IUT. Mais je crois aussi que les IUT n'ont pas à avoir peur de leur intégration dans les universités. Parce que mon pari est le suivant. J'ai un IUT au Puy-en-Velay. C'est un sujet que je connais bien et j'ai depuis très longtemps de nombreuses discussions avec mon directeur d'IUT. Mon pari est que c'est au contraire la culture IUT qui va contaminer la culture de l'université. Cette culture-là, ajoutée à la culture de formation, la culture professionnalisante, va l'emporter. On le voit d'ailleurs dans les demandes des étudiants : les IUT font l'objet de demandes qui sont très fortes. Par contre, vous avez raison, cela suppose beaucoup d'attention sur les financements, afin de s'assurer que les universités ne sabrent pas ou ne récupèrent pas les crédits de l'apprentissage pour les cibler sur d'autres choses. Il faut continuer de valoriser ce qui permet le meilleur accès à l'emploi.
M. Pierre MARTIN, sénateur de la Somme - Monsieur le Ministre, quand vous évoquez les 150 000 jeunes qui sortent du cursus scolaire sans diplôme, sans qualification, il est vrai que nous sommes assez inquiets. Vous proposez bon nombre de solutions. Mais il faut savoir que parmi ces 150 000 jeunes, certains ne demandent qu'une chose : sortir le plus rapidement possible de ce cursus qui leur pèse. Certains n'ont absolument pas envie de suivre ensuite une formation. A-t-on des statistiques sur ces 150 000 jeunes ? Peut-on dire combien n'ont pas la volonté de s'intégrer ? Nous recevons ces jeunes dans nos mairies. Je reçois personnellement des jeunes qui me disent : « Quelque chose d'équivalent au RMI me suffit. » Ils ont parfois 24 ou 25 ans, ils ont trouvé une copine, ils dépendent du RMI et cela leur suffit. Comment remotiver ces jeunes ? On s'aperçoit en effet que si la volonté n'existe pas, l'échec se trouvera au rendez-vous. C'est une partie de nos populations, en milieu rural comme en ville, dont il faut tenir compte. Car c'est un poids pour notre société et c'est aussi parfois une nuisance. Quelles sont les solutions, s'il en existe, pour ces jeunes ?
M. Michel THIOLLIÈRE, sénateur de la Loire - Monsieur le Ministre, vous rappeliez tout à l'heure le double handicap qui nous pose tant de problèmes aujourd'hui : notre incapacité structurelle à trouver une insertion pour les jeunes, par rapport à d'autres pays européens, et de façon très conjoncturelle, la crise qui s'abat sur nous et qui renforce les difficultés. Nous pouvons espérer que cette crise aura une fin et qu'il y aura une reprise économique un jour. La question que je me pose est la suivante : comment faire en sorte que la vague de la reprise bénéficie en priorité aux jeunes, qui souffrent aujourd'hui de sous-emploi ? Cela veut dire qu'il y aura sans doute à anticiper par rapport à la nouvelle économie qui va émerger de l'après-crise. Cela suppose aussi que l'on aura plus de mobilité par rapport aux territoires, parce qu'on peut imaginer que la reprise économique ne se fera pas de façon homogène sur tous les territoires de la République et dans toutes les filières de formation. Est-ce qu'il y a quelques idées émergentes sur l'anticipation de la sortie de crise, par rapport à la formation des jeunes, à leur orientation et à leur insertion professionnelle pour rattraper notre retard structurel ?
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Si vous me le permettez, je m'inscris également dans le débat. Vous avez parlé longuement de la logique de l'alternance, dénonçant ainsi l'absence de passerelle entre l'éducatif et le professionnel. Nous sommes tout à fait d'accord sur cette absence de culture de l'entreprise au sein de l'éducatif, quel que soit le niveau de formation. Par ailleurs, M. Demuynck a souligné les résultats positifs de la mise en contact directe des jeunes demandeurs d'emploi et les employeurs. Vous préconisez de limiter les structures d'aide à l'entrée dans l'emploi aux missions locales et au Pôle Emploi, et proposez une évaluation des missions locales. Je suis également d'accord avec cela. Toutefois, les Pôles Emplois et certaines missions locales - pour ne pas dire toutes - manquent autant de culture d'entreprise que l'école et l'université. Donc si on se raconte des histoires, si on ne regarde pas cela en face, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je crains que les Pôles Emplois n'aboutissent pas à plus de placement. Il faut donc réfléchir à cette question de la culture d'entreprise.
Vous avez parlé très rapidement de l'École de la deuxième chance et chaque fois que l'on parle de cela, la question qui me vient à l'esprit, c'est : « Et l'école de la première chance, si on en parlait un peu ? » Car enfin, voilà une école égalitaire qui est la même pour tous et il s'agit à tout un chacun, différents, de s'adapter à cette école unique. Et si on avait le courage - on doit bien avoir, à droite comme à gauche, un ennemi à mettre à l'éducation nationale - d'inverser un peu les choses ? Si c'était à l'école de s'adapter aux élèves divers et multiples plutôt que l'inverse ? Je ne demande pas forcément une réponse dans le détail, mais il me semble que c'est quand même un problème à soulever.
Lorsque vous parlez des contrats aidés « passerelles », entre les collectivités territoriales et le secteur marchand, vous avez d'autant plus raison que toutes les expériences que nous avons réalisées au niveau des emplois-jeunes voire même des contrats emploi solidarité (CES), que j'ai expérimentés dans ma mairie, ont été positives. Le problème de la passerelle entre la mairie et le privé est qu'on ne peut se permettre d'embaucher démesurément. Ce ne serait rendre service à personne que de penser que l'on peut accueillir tout le monde dans une mairie. Mais le problème ne s'est pas posé car la quasi-totalité des jeunes, aussi bien en CES qu'en emplois-jeunes, ont le plus souvent, avant même la fin de leur contrat, soit repris une formation, soit trouvé un emploi dans le privé. Donc, cela fonctionne.
M. Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'État chargé de l'emploi - Merci, Madame la présidente. Je vais essayer de répondre brièvement. Monsieur le sénateur Martin, nous n'avons pas les statistiques dont vous parlez. Mais cela m'inspire quand même quelques réflexions. Premièrement, c'est pour cette raison que je me méfie beaucoup de l'aspect « prime aux jeunes » entre 16 et 25 ans parce que je crains qu'on ne les enferme dans un piège. Si l'on vous donne 200 euros quand vous avez 21 ans, vous pouvez voir venir, mais une fois que vous allez vous réveiller à 27 ans, que vous allez vous apercevoir que vous avez laissé filer le temps et que vous ne trouvez plus de travail, vous allez beaucoup moins vous amuser. C'est précisément pour cela que je me méfie beaucoup d'une approche qui mettrait la priorité sur les ressources au détriment de l'emploi. La priorité est l'emploi. Deuxièmement, je pense malgré tout que nos étudiants, à condition que l'on cible bien et qu'on les prenne tout de suite par la main au moment où ils décrochent, peuvent garder cette culture de l'emploi. La culture de l'emploi se perd à partir du moment où le jeune que vous récupérez a décroché depuis trois ou quatre ans. Là, effectivement, ça devient de plus en plus difficile, c'est d'ailleurs le cas que vous avez décrit. Je suis profondément convaincu que ces étudiants décrochent car le système de l'éducation nationale est beaucoup trop théorique. Ils ne s'y retrouvent pas, ils n'y voient pas d'intérêt, ils trouvent que ce n'est pas assez pratique, que ça ne bouge pas assez. Si vous leur proposez tout de suite une solution qui soit un apprentissage, un contrat de professionnalisation, un chantier d'insertion, là, on peut parvenir à susciter à nouveau de l'intérêt. Et le dernier point, je l'assume, en période de crise, c'est à mon avis moins utile qu'en période de croissance, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas l'avoir : tout ceci doit se dérouler dans un équilibre de droits et de devoirs. C'est l'un des fondements de l'approche développée avec Fadela Amara sur les contrats autonomie. On propose un contrat d'accompagnement et un vrai coaching à un jeune, à une condition : que tous les matins, il soit présent à 8 heures à l'endroit dans lequel se situe ce contrat. Pour y arriver, il faut être deux, il faut donc que les deux se rencontrent.
Pour revenir à la question posée par Michel Thiollière : je rêve de pouvoir enfin m'occuper de la sortie de crise. Mais en matière d'emplois, je suis lucide. Nous avons encore de longs mois de difficulté devant nous. Pour autant, c'est vrai qu'il faut l'anticiper. Et la manière de l'anticiper, c'est ce que nous avons commencé à constituer un tableau de pilotage des secteurs qui recrutent et qui sont en tension. On en a dans le domaine de l'énergie. Des entreprises comme Poweo vont recruter de façon importante. On en a dans le domaine des services, avec des entreprises comme Veolia. J'ai mentionné les services à la personne, les commerciaux, le machinisme agricole. Tous ces secteurs en tension doivent être identifiés dès aujourd'hui en essayant d'orienter nos étudiants sur la voie de ces secteurs. Parce que lorsque la crise sera derrière nous et que la croissance reprendra, c'est là où cela va redémarrer et c'est là où l'on aura des goulots d'étranglement en termes de recrutements. Il faut donc que l'on cible et que l'on oriente nos étudiants dès maintenant sur ces voies. Je pense que cela pourra émerger d'ici six mois à un an. Il est encore trop tôt malheureusement.
Sur la question des passerelles, vous avez tout à fait raison, Madame la présidente, on peut tous se retrouver sur ce point : on a besoin d'implanter cette culture d'entreprise de façon beaucoup plus forte au sein des missions locales et des services de Pôle Emploi. Pour autant, ne caricaturons pas ces équipes, qui sont souvent plus diverses que ce que l'on pense, avec des conseillers Pôle Emploi qui pour 40 % d'entre eux sont issus du privé, avec des salariés des missions locales qui parviennent à tisser de vrais partenariats avec les entreprises locales. Ce sont ces bonnes pratiques que l'on doit encourager et développer. Quand ces passerelles ne se bâtissent pas, vous avez raison, cela ne marche pas. Cela renvoie à l'idée de l'évaluation de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.
Pour le reste, bien sûr, il faut d'abord améliorer l'école de la première chance. Évidemment. J'ai essayé de me concentrer sur ce qui relevait de mon domaine. L'école de la première chance, je la laisse à Xavier Darcos et ce travail n'est pas facile. Pour autant, je crois qu'il faut être lucide. Dans des sociétés comme les nôtres, très complexes, dans lesquelles l'école est amenée à gérer de très grands nombres, même en améliorant notre dispositif de façon substantielle et en le ramenant dans le peloton de tête de la moyenne européenne, vous aurez toujours des étudiants qui décrochent. Vous aurez toujours des étudiants qui entre 17 et 21 ans, parce qu'ils ont la tête à autre chose, qu'ils ont pu avoir à ce moment-là des incidents familiaux, des difficultés personnelles, décrochent. Ce qui est important pour eux, c'est de leur permettre de raccrocher. Et celui qui vous dit cela est quelqu'un qui a passé beaucoup de diplômes dans sa vie. Pour autant, je pense que notre système républicain valorise beaucoup trop le diplôme initial et se révèle insuffisamment capable d'organiser ces parcours de deuxième chance et d'ascenseur social. C'est pour moi une conviction très profonde : la société doit être capable d'organiser ses parcours de mobilité au-delà du diplôme initial permettant à quelqu'un qui, entre 17 et 21 ans, n'était pas capable de rédiger de très bonnes dissertations, mais qui a pour autant envie de progresser, de passer des formations en interne, d'accumuler des savoir-faire. Il faut que l'on soit capable de l'encourager. C'est l'un des défis de la réforme de la formation professionnelle, pour lequel je pense que nous nous retrouverons. Cette réforme doit nous permettre de valoriser ces parcours de professionnalisation et de qualification, qui constituent ces deuxièmes chances que l'on doit offrir.
M. Pierre MARTIN, sénateur de la Somme - J'entends souvent parler des étudiants, j'ai l'impression que l'on parle de rattrapage pour ceux qui sont déjà à un certain niveau. N'oublions surtout pas les autres, c'est très important. Deuxième point, je rebondis sur les propos de Madame la présidente : et si l'école s'adaptait ? Il s'agit bien d'un véritable problème. L'école doit s'adapter pour une raison toute simple : comment faire en sorte de faire comprendre à ceux qui rejettent cette école qu'elle est néanmoins utile ? Il y a des opérations qui sont menées à l'heure actuelle et je les valorise. Le soutien scolaire est un rattrapage, mais c'est encore l'école. L'accompagnement éducatif est primordial : on propose à des jeunes autre chose dans l'école. Et si en leur proposant autre chose, on crée un peu de plaisir, on crée une envie, c'est peut-être une façon de les rattraper. Chez nous, dans nos milieux ruraux, on propose à ces jeunes de découvrir le jardinage, la cuisine. Créer cette envie serait peut-être une solution, car sans cette envie et cette volonté, il n'y a point d'issue.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je crois, Monsieur le Ministre, que la conclusion sera apportée par notre collègue.
M. Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'État chargé de l'emploi - Elle me va très bien, d'autant que je viens aussi d'un milieu rural, donc on s'y retrouve complètement. Merci beaucoup.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci à vous, vraiment.
Audition de M. Michel QUÉRÉ, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) et de M. Alberto LOPEZ, directeur adjoint du CEREQ
(8 avril 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons à présent MM. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) et Alberto Lopez, directeur adjoint. Merci à l'un et à l'autre de nous avoir consacré un moment de votre journée.
M. Michel QUÉRÉ, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) - Je vous remercie de nous avoir contactés pour alimenter vos travaux. Je crois que nous avons quelques éléments d'information, si ce n'est de prescription, à vous présenter. Nous glisserons peut-être un peu sur des enjeux de préconisations vues de là où nous sommes, c'est-à-dire de ce travail d'observation de la relation formation-emploi qui est le propre du CEREQ, établissement public à caractère administratif sous la double tutelle du ministère de l'éducation nationale et du ministère de l'emploi. Nous avons donc deux commanditaires directs que sont M. Wauquiez, que vous venez d'écouter, et M. Darcos. Le CEREQ est un instrument à disposition des deux ministères pour travailler sur la compréhension de ce qui se joue dans la transition entre le système éducatif et l'emploi, pour tous les jeunes de ce pays. Cet établissement, délocalisé à Marseille, regroupe 150 personnes. Je vais brièvement vous donner quelques éléments d'information sur la façon dont nous sommes organisés.
L'établissement est organisé en quatre lignes majeures d'activités. Le premier département est le département d'entrée dans la vie active. Il va être mobilisé comme ressource aujourd'hui pour traiter du sujet qui nous préoccupe, c'est-à-dire la transition de l'école à l'emploi. A côté de ce département, nous travaillons aussi sur toute la problématique de la formation continue afin de voir comment, au-delà de la formation initiale, la formation continue alimente ou n'alimente pas les parcours professionnels, les mobilités professionnelles et les trajectoires individuelles. Un troisième département s'intéresse à la relation entre travail et formation, c'est-à-dire à l'analyse de la transformation du travail dans les entreprises, non pas pour elles-mêmes, mais pour boucler sur l'incidence que nous pouvons en tirer sur l'analyse de l'offre de formation et le lien éventuel avec l'offre de formation initiale. Un dernier département est plutôt ancré sur l'analyse du marché du travail et la transformation des professions, au sens de la gestion des emplois et des carrières. C'est un peu le complément du précédent où l'on s'intéresse d'un côté à la transformation de la situation de travail et de l'autre à ce qui encadre le travail, c'est-à-dire toute la professionnalisation autour de la gestion des emplois qui évoluent sous nos yeux.
Voilà en trois mots quelques éléments de problématisation de l'activité d'observation portée par l'établissement. Je vais tout de suite laisser la parole à Alberto Lopez pour alimenter une présentation un peu plus structurée autour de la mobilisation des sources statistiques dont nous disposons dans l'établissement, sur la problématique qui vous préoccupe, c'est-à-dire la transition entre l'école et l'emploi.
M. Alberto LOPEZ, directeur adjoint du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) - Je me suis fait un petit peu violence pour la préparation de cet exposé, car nous avons tendance, au CEREQ, à mettre en avant les résultats chiffrés des enquêtes avec un certain détail - peut-être trop de détails, diraient certains - alors que l'idée de l'exposé est de rester très bref sur des aspects qui sont beaucoup plus longuement abordés dans nos travaux écrits, pour aller peut-être plus au coeur des questions que vous traitez dans cette mission. Notre champ d'analyse est assez borné puisqu'il concerne les relations entre la formation et l'emploi. Nous n'aborderons donc pas des sujets qui peuvent être d'importance, autour de la citoyenneté des jeunes, autour de plusieurs dimensions qui accompagnent la jeunesse, mais pour lesquels il existe des personnes plus compétentes que nous et que vous avez déjà certainement auditionnées.
M. Michel Quéré vient de présenter le CEREQ et l'on voit donc bien comment il va être ancré sur nos travaux. Je donnerai donc quelques éléments de diagnostic très rapides et j'aborderai trois questions de politiques publiques visant à faciliter la transition de l'école à l'emploi. Je risquerai ensuite quelques préconisations. Il n'est pas dans notre habitude, dans les centres d'étude et de recherche, d'aller très loin dans les préconisations. Je pense plutôt que nous sommes un passage de relais par rapport à d'autres institutions.
Si l'on veut réfléchir sur les politiques publiques pour faciliter la transition de l'école à l'emploi, nous avons besoin tout d'abord d'un regard sur le système éducatif ou le système de formation initiale. Quand on dit « système éducatif », cela évoque peut-être trop l'école. Or il existe de nombreuses formations qui ne sont plus dans le cadre scolaire et qui pourtant participent à la formation initiale. Ensuite, il faut également avoir un regard sur le fonctionnement du marché du travail, car si nous ne saisissons pas comment ce marché du travail fonctionne, nous risquons d'avoir des politiques peu efficaces. Enfin, le regard le plus important est peut-être celui qui porte sur la transition entre le système éducatif et le système productif. C'est donc un point important sur lequel nous reviendrons plus précisément.
Le CEREQ soutient de grands dispositifs d'observation et d'enquête. La dernière enquête portait, à titre d'exemple, sur la génération sortie du système éducatif en 2004. L'échantillon était de l'ordre de 65 000 jeunes, interrogés sur une durée de 10 à 20 minutes avec des questionnaires assez précis qui retraçaient leurs cheminements. A côté de cela, nous avons d'autres éléments qui permettent d'apprécier les choses, comme l'évolution des diplômes, les usages de la formation continue et l'évolution des qualifications, qui se révèlent importants lorsque nous nous situons dans des dimensions plus structurelles.
Ce schéma présente le rythme de nos enquêtes et vous montre que nous avons un outil spécifique à la France, relevé par les collègues de l'OCDE qui l'ont préconisé pour d'autres pays. Cet outil est toutefois calé sur une certaine spécificité française qui est le basculement de la formation initiale vers la vie active de manière assez définitive, avec assez peu de retours vers la formation par la suite. Dans d'autres pays, il existe en effet des parcours beaucoup plus itératifs.
Dans la transition de l'école vers l'emploi en France, une place assez modeste est donnée aux situations qui combinent formation et emploi, comparée à d'autres pays européens. La France n'est pas le seul pays dans lequel cette place est assez modeste, mais en comparaison avec l'Allemagne ou l'Autriche, nous connaissons un basculement assez direct entre les études et l'emploi.
Le deuxième élément de diagnostic par rapport à cette transition de l'école à l'emploi a été mis en évidence par des chercheurs qui ont situé les pays les uns par rapport aux autres, sur ce thème de la transition de l'école à l'emploi. Deux éléments importants ont été pris en compte. Il s'agit d'une part de savoir si, dans le pays étudié, il existe une transition organisée entre le système éducatif et le système productif, avec des enchevêtrements, des partages de responsabilités assez forts entre l'un et l'autre, ou bien si l'on est plutôt dans des régimes très séparés avec des univers qui se parlent assez peu. Le deuxième élément à prendre en compte est le mode dominant qui régit le marché du travail. Sommes-nous dans des systèmes très réglementés de type marchés professionnels dans lesquels on va avoir de fortes conventions collectives qui structurent les recrutements et les rémunérations ? Ou bien sommes-nous dans une espèce de régulation très concurrentielle qui ouvre largement l'accès à tous les emplois ? Évidemment, il n'existe jamais de système pur, puisque nous avons en France des domaines très réglementés et d'autres qui ne le sont pas du tout. Mais l'idée reste de dire que chaque pays possède son mode réglementaire dominant.
Par rapport à une typologie européenne, la France ne se situe ni dans une intégration réglementée à l'allemande ou à la danoise, ni sur une exclusion sélective qui serait le cas d'autres pays européens. Au final, ce que l'on voit dans les chiffres tels que les ont fait apparaître plusieurs enquêtes ayant permis de situer la France par rapport à différents pays, c'est que nous avons des résultats plutôt médiocres sur l'insertion des débutants en France, sans pour autant que ce soit le dernier pays européen en la matière.
Voici, très rapidement, la typologie des pays, avec d'un côté l'exclusion sélective et de l'autre l'intégration réglementée. Certains pays, comme la France, mélangent un peu les deux systèmes, d'autres encore sont plus composites.
On a souvent tendance à s'inquiéter des chiffres du chômage des jeunes en s'arrêtant au simple taux de chômage des 16-25 ans. En réalité, quand nous comparons les transitions de l'école à l'emploi, nous savons très bien que si certains jeunes poursuivent leurs études jusqu'à 25 ans, ne se trouvent sur le marché du travail que les jeunes non diplômés. Le taux de chômage va donc être très élevé, alors que si c'était l'inverse, on aurait peut-être des taux de chômage plus faibles. Pour ne pas confondre ce qu'il se passe avec l'allongement des études, plus ou moins fort selon les pays, et la difficulté de transition de l'école vers l'emploi, nous comparons simplement le taux de chômage entre des jeunes ou des moins jeunes qui ont des anciennetés sur le marché du travail différentes. L'idée est que dans chaque pays, on compare les taux de chômage suivant les anciennetés.
Certains pays comme le Danemark présentent des taux de chômage très proches, avec des différences qui ne sont presque pas significatives. L'Allemagne est un peu dans le même cas. Vous avez au contraire des pays où le taux de chômage va du simple au quintuple, voire plus : c'est le cas par exemple de la Grèce. La France fait quant à elle partie des pays dans lesquels, entre les jeunes qui sont très récents sur le marché du travail et des personnes plus anciennes sur ce marché du travail, le taux de chômage varie de 10 % à 30 %. Ces chiffres-là datent un peu, mais l'étude a été réactualisée. C'est assez structurel, on ne note pas d'énormes évolutions. L'Italie reste également un pays dans lequel existe une forte disparité entre les débutants et les anciens.
Au cours des vingt dernières années, la première évolution marquante dans la transition de l'école vers l'emploi en France est celle de la hausse des niveaux de formation, au moins jusqu'en 1998, car depuis cette date, nous constatons plutôt un tassement. Mais parallèlement à cette hausse des niveaux de formation de la part des sortants du supérieur, le nombre de sorties sans diplôme du système éducatif s'est maintenu. Sans diplôme veut bien dire ici sans diplôme du secondaire, je ne parle pas des bacheliers qui sont entrés à l'université. Nous avons donc un phénomène un peu paradoxal où une bonne fraction de cette génération a accru ses diplômes, sans pour autant réussir à réduire l'ensemble des jeunes qui ne franchit pas ce seuil qu'est l'obtention d'un CAP ou d'un BEP.
La deuxième évolution que nous constatons est la professionnalisation des formations de l'enseignement supérieur. C'est une évolution que nous pouvons qualifier de mouvement de fond et qui est en partie liée à la hausse des niveaux de formation, avec le développement des formations Bac +2 et des filières universitaires.
Parallèlement, nous avons connu un développement de l'apprentissage et du nombre d'apprentis. Au cours de ces dernières années, ce développement a particulièrement été constaté au niveau baccalauréat et supérieur. C'est une donnée assez marquante. Aujourd'hui, un peu moins d'un jeune sur cinq sort de formation initiale par la voie de l'apprentissage. Il reste sans doute des marges de développement, mais nous sommes quand même arrivés à un certain stade.
La quatrième évolution concerne plutôt le marché du travail, avec le développement des formes particulières d'emploi, comme les statuts intérimaires, les contrats à durée déterminée mais aussi les contrats aidés, divers selon les conjonctures. On observe ce développement depuis les années 1980 et le deuxième choc pétrolier. Dans la période récente, ces formes particulières d'emploi ont moins progressé. Ces mouvements suivent donc la conjoncture économique. Nous retrouvons là encore le taux d'un sur cinq, car un jeune sur cinq est en intérim dans son premier emploi. Ce chiffre varie évidemment selon les niveaux de formation et les secteurs.
La cinquième évolution que nous avons constatée est un peu paradoxale. En effet, avec ce développement des formes particulières d'emploi, nous pourrions induire des trajectoires avec de nombreuses entrées et sorties d'emplois : des trajectoires de « galère », pour imager un peu les choses. En fait, ce n'est pas aussi frappant que cela. La tendance est plutôt la hausse de la mobilité d'une entreprise à l'autre, chez les jeunes en début de vie active. On constate que cette mobilité inter-entreprise a été accrue. Par contre, il n'existe pas de tendance très nette sur les sorties d'emploi. Il y a des variations conjoncturelles très amples : quand la conjoncture va mal, les sorties d'emploi sont accélérées. Le risque de perdre son emploi devient très fort, pour les débutants en particulier. Mais c'est un élément qui n'apparaît pas franchement en termes de tendance. Le rapport du CERC publié il y a quelques années avait ainsi permis de souligner que l'insécurité de l'emploi ne connaissait pas un accroissement aussi fort que nous le pensions. Il existe donc un décalage avec le développement des statuts particuliers d'emploi mais aussi avec le sentiment d'insécurité, qui s'est fortement développé.
Enfin, nous avons constaté une hausse des niveaux de formation, de 1977 à 2001. Des enquêtes de l'INSEE sont cohérentes sur cette période. Ce que l'on voit très bien, c'est que cette hausse des niveaux commence à partir des années 1980 par le développement du baccalauréat professionnel. Elle est aussi passée par le développement de l'enseignement supérieur long. Quand on veut se représenter les niveaux de formation des jeunes à la sortie du système éducatif, il faut toutefois garder en tête que 18 % des jeunes sortent sans diplôme du système éducatif - qu'ils sortent directement de collège ou qu'ils sortent d'un cycle CAP-BEP sans avoir décroché le diplôme. 45 % de jeunes sortent diplômés du secondaire et 37 % sont diplômés du supérieur. Nous pouvons d'ores et déjà attirer votre attention sur les 12 % de jeunes qui sont à bac +1 ou bac +2 sans être diplômés. Ce sont des jeunes qui se sont engagés dans l'enseignement supérieur mais qui n'ont pas pour autant décroché un diplôme de niveau bac +2. Ils se retrouvent donc, pour certains, avec comme seul diplôme le baccalauréat général ou un baccalauréat STG, diplômes qui ne sont pas forcément facilement monnayables sur le marché du travail.
Trois questions sont primordiales dans la réflexion sur ce qui peut faciliter la transition de l'école à l'emploi.
La première est : faut-il des mesures générales ou des mesures ciblées ? La deuxième porte sur l'action en amont ou en aval du système éducatif. La troisième s'interroge sur la pertinence des mesures conjoncturelles ou structurelles - cette troisième question est particulièrement d'actualité.
Concernant la première question, au vu de ce que nous pouvons constater, des mesures ciblées sembleraient plus efficaces. En effet, on intervient par rapport à un risque de chômage très inégal entre les âges. On dit souvent qu'en France, il existe deux périodes où le risque de chômage est fort : au tout début et à la fin de la carrière. C'est sans doute l'un des aspects qui légitime l'intervention publique par rapport à l'insertion professionnelle des jeunes, même s'il y aurait également des mesures à prendre vis-à-vis de certaines catégories d'adultes. Mais si l'on prend cette raison comme motif de politiques spécifiques en direction de la jeunesse, il faut aussi se rendre compte que le risque de chômage est très divers selon différentes catégories d'une même génération. Les disparités à l'intérieur de la catégorie des débutants sont plus importantes que les disparités entre catégories d'âges. Nous serions donc tentés de dire qu'il faut tenir compte de cela.
L'identification des catégories à risque est donc primordiale. Quand on compile l'ensemble des études sur la question, dont celle du CEREQ, certaines catégories sont bien identifiées, en prenant appui sur le niveau de formation atteint à la fin du système éducatif. D'autres critères interviennent également. Le problème peut résider dans le fait que les contours de ces catégories ne sont pas toujours évidents. Nous avons donc à gérer des effets de bord.
Si l'on prend l'année 2001, qui se rapproche un peu de la situation actuelle, même si je crains qu'elle ne soit encore bien pire, nous pouvons observer un taux de chômage qui varie entre un bac +2 et un non-diplômé de 8 % à presque 35 %. Et encore, si dans les non-diplômés je prenais les sortants de collège, je dépasse les 50 % de chômage. Cela montre bien que le risque de chômage est absolument inégal. Nous avons à travers cette population des non-diplômés une cible complètement légitime.
Il faut néanmoins tenir compte des effets de bord : si l'on s'intéresse à l'insertion des CAP et BEP du tertiaire administratif, on observe une différence avec les non-diplômés, mais cette différence n'est pas assez significative. Ces diplômes n'offrent donc pas de qualification véritablement monnayable sur le marché du travail.
Ce que l'on observe sans doute moins bien dans ce graphique basé sur le plus haut niveau de diplôme et qui se verrait peut-être mieux si on prenait le niveau de sortie, c'est le cas des bacheliers généraux. Ces bacheliers généraux ont pour la plupart entamé des études supérieures et se sont retrouvés dans une situation où, trois ans après la sortie des études, beaucoup sont au chômage mais d'autres ont repris des études ou une formation, avec un succès qui peut être plus ou moins mitigé. Après avoir rencontré une mauvaise conjoncture, ils se disent que reprendre des études n'est pas forcément la moins bonne des solutions. Pour autant, cela ne garantit pas que le processus se termine par l'acquisition d'un diplôme bac +2.
Sur les baccalauréats professionnels ou technologiques, il faudrait distinguer les bacheliers STG - qui sont d'ailleurs plutôt des bachelières - qui alimentent beaucoup un ensemble de jeunes qui se retrouvent en université avec des difficultés d'orientation et ensuite, des difficultés d'insertion sur le marché du travail.
Un autre critère de différenciation est important à souligner : nous constatons que les jeunes issus de l'immigration extra-européenne connaissent davantage de difficulté d'insertion. A l'inverse, les jeunes issus de l'immigration intra-européenne connaissent des taux d'insertion parfois supérieurs aux jeunes nés de parents français.
Les mesures trop ciblées ou mal ciblées peuvent donc induire des effets de stigmatisation, de seuil, de substitution avec d'autres catégories. A partir du moment où un ciblage est réalisé, il est indispensable de se poser un ensemble de questions pour éviter ces effets. En prenant l'histoire des mesures qui se sont succédé, il devient évident que ceci n'est pas seulement une rhétorique.
La deuxième question par rapport aux politiques publiques de transition entre l'école et l'emploi est celle de l'action en amont ou en aval du système éducatif.
En amont, plusieurs questions se posent. Pendant quinze ans, nous n'avons eu de cesse de dire qu'il fallait parvenir à 0 % de sorties sans diplôme du système éducatif. Or nous avons par ailleurs constaté que durant ces quinze années, la part de ces sorties sans diplôme n'a que très légèrement diminué - mis à part une période initiale de forte décroissance. La question est la suivante : le système éducatif et ses acteurs sont-ils capables de gérer la « queue du peloton » ? Notre système éducatif fonctionne encore sur le mode méritocratique. Au sein des classes se gèrent aussi bien les « queues de peloton » que le futur accès des élèves aux filières les plus prestigieuses. A un moment, la question peut donc être posée de savoir si aujourd'hui, dans une opposition entre « première chance » et « deuxième chance », on parvient à trouver dans le système éducatif des solutions et des acteurs qui soient capables de gérer la « queue du peloton ».
La deuxième question récurrente par rapport au système éducatif est celle de l'offre de formation, qui serait trop générale et mal ajustée aux emplois. Nous avons, au sein du CEREQ, un avis assez réservé sur cette question. Nous avons en effet constaté que lorsque des formations professionnelles très ciblées ont été développées, si l'on regarde les emplois occupés plusieurs années après la sortie du système éducatif, on s'aperçoit que la majorité de ces emplois ne sont pas du tout dans la cible. On s'aperçoit qu'il existe beaucoup de réorientation en début de vie active, notamment chez les moins diplômés. Tout cela va de pair avec l'allongement de la jeunesse, car dire aujourd'hui à un sortant de troisième qu'il va choisir son métier est sans doute un peu décalé par rapport à ce qu'est devenue cette période de jeunesse et aux âges de la vie qui se sont transformés.
Le troisième point crucial est celui de l'orientation. Le problème n'est pas forcément que les jeunes sont mal orientés, mais l'une des attentes que nous pourrions avoir du système éducatif est que les jeunes soient préparés à l'orientation. C'est un petit peu différent. Je reprends là à mon compte l'une des propositions qu'avait porté le rapport de Claude Thélot, affirmant qu'on ne pouvait pas demander à des jeunes en fin de troisième de porter une orientation professionnelle, mais tout au plus une orientation scolaire. Je reviens donc sur la question de l'enjeu de professionnalisation des formations. L'intérêt des formations professionnalisées est peut-être moins celui de calibrer ces formations pour des emplois définis par les employeurs, que celui de créer un terrain favorable à l'acquisition de compétences qui vont pouvoir être transférées d'un domaine à l'autre. Nous en faisons le constat : de fait, pour les jeunes qui sortent de formation avec une spécialité donnée, le niveau de formation va compter tout autant que la spécialité dans le niveau de salaire et l'affectation dans les emplois. Dans la plupart des domaines, les jeunes ne seront pas mieux payés quand ils sortent de la spécialité pour laquelle ils ont été formés. Ce phénomène interroge la professionnalisation des formations, dont l'enjeu n'est pas forcément la spécialisation. L'enjeu est sans doute, pour un certain nombre de jeunes, et à un moment du cursus scolaire, de créer un terrain sur lequel ces jeunes vont acquérir des compétences. L'enjeu est vraiment là.
Un autre enjeu de la professionnalisation des formations est la mise en relation avec des employeurs, à travers des stages ou dans le cadre d'un apprentissage. Nous sommes sur cette question très marqués par le fait que dans le premier emploi à la fin de la formation initiale, le jeune avait déjà un lien avec cet employeur. La constitution de réseau est donc un enjeu crucial. Toutefois, même l'accès à un employeur par le biais d'un stage demande du réseau. La question est donc de savoir comment le système éducatif va accroître ses liens avec le système productif pour professionnaliser les jeunes.
L'action en amont est théoriquement préférable, on dit souvent qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Mais on sait également très bien qu'on ne réussit pas à tous les coups et qu'il existe un risque d'acharnement thérapeutique à l'école, par rapport à un certain nombre de jeunes.
La question de l'action en aval est donc posée pour les jeunes sortant du système éducatif avec un faible niveau de formation. On a réalisé tout un travail sur la question de l'offre de formation différée et nous avons acquis la conviction que l'offre de formation différée n'est pas forcément insuffisante. Sur la question de l'offre d'informations, d'orientation, d'accompagnement, il existe des structures, comme les missions locales, qui jouent un rôle central. D'un côté, on peut dire que dans certains territoires, les questions qui se posent sont plutôt celles des coordinations d'acteurs. D'un autre côté, on a observé que dans certains milieux ruraux, il pouvait y avoir des trous : les jeunes n'ont pas cet accès possible à proximité. Mais globalement, sur l'ensemble du territoire français, on est plutôt bien pourvus en structures de ce type.
La troisième question sur l'action en aval porte sur les mesures pour favoriser l'embauche des jeunes et leur efficacité. C'est une question importante dont les réponses sont variables suivant les catégories de jeunes et suivant les mesures. Le constat récurrent est que les bonnes mesures pour l'emploi, celles qui apportent une plus-value par rapport à l'accès à l'emploi, par rapport à la qualification, ont tendance à être sélectives. On est donc renvoyé vers un travail d'intermédiation qui suppose l'implication de structures au niveau local pour que soit mis en place un travail avec les employeurs.
La dernière question par rapport aux politiques publiques est celle du choix entre mesures conjoncturelles et mesures structurelles. Le premier constat un peu provocateur est de souligner que la sensibilité de l'emploi des débutants à la conjoncture semble quasiment structurelle. Chaque fois que nous arrivons au bas d'un cycle économique, l'emploi des jeunes revient sur le devant de la scène médiatique. Nous nous trouvons évidemment aujourd'hui dans une conjoncture exceptionnelle, mais nous devons sans doute réfléchir sur des longues périodes. Il existe des cycles conjoncturels depuis fort longtemps et les politiques publiques doivent se positionner dans un ensemble de périodes dans lequel il y a des creux et des périodes de relance.
Nous pouvons avoir aujourd'hui une certaine conviction : il existe une variabilité excessive du rythme des embauches face à la conjoncture. Louis Chauvel, qui a réalisé des études sur plusieurs générations, désigne ce phénomène sous le terme de « coups d'accordéons ». Effectivement, quand ça va mal, on a vraiment tout d'un coup un robinet qui se ferme très vite et lorsque nous sommes dans une période de relance, on a du mal à repartir. Y compris du point de vue économique, il est donc certain que nous ne sommes pas dans un régime optimal et que nous avons besoin d'interventions sur ce domaine.
Des dispositifs contracycliques sont donc nécessaires, car en période de basse conjoncture, les finances publiques sont également mises à mal. En Suède, il existe une gestion contracyclique de la politique de l'emploi, preuve que l'on peut sans doute y arriver.
Ceci rappelle bien évidemment la proposition émise par le Haut commissaire à la jeunesse : agir de manière contracyclique en développant les contrats d'alternance, l'apprentissage, les contrats de professionnalisation, au cours de cette période, en faisant peser le coût sur les entreprises de façon différée, quand la reprise sera là. La question que l'on peut alors poser est celle des terrains d'accueil dans les entreprises dont les carnets de commandes ne sont pas pleins et sont même plutôt vides, pour certaines. Cette question devra être soulevée. Le deuxième élément auquel on peut penser, même si nous n'avons pas assez de détails par rapport à ces dispositifs, n'est pas de savoir comment une telle mesure va répondre aux problèmes d'emploi de l'ensemble des jeunes ou de l'ensemble des débutants, mais comment une telle mesure va se situer par rapport aux jeunes de plus bas niveaux de formation, qui sont les plus soumis aux aléas de la conjoncture. Pour reprendre le titre d'un « quatre pages » que l'on avait édité au CEREQ il y a trois ans, on a un système de l'apprentissage plutôt aspiré vers le haut en termes de niveaux de formation et dans une conjoncture comme celle d'aujourd'hui, il est bien probable que cela tire encore plus vers le haut ces niveaux. Si les choses ne sont pas modulées, il resterait des laissés pour compte dans ce dispositif contracyclique, des laissés pour compte qui sont justement les plus atteints par la crise.
Cela ouvre donc une autre question qui est celle de du choix de la mobilisation du secteur privé ou du secteur public. Ceci rappelle le programme « nouveaux emplois, nouveaux services », autrement appelé « emplois-jeunes ». A travers l'analyse de ces dispositifs d'emplois-jeunes, on ne peut pas affirmer qu'il s'agit forcément de la solution. Mais l'un des points importants apparus dans les travaux sur ce sujet est l'acquisition de diplômes ou de formations, car de nombreux jeunes sortis sans diplôme de l'enseignement supérieur s'étaient engouffrés dans ce dispositif. La question de l'acquisition d'un diplôme d'enseignement supérieur était une question qui se posait donc à terme pour ces jeunes-là. Une autre question portait sur la manière dont les sorties alimentaient à la fois le public et le privé. Evidemment, toute une partie des sorties a alimenté le secteur public et la question du transfert au secteur privé était prégnante. En effet, des jeunes de ce dispositif sont bien allés ensuite dans le secteur privé, mais suivant les ministères qui les accueillaient, ces résultats ont été assez variables. L'autre point important à garder en mémoire dans l'évaluation du dispositif emplois-jeunes est que nous ne pouvons pas juger s'il s'agit d'un bon dispositif contracyclique. En effet, lorsqu'il a été mis en place, nous étions justement en période de reprise économique. L'évaluation de cette mesure ne dira donc pas forcément jusqu'où une mesure de ce type-là aurait un intérêt, même si on la compare à d'autres mesures de type « grands chantiers ».
Il n'est pas dans les habitudes du CEREQ de formuler des préconisations précises, mis à part dans certains champs précis comme la validation des acquis de l'expérience (VAE). Mais nous risquons ici deux séries de préconisations partielles et ciblées, avec toutes les limites que l'on peut y mettre.
La première porte sur le cas des jeunes non diplômés. En faisant référence à un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui devrait prochainement être publié, fortement axé sur les jeunes sortant sans diplôme du système éducatif et montrant une détérioration spécifique à la France sur ce sujet, les préconisations pourraient s'orienter vers un acharnement pour faire obtenir un diplôme à ces jeunes. L'allongement de l'obligation scolaire de 16 à 18 ans serait l'une de ces mesures d'acharnement.
Nous avons pour notre part mené toute une étude qualitative avec une centaine d'entretiens auprès de jeunes sortis du système éducatif sans diplôme. Nous les avons abordés en cherchant à savoir quelle était leur posture par rapport à la vie active, à la formation. Il est clair qu'il n'est pas certain que cet acharnement pour leur faire acquérir un diplôme, pour ne pas leur laisser faire l'expérience du marché du travail, soit forcément la meilleure formule.
Nous sommes entre deux extrêmes, car il ne faut pas non plus une démission des pouvoirs publics par rapport à cette population. Mais il existe des risques à miser exclusivement sur le diplôme, la formation. Le CEREQ a montré que l'acquisition d'un diplôme de niveau 5 est un enjeu, mais n'est pas toujours déterminante par rapport à des jeunes de bas niveaux scolaires. En effet, une partie d'entre eux obtiennent un emploi par l'intermédiaire de réseaux. On ne peut pas simplement dire que le marché du travail est basé sur le diplôme. On a une combinaison et c'est une alchimie assez complexe.
Je pense que par rapport à l'école, l'enjeu réside vraiment dans la préparation à la vie active et à l'orientation professionnelle. Il faut donc sans doute revenir sur des objectifs réalistes par rapport à ces jeunes, sachant que le risque de sorties sans diplôme peut être prédit pour un certain nombre de jeunes, avec les évaluations d'entrée en sixième par exemple.
Après l'école, un suivi périodique serait nécessaire, sans que ce soit un acharnement. Une démarche intéressante ferait qu'un acteur restant à préciser - et qui ne soit pas forcément l'école - aurait un rendez-vous avec le jeune pour faire le point et proposer un certain nombre de solutions, dont un accompagnement plus intensif et un droit à la formation différée.
L'un des résultats issus des entretiens que nous avions réalisés était l'hétérogénéité relative des jeunes sans diplôme. Les filles et les garçons ne fonctionnent en effet pas du tout de la même manière par rapport à la formation. Par ailleurs, des positionnements pouvaient être très différents sur la formation différée. Celle-ci apparaissait comme pouvant ne pas prendre de sens pour le groupe de jeunes rencontré, car ils se situaient dans une culture de l'aléatoire, avec un univers dans lequel les choses étaient peu prévisibles. De ce point de vue, certains pouvaient trouver leur compte dans l'intérim - tant que cela marche, évidemment, et on voit bien que dans la période actuelle, cela ne peut pas marcher. La question de la qualification n'était donc pas forcément rivée à la question de la sécurisation, y compris financière, sur une période assez longue.
Je vais donc vous faire part des exigences énoncées par les jeunes qui avaient été interviewés. « Avoir le choix du métier » était l'une des premières, ce qui ne correspond donc pas forcément aux métiers en tension. Ceci dit, il faut bien avoir en tête que beaucoup de jeunes sont formés, y compris dans les lycées professionnels, sur des métiers en tension. Il existe ensuite un mouvement de départ de ces secteurs professionnels au profit d'autres, à travers des réorientations. Donc on ne peut pas dire que pour ces métiers en tension, le problème réside dans une absence de formation initiale.
Les points suivants ont été ensuite cités : éviter le retour à l'école, avoir un formateur qui soit plus proche du collègue que du professeur, pouvoir subvenir à ses besoins durant la formation, être accompagné vers l'emploi. Ces points sont tirés des entretiens que nous avons réalisés, mais donnent un cahier des charges par rapport auquel on peut positionner un certain nombre de mesures actuelles ou à venir.
Le deuxième champ de préconisations concerne les étudiants du supérieur qui ne décrochent pas un bac +2 ou un L3 à l'université. La première des préconisations serait peut-être d'éviter les orientations par défaut à l'université, y compris en développant l'offre de formation professionnelle courte.
Pas plus tard qu'hier, la direction générale de l'enseignement supérieur s'inquiétait de la baisse du nombre d'inscriptions à l'université et de l'alimentation des filières universitaires classiques - hors IUT. Évidemment, la première réaction est celle de déplorer cette baisse des parts de marché, mais il serait intéressant de savoir s'il s'agit d'un indicateur positif ou négatif. Où vont les jeunes qui ne vont pas à l'université aujourd'hui alors qu'ils y venaient hier ? N'y a-t-il pas ici un début d'effet de l'orientation active ?
La deuxième préconisation est de doter de moyens suffisants et durables les actions d'accompagnement des nouveaux bacheliers arrivant à l'université. Le plan « réussite en licence » doit être mené dans la durée avec un engagement long. Beaucoup d'universités sont aujourd'hui en phase d'expérimentation. Il existe donc sans doute une nécessité de faire évoluer l'ensemble des universités parce que les expérimentations révèlent de bonnes pratiques comme de moins bonnes.
La troisième préconisation, quand les jeunes ont quitté le système éducatif sans décrocher la licence, est de favoriser la reprise des études ou la formation par alternance, à défaut d'insertion professionnelle convenable. Les jeunes doivent à cet égard reprendre une formation et y associer une réussite, ce qui aujourd'hui n'est pas complètement acquis.
Une question reste en suspens : le poids des aspects financiers dans ces décrochages de l'enseignement supérieur. Dans nos enquêtes, nous demandons aux jeunes, trois ans après la fin de leurs études, quels sont les motifs pour lesquels ils ont arrêté les études. Parmi différentes modalités, il y a celle des aspects financiers. Cette proportion est loin d'être nulle, mais ce n'est pas le motif principal. Il y a donc quelque chose à creuser dans ce champ-là.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Cet exposé était particulièrement complet et mes questions se sont réduites au fur et à mesure que vous avanciez dans votre présentation. Vous avez précisé que l'offre d'information et d'orientation dans l'accompagnement à la recherche d'un emploi était pléthorique. Par ailleurs, vous avez souligné qu'il était préférable de mettre en place des processus et des procédures ciblés. Cela veut-il dire que notre système est tout à fait satisfaisant ou faut-il l'améliorer, lui donner plus de visibilité ? Les structures mises en oeuvre pour aider les jeunes à s'en sortir et à intégrer le monde professionnel doivent-elles continuer à répondre de façon sectorisée, soit par l'âge, soit par la difficulté de trouver un emploi ?
Concernant les stages, j'ai bien compris que vous ne préconisiez pas, qu'il s'agissait plutôt d'analyses et de comparaisons, mais à votre avis, faut-il obliger les entreprises à prendre des stagiaires ? Nous savons en effet que c'est l'un des problèmes majeurs et l'un des écueils de notre système.
Vous avez indiqué que le système danois était relativement performant. Pourriez-vous nous en dire quelques mots et pensez-vous qu'il soit transposable en France avec notre mentalité et notre manière d'aborder ces réflexions ?
Enfin, et c'est ma dernière question, vous avez, si mes renseignements sont bons, mené une enquête en 2008 sur les meilleures chances de trouver du travail. C'est évidemment quelque chose qui nous intéresse fortement aujourd'hui. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques pistes sur les filières à suivre ?
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - J'ajouterai une question supplémentaire. Ce qui est d'ores et déjà rassurant, c'est que nous avons là des domaines que nous avons déjà évoqués lors de nos différentes auditions. Vous avez évoqué la sécurisation du parcours d'accès à la formation sur une longue période. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ? Vous avez également évoqué le fait qu'un jeune sur cinq était en intérim. On sait malheureusement ce qui est arrivé aux intérimaires. Je ne sais pas si vous en avez fait l'analyse : ces jeunes sont-ils volontaires pour reprendre une formation ?
M. Alberto LOPEZ, directeur adjoint du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) - Sur la question de la sectorisation et le fait d'avoir des réponses pour les 16-25 ans, certaines structures sont déjà sectorisées par grands niveaux, puisque l'on trouve les missions locales ou l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), qui ne vont pas du tout accueillir les mêmes publics. Sur cette question, le sens de mon intervention était plutôt de dire que dans le cas des non-diplômés, il est peut-être important d'inverser cette logique de guichet où les jeunes n'iraient ou n'iraient pas. Aux Pays-Bas, des services dépendant de collectivités locales ont pour mission de suivre individuellement le jeune qui vient de décrocher. Mais c'est quelqu'un qui vient au domicile du jeune. Il est clair que le risque de chômage et d'enfermement des jeunes non diplômés est assez fort. Parmi ces jeunes-là, comme le montrait notre étude basée sur de gros échantillons, certains trouvent un emploi même sans diplôme. Certains décrochent un CDI et s'insèrent. Il ne faut pas non plus avoir une image trop catastrophiste de cette population. Si c'est le cas, ce n'est peut-être pas forcément la peine d'aller beaucoup plus loin.
Il est vrai que la question de la formation continue de ces travailleurs sans diplôme est cruciale. Nous sommes donc renvoyés sur le volet de la formation professionnelle continue des salariés. Je pense qu'il ne faut pas non plus démissionner de ce côté-là. Mais par rapport à la question de l'insertion, on peut en rester là. Par contre, à partir du moment où ces jeunes sont sans emploi, les résultats de nos entretiens étaient assez clairs. Certains jeunes sont allés dans les missions locales, ils ont eu un contact qui n'était pas forcément mauvais, il n'y avait pas de grief systématique envers les missions locales. Mais ils sont passés par là comme ils ont pu passer ailleurs. L'idée est donc, pour inverser cette tendance, de pouvoir proposer quelque chose de plus construit, avec un référent. Il existe effectivement le contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), qui fonctionne par période d'un an, renouvelable. Mais tout cela, de mon point de vue, donne un aléa. Il faut franchir un cran supplémentaire pour proposer une « offre portée » qui ne soit pas comme aujourd'hui basée sur le système du guichet.
Concernant l'obligation qui devrait être faite aux entreprises d'accueillir des stagiaires, je n'ai pas d'avis sur cette question-là. Je connais trop peu d'expériences dans lesquelles on aurait forcé la main à des employeurs pour accueillir des stagiaires. Un moyen moins direct mais peut-être plus efficace résiderait dans la formation sur les cadres, en développant une « culture du stage », en montrant que l'accueil de stagiaire est un potentiel de vivier pour l'entreprise, dans un intérêt bien compris. Trop forcer la main aux entreprises dans une période où les carnets de commandes ne sont pas pleins n'est pas une bonne solution. Mais quand ces carnets de commandes sont trop pleins, ce n'est pas non plus évident. Je suis interrogatif sur ce thème, mais encore une fois, je ne connais pas d'expérience concrète donc je ne peux pas vraiment me prononcer.
Sur le modèle danois, je pense que beaucoup de gens s'accordent sur le fait qu'il n'est pas transposable en France. Je passerai donc assez vite sur cette question. Je ne suis pas spécialiste du cas danois, mais ce que j'en ai lu me laisse penser que nous sommes dans un régime trop éloigné du régime français pour que cela puisse s'implanter.
Le CEREQ essaye en effet de vulgariser ses résultats concernant l'insertion, ce qui pose beaucoup de questions à la communauté des chercheurs, notamment sur le fait de réduire l'information sur l'insertion par filières alors que nous avons de nombreux indicateurs d'insertion qui ne vont pas toujours dans le même sens. En même temps, je pense que nous avons besoin de repères. Ce n'est pas là-dessus que les jeunes et les familles vont fonder les choix d'orientation mais je pense qu'il y a besoin de réponses simples à des questions simples. Par exemple, si je m'engage dans une formation, que sont devenues les personnes qui ont suivi cette formation ? Le développement de l'observation de l'insertion professionnelle des sortants de l'enseignement supérieur est fondamental. Il y avait eu cette idée de portail étudiant qui avait été lancée, portail aujourd'hui essentiellement vide. Je pense que ce manque de repère n'est pas très bon pour les étudiants. Le repère ne va pas être pour autant le taux de chômage, mais peut-être le salaire moyen - bien qu'il existe une variabilité par rapport à la moyenne. Je pense que le simple lissage des professions exercées par les sortants d'une filière est déjà une information importante par rapport à quelqu'un qui cherche à s'orienter.
Concernant la sécurisation des parcours, je pense que c'est un élément clé. Je pense que l'élément de rémunération dans un parcours de qualification et la continuité de cette rémunération sont incontournables.
J'ai tout à l'heure parlé d'un cinquième des jeunes qui étaient en intérim au cours de leur premier emploi, je préciserai même : à leur première embauche. Cette proportion se réduit très vite. Beaucoup de jeunes ne font en effet, surtout dans les bonnes périodes, que passer par l'intérim. L'une des catégories de jeunes qui passent le plus par l'intérim sont les titulaires de BTS du secteur industriel. Mais eux basculent très vite sur du CDI. Il existe par contre un intérim durable et parfois épisodique chez les jeunes non diplômés. Eux restent plus longtemps en intérim, voire n'en sortent jamais. Votre question sur la formation en intérim est une vraie question. Ces expériences d'intérim peuvent-elles être le support d'une formation ? Le fonds d'assurance formation du travail temporaire (FAF-TT) ne pourrait-il pas être davantage mobilisé ? Je pense que c'est une vraie question, qui mériterait d'être plus explorée.
M. Michel QUÉRÉ, directeur du centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) - Juste un mot, en complément, sur la question de la sectorisation de l'orientation, pour dire que, si l'on garde l'idée que les sortants sans diplôme du supérieur sont une cible particulière, ce qui est en train de se produire aujourd'hui autour de l'admission post-bac et la manière dont il alimente une problématique de l'orientation active, est une forme d'inversion de tendance que nous appelions de nos voeux. C'est un effort vers une personnalisation plus forte et un accompagnement davantage personnalisé de cette problématique de l'orientation, en tout cas pour ces personnes en errance dans leur parcours post-bac. L'orientation active est donc un pas en avant pour sortir de la logique du guichet. Symétriquement, ce qu'il se passe dans le secondaire est sans doute moins clair. En complément, il faut ajouter, dans la lignée des travaux qualitatifs auxquels se référait Alberto Lopez, que ces accompagnements personnalisés sont plus efficaces mais soulèvent également un problème de coût. Il existe un problème d'identification du dispositif et de sa périodicité, mais également un chiffrage en termes de coûts qui reste à considérer. Un arbitrage reste à opérer entre des mesures génériques qui coûtent moins cher mais dont l'efficacité est discutable, et une mobilisation de la puissance publique vers un ciblage plus clair, mais plus onéreux.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Effectivement, vous soulignez que le modèle danois n'est pas immédiatement transportable en France, mais cela vaut peut-être la peine qu'on regarde ceci d'un peu plus près.
Merci infiniment, votre exposé était très complet et très complémentaire des auditions que nous avons eues jusqu'à présent.
Audition de Mme Patricia LONCLE, chargée de recherche à l'École des hautes études en santé publique, sur la territorialisation et les mises en oeuvre des politiques de jeunesse en France
(14 avril 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons Madame Patricia Loncle, chargée de recherche à l'École nationale de la santé publique sur la territorialité.
Mme Patricia LONCLE - Merci beaucoup Madame la présidente. Je m'appelle Patricia Loncle. Je viens de l'École des hautes études en santé publique, qui a changé de nom, voilà quelques mois. Cette école est basée à Rennes. Je suis enseignant chercheur dans cet établissement qui forme les futurs directeurs des établissements sanitaires et sociaux, les directeurs d'hôpital, les fonctionnaires de l'administration sanitaire et sociale. Je suis politiste et sociologue et je travaille principalement sur deux objets : les politiques de jeunesse, du niveau local au niveau européen, et la territorialisation des politiques sociales et de santé. J'ai mené depuis quinze ans un certain nombre de programmes d'études et de recherches essentiellement d'un point de vue comparatif entre des territoires infranationaux et entre différents pays européens. Pour vous donner un ordre d'idées, j'ai travaillé par exemple sur la participation des jeunes en France et en Europe. Je mène actuellement un programme de recherches financé par l'Agence nationale de recherche sur la prise en charge des jeunes vulnérables dans les politiques locales, sociales et de santé. Je viens également de terminer avec mon équipe l'évaluation qualitative du RSA à travers l'exemple de cinq départements français. Par ailleurs, je suis experte pour le Conseil de l'Europe sur les questions de politique de jeunesse et je travaille actuellement au sein du comité scientifique du fonds d'expérimentation des jeunes de M. Hirsch.
Je vous présenterai le dispositif qui s'appelle le Fonds d'aide aux jeunes. C'est un exemple concret pour ne pas ouvrir toutes les portes possibles s'agissant des politiques de jeunesse.
Pour introduire un peu le propos, je rappellerai en quelques points les éléments phares des politiques de jeunesse en France aujourd'hui. Je dirai tout d'abord que ce sont des politiques qui sont un peu difficiles à lire parce que d'un côté, elles ont la faveur de tous les niveaux de décisions publiques ; du local à l'Europe en passant par les communes, les intercommunalités, les départements, les régions, le niveau national, le niveau européen (aussi bien la Commission que le Conseil de l'Europe). C'est assez difficile parce qu'il y a une espèce de foisonnement des mises à l'agenda en termes de politique de jeunesse. On en parle beaucoup mais ce que l'on peut dire, c'est que généralement ce sont des politiques qui sont peu dotées d'un point de vue financier. Ces politiques ne sont pas soutenues par beaucoup de réflexions sur la cohérence d'ensemble des actions à différents niveaux ni même au sein d'un même niveau. Elles ont des objectifs multiples qui sont parfois discordants d'une politique à l'autre. Ce que l'on peut dire en France, et c'est une particularité notamment par rapport aux pays scandinaves, c'est que l'on a un secteur de politique de jeunesse faible. Cela s'explique historiquement. Si vous voulez des précisions, je pourrai revenir dessus. Et puis, on assiste, je ne développerai pas puisque vous avez vu Mme Van de Velde, à une familiarisation de la prise en charge de cette génération.
Le Fonds d'aide aux jeunes, que je vais appeler FAJ, est un dispositif qui a été créé en 1989 dans le sillage du RMI. Il a d'abord été expérimenté dans quelques départements puis rendu obligatoire en 1992 pour l'ensemble du territoire français. C'est un dispositif qui s'adresse aux jeunes de 18 à 25 ans qui éprouvent, je cite le texte de loi « de graves difficultés et qui ont très peu de ressources financières ». C'est un dispositif qui peut offrir trois formes d'aide : un secours temporaire pour faire face aux besoins minimaux et urgents du jeune, une aide financière pour aider à la réalisation d'un projet d'insertion qui a fait l'objet d'un engagement de la part du bénéficiaire et des actions d'accompagnement notamment en matière d'insertion sociale et professionnelle. Alors pourquoi est-ce intéressant aujourd'hui de se pencher sur cette question-là ? Le FAJ a été décentralisé par la loi d'août 2004 et depuis le 1 er janvier 2005, il est placé sous la responsabilité des présidents de conseils généraux. Depuis cette date, le département finance le FAJ, il fixe les modalités d'organisation et de fonctionnement des fonds. Il s'intéresse au contenu des règlements intérieurs qu'il régule ainsi qu'au fonctionnement des commissions locales d'attributions qui sont généralement calquées sur le territoire des missions locales, mais cela dépend de la taille des départements et de leur degré d'urbanisation. Le département organise les demandes auprès des services sociaux, DASS, CCAS, mais surtout auprès des missions locales qui sont les principaux porteurs de ce dispositif et de leur alter ego en milieu rural, les PAIO, les permanences d'accueil d'insertion et d'orientation. Il organise également la présentation des dossiers au sein des commissions locales généralement par le biais des chargés de missions.
Mon équipe et moi avons mené une enquête en 2007 qui concernait six départements français. Nous nous sommes livrés à une comparaison de la manière dont les départements s'étaient approprié la décentralisation de ce dispositif. On a choisi des départements dont je ne vous donnerai pas le nom ici parce que l'on s'est engagé à conserver l'anonymat, mais qui ont des caractéristiques à la fois démographiques et politiques hétérogènes. Je reviendrai plus tard là-dessus. Nos questions d'analyse étaient les suivantes : quelles évolutions dans l'organisation des services départementaux à la suite de la décentralisation ? Quelles évolutions dans les configurations d'acteurs, les partenariats qui sont organisés autour de ce dispositif ? Quelles orientations ont été fixées à cette occasion de décentralisation par les politiques d'insertion départementales ? Et quelle était la connaissance des populations suivies dans les départements ? Dans chaque département, on a ainsi procédé à quinze entretiens semi-directifs auprès des responsables du FAJ dans les services départementaux, auprès des principales missions locales, auprès de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et auprès des opérateurs du champ jeunesse, à savoir principalement les clubs de jeunes, les points de prévention et d'écoute jeune. Tel était le cadre de l'enquête.
Je vais vous présenter ce fonds, son fonctionnement et les problèmes qu'il pose en deux points. Le premier point porte sur les différents degrés d'appropriation du dispositif par les conseils généraux et le second sur les poids respectifs de l'action sociale et de l'insertion professionnelle dans ce dispositif au cours de sa décentralisation.
Concernant l'appropriation différenciée du dispositif, ce que l'on voit lorsque l'on examine la manière dont le FAJ a été décentralisé, c'est qu'il bénéficie de dotations budgétaires qui ne sont pas proportionnelles au nombre de jeunes par département. Pour vous donner un ordre d'idées, j'ai fait un tableau. Vous voyez la liste des départements selon leur taille, le rang occupé à partir de l'indice de vieillissement du département et le rang occupé en fonction du montant consacré au FAJ. Si vous voulez bien, nous allons nous attarder sur les deux lignes roses où l'on voit que le département 3 qui est placé en milieu de groupe est le dernier département concernant le budget qui est accordé au FAJ alors que le département 1, qui est le cinquième en nombre d'habitants, troisième en nombre de jeunes, est troisième concernant la dotation budgétaire du FAJ. On assiste donc à des disparités budgétaires qui sont assez importantes d'un département à l'autre. J'attire votre attention sur le fait qu'il n'y a pas de mécaniques évidentes quand on essaie de comprendre le rapport entre nombre de jeunes et budget accordé.
Autre différence que l'on a pu observer, c'est la manière dont les règlements intérieurs avaient été retravaillés, réécrits par les conseils généraux à l'occasion de la décentralisation. D'une manière générale, l'ampleur des modifications qui sont apportées au règlement intérieur est un bon indicateur de la place accordée au dispositif dans le fonctionnement du département. Si on constate de simples ajustements ou bien des modifications secondaires, on est face à des départements qui n'ont pas fait de l'insertion professionnelle un enjeu central d'actions publiques et qui ne développent pas de politiques intégrées transversales en direction des jeunes en difficulté. Dans ces cas-là, on peut dire que les modifications des règlements intérieurs sont liées à une volonté de réguler les aides elles-mêmes. Par exemple, homogénéiser les pratiques au sein des différents comités locaux d'attribution, réduire les dépenses et donner un cadre général à un dispositif qui, par ailleurs, peut être très territorialisé puisqu'il fonctionne vraiment à l'infra territorial. Quand on est face à des changements importants dans le règlement intérieur, on peut dire que le FAJ est considéré comme un outil de promotion du département et de sa politique de jeunesse ainsi qu'un outil de formulation ou de renforcement de la politique d'insertion des jeunes. Les objectifs sont alors plus ambitieux que dans le premier cas de figure. Cela va être par exemple offrir un cadre qui incite au développement d'une action partenariale ou bien permettre un décloisonnement de l'action publique ou encore intégrer le FAJ dans une politique globale d'insertion du département.
Un autre critère qui permet de voir des différences importantes, c'est la manière dont le FAJ est articulé avec les dispositifs en cours dans le département. On a trois cas de figures. Un cas de figure où le FAJ apparaît comme quelque chose d'isolé, c'est le cas dans deux de nos départements. Il n'y a pas d'articulation vraiment pensée avec les autres secteurs d'intervention du conseil général en direction des jeunes en difficulté, par exemple l'aide sociale à l'enfance ou la prévention spécialisée ni avec une compétence plus générale en matière d'insertion ni avec des dispositifs d'insertion des jeunes au niveau de l'État ou de la région. Là le FAJ est tout seul, l'assemblée départementale ne s'est pas saisie de ces questions au moment de la décentralisation. Il n'y a pas eu de débat sur le FAJ, les élus sont peu ou pas investis sur le dossier. Il n'y a pas d'élus référents en matière de jeunesse. Par ailleurs, le conseil général, en dehors du FAJ, a développé une compétence qu'il a voulue réduite au domaine traditionnel d'attributions des conseils généraux : les jeunes enfants, les mineurs, les jeunes majeurs et les collégiens.
Dans le deuxième cas de figure, le FAJ peut servir de support à la construction d'une compétence jeunesse. Le conseil général est en charge de cette compétence, et en profite pour bâtir une politique plus ambitieuse en matière de jeunesse. C'est le cas de deux autres des départements que nous avons étudiés où on cherche à articuler aujourd'hui le FAJ avec d'autres types d'aides. Deux manières de procéder ont pu être identifiées : lier entre eux les différents services du conseil général qui s'occupent de la jeunesse ou bien constituer des lieux de réflexion territorialisés qui vont créer des réseaux locaux de jeunesse. Nous sommes face à deux logiques différentes, une approche organisationnelle dans l'un des cas en faveur d'une plus grande transversalité, et une volonté de coordination dans l'autre cas entre les différentes approches et compétences du conseil général.
Enfin, le troisième cas de figure est celui dans lequel le FAJ est pensé comme un instrument de renforcement d'une politique de jeunesse départementale. Il concerne les conseils généraux qui étaient les plus avancés en matière de politique de jeunesse. Deux départements sont concernés. Ils considèrent que le FAJ est un levier d'action. On observe dans ces cas-là qu'un élu est chargé du suivi du dossier. Cela permet de vraiment faire avancer les choses. Le FAJ par sa décentralisation fait l'objet de réorganisation des services et l'on assiste aussi à des efforts pour décloisonner l'action et pour convaincre du bien-fondé de cette approche transversale. Les objectifs communs aux deux départements sont de proposer des actions publiques cohérentes et de répondre au mieux aux besoins des jeunes concernés. On a deux manières de procéder : soit par une politique de réorganisation interne où on va travailler sur les ponts entre les différents services, sur les commissions locales d'insertion et d'attribution comme instance clé de cette politique, soit en bâtissant un partenariat avec les services de l'État via notamment la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.
Un autre critère est de s'interroger pour savoir si le FAJ est considéré ou non dans les départements comme un outil de partenariat. Selon les départements, on assiste à trois degrés de coopération. Dans le premier cas de figure, on a des relations très réduites sur ces questions d'insertion des jeunes entre le conseil général, la région et l'État. On a peu de liens qui sont tissés du point de vue de l'insertion professionnelle des jeunes avec ces niveaux de décision. Dans le deuxième cas de figure, il existe des relations assez fréquentes avec les communes. On voit que pratiquement dans tous les conseils généraux, même si l'on ne travaille pas beaucoup avec les régions et l'État, on travaille largement avec les communes, au minimum, les CCAS des communes qui participent aux comités locaux d'attribution et, puis au mieux, un copilotage du dispositif entre les CCAS ou les communes et le conseil général. Dans tous les départements on observe des relations privilégiées avec les missions locales qui apparaissent vraiment comme le pivot du dispositif en termes d'opérateurs. Elles sont inscrites dans les différents processus de décision, de gestion et d'instruction des demandes au titre du FAJ.
Le deuxième point concerne les questions d'action sociale et d'insertion professionnelle autour du développement de ce dispositif à l'occasion de sa décentralisation. On observe un clivage dans la manière dont les départements pensent ce dispositif, la philosophie qu'ils lui appliquent et puis l'apparition d'inégalités territoriales pour les jeunes. Pour commencer, l'analyse des différents critères d'attribution du FAJ, on s'est aperçu que ces critères d'évaluation étaient très révélateurs de la philosophie accordée à ces dispositifs. On est face à une double orientation dans le développement du FAJ : d'une part, des politiques de développement de l'aide aux personnes en difficulté, donc plutôt une organisation large, et d'autre part des orientations plus spécifiques de politique d'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Cette double orientation préexistait bien sûr à la décentralisation mais le processus de décentralisation va accentuer le fait de s'orienter vers telles ou telles priorités. Les critères d'attribution sont vraiment un indicateur des profondes différences concernant le FAJ dans les six départements. Pour résumer, on peut dire que l'on a trois familles de critères qui président à l'attribution du FAJ. La première famille, c'est l'inscription dans un parcours d'insertion professionnelle, la deuxième famille, c'est la situation sociale du jeune demandeur et puis la troisième famille, c'est le soutien familial.
Certains départements pensent le FAJ avant tout comme une aide à la subsistance. Dans ce cadre-là, on va tenir compte de l'inscription ou non du jeune dans un parcours d'insertion sans que ce soit un critère déterminant. Par contre, ce qui va être déterminant dans ce groupe d'aide à la subsistance c'est la situation sociale du jeune, le revenu des parents et sa situation ou non de rupture familiale. Il faut noter que la loi de décentralisation a levé l'autorisation de s'enquérir du revenu des parents. Après avoir assisté à un certain nombre de commissions locales, nous avons constaté que dans les faits, le chargé de mission connaît bien la famille du jeune et il y a des débats quand même pour savoir quel est le niveau de vie de la famille. C'est un petit peu difficile parce que la loi ne l'autorise plus mais ce que l'on a vu dans les commissions locales, c'est que cela existait quand même. C'était il y a deux ans, peut-être que depuis cela ne se fait plus mais au moment de l'enquête, malgré la loi, cela se faisait encore.
Dans le groupe numéro deux, on trouve les départements qui estiment qu'en priorité le FAJ va servir d'aide à l'insertion professionnelle. Dans ce cadre-là, on a une priorité qui est accordée à l'inscription du jeune dans son parcours d'insertion. Cela va vraiment être l'élément déterminant. Et puis on va prendre en compte, mais de manière secondaire, la question de la situation sociale et la question du revenu des parents. Enfin dans le groupe trois, on est dans une situation différente encore. Là on considère le jeune et l'attribution de l'aide du point de vue d'une insertion plus globale, à la fois sociale et professionnelle. Dans ce cadre-là, le premier critère sera l'inscription dans le parcours d'insertion et le deuxième critère la situation sociale. En revanche, le revenu des parents, la rupture familiale vont apparaître comme des éléments secondaires. Vous voyez donc qu'en fonction des cas de figure, on est quand même face à un traitement assez différencié de la demande des jeunes.
Les deux cas de figure de départ sont donc la situation sociale du demandeur qui est envisagée comme un critère fondamental pour l'attribution de l'aide, et dans ce cas, ce que l'on constate, c'est que l'aide est accordée même en l'absence d'un projet d'insertion du jeune. Ce qui compte, c'est vraiment le degré de risque pour lui de se trouver en situation de pauvreté grave. A l'opposé, on a l'idée que le jeune pourrait être bénéficiaire de ce dispositif, pourrait être placé dans une démarche avérée d'insertion professionnelle. J'ai repris la terminologie utilisée dans l'un des départements. Dans ce cadre-là, l'insertion professionnelle devient déterminante quant à l'attribution de l'aide. C'est un peu préoccupant parce que les jeunes les plus éloignés de l'insertion professionnelle, qui sont pourtant les cibles de ce type de dispositif, sont renvoyés à d'autres types de prise en charge, par exemple, le secteur caritatif ou bien l'aide facultative des CCAS. Cela fragilise les parcours des jeunes. Ces deux premières conceptions sont bien sûr antagonistes, mais en apparence parce qu'elles suivent une même logique qui est une logique d'aide individuelle conçue comme un outil sectoriel qui assure soit une aide à la subsistance soit un support à l'insertion professionnelle. C'est assez différent du troisième cas de figure, où le FAJ est considéré comme un outil qui va permettre d'articuler l'insertion sociale et l'insertion professionnelle, où ce dispositif va être inscrit dans une conception plus globale de la politique d'insertion sociale et professionnelle du département. En fait, le FAJ n'est qu'un élément de réponse à un suivi plus global de l'insertion sociale et professionnelle du jeune. La définition d'inscription du jeune dans la démarche d'insertion est alors assez souple et on laisse une large place aux questions sociales comme préalable à l'insertion professionnelle. Vous avez eu à peu près les mêmes débats dans le cadre du RMI puis du RSA aujourd'hui. Dans ce cadre-là, la situation sociale du demandeur ainsi que celle de ses parents sont prises en compte même si les justificatifs de revenus des parents ne sont plus demandés.
Il y a d'autres éléments qui nous éclairent sur la manière dont les départements vont ou non considérer certains éléments de l'insertion des jeunes et certains groupes de jeunes. Par exemple, sur la question des étudiants, on constate que dans un des départements, les étudiants bénéficiaient avant la décentralisation d'une attention assez grande. Au moment de la décentralisation, on ne change pas vraiment le règlement intérieur de ce point de vue et le nouveau règlement intérieur ne s'oppose pas au fait que les étudiants puissent demander le FAJ. Dans un autre département, on va trouver un règlement intérieur qui va disposer clairement que les étudiants ne sont pas éligibles au FAJ. Enfin, dans un dernier département, on voit que le FAJ ne concerne les étudiants qu'à titre exceptionnel. Pour les autres départements, on ne sait pas. Cela n'est pas mentionné dans les règlements intérieurs.
Autre traitement différencié en fonction des départements : la question des aides collectives. Le FAJ, c'est d'abord une aide individuelle. Mais dans certains départements, on fait aussi du financement d'aides collectives. Par exemple, on peut trouver dans certains départements du soutien financier à des auto-écoles associatives via ces aides collectives. On peut également trouver un soutien financier pour des jeunes sortis de prison. Si on considère les aides collectives promues par les départements, on voit que l'on est face à une ampleur, à des contenus complètement différents d'un département à l'autre. On constate que certains départements privilégient les aides individuelles alors que d'autres vont mettre l'accent sur l'importance des actions collectives comme instrument d'une politique d'insertion professionnelle des jeunes. Dans les six départements, on est confronté à des situations assez différenciées. Dans quatre d'entre eux, les actions d'accompagnement constituent moins de 20 % du budget global du FAJ et à l'opposé dans deux départements, la plupart des aides collectives dépassent 70 % du budget du FAJ. Là encore, ce sont des cas de figure vraiment différents.
Une autre question est traitée vraiment différemment d'un département à l'autre : celle du logement. On constate, alors que certains conseils généraux vont se saisir de la décentralisation du dispositif comme une occasion d'investir la question du logement des jeunes, pour d'autres, la décentralisation s'est traduite par un désengagement du département dans ce domaine. D'une manière générale, ce que l'on peut dire est que l'importance de la mobilisation du FAJ pour les problèmes de logement est peu sensible au travers des aides individuelles. Dans ces cas-là, on applique le principe de solidarité par rapport à d'autres dispositifs comme le Fonds de solidarité logement ou un dispositif local appelé Loca-Pass. Par contre, dans deux départements, le financement d'actions d'accompagnement social par le logement représente la plus grande partie du budget consacré aux actions collectives.
Enfin le dernier exemple de traitement très différencié d'un département à l'autre est la question de la mobilité des jeunes. Tous les départements prennent en compte ce problème mais avec une forme et des conceptions très différentes suivant les départements. On a deux formes principales de prise en compte de la mobilité des jeunes : une aide ciblée sur les déplacements en vue d'une démarche précise d'insertion professionnelle ou bien une aide plus générale aux transports, indépendamment d'un trajet ou d'un objectif précis. Il s'agit donc de deux objectifs totalement différents. Deux conseils généraux envisagent cette question sous l'angle d'une dimension sociale globale en la traitant également par le biais des aides collectives, avec par exemple des réductions importantes pour l'utilisation des transports en commun de l'agglomération principale du département pendant une période donnée, et ce quelle que soit la nature des déplacements des jeunes. On peut ainsi relever l'utilisation gratuite des transports en commun de l'agglomération principale. Il y a plusieurs façons de considérer la mobilité des jeunes : soit elle est soutenue dans le cadre spécifique du projet d'insertion professionnelle soit elle est envisagée de manière globale. On n'est pas du tout face à la même forme d'aide selon les départements et pour les jeunes in fine.
Pour conclure, je dirai qu'au-delà des logiques départementales, on peut observer à travers la décentralisation du FAJ le poids des tendances nationales. On voit que la mobilisation autour du FAJ dans les départements se fait dans un contexte plus large de précarisation grandissante des parcours des jeunes. On voit que derrière la variété des motifs d'attribution individuelle qui peut vraiment être très vaste (l'alimentation, le transport, la formation, l'attente de rémunération de l'apprentissage, l'hygiène, la vêture, l'équipement professionnel), le premier poste de dépense du FAJ dans les six départements est l'aide à la subsistance, notamment à travers des procédures d'urgence systématiques. On peut se demander si le FAJ, même si l'on essaie dans certains départements de le réserver aux jeunes en insertion professionnelle, n'est pas un dispositif qui permet de faire face aux besoins des jeunes les plus en difficulté. On peut se poser des questions. On peut se demander quelle sera l'évolution du FAJ dans les départements les plus stricts vis-à-vis de la dimension sociale. On observe, en effet, notamment dans deux de nos six départements, qu'il y a une difficulté à conserver la souplesse du dispositif FAJ. On constate une diminution des enveloppes dépensées et très nettement un durcissement des critères d'attribution d'année en année. On voit que dans ces départements, les conseils généraux sont peu enclins à dépenser l'intégralité de leur budget et dans un des départements observés, seulement 60 % des crédits ont été dépensés en 2007. Pourtant c'est un département urbain, dans lequel il y a beaucoup de jeunes et des jeunes en grave difficulté sociale.
Pour finir, on peut dire que la décentralisation du FAJ est dans un certain nombre de départements un enjeu plus important qu'il n'y paraît au premier abord si l'on considère le budget attribué au FAJ. C'est à la fois un petit dispositif, et c'est un outil non négligeable pour les conseils généraux qui choisissent de s'en saisir pour mettre en place une politique de jeunesse. Il a un effet démultiplicateur tout à fait important. Si certains conseils généraux conçoivent le Fonds d'aide aux jeunes comme un préalable à l'insertion professionnelle et promeuvent une souplesse du dispositif en multipliant les champs d'action, d'autres départements ont tendance à faire pencher le FAJ de manière plus radicale et plus stricte vers l'insertion professionnelle. Du point de vue du processus de décentralisation, il me semble qu'il accentue une hétérogénéité déjà forte en fonction du dispositif et des territoires avec des inégalités d'ensemble qui sont quand même dommageables pour les jeunes, alors même que le FAJ constitue pour les professionnels qui travaillent auprès des jeunes en grande difficulté mais aussi pour les décideurs, un support essentiel et unique de la stabilisation des parcours d'insertion des jeunes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci Madame. Je pense que nous avons tous et toutes plein de questions en tête. Que devient un outil lorsqu'il passe de l'État aux collectivités diverses et variées ? Votre exposé est tout à fait frappant à ce niveau-là. Et qu'en est-il de la place et du poids de l'élu dans chaque territoire qui conduit ou qui ne conduit pas cette politique en fonction de ses propres conceptions ? Si cela est politique, c'est à moindre mal mais si c'est personnel c'est plus ennuyeux.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Madame la présidente. Je suis exactement dans la même disposition d'esprit que vous. La question que je me pose est la suivante : est-ce que la décentralisation est finalement une bonne chose ? Parce que l'on s'aperçoit dans l'exposé très clair que vous nous avez fait qu'il y a des disparités particulièrement importantes entre les différents territoires. Que faut-il faire ? Ce que je regrette un peu dans la présentation que vous nous avez faite, c'est qu'il n'y ait pas plus de statistiques, c'est-à-dire de résultats au bout du compte. Là, vous avez analysé les choses mais il aurait été intéressant de voir dans l'insertion sociale, professionnelle, ce qui avait été donné, sur l'aide à l'emploi, sur les jeunes en grande difficulté. Quel est en vérité à votre sens le modèle idéal ? Revient-on à une structure d'État ? Est-ce que c'est une direction départementale qui gère ce fonds ? En tout cas, c'est une réponse que j'attends avec impatience. Au-delà de cela, est ce que vous pensez qu'il faut, mais peut-être cela va-t-il dépendre de la réponse que vous allez me faire préalablement, des politiques ciblées pour les jeunes ou une politique générale, c'est-à-dire une structure qui prenne en compte la totalité des problématiques de la jeunesse ?
Au tout début de votre exposé, vous avez indiqué que nous avions un secteur des politiques de jeunesse faible au regard des autres pays européens, j'aimerais savoir ce que vous entendez par là ? Par ailleurs, on a reçu un certain nombre de personnes, notamment Cécile Van de Velde et Louis Chauvel, qui nous expliquaient que les modèles des politiques du Nord et particulièrement le modèle danois fonctionnaient bien. J'aimerais savoir si vous pensez que c'est un modèle que l'on peut importer en France ou si au contraire compte tenu de notre culture, de notre manière de penser, cela est difficile ? J'aurais voulu aussi que vous nous disiez quelques mots au sujet de l'autonomie financière si vous avez travaillé sur le sujet. Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose de bien ? Est-ce que dans l'affirmative, il faut l'étendre à tous les jeunes, Faut-il prendre en compte les ressources des parents ? Voilà les quelques questions que je souhaitais vous poser.
Mme Patricia LONCLE - Est-ce que la décentralisation est une bonne chose ? Au vu de la pente sur laquelle nous sommes dans notre pays, il me semble difficile de vous dire qu'il faut retourner à un modèle centralisé. Par contre, ce qui m'a frappé dans cette étude et dans les échanges que l'on a eus avec le comité de pilotage de cette étude qui était la DREES et les différents membres des conseils généraux qui étaient présents, c'est finalement le faible nombre d'éléments de connaissance dont disposait la DREES deux ans après la décentralisation sur ce qui se passait dans les territoires. Il me semble que ce qu'il faut améliorer est la capacité de régulation de l'État du point de vue de l'information dont il dispose, du point de vue de l'organisation d'une réflexion au niveau central avec les départements. Je ne pense pas que l'on puisse dire que l'on va reprendre cela aux départements. Ce serait un peu illusoire me semble-t-il et un peu à contre-courant de ce qui se passe actuellement. Mais il faut que le niveau central ait encore une connaissance de ce qui se passe dans les différents départements pour pouvoir éviter que ne se creusent les inégalités territoriales d'accès. La situation économique, on n'y peut pas grand-chose mais il faudrait que les inégalités d'accès puissent être régulées. Je pense que le niveau étatique reste le plus intéressant pour procéder à ce genre de choses. J'ai vraiment été très frappée qu'après deux ans de décentralisation du dispositif, l'État ne sache plus rien du point de vue du fonctionnement du FAJ. Je dirais pour essayer de répondre à votre question que le modèle idéal serait de laisser le modèle décentralisé tel qu'il existe parce que l'on ne peut sans doute rien y faire mais avec un lieu de réflexion et de régulation de ce dispositif. Le degré d'information est très faible.
Faut-il des politiques de jeunesse ciblées ou plus globales ? Moi, j'ai tendance à penser qu'il faut des politiques globales d'accompagnement des jeunes afin qu'il n'y ait pas de discrimination. Mais je souhaite des politiques qui permettent de suivre de manière différenciée les jeunes en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent. Je ne recommande pas des politiques ciblées qui risquent de ressembler à un mille-feuille dans la prise en charge. Ce qu'il me semble manquer dans notre pays, c'est un lieu de réflexion généralisé sur l'action publique menée en direction des jeunes, qu'elle soit labellisée politique de jeunesse ou bien qu'il s'agisse des différents volets de la politique comme l'emploi ou le transport par exemple. Mais que l'on puisse réfléchir à la manière générale dont on aborde la jeunesse, ce qui n'est pas fait pour l'instant. C'est pour cela que je me réjouis des initiatives comme la vôtre ou celle de M. Martin Hirsch qui essaient d'aborder de façon générale les questions de jeunesse et de les décloisonner.
En ce qui concerne la faible sectorisation française, je dirais que c'est une question assez ancrée dans l'histoire de la prise en charge de la jeunesse en France. Dans quels organes centraux a-t-on eu une réflexion sur la jeunesse ? Quel rôle a pu jouer le ministère de la jeunesse et des sports ? On constate que dans notre pays, à part la période 58-66 de M. Herzog pendant laquelle le Haut commissaire à la Jeunesse a essayé de développer une action publique transversale et bénéficiait d'une légitimité nécessaire pour agir de manière décloisonnée en direction des jeunes, l'administration des sports et de la jeunesse n'a pas eu ce rôle dans notre pays, ce qui n'est pas le cas de tous les pays européens. On m'oppose souvent que la jeunesse est une question transversale. Oui, sauf que dans d'autres pays, on arrive à le faire. Et notamment au Danemark que vous avez évoqué. C'est également le cas en Suède et en Finlande où l'on trouve des ministères de la jeunesse et des sports ou dans certains pays qui n'ont pas forcément beaucoup de budget mais où les ministères ont la légitimité pour interpeller les autres secteurs. Et cela est quand même assez intéressant, il me semble. Peut-on importer ces modèles en France ? C'est un peu difficile de vous répondre. En tout cas, on peut les déconstruire pour essayer de comprendre ce qui est riche dans ces modèles et ce qui peut être intéressant. Ce qui me semble intéressant, si l'on reprend l'exemple du Danemark, c'est qu'ils ont des conceptions positives de la jeunesse, résolument positives. Les acteurs publics choisissent de valoriser cette catégorie de population.
Je vais essayer de répondre à la question de l'autonomie financière en même temps. Je recommande des dispositifs qui permettent à tous les jeunes d'entrer en formation dans des études universitaires ou de formation professionnelle avec une aide financière qui concerne l'ensemble des jeunes et pas seulement une partie d'entre eux. Concernant l'autonomie financière des jeunes, j'aurais tendance à vous dire, Cécile Van de Velde a d'ailleurs dû vous dire la même chose, que nous sommes dans un système assez inégalitaire en France et s'il y a peut-être quelque chose à observer dans les pays scandinaves, c'est leur système qui, si j'ose m'exprimer ainsi, permet de « remettre les pendules à zéro ».
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - J'ai une question d'ordre pratique. Vous avez parlé des départements qui de l'un à l'autre étaient inégaux en matière de choix de politique de jeunesse. Mais n'y a-t-il pas des départements moins riches que d'autres ? Ces départements sont obligés de faire des choix. S'est-on préoccupé de savoir s'ils accueillaient des populations âgées de façon plus importante que les populations jeunes ? Et puis, à ma connaissance, la formation reste toujours du domaine de la région. Alors ces départements qui n'ont pas fait le choix de s'impliquer totalement dans cette politique de jeunesse ne reportent-ils pas ce souci de la formation sur la région ? Enfin, vous avez insisté sur les liens limités entre départements et région. Comment cela s'articule-t-il ?
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Je me demande si c'était bien vers les conseils généraux qu'il fallait décentraliser le FAJ. En effet, les conseils généraux n'ont pas de compétence légale en direction de la jeunesse alors qu'en même temps, les conseils régionaux sont devenus compétents, pas tous seuls, en matière de mission locale. On mène des actions en direction des étudiants mais je me demande si finalement, il n'y a pas une erreur commise là avec cette décentralisation en faveur des conseils généraux.
La deuxième question porte peut-être plus sur du détail mais sur ces six conseils généraux : le lien avec les missions locales est-il le même ? On sait tous qu'il y a dans les territoires des conseils généraux qui financent des missions locales et dans d'autres pas du tout. Si l'on répond positivement à ma première question, il fallait bien que le FAJ soit décentralisé aux conseils généraux. Alors quelle politique d'insertion pour les conseils généraux et quelle obligation de politique d'insertion pour les conseils généraux ?
Mme Patricia LONCLE - S'agissant des relations avec les personnes âgées, je pense qu'effectivement c'est vraiment autour de ces questions que les conseils généraux ont eu des difficultés. Alors, dans les deux départements qui ont été les plus stricts dans la distribution du FAJ, on a effectivement un département qui a une forte proportion de personnes âgées sur son territoire. En effet, les personnes rencontrées dans les Conseils Généraux reconnaissent avoir peur de ne pas pouvoir financer la décentralisation des missions en faveur des personnes âgées. Vous avez tout à fait raison de soulever cet aspect. C'est le cas d'un département, l'autre non. Cet autre département a une population jeune très nombreuse. Ce département est fortement urbanisé et ce n'est pas un département pauvre du point de vue de ses revenus. C'est vraiment un choix affiché que de ne pas tenir compte de l'action sociale en priorité et de mettre l'accent sur l'insertion professionnelle dans ce département-là.
Pour regrouper vos deux questions sur les régions : effectivement, le transfert de compétences est issu de la même loi, ce transfert de compétences dont vous parliez Madame Demontès sur la formation professionnelle. A-t-on bien fait de décentraliser au niveau départemental ? Depuis l'extension en 1992 du caractère obligatoire du FAJ, l'État fonctionnait avec le niveau départemental sur ces questions-là. Je pense qu'il a dû paraître logique au législateur de décentraliser à ce niveau. Ce qui me semble préoccupant, c'est ce que vous soulignez toutes les deux, ce n'est pas tant que le FAJ est décentralisé au niveau départemental mais c'est qu'il n'y ait pas d'institutionnalisation des liens entre le département et la région. Ce n'est pas très grave que la décentralisation ait eu lieu au niveau des conseils généraux si, en voulant tenir compte au mieux des besoins des jeunes, on peut se dire que c'est un bon échelon. Mais ce qu'il y a de plus regrettable, ce sont les liens avec les régions qui sont si faibles et si dépendants de la bonne volonté des individus. Cela devrait être mieux régulé de ce point de vue. Cela est certain.
Est-ce que les liens avec les missions locales étaient les mêmes pour les six conseils généraux ? Non, mais je dois dire qu'il y a un biais méthodologique. Dans la mesure où l'on venait au nom de l'État interroger les missions locales sur leurs liens avec les conseils généraux, toutes nous ont dit que tout se passait bien mais je pense que ce n'est pas toujours le cas. Mais notre identité, l'École des Hautes Études, a joué dans le fait que l'on ne recueille pas tellement de critiques de ce point de vue-là.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - En pratique de la modeste expérience que j'ai pu retirer de responsabilités régionales, il me semble que quand même, l'insertion professionnelle est un élément précieux d'accompagnement pour aider les jeunes. C'est la région qui dans ce domaine joue un rôle tout à fait particulier. J'entends bien que le département de son côté a une approche d'un discours intergénérationnel qui peut être construit sur le terrain par le biais de sa prise en charge du domaine des personnes âgées. Si bien que tant que régions et départements n'auront pas trouvé les nécessaires accords pour organiser une aide aux jeunes signifiante, on risque d'avoir des zones de partage des eaux qui empêchent les choses de suivre leur cours normal. En pratique, ce qui me frappe, c'est que les jeunes en difficulté ignorent totalement ce qu'est le FAJ. Quand je leur ai dit, il y a un fonds pour aider les jeunes, ils m'ont naturellement demandé où le trouver. Je crois que pour aider quelqu'un, il faut déjà lui montrer que l'on est en position de pouvoir le faire et de savoir le faire. Or, il ne m'apparaît pas dans l'état actuel des choses du relevé de terrain qu'il y ait de symptômes évidents attirant l'attention sur « Vous êtes embêtés, je peux vous aider ».
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Si vous le permettez, je vais me donner la parole pour renforcer la position de M. Etienne. C'est une question que je voulais vous poser. Pourquoi dans certains endroits, cela ne marche pas ? Comment savoir que l'on y a droit ? Comment savoir à quelle porte frapper ? Et entre le moment où on a fait sa demande et le moment où l'on bénéficie éventuellement de l'aide, que s'est-il passé ? Vous avez fait allusion aux CLIS dans votre exposé. Il y en a certes qui fonctionnent très bien. Personnellement, j'ai assisté à des CLIS pendant des mois et des mois en prenant sur moi pour ne pas exploser, ne pas me mettre en colère et en choisissant de ne plus y mettre les pieds tellement cela était des grands messes insupportables. On ne sentait ni motivation ni intérêt pour la situation de la personne dont on était en train de parler et qu'il fallait aider. Enfin, pour moi cela ressemblait à des usines à gaz. Je voudrais votre point de vue là-dessus. S'agit-il encore d'une usine à gaz et est-ce pour cela que cela ne marche pas comme on le souhaiterait ?
Deuxièmement, comment peut-on éviter les dérives ? Personnellement je ne remets pas en cause la décentralisation. Cela marche dans certains endroits et pas du tout dans d'autres et au milieu, il y a des choses à peu près satisfaisantes qui se passent. Il y a des orientations fondamentalement différentes, comment peut-on éviter cela ? Faut-il une sorte de cahier des charges à partir du moment où l'on transfère de l'État vers une collectivité ?
J'aurais souhaité que vous reveniez sur la prestation autonomie. J'ai bien entendu ce que vous dites sur le Danemark. Et ce qui me paraît intéressant, c'est de remettre les compteurs à zéro donc de ne pas discriminer. Néanmoins, vous proposiez une aide financière ou une allocation, versée aux jeunes afin qu'ils satisfassent leur apprentissage des études. Est-ce que cela veut dire que c'est uniquement, pour vous, dans ces conditions-là, ou pour tous les jeunes, sans leur demander forcément des preuves de ce qu'ils font ? En effet, quelquefois, on dit que certains pensent que si l'on versait cette allocation à tous les jeunes à partir de tel âge, ce serait démobilisateur pour les moins motivés d'entre eux. Moi, je pense le contraire. Je pense que le fait d'être reconnu comme ayant droit à une allocation stimule et cela donne envie de se prendre en mains et d'être à la hauteur de la situation.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - Ma question porte sur les critères d'équité puisque certains départements ont une certaine somme et plus ou moins de jeunes. Vous l'avez un peu dit, ce n'est pas à la tête du client mais cela dépend des choix des conseils généraux, c'est selon. Mais j'ai également été confrontée à cela : quel est le lieu de résidence d'un jeune ? Est-ce que c'est le lieu de résidence de ses parents ? Certains conseils généraux se renvoient la balle en revendiquant le fait que les jeunes font leurs études dans tel département mais qu'ils dépendent en fait d'un autre conseil général et affirment que cela ne les concerne pas. Cela ne facilite pas les choses.
Mme Patricia LONCLE - Concernant l'insertion professionnelle et la plus ou moins grande connaissance du dispositif, ce que je voulais défendre dans cet exposé était le fait que le FAJ n'était pas seulement un outil d'insertion professionnelle justement. Il n'a pas été pensé comme cela. C'est également un outil d'insertion sociale. D'une certaine façon, je crois que c'est pour cette raison que l'on a décentralisé au niveau départemental et non au niveau régional. Pourquoi est ce qu'à certains endroits, cela fonctionne alors que dans d'autres moins bien ? Je pense qu'il faut entrer plus spécifiquement dans l'interconnaissance des partenariats locaux pour comprendre ce qui se passe très concrètement dans telle ou telle commission locale. Mais au-delà de cela, on a des acteurs qui savent travailler ensemble et qui savent repérer les jeunes qui sont potentiellement bénéficiaires du dispositif et qui vont être capables de travailler avec un regard différent sur la même situation et je pense que c'est cela qui fait que cela marche ou pas. Et c'est ce qui garantit la qualité du partenariat des configurations locales comme l'on dit.
Alors est-ce que ce sont des usines à gaz ? Non, je ne pense pas. Le FAJ est assez simple par rapport au RSA si vous regardez. Je pense que ce n'est pas si compliqué que cela par rapport à d'autres dispositifs que l'on a dans notre pays.
Sur le cahier des charges, je ne sais pas. Finalement, vous voyez que le règlement intérieur qui est proposé au niveau national est déjà une sorte de cahier des charges. Cela laisse du jeu pour des interprétations complètement différentes. Je pense qu'il faudrait se concerter plus qu'autre chose avec les départements sur cette question-là.
Est-ce que l'aide financière est une stimulation ou un découragement ? Personnellement, je pense également que c'est une stimulation et qu'elle ne doit pas être réduite aux jeunes étudiants. Les jeunes étudiants ne sont pas prioritaires par rapport aux jeunes apprentis par exemple.
Par rapport au lieu de résidence, c'est pour cela qu'autour des étudiants, il y a du rififi. D'une certaine façon les conseils généraux qui ont exclu certains étudiants, c'était autour de cette question de lieu de résidence. Ils mettaient en avant le fait qu'être une ville universitaire ne doit pas financer tous les FAJ de tous les jeunes qui viennent étudier dans cette ville. Le lieu de résidence dans ce cas-là est la famille sauf si le jeune atteste qu'il est en rupture familiale. Cela va très loin.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Ca va très loin puisqu'ils ne peuvent même pas s'inscrire sur les listes électorales là où ils étudient. Parce que le papier fourni par le logeur ne suffit pas. On n'a quand même pas une vraie politique en faveur des jeunes. On ne fait rien pour leur faciliter la vie.
Mme Patricia LONCLE - Absolument et cela pose des vraies questions. C'est très important de souligner cette dimension-là.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Eh bien merci mille fois, c'était vraiment très intéressant.
Audition de Mme Aurélie COMETTI, chargée de mission scientifique et technique à l'Agence pour l'éducation par le sport
(14 avril 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous accueillons Madame Aurélie Cometti qui est chargée de mission scientifique et technique à l'agence pour l'éducation par le sport.
Vous savez que nous vous recevons dans le contexte de la mission d'information pour la politique en faveur des jeunes. Cette mission s'est mise en place au sénat. Nous avons démarré cette mission il y a trois semaines et nous souhaitons y mettre un terme, en tout cas remette au moins un rapport d'étape fin mai. C'est donc une mission très courte, qui cible les problématiques jeunes, parallèlement au travail mené par Martin Hirsch, Haut Commissaire pour la jeunesse. Il nous a paru important que les parlementaires, les sénateurs, c'est-à-dire le législatif, et pas uniquement l'exécutif, réfléchissent aussi à ce problème.
Le temps de travail et d'investigation étant court, nous avons donc choisi la tranche d'âge 16-25 ans et trois thèmes essentiels, d'abord, ce qui a trait à l'emploi : l'orientation, la formation et l'emploi, ensuite, l'autonomie des jeunes, c'est-à-dire l'autonomie financière et les problèmes d'accès au logement, et enfin, les problèmes d'accès à la culture, au sport et à la citoyenneté.
Mme Aurélie COMETTI - En quelques mots, pour présenter notre structure, l'agence pour l'éducation par le sport existe depuis maintenant douze ans et notre coeur de métier est de travailler avec des associations, des collectivités territoriales, qui utilisent le sport comme outil d'insertion, d'intégration sociale, professionnelle, des jeunes et des moins jeunes. Durant ces douze ans d'expérience, nous avons organisé des appels à projet pour des associations et des collectivités sur différentes thématiques, notamment sport et insertion professionnelle, sport et égalité des chances, sport et santé, sport et insertion des personnes handicapées.
Ensuite, nous avons un deuxième programme qui consiste en un échange entre les différents acteurs de l'éducation par le sport : nous organisons des conférences, des débats autour de différents thèmes. En janvier par exemple, nous avons organisé une journée autour de la pratique sportive féminine des jeunes filles dans les quartiers.
Quant au troisième aspect, c'est un travail orienté vers la recherche et l'expérimentation où nous essayons d'accompagner les acteurs de terrain, donc des associatifs ou des collectivités territoriales, toujours sur la notion d'éducation par le sport. En douze ans, nous avons réalisé la force qu'avait le sport dans la société, une force en tant qu'outil ou levier d'insertion et d'intégration. En effet, lorsque le sport est mis en place, encadré de telle manière que l'on ne cherche pas uniquement la pratique sportive comme finalité mais autre chose, comme l'insertion ou un transfert des valeurs du sport vers la société, alors, dans ces conditions, il est un véritable levier, notamment pour les jeunes.
Cette année, nous avons d'ailleurs sorti un guide où nous essayons de valoriser et de recenser des initiatives portées par des jeunes dans le domaine du sport. Des chercheurs, des experts, comme les assistantes sociales ou scolaires, interviennent aussi dans ce guide. Ils soulignent que l'accompagnement des jeunes dans les démarches d'un projet sportif qui est au départ le leur va renforcer leur confiance en eux et les responsabiliser. Nous essayons de donner des outils aux acteurs des associatifs car accompagner des jeunes demande une présence attentive et non pas de faire à leur place et souvent, les représentants associatifs déplorent le manque d'outil pour travailler dans ce sens. Dans le milieu professionnel, les acteurs du sport, les représentants associatifs, sont en demande de personnel de compétence et, quand nous parvenons à faire emprunter aux jeunes qui cherchent des emplois, des formations, la voie du sport comme première entrée pour les impliquer dans les structures, nous leur donnons finalement un cadre leur permettant par la suite de mieux s'intégrer professionnellement ou en tout cas d'avoir un peu plus d'assise, et, encore une fois, de confiance en eux.
C'est vrai qu'il y a un besoin, pour le milieu associatif, qu'il soit sportif ou socio-sportif, d'être accompagné pour mieux accompagner à son tour, et donc un réel besoin en termes d'outils, de compétences, de formation. C'est un monde auquel on ne pense pas forcément parce que ce sont souvent des bénévoles dans les associations sportives, qui sont confrontés à des jeunes qu'ils ne connaissent pas toujours, car c'est souvent un public qui change et évolue. Ces personnes, qui sont au coeur du mouvement sportif, se retrouvent donc dans des situations où ils se retrouvent souvent démunis, alors qu'il ne leur faudrait pas grand-chose pour que leur projet aille plus loin, qu'ils accompagnent mieux les jeunes et, qu'ils consolident leur structure, leur association, pour pouvoir continuer aussi à intégrer des jeunes. En effet, les associations ont peu de moyens et embauchent souvent des jeunes par en contrat aidé et ceux-ci ne sont pas formés pour pérenniser ces postes et ces fonctions. C'est donc là que nous essayons de les accompagner et de les former.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Dans l'exposé que vous venez de nous faire, vous parlez des jeunes qui sont pris en charge par des associations. L'insertion professionnelle, telle que vous l'imaginez, se passe-t-elle essentiellement dans le monde sportif, avec les BAFA, les éducateurs sportifs, ou utilisez-vous également le sport, comme vous l'avez dit, comme modèle, en utilisant ses valeurs pour les insérer dans d'autres domaines ?
Mme Aurélie COMETTI - C'est pour les insérer dans d'autres domaines que dans le sport et je crois qu'il y a deux niveaux. En termes de métier et de formation, il y a un fossé entre l'animateur et l'éducateur sportif, il n'existe pas de métier qui pourrait faire le lien entre le sport et l'animation, une sorte d'animateur socio-sportif mais qui soit formé là-dessus. C'est une part de l'insertion professionnelle vers laquelle pourraient tendre ces jeunes mais, d'un autre côté, quand des jeunes sont impliqués dans des associations, qu'ils sont, par exemple, responsables de la commission jeune, un transfert de compétences dans d'autres domaines que celui du sport est possible. Ainsi, même si ces formations sont plus ou moins formelles, elles existent et peuvent déboucher sur d'autres formations, sur des emplois, et là aussi, le besoin de formalisation dans ce type d'accompagnement va permettre aux bénévoles de transférer des missions dans d'autres domaines.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Sur un autre sujet, il y a eu le rapport de Stéphane Diagana et du docteur Auneau qui a indiqué d'une manière très claire qu'il fallait rendre le sport obligatoire à l'université, j'aurais aimé savoir ce que vous en pensiez. Deuxièmement, pensez-vous qu'il faille, comme dans les pays anglo-saxons, valoriser très largement le sport, en gardant toujours comme objectif la transmission de ses valeurs, l'intégration professionnelle et le comportement ?
Mme Aurélie COMETTI - Pour la pratique sportive à l'université, je dirais oui, pouvoir faire du sport est une chose positive mais il faut faire attention à la façon dont on va le valoriser. Le modèle anglo-saxon est effectivement intéressant dans les valeurs qu'il essaie de transmettre mais je pense que c'est plutôt en partant de la base, des associations sportives, que le sport aura un réel impact sur l'éducation et l'insertion professionnelle. Aujourd'hui, la valorisation du sport dans les médias a tendance à nous faire oublier que quand on rêve de devenir champion et que l'on échoue, la chute peut être difficile et qu'il y a différents niveaux de construction sur lesquels il faut travailler avec les jeunes.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Sinon, concernant l'insertion professionnelle, à combien peut-on estimer le nombre de jeunes qui sont parvenus à se faire embaucher, à s'insérer socialement ou professionnellement par le sport ?
Mme Aurélie COMETTI - Il y a plusieurs niveaux, si l'on prend les jeunes sortis des filières STAPS, c'est-à-dire sciences et techniques des activités physiques et sportives, je n'ai pas de chiffre exact mais depuis que la filière existe, nombreux de jeunes se sont insérés par le sport dans ces domaines. Après, si l'on prend les filières type éducateur sportif, je dirais que par an, au niveau national, il y a, je pense, entre 5 000 et 10 000 personnes qui peuvent être intégrées professionnellement ou qui parviennent à obtenir le diplôme. Après, c'est ce que je vous disais tout à l'heure, il y a un décalage entre les personnes qui sortent diplômées et la possibilité pour les employeurs, qui sont pour la plupart des associations sportives, de les employer à long terme. Les éducateurs sportifs sont souvent en emploi précaire, ils travaillent 10 heures, 15 heures par semaine en CDD généralement, à l'année ou saisonnier. Ainsi, travailler sur la pérennisation de ces postes demande de réfléchir aux missions qui peuvent leur être confiées, outre le simple encadrement pratique. Il existe un autre problème qui concerne l'obligation des associations de se regrouper à trois ou quatre pour pouvoir employer de manière pérenne des éducateurs sportifs.
Il y a donc un gros besoin des associations et des jeunes mais dans un cadre qui devrait être élargi au niveau de la prise en charge des postes et de la formation que l'on peut offrir à ces jeunes.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - Par rapport au problème de la formation des bénévoles dans les associations et des moyens des associations : il s'agit d'aider les jeunes qui doivent trouver un métier à s'insérer, grâce aux valeurs du sport, dans un métier qui ne relève pas forcément du domaine sportif. D'un autre côté, vous dites qu'il manque quelqu'un entre l'animateur et l'éducateur, cela pourrait être le médiateur de quartier par exemple.
J'ai une question sur les jeunes qui ne sont pas tous à l'université mais par exemple en apprentissage, en alternance ou autre, donc qui ont un pied dans l'entreprise et l'autre à l'école. Je pense qu'il serait très important qu'il y est du sport pour l'insertion, les valeurs, la mixité sociale. C'est davantage à ce niveau-là que j'aimerais avoir quelques indications, statistiques ou ressenties de votre part.
Mme Aurélie COMETTI - Effectivement, la pratique du sport doit aller plus loin dans la « démocratisation » et, pour des jeunes qui sont par exemple en alternance, essayer d'en augmenter le nombre d'heures. C'est important pour le bien-être physique, la santé mais également pour le bien-être moral et l'on pourrait aller encore plus loin si l'on en avait les moyens. Ce n'est pas parce que l'on pratique un sport que l'on en acquiert automatiquement les valeurs. C'est en cela que l'accompagnement et l'encadrement de la pratique sportive chez des jeunes en difficulté doivent être plus importants si l'on souhaite justement que le sport devienne un outil. Il faut réussir, par exemple pour des CFA, à utiliser le sport, qui est leur passion première, pour mettre en place d'autres projets. Beaucoup d'associations le font et les résultats suivent. Cet intérêt va d'emblée retenir leur attention et pourra alors se mettre en place un projet plus général, par exemple une semaine de stage dans un lieu particulier où ils vont pratiquer, préparer le voyage, découvrir d'autres choses. Ce projet peut être en lien avec leur formation : des jeunes en formation d'assistanat administratif pourront par exemple s'occuper du volet « gestion » du projet sportif. Le sport est intéressant dans cet attrait qu'il a auprès des jeunes et que n'ont pas d'autres domaines. Mais encore une fois cela requiert une qualité d'accompagnement afin que le projet soit réel et efficace.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Madame la présidente. Pensez-vous que la pratique sportive permette d'améliorer les résultats scolaires de jeunes ? Et, si la réponse est positive, comment renforcer ces mécaniques d'insertion par la pratique sportive, notamment dans les quartiers plutôt difficiles où les jeunes n'ont pas de qualification ?
Mme Aurélie COMETTI - Alors des jeunes qui vont subitement être bons à l'école parce qu'ils font du sport, non, l'amélioration se fera plutôt sur du moyen terme, comme le montrent de nombreux exemples dans les quartiers. En effet, le collège du jeune en difficulté scolaire et le club de football dans lequel il joue peuvent se mettre en relation. Ces deux institutions essaient alors d'établir un système d'échange pour développer un dispositif de suivi de l'élève : si celui-ci n'a pas un comportement correct en cours, le club est mis au courant, et inversement. Des points sont régulièrement organisés et certaines choses peuvent être interdites à l'élève dans le club. De meilleurs résultats en cours et une amélioration du comportement dans le club sont alors observés après un certain temps. C'est encore en termes d'accompagnement que l'on va pouvoir agir. En effet, une personne ne suffit pas et une chaîne doit se mettre en place autour de l'élève afin de transférer les comportements d'un cadre à un autre.
Pour répondre à votre deuxième question concernant l'insertion professionnelle, je dirais que c'est aussi un système de passerelles : quand les structures soutiennent le jeune, il va pouvoir développer des compétences, des attitudes qu'il utilisera dans des formations.
Mme Béatrice DESCAMPS, sénatrice du Nord - Je pense que tout le monde est d'accord sur le fait que le sport est utile pour s'insérer dans la vie professionnelle mais plus généralement aussi dans la société. Concrètement quels moyens votre agence met-elle à la disposition des collectivités ? Habituellement, des associations touchent des aides pendant un an, pour l'aide au démarrage et doivent ensuite se débrouiller seules, donc comment assurez-vous la pérennité et sur quels critères ?
On entend souvent parler des jeunes dans les villes, dans les banlieues et moi qui suis élue rural, j'ai le sentiment que les jeunes en milieu rural partagent les mêmes difficultés qu'en milieu urbain : problèmes de logement, d'insertion, de mobilité, de famille, etc. Ils sont d'ailleurs peut-être un peu plus compliqués à gérer car ils sont moins nombreux et n'appartiennent pas souvent à une bande, mais cela n'empêche pas qu'ils vivent parfois mal leur jeunesse. Ainsi, votre agence peut-elle donner des moyens à des communautés de communes, par exemple, afin d'essayer d'organiser cette insertion par le sport ?
Mme Aurélie COMETTI - Oui, nous avons aussi beaucoup d'associations qui travaillent en milieu rural. Pour répondre à votre première question concernant l'aide aux associations, notre appel à projets organisé tous les ans récompense des lauréats dans chaque région de France. Ils reçoivent une enveloppe contenant au maximum 2 000 euros, argent qui ne provient pas de nous directement mais des directions régionales de la jeunesse et des sports (DRDJS), des partenaires privés. Nous mettons en place avec l'association un accompagnement de ses structures, sous différentes formes. D'abord, nous recensons leurs besoins en termes de gestion de structure, de face à face pédagogique, de communication, etc. Nous essayons également de leur proposer des petits temps de formation avec les experts qui travaillent dans notre réseau : journalistes, chercheurs, bénévoles, directeurs de service sportif, etc.
Sur un second plan, nous essayons de développer depuis maintenant deux ans un système d'accompagnement de quatre ou cinq associations travaillant sur un même thème, comme par exemple la mixité des publics valides ou non valides. En partant de leurs propres besoins et de leurs propres forces, qu'il faut valoriser, nous les accompagnons pendant deux ans : nous travaillons avec elles dans leurs propres structures, nous organisons des temps de réunion pour leur transmettre quelques connaissances et nous travaillons ensuite sur l'échange entre ces associations. Chaque association a des forces, des compétences et elles vont donc pouvoir s'entraider, sans obligatoirement d'intervention extérieure, simplement en discutant entre elles.
Nous essayons aussi de leur donner des outils en terme de méthodologie de projet car, je le répète, ce sont souvent des bénévoles qui agissent avec leurs propres moyens donc nous les aidons à la structuration, la formalisation et au développement de leur projet. Le principe est relativement le même pour les collectivités : un appel à projets sur l'éducation par le sport est lancé, elles bénéficient de temps d'échange et de rencontre, d'un apport de connaissances et d'outils, comme des fiches d'évaluation, des critères sur lesquels se baser pour voir comment fonctionne ou non un projet. Nous valorisons les projets qui se servent du sport comme outil. Ainsi, des clubs sportifs qui font uniquement de la compétition ne seront pas valorisés dans notre structure. Au contraire, nous valoriserons un club sportif qui se sert de la compétition pour travailler sur l'insertion des jeunes en proposant de passer des brevets d'éducateurs ou d'autres formations.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Nous sommes tous en recherche d'outils pour essayer d'atteindre l'homéostasie sociétale notamment dans les zones de notre territoire qui sont les plus fragiles, les plus vulnérables, comme les quartiers. Tel que vous présentez le sport, cela peut être un outil pouvant contribuer à atteindre notre objectif.
Dans le début de votre propos, vous avez fait une place particulière à la pratique sportive des jeunes filles dans les quartiers. Avez-vous une expérience qui puisse être valorisée ou tout au moins nous être présentée pour expliciter comment, à la faveur de la singularité des paramètres constituant la problématique de vie particulière dans ces quartiers, la place de l'outil sportif peut être dans votre analyse, votre observation, votre expérience, un élément d'approche qui soit pertinent ?
Mme Aurélie COMETTI - La journée que l'on avait organisée en janvier avait justement pour thème la pratique féminine sportive dans les quartiers car, par le biais de notre appel à projets, nous avions repéré des associations travaillant dans les quartiers qui proposaient des projets principalement tournés vers les jeunes filles et ces projets fonctionnaient. D'un autre côté, les constats de chercheurs, d'autres associations, rendaient compte de la difficulté à faire pratiquer le sport à ces jeunes filles. Nous sommes partis des bonnes pratiques des associations où la prise en compte du mode de vie économique, social mais aussi de l'aspect loisirs davantage que compétitif va en partie attirer les jeunes filles vers la pratique sportive. Puis la valorisation d'elles-mêmes qu'elles retirent de cette pratique va les amener souvent à s'impliquer à un autre niveau dans la structure. C'est en effet beaucoup plus facile, une fois qu'elles sont dans une structure dans laquelle elles se sentent reconnues, de les impliquer dans des missions ou des rôles à responsabilité. Cette journée souligne l'importance de prendre en compte le mode de vie des jeunes filles dans les quartiers et celle de l'encadrement : plus les encadrants de sexe féminin sont nombreux, plus on attirera de jeunes filles et la pratique sportive se trouvera davantage axée sur le loisir que la compétition, elle sera davantage un espace de partage, de convivialité. Je ne veux pas reléguer simplement les filles dans le côté loisirs de la pratique mais c'est un versant qu'il faut prendre en compte, tant au niveau des structures que des équipements, qu'il faut peut-être repenser pour faciliter la pratique féminine ou celle d'autres publics.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Si je peux me permettre, pensez-vous que cela assure mieux pour l'avenir la place et le rôle de la femme dans ces sociétés telles qu'elles existent aujourd'hui dans les quartiers, en leur permettant un accès et en les accompagnant vers la pratique sportive ?
Pour avoir introduit en son temps le sport à l'université, le vieil adage « Mens sana in corpore sano » me semble toujours d'actualité. Et pour la société, valoriser davantage la place de la femme, de la fille, dans la pratique sportive aiderait peut-être leur prise de responsabilité et la mise en évidence de leur notoriété et de leurs mérites.
Mme Aurélie COMETTI - Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous. Des jeunes filles qui ne trouvaient pas d'espace d'expression en ont trouvé un dans le sport, puis, la reconnaissance de l'association, du quartier, et parfois de l'institution, leur a offert une porte d'entrée, une assise dans la société. C'est le cas également pour d'autres publics.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - A partir de ces exemples, ces pratiques, ces mises en relation, l'agence de l'éducation par le sport s'est-elle interrogée sur l'idée de consolider, voire de pérenniser du lien entre les associations sportives aidées par l'agence et les établissements scolaires ? Je pense aux contrats éducatifs locaux, à ces dispositifs qui existent. En vous écoutant, je me souviens de jeunes absolument insupportables à l'école dont le comportement s'est amélioré parce qu'ils s'étaient mobilisés sur une pratique sportive mais aussi parce qu'ils s'étaient identifiés à un jeune sportif qu'ils admiraient. Avez-vous réfléchi à la question de ce lien entre associations et écoles et si oui, quelles sont vos pistes ?
Mme Aurélie COMETTI - Nous, le constat que nous faisons déjà, c'est qu'il y a une méconnaissance des différents milieux, des différents dispositifs et nous souhaitons expérimenter la mise en relation de ces différents acteurs afin qu'ils travaillent mieux ensemble et utilisent le sport dans le même sens. Un exemple : une étude sur l'impact social des clubs dans les quartiers est menée avec la délégation interministérielle à la ville, avec six laboratoires de recherche. L'étude de plusieurs clubs a révélé que ceux qui attirent le plus les jeunes méconnaissent la politique de la ville, et que les institutions ne les connaissent pas non plus. Quand nous leur avons proposé d'organiser un rendez-vous, ne serait-ce qu'avec une personne de la ville, les associations ont été valorisées et ont retrouvé un dynamisme à travers cet échange et, de l'autre côté, une dynamique s'est mise en place dans les quartiers. Il y a donc un défaut d'information sur lequel il faudrait travailler, tant au niveau des écoles que des clubs, des villes, des institutions, etc. Il s'agit de ne plus segmenter le travail mais d'avoir une approche plus transversale, notamment dans la connaissance des uns et des autres.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Bien. Merci beaucoup de nous avoir consacré tout ce temps et de contribuer à notre réflexion.
Audition de Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville
(14 avril 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Madame la secrétaire d'État, merci infiniment d'être venue jusqu'à nous pour nous aider dans notre réflexion. Cette mission s'est mise en place il y a peu de temps. Parallèlement au travail de Martin Hirsch, il nous semblait qu'il était intéressant que les sénateurs réfléchissent aussi aux problèmes de la jeunesse, qu'il n'y ait pas que l'exécutif qui se préoccupe de cette question. On souhaite terminer au minimum par un rapport étape à la fin mai, ce qui signifie que l'on s'est laissé très peu de temps. On a fait le choix de travailler sur la tranche 16-25 ans et l'on a également sérié les problèmes. Ni les âges ni les thèmes retenus ne sont exhaustifs mais nous nous sommes mis d'accord sur ce qui touche à l'emploi : c'est-à-dire orientation, formation, ainsi que l'autonomie des jeunes, autonomie financière et accès au logement et aussi sur les problèmes d'accès à la culture et la question de la citoyenneté. Ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les problèmes liés à l'emploi et à l'autonomie puisque le chômage des jeunes est l'un des plus élevé d'Europe ici en France. Ce chômage a connu une progression de 34 % en un an. On estime à 18 % à peu près les jeunes de 16 à 25 ans qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Ce qui nous touche également beaucoup, c'est ce sentiment de désespoir des jeunes qui pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. On voudrait vous entendre sur tout cela et sur tout ce que vous aurez envie de nous dire sachant que l'on se sent un peu frustré d'avoir laissé de côté les problèmes spécifiques des jeunes qui sont les plus en difficulté à savoir ceux qui sont concentrés dans les quartiers difficiles, dans les banlieues. Par souci d'efficacité, nous nous sommes limités à ce que je vous ai annoncé.
Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville - Madame la présidente, je voudrais d'abord vous remercier de votre invitation à cette commission qui est pour moi extrêmement importante. Ce qui va émaner de vos réflexions, de vos travaux, de vos pistes de travail, va être en réalité très important pour le devenir de notre pays. J'ai eu l'occasion de le déclarer : un pays qui ne parie pas sur sa jeunesse, qui ne sait pas faire confiance à sa jeunesse, un pays qui n'est pas capable de définir un vrai contrat de confiance avec sa jeunesse est un pays qui se meurt, qui ne se projette pas dans l'avenir, et surtout nous puisque notre pays est un pays vieillissant, un pays qui ne sera pas capable de briller sur la scène internationale ni européenne. Je suis ravie que l'on ait nommé Martin Hirsch Haut Commissaire à la Jeunesse parce que j'ai toujours affirmé, y compris dans mes anciennes fonctions, l'importance de cette visibilité politique. Cela montre aussi la détermination du politique.
Je me réjouis que le Président de la République ait nommé Martin Hirsch à cette fonction-là et je me réjouis également de l'existence de cette commission. Vous avez raison, ce n'est pas que l'exécutif qui doit penser et réfléchir et mettre en action. Il en va évidemment de la responsabilité de tous les élus. Et qui mieux que ceux qui ont une légitimité totale peuvent participer à l'élaboration d'une politique en direction de la jeunesse de notre pays. J'insisterai sur ce point : quand on parle de la jeunesse de notre pays, vous l'aurez compris, c'est dans toute sa diversité. Vous avez précisé que vous n'aviez pas accentué cette commission sur une jeunesse qui risque de payer le prix cher de l'impact de cette crise majeure que nous traversons dans les quartiers populaires. Mais ma présence ici prouve votre volonté d'entendre ce petit son de cloche, si je puis me permettre ce langage, parce que je crois qu'il est important, nécessaire, indispensable, j'en suis convaincue et je sais que certains d'entre vous partagent mon point de vue pour avoir eu l'occasion d'en discuter. Il en va aussi de la cohésion nationale de notre pays, vous l'aurez compris et donc en réalité, du fondement même du projet républicain.
Alors Madame la présidente et Mesdames et Messieurs les sénateurs si vous le permettez, je vais en réalité faire un vrai discours qui répondra aussi à un ensemble d'interrogations et qui mettra l'accent sur les jeunes des quartiers, des zones urbaines sensibles. Je n'oublie pas toute la jeunesse qui existe dans notre pays, tout particulièrement celle qui habite dans les zones rurales, mais j'ai la responsabilité dans ce gouvernement de m'occuper un peu plus particulièrement des zones urbaines sensibles et des gens qui y habitent, notamment les jeunes des quartiers populaires. Ce discours est un peu long mais il répond parfaitement, je dirai, à une volonté à la fois de diagnostic mais pas uniquement parce qu'il ne suffit pas de faire des diagnostics. Il faut aussi lancer de vraies perspectives. Vous savez que je m'inscris dans une dynamique. Ce n'est pas pour rien que je l'appelle « Espoir Banlieues, une dynamique pour la France ». Je crois qu'aujourd'hui, face à l'impact de la crise, il s'agit aussi d'avoir des discours positifs qui permettent d'aider ceux qui sont les plus fragiles en particulier dans nos quartiers. Il s'agit de s'inscrire aussi dans l'avenir.
Alors Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre aujourd'hui de vous parler d'un sujet qui me tient particulièrement à coeur, celui de notre jeunesse. Il est de notre responsabilité de prendre pleinement conscience au-delà des lieux communs que la jeunesse est l'avenir de notre pays. Elle nous aide à tracer de nouveaux sillons, à construire l'avenir et à anticiper les défis. Elle est le moteur mais aussi la condition du changement social. Elle est donc au coeur du projet républicain. Mais aujourd'hui notre jeunesse nous interpelle parce qu'elle est inquiète quant à son présent, inquiète quant à son devenir. Une jeunesse fragilisée et vulnérable face à la crise économique et sociale qui la frappe de plein fouet comme le montre l'aggravation du chômage des jeunes. Vous avez raison de rappeler les chiffres. Vous savez le gouvernement est fortement mobilisé en fonction des jeunes afin d'atténuer le plus possible les effets de cette crise et pour les accompagner vers la sortie de cette crise. Vous le savez le Président de la République présentera de nouvelles mesures en faveur de l'emploi des jeunes dès le 20 avril prochain. Donc je ne vais pas déplorer le discours et les annonces du Président de la République.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour élaborer une politique en direction de la jeunesse, il me semble important de bien savoir ce que l'on entend quand on parle de la jeunesse. La jeunesse ; c'est d'abord une classe d'âge homogène, qui a en commun des goûts, des habitudes, un langage et une même volonté de se projeter dans le monde. En France, on est jeune de 16 à 24 ans mais en réalité, on est jeune jusqu'à 30 ans. L'allongement des études, l'entrée tardive dans la vie active, les difficultés pour trouver un logement, tous ces facteurs font que l'on reste chez ses parents beaucoup plus tard qu'il y a quinze ou vingt ans. La grande dépendance, la grande précarité dans laquelle vit notre jeunesse est une autre caractéristique de l'époque actuelle. Les jeunes sont plus souvent qu'avant en CDD ou en intérim. Ils sont de plus en plus touchés par le chômage et sont en première dès que l'activité économique ralentit. Et nous le vivons actuellement. Les conditions de vie des jeunes sont en général beaucoup plus difficiles que pour les générations précédentes notamment en ce qui concerne l'accès au logement. Sans même envisager de devenir propriétaires, beaucoup de jeunes qui travaillent sont dans l'impossibilité de payer un loyer tous les mois malgré les efforts du gouvernement en particulier sur le plan de la caution. Nous sommes donc face à une situation extrêmement grave puisqu'un jeune sur cinq dans notre pays aujourd'hui vit en dessous du seuil de pauvreté, soit plus d'un million et demi de personnes.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, quand on regarde de près cette réalité sociale, on voit très nettement que la jeunesse n'est pas un groupe uniforme. Certains pensent la jeunesse dans une globalité en la considérant comme une classe sociale qui a besoin d'une réponse globale et uniforme et d'une politique publique globale mais la réalité nous montre que la jeunesse est hétérogène. La jeunesse est marquée par de fortes disparités sociales qui reflètent d'ailleurs les déséquilibres et les inégalités de notre société. Il n'y a donc pas une jeunesse à proprement parler. Il y a ceux qui sont privilégiés et il y a ceux qui ne le sont pas. Il y a ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Au premier rang de ceux qui n'ont pas ou pas suffisamment, il y a les jeunes des quartiers ou des banlieues en difficulté. Car ce sont dans les quartiers mais aussi dans les zones rurales que se concentre le chômage qui est en moyenne deux fois supérieur à la moyenne nationale et il touche en premier lieu les jeunes qu'ils soient ou non diplômés avec un taux de chômage de 30 %. Depuis un an dans les zones urbaines sensibles, le nombre de jeunes inscrits au chômage a progressé de plus de 50 % et a doublé pour les diplômés bac +3 ou plus et cela n'est pas tolérable.
C'est important de mobiliser la jeunesse mais face à cette crise économique sans précédent, il faut surtout apporter des réponses immédiates et concrètes et sur mesure à ces jeunes qui sont les plus fragilisés. Cela ne signifie pas que nous devons figer les jeunes dans une catégorie, celle de la jeunesse des quartiers défavorisés. Les jeunes des quartiers ont trop longtemps été laissés pour compte. Les habitants de ces territoires ont trop longtemps été assistés et cela dure depuis trop longtemps. Voilà pourquoi Mesdames et Messieurs, dans notre pays vieillissant, ce sont bien dans les quartiers populaires que se trouve la majorité de notre jeunesse et donc c'est là-bas que se trouve notre avenir. Ce que je constate à chacune de mes visites de terrain, c'est que ces quartiers regorgent de potentiel et de forces vives et je sais que nous sommes nombreux à partager cet avis. Les jeunes y font preuve plus qu'ailleurs de créativité et d'une certaine « niaque ».
Ils sont des consommateurs précurseurs, la moitié d'entre eux veut créer sa propre entreprise. Bref les jeunes des quartiers sont des acteurs dont notre pays ne peut pas se passer. Au siècle dernier, les habitants de nos quartiers et banlieues populaires ont été les forces vives de la Nation. Ils ont porté la croissance à bout de bras. Ils ont permis à la France de se relever des guerres, de la crise et de construire les Trente Glorieuses. Les jeunes des quartiers sont aujourd'hui porteurs du même potentiel, du même espoir pour notre pays pour peu que l'on remette en route l'ascenseur social, pour peu que l'on puisse poursuivre la lutte contre les discriminations et que l'on renforce le projet républicain. C'est tout le sens des déclarations du Président de la République sur la promotion de la diversité sociale. Il veut que les quartiers et les banlieues deviennent le vivier des compétences et l'élite de la France de demain. Car comme il l'a déclaré avec force, je cite « un pays qui recrute ses élites dans 10 % de la population, c'est tout simplement un pays qui se prive de 90 % de son intelligence ». C'est comme si la France ne comptait plus que six millions d'habitants. Il ne s'agit en aucun cas de faire l'aumône ou la charité.
Nous devons donner aux jeunes des outils pour les aider à prendre leur place, s'émanciper et construire leur avenir. Cela ne pourra passer que par l'éducation, cela passera par la formation, cela passera par l'apprentissage et cela passera par le travail. Mesdames et Messieurs, je voudrais le réaffirmer avec force aujourd'hui devant vous, la cohésion nationale et l'avenir du projet républicain se joue aussi dans nos quartiers populaires. La politique de la ville est donc une politique d'intérêt général qui relève de la responsabilité de tous. C'est pour cette raison, qu'elle est par essence interministérielle, partenariale et contractuelle. Je vous rappelle que chaque ministre doit désormais rendre des comptes sur l'avancement de ces programmes triennaux en faveur des quartiers tous les trimestres dans le cadre du comité interministériel des villes. Il n'est pas question que l'on laisse l'entière responsabilité des quartiers chocs à l'État alors que les quartiers chics seraient l'apanage des élus. C'est pour cette raison, qu'une des premières batailles que j'ai engagées à mon arrivée au gouvernement est la réforme de la péréquation en direction des collectivités territoriales pour donner aux villes les moyens de mener cette politique. C'est également le sens de la réforme de la géographie prioritaire qui concentre les moyens de l'État en direction des territoires qui en ont le plus besoin pour traduire dans les faits la volonté du Président de la République qui est de « donner plus à ceux qui ont moins ». C'est cette recherche de même efficacité qui nous animera chacun de notre côté pour élaborer la nouvelle génération des contrats urbains de cohésion sociale. Ce sont des dispositifs qui devront être élaborés avec tous les services de l'État et les collectivités territoriales autour des zones urbaines sensibles rénovées. Des contrats dont je souhaite étendre la durée pour donner à l'ensemble des partenaires de la politique de la ville une vision à moyen terme. Les quartiers populaires sont donc au coeur du projet républicain. Au coeur de ces quartiers, la jeunesse est l'acteur principal de la transformation sociale. C'est elle qui changera la donne.
Nous devons également travailler en particulier en direction des jeunes filles et des femmes et ce n'est pas étonnant que ce soit moi qui vous le dise. Les jeunes filles et les femmes sont souvent victimes de comportements archaïques, intolérables qui traduisent l'affaiblissement du projet républicain. Je vous rappelle juste les actes barbares qui existent encore dans notre pays, même si les médias n'en parlent pas. Que ce soient des questions de viols collectifs, que ce soit aussi la démultiplication du port du voile, il existe encore des violences de ce type en France. Nous devons remettre absolument les femmes au coeur du dispositif. Elles sont le meilleur acteur d'intégration et la force motrice du changement social. C'est pour cela qu'avec Nadine Morano, nous avons lancé un appel à projets de 30 millions d'euros auprès des associations et des mères pour favoriser les modes de gardes d'enfants innovants afin que les femmes des quartiers populaires puissent travailler. Ce qui permettrait en réalité de donner une certaine mobilité à ces femmes afin qu'elles puissent aller chercher du travail et ce notamment pour les filles de moins de trente ans.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous devons donc concentrer tous nos efforts pour renforcer l'autonomie des jeunes. La véritable autonomie pour les jeunes des quartiers est de pouvoir accéder à une formation et à un emploi stable, être mobile et ambitieux par rapport à leur avenir. La véritable autonomie est d'associer formation et activité de manière durable. Nous ne devons plus laisser les jeunes livrés à eux-mêmes dans un total désoeuvrement qui peut conduire au cercle vicieux de la délinquance. J'ai l'habitude de donner comme métaphore la suivante : les jeunes qui tiennent les cages d'escaliers et qui portent les casquettes à l'envers. C'est bien simple, un jeune doit être soit en activité soit en formation. C'est tout le sens de ce que j'ai appelé à une époque le « plan anti-glandouille ». L'autonomie des jeunes, j'en suis convaincue, passe avant tout par une formation et un emploi. La dynamique Espoir Banlieue consiste justement à cibler ses territoires et ces habitants dans des dispositifs de droits communs. Et quand tous les acteurs s'investissent, cela marche.
En janvier 2009, près de 420 000 jeunes sont en contrat d'apprentissage et 180 000 en contrat de professionnalisation. Et les taux d'insertion après un emploi en alternance sont bons. Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous présenter quelques éléments du bilan de la dynamique « Espoir Banlieue » dans le domaine de l'emploi. Je vous le disais, beaucoup de jeunes des quartiers veulent créer leur entreprise, c'est pour cela que nous avons initié en faveur de la création d'entreprise des guichets uniques d'accompagnement et des prêts à taux zéro. Avec Laurent Wauquiez, nous avons initié un dispositif novateur en faveur de l'emploi que nous avons appelé le contrat d'autonomie qui propose un accompagnement renforcé et personnalisé des jeunes des quartiers prioritaires vers l'emploi, la formation ou la création d'entreprise. Près de 1 507 jeunes ont à ce jour signé ce contrat d'autonomie. Donc un chiffre plus important que celui qui a circulé. Et nous mettrons tout en oeuvre pour atteindre nos objectifs de 45 000 contrats d'ici fin 2011 et assurer une sortie positive après la période de coaching. Nous travaillons en partenariat avec les entreprises signataires de l'engagement des entreprises pour l'emploi des jeunes. Une démarche que nous avons lancée avec Christine Lagarde : 86 entreprises et fédérations professionnelles ont déjà engagé des jeunes de moins de 26 ans issus des quartiers prioritaires. En 2008, 11 500 jeunes ont déjà signé un CDD de plus de six mois ou un CDI et 3 600 jeunes ont décroché un stage ou un contrat d'alternance. Les entreprises signataires prévoient d'ors et déjà la création de plus de 40 000 emplois d'ici 2010.
Lorsque nous avons signé l'engagement avec les grandes entreprises de notre pays, toutes se sont engagées à respecter les pourcentages des effectifs d'embauche des jeunes des quartiers populaires. Normalement, les chefs d'entreprise se sont engagés depuis trois ans à respecter les promesses qu'ils nous ont faites. Je remercie évidemment les chefs d'entreprise qui sont très satisfaits de cette expérience et qui se sont engagés à maintenir leurs objectifs sur 2009 et 2010 malgré la crise, en étant conscients de leur responsabilité accrue dans cette période difficile. Mais en complément de ces dispositifs qui ont été conçus en période de croissance, je vous le rappelle, nous devons aujourd'hui flécher au mieux l'ensemble des dispositifs mis en place par le gouvernement en faveur de l'emploi pour faire face à la crise en direction des jeunes des quartiers. Je veux surtout parler, vous l'aurez compris, des 320 000 contrats aidés, de la mise en place du RSA, de la généralisation du contrat civique pour les jeunes de 18 à 25 ans, conformément aux souhaits du Président de la République. Je parle aussi de l'extension du contrat de transition professionnelle et de tous les effets de la réforme actuelle de la formation professionnelle. Aux côtés de Brice Hortefeux, nous avons fait des propositions au Président de la République en ce sens. En ce qui concerne les contrats aidés, l'intérim et le développement des actions de parrainage et de tutorats des jeunes en entreprise, nous devons également réfléchir à la pertinence des contrats aidés uniques pour éviter l'empilement des mesures. Nous sommes au stade de réflexion mais peut-être effectivement face à la démultiplication des différents dispositifs, faudrait-il créer un seul et unique dispositif. Ce contrat constituerait une réponse simple fondée sur les critères des territoires en difficulté et des situations individuelles de chômage. Vous le savez la rénovation urbaine a été placée au coeur du plan de relance également en tant qu'instrument efficace de dynamisation économique des quartiers et de création d'emploi à travers des clauses d'insertion dont bénéficient les publics les plus en difficulté vivants à proximité des chantiers. Toujours dans le cadre du plan de relance, nous avons développé un partenariat avec Nadine Morano et Valérie Létard pour orienter les jeunes de quartiers vers les emplois de services à la personne qui sont un vrai terreau d'emploi. Je continuerai aussi à me battre, vous l'aurez compris, pour que ce plan de relance bénéficie aux jeunes des quartiers populaires.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, la crise qui frappe aujourd'hui notre pays est aussi une opportunité pour aller de l'avant. Elle nous permet aussi de repenser le fonctionnement de notre économie et de notre société. Je me réjouis donc en particulier de la prise de conscience des entreprises qui ont compris que la diversité, et nous sommes là au coeur de certains débats, n'est plus un obstacle mais un atout social et économique, une force pour répondre à la diversité des marchés et partir à leur conquête. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet à plusieurs reprises et je le répète avec fermeté, je suis totalement opposée au principe de discrimination positive. Lorsque je discute avec les habitants des quartiers, je constate qu'ils ne réclament pas le droit à la différence mais au contraire, un droit à l'égalité. Le vrai débat, c'est la réduction des inégalités sociales qui sont encore criantes et non la promotion de la diversité pour la diversité. En réalité, cela représente pour moi un leurre. Le véritable défi de notre société est de permettre la promotion des enfants d'ouvriers dans les entreprises, en politique. Ce qui entraînera automatiquement une plus grande diversité dans la société. Mais je suis convaincue que les plus grands dangers résident dans ce discours de discrimination positive. Cette politique qui tend à privilégier des catégories de population sur des critères ethniques menace dangereusement le projet républicain. Le Président de la République dans son discours prononcé à l'École Polytechnique a fait son choix. Lorsqu'il dit que c'est par le critère social qu'il faut prendre le problème parce que les inégalités sociales, vous l'aurez compris, englobent toutes les autres. Dans le monde de l'entreprise, je soutiens les mesures incitatives qui permettent d'accompagner un changement des mentalités. Il existe déjà des mesures plus contraignantes mais qui ne sont pas fondées sur une approche ethnique comme le label de la diversité qui permet de mesurer le « process » de l'entreprise en faveur de toutes les formes de diversité quelles soient liées au sexe, à l'âge, au handicap. J'ai également apporté mon soutien au tour de France en faveur de la charte de la diversité aux côtés de Claude Bébéar.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, la grande priorité de la dynamique « Espoir Banlieue » qui me tient à coeur est l'éducation. Ce n'est pas pour rien qu'il nous a aussi parlé de l'éducation. Parce que la responsabilité de l'action publique est d'offrir à tous les mêmes chances de réussir et d'agir sur l'ensemble des points de fragilité tout au long du parcours de chacun. De l'école maternelle jusqu'au marché du travail, nous devons veiller à la bonne articulation de l'emploi avec la formation et l'éducation. Mon objectif en la matière est l'excellence scolaire et la réussite éducative. Sur l'année scolaire 2007-2008, le programme de réussite éducative qui mobilise une enveloppe de 90 millions d'euros sur les crédits de la politique de la ville, a permis d'aider individuellement plus de 130 000 enfants et jeunes des quartiers populaires. Les actions de soutien scolaire pendant les vacances ont été mises en place dans 200 lycées généraux et technologiques et professionnels depuis août 2008. Les internats d'excellence ont déjà accueilli 1 250 jeunes issus des quartiers populaires qui bénéficient d'un accompagnement éducatif renforcé. Afin de renforcer ce dispositif, notamment pour atteindre l'objectif fixé par le Président de la République, c'est-à-dire 30 % d'élèves boursiers en classes préparatoires, nous lançons dans les prochains jours, un plan national sur les internats d'excellence avec Xavier Darcos. Nous travaillons notamment à des propositions pour améliorer l'encadrement éducatif des internats. L'État a également un rôle moteur pour lever les contraintes foncières qui permettront la construction ou la rénovation d'internat en région parisienne.
L'objectif est d'accueillir 2 500 jeunes pour 2010 et 4 000 en 2012. Les 100 premières cordées de la réussite ont été lancées avec Valérie Pécresse en 2008 et 20 nouvelles cordées seront labellisées en 2009. Elles permettent d'accompagner les lycéens des quartiers prioritaires vers l'enseignement supérieur d'excellence : les grandes écoles, les universités ou les classes préparatoires aux grandes écoles via des actions de tutorat. Afin d'accompagner l'entrée dans le monde du travail, nous devons aussi travailler à une meilleure orientation des élèves et ce dès le plus jeune âge. La pratique du stage permet à un jeune en formation d'acquérir une expérience professionnelle. Si je condamne les pratiques de certaines entreprises qui exploitent ce filon pour embaucher à moindre coût, mon objectif est de lutter contre le chômage des jeunes. Cela passe par un resserrement des liens entre la formation initiale, la formation continue et les entreprises. Des banques de stage ont été mises en place dans quatorze académies pour aider les élèves à trouver un stage. Elles seront généralisées à tout le territoire à la rentrée 2009. Pourquoi avons-nous mis en place ces banques de stage ? Beaucoup d'entre nous le savent, beaucoup de jeunes qui cherchent un stage dès la troisième, pour connaître tout simplement le monde de l'entreprise, bloquent sur le fait qu'ils n'ont pas de réseaux, qu'ils n'ont pas de moyens ou qu'ils habitent à une mauvaise adresse. Lorsqu'ils sont face à ce mur, à ces formes de discrimination, ils n'arrivent pas à trouver de stage. De ce fait, la première relation avec le monde de l'entreprise est souvent malheureusement une situation de choc. En conséquence, il y a une sorte de radicalité qui s'instaure avec l'entreprise qui est très mal vécue dans les quartiers populaires et notamment par la jeunesse. J'ai demandé la mise en place de ces banques de stages qui permettent de fluidifier, de mettre en situation de stage sans que l'on connaisse le jeune tout simplement sur les besoins précis de l'entreprise. Cela permet de mettre le jeune en lien direct avec l'entreprise sans que l'on sache ni son adresse, ni son nom, ni son sexe et autre.
Le contrat de professionnalisation et l'apprentissage, la formation en alternance sont les solutions à développer comme l'a souligné Martin Hirsch. Vous le savez, dans son discours prononcé à Saint-Quentin, le Président de la République s'est engagé à développer l'alternance qui est la clé de l'insertion professionnelle en doublant d'ici 2010 le nombre de jeunes en formation en alternance. Mais quand la première chance n'a pas pu être saisie, nous devons lutter contre le décrochage scolaire et développer les dispositifs deuxième chance car il est insupportable que 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification ni diplôme. Je veux pouvoir donner une deuxième chance à toute cette jeunesse. En 2008, les centres défense deuxième chance de l'EPIDe, l'établissement publique d'insertion de la défense dont j'ai la tutelle aux côtés des ministères de la Défense et de l'emploi, ont accueillis plus de 2 000 jeunes volontaires âgés de 18 à 22 ans sans qualification ni emploi, avec un risque de marginalisation dont 30 % issus des quartiers prioritaires. Je souhaite atteindre les 50 % d'ici 2011. Les écoles de la deuxième chance ont quant à elles accueilli plus de 4 700 jeunes sans diplôme ni qualification dans 43 sites et écoles situés dans 25 départements. Il faut savoir que plus de 50 % de ces jeunes proviennent des quartiers populaires. En 2009, nous avons fixé l'objectif de 6 000 élèves grâce à la création de 20 à 25 sites et écoles supplémentaires répartis dans 40 départements et 18 régions. Je m'engage devant vous à réaliser cet objectif et à aller au-delà en 2010. Mais vous aurez bien compris qu'il s'agit, en ce qui concerne les écoles de la deuxième chance d'avoir un développement totalement maîtrisé. Il ne s'agit pas de développer ces écoles de la deuxième chance n'importe quand et n'importe où.
Une commission de labellisation des écoles sera mise en place très prochainement pour garantir la qualité de la formation conformément à la charte des réseaux des écoles deuxième chance. Je veux faire de l'année 2009 l'année de la deuxième chance et de la lutte contre le décrochage scolaire en trouvant des solutions aux contraintes de financement et d'implantations foncières et immobilières afin de multiplier la capacité d'accueil des jeunes en formation. On connaît tous le problème de développement pour les écoles de la deuxième chance. Les pistes de travail et les réflexions sont là pour nous apporter des solutions.
Par ailleurs avec Xavier Darcos, nous avons impulsé une mission pour renforcer l'ensemble des dispositifs de deuxième chance. En 2009, je souhaiterais mettre en place une commission pour explorer la façon dont nous pourrions articuler davantage les dispositifs de deuxième chance aux bassins d'emploi afin de donner de vraies réponses en termes d'insertion. Nous devons également traiter le problème à la source et repérer le plus tôt possible les éventuels décrocheurs. Au début 2009, nous avons mis en place dans chacun des 215 quartiers prioritaires une instance locale de lutte contre le décrochage scolaire pilotée par le préfet et l'inspection d'académie et ce avec la participation des délégués du préfet. Ces conventions permettent la mise en place de tutorats ou de parrainages sociaux pour accompagner individuellement chaque jeune décrocheur. Des actions de sensibilisation seront également menées : portail Internet et journée nationale sur la prévention et la lutte contre le décrochage scolaire. Notre catastrophe est celle-ci, nous avons des jeunes de 14 ans qui sont déjà en situation de décrochage scolaire que nous retrouvons par ailleurs et comme par hasard soit dans les cages d'escaliers, soit dans les économies parallèles. Nous avons un souci majeur : faire en sorte de mettre en place ce fameux dispositif qui permette de les remettre dans le cursus scolaire. Un bilan d'étape du dispositif local de prévention du décrochage et d'accompagnement des jeunes décrocheurs doit paraître en juillet 2009. Dans le même esprit, 5 000 postes de médiateurs de réussite scolaire ont été créés le mois dernier dans les collèges et lycées en partenariat avec l'éducation nationale dans le cadre des contrats aidés. Leur rôle est de lutter contre les premiers signes de l'absentéisme dès la sixième en tissant des liens avec les familles et les établissements scolaires pour anticiper le décrochage.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous devons être encore plus offensifs sur la question de l'emploi des jeunes et multiplier rapidement des dispositifs ciblés et efficaces. Ces mesures de sécurisation des parcours, au-delà d'un traitement social du chômage, devront être conçues pour faire face à la situation actuelle tout en préparant la sortie de crise par un renforcement des actions de formation. Nous devons soutenir davantage les jeunes des quartiers pour amortir le choc de la crise économique afin de rebondir et d'aborder la sortie de crise dans les meilleures conditions. L'autonomie des jeunes et notamment ceux des quartiers populaires ne demandent qu'à se réaliser. Les études montrent que la volonté de créer son entreprise est deux fois plus forte dans les zones urbaines sensibles que dans le reste du pays. C'est dire si des énergies sont disponibles pour créer de la richesse et dynamiser notre économie. Une chose est sûre : les jeunes des quartiers qui ont eu des difficultés pour intégrer le monde de l'entreprise ont tellement envie de s'en sortir qu'ils en ressortent deux à trois fois plus compétitifs. C'est en cela que je suis convaincue que la relance économique, que nous appelons de nos voeux, viendra évidemment aussi des quartiers ou ne viendra pas. Ce doit être l'occasion pour nous de modifier fondamentalement les fondements de notre société qui produit, vous le savez, trop d'inégalités et trop de discriminations. La crise ne doit pas être un handicap mais au contraire une formidable opportunité pour reconstruire et corriger les déséquilibres. Il faut transformer les contraintes en opportunités. Nous ne sommes pas dans un discours défaitiste mais au contraire nous sommes dans un discours totalement optimiste dans le sens où nous savons que les enjeux qui concernent notre pays, que ce soit d'un point de vue économique ou social, sont d'abord et avant tout dans nos quartiers populaires et dans notre capacité à nous politiques, à pouvoir créer ce fameux contrat de confiance avec la jeunesse dans toute sa diversité notamment la jeunesse des quartiers populaires pour qu'ensemble, nous puissions construire ce fameux projet républicain, ce projet de la France qui sera porté par l'ensemble de ces citoyens.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Madame la Ministre, j'aime bien votre discours offensif et plein d'optimisme. Quand vous dites qu'il est nécessaire de s'occuper des jeunes qui sont en difficulté, chacun ici et j'en suis intimement persuadé, partage ce choix que vous faites. Lorsque vous dites qu'il y a beaucoup d'énergie dans ces quartiers, on pense aux talents des cités, organisés dans le cadre du sénat. On voit dans l'hémicycle des jeunes qui ont la niaque, qui ont envie de s'en sortir. Ceux-là, Madame la Ministre, vous avez raison, il faut absolument les aider. Et je constate à travers le nombre de mesures que vous avez énumérées dans le descriptif que vous avez fait, vous avez supprimé. Vous avez répondu par anticipation à un certain nombre de questions que j'avais prévues, notamment concernant les questions sur le décrochage scolaire, l'alternance, le dispositif deuxième chance, la labellisation des écoles. Tout cela va évidemment dans le bon sens. Il me reste quand même deux ou trois questions Madame la Ministre. Concernant les contrats urbains de cohésion sociale, ce sont des contrats qui ont prouvé leur efficacité notamment les ateliers santé villes, envisagez-vous de les pérenniser ou de les renforcer ? Ou les deux ? Est-ce que vous pourriez également nous rappeler les modalités de la mise en oeuvre du contrat d'autonomie ? Si j'ai bien compris, ce contrat d'autonomie vous a peu déçue. Si j'ai bien lu, vous en aviez prévu un nombre plus important et les chiffres étaient largement en dessous de ce que vous espériez. Est-ce que vous avez fait l'analyse de ce relatif échec, je dis bien très relatif ? Est-ce que vous envisagez de l'adapter, ou de le modifier ou de le faire évoluer ?
Concernant les emplois jeunes et les contrats aidés, nous avons auditionné un certain nombre de personnes et nous nous orientons vers une suggestion qui serait des contrats aidés au-delà du privé, dans les collectivités territoriales. Nous nous sommes aperçus qu'avec les contrats aidés que nous avions à l'heure actuelle, on pouvait prendre des jeunes en très grande difficulté, qui étaient intégrés dans la collectivité, qui étaient encadrés par des maîtres d'apprentissage en tous les cas avec des professionnels de grande qualité, les collectivités les amenant à un certain niveau d'éducation et de connaissance pouvaient les orienter ensuite vers une formation professionnelle vers la chambre de métiers ou de commerce bien entendu avec un objectif de professionnalisation et de pouvoir ensuite les intégrer dans le monde professionnel. Je voulais savoir si pour les contrats aidés que vous avez déjà beaucoup aidés et favorisés, vous imaginiez d'en augmenter le nombre dans le cadre de ce que je viens d'évoquer, c'est-à-dire les contrats aidés dans les collectivités territoriales ? Un autre point concernant la discrimination. Est-ce que vous pensez qu'il faut des quotas, qu'il faut contraindre avec la discrimination positive ou faut-il plutôt s'orienter vers des mesures incitatives ? Autre question, concernant les stages, j'ai bien noté la banque que vous vouliez mettre en place, la question que nous nous posons, est relative aux stages qui se font après la formation. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que ces stages doivent être supprimés et être intégrés dans le cadre de la formation ? Enfin, j'aurais aimé que vous nous parliez d'autonomie, de l'allocation autonomie des jeunes. Pensez-vous que c'est quelque chose d'utile, quelque chose à généraliser ? Est-ce que cette allocation doit être liée aux ressources de la famille ? Ou doit-on la donner à chaque jeune ? Voilà les quelques questions que je voulais vous poser Madame la Ministre.
Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville - En ce qui concerne les Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), il faudrait que je vous explique mon projet quand j'ai intégré le gouvernement pour élaborer la dynamique Espoir Banlieue. Ce qui est important et c'est cela qui a pris du temps au départ, concerne notre volonté de construire une politique de la ville sur mesure, qui colle à la réalité des besoins et des territoires et qui correspondent aux gens qui habitent ces territoires. Je n'ai jamais pensé qu'un énième plan Banlieue avec quatre « mesurettes » allait répondre à l'ampleur des besoins de ces quartiers prioritaires. C'est pour cela que nous avons d'abord organisé les concertations, parce que nous le savons tous ici, si les gens ne sont pas acteurs, ils subissent et par conséquent ils entretiennent une relation très particulière aux politiques que l'on peut mettre en place. Vous le savez, je suis issue d'un quartier qui est une zone urbaine sensible depuis très longtemps et qui l'est toujours et ce à mon grand regret. J'ai toujours vécu toutes les politiques qui ont été mises en place d'en haut. Nous avons toujours subi les politiques qui ont été mises en place. Je ne dis pas qu'elles n'étaient pas terribles, il y avait des choses très bien qu'il faut souligner, que ce soit de la part des gouvernements de droite ou de gauche. Il y en a d'autres qui laissent davantage à désirer.
Mais une chose est sûre, j'en suis convaincue, on a raté un rendez-vous que je juge important. On n'a pas été chercher le citoyen qui habite ces territoires-là pour qu'il participe à la rédaction des politiques que nous devons mener en sa faveur. Lorsque l'on a organisé les concertations territoriales que certains appellent démocratie de proximité, l'idée pour moi était de faire participer les gens. La question de la citoyenneté active est importante. Au moment de ces concertations territoriales, il y a eu beaucoup de personnes qui ont participé à l'élaboration de la dynamique Espoir Banlieue. Je vous dis cela parce que c'est aussi une manière de casser un sentiment de désespérance qui existe dans nos banlieues. C'est aussi une manière de faire en sorte que l'appropriation des choses, que la participation les rende plus actifs, plus productifs. On n'est pas dans une posture victimaire, pour être très claire, mais dans une posture de consommateur.
Vous savez, je ne suis pas très attachée à des politiques d'assistanat qui perdurent dans le temps. Je crois qu'il faut mettre au centre le citoyen et le faire participer à ces politiques de justice sociale. C'est cela qui peut aider à la réduction des inégalités sociales et qu'il faut favoriser. Le citoyen doit être actif de ces politiques-là aussi. Je ne suis pas attachée aux politiques d'assistanat parce que je crois que c'est cela qui tue la dignité de l'individu et nous l'avons trop vécu dans les quartiers. Pourquoi est ce que je vous dis cela ? Parce que nous sommes arrivés à une période où la philosophie de la politique de la ville aujourd'hui telle que je la pense et que je la conçois est différente de ce qui a été mis en place. Il se trouve que nous avons un rendez-vous législatif, c'est la loi qui nous le dit, les CUCS sont à réviser. Dans le cadre des CUCS, je suis convaincue d'une chose, cela figure aussi dans le rapport du sénat, de la Cour des comptes et d'autres rapports existants sur la politique de la ville, nous devons penser une nouvelle forme de contractualisation qui permette de donner de la visibilité à la politique de la ville, de la rendre plus accessible, plus simple, et surtout, dans la durée, d'avoir une certaine cohérence. Oui, il y aura la révision des CUCS. Oui, ils seront reconduits. Je suis favorable au prolongement de la durée des CUCS parce que je vous rappelle qu'il faut que cela colle au temps pris pour une rénovation urbaine. Cela me paraît logique et c'est comme cela que j'ai voulu construire ma politique de la ville avec à la fois de la rénovation urbaine et de la rénovation sociale. Ces rénovations doivent avoir lieu en même temps. On cible à peu près cinq ans pour rénover un quartier. Je pense que les contrats urbains de cohésion sociale doivent aussi perdurer cinq ans de manière à ce qu'il y ait une certaine cohérence des politiques entre les deux formes d'intervention dans les quartiers.
Et dans les CUCS, je pense qu'il faut que tous les partenaires soient au centre de la table et c'est dans ce sens que nous irons. Cela me paraît légitime. Je vous en cite un par exemple : il me paraît logique que l'éducation soit représentée et qu'elle ne soit plus une sorte de neutron libre face à un certain ensemble de choses. Vous savez que l'axe éducatif est très important dans la dynamique Espoir Banlieue et que l'on parie beaucoup sur l'éducation pour aider à la promotion des enfants d'ouvriers etc. Je pense que l'éducation a toute sa place sur la table des CUCS et je crois que l'éducation nationale doit être représentée afin que tous les acteurs travaillent dans le même sens, avec les mêmes objectifs. Cela ne peut pas se concevoir sans les représentants de l'éducation nationale. On ne peut pas travailler dispatchés et éclatés les uns et les autres. Les CUCS vont être renouvelés, ils vont être un peu plus nombreux, et l'on va recentrer les thèmes. Nous en profitons aussi parce que vous le savez, nous sommes en pleine révision de la géographie prioritaire, nous avons lancé un livre vert. Les préfets organisent autour de ce livre vert la concertation la plus large possible. Il s'agit de poser le principe souhaité par le Président de la République, d'aider davantage les territoires en grande difficulté. La réforme de la géographie telle qu'elle a été lancée actuellement dans la concertation doit nous donner la méthodologie. Ensuite, nous verrons avec les grands élus, les associations de représentants d'élus de quelle façon la nouvelle géographie prioritaire se redessinera en fonction de ce que nous aurons comme résultat.
En ce qui concerne le contrat d'autonomie, 45 000 contrats signés sont prévus pour 2011. Nous maintiendrons le chiffre des 45 000. Ce que je voudrais dire sur les contrats d'autonomie, c'est que cette mesure répond totalement à des besoins précis dans nos quartiers. Vous savez qu'il y a ceux qui sont très éloignés de l'emploi et qui tiennent les cages d'escaliers, ceux qui n'ont pas de formation etc., pour eux il y a des contrats spécifiques qui sont encadrés par les agents de la mission locale qui font d'ailleurs un travail formidable. Il y a des jeunes qui ont besoin d'un suivi social plus important. Les contrats existent. C'est bien que la mission locale continue à remplir son rôle. Mais j'ai souhaité mettre en place les contrats autonomie parce que nous avons des jeunes qui n'ont pas de qualifications, qui sont éloignés de l'emploi, qui ne sont inscrits nulle part mais qui ont besoin d'un vrai travail de coaching. On parie sur la valorisation de l'image de soi. Ils ont besoin d'avoir un coup de pouce pour bénéficier d'une sorte de tremplin qui les aidera à rentrer tout de suite dans une formation, à avoir des qualification, ou les aider à trouver un emploi plus directement. Les contrats d'autonomie répondent à un besoin spécifique, et s'adressent aux 80 000 jeunes qui échappent à tous les maillages, nous savons qu'ils ne sont ni inscrits à l'ANPE ni aux missions locales, mais aussi aux jeunes inscrits dans ces missions locales, qui ont de grosses difficultés pour trouver un emploi pour des raisons diverses.
Le contrat d'autonomie a eu du mal à démarrer. Pourquoi ? Parce que nous l'avons lancé au mois de juin, et quand nous avons lancé l'appel à candidatures, il y avait un cahier des charges etc., il y avait une sorte de circuit administratif qu'il nous fallait respecter. J'ai eu la prétention de croire que l'on pouvait faire très vite. Et en fait, non, ce qui a fait que cela a retardé le démarrage. Mais le rythme aujourd'hui est totalement maîtrisé. Au 31 décembre, nous étions à 3 083 contrats signés, au 16 mars, nous sommes à plus de 5 698 contrats signés. Nous avons atteint le rythme de croisière. La crise n'empêche pas la signature de contrat d'autonomie. Elle a des difficultés sur la sortie positive. C'est pour cela que nous faisons un travail spécifique avec l'engagement des grandes entreprises, des petites et moyennes entreprises qui ont localement signé cet engagement avec nous parce que c'est là qu'il y a le terreau d'emploi. Nous mettons en lien tout cela de manière à ce qu'après le coaching et la mise en situation afin qu'il y ait une sortie positive vers un emploi. On travaille donc cette mise en lien.
Concernant les contrats aidés, le Président de la République l'a annoncé, il y avait déjà 230 000 contrats existants, nous avons rajouté 100 000 contrats aidés. Je suis partagée. Je me souviens quand nous avions mis en place les emplois jeunes, je faisais partie des gens qui disaient que c'était très bien parce que cela permettait à des gens de sortir des statistiques du chômage. Mais en termes de résultats après cinq ans, il était difficile pour beaucoup d'associations par exemple de pérenniser les emplois. C'est un vrai souci sur lequel nous sommes en train de travailler. Je le vois aussi par ailleurs par rapport aux adultes relais qui sont totalement dans le cadre de la politique de la ville, qui sont en contrats aidés aussi qui bénéficient aux personnes de moins de trente ans. Au bout de deux reconductions de convention de trois ans, beaucoup de femmes parce que ce sont souvent des femmes qui signent ces contrats-là, ont des difficultés à trouver un emploi. Nous sommes en train de réfléchir à la possibilité en cette période transitoire de pouvoir pérenniser le temps de la crise pour que l'on aide vraiment à la sortie réelle et concrète de ces personnes qui bénéficient de ces types de contrat. Je dis que je suis dubitative parce que je pense qu'en période de crise évidemment il faut plus de contrats aidés mais en même temps je ne voudrais pas casser une certaine dynamique qui existe. Je suis convaincue malgré tout, je suis peut-être trop optimiste pour certains, que nous ne devons pas rentrer dans un traitement social du chômage.
Je crains que si nous rentrons dans ces logiques-là, nous nous enfermions dans quelque chose qui à terme risque d'être extrêmement négatif. Que nous devions mettre en place des contrats aidés, le Président de la République l'a annoncé et il fera encore d'autres annonces prochainement le 20 avril en direction de l'emploi des jeunes. Je pense qu'il faut des contrats aidés. Cela permet de sortir des statistiques du chômage des jeunes. Mais il faut que l'on en profite, et c'est toute l'interrogation et l'exigence que j'ai, pour que les jeunes soient formés réellement et concrètement afin de les préparer totalement à la sortie de crise. Quand je vais dans les cités par exemple, je ne tiens absolument pas un discours promettant la signature de contrats, promettant tant d'argent à la fin du mois etc. Je leur dis que c'est maintenant qu'il faut profiter de la situation et qu'il faut que cette crise devienne une opportunité. Il faut absolument que ce discours passe. Et il passe très bien dans les quartiers. Je n'ai pas de soucis particuliers. J'ai fait toutes les cités de France et de Navarre. Cela passe très bien parce qu'ils savent aussi ce que cela veut dire que d'avoir un contrat aidé qui dure trois ans, qui est ensuite renouvelé et qui est ensuite une troisième fois renouvelé et au bout de dix ans, on ne se définit pas en fonction du poste que l'on occupe dans telle association ou entreprise mais tout simplement en fonction du nom du contrat aidé. Je pense notamment aux adultes relais qui se définissent comme tels et non en fonction du poste occupé. Et je crois que cela est significatif des dérives qu'il faut éviter. Cela inscrit des gens dans d'autres logiques et cela ne les aide pas à être pleinement dans la situation d'une dynamique qui les sortirait justement des politiques d'aide.
Quant aux quotas et aux discriminations positives, vous connaissez ma position, Monsieur le sénateur. Je suis totalement contre les discriminations positives, les politiques de quotas. Je pense que cela est extrêmement dangereux. Je le dis parce que c'était valable avant la crise et cela l'est encore plus aujourd'hui. Je trouve totalement irresponsable de vouloir mettre en place des politiques de discriminations positives ou des politiques de quotas parce qu'il ne faut pas se raconter d'histoires, derrière cela il y a une politique de discrimination ethnique. On pense souvent qu'il faut donner plus aux jeunes issus de l'immigration arabe et subsaharienne parce qu'ils ont moins etc. Mais les petits Benoît dans nos quartiers ont moins aussi de la même manière. Je ne supporterai pas que mon pays mette en place des politiques spécifiques pour les Arabes et les Blacks sous prétexte de promotion de la diversité. Il y a de la discrimination, c'est une réalité. Je suis lucide, je m'appelle Fadela donc je sais quand même que la discrimination liée à l'origine existe. Mais je voudrais quand même souligner aujourd'hui ici comme je le fais un peu partout, je ne voudrais pas que l'on culpabilise les entreprises qui font un effort aujourd'hui. Une dynamique a été lancée, il y a partout des chartes de la diversité qui sont signées. Il y a l'engagement des petites et moyennes entreprises, des chefs d'entreprise que ce soit dans des grandes boîtes ou des petites boîtes, qui s'engagent à embaucher les jeunes des quartiers populaires quelles que soient leurs origines. Il faut avoir une attention particulière pour ceux qui sont issus de l'immigration parce que l'on revient de loin. Mais en même temps ce qui était valable dans mes positions avant, est encore plus valable aujourd'hui parce que nous sommes en période de crise. Si l'on oublie le petit Benoît aujourd'hui et si l'on favorise Mohammed et Mamadou pour être très claire, nous risquons de radicaliser notre société. Et nous risquons en termes d'impact politique, je dirai, de faire resurgir l'hydre de la peste qu'est l'extrême droite. Après tout ce qu'ont fait mon pays et le Président de la République, que l'on soit d'accord ou pas, peu importe, je ne le voudrais pas. Une des premières victoires de Nicolas Sarkozy est justement d'avoir un peu tué le Front National. Je m'en réjouis parce que l'on a un peu souffert dans les années 80 et 90 et je me réjouis de cette victoire. Mais je ne voudrais pas que, même si cela part d'un sentiment généreux, la mise en place de politiques de discrimination positive que l'on pense tous inconsciemment ethnique, ait un impact politique en faveur de l'extrême droite.
Je ne suis pas favorable à la discrimination positive et à la politique de quotas. Même si je suis pour la mesure en faveur de la création d'outils de mesure de la diversité, je vous rappelle qu'il y a déjà des outils qui existent : le critère ZUS est pour moi largement suffisant, et y compris pour le mettre dans les déclarations DADS des chefs d'entreprise en fin d'année. Si l'on rajoute le critère ZUS, cela nous donnera une idée de la promotion de la diversité sociale et donc aussi pour les gens qui sont issus de l'immigration, cela ne nous donnera pas la promotion de la diversité pour les questions liées, à l'orientation sexuelle etc. Mais cela nous donnera une idée de la promotion de la diversité pour ceux qui sont issus des ZUS, des enfants des ouvriers pour être claire. On sait qu'aujourd'hui les enfants d'ouvriers ont souvent une couleur de peau un peu plus foncée dans notre pays. Je pense que c'est plutôt de ce côté-là qu'il faut se diriger et d'ailleurs le Président de la République l'a très bien dit dans son discours à Polytechnique. Ce qui m'intéresse aujourd'hui est que ce critère-là soit connu et reconnu par tout le monde. C'est pour cela que je ne suis pas favorable aux statistiques ethniques. Elles n'ont jamais permis de régler la situation des Blacks aux États-Unis pour être claire. Mais les statistiques ethniques amèneront in fine des réponses politiques, en termes d'actions en faveur des politiques de quotas auxquelles je suis défavorable. Je suis attachée au projet républicain, même si nous sommes tous conscients, je suis lucide, qu'il y a des dysfonctionnements. Je crois que la responsabilité des politiques est de faire en sorte que l'ascenseur social remarche dans le bon sens pour tous ces enfants d'ouvriers.
Très honnêtement, je le dis et même si parfois j'énerve les gens, je me fiche de la couleur de peau ou de l'orientation sexuelle de la personne que la République aide justement à s'en sortir. Vous remarquerez que toute la dynamique, tout le programme que nous avons mis en place en direction des quartiers populaires, toute la dynamique Espoir Banlieue, tout ce dispositif que ce soit en matière d'emploi, d'éducation, de culture, de sport, tout tend à promouvoir les enfants d'ouvriers. Et cela est très important parce que c'est aussi une manière de redonner de l'espoir aux gens des quartiers. Je vous donne un dispositif qui ne paie pas de mine comme cela, même si j'ai tapé du poing sur la table, pour l'obtenir. Je pense que c'était opportun de le faire et même si j'en ai agacé certains. Je pense notamment au dispositif qui concerne les délégués du préfet. J'ai changé le nom de ces délégués qui étaient délégués d'État. Certains ont parlé des territoires perdus de la République et je voudrais ici que ce ne soit pas de vains mots. C'était une réalité. Nous avons dans notre pays des territoires qui sont perdus. Il faut partir à la reconquête de ces territoires. Il y a plein de choses qui ont été faites, il faut saluer la dynamique qui a été lancée sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre. Tout tend dans la dynamique Espoir Banlieue à la reconquête de ces territoires. Cette dynamique encourage la réduction des écarts territoriaux et des inégalités sociales et tout cela participe à faire vivre le projet républicain. Les délégués du préfet auxquels je tiens tant, dans les 350 quartiers dans lesquels ils seront présents, sont le bras visible du retour de la République. Et les premiers interlocuteurs des habitants des cités seront ces délégués du préfet. Ce qui revient à dire que ce qui est important, c'est la cohérence au niveau local. La refonte des CUCS pour qu'elle soit vraiment importante, au besoin de ces délégués des préfets qui sont les bras armés de la mise en place de cette politique en direction des quartiers prioritaires.
En ce qui concerne les stages, je pense qu'ils sont un très bon moyen, lorsqu'ils ne perdurent pas dans le temps, pour prendre connaissance avec le monde de l'entreprise et apprendre le code de l'entreprise. Mais il faut que cela se fasse dans un cadre précis, il faut que cela soit codifié pour éviter les abus. Je suis très attentive aux jeunes qui ont manifesté ces dernières années et qui ont porté des masques blancs. Je suis très attentive à leurs revendications dans le sens où je sens bien qu'ils ont tellement envie de faire des choses qu'ils acceptent d'effectuer des stages très longs. Heureusement qu'il y a une législation qui a rattrapé le coup. Je ne voudrais pas que l'on tombe dans les travers. Alors oui aux stages, lorsqu'ils sont bien cadrés, bien codifiés parce qu'ils permettent réellement à des jeunes d'avoir une connaissance de l'entreprise, d'apprendre les codes. Dans les quartiers la jeunesse ne connaît pas les codes de l'entreprise. La première partie du contrat d'autonomie, ce fameux coaching au-delà du travail sur soi, pour bien se présenter, s'exprimer etc., permet d'apprendre aussi le code de l'entreprise. Les chefs d'entreprise me disent que leur problème est que cette jeunesse ne connaît pas le fonctionnement de l'entreprise, ses codes etc. De ce fait, ils sont très vite marginalisés malgré la bonne volonté du chef d'entreprise. Je ne parle pas de ceux qui discriminent, ceux-là ont été montrés du doigt. Alors oui, je suis assez favorable au stage pourvu qu'ils soient cadrés et bien codifiés.
Maintenant sur l'allocation d'autonomie des jeunes, je dirai qu'il y a deux formes d'autonomie, celle qui permet d'aider à l'émancipation de l'individu et celle qui malheureusement le mettra en situation de dépendance. Je veux que l'on prête attention à cela. Je suis attachée à l'autonomie de la jeunesse et d'ailleurs peu importe les ressources des parents. Je suis très attachée à l'égalité. Que ce soit un enfant de bourgeois pour aller vite ou un enfant d'ouvrier, je pense que s'il doit y avoir une allocation d'autonomie, elle doit bénéficier aux deux. Parce que les deux méritent que l'on s'occupe de leur émancipation et que l'on les aide à devenir des êtres autonomes. Pour cela, je ne veux pas que nous fassions de différence entre les deux types de jeunes. Je suis attachée à l'autonomie pourvu que ce ne soit pas une forme d'assistanat. C'est ma grande inquiétude et ce sont des débats qui animent notre pays depuis très longtemps. Je voudrais que nos étudiants par exemple soient totalement libres de pouvoir étudier sereinement si l'on veut que demain notre pays soit compétitif. Il ne faut pas que l'étudiant ait plusieurs emplois en même temps si l'on veut qu'il réussisse ses études. Il faut qu'ils aient les moyens de pouvoir étudier. Il faut qu'il y ait une sorte de retour. Il y avait une chose qui existait, je ne sais pas si cela existe toujours, il faudrait que je vérifie, dans les conseils généraux : les collectivités territoriales signaient avec des étudiants dans les métiers sociaux des contrats. Ils payaient les études pendant trois ans et les jeunes qui bénéficiaient de ce type de contrats, pendant cinq ou dix ans, travaillaient au conseil général soit comme assistante sociale, soit comme éducateur. Je trouve que c'est un bon principe. C'est un principe qui permet de dégager totalement l'étudiant de problèmes de logement, de culture aussi, parce que quand on parle d'autonomie il faut parler de tout, le logement, la culture etc.
L'accès à la culture coûte cher et encore aujourd'hui même si l'on a maintenant la gratuité pour les moins de 26 ans dans les musées grâce à Mme Albanel, ministre de la culture. Je pense qu'il faut aller encore plus loin que cela. Mais je pense aussi qu'il faut qu'il y ait une sorte de retour sur investissement. On parie sur un jeune, on lui paie ses études mais il faut une contrepartie. Je pense que c'est un bon principe. J'espère avoir répondu à toutes vos questions.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je voulais simplement Madame la Ministre que vous précisiez vos propos sur la question des contrats aidés et des collectivités territoriales, il n'est pas question de traiter socialement du chômage. Il y a des jeunes qui sont tellement éloignés de l'emploi, que les entreprises, comme vous l'avez souligné, ne vont pas les embaucher parce que cela ne va pas marcher. L'idée est de pouvoir donner la possibilité aux collectivités, celles qui veulent s'engager bien entendu, il n'y aura pas d'obligation, à mettre à niveaux deux, trois quatre jeunes qui savent à peine lire et écrire. L'idée est de leur donner une formation professionnelle dans tout ce qui est bâtiment par exemple, de les mettre en contrat d'apprentissage avec un objectif bien entendu et de les insérer dans la vie professionnelle en passant des CAP. Ce ne serait pas renouvelable sauf si le jeune échoue au CAP. L'objectif est vraiment l'insertion professionnelle.
Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville - Je suis personnellement favorable à cela. Il y a aussi un autre dispositif qui existe qui n'est pas mal mais qui n'est pas assez mis en avant à mon avis. Il s'agit des cadets de la République par exemple. C'est un bon dispositif qui permet aux jeunes des quartiers populaires de pouvoir rentrer par ce biais-là dans la fonction publique. Ce sont des métiers qui sont un peu décriés dans nos quartiers mais qui sont indispensables si l'on parle de l'ordre républicain émancipateur.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Madame la Ministre, vous n'êtes pas une adepte de l'échange conventionnel et je tiens à vous dire que j'ai apprécié la manière détaillée avec laquelle vous avez répondu. Je perçois, dans votre propos introductif, deux grands volets.
Le premier est un relevé de terrain dans lequel vous excellez. Vous savez de quoi vous parlez, je vous ai d'ailleurs vu à l'oeuvre à Vitry-le-François. Nous ne pouvons que souscrire à votre diagnostic impeccable. Il est même criant de vérité et de douleur : problèmes de jeunesse liés à ces quartiers chocs, problèmes des filles et des femmes dans cette affaire à résonance culturelle, vivier de forces vives gâché. On compte sur vous pour que cela change.
Le deuxième volet concerne vos propositions. Nous nous attendons à une série d'innovations, que dans cette zone sombre et d'obscurité, vous projetiez une lumière innovante qui nous apporte des perspectives de solutions transcendantales. Il y en a certainement mais je ne voudrais pas être irrévérencieux et dire qu'il y en a aussi un certain nombre qui sont des stéréotypes, certains assez récents, d'autres plus anciens mais tous ayant en commun d'avoir été souvent inefficaces, en tout cas pour le moment. Vous allez me dire que cela va venir et je ne demande qu'à vous croire. Vous intégrez un tas d'éléments - contrats d'autonomie, d'alternance, écoles de la deuxième chance, contrats de défense deuxième chance, contrats aidés - dans un plan auquel vous avez donné un vocable particulièrement séduisant : le « plan anti-glandouille ». Vous avez raison, c'est d'un plan comme cela dont nous avons besoin mais je me demandais simplement si vous n'aviez pas laissé de côté la racine du problème : l'école primaire, où le jeune va se sentir ou non appartenir à une collectivité. Même si vous ne l'avez pas beaucoup développé, vous l'avez sûrement à l'esprit. Vous avez évoqué M. Darcos et ce qu'il développe très partiellement au niveau du primaire, notamment dans les cours moyens avec l'introduction de l'informatique : il semble vouloir imprimer une nouvelle impulsion éducative socioculturelle. Et, pour ces quartiers, n'y aurait-il pas une impulsion à faire pour une donne culturelle allant dans l'ère du temps et de nature à révéler le potentiel de ces jeunes qui sont comme tous les autres, ni plus bêtes, ni plus intelligents, mais qui ne demandent qu'à saisir ce qu'on leur offre.
Partagez-vous et prenez-vous en compte cette préoccupation ? Et envisagez-vous une possibilité d'inflexion de la maturation éducative, que l'on pouvait impulser dans ces quartiers chocs qui sont d'authentiques viviers pour les forces vives de notre pays et pour lesquels il faudrait agir le moins tard possible.
M. Martial BOURQUIN, sénateur du Doubs - Ma première question porte sur la géographie. Nous constatons qu'une grande consultation est lancée sous l'autorité des préfets et, qu'une fois celle-ci terminée, vous aurez des décisions à prendre. Les quartiers classés ANRU ont eu droit à des financements importants dans le bâti, le social alors que des quartiers hors de ces zonages connaissent une situation plus que délicate. A long terme, ces quartiers se trouveront dans une situation de désolation car ils n'ont pas accès aux crédits publics pour la rénovation de l'habitat, pour les extérieurs, mais aussi aux grands travaux, à la clause sociale, tout ce que vous avez abordé tout à l'heure. Faisons donc attention à la géographie car la décision est lourde de conséquences.
La deuxième question concerne la précarité : quand nous n'étions pas en période de crise, deux contrats sur trois étaient précaires. Les coups d'accordéon de l'industrie peuvent engendrer l'établissement de nombreux contrats d'intérim dans les cités, ou au contraire, un renvoi massif d'intérimaires. La question de la précarité est une question essentielle sur laquelle doit se pencher notre société. Des jeunes des quartiers ont parfois une longue mission d'intérim, de 18 mois par exemple, et se voient remerciés du jour au lendemain avec peu de droits. Pensez-vous, comme nous l'avions suggéré, que les intérimaires pourraient bénéficier du Contrat de Transition Professionnelle (CTP) ? Ce contrat est accessible aux entreprises de moins de 1 000 salariés et représente 90 % du salaire brut pendant un an, et surtout, il permet l'accès à toutes les formations. Ce serait vraiment une bonne solution pour les intérimaires. Vous avez abordé tout à l'heure toute la série de dispositifs et nous nous apercevons qu'il y a rupture dans le processus d'insertion et qu'il faut parfois tout recommencer. L'idée est de garder un processus d'insertion continu pour qu'ils parviennent au CDI, à l'insertion par le travail et à l'intégration sociale qui s'en suit. Nous devons travailler tous sur cette question essentielle de la précarité.
Je pense qu'avec la crise, les choses se sont dégradées extrêmement sensiblement dans les quartiers. Il fallait faire ce que l'on a fait pour le crédit et je pense que pour les quartiers des banlieues il faut établir un plan d'urgence au moins aussi fort, sans négliger tout ce qui se fait. Je travaille en tant que maire avec le CUCS et tout ce qui va avec, mais il faut faire prendre conscience aux dirigeants que quand on voit tout ce que l'on a pu faire en quelques semaines pour sauver le crédit, la même chose doit être faite pour les banlieues ou nous jouerons les pompiers encore une fois. C'est pour cela qu'il faut que vous ayez les moyens de le faire et que nous assurions très vite l'inclusion de ces quartiers dans la société française. En tant que maire, je constate que les choses sont en train de se décrocher.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - J'aurais plusieurs interventions à faire mais je vais me concentrer sur la question de l'école et poursuivre ce qu'a dit M. Etienne. Aujourd'hui l'école, comme vous l'avez dit, reste souvent le seul service public dans les quartiers populaires. Les évaluations des connaissances scolaires des CM2, à la fin de l'école primaire, ont montré une effroyable corrélation entre les résultats et les lieux de vie des enfants. Vous avez repris les propos du Président de la République : « Donner plus à ceux qui ont moins » et donc, que faire par rapport à l'école publique dans ces quartiers ? Mon collègue a cité le plan d'aide au retour à l'emploi où des expériences très intéressantes se font, quid de la pérennité de ce dispositif, parce que l'on arrive au terme, fin 2009. Pouvez-vous nous répondre là-dessus ?
J'observe, en tant que maire d'une ville de banlieue de l'agglomération lyonnaise, que la suppression de la carte scolaire et des opérations permettant à des enfants d'aller dans d'autres écoles, laisse dans les écoles ceux qui n'ont pas les moyens d'aller ailleurs. Il faut donc s'interroger sans polémique sur ces questions et sur la place faite aux parents. Je ne parle pas des jeunes adultes victimes de la crise et de la perte d'un emploi, mais, à moyen terme, à ce que nous pouvons faire avec les parents pour qu'ils se sentent habilités à s'occuper de l'éducation de leurs enfants ?
J'aurai une dernière question concernant les jeunes diplômés où, comme vous le savez, je vais parler de discrimination. La discrimination à l'emploi est encore plus forte pour ceux qui sont diplômés que ceux qui ne le sont pas. Si Matthieu et Mohammed obtiennent le même diplôme, c'est Matthieu qui va décrocher l'emploi, ne faudrait-il donc pas prendre des mesures extrêmement fortes pour permettre l'insertion professionnelle rapide de ces diplômés car ils sont l'exemple dans les quartiers pour leurs petits frères. Il faudrait mobiliser les entreprises sur cette question urgente.
Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville - Merci parce que je pense que les questions et les doutes sont intéressants parce que cela permet aux politiques de répondre sur ce qu'ils sont en train de faire et sur les possibilités qu'il reste à explorer. Je suis convaincue que dans les zones urbaines sensibles, il y a beaucoup à faire. C'est un travail très particulier à mener car nous devons rattraper trente ans de politique de saupoudrage et de quartiers laissés à l'abandon. Je ne suis donc pas convaincue par un plan à quatre mesures mais par la mobilisation de tous les acteurs : l'État avec le retour du droit commun dans nos quartiers, la politique de la ville avec un processus visant à réduire les inégalités et le monde de l'entreprise et de l'économie dans l'embauche des jeunes des quartiers. Nous avions ciblé, pour 2008, 11 000 embauches, nous en sommes à 11 500, avec un maintien d'objectifs sur les deux prochaines années. Il faut parvenir à ne pas séparer Mohammed et Matthieu pour qu'ils obtiennent tous les deux un emploi. Dans cette dynamique, nous ne pouvons rien si nous n'intervenons que sur un ou deux paramètres. Ainsi, la question de l'éducation est très importante dès le départ. C'est compliqué, il existe des contradictions et c'est pour cela que la politique de la ville ne doit pas être instrumentalisée.
Un exemple : quand nous avons décidé avec Xavier Darcos, le ministre de l'éducation, de mettre en place le soutien scolaire généralisé en ZEP, je suis partie d'un constat simple : l'impossibilité dans nos quartiers de payer un privé ou un professeur particulier pour aider les enfants. C'est donc légitime et je fais confiance à l'école publique, je pense qu'elle est capable de mettre en place un dispositif de soutien scolaire généralisé dans les quartiers prioritaires afin que les enfants en difficulté puissent en bénéficier. Il en va de même pour les stages que nous avons mis en place. J'ai fait une proposition simple, je tiens à ce que l'école soit ouverte sur le quartier car je pense que nous n'optimisons pas assez les infrastructures qui existent. J'ai demandé que les parents, notamment les mères, au nom de cette volonté d'émanciper leurs enfants du joug patriarcal très présent dans nos quartiers, puissent aller dans l'établissement scolaire pour apprendre à lire et à écrire. Je pense notamment aux immigrées qui pourront suivre sereinement la scolarité de leurs enfants et ne pas se faire manipuler par le biais des bulletins scolaires ou des carnets de correspondance. L'apprentissage et la maîtrise de la langue ainsi que des fondamentaux leur permettant de se sentir des citoyens de ce pays, de retrouver une certaine dignité et de faire respecter leurs droits. C'est une manière aussi de leur transmettre les valeurs de la république qu'elles n'ont jamais apprises auparavant et de retrouver l'autorité parentale.
Le rôle de l'école est pour moi fondamental et ce projet expérimental s'est heurté à un syndicat, dont je tairai le nom, invoquant la honte pour une mère d'aller à la même école que son fils. Ce type de position est presque assassin aujourd'hui quand on connaît les différentes formes d'oppression, surtout sociales, que subissent les femmes dans nos quartiers ainsi que la présence des groupuscules islamiques obligeant les femmes à porter le voile. Il ne faut pas occulter ces problèmes qui doivent être au coeur de ce que l'on est en train de mettre en place pour développer un processus d'émancipation. Cette expérience est une bonne expérimentation qui tend à montrer que quand on s'en donne les moyens, faire bouger les choses ne coûte pas si cher que cela. Nous avons fait outre l'interdiction de ce syndicat et cela donne des résultats, peut-être pas palpables mais que nous allons démultiplier, et permet à travers la transmission des valeurs de l'éducation, de construire de vrais citoyens à part entière totalement responsables et capables de participer à la construction de ce pays. Concernant le débat sur la géographie prioritaire, je voudrais une intervention plus pertinente, forte et efficace des politiques. Nous allons donc sûrement reconduire cette année le CUCS pour mieux préparer les choses, une année de reconduction qui permettra de construire des vrais contrats de cohésion sociale plus pertinents, y compris en terme de géographie territoriale.
Le débat sur la précarité existe depuis très longtemps même si nous vivons actuellement une crise majeure dans nos quartiers. Les revendications sont toujours les mêmes : un emploi et un logement décent, etc. Il faut rendre hommage au travail excellent de Jean-Louis Borloo sur la création de l'ANRU. C'est une manière de rattraper des catégories de populations abandonnées depuis longtemps et d'offrir une visibilité de la politique de la ville qui est menée. Embellir les quartiers ramène une certaine dignité aux gens des cités mais encore faut-il pouvoir boucler les fins de mois. J'entends ce que vous dites par rapport aux contrats de transition professionnelle, je ne vois pas d'inconvénients à ce qu'ils s'appliquent aux intérims pour une période donnée.
Il y a tellement de profils divers dans les quartiers et au-delà qu'il faut trouver toutes les solutions, un seul dispositif ne suffisant pas. La mise en oeuvre, dès la maternelle, d'une politique publique contractuelle entre la mairie, le département, permettrait de construire, sur la première étape de la vie d'un individu, des parcours scolaires sécurisés. 150 000 enfants, majoritairement des quartiers, sortent de l'école sans qualification, et beaucoup d'entre eux basculent dans la délinquance. C'est pour cela que je suis attachée aux dispositifs de deuxième chance qui permettent de remettre nos enfants dans un circuit de formation qualifiante pour construire avec eux un projet personnel qui amène un bilan positif. Je n'ai pas fait de grandes études et je connais parfaitement la galère et tous les dispositifs d'État que nous avons mis en place à l'époque (jeunes volontaires, SIVP...). Tout cela, comme pour le RMI, n'a servi à rien car nous n'avons pas assez appuyé sur le « I » d'insertion. Nous avons mis en place une politique excellente, qui a permis de mesurer l'apparition d'une nouvelle classe sociale plus pauvre mais l'insertion était insuffisante pour redonner de la dignité à ces personnes en les faisant rentrer dans un vrai processus d'insertion actif.
La dynamique Espoir banlieues traduit une détermination du plus haut niveau de l'État, portée par le président de la république, et un retour sur des choses qui n'existaient plus depuis très longtemps. De nouvelles politiques importantes ont été introduites en termes d'emploi, d'éducation, de culture, etc. Évidemment, face à la crise économique, ce ne sera pas suffisant. Dans le cadre du plan de relance, j'ai souhaité que l'ANRU devienne un outil de relance économique dans nos quartiers et nous avons donné une nouvelle impulsion, à travers ces projets de rénovation urbaine, la politique de l'emploi dans nos quartiers. De même, des projets bloqués pour des raisons budgétaires ont été relancés grâce aux 350 millions d'euros réinjectés dans le cadre du plan de relance pour la rénovation urbaine. Les 100 000 contrats aidés font en sorte que nos jeunes puissent en bénéficier mais il faut une prise en charge plus importante. Quand nous nous trouvons dans des politiques globales, nous diluons tout sans rien résoudre. Il faut impérativement qu'il y ait un critère ZUS, y compris dans les politiques en direction de la jeunesse et dans un programme fort et offensif sur la question de l'emploi et de la formation de ces jeunes, car ce sont surtout les quartiers qui sont les victimes directes de la crise. Des tensions existent car le gouvernement a décidé de lutter efficacement contre l'économie parallèle mais il n'y a pas d'explosions. Plus on répondra à la question de la lutte contre le chômage, mieux ce sera car tout le monde a mal vécu les émeutes de 2005. Je le répète, il faut aller encore plus loin dans cette vraie dynamique qu'est la dynamique Espoir Banlieues, justement parce qu'avec la crise, nous nous trouvons dans une accélération de l'histoire et que pour répondre aux besoins précis qui se sont accentués dans nos quartiers, il faut amener des réponses fortes. Il faut toujours réoxygéner et comme je suis attachée à la culture du résultat, j'ai demandé qu'avec tous les ministres et Brice Hortefeux, nous fassions les bilans des programmes des quartiers. C'est ainsi que nous avancerons. Lors du dernier bilan, j'ai mis la note honnête de onze sur vingt. Le rapport de l'Observatoire des zones sensibles urbaines montre pour la première fois que les écarts, notamment scolaires, tendent à se réduire. Et comme nous avons travaillé sur l'ensemble des points de fragilité de l'éducation, et ce dès la maternelle, je pense que nous sommes dans la bonne direction même s'il faut faire plus vite et plus fort. Je suis très attachée au programme de réussite éducative qui va bien évidemment être reconduit car il donne de très bons résultats. C'est une vraie revendication des maires.
Je suis dubitative sur la réforme de la carte scolaire qui assigne à résidence des catégories de population : certains peuvent la contourner grâce à leurs réseaux et d'autres non. Une des réponses apportée consiste en une palette d'outils mise à la disposition des maires, comme par exemple le busing. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que j'ai entendu, de prendre les meilleurs élèves d'une école et de les dispatcher ailleurs mais de faire en sorte qu'une classe moyenne d'un établissement scolaire de ZEP puisse être mélangée à une autre école en centre-ville afin de déghettoïser les écoles qui sont dans nos quartiers. Nous avons également créé les pôles d'excellence pour la réciprocité, pour faire en sorte de trouver des matières d'excellence dans les écoles de nos quartiers populaires afin de drainer des élèves du centre-ville. C'est comme cela que l'on organise volontairement la mixité sociale, que l'on poursuit partout, y compris dans les projets en RU même si je m'interroge sur l'application de la loi Dalo, pour moi totalement légitime, mais qui ramène des pauvres chez les pauvres. J'ai porté cette interrogation au Premier ministre mais ce qui est développé en termes de mixité sociale ne doit pas être remis en cause. Cette loi ne doit pas uniquement être appliquée dans les quartiers prioritaires, sinon, nous nous retrouverons dans la situation initiale. Il faut impérativement organiser la mixité sociale.
Au-delà de votre commission, le critère ZUS doit vraiment être inclus dans la démarche. Je crains que l'on mette en place des politiques globales en direction des jeunes sans prendre en compte ceux de nos quartiers, qui regroupent pourtant la majorité des jeunes de notre pays. Nous avons tendance à les oublier et au bout d'un moment cela explose, comme nous avons pu le voir. Il faut veiller à ce que les politiques mises en place s'appliquent, en priorité, dans les zones urbaines sensibles. C'est très important.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On est d'accord avec cela. Les politiques en faveur des jeunes devront s'adresser à tous les jeunes, y compris ceux des quartiers. Vous nous donnez la preuve de la difficulté du problème lorsque l'on aborde la spécificité des quartiers ou même parfois des villes populaires. C'est quelque chose de tellement vaste que nous avons l'impression qu'en à peine deux mois nous n'allons pas nous en sortir. Ces jeunes sont bien présents dans notre esprit et nous veillerons à ce que les préconisations que nous ferons servent à tous.
Mme Virginie KLÈS, sénatrice d'Ille-et-Vilaine - Je voudrais revenir sur deux sujets abordés précédemment dont une partie, me semble t-il, a été oubliée. Tout d'abord sur les discriminations, je partage vos positions sur les quotas, les discriminations positives, etc. Nous avons beaucoup parlé de discrimination « à l'arrivée » - chez l'employeur, dans une grande école ou en formation - mais nous avons très peu abordé la discrimination « au départ », dans la famille. Que pensez-vous des discriminations intra-familiales ? Et plus particulièrement dans une culture patriarcale où les jeunes filles soumises à leur père, frères ou grands-pères sont mises à l'écart et qui ne peuvent pas envisager de s'inscrire à la fac. Quelles informations quantitatives et qualitatives avons-nous là-dessus ?
Je voudrais ensuite reparler des dispositifs de la deuxième chance. Le développement des écoles de la deuxième chance me semble un très bon dispositif. Par contre, les centres Défense deuxième chance sont, je pense, un autre dispositif, ne s'adressant pas aux mêmes jeunes mais obtenant d'aussi bons résultats que les écoles de la deuxième chance. Où, donc, en sommes-nous sur ces centres ? Leur contrat d'objectifs et de moyens est-il signé ou pas encore ? Quelle est la logique de développement ? Vous nous avez dit « Je souhaite qu'il y ait 50 % des jeunes des quartiers populaires au lieu des 30 % aujourd'hui », cela ne me paraît pas un objectif de développement mais un objectif de déshabiller Paul pour habiller Pierre ou Mamadou. Nous semblons plutôt être aujourd'hui dans une logique de fermeture : j'avais un centre Défense deuxième chance dans mon secteur qui a fermé. Il me semblait qu'au départ il était prévu un centre par région.
Qu'en est-il donc du développement du dispositif tel qu'il existe aujourd'hui ? Peut-on espérer voir apparaître un dispositif complémentaire à celui-là qui ne s'adresserait plus uniquement aux 16-18 ans mais s'ouvrirait aux 14-18 ans car aujourd'hui, les centres Défense deuxième chance étant sur la base du volontariat, s'adressent forcément à des majeurs. Peut-on prendre en charge ces jeunes de 14 à 18 ans sur des dispositifs adaptés, ne pouvant pas mélanger mineurs et majeurs ?
M. Jacques LEGENDRE, sénateur du Nord - Je crois que la question que je voulais poser a déjà été en partie abordée mais je voudrais insister sur l'ambiguïté du terme « quartier ». Vous avez parlé des quartiers et des quartiers populaires. Vous semblez parler des quartiers des banlieues de nos grandes agglomérations et de ce qui relève de l'ANRU. Je suis d'un département très peuplé, le Nord, où des villes moyennes qui ne sont pas en ANRU ont des quartiers populaires. Dans ces quartiers se trouvent des jeunes très proches de la sociologie que vous voulez aider dans les grandes agglomérations mais ils ne sont pas concernés par tous ces dispositifs. Que pouvez-vous faire pour être aussi la ministre de ces jeunes des quartiers de villes moyennes, de villes moins médiatiques ou moins violentes mais où la population se trouve actuellement abandonnée et où les mairies ne savent pas comment intervenir ?
Mme Fadela AMARA, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville - Vous avez raison de dire cela sur les quartiers parce que j'ai la responsabilité de ces 151 zones urbaines sensibles. Lorsque l'on parle de politique de la jeunesse il faut s'attacher à toute la jeunesse. Je suis issue d'Auvergne et donc sensible à la jeunesse des zones rurales qui doit savoir que l'on s'occupe aussi d'elle, au même titre que les jeunes des quartiers populaires des grandes agglomérations. En région parisienne, il existe de nombreux quartiers considérés comme des ghettos sociaux, peuplés de populations issues de l'immigration. Dans le Nord, je n'en ai pas vu tant que cela. C'est toute la différence. J'insiste sur le fait que dans l'opinion publique on pense que les quartiers prioritaires sont majoritairement habités par des Mohammed et des Mamadou. Il y en a, mais il y a aussi des petits Benoît. La réforme de la géographie prioritaire qui est en train d'être faite m'oblige à dire qu'il y a des endroits qui ne relèvent pas de politiques spécifiques alors qu'ils en concentrent toutes les conditions. Inversement, il y a des quartiers qui bénéficient d'un ensemble de dispositifs et de financements alors qu'ils ne devraient plus. La révision de la géographie prioritaire devrait aider à homogénéiser cela.
J'ai récemment rencontré un jeune maire d'une ville du Nord qui ne relève d'aucun dispositif et qui avait les mêmes interrogations. Il devient donc urgent de réviser cette géographie de manière à ce qu'elle soit la plus pertinente et la plus efficace possible. J'ai découvert dans un département du centre qu'un quartier ne devrait plus bénéficier d'une politique de la ville car justement tout a été fait par la puissance publique et les collectivités territoriales pour que ce quartier sorte des politiques exceptionnelles. Il faut faire en sorte de ne pas désespérer les habitants des quartiers populaires en les stigmatisant par des termes comme ZUS, ZEP. Il faut penser, dans la philosophie de la politique de la ville, sortie des ZUS : c'est comme cela qu'on leur redonnera espoir. De la même manière, quand des quartiers difficiles comme les vôtres, Monsieur le sénateur, ne relèvent pas de politiques de la ville, la révision de la géographie prioritaire est très importante et je vous invite à remplir le livre vert afin que nous puissions prendre les meilleures décisions.
Concernant les dispositifs deuxième chance, je refuse d'être dans des effets d'annonce, je veux une politique sur mesure, adaptée aux besoins du territoire. Nous avons beaucoup travaillé avec Edith Cresson sur les écoles de la deuxième chance, notamment sur les difficultés financières en votant un décret qui élargit l'assiette de la taxe d'apprentissage. Nous travaillons actuellement sur les sources de financement afin de les développer de 2009 à 2011. Concernant les EPIDe, il est nécessaire de recentrer. Le directeur est en train de mettre en place un développement de l'EPIDe plus efficace afin d'avoir de réelles sorties positives des jeunes. Il ne sert à rien d'avoir un EPIDe en pleine campagne s'il n'y a pas les moyens à côté pour insérer les jeunes. Dès mon arrivée au gouvernement j'ai visité un centre EPIDe et après avoir discuté avec des jeunes, j'ai décidé de soutenir l'EPIDe en ajoutant une ligne budgétaire de l'ordre de 26 millions d'euros. Sur la question des 16-18 ans, il y a des centres à titre expérimental. Par contre, à 14 ans, les enfants doivent rester à l'école républicaine, il faut se battre pour que l'école de la première chance soit la plus efficace. Les enfants doivent maîtriser les bases pour aller le plus loin possible, quitte à proposer, aux jeunes de 16 ans ayant des problèmes, des dispositifs. Il y a d'ailleurs une école de la deuxième chance qui va être inaugurée au Mans dans ces dix prochains jours. Je suis attachée à ce dispositif car il est en complément d'un autre type de public que celui des écoles de la deuxième chance et le comité de labellisation des dispositifs deuxième chance va en labelliser d'autres qui peuvent être de vraies réponses pour d'autres populations.
Concernant les discriminations faites aux filles, j'ai monté un mouvement appelé « Ni putes, ni soumises » qui a bousculé le bien-pensant, le politiquement correct et qui a beaucoup dérangé dans les quartiers. Si nous n'avions pas eu le soutien de l'opinion publique, nous en aurions payé le prix fort. Je suis une ministre militante et je suis très attachée à la question du statut des femmes. Dans mon livre intitulé « Ni putes ni soumises », je constate la dégradation de l'image de la femme dans les cités et le pouvoir détenu par les hommes, pouvoir imprégné de religiosité extrême avec des groupuscules islamistes. Il ne faut pas faire l'amalgame entre l'islam en tant que foi, religion et le projet politique qu'est l'islamisme. Le résultat est que les filles ont subi toutes les formes d'oppression : sociale, économique, religieuse et patriarcale. Dans notre pays, certains sont très attachés au relativisme culturel, qui peut être intéressant à partir du moment où l'on ne négocie pas la question des droits. Quand on veut respecter la culture des étrangers - moi-même je suis très fière de mes origines algériennes - on la respecte dans ses identités multiples mais je n'accepterai jamais la polygamie, le mariage forcé. Je suis pour le respect de la culture des autres à partir du moment où cela ne touche pas à l'intégrité physique et morale d'un individu et particulièrement d'une femme et ce n'est pas être raciste que de dénoncer ces pratiques archaïques et obscurantistes que sont le mariage forcé ou la pratique de l'excision. Je le dis facilement parce que je m'appelle Fadela mais certaines militantes françaises ont peur d'être taxées de racistes et c'est scandaleux car elles sont comme moi universalistes, attachées à la liberté, au combat pour l'égalité.
C'est grâce à la valorisation du statut des femmes dans les quartiers que l'on gagnera le combat dans les cités et dans la politique de la ville dont j'ai la responsabilité. Dans les dispositifs que nous avons mis en place, il y a l'adulte relais où les femmes sont très majoritairement présentes. Tout un travail est à faire en termes de valorisation des acquis professionnels pour qu'elles puissent être autonomes, bénéficier de formations spécifiques pour trouver un emploi dans les métiers de proximité ou de la petite enfance entre autres. Si le combat pour la justice n'est pas adossé aux valeurs de la république, cela n'a aucun sens et cela aide à la mise en pratique d'oppressions. Si l'on excuse les violences de Mamadou parce qu'avant d'être un bourreau il était une victime du système, on est dans une posture qui relève d'un racisme pur : on redéfinit la liberté et l'égalité en fonction de la couleur de peau. Cela part souvent d'un bon sentiment mais cela contribue à asseoir le communautarisme et, imprégné de religiosité extrême, donne ce qui se passe actuellement dans les banlieues. C'est un combat qui est mené depuis très longtemps, y compris dans les interventions publiques qu'il peut y avoir. Par exemple, d'un voile, on est passé à 10, 100, 1000, etc., jusqu'à ce que des jeunes filles qui ne voulaient pas le porter ou faire le ramadan se soient retrouvées jetées dans les poubelles. Je me fiche de savoir si à un moment ce jeune a été pauvre ou non dans sa vie, cela n'excuse pas son acte. Tout concourt en réalité à aider à l'émancipation de la femme pour mieux asseoir leurs propres droits et ce n'est pas facile.
Au-delà des campagnes menées par Valérie Létard au gouvernement, il y a des choses à faire dans les cités. Quand je me retrouve face à 500 ou 1 000 personnes pour leur expliquer ce que fait pour eux le gouvernement, j'exige un comportement très clair et citoyen de la part des jeunes. Je ne suis pas dans le laxisme, je n'accepte pas les familiarités, je pose un cadre, je combats systématiquement l'économie parallèle et j'inclus toujours la question des filles dans mes discours. Certains jeunes ne sont pas d'accord mais certains prennent conscience des erreurs qui ont été faites et arrivent à évoluer. La bataille de la discrimination sexiste sera remportée au sein des familles et le problème vient davantage des frères que des pères, qui souhaitent que leurs filles fassent des études. Quand la gauche était au pouvoir, le concept du « Grand frère » a réintroduit le machisme dans nos quartiers et j'ai eu énormément de mal à leur faire comprendre que c'était une erreur politique majeure. Cette bataille ne peut pas être la responsabilité de politiques publiques mais tous les acteurs doivent se mobiliser. Je suis très attentive aux opérations « villes-vie-vacances » (VVV) dont les filles ne bénéficiaient pratiquement plus. J'ai exigé, quand je suis arrivée, que l'on rechange la politique des VVV afin que la mixité s'inscrive partout et que les filles participent. En effet, certains garçons excluaient les filles, terrorisaient leurs animateurs et organisaient eux-mêmes le voyage. Des consignes très claires ont été posées, tous les projets doivent répondre impérativement aux valeurs de la république, notamment sur la question de la laïcité.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Justement. La présidente que je suis aimerait bien que l'on termine sur le problème des femmes. Nous sommes clairs avec cela maintenant. Ce n'était pas le cas il y a trente ou quarante ans où l'on tenait des discours très ambigus sur le respect de la culture de l'autre. Quelle que soit notre appartenance politique, aucune culture, histoire, religion, ne justifie aujourd'hui que l'on enferme, voile, mutile les femmes. Et cela ne se discute pas, je partage votre fermeté là-dessus et je vous remercie très sincèrement, au nom de toute la mission, pour ce long débat.
Table ronde « Organisations syndicales de salariés »
(28 avril 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je voudrais vous remercier d'être venus nombreux pour nous aider à réfléchir un peu à ce problème compliqué de la situation des jeunes dans notre pays.
Je vous situe le contexte, très rapidement. On a commencé à travailler il y a à peu près trois semaines sur cette mission, on veut terminer fin mai, au moins par un rapport d'étape. Nous travaillons en parallèle avec la commission présidée par M. Martin Hirsch. Il nous a semblé important que le législatif réfléchisse aux problèmes des jeunes de 16-25 ans, et pas uniquement l'exécutif. On a volontairement ciblé cette tranche d'âge, en sachant que les problèmes ne commencent pas à 16 ans et ne s'arrêtent pas à 25 ans. On travaille essentiellement sur le problème de l'emploi, avec ce qui est en amont, la formation, l'orientation... Le deuxième problème sur lequel nous voulons aller assez loin dans notre réflexion, c'est l'autonomie des jeunes, c'est-à-dire, entre autres, l'autonomie financière et l'accès au logement.
D'autres problèmes tournent autour de cela : la citoyenneté, la santé, l'accès à la culture, le sport. Mais c'est essentiellement sur ces deux problématiques que l'on veut réfléchir. Donc vous êtes naturellement très bien placés pour nous apporter vos lumières, sur ces divers points sans doute - et vous pourrez vous exprimer comme vous le souhaitez - mais en particulier sur les problèmes qui tournent autour de l'emploi.
Je vous rappelle deux chiffres. Le chômage des jeunes, au-delà du fait qu'en France on bat les records, puisque les chiffres sont parmi les plus mauvais d'Europe, a considérablement augmenté : 32 % cette dernière année. Un autre chiffre qui nous préoccupe beaucoup, ce sont les jeunes diplômés : on considère qu'il leur faut à peu près dix ans pour installer leur vie professionnelle. En moyenne, ils passent les dix premières années, bien qu'ayant terminé leur cursus, à aller de stages en emplois précaires, et de nouveau en stages, et de nouveau en emplois précaires.
Vous le savez, les jeunes, aujourd'hui, pensent que leur vie sera sans doute plus difficile que celle de leurs parents. Il s'agit d'un problème d'urgence lié à la crise, mais pas uniquement : les problèmes étaient antérieurs à la crise. Et, au-delà de recherches de solutions dans l'immédiat pour pallier les urgences, on veut vraiment une réflexion sur le fond à moyen et long terme.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je vous propose que l'on divise cette table ronde en trois temps : la formation initiale des jeunes, d'abord, l'emploi des jeunes et l'engagement citoyen des jeunes.
Sur la formation initiale, je vais vous poser deux questions. Nous aimerions avoir votre avis sur la manière dont vous envisagez cette formation. Êtes-vous êtes favorables à un resserrement des liens entre l'école et le monde de l'entreprise ? En d'autres termes, est-ce qu'il est nécessaire d'augmenter le nombre de stages, en les rendant, par exemple, obligatoires ?
Par ailleurs, pensez-vous qu'il soit utile de développer davantage les formations en alternance ? C'est un système qui marche plutôt bien. Est-ce que vous pensez qu'il est nécessaire de multiplier ce genre de formations ?
Ceci dit, je le répète, si vous avez d'autres idées, des suggestions concernant la formation des jeunes, bien entendu, on est tout à fait prêts à les écouter.
M. Hervé GARNIER, CFDT - Je suis secrétaire national à la Confédération, et parmi mes diverses responsabilités, j'ai en charge la politique en direction des jeunes.
Sur le renforcement du lien école-entreprise, effectivement, on y est favorable, mais on ne limiterait pas seulement cette relation aux stages. Le stage est une des solutions, mais il nous semble intéressant, et c'est un travail de plus longue haleine, de regarder comme l'entreprise reconnaît l'école et comment l'école reconnaît l'entreprise, pour sortir de cette logique qui est souvent faite d'affrontements et d'intérêts divergents, le stage étant très révélateur de cet affrontement.
Alors, les stages, oui, mais il nous semble que le système français est très construit sur une période où on est à l'école, où on obtient son diplôme et ensuite on passe dans le monde de l'entreprise, le monde du travail. Et c'est peut-être là aussi un phénomène français. Regardons ce qui se passe dans d'autres pays européens, où le système des allers-retours entre le système éducatif et le monde de l'entreprise est beaucoup plus poreux. Et je pense qu'on a recherché cette porosité. Il y a tout ce qui peut être effectivement l'orientation, mais on a le droit de se tromper, quand on est jeune, dans son orientation, on a le droit de se remettre en cause, et notre système permet assez peu d'avoir ces passerelles. Il nous semble important qu'on crée ces passerelles, et qu'on permette aux jeunes qui ont une première expérience de travail qui peut être malheureuse, ou qui se retrouvent dans une impasse, de pouvoir revenir dans le système éducatif, soit pour retrouver un autre chemin, soit pour pouvoir compléter leur formation. Nous, nous parlons beaucoup de la sécurisation des parcours professionnels. La sécurisation, elle, démarre dès le début : on ne peut pas séparer formation initiale et formation continue. On a besoin de regarder l'intégralité du parcours, et pour nous, le parcours, il commence dès l'école. Quand je dis « dès l'école », c'est un terme très générique.
Après, les stages, c'est une solution, c'est en tout cas une possibilité. Mais, par exemple, si on reprend la généralisation des stages en licence, citée dans le « plan licence » par la ministre de l'enseignement supérieur, la pertinence de ces stages dans un parcours universitaire reste à prouver, et il faut vérifier quel encadrement pédagogique est alors proposé.
Sur les formations en alternance, on y est favorable, c'est un des parcours possibles. Il n'y a pas une réponse à l'insertion professionnelle : il y a des réponses. Et je pense que l'apprentissage a montré dans certains secteurs - je pense à l'artisanat et d'autres - qu'il s'agissait de formes qui fonctionnaient aujourd'hui. Le développement des contrats de professionnalisation et de l'apprentissage dans certains secteurs est aussi une réussite, même si on constate une baisse du nombre d'apprentis ces dernières années.
Ce qui nous inquiète, c'est qu'on ne fasse pas de ces contrats de travail, qui sont avant tout des formations, un alibi pour faire diminuer les chiffres du chômage. Il faut les développer mais ça doit rester avant tout une formation, un système permettant l'intégration dans l'entreprise.
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - Par rapport à la formation initiale, je vois quatre axes.
Le premier c'est l'orientation. Ce qui nous semble important aujourd'hui : en tant que CFE-CGC, nous nous apercevons que le fonctionnement du système d'information est encore très dirigé par l'offre, et que la place des jeunes et le développement de leurs compétences en information devraient être une priorité, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. D'une manière générale, nous constatons que la pédagogie de l'information n'est pas suffisamment développée, et que dans ces domaines de l'information, sauf exception, l'analyse du parcours antérieur du jeune n'est pas toujours présente. C'est-à-dire qu'on prend la question qui est demandée, mais on ne s'interroge pas sur le passé.
Donc il nous semble important de remettre vraiment les jeunes au coeur du système de l'information, et une des premières conditions est qu'ils aient une connaissance précise de l'ensemble du système et de toutes les formes d'information qui existent en matière d'orientation.
Sur la formation initiale, nous sommes pour favoriser l'enseignement sous forme de modules et pour permettre ainsi tout autant la reconnaissance des acquis à tous les niveaux. C'est-à-dire qu'il est important pour nous qu'un jeune - que ce soit dans un lycée, dans une école, dans une université - s'il n'obtient pas un diplôme, ait une validation d'acquis qui soit justifiée, et qui lui permette de rebondir à terme.
Concernant l'apprentissage, nous sommes, bien entendu, tout à fait favorables à son développement jusqu'au niveau supérieur. Aujourd'hui, on voit beaucoup d'apprentissages CAP, BEP, bac professionnel. Nous considérons que nous pouvons aller jusqu'au mastère, en alternance, et que les universités doivent développer ce principe. En sachant par ailleurs, qu'une des difficultés de l'apprentissage, c'est de trouver les entreprises en lien avec l'université. Nous sollicitons donc l'existence, au sein même des universités, d'un représentant qui travaille à la recherche des entreprises en collaboration avec les étudiants, pour permettre la signature des contrats.
Cependant, nous mettons un bémol sur cette approche-là. Nous considérons que l'alternance - et j'ai bien dit que nous y sommes favorables - ne doit pas déboucher à terme, en fonction du nombre d'années, sur un contrat précaire. Donc, pour nous il est important que l'alternance soit une mesure qui permette un contrat à durée indéterminée au sein de l'entreprise, à terme. Un engagement des entreprises est donc nécessaire, lorsqu'elles prennent un jeune en contrat d'alternance, d'avoir un poste à mettre derrière, à la fin du diplôme obtenu.
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Je m'occupe du secteur « jeunes » au sein de la confédération force ouvrière.
Pour l'orientation, effectivement, nous sommes favorables au resserrement des liens entre l'école et le monde de l'entreprise, pour qu'il y ait moins de désillusions et qu'ils le connaissent un peu mieux. Mais pour ça, il faudrait davantage informer en amont sur les différentes structures qui peuvent donner de l'information, ou du moins qui peuvent en faire une présentation, par exemple, par la diffusion d'un petit livret d'accueil pour savoir en fonction de telle problématique à qui s'adresser : « Qui, Quoi, Pourquoi, Comment, Où ? », de façon très simple.
Après, sur les « mauvais côtés de l'orientation », il ne faut pas non plus que cela devienne un mode de sélection. C'est une bonne chose de savoir quels sont les métiers d'avenir, les métiers en devenir, pour essayer de mieux informer les futurs travailleurs sur - on va dire - les filières « qui marchent ». Mais il ne faut pas non plus passer dans l'autre extrême, c'est-à-dire utiliser les jeunes qui vont travailler pour combler... Mais comme on ne sait pas trop ce que ça va donner, pour l'instant on ne peut pas dire que ce soit l'un ou l'autre.
La formation initiale, c'est très important aussi, notamment pour les moins diplômés, par rapport à un cursus normal : Ce serait bien de réhabiliter au niveau de l'esprit de chacun qu'on aura toujours autant besoin de matière grise que de travaux manuels. Il y a aussi tout un travail en amont pour réhabiliter certaines filières dont on aura toujours besoin. Mais la formation initiale aussi est très importante en France, ainsi que les cursus normaux. Les deux sont intéressants.
Plus on fait de stages, plus on connaît le monde de l'entreprise, moins on a de désillusions après quand on rentre dans le monde de l'entreprise. Les stages, c'est très bien. Mais là aussi, il convient de respecter toutes les règles des stages. Il ne faut pas que les stages masquent des CDI ou déguisent des contrats précaires. Nous sommes favorables aux formations en alternance.
Au sujet du resserrement des liens entre l'école et le monde de l'entreprise, je me demande qui interviendrait au sein des cursus scolaires : les professeurs ou bien des personnes qualifiées, spécialisées ? Pour éviter de rajouter une charge supplémentaire pour le professeur, il serait préférable que ce soient des spécialistes du monde du travail qui interviennent.
M. Fabrice HALLAIS, CGT - Sur votre première série de questions, on peut rentrer dans le détail, précisément, sur les stages ou sur l'alternance. Mais il faut voir ça aussi d'un point de vue global. Nous, on est pour le droit à l'éducation, à la formation, à la santé, au logement, aux transports, à l'énergie, à la formation, à la communication. Il doit y avoir, surtout, une sécurisation du parcours des jeunes avec un accompagnement individualisé, afin de permettre à tous les jeunes d'acquérir un niveau de connaissances et surtout de qualification tout au long de sa vie. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Nous sommes aussi pour développer un droit individuel à la formation - qui existe en tant que salarié mais qui n'existe pas en tant que jeune, jeune étudiant etc. - qui serait utilisable pour acquérir de nouvelles qualifications tout au long de sa vie.
Alors, si on rentrait dans le détail sur les stages par exemple : il faudrait dire qu'il n'y a pas que les entreprises qui créent des emplois. Il y a aussi la fonction publique, par exemple, les associations. Il est vrai que pour les associations, ce sont souvent des emplois aidés.
Si on considère les stages dans le cursus, ce sont souvent des stages d'observation, des stages courts, où, les jeunes vont dans l'entreprise mais ne sont pas réellement suivis. On les appelait autrefois les « stages photocopies », où ils regardaient de loin ce qui se passait dans l'entreprise... Quand il y avait, de temps en temps, un tuteur !
Les entreprises, en revanche, ont créé les stages hors cursus, et les ont développés, à tous les niveaux de diplômes, et notamment les grandes entreprises, à des niveaux bac +4 ou +5. C'est un vrai problème que celui des stages hors cursus, parce qu'un jeune diplômé qui va chercher du travail, on va lui dire « mais vous n'avez pas fait de stage, donc faites un stage ». Donc il fait un stage de six mois, un an. Il a été une main-d'oeuvre pas chère - s'il a été gratifié - et, au bout d'un an, on lui dit : « Très bien, mais vous manquez de telle qualification, de telle expérience » et il repart sur un stage etc. etc. Donc il y a là un vrai problème.
Deuxième chose, concernant les formations en alternance : oui, mais il y a aussi danger. Si on prend les contrats de professionnalisation, ce sont des CDD pour la plupart de six à douze mois, rarement des CDI, où les jeunes sont rémunérés à un pourcentage du SMIC. Et quand on dit « il faut le faire aussi pour les jeunes diplômés, à tous les niveaux de diplômes », oui, mais cela veut dire qu'on va embaucher des jeunes en CDD à un pourcentage du SMIC. Donc des jeunes diplômés vont se trouver encore sous-rémunérés, et encore dans la précarité. Il faut qu'il y ait, je dirais - gentiment - un « Grenelle de la qualification ». avec par exemple, l'établissement d'une grille en fonction des qualifications pour tous les diplômés, dans les conventions collectives, dans les statuts, si on crée des contrats de professionnalisation, pour que les jeunes diplômés ne deviennent pas des salariés "low cost" pour les entreprises.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Concernant cette fois-ci l'emploi des jeunes, quelles sont selon vous les causes principales des difficultés d'insertion professionnelles des jeunes ? Et surtout quelles sont les actions prioritaires, quelles actions faudrait-il engager pour y remédier ? Avez-vous des propositions pour réduire la précarité du travail des jeunes ? Est-il possible, selon vous, d'améliorer l'indemnisation des jeunes demandeurs d'emploi ? Et que pensez-vous de la disposition de la nouvelle convention d'assurance chômage qui ramène à quatre mois la durée minimum d'affiliation requise pour être indemnisé ?
M. Hervé GARNIER, CFDT - Sur le cloisonnement de l'emploi des jeunes, et sur les difficultés d'insertion des jeunes, je voudrais mettre deux points en avant : ce cloisonnement ne date pas d'aujourd'hui ; cela dure depuis trente ans, en excluant d'un côté les jeunes et de l'autre côté les seniors. Si aujourd'hui on est dans une situation particulière née de la crise financière et économique, le problème de fond, lui, n'est pas d'aujourd'hui. Et je n'aurai peut-être pas dit tout à fait la même chose si on n'était pas en période de crise : il y a urgence.
Le deuxième point : j'ai dit qu'on avait cloisonné le marché du travail. On a aussi cloisonné en mettant des mesures pour les moins de 26 ans et plus de 26 ans. Ça nous paraît totalement artificiel. Je pense par exemple au RSA. Il n'y a rien qui, aujourd'hui, justifie cela. Les parcours individuels font qu'on rentre dans la vie active un peu plus tard, suivant à la fois son parcours personnel et son parcours éducatif. Mais aussi, vous l'avez dit, la précarité, ce « bizutage social » - c'est un terme qu'on reprend beaucoup - qu'on fait subir à la jeunesse quand elle entre dans la vie active, est plus ou moins longue. Cette frontière de « 26 ans », c'est quelque chose qui nous paraît artificiel, et qu'il faudrait faire casser.
Nous avons fait dix propositions dans le cadre de la commission Hirsch. Je reviendrai sur les deux premières qui sont un peu le canevas de nos propositions. Nous disons qu'il faut mettre en place un dispositif « jeune actif » consistant à offrir une réponse à chaque jeune, soit un emploi, soit une formation, soit le service civique. Nous pensons qu'il y a un certain nombre de jeunes qui auront des difficultés demain pour rentrer sur le marché du travail et que la formation n'est peut-être pas la première des réponses qui peut le leur permettre... Le service civique peut être une autre possibilité. Ce dispositif « jeune actif », doit s'accompagner d'un « revenu jeune actif » en fonction des situations individuelles de chaque jeune.
Nous ne sommes pas pour quelque chose qui serait universel et égalitaire. C'est un contrat qu'on passe avec le jeune : voir comment il s'engage à travers l'emploi, à travers la formation, à travers le service civique et voir comment on l'accompagne pour lui donner toutes les chances de réussir. On reviendra peut-être après sur le logement, c'est assez scandaleux ce qui se passe aujourd'hui sur le logement en direction des jeunes : la garantie est certainement une très bonne chose, on ne critiquera pas, mais quand on voit que c'est sur les plus petits logements où se fait le turnover le plus rapide des loyers, parce que lorsqu'on s'installe on cherche quelque chose de petits et on cherche quelque chose de plus grands après. Ce turnover fait qu'à chaque fois on augmente les loyers. Déjà, les loyers en France sont élevés mais proportionnellement, ils sont encore plus importants pour les petites surfaces habitables. C'est encore un handicap qu'on leur met et ça fait partie des choses à prendre en considération.
Quand on dit « revenu jeune actif » cela peut correspondre à un complément de revenus, ce qui est le cas du RSA. Il y a ceux qui n'en ont pas besoin, car ils ont trouvé un emploi et ils s'en sortent. Il y a ceux qui devraient pouvoir bénéficier d'un complément de revenu de type RSA. On ne comprend pas cette fracture à l'âge de 26 ans. Ou alors il faudrait envisager une allocation d'accompagnement pour un jeune qui a un projet de formation. Vous pourrez me répondre que ça a un coût, mais quelque part on pense que c'est un investissement pour l'avenir, et qu'il vaut mieux donner une vision d'avenir à notre jeunesse, que l'ignorer. Le plan d'urgence du Gouvernement est pour nous typiquement une réponse conjoncturelle. Ça ne peut pas être la solution pour le long terme. Nous sommes très partagés, dans le sens où il y a des dispositions qui vont dans le sens de nos propos tel le développement de l'alternance. Le système de primes, pour nous, procure des effets d'aubaine, mais ne peut pas être une réponse à moyen terme. Et surtout, il nous semble - j'ai eu l'occasion de dire dans la presse, à la radio - que la proposition qui est faite, pour nous, ressemble à un film. On a les acteurs : les jeunes. On a le scénario : le plan d'urgence. Mais il nous manque un réalisateur : c'est l'entreprise. Parce que l'emploi, c'est l'entreprise qui le crée, et quel est aujourd'hui l'engagement de l'entreprise par rapport à la situation ? Quelle est la responsabilité sociale de l'entreprise par rapport à ces propositions ? Il y a eu beaucoup d'échecs parmi toutes les mesures qu'on a pu prendre depuis trente ans, parce que l'entreprise ne joue pas le jeu.
Et puis il faut un producteur quand on fait un film, et pour l'instant on a des incertitudes par rapport aux propositions faites par le Gouvernement : on ne sait pas comment on finance. Pour nous la seule référence au Fonds d'intervention sociale ne peut pas se résumer à aller en direction des jeunes vu les sommes qui sont aujourd'hui sur la table pour ce fonds... Opposer les jeunes et les salariés, ce ne serait pas une solution. Et donc ça mérite qu'on travaille aujourd'hui sur le financement de ces mesures qui, pour nous, ne sont pas claires ni garanties.
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - Par rapport à votre première question, sur les causes principales des difficultés d'insertion, selon nous, elles se trouvent à deux niveaux, au niveau de l'éducation nationale, et au niveau de sortie de l'éducation nationale.
Premier élément concernant l'éducation nationale, on a des jeunes inscrits dans des filières qui n'ont pas de débouchés et ça pose un vrai problème. Deuxième élément, on a des diplômes qui sont obsolètes sur le marché du travail, même s'ils sont validés.
Troisième élément, il me semble important qu'il y ait une harmonisation des diplômes français avec les diplômes européens, pour faciliter la mobilité des jeunes dans le cadre du travail, et particulièrement pour des jeunes de l'enseignement supérieur qui serait amené à travailler dans des entreprises dont les sièges sont européens ou internationaux. Donc je crois que là il y a un travail d'harmonisation en ce sens. Et bien entendu on arrive aussi sur une amplification. Nous souhaiterions une amplification de tout ce qui est formation à l'Europe pour permettre des mesures plus concrètes et plus efficaces à travers des programmes tels Erasmus, Leonardo, ou même dans certains cas pour des CAP ou des BEP, afin que les jeunes puissent avoir une dimension plus ouverte, plus européenne avec des techniques différentes et pas uniquement franco-françaises, ce qui leur donnera tout de même plus de chances sur le marché du travail.
Sur les jeunes sortis du système scolaire, on a un problème important qui est celui de l'accompagnement de ces publics. Et là je crois qu'il faut que nous en parlions. Que ce soit dans les structures missions locales ou autres qui accompagnent ces publics, il faut que les personnels aient une formation adaptée, que cette formation ne soit pas uniquement sociale, qu'elle soit aussi économique. Une des grandes difficultés de ces personnels est d'arriver à un moment donné à prendre le recul nécessaire par rapport à ces publics qui sont en difficulté, pour ne pas « absorber » les problèmes, et se situer dans une relation d'accompagnement réel. Nous ne souhaitons pas l'approche d'assistanat mais bien l'approche d'accompagnement des jeunes pour arriver à une réussite.
Par rapport à la précarité du travail des jeunes, nous envisageons plutôt un lien étroit sur ce qu'on appelle des politiques sectorielles. A ce jour, on constate un éclatement des politiques « jeunesse » entre plusieurs secteurs : sport, logement, santé, éducation, insertion, logement et emploi. Ces politiques sectorielles doivent être travaillées de façon conjointe avec, surtout, une volonté politique, qu'elles soient à l'échelle municipale, intercommunale, régionale ou départementale. Il faut effectivement qu'il y ait une volonté politique dans ce sens.
Nous comptons aussi sur les partenariats. Il est important qu'au sein même des bassins d'emploi, dans ces politiques sectorielles il y ait des partenariats effectifs en plus de la volonté politique, entre les associations, les acteurs de l'insertion, tout le système qui génère de l'impulsion, pour permettre à ces jeunes de retrouver un emploi le plus tôt possible.
Je ne sais pas s'il faut revenir sur ce qu'on a appelé les « emplois jeunes ». On a parlé de stages tout à l'heure, et il y a une chose intéressante, c'est que ces emplois jeunes qui avaient une certaine durée dans le temps n'étaient pas un stage et apportaient la réalité d'un métier et d'une fonction dans un cadre précis. Alors on peut les appeler autrement, je crois que c'est aussi un élément qui permettrait d'éviter la précarité.
Il nous semble également intéressant de créer ce qu'on appelle « des plates-formes de mobilisation aux métiers ». Cela veut dire qu'on se retrouve aujourd'hui avec des jeunes, en particulier ceux qui n'ont pas de qualification, qui ne savent pas ce qu'est un métier, disons dans l'hôtellerie, dans la restauration, ou dans d'autres secteurs d'activité. Ils prennent une décision en disant « Ben tiens, demain je vais être cuisinier ! ». Mais ils n'ont absolument pas la connaissance du temps de travail, de la difficulté du métier, etc. Nous proposons de faire des plates-formes par secteur qui permettraient aux jeunes de mieux appréhender le type de métier de façon très concrète sur quinze jours ou un mois pour choisir une orientation spécifique en fonction de la réalité du métier. C'est donc quelque chose qui nous intéresse, quel que soit le secteur d'activité, je précise.
Bien sûr, il nous semble important de valoriser le lien entre l'entreprise, les politiques, le tissu associatif et l'ensemble des structures d'insertion, afin justement de créer une synergie et de laisser le moins de temps possible les jeunes au creux de la vague.
Comment allons-nous réagir, nous la CGC, sur le plan qui a été annoncé par le chef de l'État ? Nous réagissons bien dans la mesure où il s'agit d'une action ponctuelle. Pour nous il ne s'agit pas d'une stratégie globale, ni d'une politique globale de la jeunesse. C'est un point particulier à un moment donné, en fonction d'une certaine crise, puisqu'on nous a dit qu'il y avait de plus en plus de jeunes qui entraient dans le chômage. Donc nous y sommes favorables bien entendus.
Comment améliorer l'indemnisation ? Nous sommes tout à fait ravis que la durée minimum d'affiliation passe à quatre mois, car c'est tout à fait important. Mais je pense qu'il faut aussi, en dehors même de l'indemnisation, revoir tous les systèmes de fonds qui sont donnés aux jeunes, « Fonds d'aide aux jeunes », « Bourses d'accès à l'emploi » etc. Dans ce cadre-là, tous ces fonds devraient être revisités pour voir comment ils peuvent être réellement utilisés dans le temps, et éventuellement complétés dans une démarche d'accompagnement.
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Sur la première question qui concerne les difficultés d'insertion professionnelle des jeunes, je ne vais pas y revenir : j'ai évoqué les problèmes au niveau de l'orientation. Je ne vais pas reprendre ce qu'a dit Catherine Dumont. Je suis d'accord aussi au niveau de l'éducation nationale, les jeunes qui sont scolarisés, les jeunes qui en sont sortis, l'accompagnement. On est aussi pour un accompagnement, et non pour un assistanat. Je pense effectivement qu'il vaudrait mieux informer sur les débouchés et sur la réalité du travail. Je reprendrai le propos sur la plate-forme : si l'on veut être serveur ou cuisinier, bien connaître la discipline, le temps, c'est essentiel. Ce serait bien aussi d'informer sur les droits et sur les devoirs du choix d'une filière.
Pour réduire la précarité des jeunes, ce que l'on peut appeler la « gestion de l'autonomie », se pose le problème de l'autonomie financière des jeunes. Avec la concertation de Martin Hirsch, s'est constitué un groupe sur les ressources. Je pense qu'il faut quand même rajouter un thème sur le salarié étudiant, parce qu'on a de plus en plus de jeunes étudiants qui sont obligés de travailler pour pouvoir manger, se vêtir et avoir un logement. Nous les appelons des « salariés étudiants », les syndicats d'étudiants les appellent des « étudiants salariés ». Je pense qu'il est important de s'intéresser à cette catégorie de jeunes travailleurs.
Le plan d'urgence ? Je pourrais vous laisser le communiqué qu'a fait le bureau national de la confédération sur les annonces du Président de la République. Nous l'avons intitulé « Peut mieux faire ». On ne va pas revenir sur ce qui a été décidé. C'est toujours bon à prendre. Mais on pense qu'il faut des mesures de relance de la consommation. Nous voudrions augmenter les salaires en priorité, plutôt relancer les salaires et la consommation que de faire des investissements et des cadeaux aux entreprises.
On prend ce qui est dit, on est conscient qu'il est difficile de résoudre cette problématique de politique de la jeunesse et de l'autonomie. Ce n'est pas parce qu'on dit qu'il faut augmenter les salaires qu'on est contre ce qui a déjà été fait, ce n'est pas le but, cela fait trente ans qu'on essaie de gérer ça, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Avec tout ce qui peut interférer, on en est conscient. Mais peut-être qu'un peu plus d'augmentation de salaire serait une bonne chose.
Ensuite, pour l'assurance-chômage, là aussi c'est une très bonne chose que ce soit réduit à quatre mois. Nous nous sommes déjà exprimés sur la convention, nous n'allons pas revenir dessus. Maintenant se pose la question du Pôle emploi, du rôle qu'on va lui donner, et de la coordination entre toutes ces structures.
M. Fabrice HALLAIS, CGT - D'un point de vue général, sur l'insertion professionnelle, nous avons plusieurs fois discuté avec l'UNEF sur un sujet qui, eux, leur tient à coeur : l'allocation d'autonomie. Et à vrai dire, il y a sûrement des pistes très importantes. C'est en tout cas un travail qui a été fait par l'UNEF et qui est intéressant sur la création d'une allocation d'autonomie. Certains hommes politiques, d'ailleurs, l'ont réclamée et ont même fait campagne sur ce thème en des temps lointains et maintenant oubliés.. On aide aujourd'hui les familles les plus riches par des dispositions fiscales, et ça ne permet pas à tous les jeunes de faire des études, de pouvoir accéder au logement, aux transports etc.
Nous sommes donc pour une allocation d'autonomie qui ressemblerait à ce qu'a proposé l'UNEF pour tous les jeunes. Ça résoudrait sûrement le problème des jeunes étudiants salariés. Ceux-ci sont obligés de travailler dans le cadre de leurs études parce que, justement, ils ne sont aidés par personne, ni par les bourses ni par leur famille.
Pour l'insertion professionnelle, c'est le problème des diplômés en général, ou des non diplômés. Ils recherchent du travail, et ils n'ont droit à rien. Alors dans les mesures qui ont été présentées par le Président de la République qui sont, à partir de quatre mois d'indemnisation, d'ouvrir plus largement les droits : le problème c'est qu'ils ne travaillent pas, ils n'ont jamais travaillé. Il faut qu'un jeune, diplômé ou non, puisse rechercher un travail. Donc il faut offrir une allocation pour recherche d'emploi, qui soit digne de ce nom, qui permette à un jeune, diplômé ou non, d'accéder à un emploi. Sinon, qu'est-ce qui se passe ? C'est tout simple : une personne cherche un travail, et n'en trouve pas, il faut qu'elle vive, il faut qu'elle paie son logement, son transport, sa mutuelle, pour ceux qui peuvent se payer une mutuelle. Ils vont travailler, pour la plupart, au Mc Do. Ils vont travailler le dimanche aussi, à IKEA etc. tout ce qu'on connaît. Ils sont dans une situation précaire, et ça ne leur permet pas de chercher un vrai emploi en fonction de leurs qualifications ou de leurs diplômes.
Pour en revenir aux mesures qui ont été proposées la semaine dernière, c'est encore, une fois de plus, des contrats aidés. Il va y avoir une situation de primes aux entreprises. Ce matin j'étais au comité d'entreprise de ma société et la direction m'a dit : « c'est super, on est très content ! » - ils ne l'ont pas dit comme ça, mais je vais vous résumer - « on est très content, parce qu'aujourd'hui, un jeune diplômé est bien moins cher qu'il y a six mois ou un an, et donc on va le payer encore moins cher, et en plus on va être aidé. Donc, miracle, ça va nous faire des primes, ça va nous faire encore une situation où on va avoir des jeunes salariés qui vont être embauchés, encore moins bien payés que ceux qui étaient embauchés il y a six mois, un an » etc. etc..
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'était au comité d'entreprise, le chef d'entreprise, qui vous disait ça ?
M. Fabrice HALLAIS, CGT - C'était le chef d'entreprise, qui représentait la direction générale d'une grande entreprise. Je pense que ce raisonnement est partagé par de nombreux chefs d'entreprise.
Alors dans ce plan j'ai cherché l'aspect logement, je ne l'ai pas trouvé : ni la santé, ni les transports. Pourtant le logement c'est un deuxième problème pour tous les jeunes, étudiants ou salariés, ou jeunes à la recherche d'emploi. Je n'ai vu aucun chapitre concernant la création de logements dans le cadre des CROUS par exemple. Et cela fait des années qu'on ne crée aucun logement dans le cadre des CROUS.
Dans le cas des jeunes salariés, ils ont un vrai problème, parce que trouver un logement aujourd'hui est extrêmement compliqué, quelle que soit la région française concernée. Il faut être dans le cadre d'un poste stable, en CDI, travaillant depuis tant d'années, aidé par une caution parentale ou bancaire.
Le 1 % logement via le Loca-Pass aide effectivement dans le cas des logements sociaux, mais dans le cadre du privé c'est extrêmement difficile de faire passer le Loca-Pass. Et puis qu'est-ce qu'on apprend dans l'actualité ? C'est que ICAD, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, revend 35 000 logements dans la région parisienne, se désengage forcément des logements de la région parisienne. Donc ça va créer des problèmes dans les mairies, c'est sûr. Et en plus on ne crée pas de logements pour les jeunes. Alors nous, on avait fait des propositions de créer des logements dans le cadre des CROUS, de créer des logements pour les jeunes salariés, de réserver en tout cas un parc de 30 % du parc des logements achetés ou nouvellement construits par l'État qui serait réservé aux jeunes salariés etc. et de tout ça, dans le plan présenté, il n'en est pas fait mention.
Concernant les différents financements, pour nous ça relève plus du cadre de la prime, c'est tout ce que nous pouvions dire.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je voudrais réintervenir sur l'allocation d'autonomie.
J'ai bien compris que vous étiez favorables à une allocation d'autonomie pour tous les jeunes, j'aimerais avoir votre avis à chacun. Certains se sont déjà exprimés mais pourriez-vous vous positionner par rapport à l'allocation d'autonomie ? Est-ce que vous y êtes favorables simplement pour les étudiants, pour tous les jeunes, quelles que soient les ressources des parents ? Ou en prenant en compte les ressources des parents ?
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Pour compléter cette question : partagez-vous les idées de l'UNEF sur les solutions de financement ? C'est-à-dire la part CAF versée à l'étudiant, aux jeunes directement, et surtout la demi-part fiscale qui serait supprimée aux parents et versée aux jeunes ?
M. Hervé GARNIER, CFDT - On pourrait en discuter avec l'UNEF. On fait la proposition d'un « revenu jeune actif » qui n'a pas tout à fait la même philosophie, mais je pense qu'il faut écouter ce que disent les étudiants, parce que même dans une logique de syndicat étudiant, je pense que c'est un débat qui est intéressant.
On a essayé de regarder les problèmes des jeunes quel que soit leur niveau quand ils sortent de l'école. On ne peut pas regarder uniquement la jeunesse à travers le prisme des étudiants. Nous disons qu'il faut un « revenu jeune actif» qui n'exclut aucun jeune, mais qui soit un contrat entre la société et cette jeunesse. Il faut regarder comment on garantit à chacun un parcours. Comment créer un cadre collectif, et donner des solutions individuelles qui peuvent être un emploi et un complément de revenu, ou bien une allocation à travers la formation, ou à travers le service civique ? On ne l'exclut pas de toutes ces solutions. Mais nous ne sommes pas pour une allocation universelle et égalitaire. Cette allocation doit dépendre du parcours individuel, de la situation : il y a les parts fiscales. Je crois que ça doit être un ensemble. On n'est pas favorables à une simplification de tous les dispositifs existants - on peut bien sûr simplifier - mais on doit tout de même avoir plusieurs fers au feu et avoir plusieurs solutions pour répondre à la diversité. La question, certes compliquée, est la suivante : « comment faire pour que ce soit équitable ? »
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - J'ai un élément de réponse pour la prise en compte des ressources des parents. Je considère que si un jeune est autonome, il est autonome : il doit vivre sa vie, il doit assumer un loyer donc s'il y a une allocation, quelle qu'elle soit, je ne pense pas que ça ait un impact sur les parents, en tout cas, ce n'est pas ce que nous souhaitons.
Nous ne sommes pas favorables à une allocation versées à tout le monde, quel que soit le jeune. Il a y une diversité dans les problématiques des jeunes. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de savoir quels sont les types de publics, qualifiés et non qualifiés, et quelles sont les problématiques. Sont-elles des problématiques de logement, de fin d'indemnité ? En fonction des problématiques et de la grande difficulté que peut avoir un jeune, il faut effectivement, ponctuellement, avoir la possibilité d'une somme qui lui soit allouée pour vivre décemment. Je crois que nous avons tous le droit de vivre décemment, que nous ne pouvons pas laisser des jeunes dans la rue. Nous ne pouvons pas laisser des jeunes, comme je l'ai vu dans certains cas, qui n'ont pas mangé pendant deux jours. C'est inhumain. Et je crois que, dans ce cadre-là, il y a un minimum à allouer en fonction de la difficulté et de la diversité de la problématique du jeune.
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Force ouvrière aussi est contre une autonomie universelle et égalitaire à l'ensemble des jeunes. Par contre, dans le cadre d'une allocation d'autonomie, il faut que celle-ci fonctionne avec une contrepartie liée à un projet professionnel, à un projet civique : le jeune doit fournir quelque chose en échange.
Qu'en sera-t-il des trois autres grands types d'aide que les jeunes peuvent percevoir, que ce soit pour le logement, par la CAF, par des exonérations ?
En ce qui concerne les ressources des parents, je ne sais pas. En étudiant tout ce qui a été fait par le Conseil économique et social, on voit que les problèmes de pouvoir d'achat de jeunes sont souvent liés soit à des familles monoparentales, soit au chef de famille qui est déjà au chômage. Dans cette optique-là, il faudrait éventuellement considérer, pour un peu plus d'égalité, le revenu des parents.
M. Fabrice HALLAIS, CGT - L'allocation d'autonomie ce n'est pas un « RMI jeune » contrairement à ce que j'ai pu entendre là. Ce n'est pas ce qu'a proposé l'UNEF et qui nous semble très intéressant. Il faut tout de même se poser un peu dans la société. À 18 ans on a le droit de voter, on a le droit de passer un permis de conduire, si on peut se le payer. Par contre on dépend de sa famille - si la famille peut se le permettre - pour un certain nombre de choses. J'en passe, comme par exemple les allocations familiales, les impôts etc. etc.
L'UNEF a réfléchi sur cette allocation d'autonomie, comme étant en fait la réalisation d'un projet de formation à l'insertion. Il est évident que ce n'est pas un « RMI jeune », peu importe le nom finalement. On ne donne pas un montant à un jeune en lui disant « reviens nous voir dans un an, dans deux ans, dans trois ans et puis on verra ». Non, derrière il y a un projet, un suivi et un accompagnement.
Tout à l'heure vous parliez de la demi-part fiscale. Soyons honnêtes : qui bénéficie de la demi-part fiscale ? Ce sont les familles qui payent des impôts. Seulement pour des études, ça coûte très cher. Donc si vous payez des impôts et si vous ne pouvez pas offrir des études à vos enfants, c'est insuffisant. Les familles les plus riches bénéficient de la demi-part fiscale, et peuvent en plus faire bénéficier à leurs enfants d'études. Là encore, on rejoint la position de l'UNEF : à partir de 18 ans, un jeune serait considéré comme étant indépendant de sa famille, donc pourra faire des déclarations d'impôt s'il travaille. Il y a un certain nombre de droits et de devoirs vis-à-vis des jeunes qui vont de pair avec un vaste projet de formation à l'insertion, à l'entrée dans la vie active. Je pense que cette allocation d'autonomie proposée par l'UNEF est une bonne chose.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Vous avez abordé les contrats aidés et vous avez dit : « le réalisateur n'est pas dans le coup », en parlant des entreprises. A votre avis, faut-il contractualiser davantage en aidant une entreprise avec, comme ça se fait pour certains stages dans un certain nombre d'ordres, par exemple l'Ordre des géomètres, qui désignent leurs maîtres d'apprentissage, qui donnent des objectifs, qui vérifient si les objectifs sont atteints. Est-ce qu'à votre avis c'est un moyen à mettre en place ?
M. Hervé GARNIER, CFDT - Sur le plan d'urgence, si on a aujourd'hui une opinion très mesurée, c'est aussi en raison de la situation économique. Deux chiffres sont à considérer : il y a 600 000 jeunes qui vont sortir du système éducatif, à la rentrée, ça peut être explosif. Il y a un chiffre qu'on trouve encore plus catastrophique : c'est l'augmentation de 104 % du chômage des jeunes diplômés en banlieue. Ce chiffre-là signifie que ceux à qui on a dit « la seule porte de sortie c'est la formation », cette porte vient de se refermer sur eux, avec toutes les conséquences sociales que cela peut avoir derrière. C'est pour nous une bombe à retardement.
On se retrouve en situation d'urgence, donc il y a nécessité d'un plan d'urgence. Si on considère les politiques de l'emploi des jeunes au cours de ces trente ans, les mesures, même incitatives, n'ont pas produit grand-chose, au-delà des effets d'aubaine. Quand on dit que l'on renvoie à l'entreprise, je pense qu'on ne s'en sortira à la fois sur le court et le long terme que s'il y a un projet qui peut être partagé entre des mesures de l'État et les partenaires sociaux.
Je vais être caricatural pour ne pas engager de polémique et pour être clair : si demain on met des apprentis dans la filière automobile on se trompe et on gaspille de l'argent public. Par contre, si c'est pour voir comment on organise les secteurs de l'environnement, le secteur du développement durable, ou l'aide à la personne, c'est bien mieux. Je pense qu'on a une responsabilité en ce qui concerne le choix de la formation pour ces jeunes, la façon dont on les intègre dans l'entreprise, l'évolution réglementaire et conventionnelle qui les encadre. Si c'est un effet d'aubaine, c'est de toute façon un échec et on a aussi notre part de responsabilité. Si vous entendez aujourd'hui notre discours public, ce sera « aujourd'hui la balle est dans le camp de l'entreprise ». Quand on dit de l'entreprise : « il y a celle du patronat», il y a la nôtre aussi. Dans l'accord « Modernisation du marché du travail », l'article trois renvoie à l'insertion des jeunes dans l'entreprise. On a notre responsabilité. Cela ne marchera que si nous sommes complémentaires.
M. Jean BOYER, sénateur de la Haute-Loire - Ce sont des questions rapides. La CGC a dit qu'elle était favorable à des emplois type « emplois jeunes », qui, à l'époque où ils existaient n'avaient pas été pris en compte par les entreprises, mais essentiellement par les collectivités locales.
Je voulais avoir la position des autres organisations syndicales sur les « emplois jeunes ». Est-ce que vous seriez favorables à une mesure contraignante vis-à-vis des entreprises, en lien avec des exonérations de charges, de baisse de taxe professionnelle, et un lien entre ces exonérations de charges, et l'emploi ou la formation des jeunes ?
Quelle est votre position sur le service civique, obligatoire ou pas, pour tous les jeunes ?
M. Fabrice HALLAIS, CGT - Nous voulons que ce soit des CDI, c'est tout simple. On pense que c'est la seule solution pour l'insertion, et pas seulement pour la jeunesse, à tous les niveaux, les salariés aussi. On ne peut pas s'insérer, à n'importe quel âge, si on n'est pas en CDI. Comment voulez-vous trouver un logement si vous n'êtes pas en CDI ? C'est impossible, actuellement.
Quelles sont les contraintes ? On entend dire aujourd'hui : « Autrefois on pouvait le faire, maintenant on ne peut plus le faire, à cause de la crise ». La crise a bon dos. Les entreprises n'embauchent plus. Par contre elles externalisent beaucoup. On parle beaucoup d'entreprises, par exemple Caterpillar, dans le secteur de l'industrie... Mais si on regarde de plus près, au niveau des services, du tertiaire, on parle des nouvelles technologies, ce qu'il faut voir, c'est que les nouvelles technologies aujourd'hui, ne sont plus développées en France. La recherche, ce n'est plus en France. Actuellement les entreprises font développer en Roumanie, au Maroc, en Inde, en Chine. Évidemment ce n'est pas fait au même salaire que l'ingénieur français. Les grandes entreprises, je peux vous les citer, il y en a quelques-unes comme ça - AXA, par exemple - créent des plates-formes « clientèle » au Maroc, et ce sont des centaines de milliers d'emplois qui sont créés là-bas. Tant mieux pour le Maroc, ce n'est pas le problème. En informatique, les délocalisations dans les pays, tels que l'Inde, la Chine, le Maroc, la Roumanie, la Pologne, sont très nombreuses, tout comme les grandes entreprises, par exemple Nestlé. Je pense qu'il faut contraindre les entreprises à ce que ce soit des CDI.
Mme Elvida ARNAUD, CGT - La CGT est contre les « Emplois jeunes ». Ce sont des CDD à long terme sur cinq ans. Cela a débouché sur le chômage, dans beaucoup d'administrations, à l'issue de ces cinq ans. Cela a conduit à embaucher des jeunes diplômés à des postes de niveau BEP, bac. La CGT pense que ce n'est pas une bonne chose.
M. Fabrice HALLAIS, CGT - Concernant le service civique, j'aimerais savoir plus précisément, quand on parle de « service civique » ce que l'on inclut, car cela semble assez nébuleux. En général ce sont plutôt des emplois aidés, de jeunes diplômés que l'on fait travailler pour pas cher. On est donc très réservé par rapport à cette proposition telle qu'elle est développée actuellement.
M. Hervé GARNIER, CFDT - Nous considérons que les dispositifs de type « Emplois jeunes » ou emplois aidés ne peuvent être une mesure structurelle. Ce n'est pas là-dessus que l'on va construire l'avenir. Une mesure conjoncturelle, pourquoi pas, mais nous les voyons plutôt vers le secteur marchand, parce qu'ils doivent s'accompagner de contreparties. Dans le secteur non-marchand, on sait que de toute façon à la fin, c'est terminé. Ce n'est pas comme ça qu'on construit une carrière professionnelle.
Emplois aidés dans le secteur marchand cela signifie contreparties. Comme contreparties possibles, il y a le CDI, mais pas seulement, parce que, concernant le CDI, nous voyons qu'actuellement, beaucoup de jeunes subissent le temps partiel, qui, même s'il est en CDI, ne permet pas de vivre. La contrepartie c'est la stabilité et l'insertion dans l'entreprise, mais aussi la formation et l'accompagnement. Ça doit être un contrat.
Sur le service civique, nous sommes favorables à son développement. Ça doit être une possibilité aussi, pour un certain nombre de jeunes, de satisfaire ce besoin d'engagement qu'ils peuvent avoir. C'est aussi une façon de découvrir son insertion dans la société. Et les propositions faites aujourd'hui par Martin Hirsch de relancer ce service civique vont dans le bon sens, il faudra juste regarder le type d'encadrement.
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - Rapidement je voudrais revenir sur les « Emplois jeunes » : actuellement c'est un mode palliatif. On est favorable au CDI, mais on pense qu'en l'absence de possibilité, si ça pouvait être ouvert, non pas uniquement au secteur associatif, mais aussi au secteur privé et marchand, peut-être sous une nouvelle forme. Cela permettrait aussi à certains jeunes d'avoir une réalité d'un métier, d'une fonction, dans un temps plus court que cinq ans, et une approche palliative en attendant d'avoir un métier et des propositions d'emploi parce que la problématique actuelle est que l'offre d'emploi n'est pas là.
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Je suis d'accord sur les « Emplois jeunes ». L'ancienne formule ne convenait pas mais maintenant, si ce n'est pas uniquement dans le secteur associatif mais aussi dans le secteur privé, on ne peut pas dire non d'emblée. Il faudra voir les conditions d'encadrement.
A propos du service civique volontaire : a priori on n'est pas contre, si la contrepartie reste quand même liée à l'emploi, à une acquisition de compétences ou à l'acquisition de qualifications supplémentaires, ou de projets de formation. Si c'est pour envoyer une partie des jeunes ramasser des papiers sur les plages, ce n'est pas lié en contrepartie à un développement des compétences.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Actuellement quand on parle de formation professionnelle, on aborde seulement l'alternance. Donc j'ai deux questions.
Que pensez-vous de la formation professionnelle initiale sous statut scolaire, et de l'éventualité de la rémunération des lycéens professionnels, puisque les apprentis sont payés ? Cela veut dire qu'il n'y a qu'une seule voie de formation, et qu'on laisse tomber les lycées professionnels.
Ma seconde remarque porte sur la place des entreprises dans la formation. On a l'impression que la formation professionnelle ne peut être que le fait de l'entreprise. Est-ce que vous ne pensez pas que l'entreprise est un bon lieu pour acquérir de l'expérience professionnelle ? Mais est-ce que vous pensez que l'entreprise est le lieu de l'acquisition de tous les savoirs ?
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - En tout cas ce qui nous semble important c'est qu'il y ait un lien très étroit avec l'entreprise, et que l'entreprise forme en interne au niveau professionnel. Pour autant il faut qu'il y ait un vrai tutorat au sein de l'entreprise qui accompagne la formation à côté. Ce tutorat, il n'est pas souvent existant ou s'il est existant, c'est plus la référence à une personne dans l'entreprise, qu'un accompagnement réel de la personne au sein même de l'entreprise.
La rémunération de ces personnes est excessivement faible. Je connais le montant, donc je peux vous dire que ce n'est pas avec ça qu'ils vont pouvoir vivre. Il y a là un effort important à faire au regard de cette rémunération dans l'approche de la formation professionnelle des jeunes.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Que pensez-vous de la formation professionnelle initiale sous statut scolaire ? Personne ne parle des lycées professionnels. Est-ce que vous pensez que la formation ne doit être que par alternance ?
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Non, les lycées professionnels ont toute leur légitimité : peut-être qu'il faudrait revaloriser certains cursus, notamment les filières dont on aura toujours besoin, et qui sont rémunératrices pour les apprenants à terme. Par ailleurs, je ne pense pas que l'entreprise soit le seul lieu unique pour acquérir tous les savoirs. C'est certain. Mais ce n'est pas le seul point unique d'entrée.
M. Hervé GARNIER, CFDT - Il y a bel et bien de la formation professionnelle sous statut scolaire, les différentes mesures prises depuis trente ans m'ont permis d'en bénéficier personnellement : j'ai repris mes études, et évolué dans ma carrière professionnelle grâce à cela. Bien sûr que l'alternance n'est pas la seule réponse ! Il y a toute la place pour les lycées professionnels.
Concernant le lien enseignement - entreprise, il y a un vrai progrès à faire dans la connaissance et la reconnaissance de l'un et de l'autre.
La logique de l'enseignement ne peut pas se satisfaire à elle-même, même s'il faut qu'elle garde son autonomie par rapport à l'entreprise. Il y a besoin d'acquérir des savoirs qui ne se feront pas dans l'entreprise. Ne serait-ce que celle d'être citoyen, on ne va pas demander à l'entreprise de le faire. Mais après, il faut que les deux apprennent à se connaître et à comprendre ce que sont les logiques, pour pouvoir être complémentaires... Moi je me souviens trop d'avoir vécu l'utilisation de l'alternance, qui était perçue par les entreprises comme une mise à niveau des jeunes qui sortaient de l'enseignement. Ce n'est satisfaisant ni pour l'un ni pour l'autre. Je pense que c'était beaucoup de non-dits, et beaucoup d'ignorance des deux côtés. On doit pouvoir enseigner un métier sans forcément être dans l'entreprise, mais on doit pouvoir y trouver sa place et, on doit, en tout cas, faciliter ce passage.
Mme Elvida ARNAUD, CGT - Je suis d'accord avec la rémunération des étudiants en lycée professionnel, au même titre que pour les contrats en alternance, puisqu'ils acquièrent également une expérience et qu'ils font des stages en entreprise.
Par contre l'acquisition du professionnalisme ne se fait pas uniquement en entreprise parce qu'il faut effectivement qu'il y ait la part d'éducation et qu'il n'y ait pas qu'un seul regard sur le monde professionnel.
M. Fabrice HALLAIS, CGT - Les lycées professionnels doivent aussi permettre à tous les jeunes d'acquérir la citoyenneté parce que si on attend des entreprises qu'elles expliquent la vie démocratique au sein de l'entreprise... il n'y aura plus de syndicats ! Quand on rentre dans l'entreprise, ce qu'on y explique ce n'est surtout pas ce qui s'y passe. La vie citoyenne au sein des entreprises n'existe pas.
Dans bon nombre de cas, l'apprentissage n'est plus gratuit. On fait payer des frais d'inscription, des frais de dossier, des frais pédagogiques, un certain nombre de frais assez importants aux jeunes apprentis. De plus, le curseur est monté, c'est-à-dire que maintenant dans l'apprentissage, au fur et à mesure on va vers des niveaux de plus en plus qualifiés, au détriment d'ailleurs des niveaux les moins qualifiés. Que va-t-il se passer dans un avenir proche pour ceux qui sont le moins qualifiés dans notre société ?
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Est-ce que vraiment, nous avons, en tant que société, la possibilité de gommer cette anomalie pour qu'à partir du moment où les jeunes fréquentent un système scolaire d'une façon obligatoire jusqu'à 16 ans, tous achèvent leur année scolaire ? Comment faire ? Quelles sont les structures à mettre en place ? Parce que les abandons en milieu d'année scolaire c'est terrible, ça déstructure tout.
Voici la seconde interrogation : à la rentrée prochaine, comment faire pour que, obligatoirement, toute la société se mobilise en faveur de l'emploi des jeunes ? Et on sait bien, nous les collectivités territoriales, que la première expérience d'un jeune ne peut plus être le chômage dans une société civilisée !
Moi j'ai cette interrogation. Je pense que nous sommes assez riches en France pour redistribuer les choses de façon à faire participer un jeune, de faire en sorte que sa première expérience, au moins pendant un an, soit le travail et la connaissance du monde du travail. C'est peut-être très utopique mais il faut aller en avant.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Ce n'est pas mal comme conclusion !
M. Mahéas vient de parler des ruptures scolaires en cours d'année scolaire. Je voudrais vous interroger sur les ruptures d'apprentissage en cours d'année. La semaine dernière la mission a visité notamment une agence de Pôle emploi en province et le personnel qui travaille dans cette agence nous a dit qu'il venait de retirer des jeunes de certaines formations, parce que dans les entreprises où ils effectuaient ces formations, ils étaient tout simplement maltraités. Or à titre individuel, nous avons tous des expériences de ce genre.
Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a un travail important à faire auprès des employeurs ? Parce que vous êtes plusieurs à avoir pris tout à l'heure l'exemple des métiers de la restauration, bien informer les jeunes avant, pour qu'ils sachent où ils mettent les pieds. Avec le mauvais esprit qui me caractérise, je me disais que les informer trop, et il n'y en aurait plus aucun qui voudrait faire cette formation ! Mais si je pensais ça, c'est parce que précisément, souvent ils sont maltraités. Si on ne change pas ça, ce n'est pas la peine. De là où vous êtes, quel est votre point de vue là-dessus ?
Je voudrais revenir sur le sentiment d'échec par rapport aux observations de certains d'entre vous sur les « Emplois jeunes ». J'ai bien entendu ce que vous avez dit, qui n'est pas nouveau, et qu'on a beaucoup reproché aux « Emplois jeunes ». En même temps, pour les avoir vécus de près, en tant qu'employeur, à l'époque j'étais maire, ce sont des centaines de jeunes qu'on a pris en formation dans une ville difficile, multiethnique et pauvre. Pire, on avait pris avant des CES - je dis « pire » parce que les contrats étaient plus courts, parce que c'était payé, cette fois-ci, vraiment au lance-pierres - à chaque fois pour ces jeunes-là, c'était la première fois de leur vie qu'on leur disait « oui », quelque part. Que quelque part on ne leur fermait pas la porte au nez de l'emploi, que quelque part on ne leur disait pas une fois de plus « vous êtes nuls », parce que c'est ainsi que les jeunes entendent toutes les non-réponses, toutes les réponses négatives. Et ça, c'est tragique de démarrer sa vie d'adulte avec le sentiment qu'on ne vaut rien. Parce que même si ce n'est pas ça qui est en cause, c'est la crise, c'est l'absence d'emplois, c'est une formation qui n'est pas opérante, c'est comme ça que les jeunes l'entendent.
Cela vaut peut-être la peine quelquefois de leur donner cette possibilité d'avoir un autre regard sur eux-mêmes qui débloque les choses par la suite. C'est en tout cas, moi, l'expérience que j'en ai eue. Donc je voudrais surtout connaître votre réaction sur la façon dont les jeunes en formation sont quelquefois maltraités dans les entreprises.
Mme Catherine DUMONT, CFE-CGC - Sur ce sujet grave, je voudrais rebondir sur deux axes : Qu'est-ce que la « maltraitance »? C'est une maltraitance verbale, psychologique ?
Il y a les codes de la société et les codes des entreprises qui ne sont pas appris d'un côté comme de l'autre. Parfois l'entreprise a tendance à prendre un jeune dans un cadre d'« exploitation » et dans certaines entreprises, c'est parfois inconscient, c'est le plus grave, cela se déroule dans un cadre où, comme on n'a pas le temps de former, on maltraite de fait : puisqu'on dit « tu feras ci » on n'est pas là pour permettre au jeune de grandir avec l'entreprise, on est là pour lui donner les tâches subalternes. Le temps de formation en interne, c'est une responsabilité du chef d'entreprise, c'est un vrai problème à gérer.
A propos des ruptures de contrats, il y a tout de même des entreprises citoyennes. Certaines se sont mobilisées en disant : « moi à terme, j'ai besoin de tant de postes, et donc je vais prendre des jeunes en grande difficulté. Et sur ces postes-là, je vais mettre un tuteur ». C'est une implication de grandes entreprises en général, à travers des directions d'emploi. Je dois reconnaître que ce n'est pas toujours faisable au niveau des PME-PMI, et parfois de certaines entreprises de l'artisanat, où là on n'a pas le temps de former, c'est ce que j'appellerais la maltraitance qui débouche sur la rupture de contrat, c'est le manque de connaissance des codes des deux côtés.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quand je parlais de maltraitance c'était « espèce de gourde ! » devant la cliente, « ça fait trois fois que je vous dis... ! Décidément vous êtes une bonne à rien ! » devant quinze personnes.
M. Hervé GARNIER, CFDT- Que ce soit dans les CFA ou à l'éducation nationale, il devrait y avoir une prise de responsabilité pour s'interroger sur les causes de cette rupture et les remèdes proposés.
Pourquoi cette rupture ? Est-ce que c'est une mauvaise orientation ? On ne peut pas clore en disant « il ne vient plus » et on ferme la porte, cela peut-être notre responsabilité, ça peut être une réorientation.
A propos de la maltraitance, il y a des entreprises qui jouent le jeu de l'apprentissage et d'autres non. Je sépare ce qui peut être la rupture à l'initiative d'un jeune, parce que le travail peut-être compliqué, parce que ce n'est pas ce qu'il attendait, parce qu'il ne s'y retrouve pas, ou qu'il n'est pas du tout à l'aise, et là il vaut mieux jouer la rupture plutôt que de le laisser s'enfermer, de ce qui est des comportements « voyous » d'employeurs qui, à mon avis, relèvent d'un autre schéma. A un moment donné, on doit retirer à certains employeurs cette possibilité d'avoir des apprentis ou d'avoir des jeunes en alternance : il faut aller jusqu'au bout de la démarche.
C'est un contrat passé entre la société et l'entreprise ! Si une entreprise ne joue pas le jeu, on rompt le contrat et on en tire les conséquences.
Melle Géraldine MIRALLES, FO - Il est tout de même important de densifier les formateurs des CFA sur ces questions-là, il est important pour l'apprenti d'avoir un tuteur et un parrain : le tuteur intervient au niveau professionnel et l'aide dans son quotidien professionnel, et le parrain l'aide dans son cadre de vie durant les deux ans de son contrat, et aborde les règles de vie professionnelle au CFA et dans l'entreprise.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci.
Audition de M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse
(28 avril 2009)
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - En réalité, nous avons vraiment le sentiment que, sur les constats, il y a unanimité : à droite, à gauche, du côté des employeurs, du côté des salariés, du côté des organisations syndicales, du côté des organisations de jeunes. Il y a plutôt unanimité sur les difficultés, sur le constat qu'elles durent depuis un certain temps, sur le fait qu'elles ne concernent pas une catégorie particulière de jeunes mais l'ensemble des jeunes. Je pense que paradoxalement l'effet de crise a mis en exergue ces différents constats. Notamment, on ne peut pas dire que ce soit un problème de jeunes qui se seraient orientés du mauvais côté, qui n'auraient pas fait tout ce qu'il faut faire parce qu'effectivement, on voit en période de crise que même ceux qui sont diplômés, qui ont fait les bonnes filières, qui ont cherché activement, se retrouvent plus coincés que les autres. Un changement s'impose donc.
On est dans un système classique dans lequel tout le monde considère que c'est l'autre qui doit bouger et pas forcément lui-même. D'ailleurs, je pense que c'est un bon reflet de notre système vis-à-vis des jeunes sur lequel personne n'est véritablement en responsabilité. Les jeunes sont restés dans les politiques publiques françaises, dans des entre-deux, donc dans des charnières dans lesquelles il n'y a pas de dispositifs adaptés pour eux. Il n'y a par conséquent pas non plus de continuité du parcours.
Cela met en évidence des choses qui ne sont peut-être pas d'une très grande clarté. Je prends juste un exemple d'actualité. Depuis longtemps, on dit qu'il y a un certain nombre de jeunes qui sont lâchés en position d'échec. L'institution qui en avait la responsabilité les lâche sans qu'il y ait quelqu'un qui vienne prendre le relais. Tout notre système étant très sélectif et très hiérarchique, et l'alternance étant moins bien considérée que le parcours noble, la question se pose aujourd'hui de savoir comment on peut atteindre les jeunes pour leur dire qu'au moment où on peut déployer de nouvelles places et de nouveaux crédits pour l'alternance, on ne les laisse pas partir dans la nature.
Je dis souvent qu'il y a RAVEL du côté des études supérieures - qui a changé de nom, mais qui est un mécanisme d'inscription - et il n'y a rien pour dire « si vous n'êtes pas inscrits là on peut aussi vous inscrire ailleurs ». Il y a une première certitude, c'est l'obligation d'avoir un système de continuité de prise en charge.
Ensuite se posera la question de savoir si cette continuité de prise en charge permet de mettre fin à l'étanchéité entre d'un côté la sphère éducative et de l'autre la sphère sociale et professionnelle. On est obligé de mettre fin à cette étanchéité. Comme ces deux sphères sont dans des endroits un petit peu différents, cela forcera à faire quelque chose qui soit conjoint. Ça peut être sous l'égide du projet, il n'y a pas d'opinions tranchées. Je pense que c'est vers là que l'on doit converger.
Tout le monde vous dira que l'orientation est un problème. Je ne sais pas si toute la mission partage ce point de vue, mais mon approche personnelle sur l'orientation, c'est qu'elle constitue un problème, parce que ce qui la précède et ce qui la suit est aussi un problème. L'orientation est donc, à mes yeux, le révélateur d'un autre problème, fondamental en France, qui est de dire que les choix qu'on force les jeunes à faire, ou qu'on conduit les jeunes à faire, dès treize, quatorze, quinze, seize ans, sont des choix considérés comme fermants plutôt qu'ouvrants. Par conséquent pèse sur le système d'orientation quelque chose que les meilleurs ne seraient pas capables de supporter. Le système ne peut donc pas répondre aux besoins d'orientation, puisque c'est une orientation qui cache à la fois une sélection et une spécialisation et qui ensuite introduit les jeunes dans des espaces dans lesquels on a restreint le champ des possibles.
Je suis peut-être un peu abstrait là-dessus. Cela signifie que, pour que l'orientation ait un sens, il faut la dédramatiser. Il faut faire en sorte qu'on puisse admettre que les passerelles entre formations, entre emplois, entre filières - ou le mélange au sein des filières - doivent être beaucoup plus fortes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Cela signifie également qu'une expérience dans un secteur doit être reconnue ailleurs. Tout serait beaucoup plus facile si l'on pouvait dire qu'un jeune qui a passé trois ans à faire ses preuves, à faire quelque chose à fond dans un secteur, manuel ou intellectuel, social ou technologique est apte à aller faire autre chose. Ce n'est pas un drame, au contraire, c'est ce qu'on apprend en général pour ceux qui réussissent. On leur explique « faites à fond, donnez-vous à fond, donnez votre passion quelque part, et vous arriverez à la transférer ailleurs ».
Or, tout le système est construit à l'opposé de cela. Je pense donc que ces deux éléments-là - cet élément de responsabilité dans le parcours des jeunes, sans trous, sans hiatus, d'un côté, et de dé-dramatisation de l'orientation et de réouverture des choses de l'autre - sont probablement essentiels dans la politique de la jeunesse. C'est un préalable aux différentes questions qu'on trouvera ensuite qui sont des questions plus techniques et plus opérationnelles qu'il ne faudra certainement pas négliger, mais qu'on ne traite pas sinon.
Dans la Commission, nous avons discuté de ces sujets. On a montré quels étaient les différents réseaux en charge de la jeunesse. On a compté 22 ou 23 réseaux à sigles différents, ayant 4 000 points sur le territoire et étant censés être un système d'orientation. On ne peut pas faire plus désorientant ! Je suis d'ailleurs incapable de vous le décrire, et pourtant cela fait quelque temps que l'on travaille sur le sujet. Je suis incapable de vous caractériser les différences entre les réseaux. Il n'y a pas véritablement d'enjeu derrière : l'un va éventuellement délivrer l'information mais n'aura pas l'enjeu de savoir comment l'orientation, comment l'information, a été utilisée, ou ce que sont devenus les jeunes après.
Vous pouvez multiplier les points, dès lors que vous avez une responsabilité du parcours du jeune - de la manière dont il va métaboliser l'information, dont il aura ressenti les conséquences de son orientation - à ce moment-là, vous aurez quelque chose dans lequel vous serez obligé de restructurer les interlocuteurs qui sont face aux jeunes pour les réorganiser de manière beaucoup plus lisible.
C'est pourquoi les questions d'allocation et de revenus des jeunes sont liées à la résolution de leurs problèmes : ils peuvent se retrouver sans ressources, ce qui compromet leurs études et leur formation. Là, on n'a pas encore la pierre philosophale : on ne peut pas acter quelque chose qui améliore les ressources des jeunes si on n'a pas la certitude que cela va, non pas concurrencer la formation et la qualification ou l'emploi, mais augmenter le taux d'emploi, augmenter le taux de qualification. On ne peut pas avoir quelque chose qui se substitue au reste, sinon on restera avec des taux d'emploi et des taux de formation qui ne sont pas suffisants. Il y a donc besoin à la fois de répondre à leurs problèmes de revenus liés à leur formation et liés à leur insertion dans le monde du travail, mais la réponse à cela est aussi de savoir, du coup, qui se sentira véritablement responsable des jeunes.
Il faut donc qu'on trouve un système dans lequel, quand on parle de droits et de devoirs, il y ait à la fois les droits et les devoirs des jeunes, mais également les droits et les devoirs de celles et ceux qui peuvent avoir la responsabilité de contractualiser avec les jeunes, et donc ont intérêt à ce que le système fonctionne.
J'utilise souvent cette formule : vous prenez une collectivité ou une institution quelle qu'elle soit, pour elle, s'occuper des jeunes a un coût, ne pas s'en occuper est une économie. Alors cela ne veut pas dire qu'elle ne s'en occupe pas, mais cela veut dire qu'on est dans un système dans lequel il n'y a pas le moteur pour pouvoir le faire. À chaque fois c'est considéré comme un coût. Dans le fonctionnement entre l'État, les régions, les départements et les communes, entre le service public de l'emploi d'un côté et le service public de l'orientation, de l'autre, entre les partenaires sociaux, et les collectivités publiques, il n'y en a aucun qui peut se dire véritablement que s'il investit beaucoup dans les jeunes, il aura une sorte de retour direct sur investissement, y compris financier. Je ne trouve pas ça grossier. Donc les mécanismes de revenus, les mécanismes de ressources, doivent être conçus de telle façon qu'il y ait une sorte d'intéressement de la collectivité.
Je dis souvent que si un département ne fait rien vis-à-vis des RMIstes, cela lui coûte plus cher à la fin de l'année parce qu'il a mille RMIstes de plus. Le département qui investit dans la politique d'insertion le fait à la fois parce qu'il y croit socialement, mais aussi parce qu'il sait que s'il le fait, ça lui dégage des marges de manoeuvre pour d'autres choses. Pour les jeunes, on n'a pas ce système et cela me paraît un élément extrêmement important.
Nous en sommes à un moment où nous avons fait les constats dans les groupes de travail. Nous avons regardé les différentes pistes, les différentes propositions et nous arrivons en deuxième phase, où nous allons mettre des choses un peu tranchantes sur la table. Qui peut s'engager sur des objectifs d'une politique de jeunesse de manière claire ? Qui peut tirer les conséquences ? Si tout le monde veut des ressources pour les jeunes, est-ce qu'on est d'accord pour éventuellement remplacer les ressources qui vont aujourd'hui dans les familles des jeunes, pour aller directement chez les jeunes, ou est-ce qu'on considère qu'on ne peut pas le faire ? De telle sorte que, dans la deuxième partie du printemps, on puisse effectivement peaufiner un certain nombre d'options pour répondre aux actions de formation, d'orientation, de ressources, de citoyenneté, d'emploi et de solidarité pour que les choix soient véritablement « tranchables » et pas uniquement une sorte de consensus.
L'objectif est donc de ne pas laisser un jeune sans emploi, sans formation, sans ressources, ou sans accompagnement.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Monsieur le Haut commissaire à la jeunesse, vous nous rassurez parce qu'on avait l'impression qu'on ne comprenait pas grand-chose au problème de l'orientation. Vous venez de nous confirmer ce qu'on avait également constaté nous-mêmes, c'est-à-dire que c'est très compliqué pour quelqu'un qui souhaite s'orienter de s'y retrouver dans le système.
Je pense aussi qu'on a des difficultés dans l'orientation parce qu'on n'a pas de véritable évaluation des métiers porteurs et sur les perspectives de développement. C'est un sujet sur lequel la mission va travailler avant de rendre ses conclusions.
On a de nombreux dispositifs qui, à l'heure actuelle, sont en direction des jeunes. La commission de Foucauld a estimé à près de 32 milliards d'euros les moyens déployés en direction des jeunes. Avez-vous fait une évaluation des dispositifs des politiques qui existaient en faveur des jeunes avant, évidemment, de faire un certain nombre de nouvelles propositions ?
Par ailleurs, parmi les objectifs de la Commission que vous avez installée, vous avez indiqué concevoir des dispositifs fiscaux et sociaux pour traiter les jeunes comme des adultes à part entières. Est-ce que cela veut dire que vous imaginez intégrer le traitement de la problématique de la jeunesse à l'intérieur des systèmes communs ? Ou est-ce que vous maintiendrez la spécificité des différentes structures - d'une ou plusieurs structures - dans tous les cas en direction des jeunes ?
Par ailleurs, à la rentrée prochaine, malheureusement, nous allons avoir encore un nombre important de jeunes qui vont sortir sans qualification du système scolaire. Jusqu'à présent c'était environ 150 000 par an. Quels moyens, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour la rentrée prochaine ?
Concernant les contrats d'autonomie expérimentés par le secrétariat d'État à la ville dans les zones urbaines sensibles, j'aurais aimé savoir quelle appréciation vous portez sur ces contrats et si vous envisagez la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes, sur le modèle de ce qui était retenu par un certain nombre de nos voisins européens ?
Concernant les contrats aidés, nous avions évoqué avec Laurent Wauquiez, ici même il y a quelques semaines, la possibilité de développer les contrats aidés dans les collectivités territoriales, considérant que c'était une bonne chose. Nous étions tous très satisfaits : Laurent Wauquiez au départ n'était pas trop pour, mais nous avons été très contents de nous apercevoir que vendredi matin le Président de la République a indiqué qu'il allait augmenter le nombre de CAE en direction des collectivités territoriales. Est-ce que vous imaginez pour ces contrats aidés, notamment celui-là, que l'on reste dans le dispositif actuel ou est-ce qu'on contractualise, c'est-à-dire est-ce qu'il y a une obligation de résultat dans le contrat qui est attribué à la collectivité ?
Concernant les discriminations positives, est-ce qu'à votre sens il faut fixer des quotas, ou plutôt trouver des mesures qui sont plus incitatives, comme des chartes ?
Enfin, concernant les stages, nous nous posons la question du maintien des stages post-formation. Est-ce qu'à votre avis ces stages, qui viennent après la formation professionnelle et qui ne sont pas dans ce cursus, doivent être maintenus ou au contraire être conservés dans le cadre de la formation ?
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - Sur les 32 milliards d'euros, d'abord on est en train de refaire le compte pour l'actualiser cinq ans ou six ans après. C'est un compte où il est assez difficile de regarder l'ensemble de l'effort, puisque ça va du milliard de la branche Famille vers les jeunes, en passant par les avantages fiscaux.
A l'évaluation, il y a deux manières de répondre.
Il y a une évaluation qui va de soi. On regarde effectivement ces montants, on regarde le taux de pauvreté, on regarde le taux d'accès de certaines catégories à l'enseignement supérieur et on voit qu'on n'en a pas pour notre argent.
Il y a une deuxième manière de faire. Il s'agit d'évaluer plus spécifiquement des dispositifs particuliers et là-dessus, on s'est efforcé véritablement de faire en sorte que tout dispositif lancé, ou tout dispositif relancé, soit accompagné d'une évaluation. Je vais vous en donner deux ou trois exemples.
Le premier exemple concerne les « écoles de la deuxième chance ». Elles existent depuis une quinzaine d'années et on est en train, pour la première fois, de mettre de l'argent de l'État et d'avoir un plan de développement national, pour que ce ne soit plus des exceptions. On l'a fait dans le cadre d'une évaluation particulière sur la base d'un suivi. On a commencé avec deux écoles et maintenant on le fait avec plus de la moitié des écoles de la deuxième chance. Au sein des missions locales, on compare des jeunes qui ont bénéficié de ces écoles par rapport à des jeunes en situation similaire, qui n'en ont pas bénéficié. On regarde les taux d'intégration dans l'emploi : est-il supérieur ou non ? C'est sur cette base-là qu'on pourra continuer à déployer les écoles de la deuxième chance, en pouvant se fonder sur la notion d'efficacité.
Un deuxième exemple concerne la relance de l'apprentissage et des contrats de professionnalisation. Cela se fait en même temps qu'un programme de prévention des ruptures d'apprentissage. Vous savez que les ruptures d'apprentissage peuvent varier entre 10 % là où ça marche bien, 25 ou 28 % en moyenne et 40 % là où ça marche mal. Ces ruptures font des dégâts considérables, et il faut effectivement être capable de pouvoir les prévenir. Là on se situe dans des choses qui sont très concrètes, comme les rentrées décalées pour rattraper : vous avez commencé dans une filière en septembre, on vous récupère en janvier plutôt que de vous dire de passer votre tour. Ce n'est pas forcément du conceptuel, mais ça me paraît aussi important.
Il y a donc un certain nombre de programmes d'évaluation qui ont été lancés et qui continuent d'être lancés. Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais je pense que c'est effectivement un élément essentiel et c'est pour ça que nous croyons beaucoup dans les programmes sur lesquelles nous avons mis 150 millions d'euros avec une évaluation extrêmement forte.
Par rapport à ce que vous disiez sur la rentrée scolaire, il y a pratiquement un tiers des membres du Gouvernement qui ont signé une circulaire pour la rentrée, pour les « décrocheurs », pour les élèves en situation d'échec. Je dis ça sans ironie : c'est un tiers du Gouvernement parce que c'est tout le côté social, tout le côté éducatif, tout le côté emploi, pour obliger à mobiliser l'ensemble des acteurs pour que, justement, cette année il y en ait moins qui échappent et qui se retrouvent sans rien du tout. Nous avons conscience que cette année sera plus dure que jamais. On a mis de notre côté 10 millions d'euros pour aider à la mise en oeuvre de ces coordinations dans des conditions évaluées. Voilà sur le côté évaluation et aussi un élément sur le côté « rentrée scolaire ». Je reviendrai un peu plus sur cet aspect.
Sur le fait de considérer les jeunes comme des adultes à part entière, faut-il des accueils spécifiques ou des dispositifs de droit commun ? Je ne vous répondrai pas de manière ferme là-dessus. Je vais vous donner un exemple : j'ai visité il y a quelque temps une Cité des métiers à La Villette. Il y a quelques Cités des métiers labellisées. Dans cette Cité des métiers, ils ont fait le choix de mettre le pôle emploi et les CIO dans le même lieu. Ce sont des lieux où on s'occupe aussi des adultes de plus de 25 ans, en considérant que c'est plutôt bien. Il y a d'autres endroits où les missions locales sont très spécialisées dans les moins de 25 ans avec un partenariat avec des structures plus généralistes. C'est plutôt bien. Je ne pense pas qu'il faille interdire l'un ou l'autre. C'est pour ça que je reviens toujours aux questions d'évaluation. Ce qui m'intéresse est de savoir, quand il n'y a rien, quel est le pourcentage de jeunes qui trouve une solution dans l'année. Il faut ensuite essayer de trouver des éléments d'évaluation, principalement quantitatifs. Cette évaluation doit prendre en compte le fait que ces structures se sont occupées de jeunes en particulière difficulté. Il est donc normal qu'elles aient des réussites moins élevées que si elles ne prennent que des jeunes qui s'en sont parfaitement sortis. Mais c'est à la portée du premier venu d'avoir des critères d'évaluation qui prennent en compte les difficultés des jeunes. Ce n'est pas impossible à faire. Je ne pense pas qu'il faille prendre tout l'un, ou tout l'autre.
Ce qui me frappe, en revanche, c'est que tout le système spécifique fonctionne en circuit fermé. Je prends encore un exemple : quand vous regardez le pourcentage de jeunes qui arrivent dans les missions locales via les Centres d'information et d'orientation, c'est une infime minorité d'entre eux. Ça devrait être une grande majorité qui passe d'un système à l'autre.
Chacun peut faire du bon travail de son côté, mais plutôt isolé des autres. Il faut donc il faut trouver des moyens de sortir de la litanie des « on vous le fait, on vous met en réseau, on vous met en coordination ». Là encore il faut que quelqu'un puisse avoir la responsabilité du parcours du jeune, et donc se dise « s'ils ne sont pas arrivés à bon port dans les étapes d'après, du coup on me sanctionnera en matière de crédit, de reconnaissance. Je ne crois pas qu'il faille avoir une doctrine sur des choses spécifiques jeunes ou pas spécifiques jeunes, de ce point de vue-là.
Sur le contrat d'autonomie on a, à présent, peu d'éléments d'évaluation. Je pense que j'entends, comme vous, des appréciations contrastées à ce stade. Effectivement, on a vu que les objectifs 2008 ont été atteints à 70 %. Il s'agissait de faire rentrer 4 500 jeunes dans les contrats d'autonomie, à compter de février 2008 (ça a été créé à la fin de l'année 2008). Sur le point de savoir si ce qui s'est passé depuis répond aux ambitions, qui sont de bonnes ambitions, je n'ai pas suffisamment de recul pour dire si ça a tenu ses promesses par rapport à CIVIS ou par rapport à d'autres éléments.
Sur les contrats aidés et sur les obligations liées aux contrats aidés, je m'en réfère aux conclusions du Grenelle de l'insertion dans lequel les associations et les collectivités territoriales ont pris l'engagement de ne pas faire de contrats aidés sans formation. Par ailleurs, pourquoi est-ce qu'on fait des contrats aidés ? En général c'est en se disant que c'est ce sur quoi on peut le plus rapidement actionner, même s'il n'y a pas de besoins, même lorsqu'il n'y a pas d'appétence de l'employeur pour faire de la formation. C'est l'outil le plus statistique parmi toute la panoplie des outils de la politique de l'emploi.
Voilà pourquoi on essaie, cette année, de faire un virage important. Il s'agit de dire à l'État, aux collectivités territoriales, aux hôpitaux, aux établissements d'enseignement, aux mairies comme aux grands établissements publics nationaux que l'on ne leur vous donne pas comme seul outil les "contrats aidés", mais aussi l'alternance, qui aujourd'hui se développe peu pour de nombreuses raisons. Ce peut être la raison pour laquelle qu'il n'y a pas les OPCA, donc on travaille avec le CNFPT. La raison peut être la raison que dans l'État, ce n'est absolument pas la culture et, du coup, sur l'ensemble des fonctionnaires, il y a 6 000 apprentis. Il faut développer rapidement l'alternance dans le secteur public, dans les trois Fonctions publiques. Éventuellement, un contrat aidé pourrait déboucher sur l'alternance après. Cette formule-là est peut-être une bonne formule. Il y a des besoins extrêmement importants de recrutement d'aides-soignants, d'infirmières, sur lesquels on peut utiliser l'alternance. C'est ce permet, encore une fois, d'avoir des élèves ou des étudiants ou des jeunes qui sont payés, en sus de l'aide au logement, pendant qu'ils sont formés. On s'investit beaucoup sur ce point-là.
Concernant la discrimination positive, je suis pour les chartes et les diffusions de bonnes pratiques mais je suis plutôt favorable à deux autres éléments. Le premier est le suivant : sans passer par les quotas, je trouve que c'est une très bonne solution de garantir que les x % d'un collège, d'un lycée aient accès à autre chose. Cela permet de ne pas faire de discrimination positive mais de faire des effets de filières. Les 10 % meilleurs au lycée Janson ou au lycée moins coté d'un endroit plus décrié doivent avoir la même probabilité de pouvoir passer à l'étape supérieure dans les bonnes filières. Je suis persuadé - on a fait de l'expérimentation sur ces sujets - que ça a un effet extrêmement important qui permet de contourner le problème de quotas par origine, par ethnie ... C'est la simple référence à une charte de bonnes pratiques.
A propos des stages post-formation, vous avez vu qu'on procède par étapes. Nous procédons à une étape décisive sur les stages, dans la mesure où effectivement on est en train de remettre les stages là d'où ils n'auraient pas dû sortir : dans le cursus. Il subsiste un cas particulier pour les stages dits de réorientation. Lorsque vous vous êtes trompés de filières et que vous avez envie d'aller voir ailleurs. Il faut les mettre là aussi sous l'égide d'un établissement d'enseignement, pour faire en sorte que les stages se situent dans le cursus. Hors cursus, cela s'appelle du salaire, du contrat de travail.
On reviendra peut-être devant le Parlement pour modifier l'article 9 de la loi de 2006 sur ce point-là et pour préciser que tout stage doit être rémunéré au deuxième mois. Par ailleurs on a mis en place un système où, plutôt que de dire, pendant la crise, « faites des stages puisque vous n'avez pas de boulot », dire « pendant la crise, si votre employeur transforme votre stage en contrat à durée indéterminée, il a droit à 3 000 euros, dont 1 500 qui sont versés au bout de six mois pour être sûr que ce soit un contrat à durée indéterminée, qu'il franchit la barre des six mois ». Je pense que petit à petit on arrive à avoir un résultat, et on l'a dans de bonnes conditions puisqu'elles sont consensuelles entre les syndicats et les organisations patronales. C'est-à-dire qu'on n'aura pas les mesures de revanche sur le thème « vous avez été trop vache sur les stages, du coup on ne prendra plus du tout de stagiaires ». Donc il y a quelque chose qui avance bien, grâce au Comité des stages professionnels, qui est une très belle instance de travail.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Je me suis entretenue avec la mission locale de ma ville et on m'a fait part d'un souci. Je ne sais pas si vous l'avez rencontré des jeunes qui, après leur orientation, et déjà au bord de la recherche d'emploi, ont de grosses difficultés de mobilité. Est-ce que c'est quelque chose qui a déjà été évoqué ailleurs ? Ils ont beaucoup de mal à quitter leur environnement, les copains, à s'éloigner. A Versailles, on essaie de faire une progression tout doucement vers l'Europe pour essayer de les stimuler.
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - Madame le sénateur, il y a effectivement des questions de mobilité, qui peuvent être à la fois culturelles et d'angoisse, et qui peuvent être aussi financières.
Sur l'aspect culturel, on le voit bien, c'est frappant. Je pense à des programmes qu'on a faits à Châtillon-sur-Seine, en Côte-d'Or, où on voyait beaucoup de jeunes qui n'étaient jamais allés à Dijon, et pour lesquels l'idée d'aller faire 30 km vers Mâcon posait un problème pas simplement d'argent, un problème d'environnement. C'est effectivement quelque chose qui s'est passé par rapport à la génération précédente, que je ne sais pas très bien interpréter, mais qu'il faut savoir traiter.
Puis, il y a un obstacle financier qui est évidemment majeur. Cela va du coût du transport jusqu'au coût du permis de conduire, de la voiture, auquel il est intéressant de s'attaquer. Je ne sais pas si vous avez vu, il y a pour les plus de 25 ans maintenant des aides à la mobilité un peu plus nombreuses. Vous avez vu que pour le RSA il y a des aides à la mobilité, puisque sur les 150 millions d'euros de l'Aide pour le retour à l'emploi, on a fléché 10 % sur « permis de conduire et mobilité ». Là on a pris l'engagement, il y a deux jours, pour les jeunes de moins de 25 ans, de débloquer le financement de 10 000 permis de conduire pour commencer. J'ai utilisé l'argent d'une grande entreprise qui produit et diffuse du pétrole, qu'elle a mis dans le fonds « expérimentation jeune » pour faire financer du permis de conduire.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - J'ai vu effectivement les propositions que vous avez faites. Je ne sais pas à quel moment elles seront applicables et appliquées. Est-ce que c'est une réponse conjoncturelle ou est-ce que ce sera une réponse à plus long terme ? Je trouve très bien par contre que vous ayez appuyé sur l'alternance, parce que, en ce qui concerne les jeunes, c'est une réponse qui peut être tout à fait adaptée.
Je me posais quelques questions, notamment, par rapport à l'alternance.
On sait, jusqu'à maintenant, qu'il y a beaucoup de ruptures dans le cadre de l'alternance. Or pour pallier ces ruptures, tant au niveau des entreprises qu'au niveau des suivis par le Centre de formation des apprentis, par les missions locales ou par d'autres organismes, est-ce que vous avez prévu un accompagnement spécifique ? Cet accompagnement consisterait à nommer par exemple d'un tuteur en entreprise, avec une obligation pour les entreprises, qui bénéficient d'exonérations notamment, de nommer ce tuteur en entreprise ? On peut envisager également la nomination d'un référent en centres de formation d'apprentis. En ce qui concerne le suivi, ou plutôt l'accompagnement dans le cadre des missions locales, des PAIO, vous avez effectivement un petit peu parlé de l'accompagnement. Pour moi, l'accompagnement des jeunes, notamment des jeunes un peu plus en difficulté ou en échec scolaire, c'était d'abord poser un diagnostic au niveau d'un jeune, mettre en place une orientation, mettre en place un accompagnement global du jeune. Cet accompagnement ne doit pas uniquement porter sur l'emploi, mais prendre en compte effectivement toute la situation sociale et psychologique de préparation à l'emploi, c'est-à-dire le rapport à une hiérarchie, le travail en équipe, tout ce qui concerne la représentation que les jeunes ont d'un emploi. Celle-ci est souvent bien différente de la réalité qu'ils trouvent après, et du suivi post-apprentissage.
Ne pensez-vous pas également qu'il serait urgent de prévoir un rapprochement entre l'entreprise et l'école bien avant l'âge de 16 ans, au moment de la sortie du système scolaire ?
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse -A propos de l'accompagnement des jeunes et du tutorat, qui, en alternance est systématique, ce qui se passe parfois me semble-t-il est qu'il y a un certain nombre d'entreprises qui nous disent, y compris dans des très grosses entreprises, qu'elles ne prennent pas plus de jeunes en alternance parce qu'elles ont l'impression que leur capacité de tutorat est saturée.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Je voulais juste vous parler d'un exemple : l'apprentissage concerne beaucoup la restauration et c'est là où il y a le plus de clash. Il y a plus de 50 % de clash sur les contrats d'apprentissage en restauration. C'est difficile.
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - Oui, vous avez tout à fait raison. C'est un secteur connu pour cela. Il y a à la fois une rupture dans le taux d'apprentissage, et à la fois, après l'alternance beaucoup de départs vers d'autres secteurs. Grâce à la baisse de la TVA, comme vous le savez, tous ces problèmes vont être résolus ! Et donc ils sont en train de prendre des engagements extrêmement forts à l'heure où nous parlons. Je ne plaisante qu'à moitié, ce que je veux dire par là c'est que, du coup, il y a quand même un peu de sous qui devraient être réintroduits dans l'amélioration des conditions de travail. Les accords qui sont en train d'être signés devraient, en tout cas, ne plus laisser d'excuses à ce type de fonctionnement. Mais, normalement, du côté des filières, qu'on soit en contrat de professionnalisation ou en contrat d'apprentissage, on a un tuteur. Il y a moins de référents extérieurs, et sur les référents extérieurs, effectivement, l'organisation de ces référents est un des enjeux actuels.
Dans les programmes que je citais, il y en a un qu'on fait avec la mission locale de Tulle, de positionnement de référent sur une assez grande échelle, sur 300 jeunes, pour regarder effectivement si ça les aide à prévenir les ruptures d'apprentissage. Je n'ai pas de difficultés pour dire qu'un accompagnement global qui prend en compte le social, le professionnel, l'environnement est bien meilleur que tout autre.
À mon avis, il y a deux problèmes : il y a le problème du coût, celui du positionnement. C'est-à-dire il y a le problème de savoir si on veut faire des accompagnateurs professionnels spécialisés dans l'accompagnement, ou si on doit vouloir dire que dans l'entreprise, dans l'environnement, on doit trouver les référents qui peuvent accompagner. Je préfère qu'il y ait à l'extérieur des gens qui forment des référents dans les entreprises, dans les administrations, dans les associations plutôt que d'avoir une sorte d'armée de référents ou d'accompagnateurs en parallèle. Mais sur les coûts, je trouve que tout ça est vrai pour tout ce qu'on a dit. Les politiques envers les jeunes sont des politiques sociales un peu comme les autres et dans lesquelles on a l'impression qu'on n'en a pas pour notre argent, et sur lesquelles se posent des questions de comportement des employeurs, de comportement des jeunes, de comportement des formateurs, d'efficacité, d'incitations... Dès lors qu'on admet qu'on ne peut pas changer les choses en trois mois, en six mois, en un an, et qu'en plus il sera difficile d'injecter des milliards immédiatement, en sortie de crise quand on aura à choisir, mettons, un milliard donné vis-à-vis des jeunes, peut-être qu'il faudra continuer dans la lignée de ce qui est plus emploi-formation, plus que de réforme des systèmes. Je pense vraiment - et je ne sais pas si j'arriverai à vous faire partager cette conviction -que des programmes qui sont expérimentaux et évalués à grande échelle valent parfois mieux que de se dire qu'on va mettre tout le paquet d'emblée sur quelque chose. Dans ce cas-là, on fait quelque chose d'assez incomplet, c'est-à-dire on prend soit l'allocation soit l'accompagnement, alors qu'on sait qu'on a besoin d'un mélange des deux. Et je préfère de loin dire, sur des territoires volontaires « On y va » sur quelque chose où l'on fait des accompagnements, de l'allocation, du soutien au revenu etc. dans des conditions dans lesquelles on sait dire si on en a eu pour notre argent ou pas.
On sait dire aussi comment ça fait bouger les différents acteurs dans les différentes institutions. On peut décider d'arrêter et de ne pas se lancer dans le programme, par exemple si tous les acteurs (missions locales, CIO, lycées, universités) ont lancé leur programme, et que ça ne marche pas. On ne fonce que si les uns et les autres ont réglé leurs problèmes avant, pour que ce soit le jeune qui soit au coeur du dispositif. C'est tout bête, mais c'est ce qui me paraît le plus garant de consacrer de l'argent public à ces programmes-là, et de gagner du temps sur leur efficacité.
Pour l'entreprise et l'école, tout le monde est d'accord pour que la jonction soit plus précoce. La question va être très simple : tout le monde, quelle que soit l'idéologie, dit qu'ils ont tous vu des gamins qui avaient découvert, les yeux écarquillés, une entreprise à douze ou à treize ans, et en ont arrêté de dire qu'ils ne savaient pas ce qu'ils voulaient. En revanche, une fois qu'on aura dit qu'il faut faire une ou deux semaines, est-ce qu'on dira que c'est en concurrence avec les maths, la physique, le français ? Dans ce cas, la réponse sera négative ! Ce sont les difficultés qu'on va avoir. Donc il ne faut pas se préparer à savoir si on veut rapprocher l'entreprise de l'école car la réponse est : « oui ! ». Mais il faut que ce soit dans des conditions qui ne remettent pas en cause l'indépendance de l'institution éducative, qui ne l'asservisse pas au capitalisme.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Il me semble qu'il serait intéressant d'aller regarder du côté des contrats d'objectifs et de moyens, qui ont été signés entre l'État et les régions. Sur le tutorat, sur l'accompagnement, sur la formation des maîtres d'apprentissage, je crois qu'il y a des choses intéressantes. Je ferme la parenthèse. Je suppose que vous avez rencontré l'Association des Régions de France, que vous avez regardé les contrats d'objectifs et de moyens.
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - On a regardé les contrats, on a reçu l'Association des régions de France, on a annoncé 100 millions d'euros pour rajouter dans les contrats d'objectifs et de moyens sur l'apprentissage, et on avance le calendrier des contrats d'objectifs et de moyens pour pouvoir négocier maintenant avec les régions, alors qu'on avait des contrats d'objectifs et moyens qui se terminaient juste après les élections.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - J'ai deux questions. Vous avez évoqué tout à l'heure dans votre introduction la question du processus enfermant de l'orientation, et la question de la construction d'un parcours, je vous cite : « avec chaque fois des validations ». Je trouve que c'est intéressant, parce qu'on peut aussi faire en sorte que ces parcours, qui sont un peu sinueux, soient des parcours positifs. Mais comment ? Et qui va le faire ?
Par ailleurs, concernant les propositions qui sont faites ici par la Présidence de la République, on voit bien que l'objectif est d'aider à l'insertion des jeunes entre juin 2009 et juin 2010 pour passer ce cap de la crise. J'ai une question concernant les jeunes qui vont sortir avec des qualifications. Je suis dans une commune où ceux qui souffrent le plus sont les jeunes diplômés des quartiers populaires. Est-ce qu'il ne peut pas y avoir des mesures ? Ils n'ont pas besoin d'être pris en tutorat, en entreprise, en contrats d'initiative emploi : ils sont qualifiés. Est-ce qu'il ne peut pas y avoir une action très forte pour demander aux employeurs de recruter ces jeunes-là ? Je ne développe pas, parce que je pense que ça a un effet d'entraînement sur les autres, les plus petits, qui se disent : « à quoi ça sert de rester à l'école ? ». D'autant plus qu'il risque d'y avoir un certain nombre de mesures qui fonctionnent comme effet d'aubaine, malheureusement pour des jeunes qui pourraient être incités à quitter le système éducatif.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Vous avez dit qu'on ne peut pas laisser un jeune sans emploi, sans ressources, sans accompagnement, programme que l'on suit à la lettre. Je dirais même, il suffirait de dire qu'on ne peut pas laisser un jeune sans emploi. Pour le reste, admettons que si tous nos jeunes avaient un emploi, véritablement on s'en sortirait mieux.
Est-ce que, franchement, il n'est pas temps d'analyser les choses : pourquoi les jeunes sont-ils sans emploi ? Tout simplement, je vais citer des exemples très rapides. Du point de vue formation de l'éducation nationale, quand va-t-on arrêter de former des gens au CAP de « petite enfance », alors qu'on a besoin d'ATSEM dans nos écoles ? Quand va-t-on arrêter le BEP « sanitaire et social » quand on sait que ça ne mène à rien ? Quand va-t-on arrêter de développer les formations de psychologue ? Quand je fais une demande de psychologue, j'ai 310 candidats. Pour un temps partiel ! Donc quand va-t-on, avec l'éducation nationale adapter les formations, puisque c'est pour l'emploi, ce n'est pas pour la formation générale? Ce serait pour la formation générale je le comprendrais très bien. Mais c'est un peu pour l'emploi, la spécialité.
Deuxième chose : quand va-t-on arrêter de faire, notamment dans la région parisienne, des pôles d'emplois où nos jeunes ne peuvent pas aller, parce que c'est saturé, il n'y a pas de moyen de communication. Pourquoi le fait qu'il y ait entre l'Est et l'Ouest de la région parisienne... Écoutez, tous les emplois, c'est de l'autre côté ! Ça déséquilibre. On a des villes interstitielles sans emplois, on a une plate-forme, de Roissy par exemple, sur laquelle on ne peut pas se rendre ! Pourquoi avoir favorisé, disons d'une façon extraordinaire, ces pôles d'emplois ? 350 000 m² de bureaux supplémentaires à La Défense ! Monsieur Demuynck et nous, on regarde ça, où sont les emplois, où sont les bureaux à Neuilly-Plaisance ou à Neuilly-sur-Marne ? Alors quand va-t-on dire que pour équilibrer une ville, il faut qu'il y ait quand même un minimum d'emplois par rapport aux actifs ?
Ensuite en ce qui concerne vos mesures, elles vont à l'encontre de la situation économique. L'apprentissage, pourquoi ? En ce moment on est à -25 % pour l'apprentissage. Pourquoi ? Parce que ceux qui, effectivement, voudraient former pour pouvoir utiliser dans leur entreprise se rendent bien compte qu'il n'y a pas d'emplois, que c'est compliqué. Donc vous incitez, en mettant de l'argent, je le comprends bien. Mais ce n'est pas pour ça que ça va créer des emplois.
Concernant l'accompagnement, très franchement la rupture ne se situe pas à 16 ans, elle se situe maintenant bien avant. On a des jeunes en rupture scolaire bien avant 16 ans dans nos milieux défavorisés. Moi j'ai subventionné, en tant que commune, une école de la deuxième chance, mais à l'époque, sans l'État. Maintenant vous allez le faire, j'en prends acte et j'en suis satisfait. Et franchement, on souhaite que ça se développe. Mais la rupture qui se passe, souvent c'est au collège. Et votre collègue de l'éducation nationale dit qu'on va faire quelque chose. On va faire quelque chose d'expérimental avec le département, puisque c'est au collège. Mais attendez, les communes doivent fournir les locaux. Ecoutez, de deux choses l'une, ou on s'occupe du primaire et on peut bien s'en occuper, ou on s'occupe de tout et on s'en occupe mal. Donc là-dessus, les problèmes sont évidents.
Est-ce que vous ne pensez pas qu'on est dans un pays où on doit quasiment imposer à des entreprises significatives, pas seulement à la toute petite entreprise, que des stagiaires soient pris pour qu'il y ait connaissance de l'entreprise ? Parce que, qu'est-ce qui se passe ? Moi, dans une commune de 30 000 habitants, vous savez combien je reçois de stagiaires qui ne trouvent pas de place en entreprise ? Plus de 350 par an ! Je les reçois par défaut, et uniquement des jeunes de ma ville. Parce que les autres, je ne peux pas. Donc ne pourrait-on pas réfléchir, et M. Proglio pourrait peut-être le faire, associé à ce qu'il va présenter autrement, à l'engagement exigé des entreprises à prendre des stagiaires.
M. Jean DESESSARD, sénateur de Paris - J'ai écrit à M. Wauquiez pour lui demander pourquoi il avait supprimé une formation professionnelle d'ascensoriste, parce que j'avais l'impression qu'il y en avait besoin. Il m'a répondu en langue de bois qu'il y avait une circulaire, trois circulaires, cinq circulaires, et il ne m'a pas expliqué pourquoi il avait supprimé une formation professionnelle qui me paraissait porteuse de débouchés.
On sait qu'on a besoin de personnes pour faire des diagnostics d'amiante dans les bâtiments et il paraîtrait que la formation professionnelle n'arrive pas à déterminer si c'est la plomberie qui doit s'en occuper ou la maçonnerie ou la menuiserie, et que pour ça justement il n'y a pas de résultat et on ne forme pas ces gens-là. J'ai parlé à une collègue, vice-présidente d'une région, qui m'a dit qu'elle avait fait trois stages de maintenance d'éoliennes, et les personnes ont trouvé du boulot même avant la fin du stage. Trois fois vingt égalent 60 personnes. Donc ma question est de savoir s'il y a un pilote dans l'avion, qui voit clair ? Ou manque-t-on de radars pour déterminer quels sont les bons secteurs ? Par ailleurs, puisque vous vous intéressez à ce point-là, on entend toujours parler qu'il y a plein d'offres d'emplois dans la restauration, dans les métiers de bouche, et on ne trouve personne. Est-ce que dans votre mission, ce sera d'essayer de déterminer ces difficultés de recrutement ? Est-ce qu'il y aura une impulsion qui sera faite pour rendre ces boulots-là plus attrayants ? Si c'est ça la question. Ou est-ce que ce sont au contraire des fantasmes et qu'il n'y a pas de réalité, il y a un turnover important.
Est-ce qu'il y aurait des méthodes, Monsieur le Haut commissaire ? C'est comme dans l'agriculture, il y a peut-être des méthodes à mettre en place pour que les gens aient des vacances, des loisirs ou que le métier devienne plus valorisant. Est-ce que c'est dans votre mission ?
Dernièrement, pour bien comprendre votre mission, j'étais à l'Ile de la Réunion, et j'entends une déclaration du Président de la République alors que nous sommes en train de faire une mission sur les jeunes... Et pourtant notre rapporteur avait insisté sur le fait qu'on fasse une mission très, très rapidement, mais on est quand même dépassé par la vitesse du Président. Il suggère un certain nombre de propositions. Vous allez évidemment me dire qu'elles vont dans le sens que vous aviez prévu, mais comment est-ce qu'on peut essayer de concilier les déclarations du Président de la République, votre propre objectif, le travail de M. Proglio qui arrive aussi, celui de M. Wauquiez. Et puis-nous notre mission de parlementaires, comment est-ce qu'elle peut être complémentaire par rapport à tout ça ? Si vous pouvez nous donner un peu d'orientation, puisqu'on a parlé, au début, de la difficulté de s'orienter dans l'orientation. Donc si vous pouvez nous donner un sens dans cette orientation.
M. Martin HIRSCH, Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut Commissaire à la Jeunesse - Je vais essayer de vous répondre, je ne sais pas si je vais vous convaincre. La mission est assez simple, en tout cas à définir. Vous avez souligné les uns et les autres sur les constats que tout le monde demande depuis quinze ans, que la politique de jeunesse doit être conçue de manière à peu près transversale, pas avec uniquement un aspect spécifique sur telle ou telle catégorie de jeunes, mais qu'elle soit un peu plus globale. Vous m'avez interpellé pendant des mois lors du débat au Parlement sur le RSA en m'expliquant qu'il n'y avait rien pour les moins de 25 ans. Vous m'avez dit qu'il fallait un fonds d'expérimentation et je m'engage à ce qu'on essaie d'avoir des réponses sur les moins de 25 ans. J'ai transmis, et j'ai dit à mes autorités qu'il n'était pas normal qu'il n'y ait rien pour les moins de 25 ans. Et à la fin ils m'ont dit « d'accord », et je leur ai dit « moi je sais faire ».
Il est important d'avoir une vision collégiale, parce que si on ne passe pas quelques mois à faire bouger les régions, l'éducation, les jeunes, les syndicats de moins jeunes, les organisations patronales, le CJD, il ne se passera strictement rien. Nos missions respectives y contribuent, à les faire bouger. Vous avez dû les voir dans vos auditions, chacun ne peut plus sortir son propre disque de langue de bois, comme vous dites. Le but est de pouvoir sortir, à partir des constats sur lesquels il y a accord, un certain nombre d'orientations sur lesquels on se soit exprimé avec suffisamment de force pour que, allié à vos propositions, on soit obligé de sortir du statu quo.
En parallèle, depuis le début, j'ai dit que ce sont des choses qui prennent un peu de temps. Or la crise a lieu maintenant, avec des effets insupportables sur la génération de maintenant. Et on se décrédibiliserait absolument si chaque jeune qu'on rencontrait aujourd'hui on leur disait : « écoutez, attendez la mission du Sénat, plus la mission Hirsch, plus éventuellement une troisième mission qui feront des propositions, qui feront une loi d'orientation, qui feront ceci, qui font cela ». Il faut qu'on leur dise qu'en période de crise, on est capable d'utiliser des leviers immédiatement. J'ai plaidé publiquement pour dire qu'on travaille pendant des mois. Quand j'ai installé la commission, Virginie Klès en est témoin, j'ai dit : qu'on a un travail de fond d'un côté, et de l'autre on doit pouvoir produire rapidement des propositions non pas structurelles mais destinées aux jeunes face à la crise ».
Si vous reprenez toutes les propositions et toutes les mesures qui ont été prises, elles sont toutes compatibles avec les mesures structurelles. C'est-à-dire qu'on n'a pas anticipé en prenant quelque chose qui serait à contre-emploi par rapport aux premiers constats, aux orientations que l'on a, aux lignes de force qui se dégagent.
De ce point de vue-là il n'y a pas de difficulté ni d'incohérence. Vous vous interrogez sur la cohérence entre votre mission est la mienne. La cohérence, je parle sous le contrôle de votre Président, est que votre rapporteur lui-même siège dans la commission dont il est libre d'en exploiter ce qu'il veut, d'y introduire ce qu'il veut, et de faire en sorte qu'effectivement si on converge sur des choses, on a plutôt tendance à tirer dans le même sens. Si on diverge, et bien autant que ces divergences existent. Chacun essaie de faire avancer les choses. C'est-à-dire qu'il y a un débat strictement nécessaire. J'espère que je ne fais pas de la langue de bois là-dessus. Mais je crois que c'est comme cela que les choses fonctionnent.
Ensuite sur le problème des métiers de bouche, effectivement une fois que l'on a énumérés les grands principes, les politiques de jeunes sont pavées de trucs comme ça, de paradoxes absolus, et, quelquefois, de pas mal d'hypocrisie d'ailleurs.
Alors quelle est notre ambition ? Par exemple, la filière agroalimentaire est venue nous voir en nous disant qu'il avaient du mal à recruter, et qu'ils seraient intéressés par les mesures jeunes, que ça pourrait les aider à recruter. On leur a dit : « mais à ce moment-là, on regarde ensemble ce qui pèche chez vous, pourquoi est ce qu'il y a une difficulté ? Il y a un certain nombre de jeunes qui veulent bien rentrer dans la filière mais qui ne veulent pas passer quarante ans dans le système. On leur a dit : « mettez ça en place là, on vous fait une aide immédiate pour l'alternance, mais mettez-vous en place un droit différé à la formation pour dire aux jeunes qu'après cinq ans dans la filière, ils auront droit à une formation pour autre chose.
On a un certain nombre d'outils ou de leviers pour le faire. Et moi il me semble que sur ces aspects-là, sur lesquels d'ailleurs il faut se méfier des clichés, on voit très bien qu'il y avait un certain nombre de secteurs qui ne trouvaient pas preneur ces derniers temps, qui trouvent beaucoup preneurs... Je pense aux abattoirs, là on voit bien la pression des difficultés de l'emploi, et qui font qu'on trouvera moins de métiers peu qualifiés qui ne trouvent pas preneur dans les derniers mois. C'est là où je dis que si on ne s'y prend pas trop mal, on peut peut-être réussir quelque chose.
L'acmé de la crise met en évidence l'absurdité d'un certain nombre de comportements. En période de crise et de chômage massif, on ne peut pas s'autoriser à redire année après année qu'il y a 10 000 emplois vacants du côté de l'agroalimentaire. On voit qu'on peut coller à un certain nombre de secteurs, qui ont fait des efforts de revalorisation de leur image et des revenus de leurs salariés, et leur implication dans l'appareil de formation. Lorsque vous parliez lorsque vous parliez de la coupure entre entreprise et école, la solution n'est pas simplement que l'entreprise rentre dans l'école. C'est trop facile du côté d'un certain nombre de secteurs économiques de dire tout le temps que l'école ne marche pas, et de ne pas mettre un pied pour faire les formations de transition. C'est pour ça que le système de Veolia a été confronté à cela. Veolia, c'était considéré comme des métiers pas bien du tout. Ils perdaient des métiers en France et à l'international... A un moment, ils se sont dit qu'ils allaient former. Ils ont mis des sous plutôt que de payer la taxe d'apprentissage et ils ont proposé un CDI à chaque jeune formé. Il y a un certain nombre de secteurs économiques qui n'ont pas voulu comprendre cela. C'est plus facile de taper sur l'école que de mettre en place ces systèmes de formation. Je pense que, aujourd'hui, la pression démographique d'avant-crise aidant et la question de la crise se posant dans des questions qui se bousculent un petit peu, on peut utiliser ces leviers pour que les secteurs qui ne faisaient pas appel à l'alternance y fassent appel davantage. Et c'est vrai, il y a deux heures j'étais dans le secteur de l'insertion par l'activité économique, entreprises d'insertion à but non lucratif. On leur a demandé combien elles prenaient de contrats de professionnalisation. Elles m'ont dit : « on ne sait pas, mais certainement pas beaucoup, parce que ce n'est pas dans notre culture. Parce que ça ne nous intéresse pas forcément ». Je leur ai demandé pourquoi elles parlaient comme les autres entreprises qu'elles critiquent par ailleurs, pourquoi est-ce qu'elles ne faisaient pas les efforts maintenant. Je pense qu'on peut appuyer sur ces leviers de manière efficace. C'est à ça que je sers, c'est ça le but de ma mission. Quand j'aide à ce que ça marche, tant mieux. Et je vais bien regarder pour les ascensoristes pour voir ce qui s'y passe.
La Défense face à l'Est, ça me dépasse, si vous me permettez, en période de crise et en période de politique de jeunesse je n'ai pas de prise de position, et je n'ambitionne pas d'avoir des responsabilités sur le rééquilibrage de l'aménagement du territoire. Mais juste pour revenir à des choses que je vois très bien, je trouve ça fou de constater qu'en région parisienne où il y a plutôt un bon effort en matière d'apprentissage et de formation, on va rencontrer encore des difficultés, quand un jeune habite au sud du Val-de-Marne et qu'il est pris par le groupement d'emploi, d'insertion, de compétence du BTP. Ça se passe en partie à Nanterre, une autre partie au nord du Val-d'Oise, et on n'a pas pour ces filières qui sont des filières fortes, des centres de formation, à peu près deux à trois par département, au nord, au sud et au centre des départements de la région parisienne. Il y aurait donc un enjeu de redynamiser les schémas régionaux de formation, d'apprentissage. et c'est à ça qu'on peut servir, ça me paraît évident, avant de parler des sièges sociaux ou des grandes entreprises.
Je n'ai pas répondu sur les collèges. Là aussi, si on s'occupe des jeunes, sur les 16-25 ans certains vous diront « mais, et les collèges ? ». Si on descendait aux collèges on vous dira : « mais, et l'école primaire ? » Ce que je veux dire, ce n'est pas par méconnaissance des autres sujets, c'est qu'il y a un moment où il faut prendre un segment qui est assez homogène, qui est un segment de cette charnière entre la fin de la scolarité obligatoire sur laquelle on travaille sans ornières mais en étant centré déjà en ayant une bonne articulation entre une réforme du lycée et le suivi.
Sur les jeunes diplômés, c'est probablement le sujet sur lequel il y a matière à aller plus loin par rapport à ce qui a été annoncé vendredi. Nous avons encore pas mal d'idées en tête. Si vous voulez abaisser le coût des jeunes diplômés, si vous voulez faire la même formule que les autres, vous abaissez le coût du travail, mais ça devient astronomique. On peut avoir 30 %, 40 %, 50 %, 60 % d'abaissement du coût du travail par rapport au SMIC. Soit on leur demande d'être payés à ce niveau-là, soit effectivement ça fait des coûts du travail élevé. Je voudrais mettre la sonnette d'alarme là-dessus : quand on voit le SYNTEC, le syndicat professionnel de l'informatique, qui recrute normalement un tiers des ingénieurs, dont 8 000 ingénieurs par an, et cette année ils prévoient d'en recruter zéro. Je pense qu'on a un problème sur lequel les réponses ne sont pas complètement à la hauteur. Elles ne sont pas extrêmement faciles. Il y a trois ou quatre pistes. Il y a la piste de leur permettre d'avoir une année de perfectionnement et d'applications supplémentaires. Personnellement, je suis favorable à l'idée de pouvoir avancer vite le service civique et de dire « vous avez eu la chance d'avoir un diplôme allez passer un an, avec une indemnité, à être utile aux autres avant d'être re-recruté quand ça ira mieux. ». Je pense qu'il y a effectivement un certain nombre d'engagements à faire prendre aux grandes entreprises de pouvoir... Il n'y a rien de strictement évident pour les diplômés de l'année. Il se trouve que je trouve cela assez naturel qu'on se soit d'abord le plus intéressé à ceux et celles qui avaient le plus de difficultés, mais vous avez raison que si on ne répond pas aux diplômés ça posera un problème à tout le monde.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup Monsieur le Haut commissaire.
Table ronde « Organisations d'employeurs et organisations professionnelles »
(29 avril 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir pris sur votre temps pour venir nous aider dans notre réflexion. Je vous redis un mot de cette mission sur la politique en faveur des jeunes. Cette mission a démarré voilà trois semaines parallèlement au travail de Martin Hirsch. Il nous a semblé important de ne pas laisser uniquement le législatif réfléchir à ce problème très préoccupant des jeunes. Les législateurs se sont donc mis au travail. C'est une mission exceptionnellement courte. On se donne d'habitude entre trois et six mois et pour celle-ci, on ne s'est donné que deux mois. Cela veut dire qu'à la fin du mois de mai, on veut au moins sortir un rapport d'étape, présenté dans l'hémicycle à nos collègues non membres de la mission. On les écoutera et l'on verra leurs réactions et, éventuellement, on poursuivra nos travaux en juin pour affiner quelques positions et quelques propositions. Compte tenu du peu de temps que nous avons, on a ciblé volontairement la tranche 16-25 ans, en sachant que, souvent, les problèmes commencent avant et, hélas, perdurent au-delà. Nous avons également ciblé quelques thèmes : quatre au total dont deux essentiels : le premier étant l'emploi et ce qui tourne autour de l'emploi à savoir la formation, l'orientation, thèmes sur lesquels nous sommes impatients de vous entendre.
Le deuxième thème important pour nous est celui de l'autonomie des jeunes à savoir autonomie financière et accès au logement. Se grefferont autour de ces deux thèmes essentiels les problèmes de citoyenneté, de santé et d'accès à la culture, l'essentiel étant l'autonomie des jeunes et l'emploi. Peut-être très rapidement, sans doute connaissez-vous ces chiffres par coeur mais je les rappelle néanmoins, nous sommes préoccupés non seulement parce que la crise aggrave sérieusement la situation des jeunes puisque le chômage des jeunes a augmenté en un an de 32 %. Mais nous sommes inquiets aussi parce que cette situation est antérieure à la crise et qu'elle perdure, parce que le taux de chômage des jeunes en France est un des plus élevés d'Europe, parce qu'un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, parce que l'on considère qu'il faut à peu près dix ans pour qu'un jeune y compris diplômé se stabilise au niveau de sa vie professionnelle. Les dix premières années, même pour des jeunes diplômés, sont entrecoupées de périodes de précarité, de périodes de stage etc. Et enfin pour la première fois depuis longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Voilà les raisons pour lesquelles on s'est dit que ça valait la peine de réfléchir sérieusement à tout cela.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je vais commencer par deux questions qui sont extrêmement courtes. J'aurais aimé que vous puissiez nous donner votre avis sur le service public de l'orientation et de la formation. Et si à votre avis, ce service fonctionne bien ? Est-ce qu'en tant qu'employeurs, cela vous satisfait ? Et de même pour la formation. Voilà ce sont des questions courtes. Après, j'en aurai d'autres mais c'est sur ces sujets-là que, pour le moment, j'aimerais que vous puissiez nous donner votre avis.
Mme Geneviève ROY, membre de la commission sociale de la CGPME -En ce qui concerne les deux services publics donc vous venez d'évoquer, on peut toujours dire qu'il fonctionne mais que, naturellement, cela pourrait toujours mieux fonctionner. Je pense que nul n'est parfait et qu'il faut tirer les leçons de ce qui ne fonctionne pas bien. On peut se dire que Pôle Emploi vient de naître et que, probablement, la fusion est une bonne chose mais qu'elle n'a pas encore donné toutes les perspectives attendues. Mais je pense qu'elles seront au rendez-vous. Sur l'orientation, je pense que nous n'avons pas mis suffisamment au coeur de nos préoccupations le jeune. Les orienteurs viennent probablement déjà avec leurs propres idées. Ils n'écoutent pas suffisamment les jeunes et, probablement, c'est un souci. Dans la convocation que vous nous avez envoyée, vous nous demandiez de réfléchir aux moyens de réconcilier les jeunes et le monde de l'entreprise ; cela viendra après. Mais je pense que cela concourt aussi aux difficultés que le jeune peut rencontrer. Il y a naturellement la rencontre avec l'entreprise, les rapports entre l'école et l'entreprise mais il ne faut pas oublier les rapports entre la famille et l'entreprise. Et souvent les orienteurs ne font qu'entériner les décisions qui sont prises par les familles.
Je pense aussi que nous avons un vrai souci de ce côté-là. Nous devons prendre en compte cela, y compris les familles et tout le service de l'orientation doit oublier ses propres références, ses propres blocages, ses propres idées reçues pour aller vers d'autres pistes. Je me souviens avoir entendu un orienteur dire une fois que ce jeune passionné de vélo voulant ouvrir sa boutique de cycles n'allait décidément pas faire cela toute sa vie. Pourquoi pas ? Si cela lui plaît. Je pense qu'il y a encore beaucoup de pistes concernant le service de l'orientation à travailler. Qu'il y ait un rapprochement avec l'entreprise paraît majeur, on en reparlera ultérieurement mais je pense que les pistes d'amélioration viendront probablement de là.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je complète un peu la question que j'ai posée auparavant. Est-ce que, structurellement, vous considérez aujourd'hui que le système est fiable ? Et je pose bien évidemment la question à vous tous. Est-ce que cela est visible ? On a parlé du Pôle Emploi, des missions locales, des PAIO... Est-ce que tout cela est quelque chose que l'on doit plutôt restructurer ? Rassembler ? Ou le fait que cela soit divisé est plutôt une chance ?
Mme Geneviève ROY - Il y a beaucoup d'opérateurs, vous l'avez dit. Il y a les missions locales, les chambres de commerce qui font beaucoup de choses, il y a la CGPME aussi. Je pense que c'est compliqué de s'y retrouver mais la diversité fait que l'on ne s'occupe pas tous de la même chose. Peut-être touchons-nous des publics différents. La diversité n'est pas forcément un mal. Mais il faut qu'il y ait au moins quelqu'un qui puisse « Voilà la liste de ce que vous pouvez consulter ou des lieux où vous pouvez être aidés » et finalement dire pourquoi pas ?
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération » du MEDEF - Peut-être au nom du MEDEF, en ce qui concerne le service public de l'emploi, nous sommes très favorables à ce rapprochement et à la création de Pôle Emploi. Cette mesure va, selon nous, dans le bon sens. C'est vrai que, comme toujours, c'est compliqué de rapprocher deux organisations. Ce n'est pas encore complètement opérationnel mais cela va dans un sens tout à fait positif et nous approuvons cela. Et nous pensons que cela améliore la condition du chercheur d'emploi et cela conduit à son insertion dans le monde du travail, jeune ou pas. Il ne faut pas non plus oublier toutes les associations qui tournent autour : il y a des associations qui, effectivement, interviennent au niveau local dans les municipalités et il y a aussi des associations, comme l'AFIJ, qui travaillent sur l'insertion des jeunes. Le fait qu'il y ait plusieurs acteurs, c'est toujours une bonne chose. Et cela facilite les liens entre quelqu'un qui cherche du travail et une entreprise.
Concernant l'orientation, je pense qu'il y a beaucoup à améliorer. Le MEDEF a toujours eu et ce depuis longtemps des relations avec les écoles, avec les universités. Avec le développement de la DP3, par exemple, les entreprises en régions ont des contacts étroits avec les écoles et les collèges puisque cela se passe au niveau de la 3e. C'est une façon, pour les jeunes, de prendre contact avec l'entreprise. On peut penser que les services d'orientation gagneraient en efficacité en étant au plus près des entreprises, des métiers, des professions etc. De ce côté-là, il y a des conseillers d'orientation qui ont une vision trop théorique des choses. Il y a en d'autres qui sont très bien. Il y a beaucoup d'hétérogénéité. Pour nous, la meilleure solution est la multiplication des contacts entre le monde de l'éducation et l'entreprise. En tout cas, les organisations professionnelles sont tout à fait actives là-dessus. Pour nous, cela est la solution. Il faut davantage de proximité même si nous reconnaissons que beaucoup de progrès ont été accomplis depuis quelques années. Nous avons participé à beaucoup d'initiatives qui nous ont permis de constater que les choses ont changé. On disait autrefois que le monde de l'éducation était complètement déconnecté de l'entreprise. Cela fait longtemps que cela n'est plus vrai.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Donc pour revenir à l'orientation, vous êtes plutôt favorable, comme pour l'emploi, à ce qu'il y ait plusieurs acteurs. Monsieur Falk, qu'en pensez-vous ?
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Plusieurs acteurs mais en réseau. Et je crois que c'est cela la clé. Vous évoquiez tout à l'heure la commission jeunesse mise en place par Martin Hirsch dont un des thèmes porte justement sur l'orientation. Il nous semble que la clé est de mettre véritablement en réseau l'ensemble des acteurs. Cela se fait d'ailleurs déjà dans un certain nombre de régions. Et c'est bien évidemment à ce niveau de proximité qu'il faut mettre les différents acteurs. Pour ce qui est de l'orientation, il y a de quoi être inquiet globalement. Les chiffres, nous les connaissons tous : les 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme ni qualification de l'école, les 90 000 jeunes qui sortent de l'université sans diplôme. C'est un problème majeur pour notre société au-delà du problème que cela pose aux intéressés et aux entreprises. C'est un problème économique et un problème de société. Il nous semble que sur la thématique de l'orientation, il y a eu de nombreux rapports, que tout a été dit, écrit, et qu'il faut effectivement maintenant trancher. Il faut prendre un certain nombre de décisions. Nous, nous croyons au rapprochement entre le monde éducatif et le monde de l'entreprise. Et à chaque fois que nous pourrons sur des cas concrets, pratiques, faire en sorte que les entreprises aient la capacité de s'investir, de s'impliquer, nous serons à disposition. Nous reviendrons tout à l'heure sur un certain nombre d'initiatives.
Sur la question que vous posiez tout à l'heure, sur le service public de l'emploi, Pôle Emploi, il me semble que le plus important dans le mouvement qui est en train d'être réalisé, au-delà du rapprochement entre l'UNEDIC et l'ANPE et qui donne naissance à Pôle Emploi, est d'envisager la formation différemment. C'est de ne pas être dans une logique où l'on forme pour former mais d'être dans une logique de formation en fonction d'une offre d'emploi déposée, en fonction de besoins collectifs identifiés dans les secteurs d'activité ou dans les territoires. Et c'est d'ailleurs dans cet esprit que les partenaires sociaux ont conclu le 7 janvier dernier un accord sur la formation professionnelle qui propose de redéployer un certain nombre de financements vers des publics moins qualifiés, des salariés moins qualifiés au sein des entreprises ou des demandeurs d'emploi mais à chaque fois avec cette obsession de formation menant à l'emploi. L'articulation entre la formation et l'emploi est bien évidemment la règle et la clé des enjeux que vous évoquiez tout à l'heure Monsieur le sénateur.
M. André MARCON, premier vice-président de l'ACFCI - Au niveau des chambres de commerce et d'industrie, nous avons bien sûr regardé avec beaucoup d'intérêt la mise en place des Pôles Emploi. On n'a pas suffisamment de recul pour dire si cela marche bien ou moins bien mais de toute façon, il nous semble que tout cela s'articule autour d'une bonne logique de simplification. Au-delà de cela, les Pôles Emploi et avant cela l'ANPE s'adressent quand même peu aux jeunes de moins de 25 ans. Ils sont moins habitués à l'ANPE qui était plutôt le lieu où l'on se rendait lors d'un accident de parcours plutôt qu'a priori. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes ne vont pas à l'ANPE. Cela nous concerne un peu moins directement.
Je voudrais revenir sur ce qui a été dit. Je partage totalement cette idée évoquée tout à l'heure : il faut se méfier de cette logique de guichet unique qui fait fantasmer et qui dit « S'il n'y a qu'une seule entrée, cela est facile pour tout le monde ». Il ne faut pas qu'au travers du guichet unique, on mette à mal les initiatives des uns et des autres dans ce domaine parce que nous ne serons jamais assez nombreux pour nous préoccuper de ce sujet-là. Je suis donc plutôt d'accord avec cette idée de mise en réseau des gens qui travaillent sur ces questions et que chacun soit capable de flécher vers un autre réseau tant qu'il y en a besoin plutôt que de dire que tout le monde doit rentrer dans la même mécanique.
En ce qui concerne l'orientation, je crois que l'on souffre d'un problème culturel. L'orientation est le plus souvent vécue comme une sanction. « Tu vas être orienté parce que tu n'es pas dans le cycle normal des études qui te permettent d'aller jusqu'au bac et plus loin. On voit bien que tu ne vas pas t'en sortir. Donc on va t'orienter. ». C'est donc une orientation par défaut, alors que l'orientation devrait être au contraire complètement valorisée. Il existe des tas de moyens de réussir sa vie professionnelle en dehors de la filiale générale, voire dans la filiale générale si l'on a commencé à préparer tout cela en amont. C'est pour cela qu'avec nos collègues de la CGPME et du MEDEF, nous sommes en train de mettre en place des mercredis de l'orientation dans les collèges, pour les classes de 3 e , ou dans les lycées, pour les classes de premières et terminales, pour leur dire de réfléchir à l'avenir. Nous leur parlons d'abord de tout ce que vous pouvez faire dans le cadre de l'alternance, de l'apprentissage. Nous leur parlons aussi des métiers en tension de leur secteur, là où il y a des chances d'avoir des emplois demain, et nous leur parlons aussi de la vie économique de leur région s'ils décident d'y vivre. C'est de la proximité, c'est de l'information mais aussi de la valorisation de l'orientation pour que les jeunes commencent à se préoccuper très tôt de leur avenir. Ce qui ne signifie pas se spécialiser mais plutôt de se dire « Éventuellement, je pourrais faire quelque chose. ». C'est davantage comme cela que nous voyons l'orientation.
M. René DOCHE, directeur de l'APCM - Pour les chambres de métiers et d'artisanat, sur la problématique du service public, de l'orientation et du Pôle Emploi, je dirais que ce n'est pas forcément la problématique concernant le public que vous avez ciblé c'est-à-dire les 16-25 ans. Certes, cette simplification est une bonne chose mais le problème est que les jeunes ont souvent recours à des dispositifs qui existent mais qui ne sont pas inclus et qui ne sont pas reconnus dans le dispositif public. Les chambres de métiers et de l'artisanat font beaucoup en termes d'information et d'orientation des jeunes. Elles ont créé, il y a une quinzaine d'années, des centres d'aide à la décision et ont toujours buté sur un refus de les intégrer véritablement dans un service public de l'orientation. Cela est dommageable puisque cela ne donne pas la lisibilité à l'action conduite.
Sur l'orientation en général, je dirai une chose. Par rapport aux chiffres très inquiétants que vous avez évoqués tout à l'heure sur l'aspect catastrophique de l'emploi chez les jeunes actuellement, ce n'est pas que conjoncturel et ce n'est pas l'orientation sur le moment qui est seule en cause mais c'est bien souvent un défaut d'orientation bien en amont. Le problème de l'orientation des jeunes, c'est que l'on ne leur en parle pas et que l'on n'organise pas de rendez-vous d'orientation tant qu'ils ne sont pas confrontés, essentiellement par l'éducation nationale, à un problème d'orientation. On n'intègre pas l'orientation dans le cursus de formation mais on l'aborde une fois que se pose le problème. Nous considérons que si l'on veut véritablement réfléchir sur le problème de l'orientation des jeunes, il faudrait commencer par intégrer l'orientation dans les programmes de formation dès l'école primaire et en mettant les jeunes dans des situations concrètes de découverte de ce que sont les différentes filières possibles d'orientation. A ce moment-là, le jeune se formera éventuellement en perspective d'une orientation professionnelle mais ne se trouvera pas à un moment donné obligé de prendre un virage parce que la voie dans laquelle il se sera laissé entraîner s'avère une voie sans issue ou une voie qui ne correspond pas à ses aspirations et à ses attentes.
M. Pierre BURBAN, secrétaire général de l'UPA - Alors je vais essayer de ne pas être redondant par rapport à tout ce qui a été dit mais cela va être compliqué. Je vais essayer de le dire avec des mots différents. La question tout d'abord du service public de l'emploi, il vient d'être réformé, cela a été dit, Pôle Emploi vient d'être créé, que l'UPA soutient totalement. Pourquoi avons-nous soutenu cette initiative ? Parce que nous considérons que, je vais peut-être être un peu caricatural, le service public de l'emploi tel qu'on le vivait avec l'ANPE n'assurait pas pleinement ses missions. Il y a eu des réformes successives ces dernières années, y compris dans le cadre de financements prévus par les partenaires sociaux et dans le cadre des négociations d'assurance chômage justement pour qu'il y ait un plus large accompagnement des chômeurs. Cela a commencé. Mais l'ANPE avait des difficultés à mettre en adéquation les offres d'emploi et les demandes d'emploi. En clair quand les entreprises et notamment les plus petites allaient voir l'agence locale, elles étaient sûres de rentrer « comme un chien dans un jeu de quilles », si vous me permettez l'expression. Parce que ce sont les petites entreprises qui s'adressent le plus souvent au service public de l'emploi. Nous attendons beaucoup de Pôle Emploi. Nous avons soutenu cette fusion parce que les pouvoirs publics ont clairement affiché que Pôle Emploi devait à la fois assurer l'accompagnement des chômeurs mais aussi l'accompagnement des jeunes qui rentrent sur le marché du travail et également accompagner les entreprises qui recherchent, qui ont des postes à offrir. Et cela est capital. Je ne suis pas contre la pluralité d'acteurs mais dans bien des cas, nous avons été obligés de consulter les consulaires des Chambres de métiers et de Commerce parce que le service public de l'emploi n'assurait pas ses missions.
De ce fait, les conseils régionaux et généraux finançaient des postes pour que ces actions soient justement effectuées. Et l'on l'a vu notamment parce qu'il y a eu des partenariats avec des chambres de métiers que systématiquement, on arrivait, dès lors que l'action était faite, à répondre à des besoins et notamment des entreprises artisanales et surtout à répondre aux attentes des jeunes et moins jeunes qui cherchaient du travail. Cela montre bien que si le travail est fait, on peut régler un certain nombre de problèmes.
Pour ce qui est du service de l'orientation, j'aurai une position un peu différente de mes collègues. Je dirai qu'il n'y a pas de service d'orientation aujourd'hui en France. Cela a été dit, il n'y a d'orientation que par la négative. A ce moment-là, nous prêchons dans le désert depuis des années et des années. On considère aujourd'hui que l'orientation telle qu'elle est faite n'est pas satisfaisante. Pour nous, il faut créer un service public de l'orientation et il ne doit pas appartenir à l'éducation nationale de faire de l'orientation. Cela devrait être un service public à part dans lequel il serait nécessaire d'avoir l'éducation nationale, c'est une évidence parce que c'est quand même elle qui fournit les jeunes en formation, oserais-je dire. Il faudrait y trouver également les partenaires sociaux, le ministère chargé de l'emploi et du travail. Cela permettrait qu'ils communiquent avec l'éducation nationale dans un lieu ad hoc. Les régions pourraient aussi en faire partie parce que jusqu'à preuve du contraire, elles ont, elles aussi, une mission et sans doute les consulaires aussi.
Enfin et comme cela a été dit par beaucoup, il faudrait faire de l'orientation positive avec toutes les filières et les possibilités qui existent. Par ailleurs, je le disais, nous sommes dans un système : hier, il y avait la mise en place de la cellule de pilotage du Fonds d'investissement social (FISO). On est en train de mettre en place les pompiers pour effectivement essayer d'éteindre le feu. Comme cela a été dit, 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification. On est en train de construire un dispositif pour essayer d'accompagner toutes ces personnes-là. Mais cela ne devrait pas exister. Un État comme la France ne peut se satisfaire de tous ces jeunes qui sortent de son système éducatif sans qualification. Nous, nous considérons que plutôt que d'éteindre le feu, il faut régler ce problème d'orientation. Il y a 17 ou 18 plans pour les jeunes qui se sont succédé. Mais dans trois ans, on recommence. Tant que ce problème d'orientation ne sera pas réglé, tant que l'on n'aura pas créé un système de détection en amont de la formation et un système pour accompagner ces jeunes, avant qu'ils ne soient en grande difficulté, ce sera difficile. Et c'est ce que l'on est en train de faire avec le fonds d'investissement social, afin de pallier les carences du système de la formation initiale.
M. Arnaud de la TOUR, président de PRISME - Je compléterai un peu le panorama qui a été fait en ne portant pas un jugement de la même manière puisque nous collaborons avec Pôle Emploi ou ses prédécesseurs depuis de nombreuses années. J'expliquerai pourquoi cette collaboration peut fonctionner. Il y a plusieurs raisons à cette possibilité de collaboration avec Pôle Emploi. La première étant que nous apportons à Pôle Emploi, en complément de ce qu'elle peut apporter, un réseau national d'agences réparties sur le territoire avec près de 6 500 agences, capables de détecter un certain nombre d'emplois au plus près des bassins d'emploi et des évolutions. C'est en cela que le complément se fait avec Pôle Emploi parce que nous sommes en mesure d'effectuer une cartographie assez précise de ces emplois. La seconde chose, c'est que nous alimentons Pôle Emploi avec un nombre d'annonces et d'emplois importants puisque le flux est de 600 000 annonces par an en direction de Pôle Emploi. Le dernier point est que les jeunes sont un peu notre spécialité. On avait coutume dans le passé de dire que c'était en raison de la précarité de ces emplois et je crois que les choses se sont modifiées. 31 % de l'effectif de l'intérim concerne les jeunes par rapport au pourcentage national qui représente 9 %. La question suivante est celle-ci : mais où vont-ils ? Que font-ils ? Une des raisons pour lesquelles 31 % des intérimaires sont des jeunes est qu'au bout de trois ans plus de la moitié des jeunes n'ont pas encore trouvé d'emploi. Nous prenons en charge des formations plus qualifiantes et immédiates. Nous sommes des gens relativement pragmatiques et nos métiers ne nous permettent pas d'être autrement. On amène ces gens à l'emploi puisque parmi les jeunes qui remplissent l'ensemble de nos filières, 31 % des jeunes de moins de 25 ans qui rejoignent une mission d'intérim basculent ensuite vers un CDI à la suite de cette mission. C'est une phase assez pratique de mise à l'emploi.
Ensuite, je rejoins tout à fait ce qui a été dit, c'est-à-dire que nous nous sentons tout à fait à disposition à la fois du système éducatif et à la fois de toutes modalités qui pourraient être construites comme celles que vous avez évoquées notamment pour justement apporter notre pierre à l'édifice. Effectivement le fait que Pôle Emploi soit unique est une bonne chose, qu'il y ait une multitude d'acteurs en est une autre. Que pouvons-nous apporter à l'édifice ? La même chose que ce qui a fait naître cette collaboration pour l'emploi. C'est-à-dire la cartographie des emplois et la transversalité de nos métiers à savoir que nous intervenons sous tout le spectre des différents métiers et nous sommes à même de détecter. C'est le sens de nos premières discussions avec les universités ou le monde de l'éducation même si les sensibilités sont toujours un peu à fleur de peau surtout pour des métiers qui relèvent de l'intérim. On parle d'intérim mais on n'oublie que l'on est devenu les premiers recruteurs de France. L'an dernier, nous avons opéré 55 000 recrutements, ce qui nous place loin devant, et en plus, sur des publics qui sont difficiles : des jeunes, des gens avec qualification et sans qualification. Si l'on a 20 % de cadres, on a plus de 50 % d'ouvriers qualifiés ou non, donc toute la palette. C'est cette cartographie et cette capacité à mettre à l'emploi de manière assez pragmatique qui fait notre force. Et là-dessus, je pense que les collaborations avec l'ensemble des initiatives qui ont été évoquées sont constantes et réelles.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Très bien, merci. Certains d'entre vous ont abordé le problème du rapprochement entre l'entreprise et l'école. Quelles sont les solutions selon vous pour que ce rapprochement soit encore plus étroit ? Pour que ces entreprises participent à l'orientation ? Comment sensibiliser ou faire connaître aux conseillers d'orientation et aux enseignants le monde de l'entreprise ? Est-ce que vous avez des idées sur le sujet ? Est ce que vous avez déjà des expériences qui marchent bien ?
M. Arnaud de la TOUR, président de PRISME - Je peux juste apporter un éclairage très rapide. J'ai noté que dans les premières réflexions qui sont menées par les Universités ou certains lycées pour créer le bureau qui va s'occuper de l'emploi, la plupart du temps, on délègue une secrétaire qui était affectée à autre chose et qui n'a pas forcément les compétences pour cela etc. Ce que je crois, c'est que chacun doit être dans son rôle. Il n'est pas question pour l'entreprise de faire de l'intrusion à l'intérieur du monde de l'éducation et de prendre un rôle qui n'est pas le sien. Par contre, sur les métiers, sur les filières, sur l'emploi, sur ces réflexions-là, nous sommes plus compétents que le monde de l'éducation et je crois que c'est cette partition-là qu'il faut jouer. Arriver à trouver le bon équilibre chacun dans son métier et apporter aux processus ses vertus personnelles est la voie à emprunter. Mais il est vrai que le monde de l'éducation a des compétences pour le monde qui est le sien et je crois qu'il faut qu'il se charge de cette partie-là pour laquelle nous sommes moins compétents.
M. Pierre BURBAN, secrétaire général de l'UPA - Je crois d'abord, et cela a été dit tout à l'heure que le monde de l'entreprise et le monde de l'éducation travaillent ensemble. Je crois que cela serait une erreur de penser qu'il n'y a pas de partenariat aujourd'hui. Le problème est que d'ailleurs souvent par rapport à l'éducation nationale, elle a du mal à gérer ses partenariats. On a beaucoup de branches professionnelles. Il y a aujourd'hui beaucoup de conventions entre les branches professionnelles et l'éducation nationale. Il y a un certain nombre d'opérations très concrètes qui se font et le problème à mon avis est davantage de gérer ces différentes opérations. Comment est ce que l'éducation nationale doit-elle ouvrir ses portes au monde de l'entreprise ? Comme cela vient d'être dit et je vais me répéter, je crois que le problème de fond est que l'éducation nationale a normalement les capacités et les compétences pour former les jeunes et que là où cela pose problème est l'orientation. Nous croyons davantage à la création d'un service public de l'orientation indépendant de l'éducation nationale pour régler un certain nombre de difficultés. Après ce qu'il faut, c'est organiser la présentation des métiers dans les lycées et les collèges, ce qui est déjà fait en réalité dans un certain nombre de cas.
M. René DOCHE, directeur de l'APCM - Pour revenir à ce qu'a dit M. Pierre Burban, et mes propos ne sont pas du tout critiques à l'égard de l'éducation nationale, on demande à l'éducation nationale de faire en termes d'orientation un travail qui est contraire à ses intérêts. Quand on demande à un conseil de classe de réorienter un jeune parce que l'on a senti chez lui une vocation professionnelle, un vrai désir, quand cette décision du conseil de classe amène à le faire sortir du dispositif de l'éducation nationale, on lui demande de tenir un rôle qui n'est pas le sien et qui est contraire à ses intérêts. Vous savez très bien autour de cette table qu'un principal de collège ne sera pas bien noté si en fin de 3 e trop de jeunes quittent le système scolaire, partent en apprentissage ou ailleurs. Tant que l'on n'aura pas enlevé cette contradiction, on va réduire bon nombre d'initiatives menées.
Vous demandiez des exemples. Dans les chambres de métiers, nous organisons régulièrement des opérations portes ouvertes dans des entreprises artisanales ou dans des centres de formation d'apprentis parce que l'on a une population de jeunes qui ne connaît plus les métiers. On leur demande de s'orienter vers des métiers dont ils ignorent tout. Avant de leur parler orientation, il faut leur montrer la palette des métiers possibles. Et nous y participons en les invitant à voir ces métiers. Et lorsqu'il s'agit de jeunes de leur âge qui sont en situation professionnelle, c'est encore plus intéressant et plus parlant pour eux. Le problème lorsque l'on organise ces opérations, je ne généralise pas, est que dans bien des cas les jeunes que l'on nous amène sont des jeunes en échec scolaire. Ils ne sont pas dans une dynamique de recherche d'emploi et d'insertion professionnelle. Deuxième exemple. Il y a une très bonne initiative : les classes de découverte c'est-à-dire les DP3 et les DP6. Mais dans bien des cas, on a placé un enseignant qui n'était pas du tout préparé, pas du tout motivé, et qui ne connaît pas le monde des métiers ni le monde de l'entreprise. Et cela se résume dans ce genre de classe, dont la vocation est de permettre aux jeunes d'avoir un maximum de connaissances sur le monde professionnel, à regrouper parfois des jeunes en échec scolaire et pour lesquels on n'a pas eu d'autre solution. Ces jeunes ne sont pas du tout en appétence d'une recherche professionnelle avec un encadrement qui n'est pas assez préparé et qui ignore tout ce que le monde de l'entreprise est prêt à apporter. Les opérations d'ouverture vers les entreprises, nous les pratiquons, les chambres de commerce également. Il y a une profusion d'offre mais la réponse du système éducatif est souvent très restreinte par rapport à cette offre.
M. André MARCON, premier vice-président de l'ACFCI - Oui nous sommes d'accords sur ces points de vue. J'ajouterai que nous devons être très pragmatiques dans cette approche. Je donnerai cet exemple : je crois que ce qui est important pour les jeunes est qu'on leur dise « voilà où sont les possibilités d'embauche ». Depuis 2002 et les nouvelles lois, nous sommes obligés dans nos certificats de formation de donner le taux d'insertion. Je trouve que c'est une très bonne chose que nous apprécions tous. On est même étonné par nos propres résultats. Mais on s'aperçoit qu'il y a sur le marché certaines formations auxquelles on ne pose pas du tout ces règles et l'on sait très bien que ces formations sont ce que l'on appelle des formations « parking ». Il faudrait systématiser ce taux d'insertion et ces résultats pour avoir davantage de visibilité. Il faut s'adapter aux besoins. Il faut que nous soyons très innovants dans notre manière de communiquer avec les jeunes. Ce n'est pas parce qu'il y a dans une école, une salle dédiée à l'orientation et quelqu'un à qui on a confié cette responsabilité que ça marche. Nous avons de nouveaux outils, je pense à internet bien sûr, cela marche bien comme les forums de discussion par exemple. Nous avons tenté cette année quelque chose qui marche très bien à savoir les nuits de l'orientation parce que les jeunes aiment travailler la nuit. Les chefs d'entreprise qui avaient été invités à participer à cette nuit de l'orientation se demandaient si les jeunes allaient venir. Cela marche très fort. C'est l'occasion d'expliquer ce que sont les métiers et même de signer des contrats. Ce sont des choses assez nouvelles.
Nous avons aussi organisé une journée portes ouvertes pour connaître les métiers et cela fonctionne bien aussi. Nous avons aussi travaillé à la cité des métiers. Tout cela, ce sont des manifestations assez ponctuelles. On voit que lorsque l'on a un peu d'imagination, les jeunes rentrent tout de suite. Il s'agit bien de les intéresser. Je crois également qu'il faut aller plus loin dans le travail avec les enseignants parce qu'il faut que les enseignants soient convaincus du bienfait de ces initiatives, qu'ils soient convaincus par les métiers proposés, des métiers qui correspondent à leurs élèves. Mais ce n'est pas toujours très facile de travailler avec les enseignants. On a fait un gros travail avec les IUFM qui a bien fonctionné. Pour le moment, on arrive à avoir des enseignants qui viennent dans les entreprises ou qui viennent dans nos organisations pour parler d'avenir et des nouveaux métiers. On n'a pas réussi encore dans les écoles et peut-être ce n'est pas un souhait. Je vous raconte cette anecdote : on avait reçu des professeurs d'économie dans leur congrès national au Conseil économique et social et j'avais souhaité que les chefs d'entreprise puissent aller parler dans les entreprises et puissent expliquer ce qu'est l'entreprise. J'ai eu un retour « terrible » qui disait que les chefs d'entreprise n'ont rien à faire dans les écoles. Circulez, il n'y a rien à voir ! Je crois qu'il faut que nous travaillions main dans la main. C'est gagnant-gagnant. De toute façon, on ne travaille que pour les jeunes. On a besoin des jeunes dans les entreprises et les enseignants ont aussi besoin que l'on trouve du travail aux jeunes. Et puis, je pense que l'on pourrait avoir une action tous ensemble, celle de prévenir le décrochage. Quand on est face au décrochage, on est déjà dans une situation d'échec et c'est traumatisant pour l'élève et son formateur. Et l'on est en train d'imaginer de nouveaux systèmes, si l'on pouvait par exemple prévenir ce décrochage en fin d'année pour essayer de voir ce que l'élève est capable de faire et quels sont ses centres d'intérêt. Parce que l'on sait que quand on le fait au mois de juin, il est déjà trop tard. La solution la plus facile sur le papier n'est pas forcément celle qui correspond le mieux à l'élève et à la demande du marché.
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération du MEDEF » - Il y a beaucoup de choses qui ont été dites et j'adhère à ce qui a été dit. Je pense que pour que cela marche bien, il faut des initiatives concrètes, il faut des projets qui parlent aux jeunes et il faut une mobilisation à la fois des enseignants et des entreprises. J'ai cité tout à l'heure l'exemple de la DP3. La DP3 marche effectivement quand les enseignants se mobilisent et adhèrent au projet et lorsque les entreprises locales se mobilisent aussi. On a des expériences au MEDEF très intéressantes, des projets qui ont formidablement bien marché parce que quelques enseignants s'y sont mis. Du coup, les chefs d'entreprise du coin se sont mobilisés et comme cela fonctionne avec le volontariat, cela s'est développé de plus en plus et le succès est au rendez-vous. Ce qui marche aussi très bien, ce sont des expériences que l'on a menées de mini-entreprises. On mobilise des jeunes autour de projets de création de boîtes virtuelles ou réelles d'ailleurs le plus souvent. Ils voient et touchent de près la création d'une entreprise. Et puis ce qui est important aussi et qui a déjà été dit, c'est que le rapprochement entre les enseignants et l'entreprise, cela passe aussi par la réalisation concrète de stage par les enseignants dans les entreprises.
Le MEDEF travaille avec les IUFM et même si ce n'est pas facile, nous considérons cela comme indispensable. Il est indispensable que les enseignants aient une meilleure connaissance de l'entreprise. On a un ensemble de projets dans les cartons au MEDEF pour effectivement proposer aux IUFM des moyens d'intégrer dans leur cursus pédagogique une meilleure compréhension que ce qu'est le fonctionnement d'une boîte. Et donc le MEDEF sera encore amené à faire des propositions là-dessus. Ce qui est sûr, c'est que la multiplicité des initiatives concrètes est vraiment un facteur de succès là-dessus. Des expériences encourageantes ont été menées mais il reste encore beaucoup à faire sur ce sujet. Nous pouvons parler dans les choses qui marchent aussi du rapprochement institutionnel entre les entreprises et les universités avec l'application de la nouvelle loi sur la présence des chefs d'entreprise dans les conseils d'administration. C'est une bonne chose, cela se met en place petit à petit.
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Si vous le permettez, pour rester un instant sur la DP3. Lorsqu'elle a été créée à la rentrée 2005, il y 38 000 jeunes qui y ont participé dans un peu plus de 2 000 collèges. A la rentrée 2008, donc cette année pour 2008-2009, nous avons 85 000 collégiens et 5 300 collèges qui proposent cette option DP3. Ce n'est pas assez puisqu'une classe d'âge, c'est à peu près 750 000 jeunes. Ce que nous souhaitons, c'est que cette option de découverte professionnelle soit généralisée, que dans chacun des collèges, cette option soit proposée. Avec le ministre de l'éducation nationale, avec les organisations interprofessionnelles économiques, avec les fédérations de parents d'élèves en novembre 2007, une convention autour de la découverte professionnelle a été signée et a permis de monter en puissance de façon très significative avec tous les acteurs que vous avez autour de cette table. Il y a une mobilisation très forte des entreprises et de l'ensemble des milieux économiques. Si vous le permettez également, pourquoi est ce que la DP3 peut fonctionner ? Cela marche parce que les filières de formation ne sont pas l'obsession de la DP3. Il y a trois priorités dans les DP3 : la première est de présenter aux jeunes les organisations et en particulier les entreprises. Qu'est-ce que l'entreprise ? Qu'est ce que l'esprit d'entreprise ? Qu'est-ce que cela signifie ? Le deuxième point dans la DP3 est de présenter la diversité des métiers et nous n'avons pas le monopole dans les secteurs privés de l'emploi. Nous souhaitons que tous les métiers puissent être présentés aux jeunes et c'est très important pour la DP3, ce ne sont pas simplement les formations professionnelles ou les métiers techniques. C'est toute la diversité des métiers qui doit être présentée. Et le troisième point est quelles sont les formations qui mènent à ces métiers ? Je pense que l'on inverse complètement la démarche et c'est cela qui est intéressant dans cette option de découverte professionnelle.
Au-delà des stages en entreprise des enseignants qui je le rappelle figure au cahier des charges ratifié par le Haut conseil de l'éducation, tout enseignant pour être titularisé doit avoir effectué un stage en entreprise. Nous sommes là aussi tous mobilisés autour de cette table pour faire en sorte que de stages puissent être proposés. On a aussi mis en place des initiatives plus légères mais pas moins efficaces. Au MEDEF, on a développé une initiative qui s'appelle « les boss invitent les profs », l'idée étant qu'un chef d'entreprise puisse inviter un enseignant pour échanger sur un ou plusieurs métiers. On a même monté des opérations assez passionnantes, du type « vit ma vie ». On a plongé un chef d'entreprise dans une classe et l'on a demandé à un enseignant pendant quelques heures avec un petit accompagnement de vivre la vie d'un chef d'entreprise. En tout état de cause, ce que l'on peut dire aujourd'hui et nous le vivons fortement, nous ne sommes plus, et Pierre Burban le disait très justement, dans une sorte d'opposition idéologique. Nous sommes dans un travail de construction avec vraiment une volonté formidable de part et d'autre. Il me semble que les expériences et les terrains concrets sont les seuls autour desquels on peut véritablement construire quelque chose. Il ne faut pas simplement que cela marche en théorie, il faut aussi que cela vive dans la pratique.
Peut-être une nuance par rapport à des propos qui ont été tenus auparavant. Nous, nous pensons que la clé de la réussite de la DP3 est certes qu'il y ait un véritable service de l'orientation qui puisse être organisé. Mais nous pensons que les équipes pluridisciplinaires d'enseignants sont aussi en capacité de s'impliquer. Chaque enseignant doit aussi et quel que soit son domaine s'investir. Et l'on est souvent surpris quand on regarde les initiatives des DP3, par exemple, on avait lors d'une présentation récemment un professeur de technologie, un professeur d'éducation physique, un professeur de français, des domaines qui sont parfois très éloignés de la vie de l'entreprise et qui s'investissent parfois très fortement avec leurs collègues sur un vrai projet et ils en sortent tous avec beaucoup d'enthousiasme. Je trouve que c'est extrêmement encourageant.
Mme Geneviève ROY, membre de la commission sociale de la CGPME - Je souscris à la plupart des points qui viennent d'être évoqués. Peut-être la difficulté que je rencontre pour vous répondre est celle de la diversité des jeunes. On parlait de la diversité des acteurs dans l'orientation tout à l'heure, je voudrais parler de la diversité des jeunes qui elle aussi est à prendre en compte et ce n'est pas si simple. On l'a dit tous autour de cette table, je pense que l'enseignement est dans une logique de diplôme alors que les entreprises sont dans une logique de métier. Ce sont deux logiques différentes mais qui ne s'opposent pas. Il faut que chacun de nous travaille à ce projet comme nous l'avons dit. Je me répète mais je pense que c'est un acte citoyen que de tous travailler ensemble à l'intégration des jeunes dans la société. On l'a dit sur les stages de découverte, il faut les multiplier. La réforme des lycées qui va bientôt être enclenchée devrait le prévoir. La multiplicité de ces rencontres et le fait que ces enseignants puissent être plus près des entreprises et inversement sont essentiels. Je pense que la responsabilité est partagée. Il n'y en a pas un qui est tout noir et un qui est tout blanc. Je pense vraiment qu'il faut faire oeuvre commune là dessus. On a vu des journées portes ouvertes dans les écoles, mais ne pourrait-on pas imaginer une journée portes ouvertes dans les entreprises ? Un peu comme les journées du patrimoine. Pourquoi ne pas ouvrir nos entreprises pour que les jeunes viennent voir comment nous travaillons ? Voir les gestes ? Le faire une journée tous ensemble, c'est une proposition que je vous soumets. Je pense que cela serait intéressant que tous ensemble nous puissions travailler à cette découverte de l'entreprise.
Un autre point aussi sans doute que nous devrions travailler même si je ne contournerai pas les effets pervers sur la mesure d'auto-entreprenariat. Je pense que « les jeunes et l'auto entreprenariat » est une vraie piste de découverte de l'entreprise et du geste d'entreprendre. Je connais les effets pervers qui sont réels dans l'auto entreprenariat néanmoins, nous étions nombreux à regretter que l'entreprise soit si mal connue et que les jeunes n'aient plus envie d'entreprendre. Certains sondages révèlent que beaucoup d'entre eux ont plutôt envie de se tourner vers la fonction publique. Je pense que l'auto entreprenariat est probablement aussi à travailler sur la sortie de cette situation. Ils ne vont pas rester dans l'auto entreprenariat, dans ce cas-là, il faut vraiment regarder comment on sort de ce système pour arriver à la « vraie » entreprise. Je pense que là aussi, c'est une piste de travail et puis beaucoup l'ont cité cet après-midi sur la liste du 7 janvier et la préparation à l'emploi. Cela ne correspond pas tout à fait aux mêmes types de populations mais ces jeunes qui ont décroché, c'est l'entreprise qui va à Pôle Emploi et qui décrit le poste dont elle a besoin et c'est Pôle Emploi qui forme et l'entreprise s'engage ensuite à embaucher ce jeune en CDD de douze mois ou en CDI. Mais néanmoins, c'est aussi une vraie découverte et l'on est prêt pour l'entreprise à avoir un collaborateur qui connaît son poste. C'est aussi pour des jeunes qui sont en difficulté un moyen de s'intégrer plus facilement. On a parlé aussi des jeunes qui décrochent. Ce sont souvent des jeunes apprentis qui ont probablement trouvé ce contrat d'apprentissage par défaut. Ils avaient envie de faire tel métier, il n'y avait plus de place, ils en ont fait un autre. Il y a beaucoup de décrochages dans ces contrats d'apprentissage parce que cette orientation ne leur convenait pas. Ne pourrait-on pas envisager, et cela est à voir avec les centres d'apprentissage, que tous les six mois, il y ait une rentrée scolaire ? Plutôt que d'essayer d'attendre systématiquement un an. Finalement, on les a perdus pendant un an. Pourquoi ne pas tenter cette démarche ? Et puis s'agissant des jeunes qui sont à l'université, je pense qu'effectivement lorsqu'ils ont passé la première année, et là aussi on en perd beaucoup, il y a d'autres systèmes qui peuvent rattraper ce décrochage. Ne peut-on pas imaginer que la dernière année du cursus universitaire se fasse en alternance ? Est-ce que là encore, on ne peut pas prévoir en deuxième année un bilan d'orientation ? De manière à ce qu'une fois passé cette deuxième année, alors qu'ils sont encore dans une logique de diplôme, ne peut-on pas les faire basculer dans une logique de métier ?
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je vais aller vite sur les autres questions. J'imagine que mes collègues en ont aussi. Je voudrais que l'on évoque un peu les stages. Comment voyez-vous cette politique de stage ? Plusieurs d'entre vous ont évoqué la nécessité et pour les enseignants et surtout pour les étudiants de pratiquer des stages. Aujourd'hui, il y a des stages obligatoires et les jeunes ont beaucoup de mal à trouver des entreprises, alors comment peut-on y remédier ? Parce que si l'on vous suit dans votre raisonnement de la découverte de l'entreprise et dans la logique de stage, il faut en passer par là. Et comme aujourd'hui, on a déjà beaucoup de mal, y a-t-il une manière de faire qui permettrait d'obtenir beaucoup plus de stages ? Par ailleurs, il y a des jeunes qui cherchent des emplois et à qui on offre des stages. Donc là aussi, comment y remédier ? La question globale est : est-ce que vous êtes suffisamment structurés, vous, les entreprises, pour être formatrice ? Est-ce que le rôle de l'entreprise est de former ? Est-ce que vous en avez les capacités ?
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération » du MEDEF - Nous nous sommes énormément investis au MEDEF sur la question des stages. La commission « Nouvelle génération » a été créée dès 2005 et le premier sujet qu'elle a traité fut celui des stages. Une charte des stages a été signée avec le gouvernement. Le problème est de trouver le bon équilibre : un stage n'est pas un emploi. Nous participons très activement au STAPRO, créé à l'initiative du ministère du travail et du ministère de l'enseignement supérieur et où nous retrouvons toutes les organisations étudiantes, les partenaires sociaux, la CGPME. Les entreprises considèrent le stage comme un des éléments de l'alternance : c'est effectivement un moyen de rapprocher les étudiants des entreprises, qui s'investissent d'ailleurs beaucoup. Il faut veiller néanmoins à ce qu'il n'y ait pas d'abus, par exemple l'embauche de stagiaires à la place de salariés.
Après des débats compliqués, nous avons conclu que le stage doit être lié à un cursus pédagogique et donc, pour qu'il soit productif, doit réunir trois parties prenantes : l'entreprise, le corps éducatif représenté par un enseignant-tuteur et le stagiaire qui doit être motivé et savoir qu'il va être évalué. Les entreprises sont tout à fait prêtes à jouer le jeu et les PME sont très demandeuses de stagiaires, les petites boîtes peinant parfois, quant à elles, à en trouver. Il n'y a globalement pas de problèmes concernant l'accueil de jeunes en stage. L'important est de rapprocher l'offre et la demande et nous avons mis en place, au niveau du MEDEF, un dispositif appelé « Mobilisation stage » : un serveur regroupant toutes les offres de stage de certains MEDEF territoriaux et de certaines fédérations. Nous ne demandons qu'à étendre ce dispositif afin qu'il soit un lieu de rencontre entre un stagiaire et une vraie offre de stage. Je pense que nous sommes parvenus maintenant à un bon équilibre. Il faut surtout rester sur l'idée d'un stage de six mois maximum, où les trois parties sont concernées, et garder une gratification qui offre un minimum de rémunération mais qui n'est pas un salaire. Les stages ne doivent en effet pas être transformés en emploi car cela signerait leur arrêt de mort. Si nous restons dans ce cadre défini, le stage est une initiative formidable.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je me demandais de quel niveau de formation vous parliez.
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération du MEDEF » - Je parlais des stages dans l'enseignement supérieur. L'ouverture des stages dans les cursus de licence a amené 200 000 stagiaires supplémentaires, ce qui n'est pas rien.
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Si je comprends bien, la question posée concernait aussi le stage découverte pour les collégiens de troisième. Faut-il développer, multiplier ces stages d'observation ? Nous pensons qu'il faut forcément articuler ou intégrer le stage dans une démarche de découverte professionnelle et qu'en classe de troisième c'est un ensemble : une préparation à la connaissance de l'entreprise, à la diversité des métiers, aux formations existantes. Vous évoquiez tout à l'heure la possibilité d'accueillir un même jour des élèves avec des opérations portes ouvertes en entreprise ; cela se fait déjà dans de nombreuses régions. Il faut avoir une réflexion sur la capacité d'accueil, à la fois collective et individuelle. Souvent, la capacité d'accueil individuelle est limitée et accueillir une nouvelle classe d'âge équivaudrait à accueillir 550 000 jeunes dans des entreprises. Je me demande si le stage de découverte en troisième est la meilleure façon pour le jeune d'aller à la rencontre du monde professionnel. Le stage est lié à la proximité d'entreprise ou aux relations professionnelles des parents, ce qui crée une inégalité d'accès pour les jeunes concernés. Il faut vraiment mener une réflexion d'ensemble et privilégier des modalités d'accès collectif à l'entreprise et ceci doit s'intégrer, nous semble-t-il, de bonne façon dans le cadre de la découverte professionnelle. En outre, nous avons longuement évoqué la DP3 et la classe de troisième car c'est une classe charnière, mais il ne faut pas s'arrêter là. Le ministère de l'éducation nationale a pris des dispositions pour que, dès les classes de cinquième et quatrième, il y ait des enseignements de connaissance de l'entreprise. C'est bien, mais encore faudrait-il que cette démarche d'orientation active et non par défaut, qui mise sur l'initiative personnelle, se déploie aussi au lycée, en aval de la classe de troisième.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Si je peux me permettre, j'aimerais d'abord dire que nous ne sommes pas ici par hasard : nous sommes motivés par ce problème et, depuis que nous auditionnons, nous sommes de plus en plus persuadés qu'il doit absolument y avoir une rencontre entre le monde éducatif et le monde de l'entreprise. Concrètement, le stage de la classe de troisième pose problème, comme vous venez de le souligner. En effet, la plupart des élèves n'arrivent pas à trouver de stage, ce qui est compréhensible, et se rabattent sur l'entreprise familiale. En outre, leur apporter quelque chose de constructif et ne pas leur faire perdre leur temps demandent un travail considérable.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - Oui moi je suis contre car cela finit souvent comme cela.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'est cela, il ne faut pas que ce soit de la bonne conscience : on se sent tranquille parce que l'on a mis en place ce stage de découverte de la vie professionnelle en classe de troisième mais cela ne suffit pas. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous proposez pour la suite, ce qui semble déjà plus concret et enrichissant. Seulement, quand on parle de la suite, on parle d'élèves de lycée ou de l'enseignement supérieur mais il ne faut pas oublier ceux qui ont décroché avant. J'aimerais avoir votre point de vue d'employeur concernant les raisons qui poussent un jeune à décrocher de son apprentissage et je ne pense pas qu'une mauvaise orientation en soit la seule raison. Réfléchissons à la responsabilité de l'employeur, à la façon dont il s'occupe de l'apprenti. Monsieur Burban, vous parliez de ceux qui décrochent au niveau du collège et vous disiez qu'il fallait les détecter le plus tôt possible.
M. Pierre BURBAN, secrétaire général de l'UPA - Aujourd'hui vous avez beaucoup de jeunes qui ont suivi un cursus universitaire et qui malheureusement décrochent. D'ailleurs, nous avons négocié des CQP avec des syndicats de salariés dans certaines professions pour justement faire des certificats de qualification professionnelle (CQP) de repreneurs d'entreprises et cela s'adresse à des jeunes qui ont échoué au niveau du premier cycle universitaire.
Si vous le permettez, je vais revenir sur les stages des élèves de troisième. Ces derniers sont encore des enfants et je suis très étonné que les établissements scolaires n'organisent pas tout cela. Les IUT, au moins, organisent la relation avec le monde de l'entreprise. Ce n'est pas normal que des élèves de 13-14 ans doivent se débrouiller seuls : cela s'organise. C'est finalement au niveau des collèges que l'on commence à donner le goût du monde économique et de l'entreprise et ils devraient donc mener des actions. Il existe des organisations professionnelles, les chambres de commerce et de métiers : ce n'est pas si compliqué de mettre en relation le monde de l'éducation et le monde de l'entreprise.
Ce que je vais dire va peut-être vous choquer. Nous sommes d'accord, à l'UPA, pour accueillir des jeunes dans le monde de l'entreprise même si la vocation première de l'entreprise n'est pas de former, il faut s'en rappeler. On sait tous néanmoins que l'on doit former des jeunes pour avoir demain des ouvriers qualifiés. Concernant les stages, nous sommes persuadés que pour régler le problème de l'insertion des jeunes, il faut trouver un cursus qui soit en contact avec l'entreprise. Nous privilégions l'apprentissage, voire les contrats de professionnalisation, parce que l'on fait vivre l'alternance. On pense que ce type de dispositif est également accessible à des cursus universitaires - par exemple au Panthéon-Sorbonne, la formation des RH fonctionne bien : les jeunes sont contents, ils se retrouvent d'emblée dans le monde de l'entreprise. En effet, le gros problème est que l'entreprise souhaite embaucher quelqu'un d'un peu opérationnel, qui a déjà acquis un certain nombre de réflexes liés à vie de l'entreprise, donc davantage un jeune qui a suivi un apprentissage qu'un jeune sortant d'un lycée professionnel sous statut scolaire. Nous ne sommes absolument pas contre les stages mais nous nous rendons compte que cela ressemble de plus en plus à ce que l'on fait en matière d'alternance et d'apprentissage. D'ailleurs, les stages sont privilégiés dans les grandes entreprises et l'apprentissage ou les contrats de professionnalisation dans les petites.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - J'aurai trois questions.
Vous avez évoqué les difficultés pour les jeunes de troisième mais ce sont les mêmes dans les cursus supérieurs. Pensez-vous qu'il serait utile de mettre en place un système qui coordonne les stages et qui les centralise, qu'il faille se mettre en accord avec les différentes organisations professionnelles de façon à faire un certain nombre de propositions ?
Deuxième question : vous avez évoqué les stages dans le supérieur, est-ce que l'on va, comme c'est prévu, inscrire deux stages dans les entreprises en licence ?
Enfin, que pensez-vous des stages post-cursus ? Ces stages sont-ils considérés ou non ?
M. Pierre BURBAN, secrétaire général de l'UPA - Je crois avoir dit très clairement que nous privilégions plutôt les fins de scolarité dans le cadre de l'alternance et de l'apprentissage. C'est une priorité car, je me répète, nous sommes en train de transformer les stages en apprentissage, avec l'indemnisation, etc. Ce qui est indispensable, c'est ce passage entre l'organisme de formation quel qu'il soit et le monde de l'entreprise. Tant que nous n'aurons pas généralisé, comme en Allemagne, les cursus par la voie de l'apprentissage, il faudra organiser, centraliser les stages, de façon à pouvoir proposer aux jeunes des stages dans telle ou telle entreprise. Je pense que tout le monde est d'accord pour jouer le jeu.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Et pour les stages post-cursus ?
M. Pierre BURBAN, secrétaire général de l'U PA - Pour les stages post-cursus, je suis d'accord si dans la formation initiale il n'y a eu aucun passage dans l'entreprise.
M. René DOCHE, directeur de l'APCM - Pour revenir rapidement sur le stage d'une semaine en troisième, il est clair que les chambres de métiers et de l'artisanat sont organisées pour mettre en contact les jeunes qui cherchent des contrats d'apprentissage avec des entreprises en mesure de les accueillir. Si l'on nous sollicitait sur des stages, elles pourraient rendre ce service.
Concernant l'enseignement supérieur, les entreprises artisanales forment majoritairement à des niveaux V et IV et de plus en plus au niveau III. L'entreprise artisanale a de plus en plus besoin d'un contact avec des jeunes d'un niveau supérieur car elle a besoin de s'enrichir de l'approche, de la vision que peuvent avoir ces jeunes de l'entreprise. Il y a également la question de la transmission : si l'on arrivait à multiplier les périodes de stage en fin de cursus, on favoriserait sûrement des vocations de reprise d'entreprise. Une difficulté réside en la relation entre le chef de l'entreprise, rarement issu d'une formation universitaire ou supérieure, et le jeune, relation qui ne se fait pas naturellement. Pour ce problème culturel nous pensons que les réseaux consulaires ont un rôle à jouer et nous essayons de travailler avec l'enseignement supérieur pour trouver les moyens d'améliorer ce rapprochement, qui est indispensable.
M. André MARCON, premier vice-président de l'ACFCI - Stage et apprentissage sont deux choses très différentes pour l'entreprise. L'apprentissage est une opportunité pour toutes les entreprises. Moi qui préside un CFA de l'enseignement supérieur, je trouve incroyable le nombre de demandes que nous avons et comment cela fonctionne bien en termes d'insertion au-delà de la formation. Quant au stage, c'est un service rendu par l'entreprise et il n'est pas toujours productif. En effet, un stagiaire qui vient deux mois dans une entreprise n'est pas productif, excepté derrière une photocopieuse. Le chef d'entreprise n'a pas toujours la possibilité d'embaucher derrière ou d'investir sur le jeune en stage. Mais si nous n'offrons pas de stage dans les entreprises, nous nous privons de faire venir des jeunes dans nos entreprises.
Tout cela est donc à manier avec précaution. Les stages doivent être encadrés pendant le cursus scolaire et les universités doivent laisser aux étudiants la possibilité de faire ces stages dans le cadre de leur formation. Il va falloir être très ingénieux sur la mise en place de ces stages car cela va polluer un peu l'idée de l'alternance, idée qui me semble beaucoup plus favorable à un emploi pérenne dans l'entreprise.
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération » du MEDEF - Pour répondre à votre question, je ne crois pas du tout à l'organisation nationale des stages. Je pense qu'il faut rester près du terrain, soit dans les bassins d'emploi, soit dans les filières professionnelles.
Je trouve le stage fin de cursus très bien. Fin de cursus ne veut pas dire hors cursus. Cela permet à un jeune de tester éventuellement une orientation qui n'est pas forcément dans la ligne directe de la formation qu'il a eue. Par exemple, je dirige un cabinet de recrutement et comme c'est un métier un peu particulier, nous prenons des stagiaires de formations extrêmement différentes les unes des autres : à la fin du stage certains partent faire autre chose alors que d'autres sont embauchés car ils s'intéressent au métier et se l'approprient. Le stage est donc un joli sas entre une formation et l'entrée dans la vie professionnelle, dans le prolongement d'un cursus mais pas complètement déconnecté du cursus.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Sait-on combien de stages sont capables d'offrir les entreprises ?
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération » du MEDEF - On a des chiffres aujourd'hui et l'on sait qu'il y a à peu près 800 000 stages post-bac et 1 300 000 avant le bac. On se réjouit que les licences commencent à inclure un stage dans leur cursus, cela en fait 200 000 de plus et il n'y a, à mon avis, aucun problème pour que les entreprises les absorbent. Pour les collégiens, cela doit pouvoir s'organiser. L'accueil n'est pas le même pour le stagiaire post-bac que pour le stagiaire collégien.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Pour rebondir sur la dernière intervention, il y a stage et stage, cela rejoint le problème de la dualité fondamentale qui nous habite tous dans le regard que l'on peut porter sur le problème de la jeunesse. Les stages de troisième n'ont rien à voir avec des stages de professionnalisation ou d'apprentissage. Il faut déjà appeler les choses par leurs noms. La mission de l'éducation nationale n'est pas d'orienter les jeunes mais de leur apprendre à lire, écrire, compter et plus si affinités. Ceux qui n'acquièrent pas ces bases deviennent des désorientés qu'il faut réorienter et, malheureusement, cela devient un choix par défaut dans la méritocratie qui a cours aujourd'hui. Le diplôme étant le « fin du fin », il n'y a plus de place reconnue à l'égard de la pratique du métier. Il faut certainement un service de l'orientation, comme vous nous le dites, et c'est à nous de le faire mais quelle allure allons-nous lui donner, quels rapports et quelles connexions entretiendra-t-il avec le système éducatif ? On trouve, comme on l'a déjà évoqué, des réponses dans des pays nordiques où justement la méritocratie n'est plus basée sur le diplôme.
Aujourd'hui, des jeunes à bac+5 ou bac+6 font des fautes et ne savent pas rédiger correctement, n'y a-t-il pas là une opportunité pour précisément repenser l'accompagnement des jeunes en amont, en construisant un système d'orientation qui a forcement à connaître du système éducatif mais qui, en tout cas, ne peut pas être identifié par le système éducatif ? Il doit y avoir des ponts, des liens entre eux. Pour un élève de cinquième par exemple, quitter l'enseignement général revient à un déclassement, une sorte de choix à réorienter par défaut. J'ai été chargé de faire la première année de tronc commun pour les formations de santé et l'on avait un choix par défaut : la médecine en premier puis les sages-femmes et les infirmières. Il faut aujourd'hui refondre le système culturel éducatif sur la base d'une réévaluation de la fonction du métier, de son rôle et de sa place. Faire des journées portes ouvertes dans les entreprises ferait vraiment du bien
Enfin, vous n'avez pas répondu à la question des 150 000 jeunes qui sont sans formation, que proposez-vous de faire et d'en faire ?
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Si vous trouvez la bonne solution, nous sommes preneurs.
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Si vous le permettez, les partenaires sociaux ont fait une proposition qu'ils avaient déjà réalisée en 2003 : la formation initiale différée.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Pouvez-vous en dire un peu plus là-dessus ?
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Nous avons effectivement demandé que ces jeunes, qui sortent sans qualification ou avec des qualifications insuffisantes du système scolaire, puissent bénéficier, avec un abondement financier de l'État - et c'est là où démarre la difficulté -, de formation leur permettant de s'intégrer ou de se réintégrer dans la vie professionnelle. C'est un débat très compliqué qui a bien évidemment irrigué la négociation des partenaires sociaux sur la formation professionnelle. Est-ce à la formation professionnelle continue, sur les financements apportés par les entreprises pour former les salariés en activité, de financer les éventuelles insuffisances de la formation initiale ?
Nous pensons qu'il y a un travail de fond à faire, qu'au-delà du problème social qui est tout à fait considérable, qu'au-delà des difficultés de recrutement auxquelles sont confrontées les entreprises parce que trop de jeunes sortent sans diplômes et qualifications, il y a véritablement un enjeu qui est un enjeu de société. Nous souhaitons vivement - les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs sont très unies dans cette demande - qu'il soit donné suite à ce concept de formation initiale différée, qui fonctionne pour les salariés surtout dans le cadre du congé individuel de formation, et que nous voudrions voir élargi avec un accompagnement ou un abondement financier de la part de l'État, de l'ensemble des partenaires qui pourraient se mobiliser autour de cet enjeu.
Dans l'accord formation professionnelle du 7 janvier 2009, nous avons également un dispositif : la préparation opérationnelle à l'emploi qui, en fonction d'une offre d'emploi identifiée, notamment pour des personnes n'ayant pas le niveau requis de qualifications, va permettre de les mettre à niveau pour accéder à cet emploi ou par exemple à un contrat de professionnalisation.
Dans le même esprit et dans le cas de la négociation sur la formation professionnelle pour des publics très éloignés de l'emploi, notamment ceux qui relèvent du Grenelle de l'insertion, nous avons formulé un certain nombre de propositions, que nous voyons maintenant transposées dans le projet de loi, pour que ces jeunes ou moins jeunes puissent bénéficier plus largement des contrats de professionnalisation. Il me semble qu'il faut prendre les mesures de fond nécessaires, dont nous avons débattu cet après-midi et qui concernent une réforme de l'orientation. Nous devons véritablement travailler à la source et passer des rapports, des analyses, à de l'action. Nous attendons beaucoup des travaux de cette commission jeunesse, nous attendons qu'il y ait des propositions suivies d'effets, qui nécessitent le renforcement des liens entre l'entreprise et le monde éducatif, et il faudrait arriver à responsabiliser le jeune, le rendre plus autonome dans son parcours personnel et professionnel. Il faut aussi évidemment traiter les effets et les entreprises, les partenaires sociaux, notamment en cette situation de crise, ont été particulièrement responsables pour redéployer des fonds de la formation professionnelle continue vers des salariés moins qualifiés ou des demandeurs d'emploi. Il faut faire évoluer une situation structurelle et une situation conjecturelle qui nécessite une action d'urgence.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Sur les problèmes d'orientation, toutes les personnes que nous avons reçues ici, y compris des associations de jeunes, différents syndicats, ont dénoncé les lacunes en matière d'orientation. Ils ont dénoncé cette ineptie totale qui fait que ceux qui sont censés orienter n'ont aucune culture de l'entreprise ni connaissance de l'éventail des métiers et de ses réalités.
La formation initiale différée sous-entend que le jeune est d'abord mis en situation professionnelle et qu'ensuite il peut reprendre une formation. De nombreux exemples à l'étranger semblent très bien marcher mais cela soulève d'autres problèmes. En effet, ces jeunes sont « orientés » par l'échec : un élève est jugé nul au conseil de classe et ne peut pas passer en seconde. Ces élèves reçoivent une image négative d'eux-mêmes depuis des années. Ils ont intégré le fait qu'ils étaient nuls et ne valaient rien. Quand on les met au travail, ils portent sur eux un autre regard car ils ont été choisis quelque part, car ils réussissent quelque chose et, à ce moment-là, un déblocage se fait et ils peuvent reprendre leur formation dont ils ne voulaient plus entendre parler depuis longtemps.
M. Bernard FALK, directeur de l'éducation et de la formation du MEDEF - Sans vouloir monopoliser la parole, lorsque l'on évoquait tout à l'heure les contrats en alternance, on évoquait des contrats de travail alors que l'alternance est avant tout une modalité pédagogique entre l'entreprise et un lieu de formation. On peut placer le curseur à des niveaux très différents. Le curseur des stages pourrait être le suivant : beaucoup de formation initiale dans un lieu de formation extérieur à l'entreprise et un peu de mise en application, de pré-expérience professionnelle. Le contrat d'apprentissage est déjà beaucoup plus ancré dans la réalité de l'entreprise : il y a un équilibre entre un centre de formation d'apprentis et une entreprise avec un maître d'apprentissage qui apporte cet accompagnement. Le contrat de professionnalisation se joue encore davantage en entreprise et est très complémentaire du contrat d'apprentissage. Les pays qui ont le taux de chômage des jeunes le plus bas sont ceux qui, globalement, ont misé sur les modalités pédagogiques de l'alternance, par exemple en Allemagne, en Autriche, dans des pays nordiques comme le Danemark où des initiatives extrêmement intéressantes voient le jour. Je crois que le sujet ne porte pas sur une question d'âge ou d'expérience : la seule chose qui compte est que l'expérience professionnelle soit formatrice. Il faut certes raisonner en termes d'acquisition de connaissances mais avant tout en termes de compétences susceptibles d'êtres mises en oeuvre dans un univers professionnel.
Mme Bernadette BOURZAI, sénatrice de la Corrèze - Ce que je vais dire est plutôt un constat de ce qui vient d'être dit. J'ai enseigné pendant 25 ans dans un établissement d'enseignement général et technologique donc je fais très bien la différence entre les deux systèmes d'enseignement. Ce n'est pas compliqué de dégager les élites mais c'est beaucoup plus difficile d'amener chacun devant des choix positifs. Dans cet établissement, il y avait une section de production robotique, donc de la mécanique, et une collaboration exemplaire existait entre les entreprises et les enseignants. La première année de brevet de technicien supérieur offrait par exemple une expérience tout à fait remarquable pour ces élèves de série technologique, considérés habituellement comme médiocres : ils concevaient une machine automatisée puis, l'année suivante, elle était réalisée et livrée. Cet établissement a malheureusement été fermé faute de crédits. Il y avait également un module d'orientation professionnelle où des jeunes de différents niveaux qui avaient échoué pour diverses raisons, avaient la capacité de se retrouver dans des classes avec des enseignements très individualisés, en fonction de leurs compétences, afin que chacun retrouve un niveau suffisant pour pouvoir suivre un nouveau cursus de formation professionnalisant, avec toujours la complémentarité de l'entreprise. Par rapport à l'enseignement général - à qui l'on ne peut pas demander d'orienter un jeune -, l'enseignement technologique est très spécifique et je pense que dans le système éducatif français il faut réhabiliter ces branches de l'enseignement technique, technologique et professionnel en leur donnant des souplesses qui permettent aux entreprises de définir leurs besoins et aux enseignants de s'adapter, enseignants qui fournissent des efforts car eux-mêmes n'ont pas toujours reçu des formations adaptées aux évolutions du monde de l'enseignement. Il faut aussi que l'entreprise sache se valoriser. Il y a eu des campagnes, notamment dans le domaine de l'artisanat où la valorisation du travail manuel et de la capacité attractive de l'artisanat n'était pas portée aux nues. Chacun doit faire un effort mais je pense que les réponses que vous nous avez apportées sont constructives et vont nous aider à construire un rapport intéressant en ce sens.
M. André MARCON, premier vice-président de l'ACFCI - Comment fait-on pour sortir de cette situation ? Vous l'avez compris, il n'y a pas de recette miracle mais de multiples initiatives à engager. Au niveau du réseau des chambres, nous nous sommes engagés aujourd'hui même, par courrier au président de la République, à mettre en place cent développeurs de l'apprentissage, qui iront au contact des entreprises, qui géreront l'ensemble de la partie administrative jusqu'aux contrats et deviendront, demain, les tuteurs de ces entreprises. Nous avons déjà 100 000 contrats d'apprentissage et nous sommes engagés pour 10 000 de plus alors que la situation est particulièrement difficile : les chefs d'entreprise prendront moins d'apprentis cette année. C'est une action très pragmatique à ajouter au dossier.
Mme Geneviève ROY, membre de la commission sociale de la CGPME - En vous écoutant, je voulais vous signaler deux expériences. L'école de la seconde chance répond bien à cette problématique des laissés-pour-compte même si l'État pourrait amplifier l'action. Elle s'adresse à des jeunes de 14-16 ans qui ont déjà décroché du système scolaire. Les classes de pré-apprentissage leur donnent un enseignement généraliste de remise à niveau et leur font découvrir un certain nombre de métiers pour leur permettre à 16 ans de choisir l'apprentissage qui leur convient. Par ailleurs, sur la formation, je suis tout à fait d'accord avec Madame Bourzai : il faut créer des passerelles et là-dessus, notre système de formation a beaucoup à faire. Pouvoir par exemple se dire que l'on a le droit d'échouer, d'interrompre un an ses études sans dévaloriser pour autant son CV. La réflexion doit se porter sur le monde de l'enseignement, sur celui de l'entreprise mais également sur notre société, sur le monde de la famille. Arrêtons tous de penser avec nos stéréotypes.
M. René DOCHE, directeur de l'APCM - Sur l'ensemble de la réponse, nous sommes prêts à mobiliser tous nos partenaires. On estime que l'on peut facilement intégrer 50 000 apprentis de plus aux 170 000 accueillies actuellement dans les entreprises artisanales. Accueillir les apprentis dans l'entreprise est une chose mais avoir le dispositif qui fonctionne dans les centres de formation en est une autre qui se trouve sous la responsabilité des conseils régionaux. L'apprentissage ne peut pas évoluer s'il n'y a pas d'étroite collaboration entre l'État et les régions. Nous, nous sommes réellement au coeur du dispositif. Il y a véritablement une possibilité de développer l'apprentissage dans les entreprises artisanales.
Je souhaiterais revenir sur les ruptures de contrats d'apprentissage. Nous y sommes très attentifs. La grande majorité de ces ruptures intervient dans les deux premiers mois du contrat, qui permettent la rupture anticipée. La rupture peut être liée à la volonté du chef d'entreprise mais c'est assez minoritaire. Certains maîtres d'apprentissage découvrent la difficulté du travail de formateur, qui est un travail très spécifique et c'est pour cela que les chambres de métiers et de l'artisanat ont toujours regretté que l'on ait supprimé l'agrément préalable à la formation des apprentis. Former est un véritable métier et demande un certain encadrement. Mais la majorité des ruptures de contrats sont liées au jeune ou à sa famille. En effet, il se découvre dans un environnement de travail pour lequel il n'a pas été préparé ou dans un travail qui ne l'intéresse pas. C'est une bonne chose que la rupture puisse se faire à ce moment-là mais souvent, aller en apprentissage est vécu culturellement pour le jeune et la famille comme une sortie du système éducatif. Le problème n'est donc pas la rupture mais la quasi-impossibilité de retour au système éducatif, il y a donc là un problème de passerelle. Concernant l'autonomie des jeunes, l'entrée en apprentissage n'est pas toujours anticipée par la famille. Le jeune doit souvent quitter le foyer familial et faire face à des difficultés : aides au logement non adaptées à l'apprentissage, problème de transports - par exemple, en région parisienne, certains conseils généraux participent à la prise en compte de la carte Imagine R des étudiants mais pas à celle des apprentis -, problème de mutuelle car le jeune obtient un numéro de sécurité sociale en signant son contrat de travail et doit donc prendre sa propre mutuelle sans avoir le droit à celle étudiante. De nombreux dispositifs sont donc à améliorer pour ouvrir davantage ces filières professionnelles.
M. Arnaud de la TOUR, président de PRISME - Je souhaitais compléter un certain nombre de points à travers un dispositif que l'on a imaginé pour faire venir les jeunes à l'emploi. Trois notions comprises dans ce dispositif ne me paraissent pas avoir été évoquées. D'abord, on oublie qu'il faut apprendre à ces jeunes, que l'on remet dans le circuit de l'apprentissage, des réflexes sociaux avant de les envoyer dans l'entreprise. C'est une étape importante que l'on a prévue dans le cursus. Ensuite, peut-être faudrait-il une petite formation supplémentaire avant même de rentrer dans un processus. Enfin, l'autonomie financière du jeune est primordiale.
Vous avez évoqué tout à l'heure la centralisation de ce système : le foisonnement d'initiatives est nettement préférable car porteur de projets. Mais il est important, concernant les universités, d'encadrer la manière dont elles doivent gérer ces bureaux : on leur a laissé une trop grande autonomie sans rien organiser.
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération du MEDEF » - Je voudrais simplement terminer sur un autre sujet : les « viviers méconnus ». Pour le MEDEF, ce sont les 100 000 jeunes - on a vérifié avec l'ANPE et l'APEC - qui sortent de l'université à partir de bac+3 et qui ont du mal à s'intégrer dans une entreprise. Ils sont généralement laissés pour compte, restent longtemps au chômage et se retrouvent déclassés. Ils sont souvent frustrés car ils se retrouvent avec un job de niveau inférieur à celui auquel ils pouvaient prétendre. Un rapport sur le sujet a été fait et est à votre disposition. Il y a des solutions, notamment à travers la mobilisation des entreprises : il faut les motiver à recruter des licenciés en sociologie et pas uniquement des diplômés d'écoles de commerce. On se rend compte souvent que même sans formation complémentaire on parvient à les intégrer, car certains sont très motivés. On n'en parle pas assez. Cette réflexion a été lancée il y a un an, quand les entreprises se plaignaient de ne pas parvenir à embaucher et que l'on leur avait conseillé de diversifier le recrutement. Maintenant, avec la crise, même un élève sortant d'HEC a du mal à trouver un emploi et il faut d'autant moins oublier ces « viviers méconnus ». Il y a donc un travail à faire du côté des entreprises mais aussi du côté de l'université qui oriente parfois mal ses étudiants.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On est ravis de vous entendre dire cela car on est persuadé que ce vivier existe et que c'est une question de culture et de mentalité des entrepreneurs, qui doivent évoluer. Ce que disait Madame Roy concernant les pays du nord de l'Europe est très intéressant : quel employeur serait prêt ici à recruter sans hésiter un jeune ayant un trou d'un an dans son CV ?
M. François HUMBLOT, membre de la commission « Nouvelle génération » du MEDEF - Les choses ne sont pas réglées mais elles évoluent. En tant que chasseur de tête, je connais les problèmes de clonage et les clients qui voulaient, à une époque, des diplômés d'une certaine école. Je sais qu'à 35-40 ans, la formation que l'on a suivie dix ans plus tôt n'a aucune importance. Dans une entreprise, une équipe qui marche est composée de personnes aux formations professionnelles très différentes : des personnes complémentaires qui abordent les sujets différemment. Ce sujet est important et le MEDEF s'en est emparé tout en sachant que c'est un travail de longue haleine, sur trois ou quatre ans, et je pense que ce message doit être relayé par les politiques. Ce projet « viviers méconnus » a été réalisé à l'initiative de l'AFIJ (Association pour faciliter l'insertion des jeunes diplômés).
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cette idée, nous la relaierons dans l'hémicycle car nous y pensons depuis quelques semaines et il faut insister pour qu'elle soit vraiment prise en compte. Nous arrêtons à regret cet échange extrêmement enrichissant et vous remercions pour vos apports et la dynamique dans laquelle vous vous inscrivez.
Table ronde sur l'autonomie des jeunes
(5 mai 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cette mission s'est mise en place voici un mois pour réfléchir à cette problématique jeune. Nous avons voulu travailler, en parallèle avec le travail qui a été confié à Martin Hirsch, en nous disant que ce problème était suffisamment préoccupant pour que l'exécutif ne réfléchisse pas seul de son côté et que le législatif s'y mette aussi.
En même temps, sachant que les missions durent environ six mois au sein de notre institution, nous avons voulu travailler dans un espace-temps beaucoup plus restreint puisqu'on s'est donné deux mois ; c'est-à-dire que nous souhaitons donner au minimum un rapport d'étape à nos collègues fin mai. Nous avons même une date précise qui sera le 27 mai sans doute où nous ferons, d'ores et déjà, un rapport oral dans l'hémicycle à nos collègues qui ne sont pas membres de cette mission afin de les entendre réagir sur ce que nous apporterons comme matériaux. Nous compléterons, éventuellement, nos travaux avec des propositions un peu plus concrètes dans le mois qui suivra.
Nous travaillons sur la tranche d'âge 16-25, même si on sait que les problèmes ne se limitent pas à cette tranche d'âge. Nous avons choisi de travailler sur deux ou trois thèmes qui nous paraissent essentiels : le premier thème tourne autour de l'emploi, c'est-à-dire orientation, formation et emploi ; le second thème tourne autour de l'autonomie des jeunes, autonomie financière, accès au logement ; et bien sûr, le troisième thème tourne autour des problèmes de santé, de citoyenneté, d'accès à la culture. Mais, tout d'abord, nous avons surtout choisi de travailler sur ce qui tourne autour de l'emploi et l'autonomie des jeunes, autonomie financière et logement.
Peut-être quelques chiffres, rapidement, pour poser un peu le décor : le taux de chômage des jeunes en France est un des plus élevés d'Europe. Au cours de cette dernière année, le chômage des jeunes a augmenté de 32 %. On considère qu'un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. On sait également que parmi les jeunes diplômés, il leur faut en moyenne une dizaine d'années, après l'obtention de leur diplôme, pour stabiliser leur vie professionnelle. Les dix premières années, ils errent entre stages, emplois précaires, etc. Enfin, pour la première fois depuis longtemps, les jeunes interrogés pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents.
Pour ces raisons-là, il nous semblait qu'il fallait qu'on prenne un peu de temps pour se poser et avancer plus avant dans la réflexion sur ces thèmes. Je voudrais vous remercier, avant de vous passer la parole, d'avoir pris sur votre temps pour venir nous apporter le fruit de vos réflexions et de vos expériences et nous permettre d'avancer un peu sur ces problématiques.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Ce que je vous suggère, c'est qu'on procède par thème, c'est-à-dire qu'on commence d'abord par le revenu des jeunes, ensuite qu'on évoque l'accès au logement et enfin l'autonomie financière des jeunes.
Sur cette première partie, je voudrais vous poser quatre questions : Est-ce qu'aujourd'hui nous avons réellement une bonne connaissance de la pauvreté des jeunes à travers les statistiques qui nous sont communiquées ? Comment peut-on distinguer entre une pauvreté transitionnelle liée au fait que la jeunesse est considérée comme une période d'investissement dans l'avenir et les situations de très grande difficulté qui mettent en péril l'avenir des jeunes ? Quelles sont les caractéristiques de la pauvreté des jeunes ? Est-ce que vous observez une dégradation récente sur le terrain s'agissant des étudiants aussi bien d'ailleurs que les non étudiants ? Les structures d'accueil et d'insertion, les services d'orientation et de formation sont-ils adaptés à la prise en charge des jeunes en très grande difficulté ? Et enfin, s'agissant plus généralement des revenus et de l'accès à l'emprunt, quel est pour vous le bilan des dispositifs tels que le prêt jeune avenir ou le prêt étudiant garanti par l'État, annoncé en septembre 2008 ? Voilà les quelques questions que je souhaitais vous poser. Bien entendu, si vous avez d'autres sujets à évoquer sur le revenu des jeunes, vous pouvez largement sortir de ce questionnaire.
M. Pierre BERTON, administrateur à la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) - Évidemment, je vais intervenir par rapport à la façon dont la FNARS est touchée par cette question, c'est-à-dire au travers des 120 000 jeunes qu'elle rencontre dans l'urgence et dans les CHRS. Vous savez qu'il y a à peu près 600 000 personnes qui y passent chaque année. Cette tranche d'âge des 18-25 ans qui représente environ 10 % de la population, elle représente 20 % de la population qu'on reçoit dans l'urgence et dans les CHRS. C'est-à-dire que nous sommes face, finalement, à des jeunes qui sont mis en situation d'assumer leur autonomie alors qu'ils n'en ont aucun des moyens. C'est finalement la situation qui s'est, peu à peu, mise en place depuis 1974 avec l'accession à la majorité.
Je voudrais rappeler, parce que l'on ne s'en souvient pas forcément, qu'en 1974 il y avait 3 018 personnes de 21 ans en prison et que, deux ans après, il y en avait 6 000 en permanence. On voit bien que cette réforme -qui est une belle réforme ayant permis l'accession au vote -en fait, par rapport à ceux qui sont en difficulté, a provoqué une accélération de ces difficultés.
L'ensemble du système que nous connaissons est un système qui est basé sur le soutien familial, soutien familial au travers, évidemment, à la fois des parts d'impôt et des possibilités d'aider ses enfants. Mais cela touche maintenant peu de gens, soit 20 % de l'ensemble de la population, même celle qui est en mesure et qui compte soutenir ses jeunes. Alors, restent tous ceux qui à dix-huit ans, soit ne peuvent plus bénéficier d'une protection de jeune majeur ou de l'article 16 bis parce qu'ils étaient avant à la protection judiciaire de la jeunesse et que la protection judiciaire entend se retirer de ce dispositif, soit ne peuvent plus bénéficier d'un contrat jeune majeur dans un département parce qu'ils n'ont pas de projet suffisamment établi pour en bénéficier. Nous avons donc les jeunes les plus en difficulté qui sont dans la rue, dans les CHRS et qui sont vraiment en punition d'autonomie. Ils ne sont pas en mesure de bénéficier, dans l'état où ils se trouvent, des dispositifs de formation qui leur permettraient d'accéder en même temps à un minimum de revenu. Ils relèveraient d'une attention plus importante, d'un contrat unique d'insertion étendu aussi aux jeunes de 18-25 ans qui prend en compte l'ensemble de leurs problématiques.
C'est vrai que les CHRS n'étaient pas équipés pour cette tranche d'âge. Ils ont l'habitude de recevoir, bien sûr, des familles, des gens, plus âgés. Néanmoins, ils sont en train de s'organiser avec les divers partenaires pour essayer de faire face à cette population, avec un premier problème majeur, évidemment : ils sont dans une forme de déni avec une absence totale de ressources.
C'est vrai que la FNARS demande pour ces jeunes - mais pas seulement - parce qu'ils sont représentatifs de l'ensemble d'un système qui aboutit aujourd'hui à une situation de difficulté des jeunes de 18-25 ans, d'avoir quelque chose qui ressemble à une allocation d'autonomie pour pouvoir commencer à travailler avec eux. Il ne faut pas qu'ils soient dans un déni total et vendre leurs tickets services pour la moindre de leurs dépenses. Donc, on a un vrai problème. Encore une fois, on ne souhaite pas une mesure particulière, on souhaite que soit revu l'ensemble du système qui permet aux jeunes d'accéder à l'autonomie à travers ce phare.
M. François FONDARD, président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) - Pour l'UNAF, quelques remarques générales, avant de rentrer dans la série des questions, pour vous dire que bien entendu pour l'UNAF la question des jeunes a toujours été une préoccupation particulièrement importante et a fait l'objet d'un certain nombre d'études à l'intérieur de l'institution avec des observatoires. Nous avions déjà participé précédemment aux travaux des rapports Charvet, de Foucauld dont vous avez fait état. Il y a également eu le rapport Brun du CES qui soulevait toutes les problématiques rencontrées par ces jeunes. J'insisterai sous l'angle des familles, dans la mesure où, bien entendu, il y a la question des jeunes. Mais il y a aussi la question des familles qui ont à charge ces enfants de 18 à 25 ans selon leur situation, leur statut, qu'ils soient étudiants, qu'ils soient en formation professionnelle ou malheureusement qu'ils soient chômeurs, comme vous l'avez exprimé. Nous avons malheureusement à dénombrer un taux extrêmement important de jeunes au chômage.
La grande question, c'est de dire « doit-on faire une prestation d'autonomie des jeunes » ? En ce qui nous concerne, nous ne souhaitons pas une prestation d'autonomie des jeunes généralisée dans la mesure où, pour nous, famille et autonomie ne s'opposent pas. Déjà, toutes les familles souhaitent bien entendu que leur enfant adulte accède à l'autonomie avec, évidemment, les meilleures armes pour affronter la société d'aujourd'hui. Mais je pense que d'aller vers une allocation d'autonomie généralisée serait une erreur et que, bien entendu, il faudra voir comment celle-ci se dessinera. Nous travaillons actuellement à la commission jeunesse de Martin Hirsch. Nous aurons d'ailleurs un document finalisé dans une quinzaine de jours que nous ne manquerons pas de vous transmettre puisqu'il sera validé par nos instances politiques au cours de la semaine prochaine.
C'est simplement pour dire notre point de vue aujourd'hui et quelques constats de situation qui, pour nous, sont vraiment alarmants ; c'était évoqué tout à l'heure par la FNARS. Déjà, la première chose qui est inacceptable aujourd'hui, c'est que 150 000 jeunes sortent du cursus de formation de l'éducation nationale ou d'ailleurs sans aucune qualification. On connaît la destination de ces jeunes : c'est le chômage inévitablement. Donc là, il y a un certain nombre de choses à mettre en oeuvre ; comment arriver à un peu plus d'efficacité dans le cadre de toutes ces formations professionnelles proposées qui, finalement, ne donnent pas un métier à ces jeunes ? Donc là, pour l'UNAF, il y aurait un certain nombre de choses à faire.
Une question très générale que je reprends aussi, c'est la question du logement qui sera évoquée tout à l'heure, mais c'est vrai qu'il y a le problème du logement des étudiants, il y a le problème des jeunes, il y a le problème des jeunes familles aujourd'hui. On voit bien que le logement privé est inaccessible pour bon nombre de jeunes familles, quelle solution trouver ? Et vous posez bien la question de dire : « comment finalement arriver à réaliser suffisamment de logements sociaux pour que ces familles, qui ne peuvent pas se loger ailleurs, trouvent ces solutions ? »
Enfin, pour les familles, il n'y a plus aucune aide significative pour les jeunes après vingt ans. Donc ça, c'est un vrai problème. On sait qu'à partir du moment où les jeunes sont dans un cursus de formation, il y a les bourses qui permettent de trouver un certain nombre de solutions pour les jeunes. Mais il y a toutes ces familles qui se retrouvent entre le seuil d'exclusion des bourses, qui n'ont plus aucune aide et qui ne peuvent pas subvenir éventuellement au coût de formation de leurs jeunes. Se posent les questions justement de trouver quels moyens mettre en oeuvre, finalement, pour permettre à ces familles et à ces jeunes surtout d'accéder à une véritable qualification.
M. Rémi GUILLEUX, administrateur chargé de l'éducation à l'UNAF - Dans le prolongement du propos qui vient d'être tenu par le président, je crois que, pour nous, il y a deux points qui ont été évoqués et sur lesquels je voudrais revenir. Premier point, finalement, une politique en direction de la jeunesse et une politique familiale - donc d'accompagnement des familles qui, dans leur très grande majorité, restent malgré tout le lieu qui soutient le processus, le mouvement, la progression d'un jeune vers l'autonomie - ne s'opposent pas, mais effectivement se complètent et doivent se compléter.
Un deuxième élément qui nous paraît important à ce stade un peu général, et puis on reviendra peut-être après dans le débat sur des points plus précis, c'est que véritablement l'autonomie, ça n'est pas un état à un moment donné, mais c'est bien le résultat - comme je l'indiquais - d'un processus et d'une succession d'étapes. Pour tous les jeunes, cela n'est pas la même chose et la véritable autonomie s'acquiert sans doute quand il y a une véritable insertion professionnelle et donc une insertion sociale. La question de l'accompagnement des jeunes vers cette première insertion, vers cette implication dans le monde professionnel, vers cet accueil - je dirais - dans le monde des adultes est quand même tout à fait essentielle. D'une part, cela contribue à une reconnaissance du jeune pour ce qu'il est et je crois que dans la démarche d'autonomie et dans la démarche d'une construction de sa personnalité, c'est tout à fait essentiel. D'autre part, là encore, la famille a toute sa place et bien évidemment, par voie de conséquence, toute la question des revenus et de l'autonomie financière se trouve progressivement aussi résolue.
A l'UNAF, nous ne sommes pas forcément outillés pour abonder dans les chiffres qui ont été présentés tout à l'heure. Ces chiffres-là, je crois que tout le monde les a un petit peu en tête, donc je n'y reviendrai pas si vous m'y autorisez. Mais je voudrais insister sur ces deux aspects de complémentarité d'une politique de la jeunesse et d'une politique familiale globale. Si la véritable autonomie et la véritable autonomisation des jeunes résultent d'un processus, c'est bien celui de l'insertion professionnelle et parallèlement de l'insertion sociale.
En ce qui concerne les revenus, je ne reprendrai pas le propos du président qui indiquait que l'on s'interroge beaucoup sur la question d'une allocation d'autonomie un peu généralisée. Finalement, est-ce qu'il n'y aurait pas un peu ce risque d'enfermement dans un dispositif spécifique ? Les choses ne sont pas aussi simples et cela méritera sans doute d'être creusé. Mais nous nous questionnons quand même autour de cette idée d'allocation d'autonomie généralisée qui risquerait, peut-être - même si évidemment il y a des précautions à prendre autour d'un propos comme celui-là - de positionner les jeunes dans une attitude un peu statique finalement. J'évoquais tout à l'heure la notion de démarche, la notion de processus, la notion de succession d'étapes. C'est plutôt tenter de mettre le jeune dans une démarche dynamique qui implique, qui invite à l'engagement et qui permet de prendre toute sa place dans la société par l'emploi et par l'entreprise.
Sur le plan des revenus, parallèlement à l'idée de cette allocation généralisée d'autonomie sur laquelle j'exprime quelques réserves au nom de l'UNAF, voici par contre quelques idées qui pourraient être creusées également à partir du dispositif RSA. C'est sans doute un peu réducteur que de dire qu'on est face à trois groupes essentiels de jeunes. On a bien sûr les jeunes étudiants qui sont clairement identifiés. On a les jeunes qui peuvent être dans des circuits de formation professionnelle associés ou pas à l'emploi : les contrats de formation en alternance, l'apprentissage, les contrats de professionnalisation, les différents dispositifs de formation professionnelle qui peuvent être mis en place dans les régions, notamment pour des jeunes qui peuvent les intégrer parce que présentant les requis minimums pour le faire. Puis, il y a tout ce qu'évoquait tout à l'heure notre collègue de la FNARS sur ces jeunes qui sont un peu loin de tout, loin de l'emploi, loin de la qualification.
Donc, premier point, peut-être que le dispositif de RSA permettrait, pour au moins deux groupes (les étudiants et les jeunes dans des dispositifs de formation professionnelle), la possibilité d'un complément de revenu dès lors qu'il y a effectivement cette notion d'activité qui est la base de l'esprit du RSA. Peut-être que là, pour deux groupes au moins, il y aurait une piste à creuser pour des étudiants qui ont une activité professionnelle, même très temporaire, et puis pour les jeunes qui peuvent être en contrat de formation en alternance avec des revenus qui restent, malgré tout, modestes et qui pourraient trouver là un complément de revenu.
Alors, il reste, bien entendu, le troisième groupe que j'évoquais, c'est-à-dire les jeunes loin un peu de tout. Là, la question reste posée. Sans doute que pour ces jeunes-là, sans généraliser, est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir à un moment donné un soutien particulier pour leur permettre de réintégrer rapidement les dispositifs plus communs à l'ensemble des jeunes de façon, là encore, à ne pas les isoler dans un groupe un peu spécifique et « à part », je dirais ?
Il y a aussi le dispositif de l'allocation de rentrée scolaire. Aujourd'hui, c'est vrai que c'est un dispositif qui est bloqué à un certain âge. Est-ce que l'on ne pourrait pas imaginer comment prolonger ce dispositif jusqu'à la fin de la véritable scolarité ? Peut-être que, là encore, pour un certain nombre de jeunes et de familles, ça pourrait permettre de trouver un complément, à la fois, pour la famille et le jeune.
Puis, un troisième axe qui nous paraîtrait peut-être à creuser, ce sont tous les dispositifs locaux qui peuvent être mis en place par un certain nombre de caisses d'allocations familiales. Il y a aussi un certain nombre de mutualités sociales agricoles, certes pour des publics plus limités en nombre, mais qui dans nos territoires ruraux prennent toute leur importance, des systèmes de prestations extralégales qui viennent aussi accompagner des jeunes et des familles dans des cursus de formation, par exemple. Je pourrais citer, à titre d'illustration, certaines régions, la région d'où je viens particulièrement où la mutualité sociale agricole a mis en place un système d'accompagnement pour les apprentis qui doivent trouver parfois un deuxième ou même un troisième logement parce que le CFA, la famille, l'entreprise ne sont pas forcément au même endroit. Ça peut aussi être à l'occasion d'un stage d'insertion professionnelle, ça peut être à l'occasion d'un stage en entreprise dans un cursus de formation qu'ils viennent accompagner. Voilà peut-être, là aussi, une autre piste qui pourrait être creusée.
En résumé - et je m'en tiendrai là pour le moment dans ce premier aspect des choses - pour nous, la toile de fond, c'est peut-être effectivement de tenter d'éviter l'enfermement dans des dispositifs qui généralisent. Il s'agit plutôt de rester dans une démarche dynamique qui - je l'ai dit tout à l'heure - implique le jeune, engage le jeune parce qu'effectivement pour chacun d'entre eux, le processus sera plus ou moins long. Donc, quelque chose qui fige, qui généralise, a parfois le risque de ne pas être adapté à telle ou telle situation. Nous n'avons pas la prétention de les présenter aujourd'hui comme des choses finalisées mais voilà un peu l'esprit et quelques pistes ouvertes qui pourrait mériter un travail plus approfondi auquel on va tenter aussi de se livrer et de partager avec les autres acteurs.
M. Jean-François CERVEL, directeur du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) - Je suis à la tête d'un établissement public qui est chargé de gérer des procédures et des aides de l'État. Pour reprendre un point qui a été évoqué il y a un instant, nous n'avons pas, au sein du service des oeuvres universitaires, de service d'études qui nous permette d'avoir un suivi spécifique pour répondre aux questions qu'évoquait Monsieur le rapporteur il y a quelques instants. Donc nous avons des éléments d'approche par l'intermédiaire des actions que nous gérons et qui sont importantes ou nombreuses, mais qui sont relativement fractionnées et sur un certain nombre de créneaux bien particuliers.
Je rappellerai peut-être, pour cadrer les choses et pour revenir sur des sujets d'approche du dispositif qui était évoqué il y a un instant, que, pour notre part, le réseau des oeuvres universitaires intervient seulement sur le public étudiant. Si on veut avoir quelques éléments clés d'approche quantitative, il faut toujours avoir à l'esprit qu'il y a un peu plus de 2 200 000 étudiants en France. Sur ces 2 200 000 étudiants, il y a environ 525 000 boursiers et donc là on a une première approche de la situation sociale de ce public des étudiants ; donc 2 200 000 étudiants d'un côté et 525 000 boursiers de l'autre pour l'exercice 2008-2009.
A l'intérieur de ce public notamment boursier, mais pas seulement - je vais y revenir dans une seconde - quelle est l'identification du public étudiant qui est véritablement en situation de pauvreté ou de grande pauvreté, comme la question a été posée ? C'est très difficile à apprécier. Je crois que vous avez reçu M. Galland notamment qui est le président du conseil scientifique de l'Observatoire de la vie étudiante. C'est peut-être du côté de l'OVE effectivement qu'ils ont l'approche la plus complète sur ce sujet, même si elle est toujours incertaine. Les derniers chiffres sortis par l'OVE avaient identifié entre 50 000 et 60 000 ou 70 000 peut-être étudiants qui étaient dans une situation de pauvreté ou de grande pauvreté. Donc, je crois que les éléments d'approche qu'il faut avoir à l'esprit, c'est : 2 250 000 étudiants, 525 000 boursiers et 50 à 60 000 étudiants en situation de grande pauvreté.
Les services du réseau des oeuvres universitaires et notamment les CROUS (centres régionaux des oeuvres universitaires) sont les opérateurs sur le terrain dans chaque académie puisqu'il y a 28 CROUS sur le territoire national (soit un par académie sauf aux Antilles et Guyane où il y en a un seul pour les trois académies). Les 28 CROUS en question ont une approche de ces publics et notamment des publics qui sont en difficulté par plusieurs entrées, d'une part, par l'identification des boursiers - ce que je disais à l'instant - soit environ 525 000 boursiers selon des réglementations d'attribution des bourses que vous connaissez, qui est une réglementation nationale, et d'autre part, par l'intermédiaire de nos dispositifs d'aide d'urgence puisque les CROUS gèrent les dispositifs d'aide d'urgence à destination des étudiants les plus en difficulté. Troisièmement, ce sont les mêmes opérateurs, par l'intermédiaire de nos services sociaux - puisque les CROUS gèrent des services sociaux d'accueil - qui distribuent notamment les aides d'urgence. Nous avons un réseau d'environ 175 assistantes sociales dans les CROUS qui nous permettent d'appréhender la réalité des difficultés concrètes que peuvent rencontrer les jeunes étudiants sur le terrain.
À partir de tout ça et pour reprendre l'enquête de l'OVE que j'ai évoquée à l'instant, je disais tout à l'heure que 50 000 à 70 000 étudiants sont considérés comme des étudiants en situation de pauvreté ou de grande pauvreté ou vraiment en difficulté. On voit apparaître parmi ces étudiants les plus en difficulté, trois catégories ou trois sources de ceux qui ont le plus de difficultés.
La première catégorie, ce sont les boursiers aux taux les plus élevés, c'est-à-dire ceux qui sont vraiment d'origine modeste, très modeste, voire pauvre ou très pauvre parmi les étudiants, c'est-à-dire les bénéficiaires des taux de bourse échelon cinq ou six, les échelons les plus élevés de bourse. Ça, c'est une première catégorie.
La seconde catégorie - je dirais à l'autre bout du spectre des boursiers - ce sont ceux qui ne sont pas boursiers, mais qui sont juste au-dessus des seuils qui permettraient d'obtenir un droit à bourse ou ce qu'on appelle l'échelon zéro des bourses, c'est-à-dire le non-paiement de droits d'inscription et de cotisations à la Sécurité sociale. Quelquefois ceux-là ont des difficultés aussi parce qu'ils n'ont pas de bourse et que leur famille ne peut pas les aider. Donc, ils sont juste dans cette situation où ils n'ont pas la bourse, mais où la famille ne peut pas les aider même si elle a des revenus relativement réguliers qui font qu'elle est au-dessus du seuil des barèmes permettant l'accès à la bourse.
La troisième catégorie, ce sont les étudiants étrangers qui arrivent sur le territoire français à titre individuel sans bourse, sans aide et qui, par conséquent, se trouvent le plus souvent avec un niveau de ressources extrêmement modeste sinon quelquefois totalement inexistant. Ce sont des étudiants étrangers hors Communauté européenne, bien entendu, puisqu'ils ne peuvent pas bénéficier de bourse et par conséquent, ils se retrouvent souvent en grande difficulté.
Voilà les trois catégories que nous avons identifiées par l'intermédiaire du système que nous gérons. Je ne dis pas que ça soit exhaustif parce que ce n'est pas un système qui analyse le public en question, on n'a pas de services d'études qui fassent cela. Je peux évidemment développer et approfondir ces questions quand vous le souhaiterez bien sûr.
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Je voudrais d'abord faire une petite introduction. Pour nous, en tant que banque, les jeunes, c'est une définition assez floue aujourd'hui et je pense que c'est pareil pour tout le monde, ici, autour de la table. À partir de quel moment est-on jeune ? À partir de quel moment n'est-on plus jeune ? C'est surtout ça la question. Hormis le fait de se sentir jeune tout le temps, il y a des notions qui peuvent être appliquées. Nous, nous essayons de suivre et d'accompagner les jeunes dans leurs évolutions et dans leur souhait d'installation dans la vie professionnelle notamment et même par la suite.
Alors, est-ce qu'on n'est plus jeune lorsqu'on s'installe en couple ? Pas forcément. Est-ce que c'est lorsqu'on a le premier enfant, qu'on crée une cellule familiale ? Toutes ces questions posent le principe même qu'on ne peut pas enfermer, aujourd'hui, les jeunes dans une catégorie avec des définitions et des préceptes bien définis par avance.
En l'occurrence, juste pour revenir sur le revenu des jeunes, pour répondre à une première partie des thèmes abordés, nous développons un système de cautionnement sans garantie des parents sur plusieurs aspects et notamment sur les prêts étudiants. C'est donc une réponse très concrète. Effectivement, le groupe Banques Populaires a mis en place le prêt étudiant garanti par l'État depuis le 15 septembre 2008. Il s'est avéré que ce prêt a quand même rencontré son public puisque nous avons, non pas équipé nos clients naturels qui étaient déjà chez nous ou des enfants de parents déjà clients, mais on a vraiment vu arriver dans nos établissements et agences des nouveaux clients, des nouvelles personnes qui ne seraient pas forcément venues chez nous parce qu'elles cherchaient vraiment à pouvoir financer leurs études sans avoir besoin des parents.
Aujourd'hui, il y a ce premier souci, c'est qu'on se rend compte que pour avoir un diplôme, ça coûte cher et pour financer ses études, certes le remboursement est important, mais déjà pour obtenir le prêt, c'est vraiment un parcours du combattant. À tel point que pour les sommes demandées aujourd'hui, entre la période 2008 et 2009, on a une augmentation de l'encours moyen d'un prêt, même si l'on a peu de recul encore. Il y a encore quelques mois, l'encours moyen d'un prêt était 8 000 euros et quelques par étudiant. On a dépassé depuis le début de l'année 2009 les 9 000 euros ; ce qui sous-tend à dire que les frais augmentent et que, bien sûr, ces prêts étudiants ne financent pas que les frais d'inscription, mais la vie étudiante. Je rappelle que, quand on est étudiant, c'est d'abord l'alimentation et ensuite le logement qui passent en priorité. Les loyers vont jusqu'à 450 euros par mois pour Paris et 300 euros pour la province pour un étudiant, ce qui est déjà un poste très important.
Donc nous, on essaie de les accompagner dans ce dispositif-là par d'autres dispositifs aussi qu'on a pu mettre en place il y a quelques années maintenant, grâce à notre partenariat avec une mutuelle étudiante. Nous proposons aussi à ces étudiants qui sont affiliés ou adhérents d'une sécurité sociale étudiante de bénéficier d'avantages et d'accès au logement sans caution parentale. À tel point qu'aujourd'hui on a de plus en plus de demandes sur les aspects de caution locative. Aujourd'hui, un étudiant et même un jeune actif a beaucoup de mal à trouver un logement s'il n'y a pas les parents derrière. Je ne veux pas anticiper sur l'accès au logement qui est le prochain thème, mais ce sont des problématiques qui se rejoignent parce que derrière, si on n'est pas bien dans son logement quand on est étudiant, si on ne trouve pas une situation à peu près confortable, ce sont les études qui en pâtissent. Si on a un revenu qui ne permet pas de poursuivre ses études avec une certaine tranquillité, on est obligé de travailler à côté et ce sont aussi les études qui en pâtissent et par la suite, c'est toute la vie professionnelle car tout est lié.
Ce que l'on essaie de faire, c'est de pouvoir accompagner dans la mesure du possible, là où il existe des dispositifs étatiques ou même régionaux pour permettre d'apporter, à un moment donné, une avance, de pouvoir s'appuyer sur les cautions délivrées par les collectivités locales pour amener un plus et en tout cas se faire reconnaître et flécher aussi le parcours au niveau des étudiants. Pour conclure dans un premier temps, on réalise que beaucoup d'étudiants ne connaissent pas forcément toutes les possibilités qui s'offrent à eux. Et aujourd'hui, on a un gros travail pédagogique, en tout cas au niveau bancaire, rien que dans la gestion d'un compte, dans la gestion d'un budget et d'un revenu, et on se dirige de plus en plus vers cela. Cela peut passer par des cas très concrets en organisant des conférences, en participant dans des écoles et dans des établissements scolaires ou d'enseignement supérieur à des formations ou en tout cas à des interventions à but pédagogique, pour vraiment expliquer ce que l'on peut faire aujourd'hui dans la gestion d'un budget et surtout à ce dont ils ont droit ou peuvent avoir droit par la suite.
Aujourd'hui, les prêts étudiants se développent. Ce n'est peut-être pas la solution la meilleure, car un prêt, ça se rembourse un jour et ça coûte cher même si, aujourd'hui, on a des dispositifs avec des différés de remboursement pour permettre justement d'avoir le temps de s'installer dans la vie professionnelle. Mais les chiffres que l'on a sur l'ensemble de la place prouvent qu'il y a vraiment une demande importante aujourd'hui.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Comment vous décidez d'accorder un emprunt ? Est-ce qu'il y a des critères particuliers ? À qui accordez-vous les emprunts ? Quel est le taux ? Quelle est la durée ? Comment voyez-vous les choses en termes de remboursement ?
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - C'est un échange déjà avec l'étudiant parce qu'un étudiant en première année n'a pas forcément les mêmes problématiques qu'un étudiant en troisième cycle, tout simplement. S'agissant de la durée du prêt et de la période de franchise, on le fait tout simplement avec lui pour savoir quand il l'estime, quand il se projette dans l'entrée de la vie active. C'est toujours assez compliqué pour un étudiant qui est loin de finir ses études d'anticiper, c'est pour ça qu'on peut se permettre avec lui, par la suite, de retravailler sur les durées de prêt pour pouvoir lui permettre une période de franchise et une période de remboursement un peu plus longues. Aujourd'hui les durées maximales de prêts étudiants sont de dix ans. Aujourd'hui, les montants de prêts étudiants sont limités dans des accords étatiques comme le prêt étudiant garanti par l'État à 15 000 euros mais ils peuvent aller, selon les banques, jusqu'à 25 000 euros, en tout cas en ce qui concerne le groupe que je représente.
Sur les taux, aujourd'hui la moyenne est un TEG de 4 %. Mais là-dedans, vous allez trouver des taux assez disparates en fonction des études poursuivies et en fonction aussi du niveau d'études. Effectivement, il est plus facile de proposer un montant important et un taux intéressant à des étudiants qui sont en fin de cycle ou en tout cas qui sont aboutis dans leur projet professionnel qu'à quelqu'un qui rentre en première année de droit. Je n'ai rien contre le droit, c'est un exemple que j'ai bien vécu ! Donc, on n'est pas forcément sûr de ce que l'on va faire dans les années à venir. Beaucoup arrêtent en cours, beaucoup s'orientent la deuxième année vers d'autres formations courtes ou dans d'autres domaines. Donc c'est toujours très difficile pour un étudiant de première année. Ce qu'on fait d'une façon très pragmatique, on ne part que sur l'année que l'étudiant a décidé de faire et pour laquelle il est inscrit pour le financement. Nous avons déjà beaucoup de difficultés - ça arrive - mais c'est bien sûr du personnalisable, à financer pour trois ou quatre ans d'études parce qu'il est complètement inconcevable pour nous d'anticiper derrière ce qui va se passer.
N'oublions jamais qu'un prêt étudiant, aujourd'hui, est accepté par rapport à la capacité qu'aura l'étudiant à rembourser. Et comment mesure-t-on cette capacité à rembourser ? En fonction des études poursuivies et du domaine d'activité choisi ou du domaine d'études poursuivies au moment de la demande de prêt. La garantie, bien sûr, rend plus confortable l'acceptation du prêt, mais ce n'est pas ça qui prime dans un premier temps, c'est la capacité à rembourser de l'étudiant. C'est pour ça qu'on va retrouver effectivement peut-être des acceptations plus faciles au niveau de certains prêts pour certaines filières que d'autres.
Nous, on préfère faire un point chaque année avec l'étudiant, car on a souffert par le passé aussi d'avoir des étudiants qui prenaient un prêt pour plusieurs années et on ne les revoyait pas. Là, encore une fois, je parle des étudiants français mais, en plus, sur des étudiants zone UE ou hors zone UE, c'est encore beaucoup plus compliqué. On préfère faire le point pour voir un petit peu ce qui se passe. Parfois, certains ont trouvé un autre moyen de revenus aussi, on a aussi la possibilité d'avoir des étudiants qui, à un moment donné, vont faire un stage rémunéré, qui est intégré dans leur cursus d'études, à un certain niveau certes, mais qui va apporter une autre source de revenus et nous permettre aussi d'affiner ses besoins sur l'année à venir.
Il est préférable de procéder par étape plutôt que d'avoir un prêt global, surtout quand l'étudiant rentre dans l'enseignement supérieur avec beaucoup d'inconnues, pour lui, à la sortie. Le but du jeu est de ne pas créer une situation de malaise à la sortie de ses études ou quand il va décider d'arrêter ses études. Rien de pire que de ne pas être arrivé au bout de sa formation diplômante, en tout cas de sa volonté d'avoir tel ou tel diplôme et d'avoir à rembourser un prêt étudiant parce qu'on l'avait pris pour trois années ou quatre années pensant qu'on allait partir sur une licence, voire un mastère. Il vaut mieux, nous le préconisons, procéder année par année.
M. Olivier BALMONT, chargé de mission à la fédération bancaire française - Je pourrais vous commenter les deux points pratiques sur le prêt jeune avenir parce que je siège au COSEF et que je sais exactement ce qu'il en a été. Je crois que, dans ce que vient de vous dire M. Gayan, il y a un phénomène qui me paraît important à retenir en la matière : c'est bien évidemment la capacité de remboursement qui fait la chose. Le dispositif de garantie intrinsèque ou collatéral, en toute hypothèse, est fréquemment celui de la famille avec la caution parentale. Il l'est de moins en moins par un certain nombre de dispositifs qui sont mis en place. On retrouvera la caution parentale dans la problématique du logement.
Je pense que ce sont franchement le sur-mesure et la simplicité qui sont les plus utiles, c'est-à-dire évitons justement de créer des choses trop compliquées. En ce sens, le prêt jeune avenir est véritablement une usine à gaz qui n'a pas fonctionné.
Mme Fanélie CARREY-CONTE, déléguée à la vie associative à l'Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ) - Je voudrais simplement vous dire au préalable que mon expertise portera davantage sur les questions de logement que sur les questions de ressources et de revenus. Par ailleurs, nous ne bénéficions pas non plus de l'outillage nous permettant de répondre aux questions très précises sur les données statistiques qui ont été posées par M. le rapporteur.
Je me permettrai juste, si vous m'y autorisez, de donner peut-être quelques éléments de présentation de mon organisation pour que vous compreniez bien d'où je parle et au nom de qui puisque je ne suis pas sûre que ce soit évident pour tout le monde. En quelques mots, l'UNHAJ, l'Union nationale pour l'habitat des jeunes, c'est l'ancienne UFJT (Union des foyers des jeunes travailleurs) qui fédère aujourd'hui plus de 330 associations qui sont présentes sur à peu près 250 villes en France.
Nous accueillons des jeunes en situation de mobilité, quelles que soient les mobilités, qu'elles soient professionnelles, mais aussi sociales et affectives, puisque c'est souvent le cas dans la période de la jeunesse. On accueille des jeunes de 16 à 30 ans. Alors je sais que ce n'est pas exactement le créneau que vous avez choisi pour votre mission, mais en l'occurrence je tenais à le souligner parce que, pour nous, c'est vraiment la tranche d'âge qui est la plus pertinente pour définir les politiques jeunesse aujourd'hui. On constate, avec l'évolution de la jeunesse, que le créneau 16-30 ans nous paraît vraiment le plus approprié pour la définition d'une politique. On accueille 200 000 jeunes et on en loge 90 000 par an, donc c'est au nom de ceux-là que je vous apporterai quelques éléments tout à l'heure. Je voulais vous dire concernant notre projet, que notre objectif est d'accompagner les jeunes dans leur socialisation par l'habitat.
Je vais d'abord vous expliquer peut-être pourquoi on est passé de l'Union des foyers de jeunes travailleurs à l'union nationale pour l'habitat des jeunes, puisque c'est important dans la suite de la discussion. D'abord, on a pu constater que les différentes catégorisations : jeunes travailleurs, étudiants, apprentis, etc. étaient de plus en plus poreuses et qu'il était vraiment difficile d'isoler une certaine catégorie de jeunes. Donc, il nous semblait plus intéressant de s'adresser aux jeunes dans leur ensemble que simplement aux jeunes travailleurs. Ensuite, notre action ne se limite pas au logement puisque nous avons le parti pris d'une approche globale qui, certes agit sur le logement comme porte d'entrée, mais également sur des éléments d'accompagnement vers l'emploi, vers la santé, vers la mobilité. Cette approche globale nous semble essentielle. Ensuite, sur la question du logement, nous ne nous limitons plus, comme par le passé, aux foyers de jeunes travailleurs, mais nous développons, à l'inverse, une gamme de logements beaucoup plus diversifiée avec des solutions collectives, comme les résidences sociales - FJT, les mini-résidences... en articulation avec des logements individuels, et des actions d'accueil, d'information, d'intermédiation locative,...des éléments sur lesquels j'aurai l'occasion de revenir davantage sur la partie logement. Nous avons un dernier parti pris qui, pour nous, est essentiel : c'est celui de la mixité entre l'ensemble des situations de jeunesse puisque nous croyons que cette mixité est un élément de richesse pour l'ensemble des publics et qu'elle permet aussi d'être moteur dans l'apprentissage du vivre ensemble qui est quelque chose qu'on essaie aussi de promouvoir à travers nos solutions.
Je m'arrête sur ces éléments de présentation pour vous dire quelques constats, peut-être par rapport à la problématique revenus et situation des jeunes. Je veux d'abord vous dire, en introduction, que nous pensons que la situation des jeunes aujourd'hui n'est pas nouvelle. On pense que c'est important de le préciser parce que c'est vrai que, dans le débat public, depuis quelques mois et avec l'apparition de la crise économique et sociale qui touche en premier lieu les jeunes, on a fait apparaître cette problématique. Néanmoins, nous constatons depuis plusieurs années déjà que le fait qu'il n'y a pas de politique publique en direction de la jeunesse, le fait que les jeunes aient des difficultés d'accès à l'emploi, le fait qu'ils aient des difficultés d'accès au logement qui a souvent été considéré comme une variable d'ajustement dans le marché de l'emploi, ce sont des choses qui ne sont pas nouvelles. Donc, on voudrait aussi le préciser parce qu'on a quelquefois l'impression qu'on découvre un peu des sujets, qui sont en fait traités par un certain nombre d'acteurs depuis déjà plus d'une quinzaine d'années a minima.
Donc ça, c'est la première des choses : est-ce que cette situation est nouvelle ? Elle ne l'est pas. Ceci dit, est-ce qu'elle se dégrade ? Très probablement. En tout cas, c'est ce qu'on peut constater dans les jeunes qu'on accueille dans nos solutions. Effectivement, il y a une dégradation. D'abord, parce qu'on se rend compte que les difficultés touchent de plus en plus de jeunes, y compris ceux qu'on pourrait définir comme issus de la classe moyenne - on va dire - pour faire une caricature un peu sociologique. En tout cas, ces difficultés se sont déplacées en direction de ces publics-là aussi. Ensuite, on voit bien que les difficultés d'accès à l'emploi, de solvabilité, de paiement des loyers, etc. se sont accélérées ces derniers mois sur les jeunes que nous accueillons. Je voudrais souligner un élément sur la perception des difficultés : il est parfois difficile d'en avoir une vision précise parce je pense qu'il ne faut pas sous-estimer les phénomènes d'autocensure et de non-expression de la demande. On le voit très bien sur la question du logement : des jeunes qui n'auront pas confiance dans leur capacité et leur possibilité de trouver un logement autonome resteront chez leurs parents plus longtemps et ne se signaleront pas parmi les demandeurs. Je pense que, dans la période en tout cas, c'est un élément qu'il ne faut pas sous-estimer.
L'autre élément que je voulais signaler concerne le lien existant entre ressources et logement. 14 % des jeunes que l'on accueille ont entre zéro et 150 euros de ressources par mois. Nous considérons que nos solutions doivent être temporaires, c'est-à-dire qu'on travaille vers l'accession au logement autonome et on accompagne les jeunes dans leur trajectoire résidentielle. Pour ceux-là et même pour les autres, les difficultés financières font aujourd'hui que ce passage à une autonomie résidentielle est évidemment fortement compromis de par les problèmes de ressources. Donc, ce lien est vraiment très net et on y reviendra sur les propositions qu'on peut être en capacité de faire sur les questions de logement.
Pour finir, sur la question de l'insécurité financière au niveau des revenus, ce que je voulais souligner, c'est qu'il nous semble que ce qui caractérise aujourd'hui majoritairement la plupart des parcours de jeunes, ce sont les situations de rupture, les parcours chaotiques et les trajectoires non linéaires. C'est-à-dire qu'on n'est plus aujourd'hui dans un passage traditionnel des études vers l'emploi. On a de plus en plus de trajectoires chaotiques : on va être trois mois en formation, deux mois en CDD, un mois en intérim, trois mois au chômage, deux mois en formation et on a cette situation qui, pour nous, est une véritable situation d'insécurité. On pense que la problématique d'accès à l'autonomie est essentielle, mais celle de la sécurisation des parcours pour permettre de résister à ces aléas et à ces éléments chaotiques est vraiment majeure du point de vue du revenu. S'il y a quelque chose sur laquelle je voulais insister concernant la problématique revenus et sécurisation, c'est celle-là, c'est l'analyse aujourd'hui de cette multiplicité de ruptures dont sont faits les parcours des jeunes sur lesquelles il me semble qu'il est important d'avoir des réponses adaptées en termes de sécurisation des trajectoires et des parcours.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Je voudrais intervenir sur ces thèmes-là de structures d'adaptation et d'accès aux emprunts. On vous a écouté les uns et les autres et on s'aperçoit qu'il y a une multiplicité de solutions. Est-ce que l'on ne pourrait pas réfléchir à une solution unique qui ferait qu'un jeune, quel qu'il soit, ait un petit peu sa boîte à outils dans la vie qui lui permette cette autonomie ? Donc à la limite de créditer un jeune en disant que vous avez le droit à une formation de tant d'années, etc. c'est un droit. L'État se fait fort d'avoir en la matière une autonomie, mais à ce moment-là, on brasse tout, parce qu'il y a plein de choses. Alors, je ne critique absolument pas, mais si jamais les bourses étaient distribuées à tous ceux qui en ont besoin en fonction de leurs moyens, le problème de l'autonomie serait réglé en grande partie.
Des structures spécifiques ont été mises en place mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec les quinze années que vous indiquiez. Par exemple, quand il y a eu 350 000 emplois jeunes, la plupart de ces emplois jeunes, s'il n'y avait pas eu ces jeunes, n'auraient pas été autonomes. Dans ma ville, rien qu'à l'éducation nationale, j'en avais 104 sur une classe d'âge de 600. Vous voyez le nombre que ça représente. Ces 104 emplois jeunes, parce que c'était une longue durée, parce que c'était une stabilité, parce que c'était un parcours sécurisé, ça a permis effectivement d'avoir 104 personnes qu'on a recasées dans l'éducation nationale ou dans nos crèches.
C'est pourquoi je dis qu'il y a des possibilités. Donc mon idée est double. C'est, un, de refonder les choses et puis ce qui a marché, ce n'est pas parce que c'est un gouvernement X, non ! Ça a marché et on a trouvé les ressources ! Pourquoi à ce moment-là on ne continue pas à mettre en oeuvre les choses qui ont bien fonctionné ? Je vous demande votre avis là-dessus.
M. Michel THIOLLIÈRE, sénateur de la Loire - Je voulais revenir sur les problèmes du logement que vous évoquiez. Selon vous, est-ce que les difficultés que nous rencontrons notamment en termes de montant de loyer, sont liées à la crise actuelle qui voit un certain nombre de pénuries de logements, notamment dans les grandes villes ? Ou bien, est-ce que c'est assez structurel et y a-t-il une tension assez régulière sur les logements, notamment les petits logements que peuvent trouver les jeunes dans les grandes villes ? Donc, est-ce qu'il y a un problème de construction de logements dédiés aux jeunes, que ce soit dans le marché privé ou éventuellement sur le marché aidé que gère notamment le CNOUS ?
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - Je voudrais simplement revenir sur les systèmes de prêt et notamment de prêts étudiants garantis par l'État. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques explications complémentaires sur la mise en jeu de cette garantie de l'État ? Est-ce qu'elle se rapproche ou non du système néo-zélandais où en réalité on a un taux unique, on a un cautionnement qui est garanti par l'État et on n'a une mise en cause du remboursement que lorsque le jeune a trouvé un emploi. En fait, on est dans un système extrêmement simple. Alors, si c'est différent, est-ce que vous seriez prêts à soutenir un système de ce type qui peut s'appliquer objectivement à tout le monde ? Parce que dans votre système, vous avez bien démontré que vous aviez des taux très différenciés en fonction des parcours et en fonction des niveaux. Donc est-ce que c'est un système qui vous paraît jouable ? Et autrement, à quel moment se met en place la garantie donnée par l'État dans le système que vous connaissez actuellement ?
M. Olivier BALMONT, chargé de mission à la fédération bancaire française - Pour les prêts, la mise en jeu de la garantie, qu'elle soit de l'État ou du fonds de cohésion sociale pour le prêt jeune avenir, s'effectue à partir du deuxième impayé.
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Donc éventuellement au bout des dix ans de franchise.
M. Olivier BALMONT, chargé de mission à la fédération bancaire française - Ceci étant, s'agissant notamment du prêt jeune avenir, d'un public probablement plus social, il y a un gentlemen agreement entre la banque qui le distribue et le Fonds de cohésion sociale pour essayer justement de rééchelonner le prêt intelligemment avant de mettre en jeu la garantie.
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Je rebondissais juste par rapport à la période de franchise. Effectivement, nous, ce qu'on essaie d'avoir le plus souvent possible, ce sont des périodes de franchise partielle, car il est très dangereux d'avoir des périodes de franchise totale pour deux raisons. Un, pour l'étudiant qui pendant des années ne va rien rembourser, même pas ses mensualités au niveau des intérêts, et qui, au bout de quatre ou cinq ans va voir arriver ces intérêts et son amortissement du capital. C'est un choc et parfois certains ont tendance à oublier qu'ils avaient pris un prêt étudiant quelques années auparavant.
Il est important tout simplement d'apprendre à gérer aussi un budget, de savoir que les intérêts, ça peut être en général entre 20, 30 ou 40 euros par mois, c'est déjà conséquent, mais c'est déjà quelque chose qui permet d'habituer l'étudiant. Donc la mise en jeu de la garantie se met en place dès que ces intérêts et ces mensualités ne sont pas réglés. Le paiement de la garantie se fait in fine une fois que toutes les procédures de recouvrement ont été mises en place par la banque - et comme effectivement le disait Monsieur Balmont - avec des rencontres pour pouvoir étalonner, retravailler la structure du prêt, car l'idée n'est pas de mettre au pied du mur l'étudiant, mais bien au contraire de trouver une solution, un gentlemen agreement effectivement entre les deux parties.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - Qu'est-ce que vous pensez du système néo-zélandais ? Je vous rappelle qu'en réalité ça n'est qu'un pourcentage quand vous êtes sûrs d'avoir des ressources et encore sur ses ressources que vous avez, vous avez un maximum de retenues, mais vous ne pouvez rembourser que, effectivement, lorsque vous avez des ressources et donc vous êtes dans un système sécurisé de façon absolue.
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Déjà à titre personnel, j'aurais aimé connaître cette situation. À titre plus général, je pense qu'il faut que ça puisse s'adapter aussi avec la potentialité de l'économie du pays à accueillir ces jeunes diplômés. Je m'explique : il est tout à fait envisageable de pouvoir travailler dans cette direction, mais à un moment donné il faut bien comprendre qu'au bout d'un certain temps, il est important de voir comment peut s'effectuer le remboursement. Si on attend une période définie de X mois ou X années, pourquoi pas ? Mais ne faut-il pas, à un moment donné, créer un plafond au niveau de cette durée ? Je vais prendre un exemple : quelqu'un qui va peut-être mettre des années à trouver un travail parce qu'à un moment donné il va se réorienter, décider que la direction qu'il avait prise au niveau de ses études et la formation diplômante ne lui correspondent pas et qu'il veut repartir dans une autre formation étudiante, ça arrive aujourd'hui. Dans ce cas-là, comment procède-t-on ? Est-ce qu'on propose sur un nouveau prêt étudiant pour la nouvelle formation qui va déboucher sur un nouvel emploi différent duquel il avait postulé ou en tout cas il travaillait avec sa formation diplômante initiale ? Je pense qu'à un moment donné il faut mettre des jalons, un cadre bien précis.
Alors, je ne connais pas personnellement le cas de la Nouvelle-Zélande. Je ne sais pas si on est aussi sur les mêmes effectifs de population jeune et étudiante et si on peut se rapprocher de cette politique-là, mais effectivement c'est à regarder de près.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - Ça ne vous choque pas ?
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Le système ne me choque pas. Ce qui est plus problématique, c'est la franchise totale. C'est justement cette problématique-là, si on applique une franchise totale, de pouvoir se dire pendant X années, l'étudiant ne paie rien et puis au moment où il va entrer dans le monde du travail, en fonction des ressources, il remboursera une partie.
L'amortissement du capital s'opère le plus souvent, c'est quand l'étudiant rentre dans le monde du travail. Le problème, c'est qu'aujourd'hui comment définir, en amont, l'entrée dans la vie active ? Elle ne peut se faire qu'a posteriori puisque forcément c'est vraiment un pari sur l'avenir. C'est pour ça que nous sommes capables de revoir l'étudiant pour travailler cette période de franchise partielle bien souvent.
M. Olivier BALMONT, chargé de mission à la fédération bancaire française - Je crois que la franchise totale avec le jeu des intérêts composés risque d'apporter de très mauvaises surprises. Je pense que le remboursement des intérêts me paraît important et notamment pour un des points évoqués par Michel Gayan : c'est la sensibilisation de l'emprunteur au fait qu'il a emprunté de l'argent, ce n'est pas une subvention.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les parents n'ont pas fini de rembourser les emprunts de leurs enfants étudiants, je vous le dis ! Mais vous faites votre métier, je ne vous en veux pas. C'était une projection personnelle, je n'arrête pas d'en parler.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Vous êtes une banque, vous ne vous intéressez pas qu'aux étudiants. Est-ce que l'on pourrait établir un parallèle entre le prêt étudiant et le prêt à taux zéro pour l'obtention d'un logement ? Parce que quand même on est une société où pour acquérir un logement, on peut bénéficier d'un prêt à taux zéro et pour s'éduquer, ce n'est pas possible. Vous en faites des prêts à taux zéro !
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Il existait ailleurs des prêts à taux zéro il y a encore quelque temps ou il en existe toujours dans une proportion qui va tendre à diminuer. Je pense que s'il en existait, se poserait le problème de l'éligibilité et là, c'est tout le débat et ça mérite un travail de longue haleine. Le choix qui a été fait dans le dispositif de prêt étudiant garanti par l'État, est plutôt d'assurer la garantie avec des taux qui peuvent être différents selon les banques sachant que nous, on s'engage à ne pas faire un taux supérieur à ce que l'on proposerait à un prêt non garanti par l'État. C'est un accord que l'on a avec ce dispositif parce qu'on ne voulait pas justement que quelqu'un qui n'avait pas la garantie des parents paie plus cher par rapport à un étudiant qui avait la garantie des parents. Donc ça, c'est déjà un accord. Je voulais juste indiquer qu'un taux unique, ça me paraît à un moment donné compliqué, notamment en fonction de la durée du montant. Deuxièmement, le but du jeu est de ne pas faire, pour des formations de même ampleur, des taux différents en fonction de la garantie ou de la non-garantie des parents ou d'un autre organisme.
M. François FONDARD, président de l'UNAF - Je veux bien dire un mot sur le logement. Je l'avais dit en introduction, aujourd'hui pour les jeunes et les jeunes familles, le problème du logement est un problème évidemment majeur. Il y avait d'ailleurs une question à laquelle je me permets de répondre qui concerne les allocations logement. Aujourd'hui, sont-elles suffisantes ? Elles sont solvabilisatrices pour les jeunes à partir du moment où elles sont versées pour un logement social, on le voit.
Donc, à partir du moment où on se retrouve dans des logements privés, automatiquement on s'aperçoit que les allocations logement n'ont plus leur rôle de solvabilisation. C'est vrai qu'il y a eu un effet d'aubaine et un effet pervers au moment de la mise en place de l'allocation logement étudiant dans la mesure où on a vu les loyers privés augmenter d'une façon assez considérable. Le constat est simple quand on en parle avec les familles ; on ne trouve pas suffisamment de logements. Bien entendu, il y a un travail important de fait à travers les foyers de jeunes travailleurs. Il faut continuer à investir dans les foyers de jeunes travailleurs. La CNAF a un rôle important et on le défend en permanence. Il faut continuer à développer ce type de logement. Les logements étudiants, bien entendu - tout le monde l'a constaté depuis bien longtemps - sont complètement insuffisants. On le voit bien dans toutes les grandes agglomérations urbaines où, là, les étudiants n'arrivent pas à se loger et se retrouvent confrontés à la difficulté des logements privés disponibles, qui sont inaccessibles financièrement pour une catégorie de familles. L'UNAF l'a dit depuis plusieurs années, c'est évident.
On avait une réunion nationale récemment à ce sujet et la Fondation Abbé Pierre le disait, il manque 400 000 logements sociaux. Ça veut dire que les jeunes familles aujourd'hui ne peuvent pas se loger et l'autonomie des jeunes, bien entendu, ne se fera pas sans ces 400 000 logements sociaux. On a pris un retard considérable. Ça fait dix ans que nous le disons et je crois que dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, la situation de crise, on parle d'investissements sur du long terme, il faudrait qu'on rattrape ce retard en logement social puisque les familles ne peuvent plus accéder à la propriété.
Pour répondre à votre question, je pense que s'il y avait 400 000 logements sociaux de plus, on n'aurait pas vu ces augmentations de loyer de l'habitat privé ces dix dernières années. Ce qui fait que les jeunes familles ne peuvent plus accéder à la propriété sans une aide des parents ou des grands-parents. On a vu en parallèle se développer l'aide intergénérationnelle. Aujourd'hui, ce sont les grands-parents qui aident les parents et les petits-enfants à faire leurs études aussi. Ça se développe également de plus en plus. Et dans certaines familles, ce sont les parents qui supportent aujourd'hui les coûts en matière de dépendance pour leurs parents et qui ont en plus à charge les enfants étudiants. Vous avez une catégorie de familles aujourd'hui qui supporte le coût de l'intergénération entre les ascendants et descendants. Pas tous, mais un certain nombre.
M. Jean-Léonce DUPONT, sénateur du Calvados - Simplement, sur le problème du logement social, je partage ce que vous dites notamment sur le nombre de logements sociaux. Mais soyons clairs, pour faire du logement social, il faut des organismes. On a les organismes. Il faut des financements et bon an mal an, on a les financements. Il faut des terrains. Donc on ne solutionnera pas ce problème, si on ne met pas - me semble-t-il - comme compétence obligatoire intercommunale le logement social et si on n'adapte pas la loi LRU à la dimension intercommunale. Là, effectivement, on pourra trouver des disponibilités de foncier qui permettront effectivement de le réaliser.
M. François FONDARD, président de l'UNAF - Récemment, on a constaté qu'il y a eu des programmes de construction de logements privés avec des avantages fiscaux qui, aujourd'hui, ne sont pas accessibles en termes de coûts de loyer à la très grande majorité des familles qui en auraient besoin. Donc là, je pense qu'il y a d'autres choses à faire.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On est d'accord là-dessus. Et puis dans les logements sociaux à construire, les 400 000 qui manquent, il ne faut pas oublier de faire de petits logements pour les étudiants et pour les jeunes et ne pas démarrer au F3 ou F4 pour les grandes familles.
M. Jean-François CERVEL, directeur du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) - Par rapport à ce qui a été dit en matière de logement, on constate effectivement qu'on a une pression, en tout cas en ce qui concerne le logement étudiant, que nous suivons d'assez près, sur un certain nombre de lieux. La pression n'est pas la même partout, je crois qu'il faut être très clair là-dessus. Pour ce qui concerne, en tout cas, le réseau qui est géré par les oeuvres universitaires, on voit bien que nous avons un certain nombre de régions sur lesquelles nous avons encore des manques de logements étudiants et ces régions sont extrêmement simples à répertorier. C'est, d'abord et avant tout, la région Ile-de-France et donc, le sujet est prioritairement en Ile-de-France. Je dirais a fortiori Paris intra-muros, mais pour ce qui concerne la population étudiante, ça se gère à l'échelle de la région Ile-de-France, ça ne se gère pas seulement à l'échelle de Paris intra-muros. Je rappelle quand même les chiffres : à Paris intra-muros, il y a 300 000 étudiants environ et nous avons au CROUS de Paris 3 800 logements. Donc, on est dans des disproportions qui sont absolues, bien entendu.
Il y a le problème de la région Ile-de-France et quelques grandes agglomérations provinciales sur lesquelles nous avons encore de véritables problèmes très forts, notamment à Lyon ou à Aix-Marseille. Ce sont des zones sur lesquelles les tensions sont extrêmement fortes et qui rejoignent tout le débat général du logement social et pas seulement pour les étudiants, mais le public étudiant y participe bien entendu.
En revanche, dans un certain nombre d'autres régions, la pression est très faible et notre problématique à ce moment-là n'est pas tellement quantitative, mais elle est qualitative puisque beaucoup de nos résidences disponibles dans ces régions-là existent mais sont en très mauvais état. La question, là, c'est une question de rénovation des résidences, le cas échéant d'amélioration du dispositif, de passage de la chambre de 9 m² à quelque chose d'un peu plus grand, même si ce n'est pas le 20 m² ou le F1 ou le F2 que vous évoquiez, mais là, nous avons des questions qui sont très différentes selon les régions.
M. Pierre BERTON, administrateur à la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) - Je voudrais revenir à la question qui a été posée sur le dispositif général. Il faut reconnaître qu'effectivement l'accès à l'autonomie, c'est un processus qui prend du temps, qui est différent, dans lequel il y a des ruptures et qui se passe très différemment suivant que la famille a la capacité de soutenir cet accès à l'autonomie ou pas. Ce qui fait qu'on est actuellement devant une véritable inégalité pour ces jeunes en fonction de la capacité réelle de la famille à soutenir leur processus d'autonomisation, y compris en ce qui concerne les prêts. Il y a quand même des exemples, y compris en Europe du Nord qui, au lieu de parler en termes de prêts, parlent en termes de capital disponible. Que font les parents ou les grands-parents qui le peuvent ? L'autonomie et la majorité à dix-huit ans, il y a dix-huit ans pour la préparer. Que fait-on ? On ouvre un livret d'épargne pendant dix ans en versant même des petites sommes, ce qui fait qu'au moment où sa petite fille, son petit-fils ou son enfant a dix-huit ans, on peut lui permettre de disposer d'un capital et non pas de demander un prêt. La retraite, ça se prépare avec quarante ans de cotisations.
Des pays ont pensé effectivement à fonctionner autrement que sur les parts ou les demi-parts, mais sur la constitution d'un capital disponible sous certaines conditions pour soutenir cette période d'accès à l'autonomie. C'est quelque chose qui, aujourd'hui, est finalement réservé à ceux qui le peuvent, mais qui pourrait être réfléchi autrement et qui permettrait, de même que l'État fait en sorte qu'il y ait un minimum vieillesse, de constituer, en faisant appel aux moyens de ceux qui le peuvent, les moyens nécessaires d'accès à l'autonomie. Quand on s'occupait autrefois de jeunes qui étaient placés par les magistrats, avant la majorité à dix-huit ans, évidemment il y avait un coût de l'installation, mais ils n'étaient pas obligés de partir à dix-huit ans, il y avait du travail, ils partaient avec un million de vieux francs et ils pouvaient prendre un logement, acheter quelques meubles, s'installer dans la vie. C'est fini aujourd'hui.
C'est normal que les banques réfléchissent en termes de prêts mais c'est intéressant aussi pour les banques de constituer un capital pour quelqu'un qui va avoir dix-huit ans et ça peut être intéressant de réfléchir comment cette mesure peut devenir une mesure générale.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - J'avais posé deux questions. Est-ce que notre société est capable de donner à un jeune une boîte à outils égalitaire pour sa vie de formation ? Premier point.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - La réponse est non.
M. Jacques MAHÉAS, sénateur de la Seine-Saint-Denis - Le deuxième point et trois petites questions. Est-ce que les multiples aides ne peuvent pas être refondées et que, en quelque sorte, les bourses soient véritablement le moyen qui soit bien distribué ? Est-ce que vous en avez la capacité ? Est-ce que ça vous échappe et pourquoi ça vous échappe ?
M. Jean-François CERVEL, directeur du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) - C'est une question qui dépasse un peu - je crois- la compétence des personnes qui sont là, en tout cas la mienne. Mais je peux y apporter évidemment des éléments. Nous avons un dispositif pour ce qui concerne le public étudiant, qui est déjà un sous-public dans le public jeune. On a vu que tout ce qui est évoqué montre qu'il y a des publics qui sont encore plus en difficulté que le public étudiant, même s'il y a une partie du public étudiant qui rencontre de réelles difficultés. Mais on constate pour le public étudiant que nous avons différents dispositifs d'aide qui se sont établis historiquement et dont on a du mal à voir l'effet global. Ne serait-ce que pour le réseau des oeuvres, on a les aides directes et les aides indirectes. Les aides directes, ce sont les bourses que vous évoquez bien entendu et les aides indirectes, c'est le logement à des conditions et à des prix de loyer qui sont inférieurs aux prix du marché. Il faut analyser les conditions de gestion.
Deuxièmement, il existe les aides à la restauration par l'intermédiaire du fameux ticket-restaurant qui est subventionné. En gros, chaque repas délivré à un étudiant est subventionné à hauteur de deux euros par l'État environ. On en délivre environ 60 millions chaque année.
Voilà une diversité de dispositifs et je parle simplement du dispositif géré par les oeuvres universitaires. À côté de ça, il y a les aides au logement et d'autres dispositifs à caractère fiscal, notamment la demi-part fiscale.
On a un ensemble de dispositifs qui représentent environ 4,5 milliards d'euros au total. Est-ce qu'on pourrait reprendre ces 4,5 milliards et les mettre sous la forme d'une seule allocation ? C'est ce que vous évoquiez - je crois - dans votre propos et qui permettrait de définir cette allocation unique, cette bourse unique et c'est cette bourse qui permet de vivre, y compris d'assurer le logement, d'assurer la restauration, etc. en tout cas tous les éléments de vie. C'est un vrai sujet qui mérite vraiment d'être analysé mais qui dépasse ma modeste compétence de directeur du CNOUS. Il y a là un vrai sujet qui pèse entre 4 et 4,5 milliards d'euros.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Effectivement, dans tous les constats que nous avons entendus aujourd'hui, nous ne sommes pas surpris. Ce qui nous intéresse, ce sont vraiment des solutions, des propositions c'est ça qui est l'objet de notre rencontre aujourd'hui. Dans les propositions ou les alternatives, évoquées par la présidente, il y a effectivement les possibilités de sous-location et ce travail qui se fait au niveau de l'intergénérationnel dans des régions comme la Bretagne. Du côté de Rennes, il y a beaucoup d'étudiants qui habitent chez l'habitant âgé et qui, en échange du logement, assurent l'accompagnement de la personne âgée. On va se retrouver avec une foultitude de logements trop grands, et des personnes qui ne veulent pas effectivement s'en aller ou prendre un appartement ou une maison plus petite. Alors, il peut y avoir des dispositifs.
Je crois que nous sommes arrivés à un moment où il faut imaginer des choses. J'entends bien le manque de logements. Mais le temps que ça se construise, etc. l'eau aura coulé sous les ponts. Donc il nous faut à tout prix avoir des solutions transitoires et imaginatives. Une question que j'avais à poser à Mme Carrey-Conte : est-ce que votre Union nationale intègre aussi les CPHJ, les comités pour l'habitat des jeunes ? Chez moi, cela s'appelle comme ça. Avec des financements qui viennent de l'Europe également, est-ce que vous avez, vous, des financements européens ? Tout dépend des zones peut-être, éligibles ou non. Je sais que les foyers de jeunes travailleurs sont dans des difficultés financières assez importantes. Vous avez évoqué le problème de la rénovation des logements et effectivement ces foyers ont été construits il y a une certaine époque, pour ceux que je connais, et ils ont besoin d'être rénovés parce que maintenant les jeunes refusent d'y aller ; c'est très dangereux même en matière de sécurité.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - C'est vrai qu'on a attaqué déjà le débat sur le logement et un certain nombre de questions ont été posées par mes collègues, mais je vais quand même les reposer d'une manière générale.
Évidemment, notre souci est de donner la possibilité aux jeunes d'avoir accès à un logement d'une manière autonome. Est-ce que dans l'analyse que vous faites de la situation et sur les suggestions que vous pourriez nous faire concernant le financement du premier loyer, du dépôt de garantie, est-ce que vous avez d'autres idées sur le sujet de façon à ce que l'accès se fasse beaucoup plus facilement ? Est-ce qu'on généralise le Loca Pass, etc. ?
Deuxièmement, concernant les apprentis, qui ont une double problématique, ils doivent avoir un logement, à la fois, près du lieu de formation et en même temps sur le lieu de stage. Avez-vous des suggestions ? On l'évoquait tout à l'heure, l'allocation logement, et la question que je voulais vous poser est la suivante : est-ce que vous pensez que c'est équitable et efficace ? Cette allocation logement ne produit-elle pas un effet d'aubaine ? On a déjà entendu un certain nombre de réponses disant que ça avait induit fortement l'augmentation des loyers, mais j'aimerais quand même avoir l'avis de chacun d'entre vous sur le sujet. Enfin, un sujet qui a été évoqué par ma collègue, ça concerne la cohabitation intergénérationnelle. Est-ce que, pour vous, cela peut se développer et si c'est oui, dans quelles conditions et sous quelle forme ?
Mme Fanélie CARREY-CONTE, UNHAJ - Il y a beaucoup de choses et par ailleurs sur un certain nombre d'aspects, ce sont des éléments très techniques. Nous avons un certain nombre de fiches à disposition, donc je vous proposerai de vous envoyer de la documentation pour éviter de rentrer dans des débats qui nous amèneraient - je pense - très tardivement dans l'après-midi. Simplement, quelques éléments de réponse par rapport aux différentes interrogations.
D'abord, il s'agit de dire que nous faisons le diagnostic général d'un manque de logements adaptés aux jeunes, parce que je pense qu'il est important de souligner qu'il y a des spécificités dans le logement des jeunes qui ne sont pas simplement la question financière du loyer accessible. Il y a la question de la taille qui a été évoquée tout à l'heure avec la nécessité d'avoir de petits logements ; il y a la question de la mobilité puisque, avec la mobilité croissante imposée aux situations de jeunesse, il y a des besoins de plus en plus importants de pouvoir rentrer vite dans un logement et de quitter vite un logement. Dans le parc privé, avec le problème des trois mois de préavis, cela pose des soucis d'accessibilité par rapport au logement des jeunes. On pense qu'il est important d'agir vraiment en parallèle sur deux éléments de front, à la fois l'augmentation de l'offre - et je vais y revenir tout à l'heure - et l'augmentation de l'accès à l'existant, notamment par le biais de l'intermédiation locative, de la captation de logements à destination des jeunes, de la sous-location et d'un certain nombre de choses qui ont pu être dites.
Par rapport aux propositions, pour entrer un peu plus dans le détail, évidemment, nous pensons que les solutions habitat qu'on est en capacité d'amener sur les territoires sont parties prenantes de cette solution. Comment développe-t-on sur les territoires des solutions habitat qui, encore une fois, allient l'ensemble de la gamme de logements ? Pour répondre à votre question, dans notre réseau UNHAJ, nos associations sur les territoires gèrent à la fois un parc de logements, que ce soit en collectif, en foyers de jeunes travailleurs, en mini-résidences... ou que ce soit en appartements diffus, mais elles gèrent aussi des actions, ce qu'on appelle l'AIO (Accueil, Information et Orientation), notamment par le biais des services logement et des CLLAJ, comités locaux pour le logement autonome des jeunes. Cet aspect est important puisque ça nous permet aussi d'aller faire de la prospection de logements auprès des bailleurs publics et privés pour trouver des logements accessibles aux jeunes.
Par rapport à ça, il y a un besoin de soutien aux acteurs de ces projets habitat jeunes sur l'aspect financier. Nous, on n'a pas de financements européens aujourd'hui par rapport à ce qui peut être fait. Ceci dit, il y a effectivement besoin de sécuriser financièrement l'aspect investissement, construction et également réhabilitation. Je me permets de souligner à cet égard que la disparition de la Palulos, qui était une aide à la réhabilitation, qui a été remplacée aujourd'hui par un éco-prêt qui n'est pas du même niveau en termes de montant, pose aujourd'hui des soucis en termes de réhabilitation parce que nous avons un vrai sujet d'attractivité de nos solutions à destination des jeunes. Donc, il y a de nombreux moyens à développer pour soutenir les acteurs habitat jeunes à travers toutes leurs missions, dont l'intermédiation locative qui est une part importante et aussi le volet d'accompagnement socio-éducatif qui, pour nous, va de pair et qui est essentiel dans les solutions qu'on peut développer.
Au-delà de ça, on fait un certain nombre de préconisations pour développer l'offre de logements en direction des jeunes. Je voudrais simplement citer quelques éléments. D'abord, il y a besoin d'une visibilité de la prise en compte des enjeux de l'habitat des jeunes sur l'ensemble du territoire à tous les niveaux. C'est pourquoi nous demandons qu'un volet logement des jeunes puisse être inscrit systématiquement dans les PLH (programmes locaux de l'habitat). Cela permettrait d'avoir aussi une programmation et une identification avec l'ensemble des partenaires parce qu'il faut que ça se passe dans une dynamique partenariale collective du logement des jeunes sur les territoires. De la même manière, on souhaite que les PDLJ (plans départementaux locaux de logement des jeunes) définis par une circulaire, puissent être réactivés sur l'ensemble des territoires.
Sur le logement social, on considère qu'il est important de demander une production de petits logements dans les logements sociaux et également de logements sociaux financés en PLAI, ce qui permet d'avoir derrière des loyers accessibles aux jeunes.
Sur la question des aides au logement, effectivement, il y a une différence entre ce qui relève du parc privé et ce qui relève des logements foyers, des résidences sociales puisque là, les loyers sont plafonnés. Sur les logements privés, il a pu y avoir - et on le sait - une hausse extrêmement importante des loyers. Ceci dit, pour nous, il est bien évident que la réponse à cette situation ne doit pas être une remise en cause des aides au logement, mais au contraire plutôt des mécanismes de frein à l'augmentation des loyers, notamment en termes d'encadrement. Nous considérons en l'occurrence que les aides au logement - on est très attachés à leur caractère universel - permettent vraiment d'accompagner les jeunes dans leur accès au logement et dans leur solvabilisation.
On fait, à cet égard, un certain nombre de propositions, notamment au niveau de leur montant et de la suppression du mois de carence. Vous savez que pour un jeune qui entre dans un logement qui n'est ni une résidence sociale, ni un logement foyer, il y a un mois de battement, qu'on appelle le mois de carence, avant la perception de l'aide qui peut poser des difficultés dans l'accès à un premier logement. On demande aussi - et ça va faire le lien avec votre question sur les apprentis - à ce que, pour les apprentis qui ont une problématique particulière de triple résidence (la résidence de leur famille, la résidence de leur CFA et la résidence de leur maître d'apprentissage), on puisse avoir d'abord la possibilité de cumuler les allocations familiales et les aides au logement pour les jeunes. Également, on demande la possibilité de toucher l'APL pour des durées inférieures à un mois, ce qui aujourd'hui n'est pas possible et qui permettrait d'aller dans le sens de l'accompagnement de cette triple résidence.
Enfin, je voudrais ajouter quelques mots concernant le logement inter-générationnel. C'est juste pour dire que je pense qu'il faut être vigilant sur le fait que cette solution ne peut pas constituer une solution globale et de masse. Forcément, elle répondra à des besoins précis et elle devra absolument se faire, si elle se fait, en articulation avec les autres formes de logement. Donc, il ne faut pas penser cette solution-là comme toute seule, suspendue en l'air. Par ailleurs, il faut aussi faire attention à ce que ce que l'on voudrait faire, que du « vivre ensemble » ne se transforme pas en du « vivre côte à côte ». Dans les phénomènes de logements intergénérationnels, il peut aussi y avoir des abus, des phénomènes de dépendance affective qui se créent et il est très important que ces solutions-là soient accompagnées d'un vrai projet de vie, qu'on réfléchisse vraiment à cela parce qu'il peut y avoir aussi des dérives sur ce type de solutions.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Bien sûr, ça peut être une petite solution parmi d'autres. Par ailleurs, on a avancé également sur le fait que ça ne peut pas être en échange de services donnés à la personne âgée, mais une indépendance plutôt avec un contrat clair ; y compris, on pense qu'il faut peut-être trouver un moyen d'aider financièrement les personnes qui sont prêtes à accueillir des jeunes pour aménager une chambre totalement indépendante avec une douche, un coin cuisine, etc. On ne croit pas à : « je vais vous aider à faire vos courses et en échange... » On pense que ça peut fonctionner une fois de temps en temps, mais ça peut surtout ne pas fonctionner, donc il faut qu'il y ait autonomie.
M. Michel GAYAN, responsable du marché des jeunes et des étudiants à la direction du développement de la Banque fédérale des banques populaires - Pour nous, en synthèse, quand on voit des jeunes - et ça dépasse le cadre étudiant car je parle même des jeunes actifs qui rentrent dans la vie professionnelle - quand ils prennent un logement, ils ont un problème de caution, de dépôt de garantie et de dossier. Aujourd'hui, bien souvent, trente ans passés, on est obligé d'avoir la caution des parents derrière parce que sinon le dossier n'est pas accepté. Malgré les Loca Pass, malgré les cautions bancaires qui existent aujourd'hui dans toutes les enseignes bancaires, on peut se poser parfois la question : pourquoi il n'est pas imposé, à un moment donné, de surveiller un petit peu mieux les demandes des propriétaires et des agences immobilières par rapport à leurs exigences.
Aujourd'hui, le dépôt de garantie - je m'en réjouis - est passé à un mois de loyer. On a des solutions aujourd'hui pour financer ces dépôts de garantie puisque nous travaillons, en l'occurrence, sur une avance premier salaire qui veut bien dire ce qu'elle veut dire. S'il n'a pas ses parents ou sa famille derrière, c'est très dur de s'installer et de commencer positivement sa vie professionnelle. C'est pour ça que nous, on travaille et on va le faire sur le contrat de travail, afin de proposer une avance jusqu'à deux mois de salaire remboursable à taux zéro jusqu'à 24 mois. Je dis « jusqu'à », parce que c'est bien sûr du personnalisable. S'il est déjà endetté, on ne va pas le ré-endetter derrière. S'il ne demande qu'un mois parce qu'il n'a besoin que d'un mois, il n'y a pas de souci, mais c'est pour l'aider à rentrer dans la vie active.
Troisièmement, aujourd'hui, quand on voit des jeunes qui veulent rentrer dans un logement et qu'on leur demande plus de trois fois, voire quatre fois le loyer, il importe déjà, avant de vouloir l'accès imminent pour tout le monde à la propriété, de faciliter l'accès à la location. Est-ce qu'il est normal de demander à un jeune qui travaille, pour un loyer de 800 euros par mois, de gagner 2400 euros nets, voire plus puisqu'on est même à quatre fois le montant du loyer ? Parfois dans certaines agences immobilières - je l'ai vécu à titre personnel - c'est cinq fois. Est-ce qu'il est normal aujourd'hui d'avoir de telles exigences envers un jeune actif ? Est-ce qu'il n'y a pas à un moment donné un plafonnement à instaurer aussi parce qu'on va vers des dérives ? Nous, on les voit quand ils viennent vers nous demander des dossiers, lorsqu'ils ont un projet de location. Je ne parle même pas des co-locations qui sont effectivement une solution, mais qu'est-ce qui se passe quand vous prenez une co-location ? On demande la caution pour les trois, si on prend une co-location à trois, ça paraît donc problématique. Et surtout, chacun des locataires doit gagner trois fois son loyer, c'est aberrant ! C'est justement pour ça qu'ils prennent une co-location : pour partager, pour mutualiser ce coût exorbitant du loyer et essayer justement de compenser. Et on leur demande au contraire de gagner des sommes astronomiques.
Donc sur ces trois points-là, on essaye d'avancer, mais il faudra aussi peut-être, à un moment donné, se dire qu'il faut plafonner, il faut interdire certaines pratiques parce qu'on va vers des débordements.
M. Alexandre AUMIS, sous-directeur, chargé de l'immobilier au CNOUS - Juste un point d'alerte sur la loi du 25 mars pour l'accès au logement qui a introduit une différenciation entre les logements non autonomes, ce qu'on appelait anciennement les logements foyers et les logements ordinaires qui sont ceux qu'on construit actuellement. Dans la partie cautionnement, justement, il est précisé que les bailleurs qui font appel à la garantie des risques locatifs ne peuvent pas cumuler le cautionnement pour ce qui concerne les anciens logements foyers. Ce qui fait que pour un CROUS donné, par exemple, des étudiants qui seront logés dans des chambres traditionnelles, à ceux-là on pourra demander une caution ; ceux qui seront logés dans des studios, c'est-à-dire le produit qu'on construit majoritairement actuellement, on ne pourra pas leur demander de caution. Donc il faut être vigilant là-dessus, on a interpellé le ministère du logement sur ces questions de façon à ce qu'une solution soit trouvée avant la prochaine rentrée de préférence pour ne pas avoir un gap trop profond entre les deux situations.
En termes de propositions, par rapport au développement de l'offre, qui peuvent être faites, juste un point de correction par rapport à ce qui a été dit tout à l'heure : il y a déjà un volet logement des étudiants qui est intégré dans la loi. La loi du 13 août 2004 demandait à ce que cette préoccupation soit intégrée dans les PLH. Donc, c'est une simple extension de ce dispositif aux étudiants qui est intégrée et ce sont des propositions qu'avait faites le député Anciaux à Mme Boutin lorsqu'il a remis son rapport en février 2008. Il s'agissait de vérifier simplement que la loi est appliquée surtout dans les zones tendues de façon à ce qu'on ait des moyens de contraindre la collectivité à s'y conformer.
Parmi ces autres aspects qui peuvent aussi motiver les collectivités dans les zones tendues à améliorer la production, il y a un conflit à trancher : produire du logement social ou produire du logement social pour étudiants. Une fois que ce conflit est tranché, l'idée est de dire qu'un logement social pour étudiants, doit être comptabilisé comme un logement social au titre de la loi SRU. Donc, dans les collectivités qui sont en déficit, c'est une incitation à dire : « vous, vous avez suffisamment de logements sociaux, faites entrer un peu de jeunes dans votre secteur, ils sont comptabilisés de la même façon ».
Parmi les autres propositions, et pour rejoindre un petit peu ce qui a été dit par l'UNHAJ, on avait aussi posé la question d'étendre les dispositifs de financement que sont les PLUS (Prêts Locatifs à Usage Social), à ces zones tendues. Ce sont celles que vous citez, Monsieur Cervel, à savoir l'Ile-de-France, Rhône-Alpes et PACA dans une moindre mesure parce que ce sont les mécanismes de financement qui sont à l'heure actuelle les plus adaptés à la production. Alors, je contredis un petit peu ce que disait Monsieur le sénateur tout à l'heure, qui disait qu'on avait les financements. Dans les zones tendues, c'est très difficile de boucler financièrement une opération de logements étudiants de façon à ce que, à la fois, le gestionnaire et le monteur de l'opération s'y retrouvent financièrement.
À l'heure actuelle, on est sur des équilibres qui font que si on n'a pas 25 % d'apport en subventions, que ce soit par l'État ou par les collectivités, voire dans la majorité des cas les deux, on a des difficultés à monter une opération de construction. C'est pour cette raison qu'on s'oriente de plus en plus vers des solutions mixtes qui consistent à avoir d'une part un bâtiment dédié aux étudiants et d'autre part un bâtiment lié aux jeunes travailleurs parce que c'est le mixage de ces financements qui permet de sortir les opérations.
M. Jean-François CERVEL, directeur du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) - Sachant qu'on a toujours un point de fond, comme il a été dit par Monsieur le sénateur, qui est le terrain, le foncier, notamment dans les zones sensibles que j'ai indiquées tout à l'heure.
M. Rémi GUILLEUX, administrateur chargé de l'éducation à l'UNAF - Peut-être quelques mots, si vous me permettez, Mme la présidente, dans le prolongement de l'intervention du président de l'UNAF tout à l'heure. Par rapport au logement intergénérationnel, je voudrais signaler que la semaine prochaine ou la semaine d'après, le 15 mai, l'UNAF organise au palais d'Iéna un colloque sur le logement intergénérationnel avec la double idée, d'abord de partager un certain nombre d'expériences, même si elles restent effectivement partielles et peut-être aussi de conduire une réflexion prospective par rapport à la conception même des logements. Car aujourd'hui, c'est vrai que bon nombre de familles se retrouvent parfois avec des logements devenus trop grands pour l'usage qu'on peut en faire à certains âges. Par contre, vous l'évoquiez tout à l'heure en termes d'aménagement, peut-être que dès maintenant il faudrait imaginer un peu la conception du logement de demain pour que dans quelques années, une partie de nos logements puisse être utilisée pour accueillir un jeune, un apprenti, un étudiant, etc.
Je crois qu'on a cette double entrée dans ce colloque. Il y aura des actes qui seront élaborés lors de ce colloque, si vous nous le permettez, et c'est avec plaisir qu'on pourra vous les communiquer.
Deuxième petit complément très rapidement, je crois qu'au-delà du logement intergénérationnel, il y a la question aussi du rôle des familles. On s'aperçoit aujourd'hui qu'il y a aussi, pour un certain nombre de jeunes, la volonté de mobilité et c'est vrai que parfois une famille qui voit son jeune partir, dans le cadre de programmes étudiants par exemple, y compris dans des pays européens, se retrouve avec la possibilité d'accueillir un jeune qui peut être de l'âge de ses propres enfants. Je crois que ça peut replacer aussi les familles dans cette démarche d'accueil et de contribution à la question du logement.
J'ai une autre remarque sur la question du foncier. Pour être de province et aussi impliqué dans la vie locale, je m'aperçois qu'il y a aussi un certain nombre d'opérations - et Monsieur le sénateur l'évoquait tout à l'heure - y compris dans des opérations privées - dans lesquelles on réserve un certain nombre de macro-lots pour imaginer des petits logements notamment. Je crois qu'il y a quelques expériences peut-être encore un peu ponctuelles mais qui me font dire qu'un certain nombre de choses sont possibles. J'insiste aussi sur un aspect : la mixité des logements nous paraît importante, à nous, familles. Plusieurs d'entre nous ont évoqué l'insertion sociale et professionnelle. Je crois que mixer les logements, c'est aussi permettre cette mixité de la vie sociale et d'intégration des jeunes dans une vie locale, dans une vie collective. Cela nous paraît aussi être un élément important. Voilà deux aspects que je souhaitais souligner à ce stade.
M. Pierre BERTON, administrateur à la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) - Simplement, le constat est que pour sortir d'un CHRS en région parisienne il faut deux ans et entre huit mois et un an en Province. C'est vrai qu'il y a trois zones tendues : l'Ile-de-France, Rhône-Alpes Auvergne et PACA. Je crois qu'il y a un problème de territorialisation des politiques pour répondre à un endroit donné à la réalité des besoins. Par ailleurs, il y a peut-être un problème de reciblage des aides puisqu'à l'heure actuelle il y a dix-huit sortes d'aide. Il y a une aide pour les très pauvres, une aide pour les moins pauvres, jusqu'à une aide pour ceux qui n'en ont pas besoin, qui pourraient acheter leur logement sans avoir ce dégrèvement.
À l'heure actuelle, on est en difficulté aussi parce que les restructurations indispensables qui sont faites grâce à l'ANRU ne permettent pas une recomposition exacte du nombre de logements sociaux par rapport aux logements détruits. Ça ajoute donc un peu à la difficulté, mais ce dispositif est complètement indispensable. Ceci dit, il manque jusqu'à 600 000 logements sociaux, il y en a 100 000 construits chaque année dans le programme et donc on en a pour un certain temps à régler le problème.
Je pense qu'en ce qui concerne les jeunes, un certain nombre de questions se posent différemment si on parle d'un capital et d'un droit à l'autonomie que si on parle de prêts et d'aides en permanence, puisque autrement on en est, nous tous, à donner des cautions pour nos enfants qui ont plus de trente ans et qui ont largement de quoi payer trois fois le loyer. Donc on ne s'en sortira jamais si on n'inverse pas le dispositif.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On vous remercie très sincèrement de vos apports.
Table ronde sur les politiques publiques
(5 mai 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je voudrais, Mesdames et Messieurs, vous saluer et vous souhaiter la bienvenue et vous remercier par avance d'avoir bien voulu nous consacrer un moment de votre journée pour nous aider à réfléchir sur cette problématique jeune.
Par souci d'efficacité, on a choisi les 16-25 ans comme tranche d'âge et on a choisi de travailler essentiellement sur deux types de problèmes qui nous paraissent les plus tracassant en ce moment : tout ce qui tourne autour de l'emploi, c'est-à-dire formation, orientation, emploi et puis ce qui tourne autour de l'autonomie des jeunes, c'est-à-dire l'autonomie financière et le logement. Nous allons également parler des problèmes de santé et de citoyenneté, d'accès à la culture et aux pratiques sportives.
Le chômage des jeunes en France est l'un des plus élevés d'Europe. En un an, le chômage des jeunes a augmenté de 32 %. Donc il y a l'effet crise mais, hélas, le problème des jeunes est structurel et pas uniquement lié à la crise. Un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, un jeune diplômé met environ dix ans pour stabiliser sa vie professionnelle, c'est-à-dire que les dix premières années, il se promène de stages en emplois précaires vice-versa. Pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Voilà pour quelques chiffres.
Donc on s'est dit qu'il était nécessaire de faire des propositions concrètes en toute modestie parce que le problème est complexe. On pense aussi qu'il n'y a pas de fatalité et que si d'autres pays d'Europe s'en sortent mieux que nous, c'est qu'on a dû « rater le coche » quelque part. Je n'ai pas parlé d'un autre chiffre parce que c'est sans doute celui qui nous interroge le plus, celui des 150 000 jeunes qui sortent tous les ans du système scolaire sans formation.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Ce que je vous suggère, c'est que nous travaillions selon quatre thèmes. Le premier thème serait sur l'orientation, le second sur l'emploi, le troisième sur les ressources et l'autonomie financière du logement des jeunes bien sûr ; enfin le dernier, sur les activités sportives, culturelles et la santé.
Concernant le premier thème, j'aurais aimé que vous puissiez nous dire ce que vous pensez aujourd'hui du système d'orientation qui existe dans notre pays. Est-ce qu'à votre sens il est efficace ou est-ce qu'il ne l'est pas trop ? Et si c'est la deuxième réponse que vous êtes amenés à faire, est-ce que vous avez une idée du service idéal d'orientation qui pourrait être mis en place et surtout à quel niveau ? Est-ce que c'est au niveau de la préfecture, est-ce que c'est le Pôle Emploi, est-ce que c'est l'école ? Bref, comment vous voyez le système idéal d'orientation ? Voilà la première question.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - En tant que secrétaire de la commission formation professionnelle et apprentissage, je dirais que je suis plus à l'aise sur les questions autour de l'orientation et de l'emploi-formation que sur le dernier sujet. Il existe deux documents qui peuvent vous intéresser : d'une part, le rapport qui a été fait par le cabinet Mensia sur l'ensemble des politiques régionales autour de la décentralisation ou des décentralisations successives de la formation professionnelle, et d'autre part, le rapport du groupe Ferracci qui a travaillé sur la préparation État, partenaires sociaux, conseils régionaux du débat autour de la réforme de la formation professionnelle.
Je pense qu'une des questions qui se posent derrière les politiques vis-à-vis des jeunes, est la suivante : qu'est-ce qui est spécifique et qu'est-ce qui est global ? C'est-à-dire qu'est-ce qui est un problème - je dirais - d'orientation, de formation et d'emploi de façon globale ? Les jeunes, les moins jeunes, les femmes, les personnes handicapées, enfin toutes les catégories possibles se retrouvent à un moment dans des situations de discrimination plus ou moins fortes dès que la conjoncture économique resserre le nombre d'emplois disponibles. Et puis qu'est-ce qui est spécifique par rapport aux jeunes ?
Les réflexions que nous avons menées montrent d'abord qu'il y a problème sur ce que l'on met derrière le mot « orientation ». Est-ce que c'est de l'information, de l'affectation ou est-ce que c'est de l'accompagnement de projets ? Selon la façon dont on interprète ce mot-là, on n'a pas du tout les mêmes résultats en termes de politique publique. On a actuellement un système d'orientation à l'intérieur de l'éducation nationale qui est beaucoup une affectation, par rapport à des notes et à des places disponibles, c'est-à-dire à une offre de formation plus qu'une construction de projets.
On a un travail à faire dans les missions locales, dans les réseaux de type cité des métiers, voire chez un certain nombre de partenaires de service public ou autour du service public. Pour le service public, je pense aussi aux psycho-orienteurs de l'AFPA, et à tout ce qui tourne autour des bilans de compétences, des formes d'accompagnement qui peuvent être faits par les GRETA mais aussi par des structures privées associatives ou privées. On part du projet et on se pose après la question de sa construction, on n'est plus dans une logique de la formation de façon tubulaire mais modulaire. On n'est plus dans une logique uniquement de ce qu'on a fait pour décider de ce qu'on peut faire, mais de ce qu'on veut faire et de ce qu'on peut faire pour essayer de trouver les outils ensuite.
Nous considérons qu'un des principaux problèmes n'est pas seulement que les jeunes sortent sans qualification, c'est qu'ils n'ont plus du tout envie de formation, qu'ils n'y croient plus. Et ça nous paraît au moins aussi grave, si ce n'est plus. Si vous voulez, ce n'est pas seulement de ne pas avoir eu de diplômes, c'est en plus de n'avoir rien validé. L'école est probablement le seul endroit où on peut passer dix ans sans rien valider du tout, même le fait de savoir grimper à la corde. Ce qui pose un problème en termes d'estime de soi à un âge qui est assez vulnérable et on peut se poser la question de savoir si nous ne sommes pas plus exigeants sur des jeunes de seize ans que sur des adultes de trente ou trente-cinq ans et si nous leur reconnaissons le droit à l'erreur. Ça pose aussi la question des jeunes comme catégorie spécifique : est-ce qu'on doit, à seize ans, savoir nécessairement ce que l'on doit faire, ce que l'on veut faire ? Est-ce qu'on a le droit de se tromper, est-ce qu'on peut valider un semestre et changer d'orientation et ne pas tout reprendre à zéro, mais pouvoir recommencer ? C'est plus facile de changer d'orientation en mastère que de changer d'orientation en BEP, ce qui paraît quand même assez absurde dans notre mode de fonctionnement.
Donc derrière l'enjeu de l'orientation, il y a aussi tout un enjeu de l'offre de formation, de la façon dont elle est structurée et de la façon dont on peut capitaliser des validations, ou - je dirais - rentrer dans un tube et si on est éjecté du tube, il faut pouvoir retrouver un autre tube ou pas de tube du tout.
Pour nous, l'orientation doit permettre aux jeunes de se projeter dans un avenir - j'allais dire - à la limite atteignable ou inatteignable, après c'est un problème d'étape. Vous avez des jeunes qui ont un rêve à seize ans et qui vont découvrir que leur rêve est loin et compliqué. Je pense qu'autour de cette table, il y a des gens qui ont eu des rêves qu'ils n'ont pas réalisés et qui ont fait des choses intéressantes après.
L'orientation est extérieure à l'affectation dans une formation ou à l'aptitude à faire une formation et elle est bien dans la logique de projet. Nous, nous avons travaillé dans les régions sous des formes différentes selon qu'on est en territoire de banlieue, en territoire rural, mais je dirais que la philosophie globale, c'est un peu la philosophie cité des métiers. Vous pouvez arriver avec vos questions et vos projets et vous retrouver avec des interlocuteurs qualifiés pour vous aider à structurer ce projet. Et une fois que vous avez défini un petit peu vers où vous allez aller, là on commence à vous diriger vers des interlocuteurs plus spécialisés sur le comment vous pouvez y aller, qu'est-ce qu'il faut que vous fassiez, est-ce qu'il faut repasser par du préqualifiant, de la remise à niveau, quelles sont les ouvertures possibles ? Comment ça se finance ? Où est-ce qu'il faut aller ? Quel est le trajet ? Comment on le monte, comme on le finance, etc. ?
C'est différent du mot orientation tel qu'on l'utilise aujourd'hui pour les jeunes, qui est essentiellement du CIO. Si vous voulez, par exemple, un conseiller d'orientation peut faire faire des tests à un jeune sur ses aptitudes. Même si ces tests sont bons, le jeune ne peut pas utiliser ces résultats en conseil de classe pour se prévaloir d'une orientation sur tel ou tel BEP puisque le problème principal est au niveau des BEP et un petit peu sur les bac STG. Je vous signale que le CEREQ est en train de travailler sur une analyse plus fine de l'enquête génération qui va permettre de construire les résultats des discriminations à l'emploi par les discriminations à l'orientation. On a des corrélations entre les problématiques de discrimination à l'emploi et les problématiques de discrimination à l'orientation. C'est-à-dire grosso modo qu'à partir du moment où l'orientation est une affectation, le poids des familles, comme toujours, est prépondérant pour essayer de ne pas vous mettre dans les filières qui sont considérées comme les plus « voies de garage », donc potentiellement les plus porteuses de discrimination derrière. Même problème sur l'accès aux stages, si vous n'êtes pas aidé pour avoir des stages avec des entreprises qui sont référentes, vous allez vous retrouver avec un CV mal structuré qui va encore aggraver les discriminations par la suite.
L'orientation, pour nous, c'est une compétence mutualisée qui doit à la fois s'appuyer sur la prospective des métiers et des activités, sur la capacité à évaluer les aptitudes d'individus, donc des capacités beaucoup plus psycho-cognitives, et être capable de faire derrière une ingénierie de parcours de formation, voire de parcours emploi-formation. L'exemple des écoles de la deuxième chance montre qu'en combinant les deux dans une façon plus souple que l'alternance au sens strict, on arrive à des choses intéressantes sur les jeunes les plus décrochés de l'envie d'apprendre pour arriver à ce qu'effectivement au bout du compte, il y ait la réalisation d'un projet qui n'est pas nécessairement le projet initial. Mais le rêve est un moteur.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du conseil général du Bas-Rhin - Sur l'orientation, je rejoins complètement les propos de ma collègue, mais je vais peut-être aborder les choses un peu différemment. Je vais partir d'abord des lacunes du système actuel. J'en retiendrai trois assez fortes. Aujourd'hui, il y a un conseiller d'orientation pour à peu près 2 000 jeunes donc forcément ça laisse peu de temps pour s'occuper des jeunes générations. Le référent principal des jeunes, c'est la famille ou le professeur principal. Or, on constate quand on voit un petit peu le schéma d'évolution des professeurs principaux, la plupart ont eu une scolarité plutôt bonne, généraliste, universitaire, pas du tout adaptée aux débouchés professionnels actuels. On ne peut pas leur en vouloir d'ailleurs, parce qu'ils sont très peu formés pour cette mission et eux, ils encouragent toujours les jeunes à aller vers le bac général, classique, etc. Donc aujourd'hui, je crois qu'il y a une méconnaissance des débouchés et des métiers des professeurs principaux qui jouent pourtant un rôle fondamental. La troisième lacune du système - et là c'est plutôt mon expérience d'élu rural qui me pousse à la mettre en avant - c'est l'éloignement des CIO des territoires ruraux. Aujourd'hui, il n'y a pas forcément d'équipement de proximité pour informer les jeunes sur l'orientation. Les PIJ, les points d'information jeunesse, qui existaient en leur temps, sont en train de disparaître parce que les directions jeunesse et sports faisaient peser un nombre de contraintes tellement fortes sur les collectivités locales, petit à petit, toutes les structures ont mis un terme à ces contrats, ce qui est bien dommage d'ailleurs parce que je pense que les PIJ pouvaient jouer un rôle dans ce cadre-là.
Par rapport à votre question sur l'orientation, quelles réflexions et quelles pistes par rapport aussi au constat que je viens de faire ? D'abord, je crois que, au niveau des collèges, il faut essayer de prévenir très en amont les décrochages scolaires dans les établissements. Les professeurs et les chefs d'établissement sont en mesure de les déceler puisque le processus est récurrent, marqué par des absences de plus en plus fortes du jeune. Je crois qu'à partir du moment où on constate ces absences, une absence aussi de travail, etc., petit à petit, il faut mettre tous les acteurs de l'orientation ensemble pour travailler sur ces situations.
C'est le rôle du chef d'établissement, c'est le rôle de la MGI (mission générale d'insertion) qui est liée à l'éducation nationale, mais je pense que dans ce cadre-là, c'est important aussi d'associer très en amont les missions locales pour, dès les premières difficultés déclarées, essayer déjà de travailler avec le jeune et sa famille pour éviter des ruptures prématurées. Donc il y a vraiment, à mon avis, un dispositif d'alerte à mettre en place. Alors, ça se fait dans un certain nombre de territoires, il y a des liens très en amont entre les missions locales et l'éducation nationale et je crois que ce sont des choses peut-être à généraliser sur l'ensemble du territoire.
Ce qui est important aussi, par rapport notamment aux déficits d'information sur les territoires ruraux ou les territoires reculés, c'est de permettre une information généraliste sur l'orientation et une information de proximité. Il y a deux instruments que peuvent être utilisés, les CDI, qui pourraient avoir un rôle plus important dans ce domaine-là, et puis - et là je prends ma casquette d'élu départemental pour éventuellement défendre le rôle que peuvent jouer- les médiathèques en créant des espaces multimédias destinés aux jeunes. Je pense que c'est quelque chose qui pourrait se développer en lien aussi avec des instruments mis en place par l'ONISEP. Je crois que là il y aurait des possibilités de donner une information, une aide aussi à l'information, une aide à l'orientation au niveau des collèges.
Ensuite, au niveau des lycées, je crois qu'il est important de spécialiser petit à petit l'information sur l'orientation en lien avec les chambres consulaires, les entreprises - vous parliez tout à l'heure de Pôle Emploi. Toutes ces structures qui existent, qui connaissent bien les bassins d'emploi et les besoins des bassins d'emploi doivent se rapprocher et les régions, de plus en plus, le font. Je crois que c'est quelque chose de très important.
Par exemple, en Alsace, il existe une opération « quand les boss rencontrent les profs » mise en place par le MEDEF. Je crois qu'il faut multiplier ces moments de rencontre et d'échange aussi bien avec les élèves, qu'avec les professeurs principaux. Dans le département du Bas-Rhin, on a un dispositif qui s'appelle « avenir, mode d'emploi » où on invite les professeurs principaux qui sont intéressés à rencontrer les chambres consulaires, à aller visiter des entreprises pour mieux connaître, à la fois, les débouchés et le monde de l'entreprise. Je crois que c'est aussi une piste de travail.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Ce qui vient d'être souligné est important, mais pour l'orientation, il faut connaître déjà les jeunes et 50 % des jeunes ne nous sont pas connus. C'est-à-dire qu'on oriente qui ? Donc, il y a déjà une nécessité à ce que ces jeunes soient répertoriés d'une façon ou d'une autre. Souvent, ce qui se passe, une fois qu'ils sont en échec en milieu scolaire, ils sont dans la nature et on ne les retrouve pas. Dans les missions locales, on en retrouve à peu près la moitié, seulement une moitié vient peut-être dans une démarche volontaire. Et dans ces 50 %, peut-être que seulement un tiers a fait la démarche d'inscription pour l'emploi. Le premier problème me semble être à ce niveau-là.
Ensuite, je représente les plus petites collectivités et je peux déjà vous dire une chose, les maires ruraux sont très frileux par rapport à la problématique jeunes parce qu'ils ne savent pas comment l'aborder, c'est une réalité. Chaque fois qu'on a essayé d'organiser des réunions ou des colloques par rapport à ce thème-là, c'est morne plaine, personne ne vient.
Il se trouve que j'ai été également président d'une PAIO, qui est devenue maintenant mission locale, pendant une dizaine d'années et j'ai constaté que quand les démarches devaient être volontaires de la part de l'engagement des élus, ça n'existait pas. Je suis maire d'une commune dans le département des Vosges. Sur les 270 communes de notre bassin d'emploi, au bout de sept ou huit ans de forcing on avait réussi à faire en sorte qu'une douzaine ou une quinzaine de communes nous rejoignent. On n'a pu avoir l'ensemble des communes que par une décision collective qui s'est traitée au niveau d'un pays. Je voulais déjà souligner le décalage entre les élus ruraux et la problématique jeunes.
Les jeunes, pour moi, manquent de confiance en eux, c'est ça leur problème principal. Mais ce problème de confiance, il est souvent conforté par le fait qu'il n'y ait pas d'orientations proposées qui puissent éventuellement leur convenir. Les réponses que l'on apporte, je crois qu'elles ne sont pas les meilleures dans un premier temps. Il me semble - je le dis à titre personnel mais on est là pour s'exprimer - qu'il faut faire en sorte déjà de créer ce climat de confiance. Le climat de confiance, ça se crée souvent quand on organise des groupes - je n'ai pas dit des bandes - j'ai dit des groupes. Les missions locales pourraient avoir ce rôle-là, mais ça voudrait dire à ce moment-là que les missions locales devraient travailler sur deux secteurs, le secteur classique de l'orientation, de l'accueil, ce qu'elles font à l'heure actuelle - on en reparlera peut-être tout à l'heure - mais, à mon avis, elles devraient aussi être parties prenantes - vous l'avez souligné d'ailleurs - beaucoup plus en amont pour pouvoir déjà organiser des formes d'animation de groupes. Cela permettrait déjà à des groupes, dans un premier temps, de se retrouver, de permettre de réussir des challenges qui permettraient, après, de pouvoir anticiper sur la démarche d'orientation qui est celle du milieu professionnel. Je suis chef d'entreprise et quand je vois les gens qui arrivent, dès la façon de se présenter, vous savez si la personne a confiance en elle ou pas. L'orientation devrait déjà se travailler sur ce point-là.
Mme Arielle PIAZZA, adjointe au sport, à la jeunesse et à la vie étudiante à Bordeaux - Je suis désolée, je vais peut-être parler un peu trop de Bordeaux, mais je n'ai que ça à vous présenter puisque je le vis au jour le jour et que j'ai une première année de mandature.
À Bordeaux, se met en place à travers les forums jeunes un conseil des jeunes de la vie bordelaise, puisque le maire a voulu partager Bordeaux en huit quartiers. J'ai décidé d'avoir un représentant garçon ou fille entre 18 et 25 ans par quartier et de proposer l'organisation d'un conseil de la vie bordelaise auprès du maire de manière à avoir des remontées fortes de terrain et d'enjeux comme les thématiques dont nous parlons aujourd'hui.
Au niveau de la maison de l'emploi, il existe un espace destiné aux moins de 25 ans avec un accueil et un accompagnement de projets sur la formation en alternance et sur l'emploi. Il y a aussi une mission locale très active avec qui je travaille beaucoup. Le CIJA qui est le centre d'information des jeunes en Aquitaine, est financé par toutes les collectivités locales et là aussi, on fait plus de l'information et de l'orientation. Une des démarches concrètes d'Alain Juppé a d'abord été de rendre le permis de conduire accessible. La ville de Bordeaux finance ainsi une partie du permis de conduire, considérant que c'est un facteur important pour, aujourd'hui, trouver un emploi ou se former quand on a des revenus modestes ou pas du tout. Nous avons aussi créé une commission du premier logement - on y viendra peut-être tout à l'heure - mais là aussi ça prend naissance et c'est en train de se construire.
Je voudrais terminer en vous disant que j'ai été pendant vingt ans parent d'élèves correspondant en collèges et lycées à travers le cursus de mes enfants. En fait, je me suis obstinée à être présente sur ces conseils de classe parce que j'ai toujours considéré que les enfants les moins formés ou les plus en difficulté n'étaient pas assez pris en considération dans les conseils de classe. J'ai toujours trouvé que le corps professoral n'avait peut-être pas assez de formation, d'ouverture ou de sensibilité sur ceux qui étaient un peu en difficulté. Je considère que ces conseils de classe où sont décidées souvent les orientations en cinq minutes méritent d'être mieux préparés sur une orientation qui aurait dû être discutée peut-être même avec le délégué de classe. Je trouve que c'est aussi un rôle important dans la manière dont il peut rapporter aussi ces points de vue à l'intérieur de la classe ou dans les non-dits que les jeunes ont peut-être du mal à exprimer quand on est en troisième, en seconde, en première ou en terminale. Voilà, ça c'est un point de vue personnel.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Est-ce que vous pourriez nous détailler un peu plus la manière dont la ville de Bordeaux prend en charge le permis de conduire ? Sur quels critères, est-ce que c'est une avance, une prise en charge totale ? Comment est-ce que vous fonctionnez ?
Mme Arielle PIAZZA, adjointe au sport, à la jeunesse et à la vie étudiante à Bordeaux - C'est ma collègue élue sur le projet social qui, à travers son service, a défini des critères de besoins, c'est-à-dire qu'il fallait que le jeune exprime un besoin particulier avec un projet derrière pour justifier d'un incontournable permis de conduire. Cette prise en charge répond à plusieurs critères. Elle a commencé par cinquante jeunes et comme c'est tout nouveau, sa reconduction dépendra de l'évaluation qui en sera faite.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Juste un complément. Je suis par ailleurs présidente de la maison de l'emploi et de la formation de Nanterre, qui est différente des territoires ruraux mais il y a là des problèmes particuliers. Nous, on a mis en place aussi un soutien au permis de conduire, mais c'est dans le cadre du projet professionnel. C'est-à-dire qu'à partir du moment où vous suivez une formation et où vous avez un métier qui requiert le permis de conduire, c'est-à-dire où toutes les offres d'emploi requièrent le permis de conduire, on propose le permis de conduire à 20 euros. C'est un organisme de formation qui a un moniteur d'auto-école, mais qui fait en même temps de l'aide à la recherche d'emploi en parallèle et ce n'est pas réservé aux jeunes, c'est-à-dire qu'on a aussi des adultes. Je pense par exemple aux auxiliaires de vie et de services à domicile qui ont exactement la même problématique.
On l'a financé sur des fonds de revitalisation urbaine en partenariat avec la direction départementale du travail. L'objectif est de permettre de passer son permis en le ratant, c'est-à-dire qu'on peut rater le code cinq fois, rater le permis trois fois, on est sur des processus d'apprentissage plus laborieux. Pour les publics qui sont loin de l'emploi, on a un retour à l'emploi à plus 80 % dans les deux mois qui suivent l'obtention du permis. C'est-à-dire qu'on est vraiment sur un déclencheur. Mais nous, on n'est pas dans une logique civique - si je puis dire - et sociale, on est dans une logique complètement professionnelle qui est intégrée dans un parcours professionnel, je dirais dans la fin du parcours. Vous avez la formation technique et derrière, on va vous permettre d'avoir le permis de conduire sur le métier correspondant.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On s'intéresse à ça parce qu'en plus de tous les problèmes que rencontrent les jeunes au niveau de l'orientation et de la difficulté à trouver un emploi, on a des problèmes de mobilité tous azimuts, de la difficulté psychologique de quitter son territoire pour aller voir ce qui se passe dans la porte à côté ou dans le village à côté, voir si on peut y trouver un emploi et surtout cette mobilité, pas de transport en commun, pas les moyens de payer un permis de conduire - c'est hors de prix - pas les moyens de s'acheter une voiture. Et en s'intéressant à ce problème, on voit qu'il y a différentes solutions, notamment pour les jeunes les plus éloignés de l'emploi, ceux qui sortent du système scolaire sans formation. C'est énorme ce que vous avez dit tous les deux lorsque vous faisiez écho à l'intervention de Mme Meyer. Vous dites que l'école, c'est le seul endroit où on peut passer seize ans en sortant sans rien du tout, même pas le certificat de montée à la corde.
Et vous-même, Monsieur, vous disiez que ce que vous aviez observé, c'était que ces jeunes manquaient totalement de confiance en soi. Je trouve que sur ces deux problèmes, non seulement on n'a pas reconnu qu'ils savaient monter à la corde, mais de plus ce sont des jeunes qui sortent en pensant qu'ils ne valent rien, c'est terrible.
Pour en revenir aux histoires de permis de conduire, on a vérifié auprès de certaines personnes qu'on a rencontrées et auditionnées dans le cadre d'actions pilotées par les missions locales, que ces jeunes-là ne sont pas capables tout seuls d'obtenir le code parce que c'est trop sophistiqué, trop compliqué. Ils ne comprennent même pas les questions et s'ils ne sont pas pris en charge par une structure X autre que l'auto-école, malgré le financement, ils n'arrivent pas à avoir cette première étape qui est le code. Voilà pourquoi on s'intéresse à ces questions.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Si je peux juste rajouter que l'importance du permis de conduire forcément en milieu rural, cela va de soi, mais en plus c'est souvent la première réalisation.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - La deuxième question que je veux poser concerne l'alternance. Il y a un certain nombre de mesures qui ont été annoncées par le Président de la République il y a une dizaine de jours concernant l'apprentissage. J'aurais aimé savoir comment vous voyez le rôle des collectivités locales ? Quelle peut être leur participation dans le cadre de l'alternance ? Est-ce qu'elles ont un rôle à jouer ? Est-ce qu'elles n'ont pas un rôle à jouer et comment vous voyez les choses ?
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Il me semble qu'en termes de décentralisation, ce sont les conseils régionaux qui en sont responsables, donc ça me paraît déjà un premier rôle. Effectivement, depuis que la décentralisation a transféré cette compétence aux conseils régionaux et à la suite des contrats d'objectifs et de moyens qui ont été passés avec l'État, on a augmenté de 30 % le nombre de places en apprentissage, on a réussi à construire des filières. L'apprentissage maintenant concerne l'ensemble des niveaux de qualification avec la possibilité de construire des parcours, ce n'est plus simplement un aboutissement direct sur l'emploi, mais cela peut être un mode de formation à différentes étapes de parcours. Ensuite, on a diversifié les métiers puisque, à l'origine, c'était très replié sur l'artisanat et certains métiers techniques. On a aujourd'hui beaucoup d'apprentis dans le secteur tertiaire et une très grande diversité des métiers.
Donc je dirais qu'au niveau des conseils régionaux, pour nous, c'est évident que c'est une responsabilité que nous exerçons et que nous avons pu développer. Ça n'est pas un mode de formation seulement destiné aux jeunes en difficulté comme on a pu le croire. Ce n'est pas si simple d'être, à la fois, en formation et en emploi et le taux de rupture est de 25 % dans les premiers mois. On a donc un taux d'échec lourd et le taux d'accès des jeunes qui viennent des missions locales à l'apprentissage est inférieur à 3 % parce qu'ils ne sont pas pris dans les CFA. Il faut à la fois convaincre un CFA et un employeur. Je dirais que vous avez une double sélection. Après, je vais revenir sur d'autres problèmes techniques où on peut, à mon avis, jouer mais si vous n'êtes pas le plus attractif du monde, c'est évident qu'on est dans le saut de haies pour y arriver. Il faut ensuite tenir le rythme et les déplacements puisqu'à partir du moment où vous vous déplacez sur un CFA, vous vous déplacez sur un lieu de travail, vous avez une organisation de vie qui demande déjà d'être très mature.
L'apprentissage, c'est un mode de formation qui est très efficace pour accéder à l'emploi, c'est certain. La partie professionnalisation de l'ensemble d'un cursus de formation initiale est tout à fait efficace parce qu'il combine première expérience avec validation d'un diplôme. Par contre, ce n'est pas un endroit où on peut mettre des jeunes.
Le problème que nous rencontrons sur l'apprentissage est de plusieurs ordres. Le premier problème est que la réforme de la collecte de la taxe d'apprentissage - ne me demandez pas de rentrer dans les sigles, je refuse catégoriquement de rentrer dans ce niveau de technicité - mais grosso modo, si vous voulez, nous n'arrivons pas à protéger le niveau cinq. Or, c'est le moins attractif pour les employeurs puisque, entre prendre un jeune de niveau BTS en apprentissage ou prendre un jeune BEP, c'est vrai que l'effort d'accompagnement et la productivité ne sont pas les mêmes. Or nous avons absolument besoin, sur un certain nombre de métiers techniques - c'est la seule voie en plus - car il faut passer nécessairement par le CAP pour pouvoir arriver au brevet professionnel derrière. Donc si vous voulez, on a déjà un problème de financement des formations de niveau cinq et les circuits de financement de l'apprentissage, ces trois dernières années, montrent qu'ils vont de plus en plus vers le niveau 1, 2, 3. Sauf que, comme il n'y a pas de plafonnement, ces formations coûtent beaucoup plus cher qu'un CAP ou un BEP, on se retrouve avec un problème de financement et les régions ont toutes monté énormément les financements en particulier sur les métiers de l'artisanat. Or dans les métiers de l'artisanat, pour le coup, il y a de vrais métiers avec une vraie histoire et une relation à l'apprentissage extrêmement forte et là, on a un vrai problème.
Le deuxième problème, c'est le bac Pro en trois ans. Un bac Pro en trois ans, ça signifie un employeur qui s'engage pour trois ans. Actuellement, sur la campagne d'apprentissage, on est à moins 25 % d'offres d'employeurs, en dehors des annonces du Président de la République, c'est-à-dire sur les chiffres déjà validés et organisés, et une réticence totale à s'engager sur trois ans, c'est-à-dire que même sur deux ans, c'est compliqué.
Je vais revenir sur les problèmes de modularité, on peut se poser la question de savoir si plutôt que de faire un bac Pro en trois ans, il n'aurait pas mieux valu pouvoir valider des semestres qui permettent de construire l'équivalence de ce qu'était un BEP ou de pouvoir faire un semestre complémentaire après une année qui le permet, mais nous allons avoir une augmentation du nombre de jeunes sortant sans diplôme. L'expérimentation qui a été faite sur l'académie de Nice est très parlante de ce côté-là et c'est une vraie impasse. On l'a vu il n'y a pas très longtemps, je crois que c'était à la commission Hirsch où la DRH de Danone a expliqué qu'elle avait monté des parcours d'insertion, c'est-à-dire BEP, puis bac Pro, jusqu'au BTS. C'est-à-dire qu'elle est arrivée à faire que des jeunes montent au fur et à mesure, mais un engagement de trois ans sur des jeunes dont elle ne savait pas si ça tenait la route, elle ne pouvait pas le faire et elle ne pouvait pas le prendre.
La troisième problématique autour de l'apprentissage est liée au fait que l'offre d'apprentissage est une infrastructure de formation et en même temps un contrat de travail. Donc on ne peut pas juste annoncer qu'on va en avoir plus, il faut construire les places, il faut les plateaux techniques, il faut les conditions d'études, etc. Et il faut les contrats de travail. Si vous voulez, aujourd'hui les régions avaient dit très clairement au Haut commissaire que le développement de l'alternance dans la logique de la crise, ne nous posait pas de problème. On avait un problème de délai parce qu'il faut pouvoir le mettre en oeuvre techniquement, on avait éventuellement un problème de financement, c'est le problème de l'articulation avec l'État sur les modalités de financement des décentralisations. En revanche, il y avait très clairement un problème de contrat de travail.
Donc une des demandes que nous avions faites, c'est la possibilité d'avoir des rentrées décalées, d'avoir deux organisations de jury et de diplômes, de travailler sur semestre. Cela permet premièrement à des jeunes qui échouent de ne pas perdre un an, mais de pouvoir re-rentrer en cours d'année et deuxièmement, à des jeunes qui ont validé un an et deux semestres, de re-rentrer en cours d'autre chose... Cela permet des combinaisons qui sont beaucoup plus adaptées à la fois à des périodes chaotiques mais aussi à des employeurs qui ne sont pas toujours très constants. Il faut savoir que la région Centre vient de mettre en place - les autres régions sont en train de travailler dessus - un système de filet de secours des jeunes qui sont en fin de contrat en apprentissage que l'entreprise licencie, licenciements économiques pour qu'ils puissent passer leur diplôme et qu'ils ne perdent pas leurs deux ans, pour qu'ils puissent aller au bout de leur diplôme. Il y a quand même quelque chose, là, qui est compliqué à gérer. Après, les autres difficultés recoupent les problématiques logement et transports, qui sont les outils d'aide à la mobilité que supposent l'apprentissage ou l'alternance, c'est-à-dire la problématique de double résidence, des frais de transport. Par exemple, on ne peut pas avoir deux APL par la CAF, il n'y a pas de système de logement où on puisse être en domino - si je puis dire - avec quelqu'un d'autre. Il y a une souplesse d'organisation qui n'existe pas.
Sur la deuxième partie de l'alternance qui est orienté vers les contrats de professionnalisation, dans laquelle j'aurais tendance aussi à mettre les outils de type école de la deuxième chance, chantier d'insertion qui sont des alternances beaucoup plus souples, il faut reconnaître qu'elle n'a pas les mêmes qualités.
Le contrat de professionnalisation, c'est plutôt de la professionnalisation, c'est-à-dire que vous avez déjà fait un certain niveau d'études, mais qu'il vous manque les modules techniques. Il y a un exemple très intéressant au CNAM concernant les Masters 2 de sciences humaines et sociales, pour se diriger vers un contrat pro de communication, de marketing, de relations publiques, etc. quelque chose qui permet de passer d'une formation d'historien médiéval à une formation plus opérationnelle sur le secteur privé. Mais je vous rappelle que la City recrute des historiens médiévaux. Il n'y a qu'en France qu'on les recrute pas, on est quand même assez bon sur le prêt à consommer d'un jeune formé.
Le dernier point, c'est sur les problématiques de rémunération des jeunes. Cela rejoint le sujet ressources, mais les sujets se croisent. Il y a un deal qui est assez bien accepté, qui est le fait que vous êtes payés la moitié du SMIC et qu'en contrepartie, vous bénéficiez, à la fois, d'une formation complète qui ne vous coûte rien, même si les régions ont abondé sur la problématique du matériel qui n'était pas pris en charge et d'une première expérience.
Il existe cependant un vrai problème qui est de savoir si ce demi-salaire, c'est le demi-salaire du SMIC ou si c'est le demi-salaire du salaire auquel vous seriez recruté à la fin de votre formation. Je veux dire par là que quand vous êtes bac+5 et que vous finissez votre information en apprentissage, est-il normal que vous soyez payé un demi-SMIC ? Je pense que cela, ça pose un vrai problème parce que ça défavorise énormément les jeunes les moins qualifiés. C'est évident qu'un BTS ou un ingénieur à 500 euros par mois, c'est quand même une affaire sacrément plus redoutable qu'un jeune en BEP ou un bac Pro.
Une autre problématique est liée au coût du jeune pour l'entreprise ; le revenu du jeune étant proportionnel à son âge. Ce qui signifie qu'un décrocheur, qu'on va réussir à convaincre de repartir, à qui on va faire faire du pré-apprentissage, du préqualifiant pour qu'il veuille bien s'y « recoller », qui va arriver à dix-neuf ou vingt ans sur des métiers en tension comme boulanger, ne va pas trouver d'employeur parce qu'il va coûter plus cher qu'un jeune de seize ans. Une partie du débat autour de l'apprentissage à quinze ou à seize ans se résume tout simplement à une problématique de coût. Je pense qu'il faudrait arriver à séparer ce qui est le revenu du jeune, si on peut considérer qu'un 16-18 ans peut encore vivre chez ses parents et encore, parce que ça va dépendre de la localisation de son employeur et de son centre de formation. En tout cas, j'aurais tendance à considérer qu'il y a une distinction majeur-mineur. En revanche, un vrai problème se pose car un jeune majeur est beaucoup plus cher au même niveau de formation qu'un jeune qui n'a pas le même âge.
Mme Arielle PIAZZA, Adjointe au sport, à la jeunesse et à la vie étudiante à Bordeaux - Je voudrais simplement vous dire que le service volontaire mené par UNICITE à Bordeaux est une forme de formation dans le sens où il s'agit d'une mission d'intérêt général qui intéresse des jeunes de 18-25 ans bénéficiant, du coup, d'une formation avec un accompagnement de 600 euros par mois. Il permet un travail de proximité et de rapprochement sur des thématiques comme le développement durable, le logement précaire ou autres. Cela fonctionne très bien au point que la mairie souhaite porter leur nombre à 150 l'année prochaine et augmenter son budget sur cette voie-là. Je voulais juste le signifier comme une belle expérience humaine qui fonctionne très bien et sur laquelle nous, élus, on s'appuie beaucoup.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Sur l'alternance, ce n'est pas une compétence bien évidemment du département, c'est une compétence clairement affichée région. Pour autant - et vous l'avez dit tout à l'heure - il faut essayer d'éviter les ruptures et là, les départements peuvent être partenaires comme accompagnateurs à l'alternance dans tous les problèmes périphériques à cette activité que vous avez légèrement évoqués : problèmes de mobilité, problèmes de logement, accompagnement dans l'entreprise. On a une expérience en Alsace où il y a eu un lien département, région et missions locales, pour que les conseillers des missions locales soient présents au début de l'entrée dans l'apprentissage des jeunes, de sorte qu'on puisse évoquer tous les problèmes périphériques qu'ils peuvent rencontrer pour éviter des ruptures prématurées.
Je pense que l'accompagnement dans l'entreprise, pour un jeune qui découvre complètement le monde professionnel, est fondamental et je suis persuadé qu'à travers ce dispositif, on pourra éviter les ruptures et essayer de trouver aussi des solutions aux problèmes du logement. On a par exemple dans le Bas-Rhin un dispositif qui s'appelle le KIT JIL, c'est-à-dire qu'on accompagne le jeune dans son entrée dans le logement, on fait l'intermédiaire avec les propriétaires, on garantit sur 36 mois 18 mois de paiement de loyers et on finance une partie de l'équipement mobilier de base pour vivre dans le logement. Ensuite, on gère avec le jeune sa vie quotidienne en termes de ressources. Selon le jeune, on a besoin d'intervenir plus ou moins fortement, mais là, on a des dispositifs pour des jeunes qui ont quelques revenus, mais des revenus qui restent très modestes pour faire face à l'entrée dans un logement par exemple. Donc je pense que c'est sur tous ces problèmes sociaux et périphériques que le département peut être partenaire et soutien.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'est le département qui gère directement ou c'est une association qui s'occupe de cela ?
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - En fait, pour le suivi et l'accompagnement, ce sont les missions locales réparties sur le territoire qui vont intervenir ponctuellement pour suivre les jeunes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous parliez de l'accompagnement pour éviter la rupture de la formation. On a rencontré une mission locale dans la banlieue lyonnaise qui nous a expliqué, la semaine dernière, que même pour la mise au travail, ils accompagnaient, ils formaient, ils expliquaient aux jeunes. Ils travaillent beaucoup sur les emplois saisonniers car les jeunes vont quatre mois à Avoriaz travailler, etc. Ils ont un partenariat avec les villages de vacances. Ils préparent les jeunes à ce qu'ils vont rencontrer sur le lieu de travail. On les a rencontrés avec quelques jeunes qu'ils avaient aidés en ce sens et des jeunes adultes nous ont expliqué que s'ils n'avaient pas eu cette préparation, ils auraient « craqué » : le petit chef insupportable, le client qui pense qu'il est dans un palace et que tout lui est dû en plus des problèmes avec les collègues, avec ses pairs, etc. Le témoignage des jeunes était assez intéressant.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Il y a un vrai problème sur la gestion de conflit, c'est-à-dire la capacité d'un jeune à gérer des conflits en milieu professionnel si la structure oublie qu'il est jeune. C'est ce côté « employable » immédiatement, c'est-à-dire qu'on ne lui laisse pas le temps de se caler par rapport à des pratiques professionnelles qui sont souvent déjà rodées.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Et les règles fondamentales du savoir-être. Le problème, c'est qu'aujourd'hui l'employeur a le pouvoir de décision, tandis que le jeune ne l'a pas.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Je voudrais simplement insister sur un point que vous avez souligné, Madame. Effectivement les 16-18 ans, ça va encore, au-delà de dix-huit ans, ça devient difficile. Là, il y a le choix qui est fait par rapport au coût, c'est une réalité. Dans certains secteurs très intéressants - vous avez parlé de la boulangerie, mais il y a le bâtiment, la restauration - et très porteurs, si vous arrivez à dix-huit ans, vous n'avez plus guère de possibilité. C'est important de le souligner.
Ça déborde peut-être un peu sur le thème du logement parce que ce thème-là est récurrent. Le jeune qui a trouvé un contrat d'apprentissage, s'il est simplement à 50 ou 60 kilomètres de son lieu d'habitation, là il y a un problème. Souvent, ça ne peut pas se faire parce que ce n'est pas possible de trouver une solution vis-à-vis du logement et c'est d'autant plus difficile dans le milieu rural. Il me semble que l'interlocuteur pourrait être la Communauté de communes à ce niveau-là pour apporter ce que vous avez évoqué, car elle a dans sa compétence obligatoire le développement économique. Inclure cette problématique dans le développement économique, même si les gens ne se bousculent pas, ça me semble intéressant, en prenant les mesures qui pourraient faire en sorte que s'il y a des emplois avec un employeur qui accepte des contrats d'apprentissage (ce qui n'est pas facile) et si le jeune est trop éloigné de cet employeur, une solution est proposée par rapport au logement, car il est souvent le premier des obstacles.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il me semble qu'il y a 25 % de taux d'échec.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Ça fait même partie des raisons de ceux que l'on ne voit pas, c'est-à-dire ceux qui ne sont même pas inscrits. C'est-à-dire qu'ils trouvent le contrat, le centre de formation et puis quand ils essaient de faire la triangulation pour arriver à le gérer, ils s'aperçoivent qu'ils ne s'en sortent pas financièrement et qu'ils n'arrivent pas à le gérer. Donc ils abandonnent et s'orientent sur une formation sous statut scolaire s'ils s'y prennent à temps.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Je voudrais insister sur l'accompagnement qui semble nécessaire parce qu'effectivement, il ne faut pas que le jeune se trouve isolé. Avant, cet accompagnement se faisait naturellement par les familles. Les familles, dans la plupart des cas, ne le font plus.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - J'aurais souhaité qu'on puisse aborder le thème de l'emploi. Quelle appréciation portez-vous sur le service public de l'emploi, sur les missions locales ? Est-ce que ça fonctionne comme vous le souhaitez ? Est-ce qu'il faut le modifier ? Est-ce que la mission locale est un bon système ? Et ensuite concernant les collectivités territoriales, il y a un certain nombre de contrats aidés. Est-ce que vous pensez que les contrats aidés, embauchés par les communes, est un bon moyen pour mettre sur la voie de la professionnalisation ou de l'embauche des jeunes qui sont en difficulté ou qui sont en recherche d'emploi ? Est-ce que les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer dans l'insertion professionnelle des jeunes ?
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Les missions locales jouent le rôle qu'elles peuvent jouer avec leurs moyens humains ; c'est-à-dire qu'aujourd'hui, encore une fois, elles ont pour rôle principal d'accueillir, d'orienter, de créer des ateliers d'orientation, d'accompagner, de proposer, par des systèmes de parrainage ou autres, des possibilités pour que, justement, les jeunes puissent trouver une activité.
Je pense qu'il faudrait accrocher aux missions locales un deuxième volet qui est celui - j'allais dire - de l'animation. Je m'explique : il me semblerait intéressant, encore une fois, dans la mesure où les jeunes seraient automatiquement inscrits, c'est-à-dire répertoriés, de pouvoir procéder par groupes pour pouvoir établir des challenges. On peut faire des actions sur l'environnement avec les collectivités territoriales, pour l'obtention du permis de conduire ou autre, etc. Mais au-delà de cette idée d'avoir comme rôle celui de la mise en confiance, de l'autonomie, de la vie en groupe, il y a cette idée-là qui permettrait déjà aux missions locales de mieux connaître le jeune en situation et en situation d'expérience de groupe sur des durées à définir.
En ce qui concerne les chantiers ou les contrats vis-à-vis des collectivités territoriales, je suis moi-même maire d'un village de 350 habitants et je suis classé IAE, Insertion par l'Activité Economique. Ça veut dire que depuis vingt ans - je suis maire depuis vingt ans - de nombreuses personnes sont venues faire différentes choses, différents travaux au niveau de la commune et cela représente environ 250 personnes qui y sont passées. Dans ces 250 personnes, j'ai toujours souhaité que le public soit mixé, c'est-à-dire que les jeunes, s'ils se trouvent sur un chantier, soient aussi avec d'autres catégories plus âgées. C'est très difficile à mettre en place par rapport aux différentes politiques parce que tout est cloisonné. On n'est jamais dans le bon créneau ou on est juste à côté.
Pourtant, c'est très profitable parce qu'en fait chacun peut s'y retrouver, c'est-à-dire les adultes ont l'obligation - ce sont des adultes en difficulté aussi - de faire et de montrer quand même qu'ils savent faire, donc ils communiquent et ils donnent des notions d'apprentissage. Naturellement, ils le font même s'ils sont en situation de difficulté. Ils veulent le faire parce qu'ils ont la volonté. Et puis, pour les jeunes, c'est important aussi parce que c'est beaucoup plus facile. Ils s'aperçoivent que finalement, ce n'est pas parce qu'ils ont un certain âge qu'ils sont dans une situation de difficulté, il y a d'autres personnes qui peuvent être en difficulté. Même s'ils peuvent le vivre dans leur famille, ils le comprennent mieux sur une autre activité : ils sont ensemble et les chantiers sont très profitables.
Le problème est que, dans ce type de structures, on a l'obligation d'avoir des résultats, c'est-à-dire qu'il faut il y ait un pourcentage de gens qui sortent de nos chantiers avec un contrat, une formation, etc.
Je trouve que c'est bien pour la collectivité que ça soit incitatif mais cette obligation-là ne tient pas forcément compte des réalités du terrain qui peuvent être totalement différentes. Moi, je suis dans un canton de 4 000 habitants où la plus grosse entreprise, c'est le lycée professionnel et il n'y en a pas d'autre. Je veux dire que les sorties locales d'emploi sont très faibles, à l'exception de l'artisanat local. Et là, il est beaucoup plus difficile de mettre en oeuvre des procédés. Je pense qu'il faut absolument revenir, surtout quand il y a des politiques établies au niveau des potentialités de contrat, qu'on les appelle CES, CAE, CAV ou autres, ou une ligne de conduite claire dans la durée et qu'on ne fasse pas systématiquement en fonction des niveaux. Je défends depuis des années le droit à l'activité parce que le droit du travail, c'est une chose, mais le droit à l'activité, c'est autre chose. C'est déjà la première reconnaissance d'une utilité sociale. C'est très important, c'est la première chose qui met en confiance pour arriver à accéder au travail.
Je voudrais souligner cet aspect-là. On essaie toujours de minimiser le taux de chômage, mais on peut le différencier d'une autre façon. Simplement, il faut qu'il y ait un suivi et une constance, qu'au moins les gens aient des réponses claires et dans la durée. Un jour vous dites « non, je n'ai pas de réponse pour toi » et le lendemain « peut-être, une nouvelle réponse arrive ». En ce moment, les réponses changent tous les huit jours.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous voyez les incohérences et cela vous est insupportable.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Je le vis tous les jours. À l'heure actuelle, j'ai vingt personnes dans cette situation-là, au niveau de ma commune. Vous savez, dans une commune rurale, c'est le maire qui fait. Je voulais quand même le souligner.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Je voudrais rebondir sur ce que vous venez de dire et je partage tout à fait votre sentiment. Mais d'abord sur les missions locales, je crois qu'il faut miser sur leurs potentialités. Aujourd'hui, quels sont les avantages de ces structures associatives ? Premièrement, elles ont une connaissance du territoire et du bassin d'emploi, elles sont impliquées et connaissent les besoins du monde économique. Deuxièmement, elles sont le porte-parole des difficultés des jeunes même si elles ne touchent pas tous les jeunes. Il y a un problème de gestion des jeunes en errance où il faut, à mon avis, encore travailler parce qu'on commence à en avoir de plus en plus. Troisièmement, elles fédèrent quand même les collectivités. L'État d'un côté, les départements, les régions et les collectivités territoriales de l'autre participent au financement. Elles ont une souplesse et une réactivité que nous, collectivités, on ne peut pas avoir. Un jeune qui, par exemple, a besoin d'être logé pour une nuit parce qu'il se retrouve sans rien, c'est souvent les missions locales qui vont pouvoir lui donner du FIPJ ou du FAJ pour que le jeune, ce soir-là, puisse dormir dans un hôtel, etc.
Elles ont donc, là, des capacités d'action que nous n'avons pas. Je crois qu'il faut absolument s'appuyer sur ces structures-là. On parlera tout à l'heure de l'autonomie financière, aujourd'hui, elles gèrent le CIVIS et dans certains cas aussi les contrats d'autonomie. Je crois que si on met en place une allocation interstitielle peut-être plus importante, ce serait la bonne structure pour gérer ce type de dispositif, mais on y reviendra sans doute tout à l'heure.
Ce qui est important pour l'avenir par rapport aux missions locales, c'est l'existence de contrats d'objectifs coordonnés, c'est-à-dire départements, régions, État et collectivités ensemble pour définir clairement leurs missions, l'étendue de leurs missions et leur engagement.
Je pense qu'il faut qu'on s'appuie sur elles comme référent de la jeunesse parce qu'il est nécessaire d'avoir une approche globale du jeune. L'avantage justement de ces structures, c'est qu'il peut y avoir un référent pour un jeune et une série d'informations généralistes pour la jeunesse. Pour le jeune, c'est un repère.
Il faut qu'on évalue parce que c'est de l'argent public. Ce sont des structures associatives qui, dans certains endroits, fonctionnent très bien. J'ai une expérience en Alsace où effectivement ça fonctionne bien, mais j'entends aussi parfois sur des territoires que c'est moins évident. Donc je pense qu'il y a un besoin d'évolution. Il faut reconnaître, pour tous les jeunes sortis du système scolaire, l'idée que ce soit peut-être les missions locales qui soient les référents des jeunes.
Aujourd'hui, on a un certain nombre d'outils qui sont de qualité. A nous d'étoffer - quand je dis nous, État, collectivités - peut-être les outils par rapport à des problèmes qu'ils pourront nous faire remonter et d'être réactifs par rapport à ça. Mais je crois qu'aujourd'hui, ces structures-là jouent un rôle très important.
Pour ce qui est des contrats aidés, je crois que ça peut être un levier pour l'emploi et c'est souvent une première expérience pour le jeune. Il faut être attentif parce que j'ai eu le cas dans ma commune aussi avec des jeunes qui finalement s'installent dans ces emplois et, ce n'est pas bon parce qu'on sait très bien que c'est du provisoire, un an, peut être parfois dix-huit mois. Après il y a eu les contrats, les CAE qui ont pu être prolongés mais à un moment donné, ça a une fin. Il faut qu'ils en aient conscience et il faut donc, que pendant cette période, il y ait un travail de formation réelle. C'est vrai que jusqu'à présent on pouvait faire une formation d'une journée sur l'année, ce n'est pas viable. Vous citiez tout à l'heure, Madame, UNICITE. Aujourd'hui, les jeunes se mettent quatre jours par semaine au service de l'intérêt général et une journée par semaine, ils ont une formation. D'ailleurs, dans la plupart des cas, 90 % des jeunes qui sortent d'UNICITE ont un emploi ensuite. Aujourd'hui, je pense qu'on ne travaille pas assez sur cet aspect formation dans les contrats aidés.
Je sais que chaque gouvernement, de gauche comme de droite, veut sa nouvelle loi. On est passé des TUC au CES, au CEC, au contrat d'avenir, au CIE, au contrat d'accompagnement à l'emploi, etc. Mais c'est toujours à peu près la même chose, il faut rester réaliste. Gardons ces dispositifs-là pour les jeunes, mais pas seulement pour les jeunes. Aujourd'hui, que constate-t-on ? Il y a une partie de nos populations qui, malheureusement, ne pourra pas intégrer la vie professionnelle classique parce qu'elle ne sera jamais embauchée. Il faut arrêter de se voiler la face.
Donc si on ne dispose pas d'emplois de ce type-là pour ces personnes, on sera toujours coincé. Alors, comme vous le disiez, quand on arrête le dispositif, il y a un an on n'avait plus droit au CAE et maintenant on y a de nouveau droit. Nos concitoyens n'y comprennent plus rien.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Dans mon département, on avait l'obligation d'en faire 200 par mois. Alors, maintenant on fait du marketing. Le directeur du travail, le préfet, tout le monde vient en disant : « embauchez les jeunes que vous n'avez pas pu prendre il y a un mois et demi ».
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Au niveau du Conseil national de la formation tout au long de la vie, j'ai coprésidé un groupe de travail avec les partenaires sociaux sur la sécurisation des parcours et on a donc essayé de travailler sur les bonnes initiatives et les bonnes pratiques, comme sur les dispositifs, sauf qu'on n'a réussi à en évaluer aucun parce qu'on s'est rendu compte qu'il fallait dix-huit mois pour qu'un acteur se l'approprie et qu'au bout de ces dix-huit mois, il avait trois mois pour le mettre en oeuvre et on le lui changeait. Donc on s'est retrouvé avec une succession de dispositifs.
Je vais revenir à plusieurs niveaux parce que vos questions sont assez gigantesques. Je représente les régions au Pôle Emploi. Je dirais que pour moi le problème de Pôle Emploi, c'est qu'il a une vision industrielle du service public de l'emploi et non pas une vision tertiaire. La problématique du service public de l'emploi, ce n'est pas simplement de gérer de la procédure : « vous rentrez au bout de tant de jours, on vous fait ça, au bout de tant de jours, vous devez faire ça, au bout de tant de mois, vous avez droit à ceci, etc. » C'est une logique de services rendus aux demandeurs d'emploi et de services rendus aux entreprises qui recrutent.
Donc, c'est une logique de boîte à outils dans laquelle il y a un interlocuteur absolument primordial qui est le conseiller et qui doit piocher dans la boîte à outils pour arriver à faire tout ça. Ce n'est pas du tout un problème de procédure d'indemnisation et de placement, c'est ce qu'on appelle de l'intermédiation. Le problème est que nous sommes dans un fonctionnement de Pôle Emploi qui est, à mon avis, encore plus industrialisé avec la fusion qu'il ne l'était précédemment parce que la gestion de l'indemnisation par les mêmes personnes accentue cette logique de services rendus par rapport à une demande en termes de front office, si je raisonne en logique de pratique professionnelle. Mais en tout état de cause, cela illustre en fait le problème des relations entre les politiques d'État et les politiques des collectivités territoriales. L'État fonctionne en tuyaux d'orgue ; nous, on fonctionne avec des personnes et sur des territoires plus ou moins limités. Je dis « plus ou moins » parce qu'en général on a tous des relations avec nos franges qui sont très importantes et la notion de limite est toujours quelque chose de plus flou que la notion administrative.
Ce qui est important, c'est que ces politiques publiques d'État, qui sont absolument nécessaires, soient construites de telle manière qu'on puisse piocher dedans selon ce dont on a besoin à l'échelle locale. A la limite, le problème n'est pas d'avoir tant de CAE ou de contrats d'avenir, c'est d'avoir l'outil contrat d'avenir avec un certain nombre de critères, y compris de financement et d'engagement de pérennité, parce que nous, on fait des PRDF à six ans, mais l'État change tous les ans. C'est tout de même compliqué comme exercice pour contractualiser dans ces conditions. Je ne sais pas si vous avez des contrats avec des gens qui ne sont pas sur la même durée que vous, mais moi, je ne les signe pas dans ces cas-là. Ce n'est pas ainsi que ça fonctionne.
Et à partir de là, il faut que l'on puisse avoir, à l'échelle territoriale, des contractualisations avec d'autres types de partenaires pour utiliser cet outil-là en le complétant en fonction de la distance. Moi, j'ai une problématique de ZUS et d'autres problématiques de banlieue, où c'est probablement aussi compliqué de sortir que des villages ruraux sauf que ce n'est pas dans les mêmes conditions et ce n'est pas tout à fait la même chose. Enfin, ce n'est pas beaucoup mieux comme résultat.
Après, on a besoin au niveau de la proximité - et c'est le rôle important des missions locales - de gens qui ont la compétence boîte à outils et qui sont capables d'aller piocher dedans et, en fonction d'une personne, d'utiliser un certain nombre d'outils, sachant qu'il faut qu'ils aient l'ensemble de la gamme à disposition, c'est-à-dire sur tous les registres pour être en capacité de construire ce que ne fait pas Pôle Emploi, des parcours. On n'est pas dans des problématiques sur les jeunes et sur les publics en difficulté en général. C'est pour ça que la séparation jeunes-adultes me gêne toujours un petit peu sur certaines de ces problématiques. On est bien dans des problématiques de parcours avec des étapes et il ne s'agit pas uniquement de faire rentrer une personne dans une boîte, quel que soit le nom de la boîte.
Après, je pense que les missions locales toutes seules, à l'échelle locale, ont plusieurs problèmes. Le premier problème, c'est qu'au départ, il y avait dans leurs conseils d'administration l'éducation nationale. On n'a plus de conseillers d'orientation à l'intérieur et il n'y a plus de liens avec l'éducation nationale.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Cela dépend des endroits.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - C'est optionnel. Je veux dire qu'il n'y a plus de liens obligatoires avec l'éducation nationale. On a des DTEFP, mais on n'a plus de liens obligatoires avec l'éducation nationale au niveau des missions locales. On ne peut pas faire de la réparation sans faire aussi de la prévention. Je suis désolée, il y a un besoin d'un aller-retour permanent d'informations entre missions locales et bassins d'éducation.
Deuxièmement, c'est l'articulation des missions locales avec le milieu économique où, là aussi, c'est « à la carte ». Il n'y a pas d'obligation des consulaires - je suis désolée, mais les consulaires ont une mission de service public - de participer au travail des missions locales. De la même manière que je pense qu'il faut qu'il y ait l'éducation nationale, je pense qu'il faut qu'il y ait aussi les consulaires.
Le troisième point, ça peut être l'isolement des missions locales. Les missions locales ont à faire face à beaucoup de problèmes et c'est vrai qu'il y a besoin d'une compétence technique. Donc nous, à Nanterre, on a monté une maison de l'emploi qui intègre, à la fois, la mission locale, le PLI et une cité des métiers. C'est-à-dire qu'à côté de la mission locale, plutôt jeunes, et à côté du PLI, plutôt public en grande difficulté, à côté de Pôle Emploi, public en transit ou au chômage, on a un espace ouvert, anonyme et gratuit. Je pense que ce concept cité des métiers mérite vraiment d'être approfondi parce qu'il réunit les publics. Il ne fait plus rentrer les gens par catégorie, il les fait rentrer par leurs questions, il fait venir les jeunes avec leurs familles, il fait venir des employeurs, il fait venir des grands-parents qui se posent des questions pour savoir comment ils vont répondre à leurs petits-enfants. Il permet des combinaisons extrêmement intéressantes.
La plupart des conseillers régionaux en ont monté à l'échelle régionale. Il y a une vraie problématique parce que, pour le moment, c'est un outil qui est financé un peu « à la carte » comme chacun veut pour qu'il puisse y avoir des antennes locales. Nous, on a testé la première cité des métiers de banlieue ... En Ile-de-France, il ne suffit pas d'avoir quelque chose à Paris pour que les jeunes y aillent. On l'a ouverte il y a deux ans, on a 40 000 passages dans l'année sans publicité, sans promotion, sans rien du tout et Nanterre, c'est 90 000 habitants. C'est énorme et c'est la logique médiathèque spécialisée, c'est la logique conseillers en tout genre et on y a aussi des conseillers pour l'emploi, mais dans une autre logique qui est une logique de réponse aux questions. C'est le principe des maisons de services publics qu'on retrouve en milieu rural.
Après, l'autre problème, c'est que les missions locales, pour qu'elles puissent travailler, il faut aussi - et c'est le rôle de ce que font les CARIF et les OREF, qui sont les partenariats État, conseils régionaux sur les problématiques d'observatoire et sur les problématiques d'animation - ne pas laisser les missions locales « réinventer l'eau chaude » chacune dans son coin, mais mutualiser les compétences professionnelles, mutualiser les formations, mutualiser des informations, mutualiser les outils et construire cette animation.
Même chose, ça commence à prendre tournure, mais ce genre d'outil, ça se construit sur dix, quinze ou vingt ans. Si on change les dispositifs, les modes de financement, si à chaque contrat de projet État-régions, on renégocie tout, on ne fera pas de l'infrastructure. Or, on est sûr des problèmes d'infrastructures de service public. On n'est pas simplement sur des problèmes de prestation et de trucs à la carte.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Mais les relais de service public sont une démarche intéressante, c'est cela que vous évoquiez.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Le problème va se poser lors de la réforme sur la clarification des compétences des différentes collectivités. Évidemment, que ce soient les conseils régionaux, les conseils généraux, les mairies ou les EPCI, chacun a mesuré qu'au moins maintenant la jeunesse a véritablement quelqu'un de référent, de responsable au niveau du gouvernement parce qu'autrefois, c'était dilué et personne n'avait une compétence réelle sur cette question et chacun faisait un petit peu dans son coin. Néanmoins, avec cette réforme Balladur et la clarification des compétences pour les collectivités territoriales, il va y avoir peut-être une nouvelle répartition alors qu'on a commencé à construire des choses importantes en transversalité, en mutualisation des moyens, en faisant effectivement tout ce que vous venez de décrire au sein des régions. Qu'est-ce qu'il va en rester et comment va-t-on faire ? Ça va être l'interrogation.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Juste un point sur la formation parce que dans le rapport de M. Balladur, la formation professionnelle paraissait être l'échelon de coordination. Si on considère que 80 % des mobilités professionnelles se font au niveau infrarégional, encore une fois, il y a un rôle de l'État, mais c'est vrai qu'il y a une capacité d'ingénierie territoriale et de mise en lien avec le développement économique local pour avoir une infrastructure de formation au niveau des régions. Je suis désolée, mais le projet de réforme qui va arriver sur votre table prochainement pose débat sur la clarification. À partir du moment où vous mettez un document qui est normalement un acte - je dirais - politique et démocratique et qui est voté en conseil régional, on se retrouve avec un acte qui doit d'abord être signé par un préfet et un recteur. Si cela ne se met pas bien en oeuvre ou s'il n'y a pas dedans ce qu'il doit y avoir, qui est le responsable dans ces conditions ? Pour moi, c'est quelque chose de très obscur.
Par contre, ce que nous avions demandé, c'est que dans l'acte que nous votions, il y ait des avenants obligatoires, c'est-à-dire que nous soyons obligés de contractualiser, pour que notre acte soit valide, avec le ou les rectorats - j'allais plus loin - avec l'agence de lutte contre l'illettrisme, avec l'AGEFIPH, avec les conseils généraux sur les problématiques d'articulation formation professionnelle publique/RSA et avec le niveau de proximité sur la problématique d'animation du territoire et de contribution au financement des missions locales, voire des maisons de l'emploi, des PLI etc. Cela devait être des contrats annexés à un PRDF.
Si je reprends l'histoire du bac Pro en trois ans, le problème n'est pas que le législateur décide de faire un bac en trois ans, en plus pour un certain nombre d'élèves, c'est tout à fait pertinent. Le problème, c'est le « comment ». Sur le délai, comment on met en place l'infrastructure logistique correspondante, y compris en termes de paramétrages de classes, de plateaux techniques, etc. Sur les conséquences techniques pour les contrats d'apprentissage, sur la problématique des jeunes qui ne vont pas le réussir, comment est-ce qu'on l'articule, avec quoi, quels référentiels, etc. ? Ceci aurait supposé un travail entre l'État et les collectivités territoriales, d'un an à dix-huit mois de calage technique, encore une fois, pour faire en sorte que ça soit vraiment un plus. Pour les élèves les plus brillants, la voie professionnelle doit être une voie qui permette de réussir au même âge que la voie générale. C'était ça l'objectif et je pense que nous le partageons tous.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - On aimerait aborder maintenant le problème de l'autonomie financière et du logement. Concernant les collectivités territoriales, y a-t-il un bilan des mesures de soutien qui ont pu être faites aux jeunes de manière directe ou indirecte avec éventuellement des partenariats CAF ? Est-ce que vous avez des mesures qui ont été expérimentées dans les régions, dans les départements ou dans les villes ? Vaste débat, le deuxième est encore pire, il concerne l'autonomie financière des jeunes. Est-ce que vous avez un avis ? Comment vous voyez les choses ? Est-ce que cette autonomie est une équation ? Est-ce qu'on prend en compte le revenu des parents ou pas ? Est-ce que cette autonomie est versée à tous les jeunes ? Est-ce que c'est une autonomie qui est versée simplement aux jeunes qui ont un contrat d'apprentissage, qui sont étudiants ? Comment, vous-même, vous voyez les choses en termes d'autonomie ?
Concernant le logement, bien entendu, on sait qu'il manque des logements pour les jeunes, c'est sûr et certain. Mais, aujourd'hui, avec les logements qui existent, est-ce que vous avez des moyens et des suggestions à nous faire pour faciliter l'accès au logement des jeunes, soit en activant plus encore le Loca Pass pour la garantie loyer, par exemple ?
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Je crois que le principe des collectivités territoriales, c'est que nous exerçons nos compétences générales, c'est-à-dire que nous faisons bouche-trou de tout ce qui ne marche pas sur nos territoires. Nous intervenons à des degrés divers selon les difficultés qui se posent sur un certain nombre de champs. En ce qui concerne les régions, le premier champ sur lequel nous intervenons fortement - et c'est dans notre compétence - c'est sur la mobilité. En particulier, toutes les régions ont maintenant des systèmes de cartes de transport à prix très bas, voire à gratuité. Nous avons mis en place, y compris pour les jeunes qui font une formation dans une autre région, des systèmes interrégionaux. Je pense à des jeunes du sud de l'Ile-de-France qui vont faire des études à Orléans par exemple. Sur la mobilité, en ce qui nous concerne, on intervient systématiquement.
Sur le logement, on intervient en investissement sur des projets de partenariat, soit de construction de résidences étudiantes, soit de foyers de jeunes travailleurs, soit de construction d'internats selon les supports. En fait, je dirais qu'on vient en appoint de dispositifs existants, sachant quand même qu'on rencontre plusieurs problèmes se posent : la problématique du nombre de projets, c'est-à-dire que nous ne consommons pas en Ile-de-France, qui est la région où le problème du logement des jeunes est le plus important, tous les crédits que nous avons prévus. Il n'y a pas que les maires ruraux qui n'ont pas envie de voir les jeunes, il y a d'autres endroits en Ile-de-France où manifestement on n'a pas très envie de leur trouver des logements. C'est vrai qu'un de nos critères de sélection, c'est l'accessibilité en transports en commun parce que ça ne sert à rien de mettre un jeune au fin fond de la Seine-et-Marne s'il n'y a pas de moyen de transport.
La deuxième problématique, c'est le lien avec le logement social, c'est-à-dire la possibilité de bénéficier des aides au logement dans les meilleures conditions. Je pose juste une question : on ne peut pas sous-louer dans le logement social. Moi, je connais un certain nombre de gens âgés qui, pour pouvoir rester dans leurs appartements plus grands, seraient tout à fait prêts à sous-louer à un étudiant et en plus, ça aurait un certain intérêt dans le logement social de mixer les publics. On a voulu le monter par exemple avec une école d'infirmières, mais comme on ne peut pas sous-louer dans le logement social, on n'a pas pu le réaliser. Là, il y a un frein.
Alors, il ne s'agit pas de sous-louer à n'importe qui et n'importe comment. Ceci dit, il y a une vraie sous-location de fait dans tout logement social, mais en tout cas la problématique des personnes âgées et des jeunes qui font des études - et je pense particulièrement à ceux qui sont en alternance, en stage, c'est-à-dire qui ne sont pas là tout le temps -se prête très bien au logement chez l'habitant plus qu'au fait d'avoir à louer un logement toute l'année.
Le troisième point concerne les problématiques d'autonomie financière. Je disais tout à l'heure que sur l'apprentissage, le deal est très bien vécu par les jeunes. Ils n'ont pas le sentiment d'être exploités et les employeurs ont aussi l'impression que c'est correct. Je veux dire que l'équilibre est bon. Il me semble que c'est une assez bonne base de réflexion. J'aurais tendance à considérer qu'un de nos problèmes en politique publique aujourd'hui, c'est de ne pas différencier suffisamment un jeune majeur d'un jeune mineur, de ne pas reconnaître à un jeune majeur sa citoyenneté totale et de continuer à le rendre mineur tant qu'il n'a pas d'emploi. Je pense que c'est assez compliqué. Quand vous entendez les discours de filles qui ont un bébé et qui vous expliquent que c'est une façon de devenir adulte que d'avoir un bébé à dix-neuf ans, y compris parce que ça donne une autonomie sur les minima sociaux, il y a quand même des effets sacrément pervers dans notre façon de raccrocher les jeunes à leur famille, y compris lorsqu'ils n'en ont pas du toute envie.
J'aurais tendance à dire que nous devrions plus différencier jeune mineur et jeune majeur. Il y a un combat que je mène en pure perte qui est : pourquoi on continue à envoyer les bulletins de classe d'un jeune de dix-huit ans à ses parents sans son accord ? Pourquoi est-ce qu'on est un demi-citoyen tant qu'on est élèves, étudiants, apprentis, lycéens ? On est assez grand à seize ans pour signer un contrat de travail et on a une responsabilité pénale à treize ans, on peut conduire à dix-huit ans mais on n'est pas reconnu comme majeur le jour où on a dix-huit ans par l'institution scolaire.
Donc, il me semble que la notion d'un revenu autonomie des jeunes a un vrai sens. Il pourrait être un assez bon produit d'appel pour justement qu'ils se fassent connaître et rentrent dans un parcours parce que c'est aussi une façon de les inclure dans du parcours et dans du contrat de projet. J'aurais tendance à dire : faisons le moins de différences possibles entre les jeunes, parce que je pense que s'il y a bien une partie de la population qui est extrêmement sensible aux discriminations en tout genre et aux inégalités, c'est cette population-là.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Pour une fois, je ne serais pas complètement d'accord avec ma collègue par rapport à ça.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Mais je ne suis pas sûre de faire l'unanimité dans mon propre parti.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Concernant l'autonomie financière, on n'en a débattu la semaine dernière dans la commission Hirsch. Je me suis un petit heurté avec les étudiants de l'UNEF qui disaient : « la société nous doit une allocation universelle ». Il y a d'abord un problème financier. Les estimations varient, mais en gros c'est entre six à sept milliards d'euros et dix à quinze milliards d'euros selon les estimations des uns et des autres pour une allocation universelle et selon le niveau de cette allocation universelle.
Par contre, si je ne suis pas personnellement très favorable à cette allocation, je suis quand même favorable à un contrat universel pour ne pas stigmatiser des jeunes par rapport à d'autres, qu'on ait un véritable contrat dans notre jeunesse. Vous le disiez tout à l'heure, aujourd'hui les jeunes n'ont plus confiance dans leur avenir. L'idée d'un grand contrat avec les jeunes et ouvert à tous me semble effectivement une idée intéressante sur laquelle il faudrait travailler avec, à mes yeux, trois volets.
Un premier volet a trait à l'information jeunesse et à l'orientation, etc. Un deuxième concerne l'accompagnement du jeune, et là bien évidemment, un accompagnement différencié selon les difficultés que le jeune peut rencontrer. Pourquoi pas effectivement dans certaines situations mettre en place une allocation - on a par exemple dans le département du Bas-Rhin une allocation jeune autonome - et puis des dispositifs tels que CIVIS, le FAJ, FPIJ ? Il y a, aujourd'hui, des aides qui sont organisées. Pourquoi ne pas proposer aux missions locales de les gérer en liant ressources et accompagnement ? Ça me paraît fondamental pour que le dispositif soit efficace.
En même temps, il s'agit d'intégrer - c'est pour ça que je parlais de contrats - en parallèle une démarche du jeune. Il ne faut pas que ce soit un dû. Moi, j'étais choqué par les propos des jeunes de l'UNEF qui disaient : « on nous doit ». Non, je ne suis pas d'accord. On veut reconstruire avec notre jeunesse un véritable contrat, on veut qu'ils s'impliquent dans la société, je pense que c'est important qu'il y ait un donnant-donnant.
Le troisième volet de ce contrat, c'est un encouragement à l'engagement. On parlait tout à l'heure d'UNICITE, c'est un exemple. C'est presque l'exemple ultime, le meilleur exemple de ce qui peut être fait en termes de partenariat vis-à-vis de l'intérêt général et vis-à-vis des jeunes puisqu'il y a aussi une allocation qui est versée aux jeunes. Donc, lier ressources et accompagnement global, ça m'apparaît être l'idée-force et un contrat pour redonner espoir aux jeunes générations.
Sur le volet logement, il est clair qu'il faut une multiplicité d'outils. Les logements intergénérationnels, que ce soit pour les étudiants, pour les apprentis, etc., effectivement ça nous apparaît quelque chose de très intéressant, d'autant plus qu'on peut, en contrepartie, avoir un soutien à la personne âgée. Je trouve que c'est très riche en termes de philosophie de développer cela. Il y a aussi les baux glissants. On a beaucoup de structures qui aujourd'hui sont capables d'organiser des baux glissants et quand le jeune est capable d'assumer tout seul le logement et qu'il sait comment faire, il devient titulaire du bail.
Je vous parlais tout à l'heure du dispositif KIT JIL où on a un accompagnement social du jeune, à l'entrée, pendant un certain temps, de sorte à garantir le bon fonctionnement dans l'accès au logement parce qu'on a un gros souci important lié à des situations de surendettement. C'est pour ça que, personnellement, je ne suis pas très favorable aux prêts. Je sais que c'est souvent défendu, mais si on commence sa vie en ayant déjà un prêt à rembourser, je trouve franchement que c'est une difficulté supplémentaire et il faut essayer de l'éviter. Les collectivités peuvent aussi jouer ce rôle d'intermédiaire avec les propriétaires-bailleurs. Peut-être que dans la délégation à la pierre qui est donnée aux départements par l'ANAH, pourquoi ne pas encourager, là aussi, des travaux pour faire de petits logements. Ça se fait ponctuellement, mais peut-être que l'ANAH pourrait avoir un effet de levier supplémentaire en disant, si vous faites de petits logements pour les jeunes, il y aura une aide additionnelle à l'investissement, etc.
Il existe un certain nombre d'expérimentations, je crois qu'il faut avoir une certaine souplesse et utiliser ces outils de manière très large. Je crois avoir répondu à peu près à la question.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Dans votre exposé, vous aviez évoqué ce que vous aviez mis en place dans votre département. Si j'ai bien compris, vous avez une allocation à l'autonomie. Est-ce que vous pouvez nous expliquer brièvement comment ça fonctionne ? A qui est-elle destinée ?
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - En fait, là c'est un début d'expérimentation, qui concerne peu de jeunes. Souvent, c'est aussi lié aux services de protection de l'enfance pour des jeunes qui sont repérés en difficulté d'insertion. Donc pour l'instant, on a un peu ciblé ce public-là. Je pense qu'il faudrait éventuellement l'étoffer. C'est aussi un problème de coût. Cela pose également le problème - je ne l'ai pas évoqué - du RSA pour les jeunes travailleurs. Entre le jeune travailleur qui a 26 ans et le jeune travailleur qui en a 24, y a-t-il une telle différence. Mais attention je pose cette question : aujourd'hui, au niveau de l'ADF, il y a une opposition à sa mise en place parce qu'on a déjà assez de souci même si le RSA, sur le fond, est quelque chose - je pense - d'intéressant, on a peur des implications financières que ça peut générer pour nos collectivités. On ne veut surtout pas créer un régime d'assistanat, c'est clair. C'est pour ça que je reviens sur cette idée de contrat avec le jeune. Mais lui redonner confiance, c'est fondamental.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux -Je partage beaucoup de ce qui a été dit et je suis pour l'échange. Ça veut dire qu'au même titre que les gens qui touchent des prestations RMI n'ont pas d'obligations particulières, il n'est pas logique que, s'il y a une autonomie financière donnée à un jeune, il n'y ait pas une contrepartie. Pourquoi ? Parce que c'est la première reconnaissance.
On ne peut être reconnu que si on échange. Si on vous donne quelque chose et que vous ne donnez rien en contrepartie... Chaque individu a cette notion de frustration, c'est une réalité de vie.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Oui, mais ils donnent, ils se forment.
M. Michel FOURNIER, Association des maires ruraux - Si la contrepartie, c'est la formation, je suis d'accord.
Par rapport à l'autonomie, il y a l'autonomie financière, mais il y a aussi l'autonomie de la personne. Ça veut dire qu'il est quand même très valorisant pour un jeune de se trouver en situation d'autonomie. La meilleure façon de l'être, c'est effectivement d'avoir quelques moyens, mais c'est aussi, même s'il habite chez ses parents, de pouvoir dire : « j'ai mes propres moyens et je dois donc être reconnu en tant que tel ». Et pour moi, c'est très important.
En ce qui concerne le logement, on l'a évoqué déjà sous différents aspects. Le logement, c'est quelque chose de très important. La première autonomie, c'est le logement mais c'est valable pour les jeunes et pour d'autres personnes également. C'est la première reconnaissance sociale.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous aviez parlé tout à l'heure d'une mission pour le premier logement.
Mme Arielle PIAZZA, Adjointe au sport, à la jeunesse et à la vie étudiante à Bordeaux - Dans le projet social qui va sortir à la rentrée, en septembre, on a créé une commission logement et puis une sous-commission intitulée « le premier logement », qui concerne la jeunesse sur un premier emploi ou en recherche d'emploi. On va travailler sur trois axes : tout d'abord, l'intergénérationnel parce que nos seniors veulent aujourd'hui vivre chez eux longtemps, mais quelquefois ils n'en ont pas les moyens intellectuels ou psychologiques parce qu'ils s'affaiblissent aussi et ils sont donc à la recherche d'accompagnants. Souvent les étudiants sont en demande sur ce style relationnel à travers leur cursus universitaire ou en recherche d'emploi.
Ensuite, le foyer est très sollicité par les jeunes pour vivre ensemble et partager. Je crois que je vais finir par convaincre le directeur du CROUS de Bordeaux parce que je pense qu'on a un vrai travail à faire sur la mixité. Je pense que les étudiants vivent trop entre eux, ils sont beaucoup trop loin des réalités de la vie et si on les mixait un peu avec une jeunesse en souffrance, en tout cas une jeunesse mélangée, ça mettrait peut-être un peu plus de conviction dans leur engagement professionnel. Ils pourraient peut-être remettre en question un cursus universitaire qui leur convient à moitié et se frotter aux autres, ça leur amènerait aussi une dimension humaine intéressante.
Je voulais terminer en vous disant que j'étais, il y a peu de temps, à un colloque européen sur la jeunesse à Porto. Chaque pays devait venir avec trois jeunes et nous avons travaillé trois jours sur les politiques de jeunesse. Je voulais juste vous transmettre ce message : sur l'atelier des jeunes puisque les jeunes ont travaillé ensemble, ce qu'il est ressorti du bilan, ça a été de dire : « donnez-nous cette dimension européenne que nous n'avons pas. Si Erasmus existe, pourquoi dans la formation en alternance nous ne bénéficions pas assez d'une ouverture européenne ? » J'ai bien senti que notre jeunesse était en manque d'une éducation plus large et plus ouverte.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Je voulais juste faire une remarque sur un sujet dont nous n'avons pas parlé parce qu'ils n'ont pas de problème de logement, ce sont les jeunes incarcérés. Aujourd'hui, les grands oubliés de la formation professionnelle, de l'orientation et de l'accès à emploi, ce sont les jeunes incarcérés. Comme ils sont de plus en plus nombreux, on va vers quelque chose de complètement explosif, surtout dans une période de raréfaction des emplois. Cela reste de la responsabilité de l'État et non des collectivités territoriales. De facto, quand ils sont sortis et qu'ils partent dans la nature, puisqu'ils sont souvent en rupture familiale, ça redevient le rôle des collectivités territoriales parce que c'est nous qui les avons sur nos bancs et dans nos halls d'immeubles. Là, on est sur quelque chose de dramatique. J'ai une mission locale qui intervient sur la maison d'arrêt de Nanterre où nous suivons 140 jeunes pour essayer de les préparer à la sortie. L'enjeu est de connaître la mission locale dont ils dépendent, avoir une vague idée de ce qu'ils ont envie de faire, de comment on fait, etc. Nous touchons 5 000 euros.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Simplement, le logement intergénérationnel, nous y sommes très favorables, y compris avec des aides de l'ANAH ou autres pour que la personne âgée qui accueille un jeune puisse aménager la chambre, pour que le jeune soit indépendant. On pense qu'il ne faut pas que ce soit en échange de services plus ou moins flous, mais que cela fasse l'objet d'un véritable contrat.
Déjà que la personne âgée qui souffre d'isolement ait quelqu'un dans son appartement qui vive et qui dorme, c'est déjà extrêmement sécurisant et pour nous, un vrai plus. On en est là dans notre réflexion.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - Je crois que la vraie question qu'on pose tous, chacun à notre manière, c'est de vous dire surtout « faites-nous des dispositifs qui ne nous enferment pas, qu'on ne soit pas obligé de faire des immeubles spécialisés ou des logements spécialisés ou des choses spécialisées ». Je vais vous donner un exemple : à côté d'une école d'infirmières, la problématique de l'échange logement contre services pour avoir une garde de nuit est quelque chose qui est demandé des deux côtés en Ile-de-France où le logement est particulièrement cher. Pourquoi obliger un jeune à payer un logement ? En plus, c'est fait en lien avec les associations d'aide à domicile dans une logique de professionnalisation.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Il faut s'entourer de garanties.
Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France - La vraie question pour nous, c'est que les politiques publiques d'État nous permettent de construire des choses sur-mesure à l'échelle locale et qu'elles ne nous enferment pas dans des immeubles spécialisés ou des parcours obligatoires.
M. Frédéric BIERRY, président de la Commission jeunesse du Conseil régional du Bas-Rhin - Juste un petit mot Mme la présidente : on vous a remis des brochures qui viennent juste de sortir de l'imprimeur qui sont une synthèse des politiques de jeunesse menées par les départements entre 2000 et 2008. C'est une contribution pour élargir aussi les propos qui n'ont pas pu être tenus à l'occasion de cette commission.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci à vous tous et vous toutes.
Table ronde sur la « Santé des jeunes »
(6 mai 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je vous remercie infiniment de nous consacrer une partie de votre après-midi pour réfléchir sur ce difficile problème de la situation des jeunes en France. Nous avons mis en place cette mission commune, parallèlement à la mission Hirsch, afin qu'il n'y ait pas que l'exécutif qui réfléchisse à ce problème urgent.
Nous avons choisi de travailler sur la tranche 16/25 ans et sur deux ou trois problèmes urgents mais sans malheureusement pouvoir être exhaustifs. Bien sûr nous parlerons des problèmes de santé, de citoyenneté, d'accès à la culture et au sport mais nous concentrerons essentiellement notre réflexion sur les questions autour de l'emploi puis sur l'autonomie des jeunes.
Même indépendamment de la crise - qui a vu augmenter en un an le chômage des jeunes de 34 % -, la France a un des taux de chômage des 16/25 ans le plus élevé d'Europe. En effet, un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, un jeune diplômé met environ dix ans à stabiliser sa vie professionnelle errant de stages en emplois précaires et, pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Il y a donc une vraie situation de précarité et de désespoir pour cette génération qui mérite une attention particulière et des mesures urgentes.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci pour votre présence à cette table ronde, qui a pour objectif d'évoquer les problèmes de santé des jeunes. Je vous propose de faire cela en trois parties : l'état des lieux et les déterminants de la santé, puis les connaissances du système de soin et les politiques de prévention et enfin, l'accès aux soins et la couverture complémentaire santé.
Sur cette première partie concernant l'état des lieux et les déterminants de la santé, j'aimerais que vous nous disiez, après vous être présentés, quelle appréciation vous portez sur l'état de santé des jeunes aujourd'hui. Sont-ils en bonne santé ? Y a-t-il vraiment de grosses difficultés ? N'hésitez pas à élargir le sujet car nous sommes en recherche de solutions. Par ailleurs, un certain nombre de jeunes déclare ressentir un mal-être, qui peut aller jusqu'à des tentations suicidaires. Le percevez-vous et quelles en sont, pour vous, les principales causes ?
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - Bonjour, je suis Aude de Calan, je suis responsable de l'Espace Santé jeunes sur la ville de Nanterre et donc je travaille à un niveau local. Un Espace Santé jeunes est un lieu de prévention pour les 12/25 ans, un lieu anonyme, gratuit et confidentiel ; nous en reparlerons tout à l'heure par rapport à l'accessibilité à des structures. Nous sommes une équipe pluridisciplinaire, composée de médecins, de psychologues, de psychiatres, de travailleurs sociaux, d'infirmières, etc., afin d'avoir une prise en charge la plus globale possible.
Sur l'état de santé des jeunes, je vais juste dire quelques mots. Globalement les jeunes vont bien et nous allons parler de ceux qui vont moins bien mais c'est une marge plus réduite. A l'Espace Santé jeunes nous avons deux problématiques qui reviennent très régulièrement : la santé bucco-dentaire et le mal-être. Par ailleurs, la première raison pour laquelle les jeunes viennent chez nous concerne la sexualité, malgré l'existence de planning familial.
M. René DEMEULEMEESTER, coordonnateur des programmes de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé - Au niveau de l'Institut, nous nous intéressons bien sûr à la maladie mais davantage aux déterminants de la santé, notamment aux comportements à risque et aux facteurs de protection de la santé. Sur ce point, ce n'est pas l'âge où l'on est le plus malade, en revanche, c'est l'âge des comportements à risque - et c'est bien normal - mais il y a une différence entre une prise de risque occasionnelle et des comportements à risque permanents. Concernant le problème du mal-être, un individu a un certain nombre de défis à relever au cours de son évolution, de son développement. Chaque défi remporté avec succès renforce ses capacités à affronter la suite alors que l'échec accroît sa vulnérabilité et donc l'on peut craindre - notamment avec les difficultés d'emploi, d'insertion, avec la crise, etc. - que davantage de jeunes se retrouvent en situation d'échec et donc ressentent ce mal-être. Des statistiques sur le suicide, depuis une centaine d'années, révèlent que celui-ci entretient peu de lien avec la situation sociale. Cependant, nous observons depuis une période très récente qu'il commence à y avoir des liens entre la situation sociale et le suicide, ce qui n'était pas arrivé depuis la période de crise de l'entre-deux-guerres, où régnait un taux de suicide jamais atteint et deux fois plus élevé qu'aujourd'hui. Pour résumer, cela ne va pas vraiment plus mal qu'avant mais nous avons des craintes à avoir sur l'aspect « mal-être » qui ne s'améliore pas.
M. Benjamin CHKROUN, délégué général de l'Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes régionales - Je vais vous parler des étudiants. Tous les chiffres que je vais vous donner sont issus d'une enquête sur les étudiants qui a lieu tous les deux ans. Je vous parlerai de celle de 2007 car l'enquête de 2009 sort début juin. 93,5 % des étudiants se considèrent en bonne, voire en très bonne santé mais nous devons nous attarder sur les 6,5 % qui se déclarent en mauvaise santé. Ces derniers ont davantage de comportements à risque et consomment deux à trois fois plus d'alcool, de cannabis, de tabac, que les autres. Par ailleurs, 35 % des étudiants déclarent avoir connu un moment de blues, un passage à vide durant leur année universitaire.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quel pourcentage ?
M. Benjamin CHKROUN, délégué général de l'Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes régionales - Ce sont 35 %, donc plus d'un tiers des étudiants, à un moment de l'année, ne s'est pas senti bien. 12 % des étudiants sont pessimistes quant à leur avenir et 9 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires pendant l'année. A travers l'enquête ou des actions de prévention menées pendant l'année, nous avons détecté plusieurs facteurs qui engendrent le mal-être chez l'étudiant. D'abord, le doute sur l'orientation : un étudiant sur cinq est déçu par la filière qu'il a choisi car il avait d'autres attentes et est surpris par ses cours. Puis, il y a la crainte de l'avenir. Ensuite viennent les difficultés financières, selon 29 % des étudiants. L'éloignement familial et amical est aussi mal vécu par les étudiants qui quittent leur cercle d'amis du lycée et doivent recréer un tissu social dans les universités. Le stress de la première année, la culpabilité par rapport aux sacrifices que doivent faire leurs parents pour les envoyer à l'université, le logement et les déceptions amoureuses sont également des facteurs de ce mal-être. En outre, les médias, les parents, la société, véhiculent l'image faussée de la vie rêvée des étudiants, qui connaîtraient là la période la plus belle de leur vie, ce qui leur rend d'autant plus difficile la possibilité d'exprimer leurs maux à un adulte.
Pour répondre à votre dernière question sur les conditions de vie et le bien-être, l'OMS considère qu'être en bonne santé, ce n'est pas juste avoir une santé correcte mais cette notion est élargie au logement, aux conditions de vie, etc. L'étudiant est parfois seul face aux difficultés qu'il rencontre. 28 % des étudiants ont une activité salariée - plus de 100 heures par mois ou 220 heures par trimestre - et sont donc plus stressés, ont de moins bonnes conditions de vie, moins de vie sociale et échouent plus souvent qu'un étudiant qui ne travaille pas.
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - Je voudrais d'abord dire que la Mutuelle des étudiants gère la santé, sur toute la France, d'un peu plus de 800 000 étudiants. Effectivement, ces chiffres sont ceux des étudiants mais avec la massification de l'enseignement supérieur qui a eu lieu il y a plus de vingt ans, le milieu étudiant est tout de même beaucoup plus large qu'avant. La porosité qu'il y a entre la période étudiante et celle de l'insertion est en effet beaucoup plus grande ; donc, il y a des personnes qui changent de statut assez facilement. Ce qui est intéressant sur la question de la santé, avec les étudiants, c'est que l'on a un public à un moment et à un endroit donnés et, après la suppression du service militaire, il est important d'avoir la capacité d'analyser ce que nous faisons, les médecines préventives et la santé, sur une population globale.
Dire que les étudiants ou les jeunes en général vont bien physiquement est une évidence pour tous. Mais deux questions se posent concernant le mal-être et la santé sur le long terme et donc les habitudes, les comportements qui sont pris, les facteurs de protection, comme le disait l'INTES. C'est à ce moment là que les choses se jouent. Nous avons vu que les étudiants recouraient moins au système de santé que le reste de la population : par exemple, 40 % des étudiants sont allés chez le dentiste au cours des douze derniers mois et 50 % des étudiantes chez le gynécologue ; en dehors du médecin généraliste, nous avons un problème d'accès aux soins. Madame la présidente a évoqué l'emploi et l'autonomie comme les deux priorités, la question de la santé s'intègre largement dans l'autonomie car on ne peut pas envisager la santé sous un angle purement statique, déconnecté des questions financières et de la couverture de la complémentaire santé. Les soins primaires ne sont pas inquiétants car ils sont souvent immédiatement pris en charge mais il faut veiller aux comportements ayant un impact sur le long terme, notamment par exemple les soins dentaires : les problèmes d'accès aux soins dentaires préparent des générations de personnes qui auront des problèmes de dentition, ce qui gênera leur insertion professionnelle et engendrera un coût supérieur pour la société.
L'enquête sur le mal-être - il faut être très prudent quand on parle de mal-être car c'est très relatif selon ce que l'on cible - réalisée avec l'école des hautes études en santé publique montre que 25 % de la population a des problèmes et que ces 25 % se divisent en deux sous-groupes : 8 % d'anxieux-dépressifs sévères nécessitant une lourde prise en charge et environ 17 % en situation que l'on a qualifiée de « mal-être », malgré toute l'imperfection de ce terme, population qu'il faut également traiter en priorité car ce sera elle qui basculera dans le premier sous-groupe. C'est donc une nécessité de privilégier l'accès aux soins et de veiller à la promotion de la santé en rendant les individus responsables de leur propre santé. Lorsqu'une enquête est réalisée, c'est la première démarche car le jeune est obligé de se poser la question de son état de santé, l'état ressenti étant aussi important que le réel.
M. Nicolas LEBLANC, médecin conseil de la Mutuelle des étudiants - Pour répondre à votre question, les jeunes se sentent et sont plutôt en bonne santé mais, comme pour le système de santé en France que l'on dit être un bon système, il y a quelques poches d'analyse à avoir sur des problèmes spécifiques. Un point me paraît essentiel et concerne les questions de sexualité : malgré tous les efforts mis en place - contraception d'urgence, action de promotion de la santé - le nombre d'IVG augmente. Des dispositifs sont effectivement mis en place sans penser de manière plus globale à l'accès aux soins et à l'éducation à la santé et donc, ces dispositifs restent inaccessibles car personne n'est au courant. Par exemple, la pilule du lendemain est normalement anonyme et gratuite pour les mineures mais, dans la réalité des pharmacies de villes, un blocage de connaissance et de mise en place des dispositifs existe.
A cet âge, nous ne sommes pas dans des problématiques uniques d'accès aux soins mais dans des problématiques globales : il faut prendre en compte le champ de la promotion de la santé et de l'information, les déficits d'information de relais de proximité étant de vrais maillons manquants de la chaîne de la prise en charge sur les problématiques spécifiques de santé de cette population. Je voudrais citer un deuxième exemple concernant la santé bucco-dentaire : un programme de santé publique appelé « Aime tes dents » valable à 9, 12, 15 et jusqu'à 18 ans propose des consultations de dépistage mais il n'y a plus de prise en charge passé cet âge. L'accès aux soins dentaires est compliqué car souvent les tarifs que pratiquent les dentistes sont hors-nomenclature, en honoraires libres. Sur des populations précarisées socialement le problème d'accès aux soins devient majeur et donc, sans programme de santé publique et avec en plus un problème d'accès dû à des questions financières, certaines spécialités sont inaccessibles à ces populations. De même, trouver un gynécologue de secteur 1 dans certaines zones - au moment où justement il y a des politiques de prévention vaccinale sur le cancer du col de l'utérus - s'avère très compliqué pour les jeunes femmes. C'est une question de santé publique qui va se poser s'il n'y a pas un éventail global de prise en charge sur des problèmes spécifiques de la santé des jeunes Je ne vais pas revenir sur la question de santé mentale mais en termes de dépistage, d'éducation à la santé et de repérage des problèmes de santé mentale chez les jeunes, il y a là aussi un certain nombre de dispositifs et de moyens à mettre en place.
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Je m'inscris dans tout ce qui a été dit. Je vais commencer par parler de votre introduction, Madame la présidente, dans laquelle nous nous retrouvons tout à fait. Effectivement, la précarité a un impact sur la santé. Je travaille au Conseil national des missions locales. Elles accueillent des jeunes en recherche d'insertion, qui n'ont pas une vision claire de leur avenir et ont donc des raisons objectives d'être anxieux, dépressifs et peu optimistes pour leur futur. La société française ne leur laisse pas non plus une place suffisante et c'est sans doute pour cela que notre taux d'emploi des jeunes est aussi bas et celui du chômage aussi fort. La situation n'est donc pas satisfaisante de ce point de vue mais si l'on s'en tient à des pourcentages, la santé générale des jeunes est bonne pour au moins 80 % d'entre eux et ce sont évidemment les 20 % restants qui posent problème. Oui, dans les missions locales nous percevons très nettement le mal-être de ces jeunes, c'est une raison de nous inquiéter car nous avons beaucoup de mal à le faire entendre. Nous avons mené avec le CETAF une première étude qui a publié en 2007 ses conclusions sur l'impact de la précarité sur la santé générale des jeunes. Nous sommes en train d'en mener une seconde sur la santé mentale des jeunes, leur souffrance psychique, leur mal-être. Nous avons fait le test de passation entre mai et juin l'année dernière : 1 350 questionnaires remplis. Il s'agit d'une étude pluriannuelle, donc qui va évidemment continuer sur des échantillons beaucoup plus importants. Les premiers résultats sont assez alarmants, le taux de tentatives de suicide, de violences psychologiques, physiques, sexuelles subies, est important. Il y a des raisons de s'inquiéter, d'autant plus qu'il est très difficile de faire entendre aux pouvoirs publics qu'il est nécessaire d'avoir un premier niveau d'écoute de ces jeunes. En effet, il suffit souvent de quelques entretiens avec un psychologue pour que le jeune puisse dénouer beaucoup de problèmes, poser des questions et aller mieux, surtout s'il sait qu'il peut, le cas échéant, revenir voir cette personne-là dans la confidentialité et l'anonymat. C'est très important : les points de prise en charge de premier niveau d'écoute manquent.
Les conditions de vie des jeunes ont sans aucun doute un impact sur leur santé. Dans l'étude précarité-santé, le CETAF a mis au point une série de onze questions permettant de mesurer la précarité et de croiser les données. Ce sont onze questions très simples : avez-vous rencontré au cours des douze derniers mois un travailleur social ? Avez-vous rencontré des difficultés financières au cours des douze derniers mois ? Bénéficiez-vous d'une assurance maladie complémentaire ? Etes-vous propriétaire de votre logement ? Etes-vous en couple ? Avez-vous fait du sport au cours des douze derniers mois ? Etes-vous allés à un spectacle au cours des douze derniers mois ? Avez-vous eu des vacances au cours des douze derniers mois ? Avez-vous eu des contacts familiaux au cours des six derniers mois ? Avez-vous, en cas de besoin d'hébergement ou d'aide matérielle, quelqu'un qui pourrait vous aider ?
Les risques relatifs d'insertion de cette population, par rapport à la population active ou même étudiante, sont tous beaucoup plus importants, avec un impact sur le non-recours aux soins, sur le non-suivi gynécologique pour les jeunes femmes, sur le fait de fumer pour les très jeunes gens, les courbes s'inversant au fur et à mesure que les jeunes vieillissent. Cependant, la consommation d'alcool et de cannabis est à peu près comparable d'une catégorie de jeunes à l'autre. Sur les premières données de l'étude santé mentale, nous observons une congruence entre les données de dépressivité et d'ivresse, et les données de dépressivité et d'utilisation de psychotropes, sans mesurer bien sûr les liens de causalité entre l'un et l'autre. Je suis d'accord avec la nécessité d'améliorer l'accès aux soins pour ces jeunes qui ne peuvent pas, la plupart du temps, faire d'avance financière. Il n'y a donc pas suffisamment d'accès aux soins gratuits : 112 centres d'examen de santé en France mal répartis géographiquement, c'est trop peu.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Est-ce que vous pouvez nous rappeler le nombre de jeunes sur lesquels porte cette dernière enquête ?
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Pour la dernière, nous n'avons fait que le test de passation et nous avons obtenu 1 350 questionnaires. Nous passons maintenant à l'étude grandeur nature à partir de la rentrée, donc sur un échantillon de 3 000 personnes.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Pourriez-vous, Madame de Calan, revenir sur les problèmes évoqués par le docteur Leblanc, entre autres, à propos de la sexualité et de la gynécologie ?
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - Bien sûr, il y a déjà plein de choses qui ont été dites. Nous sommes une structure anonyme, confidentielle et gratuite et cela facilite donc vraiment l'accès pour ces jeunes. Environ 80 % des jeunes qui se rendent à l'Espace Santé jeunes viennent pour une question relative à la sexualité : contraception, pilules d'urgence, préservatifs, tests de grossesse. Il est important de souligner que de nombreux pharmaciens continuent à refuser de délivrer la pilule d'urgence gratuitement aux mineures. Nous fournissons également un accompagnement pour une IVG ou une infection sexuellement transmissible en travaillant avec les autres partenaires comme l'hôpital ou le centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG).
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il faut vraiment que l'on enregistre ce problème de réticence des pharmaciens à respecter la loi, même si cette résistance s'est déjà vue lorsque l'on a donné aux femmes l'autorisation légale d'utiliser les contraceptifs.
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - Je voulais aussi conclure sur le fait qu'il y a également un certain nombre de contraceptifs qui sont excessivement chers et trop peu remboursés, notamment les patchs et certaines pilules. En fonction des personnes, nous sommes donc amenés à donner gratuitement une contraception.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela pourrait être une des raisons de l'augmentation des IVG.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Nous n'avons pas du tout parlé de la question des jeunes handicapés. Où se placent-ils dans votre circuit, qu'ils soient étudiants ou à la mission locale ?
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - C'est une question très importante. Nous avions réalisé en 2006, juste après le vote de la loi, une enquête sur le handicap et l'accessibilité. Je pense que sur la mise en oeuvre de la loi, de nombreux calages sont encore à faire, une vraie barrière existe encore à l'entrée de l'enseignement supérieur. On passe de dizaines de milliers de lycéens à moins de 10 000 étudiants. La question qui se posait était celle du lien entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les universités, de l'inégalité entre les missions des universités et donc il y avait nécessité de faire un vrai accompagnement global et pédagogique des étudiants. Nous-mêmes, en tant que mutuelle, nous avons mis en place un fonds d'aides à la compensation pour pouvoir intervenir en supplément car au-delà de tout ce qui est l'accessibilité dans l'université, il faut être capable de suivre les cours et d'avoir une vie étudiante. Il y a donc des problématiques spécifiques puis il y a celles de tous les étudiants.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Une petite question, vous avez surtout évoqué les problèmes bucco-dentaires mais qu'en est-il des problèmes oculaires et auditifs : est-ce moins fréquent, les jeunes vont-ils plus facilement consulter les spécialistes pour ces problèmes ?
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Je peux vous répondre qu'effectivement c'est tout aussi important. Nous avons récemment eu le cas d'une jeune fille pour laquelle nous avons fait un dépistage de problèmes auditifs. Nous avons réussi à l'amener jusqu'aux examens les plus spécialisés, coûteux, pris en charge par la mission locale directement sur ses fonds de fonctionnement ; mais il lui faut une prothèse et nous n'avons pas trouvé, pour l'instant, qui allait la prendre en charge. 12 % des jeunes n'ont pas de complémentaire santé malgré un travail important que nous faisons dès l'accueil pour l'ouverture de droits, pour la possibilité de la CMU, pour ouvrir la complémentaire santé. Malgré ces efforts, les dossiers sont relativement complexes à faire car pour les jeunes, il faut très souvent se référer à la situation fiscale du foyer des parents avec lesquels ils peuvent être en plus ou moins bons termes, ne pas réussir à récupérer les données, etc. C'est donc assez complexe et cela nécessite un véritable accompagnement social pour que les jeunes puissent avoir accès dans un premier temps aux droits.
M. Nicolas LEBLANC, médecin - Je pense que sur la question de l'audition, il y a plusieurs choses. Les cas auditifs ou ophtalmologiques graves sont problématiques. En termes de prévalence, de fréquence de maladie, les problèmes optiques pour les étudiants consistent souvent en pathologies assez simples de myopie, donc un peu moins prévalentes que les problèmes gynécologiques, en termes d'accès. Cela n'empêche pas que pour les cas graves, nous sommes dans des situations individuelles extrêmement problématiques. La question de l'accès à des lunettes ou des lentilles est vraiment liée à la question de la complémentaire santé ou du remboursement du régime obligatoire. Concernant l'audition, il y a les pathologies auditives mais aussi ce qui est lié aux prises de risques auditives comme les écoutes amplifiées qui s'accélèrent : concerts, MP3, téléphones portables. Nous avons fait une étude là-dessus : 80 % des jeunes écoutent quotidiennement de la musique, 37 % d'entre eux ont déjà ressenti des sifflements dans les oreilles après l'écoute, 28 % ont eu le sentiment de moins bien entendre après. Nous sommes donc sur des prévalences significatives et il faut avoir des actions d'éducation à la santé de manière systémique. Les mutuelles étudiantes portent leur tribu sur ces actions, c'est nécessaire mais pas forcément suffisant.
Mme Anne JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - D'une manière générale, si vous avez des idées, si vous constatez des blocages dans le système de santé, si vous avez des exemples d'expériences réalisées dans certains départements ou lieux, faites-nous en part. Je pense notamment aux MDPH qui interviennent dans le cadre de l'appareillage. Dans ma région, l'Aquitaine, nous sommes intervenus au niveau des jeunes en grande difficulté, dans le cadre du programme TRACE pour que tous aient accès au bilan de santé. Chez nous, il n'y a qu'un centre de santé en Béarn et pourtant tous les jeunes du pays basque ont pris le train pour y aller. J'attends donc que vous nous fassiez part de vos expériences.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Concernant la gynécologie, qu'est-ce qui précisément pose problème chez les jeunes par rapport au reste de la population ? Cela se comprend sur le plan bucco-dentaire mais pourquoi gynécologique ? Et deuxième question : qu'en est-il des addictions ?
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - Je vais plutôt répondre sur la question de la sexualité. Je pense qu'il s'agit une fois de plus d'accessibilité : les jeunes filles ne vont pas forcément aller au planning familial car elles risquent d'y rencontrer leur mère, leur tante ou leur voisine, cela constitue donc un frein alors qu'à l'Espace Santé jeunes, elles savent qu'il n'y aura que des 12/25 ans. Il y a d'autres explications, culturelles par exemple, notamment en région parisienne et sur Nanterre, sur lesquelles nous essayons de travailler mais c'est extrêmement complexe.
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Il y a aussi les niveaux scolaires et de qualification qui interviennent. Beaucoup de ces très jeunes filles ont quitté l'école, en situation d'échec scolaire et sont donc très peu informées en termes de prévention, de compréhension de l'appareil gynécologique et de leur propre santé. Nous assistons à des phénomènes sociétaux assez alarmants : ce n'est pas sur les ZUS que le taux d'IVG est le plus important mais c'est là que le taux de jeunes mères, de familles monoparentales, est le plus fort. Des sociologues ont entrepris des travaux sur le sujet, ils pensent qu'il y a là quelque chose d'initiatique, une forme de reconnaissance pour la jeune fille de son identité d'individu par le biais de son identité de femme. C'est très grave.
Mme Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines - Actuellement, nous parlons beaucoup des problèmes d'obésité chez les enfants, les jeunes adolescents, et depuis 24 heures se lance une campagne sur la pilule miracle pour maigrir, avec le choix délicat du nom « Alli ». Ce problème d'obésité est-il présent chez les jeunes filles que vous recevez ?
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - On a suivi l'IMC (indice de masse corporelle) des jeunes femmes, encore une fois sur un échantillon très petit, et toutes les jeunes femmes envoyées par la mission locale étaient en obésité ou en surpoids. Nous avons effectivement des problématiques de surpoids et donc des programmes spécifiques où nous relions la diététique, l'approche comportementaliste et le sport.
M. Benjamin CHKROUN, délégué général de l'Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes régionales - Pour être très concis, quand on demande aux étudiants quel sujet de prévention ils veulent que l'on aborde, ils répondent à 40 % l'équilibre alimentaire, qui les préoccupe vraiment. Le mutuelles étudiantes de l'USEM ont entrepris une action de prévention sur l'équilibre alimentaire dans cent restaurants universitaires durant le mois de mars : expliquer que cet équilibre se fait sur une semaine et non sur un repas, que manger équilibré est finalement simple à faire et que ce n'est pas la même chose que d'être au régime.
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - Juste pour donner une note positive, quand nous interrogeons les étudiants sur l'IMC, nous ne trouvons que 2 % dans la catégorie « obèse », contrairement aux DOM où l'on tourne autour de 6 ou 7 %. Cela montre que quand on se trouve dans un système de restauration un peu organisé qui est autour du CROUS - même si c'est très imparfait et que les temps de restauration sont de plus en plus courts -, ils sont plus protégés que les autres.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Alors je poursuis dans la continuité des sujets que l'on vient d'évoquer. Vous avez dit, Monsieur, que les jeunes avaient moins recours au système de santé que le reste de la population et vous avez tous évoqué le problème de l'information et de la communication. Comment donc inciter les jeunes à consulter plus régulièrement ? Deuxième question : l'idée est-elle de conserver des structures différenciées, comme elles le sont aujourd'hui, ou faut-il, pour une meilleure visibilité et reconnaissance des jeunes, les regrouper en une structure unique ? Troisième question concernant la prévention des comportements à risque du plan santé : est-elle en mesure de combattre ou de vaincre les addictions que sont l'alcool, les drogues, le tabac et que préconisez-vous ? Enfin, dernière question, quelles mesures préconisez-vous en matière de prévention et comment pouvez-vous les uns et les autres contribuer à leur mise en oeuvre ? Ce sont les solutions, que nous pourrions inscrire dans notre rapport et qui nous intéressent.
Mme Aude DE CALAN, responsable de l'Espace Santé jeunes de la ville de Nanterre - Pour les inciter à consulter plus régulièrement et de manière préventive - car les jeunes vont tout de même voir le médecin généraliste-, il faut pallier la faiblesse de communication locale sur les structures et les dispositifs qui existent, comme par exemple sur le programme «M' tes dents » qui est sous-utilisé car mal accompagné et mal compris par les jeunes et les familles. Il ya donc un travail d'accompagnement des familles à faire. Je pense également beaucoup à la qualité de la consultation de prévention, comme la visite médicale du travail où l'on se rend souvent à reculons. Une qualité et un temps d'écoute, une vraie compétence sur les problématiques des adolescents et des jeunes adultes sont essentiels pour faire venir ces jeunes. Ensuite, il faut privilégier l'anonymat, la gratuité, la collaboration avec les différents acteurs car nous ne savons pas tout faire et il faut travailler en réseau pour être capable d'orienter en permanence. Le manque de continuité des programmes en éducation pour la santé en primaire et en secondaire est à déplorer : faire une intervention flash en parlant une seule fois à des élèves de quatrième de l'équilibre alimentaire ou des conduites à risques constitue une perte de temps. Une vraie politique et une vraie collaboration avec l'éducation nationale, sont indispensables et cette dernière devrait ouvrir davantage ses portes. Cela fait des années qu'à Nanterre on se bat pour ça.
Pour répondre à la deuxième question concernant la diversité des lieux, je ne pense pas que cela pose problème ; c'est leur fréquentation qui est importante. Avoir un certain nombre de palettes avec des entrées différentes nous paraît relativement intéressant mais il faut une fois de plus communiquer autour de ces structures et de leurs dispositifs qui sont parfois sous-utilisés. Au niveau local, départemental ou régional, il est aussi nécessaire d'avoir un diagnostic sur l'offre qui est faite pour ces jeunes, en termes de prévention. Sur les Hauts-de-Seine, nous avons décidé de ne pas mettre en place une maison des adolescents telle que l'on se l'imagine (comme la maison de Solenn par exemple) mais de fonctionner avec l'ensemble des acteurs des Hauts-de-Seine qui travaillent auprès des adolescents (Espaces santé Jeunes - il en existe huit sur les Hauts de Seine, CMPP, PJJ, Education Nationale, etc.). Nous effectuons par contre tout un travail de réseau. C'est compliqué car cela signifie que les gens lâchent leur pré carré mais c'est nécessaire et intéressant car on travaille ensemble.
Concernant la prise de risques, comme nous l'avons dit tout à l'heure, c'est une des étapes normales de l'adolescence ; il ne faut donc pas l'enrayer mais certaines choses nous paraissent essentielles. Les différents professionnels doivent parvenir à avoir des mots et des discours communs car quand on parle de réduction des risques, de consommation, nous parlons rarement de la même chose. Les professionnels de santé ne savent pas forcément évaluer la consommation des jeunes : sont-ils ou non en surconsommation, en addiction ? Ensuite, rendre les jeunes autonomes c'est aussi leur donner les capacités d'auto-évaluer leur propre consommation. Concernant l'alcool, qui est une problématique très importante chez les jeunes, peut-être faudrait-il sortir des tranchées stériles entre producteurs d'alcool et acteurs de santé publique et mettre en place une collaboration entre eux. Des programmes existent et ont été testés au Canada mais sont bloqués en France. Des choses ont été faites et pourquoi ne pas les commencer en France dès les petites classes ? Car, dès la maternelle, il faut faire de l'éducation pour la santé en abordant des sujets différents en fonction des âges.
M. René DEMEULEMEESTER, coordonnateur des programmes de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé - Je vois deux volets. D'abord, il y a le volet consultation vu sous l'angle de la prévention. Une expérimentation va avoir lieu dans dix départements sur les consultations de prévention et l'une des premières choses à entreprendre est de faire connaître ce dispositif. L'INPES est en train de mettre en place un travail pour la rentrée avec la Caisse nationale d'assurance maladie, en commençant par les 16 ans, pour faire connaître le dispositif et préparer le jeune à se rendre à cette consultation, en lui permettant d'en voir lui-même les raisons et l'intérêt. Cela paraît assez insuffisant et le système pourra davantage fonctionner à deux conditions. Il faut que le professionnel ait une capacité de dialogue avec le jeune. Cela fait déjà trois ou quatre ans que nous travaillons avec certains sur ce sujet-là. Ils nous ont avoué la difficulté de communiquer avec les jeunes : aborder par exemple la sexualité les renvoie à la leur, de même que parler du cannabis les renvoie aux problèmes de leurs enfants.
Nous avons mis au point avec les organisations de médecins et de pharmaciens un outil destiné à faciliter l'ouverture du dialogue des médecins avec les jeunes. Cet outil sera accompagné d'un cd-rom de formation destiné aux organismes de formation des professions médicales et pharmaceutiques et d'un instrument appelé « repère pour votre pratique » où sont résumés les différents points. Il faut savoir qu'en sortant un outil tel que celui-ci, on touche 10 % des médecins en un an. C'est peu, certes, cela touche quand même 10 000 professionnels, mais on ne peut pas résoudre si facilement les problèmes. Deuxième chose que l'on a déjà évoquée tout à l'heure : cette consultation, si elle est isolée, ne servira pas à grand chose. Il faut donc qu'elle s'inscrive dans un réseau d'avals car le médecin ne peut pas tout faire s'il n'est pas en lien avec les éducateurs sportifs, les infirmières, les psychologues, etc. L'idée de réseautage est extrêmement importante et je pense qu'un espoir réside dans les contrats locaux de santé qui sont inscrits dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires et qui me paraissent être un bon moyen d'inciter à l'organisation de ce réseautage.
L'autre volet que je souhaiterais aborder concerne les comportements à risque. Nous avons terminé il y a un an, avec nos collègues belges, suisses et québécois, une revue de littérature nationale sur la prévention des comportements à risque. Chez eux comme chez nous les interventions étaient le plus souvent ponctuelles et nous nous sommes aperçus que la littérature anglo-saxonne, beaucoup plus que francophone, aborder ce sujet. Nous avons donc décidé de nous rassembler pour entreprendre ce travail dont il résulte que quel que soit le comportement à risque - alcool, tabac, conduite, loisirs, violence, suicide, sexualité, nutrition - les facteurs de risque et de protection sont généralement toujours les mêmes. Parmi ces facteurs de protection, le développement des compétences psychologiques, relationnelles et sociales nous a paru particulièrement intéressant car susceptible d'apprentissage avec des programmes qui ont montré des résultats en termes de diminution des comportements à risque. Les conditions pour cela ne sont malheureusement pas simples : il faut commencer très tôt, cela prend des années et demande un investissement de l'ensemble de l'équipe éducative. Les compétences, elles, ne sont pas compliquées : savoir gérer son stress, décider, résoudre les problèmes et les conflits pacifiquement, se fixer des objectifs et les atteindre. Nous avons passé une convention avec l'éducation nationale, les IUFM : 600 formateurs de l'IUFM sont en train de bénéficier d'une formation au développement de la promotion de la santé et de l'éducation. Dernier point, nous avons renoué depuis peu avec l'Education Nationale au mouvement « École en santé » de l'OMS qui devrait en principe pouvoir aider les établissements et les universités à mettre en place non seulement ces programmes d'éducation mais aussi les conditions qui vont permettre aux jeunes d'exercer ces fameuses compétences.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - La troisième série de questions concerne l'accès aux soins : à combien estimez-vous le nombre de jeunes qui renoncent à se soigner pour des raisons financières ? Quelle est la part de ceux n'ayant pas de complémentaire santé et quel en est le prix annuel moyen ? Et enfin, le plus important : quelles mesures proposez-vous pour diminuer le nombre de jeunes renonçant à se soigner pour des raisons financières ?
M. Benjamin CHKROUN, délégué général de l'Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes régionales - Le problème évident pour la consultation des étudiants est le manque d'informations. Ils n'ont pas conscience d'avoir autant de dispositifs à leur service et certains pensent souvent que c'est payant et cher. Je vous rappelle que l'une des raisons pour laquelle existe un régime spécifique étudiant est pour faire de l'information et de la formation aux étudiants. Cela devient de plus en plus difficile avec l'informatisation des inscriptions et c'est donc plus compliqué de leur expliquer comment marche une carte vitale, une feuille de soins, etc. 42 % des étudiants pensent que le reste à charge est beaucoup trop important. L'université rassemble de nombreux dispositifs pour aiguiller les étudiants mais seulement 25 % d'entre eux connaissent l'existence d'une médecine préventive alors que théoriquement tous les étudiants ont dû au moins une fois faire la visite de médecine préventive. Et seulement 6 % savent que le BAPU, bureau d'aide psychologique universitaire, existe.
Nous-mêmes qui sommes de la partie, il y a des termes, comme le CASO, que je viens de découvrir. L'étudiant a donc besoin d'informations, que l'on lui explique les choses de manière récurrente. Les mutuelles étudiantes régionales organisent une semaine du bien-être en novembre où ils vont leur expliquer quels dispositifs sont à leur disposition, ce qu'ils peuvent faire, vers qui se tourner et peut-être également leur faire prendre conscience qu'ils ont un problème. Sur le plan santé jeune, il faut mener des actions de terrain. Les mutuelles étudiantes ne font des actions de terrain qu'avec des étudiants, qui parlent donc avec d'autres étudiants, ce qui a un effet non négligeable sur la prévention. Ces étudiants sont formés par des organismes spécialisés, comme Aides quand c'est sur le sida ou par d'autres organismes qui sont une référence dans leur domaine. Les mutuelles étudiantes régionales mènent 900 actions de prévention par an, ce qui considérable. Il ne faut pas oublier non plus d'en mener dans les lycées, avant que les habitudes prennent un ascendant sur le comportement. Enfin, concernant les mutuelles, seulement 83,5 % des étudiants ont une complémentaire santé, la moyenne nationale étant de 92,3 %, ce n'est donc pas négligeable. 60 % des étudiants n'ont pas de complémentaire santé pour des raisons financières. Ce n'est pas un choix. Ces étudiants consultent donc beaucoup moins que les autres, ce qui est logique.
Concernant les solutions à ce problème, nous avons proposé un chèque santé qui serait distribué à tous les étudiants de première année. Il s'agit d'un chèque de 50 euros cumulable avec les aides sociales pour l'aider à accéder à une complémentaire santé sachant que son coût s'élève de 180 à 200 euros en moyenne par an. Le conseil général des Alpes Maritimes a mis en place une aide à la complémentaire santé, en versant un chèque santé à tous les jeunes : jusqu'à cent euros et jusqu'à 50 % de la complémentaire santé.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci.
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - Oui il y a également le Conseil Général du Pas-de-Calais et de Picardie depuis peu. Il faut peut-être avoir conscience que sur l'accès aux soins, les mesures prises ces dernières années de responsabilisation, ont un impact sur la perception des jeunes vis à vis du système de santé. Le problème est que l'on se trouve face à une population qui n'a pas de problèmes de surconsommation de soins mais de sous-consommation. La baisse du périmètre sur les soins ambulatoires, les franchises mises en place, ont un impact très négatif sur la perception du fait que les soins sont faits pour eux et qu'ils y aient recours. Il faut avoir conscience de cela car le périmètre qui permet d'avoir un niveau constant de remboursement de l'assurance maladie est celui des affections de longue durée (ALD) qui augmente, au détriment des soins ambulatoires qui concernent davantage les jeunes. Il va y avoir un problème de perception d'accès aux soins et de contribution au financement de la protection sociale, dans la mesure où ils ont l'impression d'en bénéficier de moins en moins.
Concernant les centres de santé, je pense que dans les listes proposées on trouve des choses assez différentes, j'aurais plutôt tendance à dire qu'il n'y en a pas assez, même s'il y aurait certainement des synergies à trouver. Je relève notamment les centres de santé de la mutualité française. Il y a des centres de santé de certaines mutuelles, par exemple ceux que nous avons avec la mutuelle générale de l'éducation nationale, où nous faisons justement un effort sur l'accès aux jeunes. C'est important car il n'y a pas de reste à charge et l'on trouve la pluridisciplinarité évoquée. Dans le plan santé jeune, il est proposé qu'il y ait la création de centres de santé - à la place des médecines préventives - dans les universités. Dix par an étaient prévus mais rien n'a encore été fait depuis février. C'est une priorité car cela répondrait à la question beaucoup plus large de l'accès aux soins des jeunes car, si nous avons un centre de santé à l'université, comme à Grenoble, nous aurons l'accès pour l'ensemble des jeunes. Dans les années 90, à l'instigation du gouvernement et d'une mutuelle étudiante défunte aujourd'hui avaient été créées des maisons des jeunes et de la santé, une dizaine remplissait ce rôle. Il y aurait de ce point de vue là des choses à faire, en termes d'accès aux psychologues qui ne sont pas remboursés par la Sécurité Sociale et d'accès aux gynécologues qui se trouvent généralement en secteur 2, ceux en secteur 1 affichant très souvent complets.
Sur la question des drogues, des addictions, nous avons noté l'émergence et la démocratisation de la cocaïne, des champignons hallucinogènes selon les régions, du cannabis qui est largement consommé. Il est donc important de mener des actions massives de prévention, de ne pas faire comme si cela n'existait pas. Pour l'alcool, nous sommes un peu en désaccord avec le plan santé et la loi HPST sur l'interdiction car on pense que c'est une ligne Maginot qui risque d'être contournée et de provoquer un rite initiatique à l'âge de 18 ans. Nous trouvons contradictoire de mettre la publicité sur internet - j'en profite car la discussion commence la semaine prochaine - et sommes en désaccord sur la question des alcooliers. Je pense qu'il y a quand même une vraie nécessité d'avoir un rapport de force et nous sommes justement en train de nous réunir. Nous avons adressé une lettre ouverte aux parlementaires. Aujourd'hui des officines de pseudo-prévention essaient de rentrer dans les établissements scolaires, universitaires et je pense que c'est très dangereux de demander aux producteurs de faire de la prévention, ce qui n'empêche pas que l'on puisse discuter avec eux. En outre, ils utilisent la question de la viticulture pour faire passer le reste derrière, qui est l'essentiel de la consommation des jeunes : les « prémix », toutes ces choses sur lesquelles il faut légiférer, prendre des mesures contraignantes. Ce n'est pas vrai qu'en excluant les sites de jeunesse on réglera le problème, car il y a des sites comme « Allo ciné » qui sont des sites généralistes mais essentiellement consultés par des jeunes.
Sur la question du renoncement aux soins et de la complémentaire santé, je dirais qu'un quart des étudiants a renoncé à des soins, notamment pour des raisons financières. C'est à corréler avec la question de la couverture complémentaire santé puisque nous avons à peu près les mêmes chiffres que l'USEM : 13 % disent ne pas avoir de complémentaire et 10 % ne savent pas. La loi de 2004 qui prévoyait l'aide à la complémentaire santé n'est pas, pour nous, adaptée au public étudiant. Cela a été dit dans le rapport Wauquiez de 2006 : le président de la République avait promis de mettre en place un chèque santé pour un public qui n'est pas souvent indépendant fiscalement et qui, devant passer par la déclaration familiale, échappe finalement souvent à la complémentaire santé. Le renoncement aux soins est inquiétant car il ne se remarque pas dans un premier temps mais est lourd de conséquence. Développer le chèque santé, ce serait vraiment offrir l'aide à la complémentaire santé pour tous, y compris pour les étudiants.
M. Nicolas LEBLANC, médecin - Je souhaiterais rappeler deux choses importantes. D'abord, on parle d'une population qui ne s'arrête pas à 18 ans mais continue jusque 25 ans et on remarque une rupture entre l'éducation nationale et l'enseignement supérieur. Nous sommes pourtant sur des problématiques longitudinales d'acquisition de comportements vertueux de santé. Je rappelle que le premier rapport sexuel se situe en moyenne à 17 ans et que l'apprentissage de la sexualité, de tous les risques et de tous les bonheurs qu'elle comporte, continue largement au-delà de cet âge. Il faut donc que dans les systèmes et notamment en éducation à la santé, il y ait un accompagnement. Au moment où les jeunes acquièrent leur autonomie et où il y a le moins d'encadrement possible, c'est important de continuer le programme de prise de conscience. Pour cela, je fais un lien avec ce qui a été dit et qui me paraît être une piste de solutions essentielle : il faut promouvoir les programmes par les jeunes. Plusieurs expérimentations ont eu lieu dans des villes comme à Rennes sur l'alcool, c'est à promouvoir, à encadrer, à évaluer de manière à voir quelle peut être la prise de conscience du risque. Nous n'arriverons pas à diminuer les risques tant que nous n'aurons pas de prise de conscience du risque et c'est là-dessus qu'il faut agir en premier lieu.
Je vais être bref en ce qui concerne la consultation de prévention. Ce qui existe aujourd'hui dans les CETAF est vraisemblablement très bien. J'ai du mal à vous citer de tête les références bibliographiques, mais le suivi de consultation de prévention est un maillon faible du dispositif. C'est très bien d'avoir dépisté une carie, une suspicion d'un cancer du col de l'utérus mais encore faut-il qu'il y ait un relais dans le dispositif de soins, notamment avec le médecin traitant. Ensuite, tout ce qui a été mis en place aujourd'hui à travers le pivot des médecins en termes de prévention ou de visite obligatoire me semble être un échec. Le dernier concernait les visites de prévention ou d'habilitation sur le permis de conduire des personnes âgées, qui n'a jamais été mis en place pour des raisons simples de démographie médicale. La réalité aujourd'hui fait que l'offre de soins bloque un certain nombre de réalisations, d'où l'intérêt de faire des consultations de prévention, avec des objectifs extrêmement précis en termes de suivi, pas forcément par des médecins mais par des infirmières ou des gens formés par exemple. En effet, dans certains pays il y a des hygiénistes dentaires, des sages-femmes qui s'occupent de gynéco-obstétrique, etc. La prévention c'est aussi faire passer des messages et les aptitudes pédagogiques ne sont pas forcément les plus développées dans le monde médical.
Sur l'offre de soins, je dirais qu'il y a plus de 20 000 pharmaciens en France, plus de 40 000 cabinets dentaires, plusieurs dizaines de milliers de cabinets médicaux contre une centaine de centres de santé, de planning familial, quelques dizaines ou centaines de dispositifs d'information. Nous ne sommes donc pas sur les mêmes chiffres et si nous voulons être efficaces, encore faut-il avoir un maillage et une densité suffisants.
Quand on parle d'offre de soins ou d'offre de santé, encore faut-il savoir laquelle. Les compétences ne sont pas les mêmes pour une demande d'information, de dépistage, de prescription médicamenteuse ou d'examen complémentaire. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, indépendamment de ce que l'on a dit sur les dépassements d'honoraires et les problèmes financiers, l'offre de soins sur une demande de soins avec prescription et demande de trajectoire dans le dispositif de soins me semble à peu près maillée. Par contre, sur la demande d'information, il y a bien le fil santé jeune et d'autres dispositifs représentés ici mais ce n'est vraisemblablement pas suffisant. Sur la politique de dépistage au regard des problématiques de santé publique des jeunes, il y a tout à inventer, par exemple sur le dépistage de l'alcool et de la dépression des jeunes. L'université devrait intégrer ce champ de réflexion, les étudiants sont de jeunes travailleurs intellectuels.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci. Madame Catel, vous allez terminer très rapidement.
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Comment inciter les jeunes à consulter plus régulièrement ? Tout a déjà été dit mais j'insiste sur l'importance de l'information et de l'accompagnement. Il faut donner de la proximité, notamment sur les territoires enclavés, ruraux où il faut affréter un groupe pour emmener les jeunes à un examen de santé en car ou en train, en apportant une aide financière. Par exemple, une expérience à la mission locale de Sénart en Seine-et-Marne prévoit une permanence médicale au sein de la mission locale et la prise en charge du ticket modérateur. Les effets pour la prise en charge de suite sont primordiaux : il ne sert à rien de faire une première consultation si le suivi n'est pas opéré. Avec la prise en charge du ticket modérateur et le suivi par la CPAM, on arrive à un véritable accès au parcours de soins. Le non recours aux soins est évidemment équivalent à l'absence de complémentaire santé. 40 % des jeunes qui arrivent en mission locale n'ont pas de médecin traitant, de complémentaire santé ou de couverture santé complète, le dossier CMU n'a pas toujours été fait et ensuite on n'arrive pas à couvrir l'ensemble de la demande.
Que peut-on faire ? Je reprends ce qui a été dit sur la nécessité de former les médecins au dialogue avec les jeunes car c'est quelque chose qui ne s'invente pas et qui n'est pas simple. Il y a également la nécessité de réseautage : nous allons nous inscrire dans l'expérimentation des cent départements, de façon à informer les jeunes de 16 à 25 ans qu'ils peuvent aller voir tel médecin traitant et à assurer un service de suite. Pour les mesures du plan santé, je pense effectivement qu'il y a lieu d'informer et d'accompagner beaucoup plus que l'on ne le fait, en particulier à un niveau scolaire. Nous les récupérons à 16 ans avec de très mauvaises habitudes car la consommation d'alcool, de tabac commence avant. Pour le recours aux soins, il y a bien un impact financier très important. L'accompagnement et les mesures financières forment un binôme nécessaire.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Juste une question sur les étudiants étrangers. Nous n'avons pas évoqué la situation et la précarité dans lesquelles ils se trouvent. Dans mon département, de nombreux chinois et africains arrivent sans aucune couverture de santé et sans avoir eu l'éducation à la santé telle qu'elle est faite dans notre pays. Ils peuvent transmettre la tuberculose, qui est en progression, ainsi que des maladies sexuellement transmissibles. La vaccination pose également problème. La pauvreté de la médecine universitaire les pousse à réclamer des vaccins aux collectivités territoriales, qui n'ont pourtant plus la compétence de santé publique.
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - Non il y a étudiant étranger et étudiant étranger, nous avons de plus en plus recentré sur des étudiants plus aisés. Attention de ne pas les stigmatiser en porteurs de toutes les maladies possibles.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Ce n'est pas une stigmatisation, c'est un constat qui est fait dans notre département.
M. Damien BERTHILIER, président de la Mutuelle des étudiants - J'entends bien. Il y a une prise en charge pour certains pays et certains sont boursiers du gouvernement français ou d'un gouvernement étranger. La LMDE gère cela. L'étudiant est pris en charge par l'État qui envoie l'étudiant ou par le gouvernement français. Mais cela ne concerne qu'une petite partie des étudiants étrangers et c'est quelque chose qu'il faudrait peut-être étendre.
Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - Nous parlions des visites dans les centres de santé. Il y a aussi des centres d'examen de santé qui ont équipé des caravanes et qui ont des équipes mobiles. C'est très intéressant pour les territoires ruraux, enclavés mais c'est tout aussi valable pour les territoires très urbains.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je tiens à vous remercier tous. Nous avions bien avancé sur les problèmes d'emploi, de logement, d'autonomie financière. Nous manquions de précisions et d'informations sur ce sujet spécifique de la santé et vous nous avez vraiment ouvert des pistes, en nous confortant sur nos positions ou en nous ouvrant d'autres horizons.
Audition de Luc FERRY, président délégué du Conseil d'analyse de la société
(6 mai 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je vais essayer de présenter très rapidement cette mission. Cette mission s'est donc constituée il y a un mois parallèlement au travail mené par Martin Hirsch. Il nous semblait important que le législatif réfléchisse à la situation des jeunes qui est dramatique dans notre pays. Les problèmes des jeunes se sont aggravés avec la crise bien sûr mais il y avait déjà des problèmes structurels antérieurs à la crise. On a ciblé les 16-25 ans et on s'efforce de travailler essentiellement sur deux types de problèmes. A savoir d'une part, ce qui touche à l'emploi, la formation et l'orientation et d'autre part, l'autonomie des jeunes, comprenant l'autonomie financière et les problèmes de logement. Nous nous intéressons bien entendu aux problèmes de santé et de citoyenneté ainsi qu'aux problèmes d'accès à la culture. Je fais l'impasse sur tous les chiffres que vous connaissez aussi bien que nous sur le chômage des jeunes, le temps qu'ils mettent, même diplômés, à stabiliser leur vie professionnelle et le sentiment qu'ils ont que leur vie sera plus dure que celle de leur parent etc. On espère vous entendre compte tenu de votre savoir, de votre savoir-faire, de votre savoir-être multiples sur ces questions. Le philosophe nous intéresse tout comme l'ancien ministre de l'éducation nationale au même titre que le chargé de mission sur le service civique. Je passe la parole à M. Demuynck qui va sans doute être plus précis sur le type de questions auxquelles on voudrait vous voir répondre.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Madame la présidente. M. le Ministre, merci d'être là. On va rentrer tout de suite dans le vif du sujet. Je ne vais pas être beaucoup plus précis parce que la première question que je vais vous poser va être très vaste. Vous avez, comme l'a rappelé Madame la présidente, assumé un grand nombre de fonctions. Aujourd'hui, vous êtes Président délégué du Conseil d'analyse de la société et j'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de l'orientation dans notre pays et du système public de la formation. A votre avis, est-ce que cela fonctionne bien? Y a-t-il des modifications à mettre en oeuvre? Notre vision des choses est relativement simple. Nous avons un tas de structures qui sont difficilement lisibles, à la fois pour les jeunes et leur famille mais aussi pour les entreprises dans le cas des contrats aidés. La question est de savoir si nous continuons dans cette voie avec cette multiplicité de structures, ou si au contraire on essaie de créer un service public de l'orientation, un service public - qui existe déjà - de l'emploi.
Par ailleurs, concernant les jeunes, il semble que le malaise qu'ils ressentent soit dû à la pression qu'exerce sur eux notre modèle scolaire. La sélection par la réussite ou par l'échec, tout dépend de quel côté on se place, est dure à vivre pour eux. Nous avons été plutôt séduits par ce qui se passe dans le Nord de l'Europe, où le système semble plus adapté aux jeunes qui peuvent par des stages, par des modules, chercher leur voie pendant un certain temps. De plus, ils sont aidés par une allocation d'autonomie et ensuite, ils ont la possibilité au bout du compte de choisir une voie qu'il a pu expérimenter sur une relative courte période.
L'autre question concerne le rapport que vous avez remis au Président de la République en septembre dernier sur le service civique, qui est un système qui fonctionne aujourd'hui et semble-t-il plutôt bien. Si vous pouviez nous dire quelques mots de vos conclusions et des conditions politiques à réunir pour que cela se mette en place dans les meilleures conditions.
Enfin, la dernière question porte sur l'organisation et la manière dont on peut appréhender les choses. Comme je le disais tout à l'heure, on a plusieurs structures qui sont en place dans tous les domaines de la jeunesse. Est ce qu'à votre avis, il faut plutôt conserver les structures que nous avons et essayer de faire en sorte que ceux qui y sont travaillent ensemble et essayer de dynamiser cela, ou au contraire faire une refonte générale de toutes ces structures? Merci, M. le ministre.
M. Luc FERRY - C'est moi qui vous remercie. Je vais essayer d'être le plus synthétique possible. Ce sont des questions très vastes et évidemment passionnantes. Peut-être aurai-je une remarque générale d'entrée de jeu : objectivement, la situation des jeunes est meilleure que jamais contrairement à ce que l'on croit. Je suis, pour parler comme dans les familles, la première génération de garçons à ne pas partir à la guerre. Autrement dit, n'oublions jamais que dans toutes les générations précédentes, on a connu la guerre dans les familles. Cela était quand même la pire chose qui puisse exister. Mes oncles sont partis à la guerre d'Algérie comme mon ami Jacques Julliard, c'est la même génération. Mon père a fait la guerre de 1939-1945 évidemment, mon grand-père la guerre de 1914-1918, mes arrières grands-parents celle de 1870, avant celle de Crimée. Jamais on n'a connu une période de paix et de prospérité aussi grande qu'aujourd'hui. Donc, si on s'interroge sur le malaise des jeunes, il faut se demander pourquoi. Ce n'est pas pour le nier mais simplement pour essayer de répondre un peu plus intelligemment qu'on ne le fait d'ordinaire à la question. La situation en Europe pour les jeunes est plus douce que jamais. Etre un jeune juif dans l'Allemagne des années 30, ce n'était pas « le pied ». La situation est plus favorable que jamais et cela suppose que l'on comprenne l'origine de ce malaise qui d'ailleurs, à mon avis, n'est pas celui des jeunes mais beaucoup plus celui de leurs parents. La véritable angoisse se trouve chez les parents. Alors bien évidemment, cela se transmet. Le premier psychanalyste venu vous l'expliquera mieux que moi. Il n'y a rien qui se transmette plus aisément que l'angoisse des pères et des mères.
Et la vérité, c'est que c'est dans ma génération que l'on est très inquiet. On adore nos enfants, on les aime plus que jamais pour des raisons historiques de fond, qui sont liés à la victoire du mariage d'amour sur toutes les autres formes d'union et c'est une victoire très récente en vérité. C'est seulement dans la deuxième moitié du XX e siècle que les mariages d'amour ont entraîné un amour des enfants comme jamais dans l'histoire de l'Humanité. Cela explique que l'on est davantage inquiet pour nos enfants et qu'on leur transmet cette angoisse assez fortement. Il y a d'autres raisons. Le système de la mondialisation fait que l'Histoire a changé de sens dans la mesure où elle n'est plus comme un Homme des Lumières, du XVIII e siècle ou du XIX e siècle, comme un Victor Hugo pouvait encore l'imaginer, orientée vers l'émancipation de l'Humanité, vers le progrès, le bonheur des Hommes. Elle n'est pas orientée vers des causes finales si je puis dire ou par des causes finales. L'Histoire, dans le cadre de la mondialisation, est aujourd'hui, intégralement l'effet de ce que les physiciens appelleraient les causes efficientes. L'Histoire est aujourd'hui le résultat d'un système de compétition généralisée qui s'appelle la mondialisation libérale et qui fait qu'il y a des milliers de foyers qui font bouger l'Histoire. Ce sont les compétitions entre toutes les entreprises qui font que les chefs d'entreprise sont obligés d'innovés en permanence ou de mourir. Le chef d'entreprise qui fabrique ce que j'ai à la main, il sait une chose même s'il ne sait rien d'autre. Il sait que si le téléphone portable qu'il met sur le marché dans trois mois n'est pas plus performant que celui que j'ai en main, il est mort tout simplement. L'Histoire change donc de sens. Elle avance, mue par la mécanique anonyme et aveugle de la compétition universelle et non pas animée par la représentation d'une fin grandiose.
Ce qui fait que jamais, dans l'histoire de l'Humanité, l'Histoire n'a été aussi imprévisible qu'aujourd'hui, aussi bien sur le plan économique, social ou géopolitique. Qui avait prévu l'affaire de la Géorgie? Ou l'affaire de la révolution Internet? Souvenez-vous, il y a encore vingt ans, même pas, quinze ans en France, on fabriquait des « bee bops » à Strasbourg et à Paris et des minitels. C'est dire à quel point, on n'avait pas prévu ce qui était en marche et c'est tout à fait logique. Je crois que c'est cela qui inquiète beaucoup plus : l'imprévisibilité de l'Histoire liée au régime de la mondialisation, c'est-à-dire d'une compétition infinie qui multiplie, sans aucune espèce de visibilité possible, les moteurs de l'Histoire. L'Histoire nous échappe totalement. D'ailleurs, vous le savez bien, si les politiques avaient un véritable contrôle sur l'Histoire, il n'y aurait pas de chômage ni de récession et la régulation dont on parle au G20 serait déjà faite. Nous le savons bien, et il ne faut pas que nos concitoyens en soient trop conscients, mais les politiques qui sont au pouvoir n'ont pas 5 % du pouvoir qu'ils devraient pour faire les choses qui sont à faire. Et cela inquiète les familles considérablement. Tout le monde sent bien que les politiques n'ont plus au niveau national les leviers de commande et c'est cela qui inquiète, qui fait le lit de la société de la peur dans laquelle nous vivons. La société de la peur, ce n'est pas seulement qu'il y a une prolifération des peurs. Il est vrai qu'aujourd'hui, on a peur de tout : du poulet, du cochon, de la côte de boeuf, du sexe, de l'alcool, du tabac, de la Turquie, des délocalisations, des nanotechnologies, du réchauffement climatique et du reste. Mais ce n'est pas ça le fond du problème. Le problème est la déculpabilisation de la peur.
Quand nous étions petits, vous et moi, dans les familles comme à l'école, on nous disait un grand garçon, ça n'a pas peur. On n'était pas féministe mais peu importe. Grandir, devenir une grande personne pour parler comme le petit prince de Saint-Exupéry, c'est vaincre les peurs, c'est ne plus avoir peur du noir, être capable de quitter ses parents. Sous l'effet de l'écologie et de la géopolitique contemporaine, du pacifisme contemporain de l'Europe du Nord, on a une déculpabilisation de la peur. La peur n'est plus une passion honteuse et infantile. C'est une passion qui est représentée par beaucoup comme le premier pas vers la sagesse, comme un moyen de prendre conscience des menaces qui pèsent sur nous. Je pense que cette société de la déculpabilisation de la peur qui est liée très largement à la mondialisation est la véritable origine de la peur des jeunes. Si on avait davantage de temps, je vous l'expliquerai de façon plus précise. Ce n'est pas objectivement que la situation en Europe est pire qu'avant. Objectivement, elle est mille fois meilleure mais elle est très inquiétante en ce sens que l'avenir est totalement imprévisible. Nous savons également que nos enfants auront deux, trois, quatre vies différentes aussi bien sur le plan privée que sur le plan professionnel et c'est inquiétant. Mais il faut trouver la racine.
Pardon d'avoir été un peu long sur le paysage général. Je reviens sur les questions plus précises. En ce qui concerne l'orientation, au sens professionnel ; réfléchissons aussi un peu à l'enseignement professionnel dont on ne parle jamais. A part notre collègue Jean-Luc Mélenchon, personne ne s'y est intéressé. C'est le seul ministre de l'éducation à s'être intéressé à l'enseignement professionnel avant moi et d'ailleurs c'est pour cela que l'on s'entend bien -si je puis dire- alors que l'on est en désaccord à peu près sur tout. Il s'est vraiment intéressé à quelque chose d'intéressant. Et avant lui, il fallait remonter jusqu'à Jean-Pierre Chevènement pour avoir quelqu'un qui ait fait quelque chose pour l'enseignement professionnel. Il a fait quelque chose de vraiment utile qui s'appelle les Bacs Pros et c'était le meilleur moyen de revaloriser l'enseignement professionnel. Que faut-il faire aujourd'hui?
Un, il faut faire ce que nous avions en tête avec Jean-Pierre Raffarin. Il faut créer des maisons de l'orientation avec un guichet unique où l'on regroupe tout en région. C'était le but de la décentralisation. Et des gens intelligents comme le Président Rousset, bien que nous ne soyons pas du même bord, y étaient totalement favorables. Il faudrait y réunir les missions locales, les FCIL, les COPsi, afin qu'ils travaillent tous ensemble. La grande erreur qui a été faite - pardon de le dire, mais je ne vais pas parler la langue de bois - a été de nommer pour l'orientation des psychologues. Sur le papier, ce n'était pas idiot mais dans la réalité, ce n'est pas ce dont on avait besoin. On avait besoin de gens qui connaissent le monde de l'entreprise, le monde réel et qui sachent un peu quels sont les métiers qui existent. Ce n'est pas contre eux que je dis cela. Cela permettait de résorber le chômage dans les départements de psychologie, d'accord. Mais non seulement, cela n'a pas aidé mais cela a été une catastrophe. Il faut dire les choses comme elles sont. Je pense qu'il faut d'abord faire un service public de l'orientation en région, c'est la plus grande demande des jeunes aujourd'hui. Ils veulent vraiment être informés sur la réalité des métiers. Lorsque j'étais ministre de la jeunesse, c'était la plus grande demande qui m'était adressée. « On ne sait pas ce qui nous attend », me confiaient-ils. Et mon vieil ami, Yvon Gattaz, avait dans son agence Jeunesse et Entreprise, fait un certain nombre d'études très intéressantes pour montrer à quel point il y avait un gouffre abyssal entre l'idée que les jeunes ont des métiers et la réalité.
La deuxième chose à faire, il faut arrêter ces erreurs que sont les classes préprofessionnelles, 4e technologique, 3e technologique. On les rebaptise chaque année de noms différents. Ça n'a jamais marché. Il faut faire tout-à-fait autre chose. Il faut faire ce que j'avais proposé. Pardon, je n'ai pas changé d'avis depuis, au contraire. Il faut faire des classes en alternance. Non pas le palier d'orientation en fin de 5e, c'est une catastrophe. Surtout pas cette autre erreur qu'a été le pseudo apprentissage à 14 ans, est une honte. De plus, il n'a pas été réalisé parce que ce n'était pas faisable.
Il faut faire des classes en alternance adaptées dès l'âge de 13 ans. Cela ne veut pas dire que l'on enferme les enfants dans un entonnoir à l'âge de 12 ou 13 ans. C'est pour cela que je ne veux pas du palier d'orientation en fin de 5e. Cela veut plutôt dire que l'on permet à des enfants qui le souhaitent et avec l'accord de la famille et de l'inspecteur d'académie d'avoir deux ou trois après-midi soit dans un lycée professionnel soit dans une entreprise avec laquelle on a passé un accord et encore une fois avec le consentement de l'équipe pédagogique. Lors de ces après-midi, ils découvrent les métiers. Première chose à faire : il ne faut pas forcément que cela soit des classes, cela pourrait être des parcours individualisés. Il y a une personne que vous devriez écouter là-dessus, c'est Mme Jouannau, proviseure du lycée d'Evry, c'est une femme formidable et qui avait mis cela en place avec le chef de travaux du lycée de Savigny-sur-Orge, aussi un type formidable ; et cela marchait. On rattrape les enfants comme jamais. Alors que ces « fichues » classes préprofessionnelles ne fonctionnent pas. Demandez aux proviseurs de lycées professionnels, ils n'en veulent pas. Tout sauf cela. Ce sont des « dépotoirs ». Est-ce que vous connaissez une famille où on choisit la voie professionnelle si on n'a pas échoué dans la voie générale? Je n'en connais pas.
Il y a une troisième chose à faire pour ne pas se moquer du monde. Il y a un très bon travail à réaliser en amont et en aval. En amont, il faut travailler sur des parcours en alternance, et en aval faire en sorte que la voie professionnelle devienne une voie d'excellence. Jean-Luc Mélenchon avait mis en place les lycées des métiers et c'était ça la bonne idée. Il faut aller encore plus loin et s'il était là, nous serions parfaitement d'accord là-dessus. Si j'étais encore aux affaires, je ferai immédiatement de la voie professionnelle une voie d'excellence. C'était mon projet. Il faudrait créer quatre ou cinq grandes écoles professionnelles. Quand je dis grandes écoles, je pense à des équivalents de la rue d'Ulm ou de Polytechnique mais dans la voie professionnelle, dans des secteurs où nous sommes performants et sur le modèle du lycée des métiers. Il faudrait qu'un jeune qui rentre là-dedans, voit que cela peut aller très loin, que l'on peut gagner de l'argent, que cela peut être une voie d'excellence, s'il est talentueux et qu'il veut travailler, il peut aller jusqu'à Bac+5. Il faut que cela ne soit pas une voie de garage. Tant que cela ne sera pas fait, on pourra dire tout ce que l'on veut, personne ne choisira la voie professionnelle, sauf par défaut. Il faut continuer cette idée de Bac Pro, de Licence Pro, de Master Pro et surtout de grandes écoles avec voie d'excellence. Il faut que quand vous rentrez dans un lycée des métiers, vous voyez que selon votre talent, votre énergie, votre envie de réussir, vous pouvez aller plus loin et réussir. Il n'y a pas un mur devant vous.
En ce qui concerne la sélection par l'échec, c'est un pléonasme. Je ne connais pas de sélection qui ne soit pas par l'échec. Si vous réussissez, ce n'est pas par l'échec mais si vous vous plantez, il y a échec. S'il y a sélection, il y a forcément échec. Le problème est d'une simplicité biblique. S'il n'y a pas de sélection, les diplômes ne vaudront pas un clou et s'il y a sélection, il y a échec. Ce n'est pas la peine de tourner autour du pot. Notre système fonctionne en France parce que l'on a de grandes écoles très sélectives, et des universités qui sont des parkings. Je viens de l'université, je n'ai jamais voulu faire une grande école, mais franchement pour s'en sortir en venant de l'université, ce n'est pas commode. J'ai été président de commissions de spécialités où on nomme les professeurs à l'Université de Caen et à Sciences-Po Lyon. Quand vous recevez soixante-dix dossiers de maîtres de conférences, ce n'est pas compliqué, la commission élimine spontanément les soixante qui ne viennent pas des grandes écoles et on ne garde que les dix qui sont premiers à l'agrégation et qui sortent de la rue d'Ulm ou de Saint-Cloud et encore Saint-Cloud. C'est comme cela que ça marche. Il faut que les étudiants aient conscience du fait que la sélection est à double tranchant. Si on la supprime, les diplômes ne valent rien et si on la met en place, cela fait mal. On ne trouvera jamais de solution miracle, c'est aussi bête que cela. On verra comment évolue la question universitaire et si vous le souhaitez, on y reviendra.
Un dernier mot peut-être avant de vous rendre la parole sur le service civique. Je vous dis l'essentiel parce que c'est là que cela coince. C'est une excellente idée qu'il faut mettre en oeuvre et le problème budgétaire sur lequel on bute en permanence n'est absolument pas difficile à résoudre. Pourquoi? Je suis allé voir Mme Christine Lagarde qui est entièrement partante. Je lui ai fait la proposition suivante qui est le seul moyen pour financer le dispositif. On va faire 350 000 emplois aidés. Souvenez-vous de l'époque où en fonction de l'actualité, comme de bons petits soldats, on disait que l'on allait supprimer les emplois jeunes. Là aussi, il faut parler vrai. On va proposer de l'emploi aidé en masse. 350 000, c'est 150 000 en plus de prévus par rapport à l'année dernière. Il suffit de prendre l'équivalent budgétaire de 15 000 emplois aidés sur 350 000, ce qui est epsilon , et de l'injecter dans le service civique pour que et pour que celui-ci se développe. On peut faire 10 000, 15 000 services volontaires. Il y en a 2 700 aujourd'hui. C'est le premier point. Il n'y a aucune difficulté à le faire. Et de plus, soyons cynique et réaliste à la fois, du point de vue des statistiques du chômage pour le ministre cela revient à la même chose. Donc, faisons-le. C'est quand même plus intelligent que de faire de l'emploi aidé.
Deuxième remarque sur ce point. La discussion que nous avons eue a porté sur service volontaire et service obligatoire évidemment. J'étais comme beaucoup partisan a priori sans avoir réfléchi du service obligatoire en pensant dimension républicaine, en pensant au recadrage d'un certain nombre de jeunes, en pensant mixité sociale etc. Tous ces thèmes républicains que vous connaissez comme moi et que je ne vais pas redérouler devant vous. Qu'est-ce qui m'a fait changer d'avis ? Ce n'est pas la question budgétaire. Oui, un service civique de six mois, cela coûte approximativement pour 600 000 jeunes, 4 milliards d'euros. Mais c'est une question de choix politique. Après tout, l'éducation nationale coûte très chère aussi. Ce qui m'a fait changer d'avis définitivement, c'est le fait que les associations n'en veulent pas. Quand je dis les associations, je parle des associations qui sont susceptibles d'accueillir les jeunes. 100 % des associations n'en veulent pas, que ce soit les chantiers de Soeur Emmanuelle, ATD Quart Monde ou qui vous voudrez, ils sont « vent debout ». Ils n'en veulent pas pour deux raisons. Ils disent qu'ils n'ont pas les moyens, pour gérer la désertion. Ils ne savent pas faire et ce n'est pas leur rôle. La raison numéro 2 avancée par les associations, c'est qu'ils ne veulent pas de jeunes à qui on impose un engagement désintéressé. C'est une contradiction. On va tuer la générosité, on tue le sens même de l'engagement.
Et puis ce sera une catastrophe, imaginez que l'on envoie des jeunes en maison de retraite et qu'ils ne veulent pas y aller, ils vont les « exterminer » dans le quart d'heure. Cela n'a pas de sens. J'ai été assez sensible, je dois dire, à l'argument. Et puis le troisième argument est venu de tous les syndicats, et de FO, en particulier qui avançaient que 700 000 faux emplois d'un coup, cela empiéterait sur le marché de l'emploi de façon délirante. Sur les 700 000, il y aura 650 000 emplois marchants qui vont être atteints. Cela n'a pas de sens. Et au-delà même de l'argument budgétaire, je pense que l'obligatoire n'est pas une bonne idée. On s'est mis d'accord avec les gens qui étaient en faveur de ce système obligatoire pour que de toute façon - et là, ils sont tous d'accord et y compris les plus militants - il y ait une montée en puissance du dispositif sur cinq ans quoiqu'il arrive. On ne peut pas inventer 700 000 emplois d'un coup. Il faut les faire émerger progressivement. Quand on faisait un service militaire, on savait quoi faire faire aux jeunes : tirer, conduire une jeep ou que sais-je... Quand on fait un service civique, il faut trouver des activités et on ne peut pas leur faire faire n'importe quoi. Il faut éviter les stages « café photocopies ». Cela serait un désastre. Donc il faut une montée en puissance du dispositif sur cinq ans. Dernière remarque : du coup, en changeant mon fusil d'épaule, je me suis demandé comment faire pour que le service volontaire donne les mêmes résultats que le service obligatoire, à savoir creuset républicain et mixité sociale.
La réponse principale est la suivante : il s'agit de faire des engagements individuels qui n'en soient pas vraiment. Il faut faire des chantiers comme on le fait en Italie. Il n'y aurait pas d'engagement individuel ni de service civil individuel mais des services civiques collectifs sur des chantiers. Et le but du bureau central qui serait placé auprès du Premier ministre par exemple, qui aurait à la fois pour mission d'habiliter les associations, et les projets en vérifiant que ce sont des projets d'intérêt général qui n'empiètent pas sur l'emploi marchand, mais aussi et c'est la troisième mission de ce bureau, faire en sorte qu'il y ait de la mixité sociale sur ces chantiers. En Italie, qui a été notre modèle très largement, on voit qu'avec une rémunération de 435 euros, on touche toutes les classes sociales, c'est-à-dire aussi bien le 7ème arrondissement de Paris si je transpose que le 93. Toutes les classes sociales y viennent, pour des raisons différentes. Il y a de la mixité sociale. En Italie, il y a 50 000 services civiques volontaires. Ils ont 200 000 demandes, donc c'est uniquement la question budgétaire qui limite. Nous aurions aussi en France certainement 200 000 demandes tout azimut. Les jeunes sont très intéressés par ce projet pourvu qu'il ne soit pas obligatoire. Vous ne pouvez pas reconnaître quelqu'un pour ce que vous l'avez obligé à faire. Ca n'a pas de sens. Si on veut que ces services soient aussi une manière de reconnaître l'engagement des jeunes, il ne faut pas que cet engagement soit obligatoire sinon ce n'est plus une reconnaissance, c'est un pensum. C'est autre chose.
Dernier point sur votre interrogation, à savoir, faut-il changer les structures ou les esprits? D'abord, changer l'esprit humain, je ne sais pas faire. Avez-vous déjà essayé d'arrêter de fumer ou de maigrir avant les vacances, c'est horrible. On est incapable de changer l'esprit humain, on ne sait pas faire. Quand vous voyez des parents qui n'ont pas d'autorité sur leurs enfants, vous pouvez leur donner tous les conseils que vous voulez, vous n'arriverez pas à les aider. Je pense qu'il y a dans l'éducation nationale aujourd'hui, des réformes à faire et d'autres à ne pas faire. Je pense que la réforme du primaire est une calamité. Il ne fallait certainement pas supprimer des heures. Si on les supprimait, il fallait les remettre le mercredi matin. Je pense que supprimer des heures le samedi matin n'avait qu'une seule finalité, c'était de faire un différentiel entre l'horaire élève qui est de 24 heures, l'horaire professeur qui est de 27 heures et de profiter de ces trois heures pour faire un pseudo soutien qui permettait de supprimer les RASED. Voilà la vérité des choses. Ce n'est pas bien. On a de plus accompagné cette mauvaise réforme, d'une encore plus mauvaise réforme des programmes qui sont calamiteux. Demandez à toutes les institutrices que vous voudrez, elles vous le diront. De plus, ils ne sont pas applicables. Je pense que cette réforme est très mauvaise et qu'elle n'a rien pour elle.
En revanche, la réforme du lycée était excellente. On a besoin de ce type de réforme de structure. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons : la filière L n'est plus viable. Elle est en dessous de la barre des 10 %. Par conséquent, l'idée de faire un tronc commun de 18 heures sur 27 heures, et avoir des modules avec des enfants qui font plutôt des langues, plutôt des sciences, plutôt des lettres et de la philosophie etc., c'était une excellente idée. D'ailleurs cette réforme a été conçue par un de mes anciens directeurs, Jean-Paul de Gaudemar, qui est polytechnicien et qui avait bien pensé la chose. Je suis d'avis que cela était indispensable pour rééquilibrer les filières mais que cela avait aussi accessoirement un avantage très grand ; celui de rationaliser les options.
Il faut quand même être clair. Si l'on veut réduire les dépenses de l'éducation nationale, éventuellement pour financer d'autres projets dans l'éducation nationale, ce n'est pas honteux de réduire des dépenses, cela peut aussi permettre de les réinjecter dans autre chose. Avec cette réforme, on pouvait économiser 70 000 postes. C'est considérable. Rendez-vous compte que le simple redoublement de la seconde, c'est 25 000 postes perdus. Le redoublement en seconde est de 18 % et ne sert absolument à rien. La rationalisation des options et le fait que l'on passe de 33 heures par élève à 27, on gagne à peu près 4 000 postes par heure par élève. Là, on peut faire cette économie de poste sans porter atteinte à l'offre de formation. Nos enfants au lycée ont beaucoup trop d'heures. Ils ne peuvent pas travailler convenablement chez eux. C'est absurde que l'on ait 24 heures à l'école primaire, 27 au collège et 35 au lycée. Ca devrait être le contraire à la limite. Il faudrait qu'au lycée, ils soient beaucoup plus autonomes, qu'ils aient davantage de travaux personnels encadrés et que les options soient plus cohérentes y compris pour défendre si on veut le latin et le grec. Ma réponse est donc que dans certains cas, il faut des réformes de structures, pour le lycée, il le faut, c'est vraiment une nécessité, la filière lettres à déjà pratiquement disparu.
Dans d'autres cas, pour le primaire, il ne fallait surtout pas y toucher. Il fallait faire évoluer gentiment les programmes en corrigent un certain nombre de choses que l'on pourrait améliorer. Cette réforme était non seulement inutile mais aussi nuisible. En revanche, la réforme du lycée est devant nous. Je ne sais pas ce qui se fera, qui la fera, ni si l'on fera quelque chose mais si on ne fait rien, on continuera à anéantir la filière littéraire mais aussi à dépenser de l'argent inutilement parce que ce système d'options est absurde. C'est donc une réponse d'actualité, si vous voulez. Il ne faut pas écarter toute réforme par principe de structure. Il faut en faire le moins possible sauf quand on est obligé de le faire comme dans le cas du lycée.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Et que pensez-vous de l'expérimentation des pays d'Europe du Nord?
M. Luc FERRY - Juste un mot à ce sujet. Le système finlandais est un système qui marche très bien pour une raison simple. Vous avez peut-être vu, il y a eu récemment une émission où l'on présentait assez en détail le fonctionnement d'une classe dans ce système qui est en effet numéro 1 dans les enquêtes PISA. Pardon de le dire, ce n'est pas par mégalomanie, c'est juste un fait, ils font exactement ce que j'avais proposé pour la classe centrale en termes d'échec scolaire qui est le CP. C'est d'ailleurs là de que vient cette idée. 80 % des enfants qui n'apprennent pas à lire au CP n'apprendront jamais à lire. Lorsque l'on connaît ce chiffre, on comprend que c'est vraiment là que l'on doit faire des efforts. Que faut-il faire? Un : dédoubler les CP. Ca ne coûte rien. Je l'avais fait pour 70 000 enfants, cela a été supprimé le jour même de mon départ et c'est absurde. Vous dédoublez les CP, cela veut dire quoi? Cela revient à enseigner l'apprentissage de la lecture par groupe de dix ou douze maximum. Cela permet quoi? Cela permet à la maîtresse, je dis maîtresse parce que maintenant ce sont des femmes à 90 %, de faire de la remédiation en même temps qu'elle diagnostique la difficulté d'un enfant. Pourquoi c'est vital? Parce que si vous avez des enfants, vous savez comme moi qu'à sept ans en classe de CP si les enfants ont le sentiment d'avoir raté une marche et qu'ils sont différents des autres, c'est catastrophique pour eux. C'est une source d'angoisse absolue pour eux. Or le premier apprentissage, c'est la lecture et c'est la première marche ratée.
Avant, il n'y a rien à rater, on est dans du jardin d'enfants. L'apprentissage de la lecture est le premier échec scolaire et ce premier échec scolaire, on n'a pas le droit de le laisser s'installer. J'ai deux collègues anciens ministres - que je ne nommerai pas - qui disent qu'il faut rétablir l'examen d'entrée en 6e. C'est une absurdité : ce sera bien trop tard. Que va-t-on faire des enfants qui ne franchiront pas cette étape ? On les met dans des réservoirs ? Que va-t-on en faire lorsqu'ils auront quinze ans et qu'ils n'auront toujours pas appris à lire ? A quoi ça rime ? C'est évidemment dès la classe de CP qu'il faut agir. Ces gens n'ont jamais vu une école primaire. Il ne faut pas laisser sortir un seul enfant du CP qui ne sache lire. Cela suppose que l'on dédouble le CP. C'est exactement ce que fait le système finlandais. Autrement dit, mieux vaut prévenir que guérir. Il ne faut pas laisser l'échec scolaire s'installer chez les petits. On n'a pas le droit sauf quand on ne peut absolument pas faire autrement pour des raisons pathologiques. Et là comment fait-on ? On le fait en mettant deux maîtres dans la classe, et si ce n'est pas deux maîtres, on le fait avec les ATSEM. Les assistantes de maternelles souvent sont des femmes remarquables. On peut parfaitement et ce sous l'autorité du maître faire faire un travail de répétitrice aux ATSEM, et de plus cela les valorise. Elles peuvent faire faire la dictée, le dessin, la récréation, la balle aux prisonniers, que sais-je encore ? Ce sont des petits, des bébés encore. Ces femmes remarquables seraient valorisées et cela leur ferait faire un travail plus intéressant sous l'autorité des maîtres. Je l'avais fait avec des assistants d'éducation. Jack Lang m'avait dit : « c'est impossible, vous n'y arriverez pas ». Trois mois après, j'avais 70 000 enfants qui étaient dans des CP dédoublés. Et quand cela marchait bien, j'ai eu des classes qui passaient de 8 sur 20 de moyenne à 18 sur 20 à Strasbourg notamment.
C'est compliqué à réaliser parce que cela suppose une pédagogie adaptée. Paradoxalement, il est plus difficile de faire un cours à dix qu'à vingt. A dix, vous êtes obligé de prendre la difficulté à bras le corps. A vingt, vous pouvez dire, il y en a deux ou trois qui ne suivent pas et que voulez-vous que j'y fasse? Tandis qu'à dix, votre travail devient un travail de remédiation continue. C'est tout le contraire de ce que l'on fait. Ce n'est pas du soutien deux heures par semaine. A quoi ça rime? Cela n'a jamais marché ! Il n'y a pas un type dans l'éducation nationale qui y croit. On sait que taper sur la tête d'un enfant qui ne s'en sort pas deux heures de plus par semaine, c'est l'enfoncer encore plus, surtout si l'on fait ça le soir quand il est fatigué, pendant les vacances, le samedi ou à l'heure du déjeuner, encore pire. C'est une erreur totale, c'est même une faute. Or, c'est ce que l'on a choisi cette année de faire. Les gens n'y connaissent rien alors ils sont contents. Le soutien, il faut en faire toute la journée et uniquement dans la classe et le seul moyen de le faire, c'est de dédoubler les CP. Je vous dis que je l'avais fait pour 70 000 élèves, si j'étais resté six mois de plus, je l'aurais fait pour 150 000 élèves, ce qui est le chiffre exact de l'échec scolaire en France. Je le faisais pour ne surtout pas faire de groupes de niveaux avec les écoles les plus difficiles de France. Il ne faut surtout pas faire de groupes de niveaux : si vous mettez les bons avec les bons et les mauvais ensembles, c'est une catastrophe. Il faut prendre les écoles les plus difficiles de France. Vous demandez à la DEP qui regardera les évaluations et vous dira qu'elles sont les écoles où 50 % des enfants arrivent en 6e sans savoir lire et écrire. C'est là qu'il faut mettre le « paquet ».
Le système finlandais, son grand mérite est de faire de la remédiation. J'ai étudié cela de très près. Il faut faire cela très tôt et en même temps que l'enseignement. Il ne faut surtout pas avoir recours au soutien qui ne fonctionne pas. On a inventé le terme « pédagogie de soutien » dans une circulaire de 1978. C'est le plus grand échec de l'histoire de l'école. Cela n'a jamais marché. Il suffit de savoir ce qu'est un enfant. Lui taper sur la tête en grammaire ou en mathématiques deux heures de plus sur la semaine, cela ne sert à rien. Cela ne fonctionne qu'avec nos enfants quand tout va bien, lorsqu'ils ont une petite faiblesse en mathématiques, on prend un petit cours et c'est réglé. Mais avec les 150 000 qui sont totalement « dans les choux », cela ne fonctionne pas. Je le répète, il faut faire du soutien mais dans la classe et toute l'année. Il ne faut pas les laisser s'enliser dans l'échec parce qu'après on ne peut plus les en sortir et c'est un traumatisme total. Ce sont des tout petits au CP et ils n'ont pas encore les moyens de digérer cet échec scolaire. Tout le système finlandais s'est organisé contre cela.
J'ai rendu un rapport au Premier ministre sur la crise dans lequel je fais deux propositions dont une qui vous intéresse particulièrement par rapport à l'autonomie des jeunes que vous évoquiez tout à l'heure, c'est une information que vous n'avez donc pas encore. Si vous pouviez regarder cela et me dire ce que vous en pensez. Il y a une proposition qui est de supprimer les 30 petites taxes sur les entreprises. Le système est totalement absurde. Si on veut que les entrepreneurs engagent des jeunes, il faut commencer par là. Ce sont des questions de fiscalité techniques. Il y a une autre proposition qui intéresse directement notre discussion. Cela s'est fait en partie en Grande-Bretagne, il s'agit de créer un « fonds de solidarité et d'autonomie » comme je l'appellerai. Cela consiste à doter chaque enfant à sa naissance d'une somme de 5 000 euros. J'ai regardé de très près comment cela marche en Grande-Bretagne. Cela coûte à peu près 4,5 milliards d'euros en régime plein. Cet argent tourne dans l'économie et est garanti par l'État. Il est placé pendant 18 ans. Les enfants touchent cette somme à leur majorité comme solde de tout compte. Ce qui permet de régler le problème de l'autonomie. Si tout va bien, la somme a augmentée bien évidemment.
L'idée est la suivante : on financerait cette dotation en mettant les allocations familiales sous conditions de ressources. Voilà le principe. C'est explosif en France mais je trouve cela scandaleux que Bolloré touche les mêmes allocations familiales que ma femme de ménage. Cela n'a aucun sens. Je n'ai pas besoin de mes allocations familiales, ce que je propose est assez raisonnable. Je propose de mettre les allocations familiales sous conditions de ressources en allant assez loin afin que les classes moyennes y soient intégrées. J'ai fait faire les calculs. On peut monter le curseur assez haut et gagner suffisamment pour financer ce fonds de solidarité et d'autonomie qui permettrait de rassurer les familles; cela permettrait aussi de créer un lien entre les générations. N'oubliez pas qu'on leur laisse une sacrée ardoise. 18 000 à 25 000 euros par enfant, ce n'est pas brillant ce que l'on fait en ce moment et ce n'est pas en train de s'arranger. Ce serait un lien entre les générations, cela sécurisait les parcours dans les familles et ce serait une façon de régler élégamment la revendication de l'autonomie étudiante. Et là, pour le coup, ce serait sans conditions de ressources sinon cela ne réglerait pas le problème de l'autonomie.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Mais en ce qui concerne l'autonomie, cela nous laisse un delta à condition que l'on mette votre idée à exécution tout de suite. Qu'est-ce que vous pensez de l'allocation d'autonomie ? C'est plutôt pour tous les jeunes, pour les étudiants, pour les apprentis, sous conditions de ressources?
M. Luc FERRY - Je propose de régler le problème par le dispositif que je viens d'évoquer et dans ce cas, je mets tous les jeunes dedans.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Qu'en est-il de la période intermédiaire entre aujourd'hui et le moment où le dispositif est mis en place?
M. Luc FERRY - Il y a toujours une phase de montée en puissance du dispositif. Il y a toujours un moment d'inégalité. On peut commencer par faire monter en puissance ce dispositif assez vite pour les catégories les plus modestes. Je dirais qu'» huiler » le dispositif est un détail mais je pense que l'idée est vraiment très bonne et qu'elle a des avantages gigantesques. On dit qu'il faut sécuriser le parcours des employés par rapport à la flexibilité de l'emploi, très bien. Mais je trouve que sécuriser le parcours des enfants dans une famille est primordial. Il faut que l'État fasse ce que n'importe quel bon père de famille ou mère de famille ferait naturellement pour ses enfants. Je trouve que cela serait formidable d'autant que l'on laisse à nos enfants une dette colossale.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - J'aurai juste deux petites remarques. Cela concerne les ATSEM, qui relèvent des écoles maternelles et sont donc payés par la commune. C'est juste une petite remarque qui vaut ce qu'elle vaut comme votre solution me paraît bonne. Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur votre jugement par rapport aux classes technologiques et éclaircir votre position?
M. Luc FERRY - D'abord sur les ATSEM, c'est un des réservoirs possibles pour mettre en place ce dédoublement. Au fond, cela valorise ces femmes. Personnellement, je l'avais fait avec des assistants d'éducation, des étudiants. Et je pense que l'on peut le faire avec les deux. Les assistants d'éducation relèvent de l'emploi aidé. C'est de l'emploi public, ce sont les emplois jeunes mais peu importe la façon dont les appelle.
Je vais vous répondre sur les classes technologiques. Quand un dispositif change de nom tous les trois ans, il faut se demander pourquoi. Parce que personne n'en veut. Voilà la vérité. Je connais très bien l'enseignement professionnel et je me suis toujours passionné pour. Si vous demandez à un proviseur d'un lycée professionnel ce qu'il a envie d'avoir pour élèves, il va vous répondre qu'il aimerait des élèves normaux. On essaye de ne pas avoir des élèves qui ne viennent pas des classes technologiques. Quand j'étais enfant cela s'appelait les cours complémentaires. Cela a changé de nom cent fois. Ce sont des classes « dépotoirs ». Et c'est un peu l'écueil des groupes de niveaux que j'évoquais tout à l'heure, si on met les mauvais avec les mauvais, ceux qui ont raté avec ceux qui ont raté. Je préférerais que l'on mette en place des parcours individuels en alternance deux après-midi par semaine dans un lycée professionnel si possible excellent comme le lycée d'Arras taille de pierre ou celui de Savigny-sur-Orge automobile, Strasbourg navigation fluviale ou dans de très bons lycées hôteliers ; il faut qu'on leur fasse découvrir si possible des métiers passionnants. Je préfère des parcours individuels. Et pour reprendre l'exemple de ce qu'avait mis en place Mme Jouannau, principal du collège d'Evry avec le lycée professionnel automobile de Savigny-sur-Orge qui avait bien marché, il faut que le principal du collège et le proviseur du lycée avec l'équipe pédagogique se mettent d'accord. On va faire un programme aménagé pour le jeune qui va faire de l'alternance. S'il a deux après-midi par semaine dans son lycée professionnel, il va falloir lui aménager son horaire. Dans ce cas-là, cela suppose évidemment un travail à part.
Quel est l'intérêt de ces classes technologiques par rapport au palier de fin de 5 e ? Je suis violemment contre. Pourquoi ? Parce que l'on va stigmatiser les enfants. Si vous les mettez dans un entonnoir comme c'est le cas avec l'apprentissage à 14 ans. Si un gamin qui déteste le collège, les programmes, les professeurs, est sorti de là et qu'il s'intéresse à un métier, il va avoir besoin de refaire un peu d'enseignement général pour réussir à passer un bac Pro. Je ne parle que pour les 150 000 enfants en échec scolaire. Il ne faut pas priver les enfants d'enseignement général à 12 ou à 14 ans sinon ils sont fichus. Ils n'arriveront pas au bac Pro. Il faut pour ces enfants que tout au long de leur scolarité l'éventail soit ouvert, et c'est ce que font les chefs de travaux dans les lycées professionnel avec les projets pluridisciplinaires à caractère professionnel (PPCP). Quand, par exemple, on prend un petit camion Citroën et qu'on le transforme en ambulance pour le Cameroun, cela permet de faire de la mécanique, de l'électricité mais aussi de l'histoire, de la géographie, du français pour écrire les lettres, c'est cela les PPCP. Cela leur permet de repiquer au jeu de l'enseignement général et de ne pas être totalement privé de cette ouverture d'esprit qui leur sera nécessaire s'ils reviennent un jour à de l'enseignement qui leur plaît. Et c'est ce que nous souhaitons tous.
Quelquefois, on voit ces jeunes, garçons ou filles, qui ne supportent plus d'être assis et en échec parfois depuis le CP. Le fait d'être debout, de réaliser des projets les enthousiasme. Ils vont se reprendre au jeu de l'enseignement et il faut le leur permettre ; cela suppose aussi qu'on aménage les programmes mais pas qu'on les supprime. Je suis contre ces classes. Non pas parce qu'il n'y aurait pas d'enseignement général - il y en a - mais parce que ce sont presque des classes de niveaux. Et cela n'est pas bien. Il vaudrait mieux, encore une fois, que cela soit des parcours individualisés. Cela demande plus de travail mais on sauve les enfants.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - D'ailleurs tout à l'heure, lorsque l'on a évoqué la sélection par l'échec, vous avez répondu que sélection par l'échec ou la réussite, peu importait. De toute façon, il y a sélection. Mais notre préoccupation concerne ces 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans rien. Hier, à votre place, on avait quelqu'un qui nous disait : « L'éducation nationale, c'est quand même fabuleux, c'est le seul endroit dont on peut sortir après dix ans sans rien, sans même l'aptitude de grimper à la corde ». C'est un peu ce problème que nous voulions évoquer mais vous y avez répondu en partie.
M. Luc FERRY - Il faut trouver des stratégies nouvelles pour sortir de l'échec. Les deux stratégies que je vous propose, ce sont d'une part, les dédoublements de CP, et les classes en alternance, d'autre part. Et je vous assure que si l'on met cela en place, cela changera tout. Et vous savez, ce chiffre des 150 000 que tout le monde reprend partout, j'ai mis deux ans alors que j'étais ministre de l'éducation nationale à l'obtenir. J'ai été insulté de toutes parts. J'ai reçu des lettres d'injures de Jack Lang qui me disait que j'étais un menteur. Parce que tout le monde sortait le chiffre de 59 000. En fait, j'avais fait vérifier ce chiffre par l'ancien directeur de cabinet de Jack Lang, ce qui était assez drôle. C'était 168 000 jeunes qui sortaient sans rien, à l'époque où j'étais ministre.
Il y en a 95 000 qui sortent sans rien du tout et en gros 60 000 de plus qui ont soit le certificat d'études, soit le brevet, soit éventuellement ce que l'on appelle des sorties à niveau. Mais c'est-à-dire soyons clairs, rien du tout. Et d'ailleurs, 95 000 n'ont de toute façon rien du tout. C'est donc 160 000, le véritable chiffre. Je me suis battu pendant deux ans et j'ai eu des centaines de papiers dans la Presse m'insultant et me reprochant d'avoir menti. Tout le monde aujourd'hui reprend le chiffre et il est même un peu sous-estimé.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Oui, M. le ministre, je suis très satisfaite parce que, dans les auditions que nous avons faites, vous êtes le seul à nous avoir parlé de l'enseignement professionnel et de la formation professionnelle initiale sous statut scolaire. Je trouve cela très intéressant, et j'ai entendu en creux dans ce que vous disiez que vous pensiez comme moi : l'apprentissage n'est pas la solution pour tout le monde. C'est une voie mais ce n'est pas la seule voie.
M. Luc FERRY - Et puis à 16 ans, pas à 14 ans.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - De toute façon cela ne se fait pas à 14 ans, alors on est d'accord. J'ai trois questions à vous poser sur l'enseignement professionnel. Vous avez dit que le bac professionnel avait été crée après le BEP. Qu'est-ce que vous pensez du Bac Pro en trois ans ? Deuxième question. Il y a aujourd'hui une vraie concurrence à la fin de la 3e pour les parents, entre formation professionnelle sous statut scolaire et apprentissage. L'apprentissage était ce que l'on faisait quand on n'avait pas d'autre solution. Le rapport a été inversé. Le lycée professionnel aujourd'hui a très mauvaise réputation. L'un des problèmes de la concurrence est celui-ci : les enfants qui sont en apprentissage à 16 ans touchent une rémunération, certes petite, mais étant donné la condition modeste de leurs parents en général, c'est un plus. Que pensez-vous de l'éventuelle rémunération des lycéens professionnels? Une troisième question plus générale. Est-ce que vous ne pensez pas que l'un problème de l'enseignement professionnel est le fait que ce soit des établissements séparés. Ne faudrait-il pas qu'il y ait dans un même lieu la filière générale, la filière technologique, la filière professionnelle sous statut scolaire et pourquoi pas l'alternance ? Ne serait-ce pas un moyen pour remettre une cohérence d'ensemble dans cet enseignement ?
J'ai une autre question qui n'a rien à voir avec celle-là, vous avez parlé du service civique, vous avez rendu un rapport là-dessus, vous parlez des chantiers, non pas un service civique individuel mais collectif. Ma question est la suivant : où ? Dans le milieu associatif, dans la fonction publique ? Dans le secteur marchand ?
M. Luc FERRY - Je vous répondrai, dans le milieu associatif et dans la fonction publique, dans les collectivités territoriales. J'exclus le secteur marchand sauf quelques exceptions comme des fondations. Ce serait « epsilonesque ». En Italie, on a évité le secteur marchand pour que ces missions d'intérêt général ne soient pas remplacées par des faux emplois. Je suis tout-à-fait d'accord avec votre dernière proposition qui rejoint d'une certaine manière le lycée des métiers. Il faut être franc. Cela supposerait quoique l'on en dise, que l'on se batte contre le mépris qui anime les professeurs d'enseignement général à l'égard de leurs collègues de l'enseignement professionnel. Ne serait-ce que parce qu'ils sont bi-disciplinaires. Vous le savez très bien, vous avez l'air de très bien connaître ce dossier. J'avais proposé quelque chose à cet égard. Beaucoup de gens me disent : « vous aviez annoncé des choses, que ne les avez-vous pas mises en place ». Ils ne se rendent pas compte.
J'arrive au mois de mai au ministère, la rentrée de septembre est déjà faite depuis décembre qui précède. Pendant un an et demi, je regarde passer les trains. La durée de vie d'un ministre de l'éducation est d'un an voire un an et demi. C'est juste la durée qu'il faut pour ne rien faire, d'où le sentiment pour nos concitoyens que le mammouth n'est pas réformable. Depuis mon départ, j'ai eu trois successeurs. Cela n'a pas de sens : Gilles de Robien, François Fillon qui n'y est resté même pas un an, et Xavier Darcos qui d'après ce que l'on dit dans la presse n'a pas vocation à rester dix ans. Nous sommes dans une situation absurde. Aucun d'entre nous ne peut faire quoi que ce soit. Je referme la parenthèse. Je vais dans le sens de ce que vous dites. Il faudrait réformer les IUFM et obliger tous les professeurs d'enseignement général à passer au moins un mois en lycée professionnel afin qu'ils sachent à quoi cela ressemble. Donc je suis d'accord avec le point trois. Je pense que certains lycéens, pourquoi pas, de la voie professionnelle, lorsque cela se justifie, pourraient rémunérés. Je ne suis pas systématiquement pour. Comme pour la rue d'Ulm par exemple où j'ai enseigné longtemps pour la préparation à l'agrégation, j'ai toujours été contre le fait que l'on paye les élèves. J'ai toujours trouvé cela scandaleux et j'ai toujours trouvé que cela s'apparentait à une forme de corruption. En revanche, quand les élèves travaillent et qu'on les utilise presque comme des ouvriers, pourquoi ne pas les payer? Par exemple, dans un lycée professionnel automobile, les élèves font un vrai travail. Ils réparent les véhicules de clients et là je trouve qu'il serait normal de les payer.
Enfin, en ce qui concerne le bac Pro en trois ans, je pense que cela devrait être une possibilité non systématisée. Je pense que comme toujours et ça c'est un principe général, quand vous faites une réforme pour économiser des postes, en vérité, vous n'y arrivez jamais. Il faut que nos autorités politiques comprennent un jour et tant qu'ils ne l'auront pas compris, il ne se passera rien dans l'éducation nationale, que les réformes pour supprimer des postes ne passent pas. Vous pouvez faire des réformes et ne pas supprimer de postes. Vous pouvez supprimer des postes sans faire de réforme. Mais vous ne pouvez pas faire les deux. Aucun ministre n'a jamais réussi à faire de réforme de l'éducation nationale, si minime soit-elle, quand le but de la réforme était de supprimer des postes. Pourquoi? Parce que 98 % de nos concitoyens sont contre les suppressions de postes à l'éducation nationale, cela émane d'un sondage paru dans le Figaro à l'époque où j'étais ministre. Cela va bien au-delà de la gauche. Personne n'a réussi à faire quelque réforme d'envergure quand on le suspectait, d'ailleurs à juste titre, de vouloir supprimer des postes parce que cela se voit et les syndicats ne sont pas idiots. Ils sont très compétents et notamment au CNES. Malheureusement, concernant le bac Pro en trois ans, vous savez bien ce qu'il y a derrière ; cela ne peut pas se passer dans ces conditions-là et c'est ce qui s'est passé pour la réforme du lycée, ce qui est dommage puisqu'elle était très bonne.
Mais au fond, il faudrait sanctuariser l'éducation nationale. Il faudrait que le Président de la République et que le Premier ministre confient le budget de l'éducation nationale pendant cinq ans à la même personne ; alors tout deviendrait possible. Et en plus, il était idiot - je l'avais dit à Alain Lambert et je l'ai dit cent fois à Jean-Pierre Raffarin - de me faire supprimer des postes. Mais pour une fois que j'ai un patron, je suis bien obligé d'obéir. Mais je leur ai dit : « vous verrez, vous serez obligé de les remettre et vous en remettrez trois fois plus ». C'est exactement ce qui s'est passé. Je me souviens de façon précise, Dominique de Villepin m'a appelé tout fier en me disant : « on remet les emplois jeunes ». Et avec le plan Borloo, on les a même multipliés par trois. S'ils pouvaient comprendre qu'il faut du temps et que les réformes doivent être accompagnées, ce serait bien et cela servirait au prochain ministre de l'éducation nationale.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice - Pour rester dans la continuité de ce qui vient d'être dit, nous n'avons pas beaucoup parlé des IUT. Que pensez-vous de leur devenir dans cette réforme des universités même s'il est un peu tard pour cela ? Il y a une question de financement, de taxe, d'apprentissage professionnel.
M. Luc FERRY - Ecoutez les IUT, cela marche très bien. J'ai toujours dit qu'il ne fallait pas aller vers le LUT. C'est à dire ne pas les mettre dans le système LMD. Il y a des Licences Pro, des Masters Pro. On peut très bien travailler avec ça. Pourquoi je suis contre du LUT? Cela signifie passer le diplôme en trois ans et on a besoin de formation courte. Pour les milieux modestes, il est vital d'avoir des formations performantes et néanmoins courtes. Il ne faut pas que cela dissuade les parents. Le bon système, c'est le lycée des métiers. Le lycée des métiers tels que je l'imagine comprendrait tout cela.
Après, un enfant pourra continuer et aller jusqu'au master. Les BTS et IUT fonctionnent très bien, il faut garder ces formations courtes, quitte à ce que ceux qui en ont les moyens et le talent aillent plus loin via les voies universitaires. J'avais dit à mon collègue Bayrou qui attaquait toujours le LMD, le 3-5-8, en prétendant que cela allait détruire les filières courtes. Cela n'a pas été le cas. Les filières courtes restent très attractives. Il faut qu'il y ait des filières courtes dans toutes les formations professionnalisantes. Il faut que cela soit efficace. C'est l'opinion que je me suis faite en y réfléchissant bien.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice - Que pensez-vous du nouveau projet de réforme des IUFM? Et que pensez-vous de l'introduction dans la formation des maîtres d'un stage en entreprise?
M. Luc FERRY - Le stage je ne vois pas comment être contre. Que l'on soit de gauche, de droite, révolutionnaire ou libéral peu importe, il faut savoir à quoi ressemble le monde réel. Je suis pour ce qui peut faire connaître le monde réel et donc l'entreprise aux enseignants. Le problème avec la question de la réforme des IUFM, c'est que je ne sais pas ce qu'il va y avoir à la place. Supprimer les IUFM, d'accord mais il faut savoir ce que l'on fait. Je pense que cette réforme des IUFM n'a pas été très bonne. Pour le premier degré, pour les instituteurs, la formation professionnelle est très importante.
Vous pouvez faire un cours en seconde, en terminale. On y arrive. Mais aller faire un cours d'apprentissage de la lecture en CP, si vous n'avez pas appris, vous n'êtes pas capables de le faire. Je dois être le seul ministre de l'éducation nationale à être capable de faire un cours d'apprentissage à la lecture en CP, j'ai été professeur en école normale. Les maîtres d'application étaient très utiles, c'est mieux que les IUFM. Si l'on dit, on supprime les IUFM, très bien mais on ne peut pas laisser partir nos enseignants dans des classes sans leur avoir donné un minimum de formation surtout pour le primaire. J'attends de voir ce que l'on met à la place, sauf que je n'en ai toujours pas la moindre idée. Il n'est donc pas facile de vous dire ce que je pense de la réforme des IUFM.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci mille fois. M. le rapporteur et moi-même sommes très préoccupés depuis le début de cette mission par l'envie de faire des propositions très concrètes. Et nous avons l'impression d'enfoncer des portes ouvertes. Depuis que vous nous avez dit que les jeunes ont moins peur que leurs parents, que l'angoisse vient davantage des parents, vous nous enlevez un gros poids.
Table ronde « Associations de jeunesse »
(13 mai 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la Mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je vous remercie d'être nombreux, de nous avoir consacré votre après-midi pour nous aider dans notre travail que je vais vous préciser. Cette mission s'est mise en place voici un peu plus d'un mois ; nous avons souhaité, tandis que Martin Hirsch travaille et réfléchit sur cette problématique des jeunes, que l'exécutif ne soit pas seul à plancher sur ces questions mais que le législatif travaille en parallèle sur ces réflexions. Nous nous sommes donné deux mois seulement, alors que d'habitude on a six mois pour réaliser une mission car nous voulions travailler en parallèle avec le calendrier de Martin Hirsch.
Nous avons choisi la tranche 16-25 ans en sachant que ce n'était pas exhaustif, que les problèmes des jeunes commençaient avant et souvent ne s'arrêtaient pas à cet âge-là. Nous avons choisi de concentrer nos efforts sur quelques thèmes qui nous ont paru essentiels bien que non exhaustifs : les thèmes de l'emploi et tout ce qui tourne autour de l'emploi, c'est-à-dire la formation, l'orientation et l'emploi ; deuxième thème, l'autonomie des jeunes, autonomie financière, problème de logement, et autour de ces deux thèmes qui mobilisent l'essentiel de notre réflexion viennent se greffer les problèmes de santé et de citoyenneté ; on pense aux problèmes d'accès au sport, à la culture, etc. mais il nous a semblé que nos efforts devraient porter sur les thèmes que je viens de vous citer.
Pourquoi cela ? Au risque d'enfoncer des portes ouvertes, je vous rappelle quelques chiffres : le taux de chômage des jeunes en France est l'un des plus élevés d'Europe ; pour nous, il n'y a pas de fatalité et il n'y a aucune raison que notre pays s'en sorte moins bien que d'autres, donc il nous semblait que cela méritait de réfléchir pour améliorer les choses. 1 jeune sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté. On considère qu'il faut environ 10 ans à un jeune diplômé pour stabiliser sa vie professionnelle, les premières années se partageant entre stages, emplois précaires, de nouveau, stages, etc., et on constate que pour la première fois depuis longtemps les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents. Enfin, derniers chiffres, qu'on connaît tous et sur lesquels il serait temps de ne plus faire l'impasse, de notre point de vue : 150 000 jeunes sortent du système scolaire chaque année sans qualification, sans diplôme, sans formation, sans même, comme le disait une personne qu'on auditionnait, qui était à votre place la semaine dernière, un certificat d'aptitude à grimper à la corde, comme si on pouvait après dix ans sortir de l'éducation nationale sans rien avoir acquis. Tout cela mérite donc, de notre point de vue, qu'on regarde les choses d'un peu plus près. Ces problèmes, malheureusement, ne sont pas conjoncturels mais structurels, et sont déjà anciens. La crise actuelle aggrave la situation, naturellement puisqu'en un an le chômage des jeunes a augmenté de 34 %.
Nous voudrions donc que vous nous aidiez à analyser la situation et à faire quelques propositions concrètes sur ces différents problèmes. Nous avons quelques questions à vous suggérer ; je vous les livre : vous avez le droit de déborder et d'intervenir de la manière qui vous paraît la plus opportune compte tenu des structures dans lesquelles vous vous investissez. Nous souhaitions donc vous poser les questions suivantes.
Quels sont selon vous les dispositifs de politique de la jeunesse qui sont particulièrement efficaces ? Estimez-vous que certaines actions pourraient être améliorées ? Deuxième question : la stratégie de l'État vers la jeunesse doit-elle selon vous être définie de manière globale ou doit-elle s'adresser spécifiquement aux jeunes en difficulté ? Depuis le début de cette mission, surtout quand on parle d'autonomie des jeunes, et même d'autres mesures d'accompagnement à l'emploi ou de formation, on se pose la question de savoir si ces mesures doivent être valables pour tous ou si elles sont spécifiques à certains, au risque de stigmatiser une certaine catégorie de jeunes.
Troisième question : Seriez-vous favorables à la montée en puissance du service civil volontaire ? Les modalités administratives d'entrée dans le dispositif et les conditions financières actuelles vous apparaissent-elles satisfaisantes ?
Quatrième point : Comment pourrait-on valoriser l'engagement associatif des jeunes dans le cursus scolaire ? Comment améliorer les partenariats entre les structures locales consacrées à la jeunesse et le monde associatif ?
M. Guillaume LÉGAUT, président de l'Association Scouts et guides de France - Je commencerai par deux mots pour vous dire de quel point de vue nous parlons et ce qui nous relie finalement très directement à la question des jeunes. Aujourd'hui, les Scouts et guides de France représentent 67 000 adhérents, un mouvement qui est en croissance assez forte - on a connu une croissance de 7 % des effectifs l'année dernière - et si l'on regarde le public des jeunes adultes engagés à titre bénévole, aujourd'hui, on représente 13 000 jeunes de 18 à 25 ans engagés bénévolement dans le mouvement. J'ajouterai aussi un petit mot pour vous permettre de cerner les relations avec l'État : le budget de l'association consolidé sur l'ensemble du territoire est de 36 millions d'euros aujourd'hui et les subventions publiques représentent un petit peu moins de 9 %, dont 3,5 % de l'État, le reste venant des collectivités locales.
Notre mission est avant tout une mission d'éducation et de soutien à l'engagement civique des jeunes dans la société, où nous sommes un mouvement d'éducation et en même temps un mouvement de jeunes. Ce qui caractérise - ai-je envie de dire - l'expérience que nous avons de l'accompagnement des jeunes dans le scoutisme est en particulier la durée d'engagement puisque l'on propose des activités qui ne sont pas ponctuelles mais ont lieu tout au long de l'année et amènent donc les jeunes à s'engager sur une certaine durée.
Cela me permet ainsi d'enchaîner directement sur une des questions que vous posez : quel est le regard un peu général que nous portons sur la politique de jeunesse et sur les enjeux ? Nous constatons - évidemment, nous avons une focale tournée sur la dimension éducative des enjeux de l'insertion des jeunes aujourd'hui dans l'emploi et la question de l'autonomie - que, d'une certaine manière, le système éducatif aujourd'hui dans notre pays a tendance à apprendre de plus en plus de connaissances aux jeunes sans leur permettre d'acquérir autant de savoir-faire et de savoir-être qui sont extrêmement nécessaires à la fois pour leur insertion sur le plan de la société et en particulier sur le plan de leur insertion professionnelle. On constate aussi que la société a tendance, et en particulier les familles, à donner de plus en plus d'indépendance aux jeunes et de moins en moins d'autonomie, et qu'il y a un vrai enjeu aujourd'hui probablement à ce que l'ensemble des acteurs de la société prenne conscience qu'il faut que l'on crée un vrai espace pour l'éducation non formelle, cette forme d'éducation qui est à la fois un peu structurée et en même temps qui donne la possibilité pour les jeunes de vivre des expériences qui vont leur permettre de se construire et de construire leur parcours d'insertion. Ce point nous semble assez important. Si l'on veut essayer de dire, du coup, en quelques mots, comment on envisage l'approche de la politique de jeunesse, il nous semble clairement qu'elle serait une politique d'État avant d'être une politique de gouvernement ; c'est quand même une politique qui vise à préparer la prochaine génération de citoyens et pas la prochaine élection - ai-je envie de dire pour faire un petit jeu de mots dans cette maison, même s'il est vrai que les sénateurs font partie des élus qui ont une certaine vision du temps et du long terme et justement, c'est probablement important en matière de jeunesse !
Un deuxième aspect qui nous semble très important est la dimension - et cela répond à une de vos questions - globale de cette politique, intégrée, transsectorielle et qui réponde de manière cohérente - ai-je envie de dire - à l'ensemble des enjeux de la jeunesse. C'est probablement un des points, quand on regarde la situation aujourd'hui en comparaison d'autres pays européens, sur lesquels nous avons un handicap dans notre pays pour arriver à créer cet espace d'articulation entre les différents secteurs ministériels qui ont à répondre à la jeunesse.
Autre point qui nous semble fondamental : cette politique doit être construite sur un vrai consensus avec les jeunes eux-mêmes et cela rejoint cette idée d'une politique d'État à long terme. On doit arriver à construire cette politique avec la participation des jeunes ; une audition comme celle que vous faites aujourd'hui est extrêmement importante mais il nous semble qu'il y a nécessité de développer dans le pays d'autres espaces de concertation plus forts. Alors, avant de passer la parole à mon collègue, je veux juste souligner quelques priorités auxquelles nous sommes attachés dans le mouvement, qui nous semblent des enjeux et sur lesquelles on peut peut-être arriver, à travers la réflexion engagée aujourd'hui par vous et par Martin Hirsch, à faire avancer certains points dans le domaine de la politique pour les jeunes. Je l'ai dit en introduction, il nous semble essentiel d'arriver à mieux reconnaître l'éducation non formelle - et nous allons vous faire une ou deux propositions très concrètes dans ce sens-là. Il nous semble que la question du bénévolat doit être vraiment prise en considération : l'insertion des jeunes ne passe pas que par une question d'insertion professionnelle. Au fond, il y a un dynamisme et une motivation forte autour de l'engagement chez les jeunes, qu'il faut pouvoir accompagner. Bien entendu, en tout cas, dans notre association, les gens sont très favorables à l'idée d'un service civique, parce qu'il peut permettre justement d'aller un petit peu dans ce sens-là. Il nous semble que la question du développement durable est un enjeu fort autour duquel il y a aujourd'hui une vraie mobilisation et une vraie sensibilité des jeunes et qu'en plus, c'est un enjeu sur lequel les jeunes peuvent contribuer à faire bouger un petit peu la société, et du coup, à retrouver leur place, d'être vraiment des acteurs et pas simplement une sorte de poids à traiter. J'ai été frappé dans le petit mot introductif que vous avez fait où vous soulignez les difficultés de la jeunesse ; nous aurions envie de souligner avant tout ses atouts : la jeunesse est une formidable richesse pour notre pays et je crois qu'il y a un vrai enjeu à lui permettre de participer à la construction du projet d'avenir de notre pays.
Si vous le permettez, nous allons vous donner un éclairage sur deux des questions plus spécifiques que vous aviez posées, à propos du service civique et de l'engagement bénévole.
M. Philippe BANCON, délégué général de l'Association Scouts et guides de France - Voici deux éclairages sur les questions que vous posez à propos du service civil volontaire. Aujourd'hui, notre expérience de cette question nous montre qu'il représente un véritable atout pour les jeunes qui sont dans ce dispositif. Cela représente d'abord une véritable expérience humaine et personnelle - en tout cas, c'est comme cela que le vivent la très grosse majorité de ceux qui sont dans ce dispositif - avec le sentiment d'être utiles, et quand on parle d'insertion sociale, cette question-là est certainement centrale, comme le disait Guillaume, la question n'est pas uniquement professionnelle. On voit que cela représente également un tremplin vers l'emploi parce que c'est en même temps une véritable expérience professionnelle - en tout cas, cela en a tous les atouts - en particulier en ce qui concerne l'orientation : les jeunes qui choisissent de s'investir dans tel ou tel secteur d'activité le font en se posant des questions, ils ont le temps à travers ce service civil de réfléchir à leur orientation. Par ailleurs, ils remplissent une véritable mission d'intérêt général et c'est un atout pour la société. Qu'est-ce qui marche bien aujourd'hui dans ce dispositif ? On pourrait dire d'abord que nous sommes satisfaits de la formation civique et de l'accompagnement que les associations reçoivent dans ce domaine, en tout cas, nous trouvons que cela marche bien. Quels sont les points qui restent à travailler pour le rendre un peu plus efficace ? Premièrement, la question du tutorat : pour que ce service civique puisse fonctionner correctement, il s'agit d'avoir des tuteurs dans la structure, l'association en ce qui nous concerne, qui puissent accompagner les jeunes tout au long du service civil. Aujourd'hui, nous estimons que, pour que ce soit vraiment efficace, il faut un tuteur pour 5 jeunes pour avoir vraiment un bon accompagnement, en particulier sur la question de l'accompagnement professionnel pour la suite, puisque c'est certainement sur ce sujet-là qu'il est le plus important de pouvoir accompagner de manière rapprochée les jeunes qui sont dans ce dispositif. Or il n'y a pas de financement ni de soutien de cet aspect : là, il y a un point d'attention nécessaire pour rendre le dispositif le plus efficace possible, en particulier sur cette question de l'insertion professionnelle, et pouvoir travailler sur ce tutorat dans nos structures. Nous rencontrons aussi des difficultés dans ce dispositif au sujet du financement, qui est, de fait, remis en question en tout cas chaque année par l'interrogation qui nous laisse peu de lisibilité, de visibilité, de capacité à se projeter au-delà d'une année, ce qui rend l'action un peu difficile par rapport aux missions, qui s'inscrivent, elles, dans le temps ; pour que les missions soient réellement utiles et correspondent vraiment à un enjeu d'utilité sociale, il faut qu'elles puissent s'inscrire dans le temps et se dérouler d'un volontaire à l'autre. Ensuite, nous trouvons de fait que 9 mois couvrent une durée un peu courte - en tout cas, c'est la limite qui nous est donnée en termes de financement - et pour les missions que les jeunes remplissent, 12 mois seraient bien plus préférables à ces 9 mois. Ensuite, pour terminer peut-être, une difficulté autour de la reconnaissance et de la connaissance de ce statut dans la société : on a du mal à recruter des jeunes - alors que, de fait, ceux qui répondent sont enthousiastes -, certainement par manque de connaissance tout simplement, et de communication autour du dispositif et de l'intérêt que les jeunes peuvent y trouver. C'était le point numéro 3 dans vos questions.
Dans le point numéro 4, vous nous demandiez comment valoriser l'engagement associatif des jeunes dans la société. Valoriser veut dire « donner de la valeur » ; naturellement, nous pensons à donner de la valeur à la générosité et à l'engagement des jeunes qui sont dans le milieu associatif ; il nous semble important de pouvoir appuyer également fortement sur la question des compétences acquises. Aujourd'hui, les jeunes qui sont engagés chez les Scouts et guides de France donnent beaucoup de temps, en prennent pour se former, acquièrent de réelles compétences en particulier sur les questions relationnelles (savoir-être, travail et management d'équipe, gestion de projet, sens de l'efficacité). Tout cela nous semble être certainement une porte d'entrée importante pour pouvoir donner de la valeur à cet engagement-là et l'appuyer fortement ; donner de la valeur signifie aider les jeunes à prendre conscience eux-mêmes de la valeur de leur engagement et de leurs compétences ; ils ne font pas toujours naturellement le lien entre ce qu'ils peuvent acquérir dans le milieu associatif et la manière dont ils peuvent ensuite utiliser ces compétences en formation mais également dans le milieu professionnel. Il y a certainement une piste de travail autour de la valorisation de ces compétences auprès des entreprises et du monde de l'enseignement, des universités, des écoles mais aussi des lycées professionnels, pour les jeunes qui sont en bac professionnel par exemple, pour pouvoir valider grâce à un système qui soit un peu général, qui ne soit pas propre à chaque association, à chaque secteur qui va négocier avec chaque université, ce qui est un peu le cas aujourd'hui, où l'on permette aux jeunes de valoriser, à travers des options par exemple, ces compétences qui sont acquises dans le milieu associatif. Le point important pour nous est de défendre l'idée d'un bénévolat engagé, c'est-à-dire de faire en sorte que l'on puisse mettre un éclairage particulier sur les jeunes qui donnent du temps, c'est-à-dire pour nous au moins 200 heures par an, sur un engagement un peu lourd, qui nécessite une formation et donc l'acquisition de compétences dans notre association et qui représente également un service et une véritable utilité dans la société. Ces trois critères permettraient donc peut-être de définir ce qu'on appellerait le « bénévolat engagé » et d'avoir une espèce de statut, ou en tout cas de présentation auprès des universités et du monde professionnel pour pouvoir justement aider à valoriser, comme vous le demandiez au départ, cet investissement.
M. Gildas LE BARS, chargé des relations extérieures d'Unis-Cité - Comme vous venez de le dire, je représente ici l'association Unis-Cité. Nos amis des Scouts et guides de France ont déjà beaucoup parlé et commencé à aborder le thème du service civique volontaire actuel et futur. Unis-Cité est l'association pionnière du service civil volontaire en France et nous travaillons, avec l'ensemble des acteurs, à essayer de développer cette idée, que ce soit en accueillant des jeunes à Unis-Cité (on accueille aujourd'hui plus de 900 jeunes en service civil volontaire chaque année) mais également en faisant en sorte que le plus possible d'associations puissent accueillir des jeunes en service civil volontaire.
Vous l'avez dit, le calendrier de votre mission colle à celui de la commission Hirsch : je crois que c'est important car il y a en effet toute une réflexion qui va être ainsi menée sur la jeunesse. On a rappelé suffisamment que certains jeunes aujourd'hui ont l'impression d'avoir des perspectives plus bouchées que les perspectives qu'ont eues leurs parents. Si on s'attaque directement à ce qu'on peut proposer aux jeunes aujourd'hui, nous connaissons bien le dispositif du service civil volontaire. Clairement, nous avons, depuis 1994, accueilli plusieurs milliers de jeunes en service civil volontaire : nous voyons que cela marche et que ce dispositif aujourd'hui reçoit un accueil favorable de la part des jeunes qui le font mais est aussi trop méconnu et - vous l'avez souligné - il n'y a jamais eu, à propos du service civil volontaire, de communication globale, de grande campagne qui permette d'informer les jeunes, à l'occasion des JAPD peut-être, ou dans les établissements scolaires, de grande manifestation médiatique sur l'existence du service civil volontaire, ce qui est dommage. Pour autant, il est très positif pour les jeunes qui s'y engagent. Nous évaluons régulièrement l'impact par des questionnaires et nous nous rendons compte de plusieurs choses : d'une part, les jeunes sont satisfaits de leur service civil - cela peut paraître stupide mais c'est déjà une première étape essentielle -, ils ont l'impression d'avoir été utiles et d'autre part, ils en sortent avec des atouts. Le premier atout est la rencontre de jeunes et de personnes appartenant à d'autres milieux, ils sont sortis de leur milieu habituel, quel qu'il soit, que ce soient des jeunes qui avaient suivi des études longues, des jeunes qui étaient issus de quartiers ou des jeunes ruraux, ils ont tous pu avoir l'occasion de rencontrer des jeunes de milieux différents, de se rendre utiles et de développer leur citoyenneté. Dans nos études d'impact, nous constatons que nous avons eu aux élections présidentielles des taux de participation de plus de 95 %, c'est-à-dire que les jeunes en service civil volontaire à Unis-Cité ont voté à plus de 95 % ; quand on compare avec la moyenne nationale du vote des jeunes, c'est assez intéressant. Par la suite, les jeunes savent aussi beaucoup mieux ce qu'ils veulent faire, ont une idée de leur parcours professionnel plus construite, et ont surtout réfléchi à la manière d'y arriver. On retrouve ainsi à ce propos la notion de l'accompagnement qui est importante et joue beaucoup sur ces bons résultats.
Votre deuxième demande voulait savoir si la politique en faveur des jeunes doit être ciblée ou générale. En tout cas, pour ce qui est du service civil volontaire, nous avons aujourd'hui une politique générale qui s'adresse à tous les jeunes. A Unis-Cité, nous apprécions beaucoup de mélanger les jeunes, de les faire se rencontrer entre eux, d'avoir de la mixité, mais cette démarche demande un effort permanent : en effet, avoir une politique globale, un dispositif public ouvert à tous les jeunes est une bonne chose mais ce n'est pas suffisant ; si un dispositif est ouvert sans que l'on aille plus particulièrement chercher les jeunes les plus éloignés de l'engagement, de l'insertion, ils ne vont pas venir tout seuls ; on sait très bien qu'aujourd'hui, si les associations n'allaient pas chercher les jeunes des quartiers, les jeunes ruraux, ils ne s'engageraient pas dans le service civil volontaire spontanément parce qu'ils sont loin de l'information, qu'ils y ont un accès moins aisé. Il ne s'agit pas seulement d'avoir les mêmes droits mais il faut aussi un réel effort public et associatif pour aller chercher ces jeunes-là ; pour cette raison, nous travaillons beaucoup avec les missions locales, notamment afin d'avoir des actions de communication directement dans les quartiers, en milieu rural et partout où sont les jeunes les plus éloignés de cette insertion. Après ce que j'ai dit, j'imagine que vous aurez compris que nous sommes très favorables à la montée en puissance du service civil volontaire pour toutes les raisons que j'ai évoquées. On peut également l'appeler le service civique. L'objectif du rapport Ferry était d'atteindre 10 % d'une classe d'âge, soit un peu plus de 60 000 jeunes chaque année : cet objectif nous semble intéressant à moyen terme. Monter en puissance avec 10 % d'une classe d'âge révèle que le dispositif est significatif, qu'on peut en évaluer l'impact et en promouvoir une réelle connaissance par l'ensemble des jeunes. Cet objectif nous semble tout à fait atteignable, sachant qu'un sondage réalisé auprès de plus de 1 000 jeunes montrait l'année dernière que 35 % d'entre eux se disaient prêts à accomplir un service civil volontaire de 6 mois si cela leur était proposé : 35 % équivalent à 260 000 jeunes chaque année. Je pense donc qu'en termes de recrutement, la marge est importante : cela prouve que les jeunes sont prêts à s'engager et à agir. Cette montée en puissance est à l'état de réflexion et il y a actuellement, me semble-t-il, un large consensus auprès des organisations investies dans l'accueil des jeunes en service civil volontaire. Martin Hirsch avait proposé l'idée de grandes missions : il paraît en effet intéressant d'avoir des grandes missions sur l'environnement, sur le lien inter-générationnel, sur toutes les problématiques majeures de notre société. Ces grandes missions doivent exister pour permettre, sur de grandes thématiques, de montrer précisément l'impact que peuvent avoir les jeunes qui s'engagent mais elles doivent aussi exister aux côtés de missions plus spécifiques, plus locales et plus adaptées à certains territoires : je pense qu'il ne faut pas réserver uniquement le service civil volontaire à quelques grandes missions en oubliant l'intérêt et l'impact que cela peut avoir de laisser la place aux initiatives des jeunes, des collectivités locales et des associations présentes sur le terrain tous les jours. Nous défendons vraiment cette idée de grandes missions qui coexistent au côté de missions plus spécifiques, locales, et laissant de la place aux initiatives.
Sur les derniers points que vous souhaitiez aborder à propos de la reconnaissance dans le cursus scolaire et universitaire, ou en tout cas supérieur, il est bien sûr essentiel que le service civique soit reconnu. Là aussi, un certain consensus se dégage sur la reconnaissance de crédits ECTS au sein des universités lorsqu'un jeune accomplit un service civil volontaire. Il faut également aller plus loin sur la reconnaissance des acquis de l'expérience : ce sont des sujets très techniques sur lesquels le consensus existant permettra d'avancer.
Vous abordez également les partenariats entre les missions locales et les associations. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, 21 % des jeunes qui viennent faire leur service civil à Unis-Cité sont passés par une mission locale ou, en tout cas, ont eu des informations sur le service civil via leur Mission locale : pour nous, aller chercher les jeunes qui sont dans les missions locales pour pouvoir les accompagner et leur faire connaître le service civil est un axe très fort. C'est, je crois, un exemple de tout l'intérêt que peut avoir le travail avec la mission locale. Nous le faisons, cela marche ; je n'ai pas de réponse sur la façon d'améliorer les partenariats : nous avons en tout cas un partenariat qui fonctionne.
M. Samir BENSAADI, délégué national à la jeunesse de la Fédération Léo Lagrange - Le fondateur de la Fédération Léo Lagrange est Pierre Mauroy ; créée en 1950, la fédération a bientôt 60 ans et se revendique mouvement de jeunesse et d'éducation populaire.
Sur les questions qui ont été posées, nous sommes en phase notamment avec les questions qui ont été posées par le collègue d'Unis-Cité à propos de l'engagement et de la formation non formelle. Nous sommes aussi associés à ces réflexions en tant que mouvement d'éducation populaire. Nous vous remercions de nous avoir invités et de nous demander de participer à cette réflexion-là. Je reprends le fil des éléments que vous nous avez fournis en préambule. Tout d'abord, la précision sur les 16-25 ans est intéressante. Lorsqu'on évoque la question de la jeunesse, on a tendance effectivement à être dans la confusion totale. Certains services de la jeunesse concernent les enfants dès 3 ans ou 6 ans. On évoque la jeunesse aussi en l'assimilant à la phase de l'adolescence. Il nous paraît donc intéressant et pertinent de traiter spécifiquement de la tranche des 16-25 ans : la scolarité se termine, c'est un moment où des questions un peu différentes se posent aux jeunes, auxquelles, du coup, il faut apporter des réponses spécifiques et un traitement particulier.
Vous avez évoqué quatre points : l'emploi et la formation, la question de l'autonomie (là-dessus la Fédération Léo Lagrange est assez engagée et défend notamment l'idée d'un contrat d'autonomie), la question de la santé et de la citoyenneté. J'aurais envie, même si ce n'est pas tout à fait en lien avec ce que vous évoquiez sur ces quatre points-là, de parler aussi de la question du temps libre qui est essentielle et importante pour les jeunes, et de la gestion du temps libre utile, cet élément pouvant rejoindre pour partie ce que disait les collègues sur la question du service civil volontaire. La question des loisirs est aussi un temps important pour les jeunes, si l'on se situe à la place du jeune, il va aussi falloir traiter de la question de l'accès aux loisirs et de l'accès égal pour tous. Au-delà, la question de la mobilité sociale et géographique ; les questions de mobilité en général me semblent aussi intéressantes à traiter le jour où l'on évoque ces questions-là et à quelques semaines des élections européennes car elles concernent la citoyenneté européenne et la vision que l'on peut avoir de son territoire. Ce sont aussi à mon avis des questions qu'il serait bon de pouvoir traiter au sein de la mission.
Je vais essayer de répondre rapidement aux questions que vous posiez ; puis il y aura peut-être un temps qui, par la suite, me permettra de rebondir différemment, en associant les deux premiers points à la question de l'efficacité des dispositifs jeunesse et en reprenant votre opposition entre politique globale et spécifique. J'ai dû mal à opposer politique globale et politique spécifique : concrètement, la politique est nécessairement globale lorsque l'on s'adresse aux jeunes. Néanmoins, il y a nécessité à travailler sur les jeunes, sur ce qu'ils sont aujourd'hui, sur les territoires, sur leurs parcours, leur trajectoire, leurs spécificités, donc sur la marge, et à produire aussi des dispositifs nécessairement spécifiques à l'attention de cette frange particulière de la population qui n'est pas toujours concerné par ce que l'on appelle le droit commun. Nous sommes quant à nous favorables à ce que certains appellent maladroitement la « discrimination positive ». A un engagement particulier des dispositifs publics pour les populations qui méritent une attention particulière et en mettant donc plus de moyens là où il y a plus de besoins. C'est un élément important qui relèverait parfois de dispositifs particuliers.
Cela fait par conséquent le lien avec la première question sur l'efficacité. Elle est toute relative parce qu'elle dépend des objectifs assignés au dispositif et du public ciblé. Quand on parle du service civil volontaire, on rencontre un certain succès ; mais lorsque l'on observe les jeunes qui en bénéficient, il faut se questionner sur ceux qui systématiquement se retrouvent en décalage par rapport à cette proposition. L'efficacité est à mesurer au regard des enjeux et des objectifs assignés à ces dispositifs, d'où la question de la spécificité.
A propos de l'engagement associatif des jeunes, que nous élargissons à l'engagement associatif en général et qui est important pour nous, il faut s'interroger sur les modes d'engagement des jeunes ; en effet, les schémas d'il y a 15-20 ans ont totalement changé donc il faut considérer l'engagement des jeunes tel qu'il s'inscrit aujourd'hui dans leur diversité. Or la question de l'association telle qu'elle est constituée aujourd'hui n'est pas forcément la réponse la mieux appropriée : aujourd'hui, de très nombreux groupes de jeunes constitués sur le territoire ont des activités extrêmement intéressantes mais ne sont pas forcément érigés en associations, du moins déclarées. Ainsi, il s'agit d'un élément important à prendre en considération si l'on veut pouvoir mesurer ce qu'est effectivement l'engagement collectif des jeunes aujourd'hui.
Je poursuis par le lien avec les missions locales et les associations ; les missions locales étant aussi des associations, il doit s'agir du lien avec les associations de jeunesse ou d'éducation populaire, nous l'avons du moins compris comme cela. Il y a beaucoup de travail à faire pour pouvoir rapprocher l'ensemble de ces problématiques sur la jeunesse, et faire en sorte que les missions locales et les organisations de jeunesse, en tout cas la Fédération Léo Lagrange, puissent oeuvrer de concert. On a quelques illustrations d'actions intéressantes - je l'évoquais tout à l'heure quand je parlais de la mobilité : le service volontaire européen, le SVE, qui est un dispositif intéressant dans le cadre duquel on travaille en lien avec un certain nombre de missions locales, les chantiers internationaux, sur lesquels nous nous appuyons et sont aussi des supports de travail avec les missions locales, les dispositifs d'un programme appelé SOLEO, qui nous permet d'accompagner des projets de jeunes telle la création d'entreprise. Là aussi, il y a des actions intéressantes à développer sur les problématiques d'insertion sociale et professionnelle. Pour conclure - ce qui nous ramène à la première question sur la diversité des jeunes et la spécificité des programmes -, il serait intéressant de creuser, à propos des missions locales, la question de la proximité et de l'adaptation au mode de fonctionnement des jeunes qui sont les plus à la marge. Nous évoquions les 150 000 jeunes sortis du système scolaire sans diplôme : ils ont parfois du mal à s'inscrire durablement dans l'action des missions locales, tandis que la proposition d'aller de stage en stage ne leur convient pas, en tout cas en l'état. Il faut rapprocher les points de vue et les extrêmes. Les missions locales ont donc matière à travailler différemment avec ces jeunes, notamment dans les quartiers populaires.
Mlle Mélanie GRATACOS, délégué général du Réseau Animafac -Animafac est un réseau de 12 000 associations étudiantes, c'est-à-dire des associations qui sont gérées et animées par des étudiants ; c'est un réseau généraliste composé d'associations qui interviennent sur toutes les thématiques d'actions, depuis la solidarité internationale à la solidarité de proximité, en passant par l'environnement, l'accueil des étudiants internationaux, l'insertion professionnelle, la prévention des risques, etc. Notre objectif est donc de développer au sein du monde étudiant une culture associative qui va forcément de pair avec le sens de l'initiative, des responsabilités, l'esprit d'entreprendre même, et également de créer des passerelles avec la société civile, en vue de participer à son renouvellement. Animafac est donc, à l'image de toutes les associations gérées et animées par des jeunes en France, même si elles sont relativement peu nombreuses, une école de la société civile et de la citoyenneté.
Je ne vais pas reprendre les questions dans l'ordre dans lequel vous les avez établies mais vous parler des points qui nous concernent le plus directement, notamment le service civique : cela a déjà été largement abordé. Animafac est d'accord et volontaire pour une montée en puissance du service civil, à condition toutefois que l'on s'entende bien sur les objectifs que l'on assigne à ce service civique ; c'est là-dessus que je voudrais insister car c'est un dispositif que l'on conçoit comme un outil de participation civique. Le service civique est vraiment un moyen de faire l'apprentissage de la démocratie par l'action finalement et de s'approprier pleinement un rôle de citoyen, de s'engager pour un projet d'intérêt général sans que ce soit le luxe de ceux qui en ont les moyens puisqu'il y a une indemnité qui permet de s'y consacrer. Donc, tant qu'on le considère bien comme un outil de participation civique, de citoyenneté, nous sommes évidemment favorables à son soutien. En revanche, il faut être clairs - et il me semble que cela n'a pas toujours été le cas -, le service civique n'apportera pas la réponse à tous les problèmes de la jeunesse en France ; il faut s'assurer que le service civique ne sera pas présenté comme une mesure pour l'emploi des jeunes. Nous sommes donc assez satisfaits qu'il n'ait pas été nommé dans le premier train de mesures pour l'emploi parce qu'il nous semble que ce serait une fausse bonne solution. Le service civique est évidemment un temps formateur pour les jeunes comme toute expérience associative ; on acquiert un certain nombre de compétences transversales, qui effectivement pourraient être davantage valorisées dans la société qu'elles ne le sont aujourd'hui, mais ce n'est pas parce que l'on a fait un service civique que l'on va trouver un emploi à la fin de ces six ou neuf mois ; il ne faut donc pas pour autant donner de faux espoirs aux jeunes. C'est vrai qu'il pourrait être commode de faire baisser les chiffres du chômage avec un service civique ; cela ne nous semble pas être l'objectif premier. Bien qu'on l'entende moins aujourd'hui, nous tenons aussi rappeler que pour nous, même s'il faut que le service civique s'adresse à l'ensemble des jeunes, ce n'est pas un outil spécifique de politique de la ville. Jacques Chirac a annoncé la création du service civique au lendemain des émeutes dans les banlieues et, dès lors, on ne savait plus exactement ce que l'on y mettait : c'était finalement un moyen de recadrer pendant un temps des jeunes fauteurs de troubles, de les éloigner de leur quartier. Si l'on cherche des mesures en direction des jeunes des quartiers, il ne nous semble pas du tout que le service civique soit la première réponse dont ils aient besoin : parlons plutôt de logements, d'emplois, de lutte contre les discriminations, mais en tout cas, avant de demander à des jeunes de rendre à la société, il serait déjà bien qu'ils aient l'impression d'avoir reçu quelque chose. Sur la question du service civique, nous l'approuvons comme outil de citoyenneté. Sur les modalités, le service civique tel qu'on le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire une période longue de six, neuf, douze mois, nous semble approprié, pertinent pour avoir le temps de s'approprier vraiment une mission, de s'investir, de prendre ses marques dans la structure, l'association ou la collectivité locale. Neuf mois nous semblent être particulièrement un bon timing tout simplement parce que c'est ce qui va de pair avec le rythme scolaire, universitaire. Pourquoi pas six ou douze ? En tout cas, il ne faudrait pas supprimer la durée de neuf mois, qui nous semble la plus cohérente. Dans les hypothèses sur lesquelles travaillent Martin Hirsch et le Haut-Commissariat à la Jeunesse en ce moment, on voit également apparaître la possibilité de remettre à l'ordre du jour une hypothèse, écartée par Luc Ferry, d'un service civique fractionné également appelé « bénévolat renforcé » ; là encore, il faut simplement savoir ce que l'on y met vraiment. Si, à travers ce bénévolat renforcé, il s'agit en fait de mettre en place parallèlement à la montée en puissance du service civique une politique de soutien face à l'engagement bénévole des jeunes, bien sûr, nous y sommes favorables mais pour des questions de lisibilité, il nous semble compliqué de mettre sous le même chapeau ou le même titre de « service civique », des expériences de bénévolat et l'expérience telle qu'on la connaît aujourd'hui dans le service civil volontaire, qui est tout de même très spécifique. Pour nous donc, le service civique est un temps long (6, 9, 12 mois) auquel le jeune consacre l'essentiel de son activité (ce qui ne veut pas dire qu'à côté, on ne fasse pas autre chose que le bénévolat) mais là encore, l'idée n'est pas de faire entrer du bénévolat sous le chapeau du service civique pour dire que l'on a atteint les 10 % d'une classe d'âge. Donnons-nous déjà les moyens de promouvoir, d'avoir un véritable portage politique du service civique avant de dire qu'il ne fonctionne pas - c'est un peu ce que l'on a entendu aujourd'hui : il n'y a que 2 500-3 000 jeunes. Ce serait compliqué qu'il en soit autrement étant donné que les budgets alloués à l'accès ne permettaient pas d'avoir effectivement plus de 3 000 jeunes en service civil volontaire. Il n'y a eu aucune communication sur le sujet. Je me demande bien quel jeune, s'il n'était pas déjà investi, proche des réseaux associatifs, a entendu parler du service civique : à mon avis, ils sont assez peu nombreux. Portons-le, ayons une réelle volonté politique là-dessus puis on verra si cela fonctionne ou pas.
Un dernier mot sur les missions. Je répète que nous croyons beaucoup en ce dispositif mais il peut être le pire comme le meilleur : il nous semble très important d'être vigilants et de se mettre des garde-fous pour éviter le dévoiement du service civique vers du sous-emploi. L'emploi des jeunes est suffisamment précaire pour que l'on n'y ajoute pas encore un nouveau modèle qui se rapprocherait de celui des stages et serait entre le stage et le CDD. Donc le service civique, dans ses missions, doit bien se différencier de l'emploi ; je pense également que, dans le rapport au projet, dans la place qui est faite aux bénévoles dans l'association ou la collectivité, la distinction se fait de façon assez précise.
Enfin - dernier mot ; je ne voudrais pas être trop longue - sur la question de la reconnaissance du service civique. Il y a, d'abord, la reconnaissance par la société en général ; cela concerne des choses toutes simples : pour un volontaire qui se rend à la CAF ou à la Sécurité sociale, la case « Volontaire » n'existe pas. Il est donc difficile de se sentir reconnu quand aucun interlocuteur institutionnel ou administratif ne vous connaît et ne comprend qui vous êtes. Voilà la première chose. En ce qui concerne la reconnaissance - allais-je dire - pédagogique, on a évoqué l'université tout à l'heure mais le constat peut être élargi à l'ensemble du système éducatif à mon sens. La situation se modifie aujourd'hui un petit peu : l'éducation nationale et l'université commencent à se dire que d'autres expériences peuvent être formatrices, qu'il y a d'autres espaces en dehors du cadre académique où acquérir des compétences. Il faut encore substantiellement progresser en ce sens si l'on veut arriver à ce que l'institution soit un relais d'information qui encourage et valorise. On sait que sans ce signe positif de l'institution, les désirs d'engagement des jeunes sont réfrénés. Si l'école ou l'université dit : « C'est concurrentiel à tes études, tu vas rater tes examens si tu te consacres à un service civique », ce message passera forcément (il a longtemps été un message fort au sein de l'université, même si, effectivement, cela progresse). A propos de la reconnaissance, encore une fois, nous ne demandons pas à l'université ou à l'école de reconnaître l'engagement ou de l'évaluer - de toute façon, il n'est pas dans son rôle de féliciter ou de reconnaître un engagement - mais il s'agit d'évaluer des compétences. Nous ne sommes pas dans un système de gratification où nous demanderions à l'université de donner un demi-point ou un bon point de plus à un jeune pour louer son engagement ; nous n'attendons pas de l'institution scolaire qu'elle agisse ainsi mais reconnaisse des acquis effectifs, manager une équipe, argumenter, prendre la parole en public, nouer des partenariats. Trop peu transmises dans un cadre théorique, ces compétences seront pourtant très utiles à des jeunes et pourront les armer face au marché de l'emploi.
M. Florian PRUSSAK, président du Réseau Animafac - Le réseau Animafac a été créé en 1995. En fait, il a une petite quinzaine d'années et est issu d'un double constat face aux mutations de l'enseignement supérieur au cours des années 80, à la multiplication des sites universitaires, et face au fait que les étudiants ne s'engageaient plus aussi massivement dans des syndicats pour défendre de grandes causes mais plutôt dans des structures développant des projets très concrets de troupes de théâtre, de solidarité locale et inventant ainsi de nouvelles manières de s'engager. De là est partie l'idée d'une mutualisation, puisque des gens menaient les mêmes types de projets sur des sites universitaires éclatés : de là est partie cette idée il y a une quinzaine d'années.
J'enchaîne très rapidement sur ce que vient de dire Mélanie Gratacos sur la quatrième question, la valorisation de l'engagement associatif dans le cursus scolaire. Mélanie a bien insisté sur la question de la reconnaissance pédagogique et sur l'aspect des compétences. Nous voulions élargir la question en mettant en exergue le rôle que peut, voire doit, jouer l'institution scolaire, à la fois collège, lycée, université, enseignement supérieur, et ce, probablement même d'ailleurs dès le cycle primaire, dans l'incitation à l'engagement. Car actuellement l'éducation civique notamment est plutôt de l'instruction civique fondée sur la théorie. On pense qu'il faut plutôt une citoyenneté active avec l'occasion, dès le collège et le lycée, de pouvoir mener des projets d'intérêt général ou collectifs qui permettent de prendre goût à cet engagement ; en effet, des études montrent qu'une première expérience réussie d'engagement est un facteur déterminant dans une carrière et dans une trajectoire civique. On pense notamment à plusieurs espaces comme les foyers socio-éducatifs dans les collèges, qui peuvent être des lieux où vraiment les jeunes ont leur place en tant qu'acteurs. Nous revenons à l'idée exprimée tout à l'heure qui consiste à considérer le jeune non pas comme un public uniquement mais aussi comme un acteur de sa citoyenneté, et en l'occurrence de son école, de son collège ou de son lycée.
Il pourrait en être de même pour l'université, qui serait un levier de médiatisation du service civique, puisque par exemple actuellement se développe une idée nouvelle que vous a présentée Cécile Van de Velde, que vous avez auditionnée et qui vous l'a probablement expliquée mieux que je ne le ferais. En France, prendre une année de service civique n'est pas reconnu par l'université et expliquer à son université que l'on veut passer en contrôle terminal pour pouvoir suivre quelques cours en parallèle à un service civique est très compliqué. A notre avis, l'université, l'enseignement supérieur et le lycée doivent pouvoir être des facteurs de médiatisation de dispositifs de ce genre-là.
Je reviendrai très rapidement aussi sur ces questions de médiatisation, sur la première question à propos de la politique pour la jeunesse, plus largement qu'uniquement sur le service civique. Il me semble que la sensibilisation par les pairs doit vraiment être développée pour les questions de santé notamment mais aussi sur la mobilité internationale : l'un des principaux freins au départ avec le programme Erasmus par exemple est psychologique et le fait de rencontrer des gens qui en reviennent, par le biais des nombreuses associations qui font de la promotion de la mobilité, entre pairs, fonctionne beaucoup mieux que de devoir pousser la porte d'un bureau des services des relations internationales. Il y a donc un vrai enjeu autour du développement de la sensibilisation par les pairs. Cela pose plus largement la question des dispositifs de la politique de la jeunesse, pour lesquels il faut, à notre avis, développer un co-management entre les acteurs associatifs entre autres, mais aussi mutualistes et coopératifs, à la fois sur la production, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques. Si l'on veut que tous les acteurs aillent dans le même sens, il faut que l'on réussisse vraiment à développer ces politiques de co-management qui existent dans de nombreux pays européens mais que l'on a du mal à impulser en France.
M. Michel CASSÉ, délégué national des Francas - La Fédération nationale des Francas regroupe des organisateurs d'activités pour l'enfance et la jeunesse ; publics, comme les collectivités territoriales, ou associatifs. Ceux-ci représentent à peu près 5 000 centres de loisirs sur le territoire national ; métropole, DOM et TOM.
Pour nous, l'éducation est un processus global et continu qui, j'espère, nous guide tout au long de notre vie. Dans la tranche des 16-25 ans, ce processus est essentiel parce qu'il permet de passer d'une phase d'acquisition à une phase de premières formes de transmission. On a utilisé cette tranche des 16-25 ans pour parler de jeunesse, mais c'est une tranche d'âge dans laquelle certains des « jeunes » sont parfois les enseignants des autres (des professeurs de 25 ans dans les collèges, face à des élèves de plus de 15 ans), d'autres sont les animateurs socioculturels des moins âgés. C'est une tranche dans laquelle des parcours individuels peuvent s'élaborer et prendre une forme quasi définitive. En termes éducatifs, il me semble important de noter que cette période permet de construire des compétences qui s'acquièrent, en liant ce qui est vécu dans le temps scolaire et dans le temps hors . Il me semble qu'à côté du monde scolaire, dans le tissu associatif local notamment, peuvent se construire ces compétences qui ouvrent ensuite une perspective pour l'engagement.
Je qualifierai la vie et les pratiques associatives des jeunes de 16 à 25 ans - puisque c'était cela le « chapeau » de notre discussion aujourd'hui d'espaces de découvertes. Espace de découverte dans le temps qui permet de passer de ses propres pratiques de loisir à des pratiques d'engagement en faveur d'autres personnes ; engagement éducatif en direction d'enfants plus jeunes, engagement social, solidaire, humanitaire, engagement culturel, etc. ; c'est aussi un espace de découverte de l'environnement local. Au sujet de la mobilité que nous avons évoquée tout à l'heure, il faut souligner que l'espace associatif, lorsqu'il est investi par les jeunes, permet également de découvrir sa ville, son espace local et social ; non seulement au travers de ses caractéristiques physiques mais aussi de son organisation politique, administrative ; c'est aussi la possibilité de compréhension d'un certain nombre de phénomènes.
Par rapport à l'évolution du monde associatif ; la place des 16-25 ans n'est pas négligeable, loin s'en faut, dans cet espace-là. Il existe des associations pour les activités des mineurs ; on connaît tous les Juniors associations portées par la Ligue de l'enseignement, on connaît peut-être un peu moins les ATEC : associations temporaires d'enfants citoyens. Elles offrent l'occasion à ces publics-là de s'éduquer de se former à un certain nombre de responsabilités - elles ont été détaillées tout à l'heure, je ne vais pas y revenir - qui, plus tard, leur permettront aussi de vivre pleinement des formes d'engagement plus complexes. Je voulais souligner, à propos de ces associations qui s'adressent spécifiquement aux « 16-18 ans », qu'elles fonctionnent sur une démarche de projet, que leur existence est limitée dans le temps, qu'elles sont parrainées et accompagnées par des associations d'adultes et font partie des réseaux locaux départementaux, nationaux d'échange et de formation continue. Cette vie associative se déroule dans tous les temps de vie que nos enfants ne passent pas dans les établissements scolaires et peut prendre une forme et une densité très lointaines des représentations que nous en avons tous.
Je voulais souligner un deuxième élément par rapport à la prise de responsabilités des jeunes. Cette prise de responsabilités qui permet aux jeunes d'exercer des fonctions est une école de formation irremplaçable. Quand des jeunes peuvent, par exemple, obtenir le brevet d'animateur et, à partir de cette formation, qui n'est qu'une entrée dans l'animation, commencer à exercer des responsabilités, à prendre des initiatives, à travailler de façon collective, à s'engager dans un acte éducatif à l'égard d'enfants ou d'adolescents plus jeunes, ils participent eux-mêmes à la construction de leurs compétences sociales. Cela me paraît, dans la façon dont est organisée la vie associative en France, un élément irremplaçable. S'il faut toujours faire mieux, souhaitons aussi que ce qui fonctionne bien ne disparaisse pas, et même s'il est peu visible, on perdrait beaucoup à l'ignorer.
Il nous semble que cette construction de compétences - et cela a un lien étroit avec votre question de tout à l'heure - doit être valorisée. Quatre dimensions, sont, à mon avis, à mettre en action :
Une première dimension rejoint la question de la formation initiale. Je ne vais pas entrer dans le détail des mesures, mais nous appelons de nos voeux une véritable formation initiale aux métiers de l'animation socioculturelle qui puisse être délivrée dans le cadre du lycée, des études secondaires, et qui puisse préparer des jeunes de 18-19 ans à prendre des responsabilités locales certifiées par une formation scolaire, ai-je envie de dire, en alternance, si on reste dans le fil de tout ce qui a été dit jusqu'à maintenant.
Deuxième dimension : une formation continue, ou plutôt la valorisation continue de l'engagement ; nous souhaitons que ces jeunes qui prennent des responsabilités associatives ne les abandonnent pas et qu'au fur et à mesure de leur maturation et de leur vieillissement, ils puissent continuer à exercer des responsabilités associatives ; tous les dispositifs d'accès à la formation continue nous intéressent, que ce soit sous forme de brevet ou de certifications en continu ou non, nous sommes partants, en tant que mouvement d'éducation, pour les étudier.
Le troisième effet de cette certification doit s'appuyer pour nous sur des expériences pratiques : on vient de citer longuement le service civil ou le service civique. Pour nous, les dispositifs de ce type doivent être modulaires et construits sur des projets : il est à mon avis plus intéressant qu'un jeune puisse exercer ce type d'activité par rapport à un projet qu'il accompagnera et mènera de A jusqu'à Z, y compris si c'est sur une organisation modulaire, fragmentée, légèrement discontinue, plutôt que de venir faire - excusez-moi du terme - le supplétif dans une organisation associative qui y verrait un effet d'aubaine parce que du temps de travail serait disponible pour combler des difficultés que nous connaissons tous malheureusement par ailleurs.
Le quatrième point est, bien sûr, une construction qui s'adapte au local. Vous avez évoqué des formes de relation avec diverses instances : vous avez cité les missions locales. Je pense qu'on a intérêt à éveiller l'attention de nos élus locaux sur des projets locaux pour la jeunesse qui mettent en lien l'ensemble des acteurs territoriaux, qu'ils soient de l'enseignement, du socioculturel, du monde du travail ; qu'on étudie bien ces questions dans le cadre du territoire, même si ensuite elles sont débattues par la représentation nationale et si elles ne prennent d'intérêt que confrontées d'un territoire à l'autre.
Je finirai avec un dernier élément dans cette approche territoriale : pouvoir imaginer des formes de parrainages, des formes d'accompagnement entre des associations de jeunes et des associations d'éducation populaire telles que les nôtres, afin de permettre la réalisation des projets et le développement de la vie associative des jeunes.
Mme Claire VAPILLON, vice-présidente en charge de la jeunesse de la Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture - Sur l'ensemble des questions nous mettons en avant une politique globale de la jeunesse avec une forte importance du partenariat de l'ensemble des acteurs qui accompagnent les jeunes. Par l'expérience des MJC, nous nous rendons compte que les associations - je vais prendre l'exemple des MJC - sont, sur les territoires, repérées par les jeunes et peuvent être des espaces passerelles entre la famille et l'école pour vraiment accompagner l'ensemble des jeunes, et ce, de façon spécifique, avec une attention aux plus fragiles. Pour nos 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme, les associations et les MJC présentes sur les territoires et sur les lieux de politique de la ville peuvent être des espaces de ressources et de rebond. Pour qu'ils soient vraiment des espaces de rebond, il faut que l'ensemble des dispositifs partenariaux soit mis en avant. Pour la première question sur les dispositifs dans la politique de jeunesse qui sont particulièrement efficaces, nous avons retenu un dispositif qui s'adresse davantage aux plus jeunes, le contrat local d'accompagnement à la scolarité : conçu pour l'école et le collège, ce contrat local est un exemple de ce qui pourrait être fait aussi au niveau de la jeunesse si on le développe et si on permet aux associations de le développer avec les collectivités territoriales, avec l'éducation nationale en partenariat, dans une politique globale, pour les lycéens et les étudiants des premières années de fac. Comme dit l'étude de Stéphane Beaud, 80 % au bac... et après ? On peut avoir le bac mais la première année de fac est souvent une année traumatisante pour un certain nombre de jeunes. Or on ne pense pas à l'accompagnement de cette scolarité : les associations, qui sont des espaces connus par les jeunes, peuvent être des lieux de ressources. On peut penser à étendre ce contrat au lycée, englobé dans ce dispositif dans certains cas. C'est à améliorer et à élaborer avec l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire les collectivités territoriales, les associations d'éducation populaire reconnues et qui sont des espaces médians. Nous sommes une « Maison des jeunes » : le terme « maison » évoque justement un espace passerelle et médiateur entre la famille et l'espace public dans le service d'accompagnement que nous pouvons rendre. Dans le CLAS, trois visions d'accompagnement sont présentes, l'éducatif, le social et le culturel : on pense donc l'accompagnement du jeune dans sa globalité.
Deuxième élément (on en a déjà un peu parlé) : le soutien à l'émergence d'initiatives et à la formation des jeunes pour l'exercice des mandats des lieux associatifs, et ce, toujours avec une attention aux plus fragiles. Des fonds existent mais sont assez souvent rognés. Dans le lien avec l'éducation nationale, puisque c'est quand même un des lieux de vie des 16 et 25 ans, au lycée, à l'université ou dans les grandes écoles, il faut valoriser les compétences : ce n'est pas une note de comportement (cela a été tenté d'ailleurs dans certains dispositifs avec les collèges). Il y a un travail à réaliser, peut-être sous forme d'une mission confiée à un comité composé de trois partenaires essentiels, les associations, l'éducation nationale et le monde du travail, pour définir ces compétences acquises dans l'engagement. Ce n'est pas très clair quand on dit qu'on a des compétences. Il faut peut-être les formuler de façon beaucoup plus nette et précise mais ensemble, c'est-à-dire ne pas laisser cette tâche à l'éducation nationale seule, aux associations seules ou au seul monde du travail ; ainsi, dans le cadre de comités partenariaux, ils pourront travailler à cette définition des compétences acquises dans l'engagement associatif. Il convient ensuite de ne pas faire de différence entre l'éducation nationale, dirais-je, et l'éducation non formelle, c'est-à-dire bien penser l'éducation dans sa globalité et reconnaître la mission éducative des associations d'éducation populaire. Cela pourrait se faire grâce à la création de comités, comme le comité d'environnement social ; il y a des tentatives mais elles sont ciblées sur des problèmes précis comme les questions de drogue et de santé ; or il faut toucher tous les jeunes. Faciliter l'accès des jeunes aux pratiques démocratiques est un élément qui permettra de valoriser l'engagement associatif et, à l'intérieur de l'école mais aussi dans le monde de l'éducation non formelle, toutes les initiatives dans la participation et l'éducation de leurs cadets. Je rejoins là ce que disait mon collègue des Francas : les jeunes de 16 à 25 ans peuvent apporter des éléments de transmission, même ceux qui sont en échec scolaire ; cet aspect-là peut justement, s'il y a un travail avec l'éducation nationale et des passerelles, les remettre dans le circuit de leur établissement scolaire.
Un dernier élément sur les structures : comment améliorer les partenariats ? Veiller à la qualité et au suivi des stages est un élément essentiel pour renforcer le lien entre la sphère éducative et le monde du travail, tout comme la valorisation et la reconnaissance des apprentissages et des compétences acquises hors de l'éducation, dans le temps du loisir et de l'acquisition des éléments de culture. C'est ce que font les dispositifs comme « Envie d'agir » et les « Fonds d'initiatives des jeunes » où même des jeunes en échec dans l'Education nationale ont une représentation positive d'eux-mêmes : cet élément-là doit servir de levier pour leur redonner confiance dans leur parcours de formation professionnelle.
Nous sommes une association de jeunes dirigée par des jeunes, nous regroupons donc des jeunes de 13 à 30 ans en milieu rural (chez nous, on est jeune jusqu'à 30 ans).
C'est super ! L'objet du MRJC est de proposer un accompagnement des jeunes dans la méthodologie de projet, dans l'animation des territoires ruraux, dans les projets de citoyenneté et de formation citoyenne, pour résumer assez brièvement.
Je vais répondre à vos questions. La première question démarrait avec les dispositifs de politique de la jeunesse. Nous ne sommes pas les spécialistes de l'évaluation des dispositifs. Il nous semble cependant qu'il y en a beaucoup et qu'il n'est pas toujours facile de se retrouver - en tout cas, nous ne nous y retrouvons pas toujours. Les jeunes ont du mal à s'y retrouver, tout comme parfois les professionnels, ce qui est peut-être plus inquiétant... Les dispositifs sont-ils efficaces et lesquels faut-il développer ? Il n'est pas évident d'évaluer leur efficacité. Nous voulions pointer la difficulté à trouver une cohérence globale dans ces dispositifs entre les politiques de jeunesse et les politiques publiques de droit commun qui, sur certains aspects, concernent les jeunes. On le voit bien aujourd'hui, il est difficile de s'y retrouver car il nous semble qu'il manque un chef de file dans tout cela : aujourd'hui, il n'y a pas de politique d'État, de ministère de la jeunesse qui se préoccupe de l'ensemble des questions qu'on a citées jusqu'ici, mais un ministère qui intervient sur les questions de participation et surtout sur les sports. En tout cas, il nous manque quelqu'un qui soit garant, qui puisse faire cette évaluation et donner cette cohérence. Un bon nombre de problèmes et de questions qui sont posés à la jeunesse ne sont pas des questions qui lui sont spécifiques, notamment sur l'emploi ou le logement : les solutions viendraient plutôt de politiques globales de logement et d'emploi et par conséquent, il faut arriver à faire le tri entre ce qui peut être spécifique à la jeunesse et ce qui ne l'est pas. Nous réclamons, s'il faut retenir quelque chose de ces débats, un chef de file, quelqu'un qui assure la cohérence. Cela nous semble important. Il faut que cette proposition parle à tous les jeunes, et qu'on parle plutôt d'investissement, contrairement à ce qu'on entend parfois, que du risque de tomber dans l'assistanat ou d'indispensables contreparties. Il nous semble que la société est plutôt en dette aujourd'hui par rapport à sa jeunesse et que ce serait un signe fort de développer une politique qui affirme qu'elle investit dans cette période de la vie parce qu'on en sait l'importance pour la cohésion de notre société et pour ces jeunes-là. Parlons plutôt d'investissement et osons donner en conséquence une ambition à cette politique.
Dans le questionnaire, vous avez fait suivre les politiques d'emploi et d'autonomie par l'accès à la santé et à la citoyenneté. Merci de ne pas oublier la citoyenneté ! Sur ce point, je serai d'accord avec les précédentes interventions : la citoyenneté n'est pas la cerise sur le gâteau quand on a réussi et passé les autres étapes ! Dans le malaise d'aujourd'hui, la défiance par rapport aux politiques et aux institutions nous semble inquiétante ; les jeunes sont pessimistes sur leur parcours individuel mais ils sentent aussi qu'ils ont peu de prise sur les questions collectives et les enjeux politiques : c'est pour nous un problème. C'est en tenant compte de ces questions-là qu'on répondra au malaise et à ce pessimisme qu'on observe aujourd'hui en France.
Par conséquent, il nous faut répondre aux questions individuelles et collectives ; pour être plus précise, et notamment sur la question des ressources et du plafond à atteindre, nous n'avons pas toutes les réponses mais pour ce qui a fait l'objet de notre réflexion, notamment dans un collectif plus large qui concerne un certain nombre des personnes ici présentes, qui est le CNAJEP (le comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire), nous avons travaillé sur ces éléments-là. Accompagner les jeunes après 18 ans jusqu'à l'accès à un emploi stable et leur permettre d'avoir des parcours qui soient plus diversifiés nous semble important. Voici ce qu'on entend beaucoup aujourd'hui chez les jeunes, quand on leur propose des engagements - nous pouvons par exemple proposer à un jeune de s'engager au MRJC comme salarié pendant une période courte pour favoriser et développer un projet car c'est le principe de notre organisation : « Ce serait super ! Ce sera sûrement une expérience formidable, seulement là, j'ai engagé un parcours de formation et je ne peux pas m'autoriser à arrêter ». On sent quand même, selon l'expression, je crois, de Cécile Van de Velde, que les Français sont sur des rails et ont du mal à imaginer que l'on puisse en sortir et que ce ne soit pas fatal à l'insertion. Quand on sait aujourd'hui que ces diplômes qu'ils cherchent tant ne garantissent plus une vraie insertion, on se dit qu'on leur ment et on se gâche des occasions. Il faut donc une politique qui permette d'envisager des parcours qui soient construits avec de la formation et - pourquoi pas ? - plus d'expériences professionnelles (car cela manque un peu dans les parcours de formation aujourd'hui), plus d'expériences d'engagement, plus de mobilité à l'étranger.
Il nous semble que beaucoup d'idées seraient intéressantes. Pour cela, nous avons retenu deux éléments. Nous proposons d'abord un nouveau service d'information et d'orientation qui permette d'accompagner les jeunes dans la construction de ce parcours, de les rassurer sur les différentes modalités, qui soit accessible à tous les jeunes, notamment en milieu rural, et qui soit en lien avec les questions d'orientation purement scolaire et d'insertion professionnelle. En conséquence, se pose la question des ressources : la proposition à laquelle nous avions abouti était une couverture universelle d'émancipation. En gros, il s'agirait de réfléchir à une allocation pour tous les jeunes qui puisse être malgré tout différente selon les situations des jeunes, parce que nous sommes sérieux ! Il faut que cela puisse répondre aux besoins très différents de chaque situation. Voilà pour les parcours individuels.
Sur la question plus collective, à présent, et sur le politique, il nous semble que le service civil peut permettre à des jeunes de vivre des expériences d'engagement et de reprendre confiance dans le collectif, pas tout de suite dans le politique mais du moins d'en prendre le chemin. Sur la question de la valorisation des engagements, à la manière dont était posée la question, nous nous disions qu'il fallait veiller à ne pas retomber dans cette obsession du diplôme ni mener les engagements en se demandant comment cela allait participer à l'obtention de tel ou tel diplôme : valoriser l'engagement peut vouloir dire qu'on lui donne une valeur autrement que par l'acquisition d'une UV d'un diplôme ; il peut être reconnu par les employeurs dans un CV et par les jeunes comme une étape de leur parcours personnel professionnel.
Enfin, dans la question collective, je voudrais aussi porter votre attention sur la représentation des jeunes. Il est ressorti fortement que l'on ne peut se satisfaire aujourd'hui de voir que les jeunes sont sous-représentés dans les instances consultatives et décisionnelles de notre pays : cela nous inquiète. Il faut trouver un cercle vertueux mais je ne sais pas exactement par où il faut commencer. Il est certain que des politiques fortes d'engagement participent à cela. Nous sommes une organisation gérée par des jeunes : c'est une spécificité française car très peu d'organisations sont dirigées par des jeunes en France (nous devons être une dizaine, ce qui n'est pas satisfaisant). Il nous semble que cela peut expliquer aussi la difficulté dans le renouvellement démocratique. Nous souhaitons que vous puissiez réfléchir avec nous sur la façon de permettre le développement de ce type d'organisation et d'installer des instances de concertation pérennes ; aujourd'hui, nous participons à la commission Hirsch, nos prédécesseurs ont participé à la commission de M. de Foucault et ceux d'avant, au rapport du Plan. Tout le monde a fait un travail formidable mais cela n'a pas donné grand-chose : le suivi de ces propositions nécessite une instance plus pérenne où il y aurait des jeunes et où l'on réfléchirait à ces politiques. Cela irait de pair avec ma première proposition sur un chef de file qui soit garant de ces questions-là.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous sommes bien conscients que tous les constats que nous faisons ont déjà été faits par d'autres et que la situation ne bouge pas, du moins pas assez, et même pas du tout, dirais-je. Il n'empêche que nous sommes là et qu'une fois de plus, nous allons essayer d'» enfoncer le clou ».
J'ignore quel est le sentiment de mes collègues ; quant à moi, je trouve vos interventions rassurantes eu égard à notre point d'avancement. Si nous pouvions reprendre point par point, nous nous retrouverions. Vous avez été plusieurs à citer Cécile Van de Velde ; nous avons bien l'intention, sans se faire d'illusion sur la suite qui sera donnée aux propos, de reprendre certaines idées qu'elle développe et qui nous paraissent très intéressantes, notamment sur tous les points que vous avez évoqués, la « diplômite » en France, la pression que l'on met sur les jeunes pour qu'ils aient un cursus sans faute : ils sortent du ventre de leur mère et pour les plus favorisés d'entre eux, on vise déjà le meilleur lycée, les meilleures études, le meilleur stage, le meilleur emploi. L'employeur, lui, attend de recevoir ce jeune de 25 ans pourvu d'un cursus d'un bout à l'autre sans trou, alors que dans les pays du nord de l'Europe, ceux en tout cas auxquels elle fait référence, les employeurs sont plutôt intéressés par un jeune qui, après ses études secondaires, a mené quelques expériences personnelles, est allé voir ce qui se passait ailleurs dans le monde, a un peu travaillé, a fait autre chose, a fait ou non du bénévolat, puis a repris des études : nous n'en sommes pas là. Nous trouvons cette approche très intéressante, aussi bien le fait que les gens apprennent à mener par eux-mêmes leur vie plutôt que de rester sur les rails qu'on leur impose depuis le début et aillent aussi voir ce qui se passe ailleurs, même si la mobilité pose un problème, culturel certes, mais plus compliqué que cela.
Mme Béatrice DESCAMPS, sénatrice du Nord - Vous nous avez donné la même impression que ce que nous vivons dans nos communes, de jeunes, tels que je l'ai simplement noté, acteurs, responsables, animateurs, généreux, bénévoles, citoyens. Il est vrai que nous avons beaucoup de jeunes comme cela mais vous nous avez peu parlé de ceux qui ont des problèmes d'insertion, d'orientation, de travail, de logement : je m'attendais un peu à ce que, puisque nous sommes du côté de ceux qui vont peut-être décider, vous fassiez des demandes. Quelle seule solution donneriez-vous si l'on vous demandait de n'en donner qu'une ? On dévalorise, je suis d'accord, l'image des jeunes et souvent, on entend parler des jeunes qui sont les moins citoyens sans parler de ceux qui prennent des responsabilités, s'occupent des autres, font de l'animation. Vous avez peut-être, vous, des solutions ? L'orientation est un problème récurrent ; on a vraiment l'impression qu'elle ne fonctionne pas, qu'il y a beaucoup de structures (missions locales, CIO, etc.) où l'on essaie d'orienter les jeunes qui ne servent à rien : la preuve, tous ces jeunes qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme ni même une formation. Auriez-vous un endroit ou des formations à proposer pour les gens qui orientent - peut-être sont-ce eux qui n'ont pas la bonne formation ! Est-ce qu'un psychologue oriente forcément bien un jeune ; faudrait-il qu'il ait travaillé dans le monde de l'entreprise ? Avez-vous une solution pour le logement ? La dernière intervenante disait qu'elle était favorable à un revenu minimum pour les jeunes. Est-ce que vous êtes tous d'accord là-dessus ou non ?
Mme Eliane ASSASSI, sénatrice de la Seine-Saint-Denis - Je voudrais relever un certain nombre de choses que vous avez dites et appuyer sur quelques-unes d'entre elles.
D'abord, quelqu'un a dit ici en substance que la France a une passion, mettre en place des dispositifs qui in fine ne servent pas à grand-chose Je dirais, moi, que malheureusement, ils servent à quelque chose puisqu'ils servent en tout cas à ne pas répondre aux besoins et aux exigences que portent certaines catégories de personnes et en particulier la jeunesse. C'est une problématique de fond sur laquelle j'aimerais avoir un peu plus votre avis puisqu'une seule personne l'a évoquée.
Vous avez tous parlé du service civil ou du service civique. Il faudrait préciser : « civil » ou « civique » ? Les contenus ne sont pas forcément les mêmes. Peu importe l'adjectif : tout le monde s'accorde ici autour de la table, si j'ai bien compris, pour dire que cela pourrait être une valeur ajoutée dans la vie d'un jeune et lui permettre de faire des expériences personnelles, mais pas des expériences qui répondent par exemple aux exigences posées par le marché de l'emploi ou qui rempliraient un temps d'occupation donné aux jeunes en attendant que demain soit meilleur, pour aller vite. Je suis favorable à un service civil mais je voulais vous poser une question plus large, dès lors que ce service devient une valeur ajoutée qui permet à un jeune de s'armer en termes de connaissance de ses droits mais aussi de ses devoirs, bien évidemment, et de façon globale - valeur ajoutée qui permet de développer sa citoyenneté. Mais vous n'avez pas évoqué un certain nombre de points : tout le monde a dit « service civil volontaire » ; je connais des organisations de jeunesse qui prônent un service civil obligatoire. La question est posée. J'ai été auditionnée par une commission sous une autre casquette par M. Ferry : des organisations politiques, syndicales, etc. ont évoqué un service civil obligatoire. Je voulais donc avoir votre point de vue sur le service civil, volontaire ou obligatoire, ouvert à tous les jeunes gens quels que soient leur sexe et leur nationalité. Venons-en à la question du financement de ce service civil, même s'il est seulement volontaire : qui le finance et accorde-t-on une rémunération aux jeunes qui s'engageraient dans cette voie ? Il est donc vrai que cela pose un certain nombre de questions, dont vous ne maîtrisez pas, malheureusement, les réponses. Vous avez sans doute des pistes de réflexion.
D'abord, nous allons répondre simplement sur le service civique. Service civique ? Service civil ? Service civil volontaire, qui est le dispositif qui existe actuellement ? Service civique, qui est la formule habituellement utilisée pour parler de ce qui pourrait se faire à l'avenir ? J'ai plusieurs interrogations : est-ce que les jeunes qui font un service civique doivent être rémunérés ? Je dis qu'ils doivent être indemnisés parce qu'ils s'engagent dans leur activité principale au service de la société ; ils sont utiles à eux-mêmes, bien sûr (on l'a dit : citoyenneté, insertion professionnelle), mais utiles avant tout aux autres, à la société, aux missions qu'ils remplissent. Il est important que les jeunes soient indemnisés. L'indemnisation ne comprend pas seulement la somme qui leur est versée chaque mois mais également la couverture pour la santé, le chômage et l'assurance vieillesse : c'est essentiel.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Etes-vous tous d'accord ? Il n'y a pas d'opposition massive à cela quand même ?
Mlle Mélanie GRATACOS, délégué général du Réseau Animafac - C'est une question de justice sociale, si l'on veut que tous les jeunes puissent vivre cette expérience ; sinon cela sera réservé aux seuls jeunes dont les parents ont les moyens de financer cette expérience ou qui eux-mêmes ont les moyens de le faire. Pour moi, il ne s'agit même pas de rémunérer la mission, de récompenser l'utilité des actions menées mais simplement d'accorder une espèce de bourse qui permette à tous les jeunes, quels qu'ils soient, de vivre cette expérience.
M. Gildas LE BARS, chargé des relations extérieures d'Unis-Cité - Très simplement, pour répondre à cette question du service civique : 23 organisations se sont mises d'accord sur ce que doit être le service civique. Il y a un petit document de format A4 qui réunit les fondamentaux pour le service civique, que l'on vous donnera et que vous recevrez dans vos boîtes électroniques. Il y a un accord, un consensus ; nous répondons à toutes ces questions.
Une question a été posée tout à l'heure : si nous avions une chose à changer, quelle serait-elle ? Là, je n'ai plus ma casquette d'Unis cités, que je vais enlever. La réponse n'est pas facile : il y a une culture en France qui nous pousse à nous dire qu'il faut réussir, aller vite pour s'insérer dans le monde du travail, obtenir ses diplômes et réussir son orientation. Quant à moi, j'ai 23 ans, et ai connu l'échec universitaire : j'ai fait trois fois la première année de sociologie mais je ne le regrette absolument pas. J'ai vraiment fait la première, puis, lors des autres, j'étais davantage bénévole à temps plein, engagé, militant, qu'étudiant et j'ai appris énormément, cela m'a permis de faire des activités formidables et de rencontrer des gens que je n'aurais pas rencontrés autrement. Pourtant, pour les statistiques du ministère de l'enseignement supérieur, je suis un cas dramatique, terrible ! Et lorsque j'étais en sociologie, filière fréquemment montrée du doigt, on pointait les taux d'échec ; cependant, les étudiants inscrits qui n'avaient pas réussi les concours apparaissaient aussi comme des cas d'échecs. Il faut donc un peu se méfier de ces a priori. Si l'on devait changer une chose, ce serait cet a priori selon lequel une année non validée est une année perdue. Je parle pour ce qui concerne l'université comme pour ce qui en est extérieur.
Cela se rattache au service civique : passer une année de sa vie à s'engager pour les autres et à être utiles ne permet pas de tirer grand bénéfice directement pour son insertion professionnelle, mais si l'on en retire quelque chose pour les autres, c'est utile. Vous avez dit que nous étions tous d'accord : en effet, je crois que nous avons des positions consensuelles. Vous pouvez rencontrer aussi des jeunes différents de ceux des organisations présentes aujourd'hui. Allez sur un campus, dans la rue, aux Halles, à la soirée que j'organise chez moi samedi soir, où vous rencontrerez mon voisin de 24 ans qui a un premier poste de professeur des écoles à Stains dans une classe de CM2 parmi les plus difficiles, ou un de mes amis.
Mme Eliane ASSASSI, sénatrice de la Seine-Saint-Denis - Nous avons aussi été militants !
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - A mon tour, je vous provoque : venez chez moi à Villiers-le-Bel et vous verrez qu'on ne fait pas que jeter des pierres sur les policiers, on fait aussi des choses très intéressantes dont, bien entendu, les médias ne parlent absolument pas parce que cela ne leur permet pas de vendre.
M. Gildas LE BARS, chargé des relations extérieures d'Unis-Cité - Les problèmes de la jeunesse ne sont pas uniquement des dispositifs et des politiques publics mais aussi des questions culturelles : il ne faut pas trop restreindre le point de vue.
Mme Eliane ASSASSI, sénatrice de la Seine-Saint-Denis - On les restreint soit par un bout, soit par un autre. Combien de jeunes sont-ils concernés par le service civil ? Face à tous les discours que l'on peut tenir, je serai subversive : à côté des 2 500 volontaires, peu de jeunes Séquano-Dionysiens n'ont pas même l'idée qu'il puisse exister. On voit donc bien que c'est réservé à une frange. Je ne parle pas du tout de classe sociale.
M. Samir BENSAADI, délégué national à la jeunesse de la Fédération Léo Lagrange - Aussi !
Mme Eliane ASSASSI - Il y a aussi cette dimension, mais je ne parle pas que de cela. Il y a un problème d'accès à l'information.
M. Guillaume LÉGAUT, président de l'Association Scouts et guides de France - Je le souligne parce que cela me semble très important. A l'égard de la politique de jeunesse, il y a une certaine légèreté ; je ne parle pas de vous mais des politiques qui « font joujou » : c'est sympathique, on peut s'amuser, cela ne coûte pas trop cher, et après tout, si on gâche une génération, ce n'est pas trop grave, les autres paieront les dégâts. Excusez-moi d'être un peu violent mais c'est cela qui se passe. Nous vous disons que l'État doit prendre conscience que certaines choses marchent, avancent et permettent à des jeunes de se construire : l'enjeu est de soutenir ces initiatives positives et d'arrêter de vouloir sans cesse « rebidouiller des trucs dans un coin » si bien qu'à la fin, il n'y a rien de continu, de solide. L'enjeu est désormais de construire dans la durée. Il y a ici des mouvements qui portent des initiatives intéressantes, beaucoup d'autres n'ont pas pu être invités. Ce qui compte est de porter un regard positif sur ce qui marche et de soutenir ces initiatives-là.
Une deuxième chose, qui me paraît assez forte, a été dite ici autour de la table, même si cela a été présent en filigrane, comme vous l'avez souligné, Madame la présidente : il y a un vrai enjeu éducatif aujourd'hui sur la question de la jeunesse. Il y a un dysfonctionnement profond de la manière dont les jeunes sont préparés à entrer dans la vie et dans la société ; nous tentons de dire qu'aujourd'hui, en tout cas de plus en plus, les générations de jeunes ont conscience que le seul système éducatif ne les aidera pas à s'intégrer. La question est de savoir comment dès lors on structure les possibilités pour les jeunes de vivre d'autres expériences. Il y a de nombreux systèmes à l'étranger qui ne sont pas inintéressants à regarder : des pays proposent de financer 45 mois d'activités pour des jeunes, dans lesquels on les invite à inscrire quatre années de formation ainsi qu'une d'engagement bénévole. Nous, Scouts et guides de France, voyons tout le bénéfice du bénévolat engagé, renforcé, c'est-à-dire un bénévolat, comme l'a dit Philippe tout à l'heure, où on invite les jeunes à s'engager dans une durée significative. Nous leur proposons de se former ; finalement, c'est ce que recherchent aussi bien le monde de l'entreprise que notre société, le monde associatif que, finalement, les familles, parce qu'en fin de compte, c'est comme ainsi qu'on forme des élus et des gens capables de prendre des responsabilités.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Dites-moi, comme vous êtes plusieurs à demander la parole, je propose que nous vous passions rapidement la parole les uns après les autres. Soyez bref !
M. Samir BENSAADI, délégué national à la jeunesse de la Fédération Léo Lagrange - Bien. Effectivement, pour essayer de répondre aux questions que vous posez, je reviens sur les premières questions concernant le foisonnement des dispositifs et les critiques très fortes les concernant. J'ai du mal à faire haro dessus car je crois qu'il y a aussi matière à réfléchir à la façon dont ils s'appliquent sur les territoires (c'est ce que je disais tout à l'heure et je vais essayer d'être plus clair). La question des modes opératoires se pose, on développe des dispositifs qu'on propose à l'échelle nationale. Il faut réfléchir à ce que sont ces territoires-là : cela doit peut-être s'appliquer de manière différenciée. Par ailleurs, on doit aussi réfléchir à la manière dont on doit soutenir les moyens sur le terrain, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de créer des dispositifs et d'imaginer leur coordination. Je fais un parallèle en ouvrant une parenthèse sur la question de la jeunesse. Je parle plus des jeunes que de la jeunesse. Il y a aussi des jeunes « vieux ». Il est important, quand on parle des jeunes et qu'on les fait venir dans des instances pour les y intégrer, d'imaginer leur profil et leur diversité, leurs points de vue et trajectoires différents, la parole différente qu'ils portent et qu'il faut pouvoir entendre : ce ne sont pas toujours des militants engagés. Il faut pouvoir entendre un autre discours subversif. Je ferme la parenthèse. En parlant de diversité, j'apporte un point de vue particulier. On a donc souvent tendance à créer des dispositifs, à ne pas imaginer la façon dont ils vont s'appliquer et à construire tout un système de coordination, si ce n'est d'évaluation. On procède à cette évaluation depuis 20 ans : je comprends que cela ait été une nécessité ; cela dit, elle s'applique, d'après ce que nous constatons dans notre association, bien plus souvent de manière très stricte vis-à-vis de nos associations et un peu moins vis-à-vis des politiques publiques. Parlons globalement d'évaluation, d'abord des politiques publiques puis de nos actions - nous en sommes d'accord. Les coordinations, je le redis, sont un peu lourdes mais renforçons les moyens sur le terrain. Je ne voudrais pas être trop long afin que la parole puisse circuler ; cependant, je vous donne un autre exemple : je reviens sur le prisme des quartiers populaires et de la politique de la ville. Quand je constate ce qui se fait depuis 1994, et depuis les dix dernières années, l'octroi et le renforcement des moyens va pour beaucoup à l'augmentation des systèmes de sécurité. Il faut s'interroger sur ce point : si l'on observe les moyens entre 1994 et aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup plus d'animateurs sur le terrain ; en revanche, combien y a-t-il de policiers municipaux et nationaux sur ces quartiers ? Il faut donc aussi s'interroger sur ce que l'on fait. Je souhaiterais qu'on fasse le ratio et que l'on compare les courbes : l'augmentation doit se monter à 400, 500, 600 % de moyens supplémentaires sur ces questions sécuritaires. Je n'oppose pas pour autant les deux en disant qu'il n'y a pas matière à travailler sur la question de la sécurité. Mais il faut aussi s'interroger sur l'accompagnement de ces jeunes parce qu'ils sont nombreux et qu'il est important de pouvoir les soutenir. Cependant, nous n'avons pas toujours les moyens de le faire sur le terrain.
Je termine enfin par un petit point concernant l'organisation que je représente aujourd'hui. J'invite les élus à s'engager pleinement dans un élément dont on parle depuis des années, les conventions pluriannuelles. Évaluons, soit, mais évitons d'évaluer tous les six mois. Donnons-nous quelques critères et quelques champs d'action et de développement, ainsi qu'un petit peu de mou, avant la sécurisation de notre activité et des collègues qui oeuvrent sur le terrain.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je ferai une observation à ce point-là du débat : pour avoir auditionné énormément de personnes, pour nous être un peu déplacés et avoir rencontré en milieux urbain et rural des gens qui vous sont proches et font un travail assez extraordinaire, avec des expériences qui marchent, des actions qui ont été pensées et réfléchies, à un moment, je me suis demandée si tout le travail de qualité qui est finalement fait dans beaucoup d'endroits n'était pas un couvercle sur une cocotte-minute qui évitait l'explosion et qui en définitive permettait au gouvernement de se tenir éloigné. Grâce à vous, ces problèmes-là, finalement, n'explosent pas beaucoup. Franchement, c'est une vraie question. Je vous parlais de Villiers-le-Bel, où je suis élue depuis 40 ans : en 2005 et en 2007, il y a deux ans, cela a brûlé pendant trois jours. Tout le monde était scandalisé. Moi qui connais cette ville par coeur, je me demandais pourquoi cela n'avait pas explosé plus tôt et plus longtemps, tellement sont concentrées misère et souffrance extrêmes dans ces quartiers et ces villes, où l'on subit une véritable ghettoïsation, un apartheid dont on ne veut pas entendre parler dans ce pays. Cela explosera à nouveau ; cela n'explose pas davantage parce que sur le terrain, des gens s'efforcent de parler, font un travail de fond et créent du lien social. On attend donc que cela se passe.
M. Florian PRUSSAK, président du Réseau Animafac - Je souhaitais réagir sur la première question concernant une seule mesure pour répondre à un seul problème. Je n'aurais pas de réponse. On m'a souvent répété que, quand il fallait changer de regard et de mentalités, la question n'était pas bien posée ou n'était pas la bonne. En l'occurrence, que ce soit dans le travail de cette commission ou dans la concertation de Martin Hirsch avec des gens qui travaillent à réfléchir à une politique publique, l'un des enjeux forts qui s'appliquent à toutes les questions de citoyenneté, d'engagement civique et social mais aussi d'emploi par exemple, est le changement de regard sur la jeunesse et la manière dont on la conçoit en France. Je le disais tout à l'heure et le réaffirme, il faut arrêter d'avoir un regard paternaliste en France sur la jeunesse. Quand on demande à des jeunes qui sortent de formation d'avoir déjà de l'expérience pour accéder à des stages, cela pose problème : nous le voyons au quotidien, quand nous cherchons des stages, quand des étudiants, avant leurs études supérieures, veulent avoir des emplois, ou même de simples jobs d'été, où il faut déjà avoir de l'expérience ; ce regard prouve que la jeunesse n'a pas sa chance. Il en est de même pour l'accès aux responsabilités dont nous parlions ; on a beaucoup accusé le politique parce que c'est le plus visible mais dans le milieu syndical et associatif, il n'y a pas non plus de renouvellement des cadres dirigeants des plus réels ou rapides. Il y a donc là une question de regard sur la jeunesse ; la réponse à cette problématique passe par plusieurs dispositifs et domaines sur lesquels il faut agir : ce doit être l'une des lignes directrices de cette refonte de la politique de jeunesse.
M. Michel CASSÉ, délégué national de la Fédération Francas - Je ne sais s'il faut parler de « mesure » ou de « regard » ; j'aurais trois éléments pour répondre à l'interrogation que vous nous renvoyiez.
Le premier est l'ouverture du système scolaire. J'en parle facilement, étant moi-même membre de cette noble institution, du moins au départ puisque je suis enseignant détaché auprès des Francas ; en effet, cette situation persiste encore bien qu'elle ait failli ne plus exister : nous avons un petit sursis. Cela dit, vous avez raison de le souligner car cela est en lien avec le deuxième élément que je voulais citer mais je ne voulais pas le confondre avec le premier. Ceux d'entre nous qui ont des enfants au lycée ou à l'université ont pu s'apercevoir que l'organisation est relativement datée et restée enfermée dans une conception sûrement valable pour les générations précédentes mais qui a montré toutes ses limites actuellement : c'est le cas de la coupure face à l'environnement local et de l'installation de temps de vie pour des jeunes radicalement différents entre le moment où on est à l'intérieur et celui où l'on en sort. Il ne s'agit pas de faire du relativisme et de mettre tout dans tout. Il faut ouvrir notre système sur l'environnement culturel, éducatif, politique, social proposé aux jeunes.
Le deuxième élément, sur lequel vous avez failli me faire arriver trop vite, est celui que citait le collègue de la Fédération Léo Lagrange ; nous exerçons en partenariat et nous nous connaissons au plan local ; nous sommes des échelons de réflexion que vous trouvez non seulement ici face à vous dans une audition mais qui construisent des partenariats avec des collectivités territoriales et avec les échelons déconcentrés de l'administration. Nous avons donc aussi quelques responsabilités à l'égard de ces éléments-là. Je ne dis pas cela pour me dédouaner mais pour dire que l'État, et non les seules collectivités, doit continuer à donner des moyens au tissu associatif eu égard à l'agrément d'éducation populaire de jeunesse qu'il nous concède, pour être un réel partenaire sur le territoire : on ne peut pas d'abord donner un agrément pour ne le considérer ensuite que comme un élément virtuel et refuser la plupart des moyens. Tous les collègues autour de la table pourraient y faire écho : en ce qui les concerne, l'actualité est plutôt riche en ce domaine.
Le dernier élément auquel je pensais est un voeu, avoir un véritable ministère de la jeunesse qui ne soit pas uniquement le ministère de l'insertion professionnelle - encore que cela ait son importance - mais qui soit d'abord le ministère de la valorisation des politiques locales de jeunesse, montre aussi tout ce qui se réalise, donne un peu de perspective et ouvre les possibilités offertes aux jeunes.
Mme Claire VAPILLON, vice-présidente en charge de la jeunesse de la Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture - Je ferai une suggestion sur l'orientation. L'une des propositions de la Fédération est aussi de développer un véritable service public d'information et d'orientation des jeunes qui prenne en compte l'ensemble des rôles, des liens et des réseaux qui existent (les missions locales, les réseaux de jeunesse, l'orientation scolaire, l'ANPE, tous les partenaires, toutes les personnes qui agissent dans l'information des jeunes) pour les réunir et travailler au bénéfice du jeune et de son information. Ce service public de proximité aurait deux missions, l'une dans le parcours scolaire, universitaire et professionnel, l'autre de soutien, d'accompagnement et de suivi social et économique. Quels en seraient les lieux physiques ? Les permanences dans les établissements scolaires existent déjà, les MJC en ont un peu moins. Il faudrait un lieu virtuel, un site Internet qui permette à certains jeunes d'avoir ce premier contact et cette information. Chaque jeune pourrait avoir un service individualisé avec un conseiller et dans l'hypothèse de ce service d'information, nous, MJC, pouvons proposer de renforcer la constitution des réseaux avec les acteurs. Vous avez dit tout à l'heure que nous ne parlions peut-être pas assez des jeunes qui sortaient du système scolaire. Les jeunes qui viennent dans nos MJC sont assez souvent en échec, comme en témoignerait leur carnet scolaire ; cependant, ils ne sont pas accueillis comme tels mais dans leur globalité. On peut leur apporter une information et une orientation qui pour eux n'est pas connotée : quand un jeune vient s'informer dans une MJC, il n'est pas stigmatisé comme lorsqu'il va la chercher dans une mission locale. Des jeunes qui sont à la frange, dans les lycées et les universités, à la recherche d'informations dans leur parcours universitaire de professionnalisation, vont parfois avoir besoin de lieux de confiance pour le dire.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On ne vous suivra pas jusque-là. Nous avons également un projet de création d'un service public de l'orientation mais auquel on ajoutera des partenariats et des représentants des employeurs : nous voulons un vrai professionnalisme parce que nous trouvons qu'actuellement, l'orientation est faite par des gens qui le plus souvent n'ont aucune connaissance des codes de l'entreprise. Nous pensons qu'il y a là une petite lacune. Si les missions locales ne font pas le travail que vous êtes en train de décrire envers cette catégorie de jeunes, il faut qu'elles s'y mettent : il y a de nombreux points de rencontre. La multiplication des lieux ne convient pas.
Mme Claire VAPILLON, vice-présidente en charge de la jeunesse de la Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture - Je pense qu'il faut mettre en place des passerelles.
Cet élément-là est important pour que tous les acteurs qui rencontrent des jeunes se mettent ensemble pour passer des informations et accompagner le jeune grâce à cette mise en réseau. Je ne dis pas que nous fassions tout : nous sommes l'un des éléments en réseau.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Avec cela, on retombe sur l'absence de lisibilité, alors qu'il faut que les gens sachent vraiment où aller pour telle problématique. Mais cela n'engage que moi.
Mlle Cécile CHARMOILLE, Secrétaire générale du Mouvement rural de jeunesse chrétienne - Je finirai rapidement en réaction à ce qui a été dit tout au début par Guillaume Légaut : on peut, je crois, se féliciter de ce que nous faisons mais il faut aussi admettre que cela ne suffit pas, sinon, ni nous ni les autres ne serions là. Il me semble effectivement que les associations d'éducation populaire sont complémentaires, à des moments donnés sur des territoires donnés, d'une action publique forte. Je suis d'accord avec Michel Cassé sur la question de l'éducation : on attend un service public de l'éducation fort et ouvert aux partenariats, aux réseaux des acteurs de l'éducation populaire, aux acteurs de l'entreprise et peut-être à d'autres mais nous ne ferons jamais ce que peut et doit, nous semble-t-il, faire l'État. Voici les deux points qu'il faut retenir : ce service d'information et d'orientation me semble essentiel (car on dit depuis longtemps qu'il ne fonctionne pas, y compris les personnes qui y travaillent) ; par ailleurs, il faut se demander comment faire marche arrière dans une certaine casse du service public de l'éducation nationale qu'on est en train d'observer depuis quelques années et qui nous inquiète, notamment en milieu rural. Tel est aussi l'enjeu, me semble-t-il.
M. LE BAIL, délégué général de la Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture - Juste un élément, une réflexion globale : aujourd'hui, l'État a abandonné la dimension éducative des jeunes. Prenons l'ordonnance de 1945 : si l'État veut la réformer, c'est qu'il considère qu'à partir des 13 ans d'un enfant, il n'a plus de responsabilité éducative vis-à-vis d'une jeunesse qui ne va pas bien, est en difficulté et place au premier rang la répression et la sanction. Ce qui se joue aujourd'hui autour de cette ordonnance est symptomatique d'une vision que l'on peut avoir de la jeunesse. Retenons l'élément suivant : il faut remettre la question éducative au coeur des politiques publiques. Gardons cependant à l'esprit qu'il ne s'agit pas seulement du ministère de l'éducation nationale.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Oui, pas seulement. Parlez-vous de vos structures, du poids, du prix et de la valeur ajoutée de ce qu'on appelait l'éducation populaire ?
M. LE BAIL, délégué général de la Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture - Je parle de la dimension éducative que doit avoir l'ensemble des acteurs vis-à-vis d'une jeunesse en matière de politique publique.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - J'ai noté beaucoup de choses mais nous n'allons pas alourdir le débat. C'est un détail dont je me suis étonnée tout à l'heure : je n'ai pas compris pourquoi les Scouts et guides de France souhaitaient un service civique de douze mois au lieu de neuf, beau chiffre qui correspond à une gestation, à une année scolaire !
M. Philippe BANCON, délégué général de l'Association Scouts et guides de France - Cela touche aux missions.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous étiez seuls à réclamer cela. Pourquoi ?
M. Philippe BANCON, délégué général de l'Association Scouts et guides de France - Les missions se font sur une année scolaire, en particulier les animations qui se déroulent dans les quartiers, qui débutent en début d'année et vont jusqu'à la fin de la suivante : c'est lié à cela. En neuf mois, soit on commence en retard, soit on finit en avance.
M. Guillaume LÉGAUT, président de l'Association Scouts et guides de France - C'est pour ne pas laisser les jeunes tout seuls l'été dans les quartiers.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - J'ai été surprise des propos identiques tenus par plusieurs d'entre vous s'agissant de ce service civil : les jeunes ont une impression d'utilité. Plusieurs d'entre vous ont parlé d'une reconnaissance du fait que le jeune, tout à coup, sait faire quelque chose et sert à quelque chose. Comme beaucoup de personnes auditionnées ici nous ont parlé de cela, nous sommes interpellés et trouvons même cela tragique d'être obligés de réparer un jeune qui démarre sa vie en l'assurant qu'il a un vrai savoir-faire, un vrai savoir-être, qu'il compte, qu'il a un vrai potentiel et que son avenir est devant lui. C'est fou : avons-nous manqué l'essentiel ? Notre travail est d'abord de donner confiance aux enfants, aux jeunes et aux adultes en devenir. Voilà ce qui m'interpelle et me touche beaucoup.
M. Philippe BANCON, délégué général de l'Association Scouts et guides de France - J'ignore si nous avons manqué quelque chose ; en tout cas, c'est vrai pour les jeunes volontaires en service civil et ceux qui s'investissent chez nous comme bénévoles. La motivation première est d'avoir la sensation de servir à quelque chose, d'être utiles : c'est la première expérience forte qu'ils ont. Ils vont entrer dans la vie professionnelle très tard et difficilement. Au-delà des compétences, la première motivation est bien celle-là. Tout ce que l'on a pu dire sur l'engagement associatif est central car l'engagement dans la société est très tardif car il est lié à l'investissement professionnel. Le monde associatif représente en tant que tel un vrai espace d'utilité sociale dès 18 ans.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela touche tout le système éducatif ; y compris en tant que parents, nous n'arrêtons pas de pointer ce qui ne va pas. Peut-être serait-il plus facile de faire des progrès en mathématiques si l'on soulignait d'abord que l'élève est excellent en français. La phrase « Tu es nul » devrait être bannie aussi bien par les parents que les enseignants.
M. Samir BENSAADI, délégué national à la jeunesse de la Fédération Léo Lagrange - La collègue des MJC parlait effectivement des classes et militait beaucoup sur l'accompagnement scolaire. Sur son retour dans le giron de l'Éducation nationale, nous nous étions inscrits en faux en disant que l'école n'était pas toujours le bon outil ou le support pour pouvoir soutenir les élèves qui étaient en difficulté, et en expliquant en quoi nous étions une plus-value. Je reviens sur ce que vous disiez tout à l'heure sur la question de la compétence : notre objectif ne s'inscrivait pas dans la réussite scolaire fondée sur la note et la valorisation des savoirs. Prenons un exemple simple : nous nous disions qu'un petit Kurde qui parle le kurde, le turc et le français est trilingue à l'âge de 12 ans : je ne connais pas beaucoup d'enfants trilingues à cet âge ! Mais ce savoir-là n'est pas valorisé car ces langues turque et kurde ne sont pas notées ; il peut avoir 2, 3, 4 en français, 5 ou 6 en maths, on veut bien travailler à l'amélioration de ces résultats mais on le fera d'autant mieux qu'on reconnaîtra qu'il n'est pas bête et a même de réelles compétences : en l'occurrence, voilà ce qu'il faut valoriser. Or, nulle part, ou en très peu d'endroits, on ne reconnaît aujourd'hui cette compétence et ce savoir non scolaire ; faire valoir cette spécificité est le rôle de l'éducation populaire.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Si vous me le permettez, Madame la présidente, je souhaiterais répondre par une expérience. J'ai moi aussi été professeur et j'avais beaucoup de primo-arrivants en classe : je passais un semestre, presque la moitié de l'année, à essayer de valoriser le pays d'où ils venaient en créant des actions collectives dans la classe : c'est aussi le rôle d'un enseignant. On a beaucoup critiqué l'éducation nationale mais je pense qu'elle a aussi des personnels qui sont véritablement impliqués et investis dans la reconnaissance d'autres valeurs que les notes. Cela a été un moment fort et intéressant : nous passions par des ateliers de cuisine ; c'était encore au temps où l'on avait des moyens ; on pouvait le faire en dynamisant tout un petit collectif de parents à côté et en investissant du temps. Valoriser ce qui n'est pas notable et n'entre pas dans les cases est un rôle important.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci mille fois, c'était très riche. Vous nous aidez à cogiter et à avancer un peu, j'espère, dans l'intérêt de ces jeunes qui sont pour certains d'entre eux en grande souffrance. Nous avons fait l'impasse dans cette mission sur la problématique de la banlieue, que j'ai vaguement évoquée tout à l'heure, parce qu'on ne peut pas tout brasser, pour se concentrer sur des problématiques que j'ai énoncées tout à l'heure, et également parce que, le problème étant tellement vaste.
Audition de M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation
(19 mai 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous allons commencer en accueillant M. Bernard Saint-Girons, délégué interministériel à l'orientation. On vous remercie beaucoup de nous avoir rejoints pour une partie de cet après-midi.
Au cours des multiples auditions que nous réalisées, les soucis d'orientation ont émergé, très souvent, comme une des thématiques qui compliquent le problème des jeunes. Généralement, ce qui nous est dit par des personnes extrêmement diverses, des syndicats d'étudiants, mais également, des représentants d'employeurs tous azimuts, c'est que l'orientation est mal faite, voire inexistante. On dénonce plusieurs choses : l'absence de relation entre le monde éducatif et celui de l'entreprise ; les méconnaissances de ceux qui sont censés orienter les jeunes, de ce monde de l'entreprise, des métiers existants et de la réalité de ces métiers. On dénonce beaucoup aussi l'orientation par l'échec ; le fait que ce sont 150 000 jeunes qui sortent, tous les ans, du système scolaire, sans qualification, sans formation et même pas un certificat reconnaissant, par exemple, qu'en dix ans à l'éducation nationale ils ont appris à grimper à la corde !
Donc, on voudrait vous entendre à ce propos, pour nous aider à y voir un peu plus clair et nous suggérer des améliorations.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Mme la présidente, merci de votre présence M. le délégué interministériel. La première question que je voudrais poser concerne la délégation à l'orientation qui doit assurer un véritable service public de l'orientation. Quelle est la traduction concrète, aujourd'hui, de ce principe dans les faits ?
Ce qui est souvent reproché c'est le mille-feuille concernant cette orientation : les jeunes ne savent pas trop à quelle structure s'adresser et l'information manque. On a donc évoqué à plusieurs reprises le « guichet unique ». Nous souhaiterions connaître comment vous imaginez cette organisation à l'échelon local, comment cela peut fonctionner. Est-ce que c'est dans les villes, dans les régions, dans les départements ? Si vous pouviez nous expliquer cela le plus clairement possible.
Par ailleurs, l'orientation a au moins deux composantes : celle d'éclairer les choix mais aussi de mieux répartir les jeunes dans les filières de formation. D'après vous, quels sont les moyens et les priorités en matière de rééquilibrage des effectifs ?
Enfin quelles sont, d'après vous, les expériences qui ont été réussies en termes d'orientation, en France ou à l'étranger, qui pourraient être transposables chez nous ?
M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation - Je vais essayer de répondre à un certain nombre des questions qui vous ont été posées ou qui sont apparues au fil des discussions et des échanges qui ont précédé notre rencontre. Celle-ci est presque en bout de ligne dans la mesure où votre rapport est attendu très vite, ce qui au demeurant est logique puis que nous sommes dans un agenda serré, lié aux propositions qui vont être faites à l'issue de la mission de consultation de Richard Descoings concernant la réforme du lycée et qui seront confrontées également aux observations formulées par vos collègues de l'Assemblée nationale. Peut-être évoquerons-nous également, mais plus modestement, le rapport que je vais remettre la semaine prochaine à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il concerne l'orientation active et les propositions qui peuvent être formulées pour mieux l'installer dans le paysage et la faire fonctionner dans des conditions qui apparaissent peut-être plus opérationnelles qu'elles ne le sont aujourd'hui.
La première question concerne le positionnement de la délégation interministérielle. Une délégation qui n'a pas directement en charge la mission de service public, mais qui a vocation à concourir, à donner du sens et à faire que toutes celles et tous ceux qui, à un titre ou à un autre, interviennent dans l'orientation, le fassent d'une manière cohérente et complémentaire. Je veux dire, et d'ailleurs le rapport du conseil d'orientation pour l'emploi l'a souligné ainsi que d'autres rapports avant lui, que nous sommes dans un paysage extraordinairement dispersé où interviennent des institutions relevant de ministères différents, il s'agit principalement de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et celui de l'emploi, et où au-delà des interventions de ces ministères différents, des découpages existent entre la prise en compte du parcours scolaire ou bien celle du parcours professionnel ultérieur. Ce sont des segmentations successives qui rendent effectivement l'ensemble assez difficilement lisible.
A la délégation qui m'a été confiée, il appartient de créer les conditions d'une approche plus interministérielle. Cette approche, nous l'avons concrétisée d'abord au tout début, il y a deux ans et demi, lorsque le schéma national de l'orientation et de l'insertion a été présenté par mon prédécesseur Pierre Lunel. Ce schéma a fait l'objet d'un certain nombre de mesures d'application. Je retiens principalement celle de l'orientation active qui figurait dans ce dossier et qui a été reprise d'abord par le ministre en charge à l'époque, puis rappelée dans le cadre des travaux de la loi du 10 août 2007. Un schéma rappelé, parce que nécessaire, qui notamment met de l'ordre dans le paysage et assure - je rebondis sur ce que vous disiez tout à l'heure - une meilleure jonction entre ce qui concerne les choix de formation et, par ailleurs, les perspectives d'insertion.
Je crois que le temps où le choix du parcours se faisait dans l'opacité ou l'ignorance des perspectives de débouchés a quelque peu reculé et la jonction entre les deux se fait, sans doute, de manière plus systématique que naguère même si, je m'empresse de l'ajouter, des marges de progression existent.
Le deuxième point, toujours pour souligner l'interministérialité, c'est le travail que nous avons conduit depuis quelques mois et qui a abouti à la circulaire sur le décrochage scolaire en date du 22 avril dernier signée par un ensemble de ministres : celui de l'éducation nationale, celui de l'intérieur, celui de la justice et celui de l'emploi entre autres. C'est une circulaire qui, notamment, entend au plus près des territoires faire travailler ensemble celles et ceux qui de près ou de loin ont à voir avec les jeunes en situation de risque de décrochage ou de décrochage effectif. Je crois que cette circulaire, qui était fortement souhaitée depuis longtemps, permet à la fois de faire confiance au terrain au sens que la fonction de coordination est définie de manière claire et que les choix des personnes qui peuvent en assurer la responsabilité est laissée là, à l'initiative locale : cela peut-être un élu, un ressortissant du ministère de l'emploi ou de l'éducation nationale. En tout cas, il n'y a pas une fatalité à ce que ce soit tel ou tel qui apparaisse en tête de file.
Et ce qui me paraît particulièrement important c'est, qu'à l'occasion de cette circulaire, à la fois aient été posés le principe d'une coordination et celui d'une interconnexion entre les systèmes d'information puisque jusqu'ici les systèmes d'information de l'éducation nationale et ceux de l'emploi versus mission locale, avaient éventuellement quelques passerelles, mais globalement cela tenait davantage à des initiatives individuelles qu'à des choix institutionnels.
Nous sommes aujourd'hui dans une démarche - et la délégation y a pris sa part - où, notamment, à partir de ce qui s'est passé à Nantes avec un dispositif - je n'entre pas dans le détail - expérimenté qui permet de faire miroiter les informations et d'avoir un meilleur suivi. Nous sommes à la fois sur l'identification, une capacité d'identifier, une capacité de choisir à partir du diagnostic, l'opérateur le mieux qualifié, soit pour opérer un retour d'information soit pour développer quelque chose qui relèverait davantage de l'esprit d'alternance.
Enfin, je prendrais un dernier exemple, c'est celui du document de politique transversale (DPT) dont je vous ai donné le dernier exemplaire, celui de 2008. C'est un document qui est le second du genre. Il y en aura, puisqu'il nous a été demandé, un troisième pour 2009 sur lequel nous avons commencé de travailler pour le remettre dans les temps qui sont ceux du mois de juillet - sauf erreur de ma part - pour vous permettre justement d'exercer le contrôle qui est le vôtre. Nous avons, avec ce document, une approche interministérielle qui permet de voir ce que sont l'ensemble des engagements de l'État, que ce soit sous forme de personnel ou sous forme de crédit, et l'apparition d'indicateurs permettant d'évaluer la politique en la matière.
Ce qui veut dire que, pour la première fois, avec ce DPT, apparaissent des éléments qui permettent de suivre l'impact des moyens mobilisés et d'avoir, par conséquent, autre chose que des considérations vagues qui reposent sur des convictions mais jamais véritablement étayées. C'est une vraie révolution culturelle puisque cela veut dire qu'au même titre que les autres politiques publiques, celle de l'orientation a vocation à être évaluée. Reste à voir quels sont les indicateurs pertinents, quel est l'impact du conseil d'orientation lorsque celui-ci est suivi. Bref, nous avons là un travail de méthode assurément à poursuivre, mais il y a désormais des indicateurs dont il faut voir comment ils peuvent être travaillés.
Alors, je dirais à ce stade qu'il y a des éléments d'approche interministérielle qui progressent, que cela est de nature, sur un certain nombre de sujets tels que je les ai rappelés, à faire apparaître une vision un peu plus nette de l'action de l'État déclinée par différents ministères. Il reste très clairement à faire en sorte que cette culture progresse, et à faire en sorte que, au-delà de la coordination, l'ensemble des dispositifs qui interviennent dans l'orientation gagnent en lisibilité. Car une chose est de gagner dans l'approche interministérielle et c'est une nécessité absolue, une autre chose est de faire en sorte que, dans ce paysage, on y voit clair.
Et vous considéreriez que je parle une langue abusivement boisée - et d'ailleurs vous ne me croiriez pas - si je vous disais que ce paysage est fluide et complètement visible. Ce n'est évidemment pas vrai et c'est évident que celles et ceux qui ont la moins bonne connaissance des dispositifs et des arcanes de l'éducation nationale ou d'autres, se trouvent dans cet ensemble-là encore plus perdus que les autres. Et donc, l'égalité des chances passe aussi, assurément, par une simplification des circuits, un effort qui permette, précisément, d'y voir plus clair. Il y a beaucoup de réseaux : ceux de l'éducation nationale, ceux de l'emploi, ceux de la jeunesse. Globalement, il y a 8 500 points d'information aujourd'hui dans le territoire. Alors cela peut être, comme on l'a dit dans d'autres instances, une richesse, cela peut être aussi une sérieuse perte d'énergie.
Comment faire, et c'est le sujet aujourd'hui, que ces 8 500 points correspondent effectivement à un maillage pertinent du territoire ? Et, le deuxième chiffre qui n'est pas moins inquiétant, c'est celui des réseaux que cela représente, puisque ces 8 500 points d'information relèvent de 22 réseaux différents. Ce qui signifie que la gouvernance ou le pilotage en la matière est certainement à revoir et cela renvoie à la fonction de l'État ; vous l'avez dit tout à l'heure en présentant le propos.
Aujourd'hui, le sujet en particulier peut être la labellisation de tous ces réseaux, c'est-à-dire finalement quels sont les indicateurs, les standards d'organisation et de fonctionnement qui peuvent concourir à dire qu'il y a là-dedans des choses qui doivent être élaguées et d'autres qui doivent être confortées.
Par ailleurs, il y a sans doute à travailler - c'est un point que l'on retrouve dans le rapport d'activité - sur la constitution de ce que nous avons appelé des « plateformes multiservices ». Ce sont des plateformes où l'on retrouve des représentants de l'éducation, des missions locales et d'autres, qui peuvent ainsi participer à un travail de conseil suivi, et donner corps à quelque chose que nous n'avons peut-être pas le temps, aujourd'hui, d'aborder complètement, la formation tout au long de la vie. On en parle beaucoup, certes, mais on reste quand même dans ce pays dans une démarche extraordinairement segmentée avec des âges qui sont ceux de la scolarité obligatoire, et puis du reste.
Donc, nous avons là vraiment des choses à faire et puisque vous évoquez des expériences concrètes, celle des cités des métiers est assurément une des réponses possibles avec un label lié à une qualité d'organisation et de suivi. Il y en a d'ores et déjà un certain nombre qui jalonne le territoire. Il y a là une possibilité de faire travailler ensemble des services déconcentrés de ministères qui gagneront sans doute à être davantage en synergie. C'est l'une des propositions que, je crois, l'on peut formuler. Elle correspond à certaines organisations territoriales. C'est vrai que passer le cap et en deçà des villes moyennes, la situation devient un tout petit peu compliquée pour mettre en place des dispositifs comparables. En tout cas, il y a incontestablement des rapprochements à faire et qui gagneront en lisibilité et en pertinence.
J'ai visité, pas très loin d'ici, à Emerainville, une cité des métiers qui était l'une des plus récentes à avoir vu le jour - et peut-être aussi par attachement à mon ancienne académie - pour y constater qu'il y avait véritablement là une attente, et que les parents y accompagnent leurs enfants. Le directeur me disait qu'il a vu revenir des parents pour leur propre intérêt et pour leur propre adaptation à des choix de carrière, subie ou choisie, qu'ils devaient faire dans les meilleurs délais.
Je crois qu'il est extrêmement important en tout cas que dans ces dispositifs on ait les capacités de traiter les sujets par croisement et par conjugaison de compétences. Je ne crois pas à la logique du « guichet unique » si c'est la réponse. Je crois en revanche à la pertinence de plateformes dans lesquelles ces compétences puissent être conjuguées de manière à rendre un service le plus large possible. Si le « guichet unique » est juste un point d'entrée qui va vous basculer ensuite vers le bon endroit, donc l'aiguillage, il y a sans doute des schémas sur lesquels on peut travailler. En revanche, considérer que tout le monde peut répondre à tout : ce n'est peut-être pas le bon choix.
Puis je dirais si vous me le permettez encore, mais peut-être vais-je, là encore, vous paraître un peu provocateur - mais après tout pourquoi pas - j'ai parlé de l'État et de la nécessité qu'il y ait de la coordination entre ses propres composants. Je crois que le sujet est aussi d'envisager les relations de l'État avec ses territoires, et celles de l'État avec les collectivités territoriales. Le temps n'est-il pas venu, sans ouvrir le débat, non pas de savoir si une nouvelle loi doit procéder à de nouvelles répartitions de compétences : je n'ai aucune vocation à l'aborder sous cet angle-là, mais de considérer qu'il y a, dans un certain nombre de régions, des pratiques différentes mais qui toutes vont dans le même sens. Certaines sont très institutionnalisées, je pense au PRAO à Lyon ou à l'expérience PRIM à Lille, qui montrent la capacité qu'il y a, en région, de faire travailler ensemble les services de l'État et ceux des régions, notamment dans le versant PRDF, en particulier, et donc mettre en synergie orientation et carte des formations. Il y a là une procédure qui est tout à fait intéressante et importante : c'est une possibilité très élaborée. D'autres, je pense notamment à la région Centre, ont fait le choix de dispositifs moins institutionnalisés mais où, par des concertations fortes, les schémas qui guident l'opération lyonnaise ou l'opération lilloise se retrouvent dans un partenariat État-région qui ne repose nullement sur une quelconque remise en cause - en tout cas dans les débats que j'ai pu voir - des responsabilités des uns ou des autres, mais dans la recherche de cette complémentarité. Je dirais que de ce point de vue, et sans doute l'avez-vous eu entre les mains, le rapport du Conseil économique et social qui traite de l'orientation et de son organisation en Ile-de-France porte des préconisations assez proches des pratiques que l'on peut relever dans la région Centre.
Il n'y a donc pas une fatalité à des comportements centrifuges, et il n'y a pas une fatalité à tout devoir recentraliser pour que les services et les dispositifs de l'orientation fonctionnent d'une manière plus harmonisée.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - M. le délégué, est-ce vous pourriez nous donner des précisions concernant les expériences qui ont été plutôt positives et que l'on pourrait développer dans notre pays ?
Deuxième question : j'aurais voulu savoir ce que vous pensiez de la formation des conseillers d'orientation : est-ce qu'ils sont à votre avis bien formés ? Est-ce qu'il faut modifier cela ? Et dans quelles directions ?
M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation - Je vais peut-être passer par la deuxième question qui est immédiatement la plus inconfortable, peut-être, pour dire une première chose : c'est que le sujet de l'orientation ne peut pas et ne doit pas être un sujet périphérique laissé en quelque sorte aux seuls professionnels de l'orientation que sont les conseillers. Il y a la nécessité que tout le monde, dans le dispositif scolaire, s'approprie la problématique de l'orientation.
Cela signifie d'abord, de mon point de vue, qu'il faut affirmer très fortement que le premier lieu où se joue l'orientation c'est effectivement le collège, ou le lycée, plus tard. Cela veut dire que tout établissement scolaire doit avoir un vrai projet d'orientation, c'est-à-dire qu'il ne soit pas simplement de l'ordre de l'incantation. Il doit être adossé à des indicateurs qui permettent d'identifier des objectifs et de mesurer les écarts de réalisation. Je crois que c'est parfois légitime qu'il y ait des écarts et il faut d'abord en avoir conscience et les expliquer. Dans cette démarche, le conseiller d'orientation doit être l'expert qui permet au chef d'établissement, à ses équipes pédagogiques et ses équipes éducatives, de faire le projet correspondant le mieux au type de population accueillie et aux perspectives de développement que les élèves peuvent avoir dans le bassin ou plus tard, ailleurs.
J'insiste là-dessus : les conseillers d'orientation, psychologues de surcroît, doivent être ces experts qui nourrissent la réflexion et aident à la finaliser. Ils sont dans un collectif - si je peux utiliser cette image -. Ils ont ensuite aussi à jouer un rôle plus particulier et plus individuel s'agissant des élèves qui sont en grande difficulté et pour lesquels, effectivement, leur formation les prédestine à faire un exercice plus personnalisé. Mais j'insiste sur le point qu'ils doivent être d'abord dans des équipes et pilotés par le chef d'établissement, et non pas laissés à leur seule initiative. Ce n'est pas un manque de confiance, c'est une réalité : personne n'est dans un dispositif complètement livré à lui-même ou installé à son compte.
Deuxième remarque : s'il en est ainsi, le conseiller d'orientation doit être en situation, non seulement, de maîtriser les champs pour lesquels il a été formé, mais il faut réfléchir aussi à la connaissance de l'environnement économique qu'il a des métiers. Il ne s'agit pas d'être le spécialiste de tous les métiers car là-dessus je dirais, peut-être, autre chose. Mais en tout cas, il faut qu'il ait été sensibilisé à une démarche de parcours, au sens que ce parcours doit avoir, et à l'insertion qu'il y a au bout. Il doit faire émerger des projets qui aient du sens et faire en sorte qu'ils aboutissent effectivement à un vrai projet de vie et non à se fracasser dans quelque chose qui n'aurait aucune perspective d'avenir.
Aujourd'hui, la question elle est, bien sûr, celle de la formation des conseillers d'orientation. La question est de savoir si tous doivent avoir le socle, qui est actuellement le leur, d'une licence de psychologie. C'est un vrai sujet si l'on considère qu'il doit y avoir un corps dont l'assise en matière de psychologie est assurée. Peut-être faut-il, aussi, organiser un tour extérieur qui permette d'avoir, dans des proportions que je laisse à chacun le soin d'apprécier, des gens qui connaissent l'environnement économique. Cela peut être, aussi, d'anciens professeurs ou des professeurs qui décident d'avoir une évolution de carrière. Nous avons là des opportunités diversifiées et sans doute une perspective et le tour extérieur peut être une forme qui permet de répondre à votre attente.
La troisième chose que je voudrais dire, c'est que sur les sujets de l'orientation, il ne faut pas seulement former les conseillers. Je crois que nous avons besoin de former, également, très sérieusement les professeurs et singulièrement les professeurs principaux. Ce qui signifie que l'opportunité de la mastérisation de la formation des professeurs de lycées et collèges doit être saisie pour que l'on retrouve une vraie compétence au bénéfice des professeurs. Dire par conséquent qu'il faut que dans la formation initiale des maîtres il y ait de quoi faire bouger les mentalités et faire que l'on sorte de l'idée que seuls les résultats scolaires commandent l'orientation car telle qu'elle est conçue aujourd'hui, l'orientation scolaire apparaît comme un dispositif où, en fonction des résultats, exclusivement scolaires, des portes restent ouvertes ou se ferment. Et pour ceux pour lesquels elles se ferment, le cap de la 3e est bien connu et au-delà de la 2nde l'on connaît aussi la manière dont on se retrouve dans la filière professionnelle ou dans la filière technologique, alors que ce sont des filières qui ont toute leur vocation et tout leur intérêt et qui méritent qu'on s'y oriente par choix délibéré plutôt que par défaut.
Donc, il y a là évidemment une évolution qu'il faut consolider aussi en ajoutant dans les plans académiques de formation continue - des professeurs et des conseillers d'orientation - les éléments qui permettent aux uns et aux autres d'enrichir leurs compétences.
Mais je crois que, d'une part, il faut sortir de l'idée que l'affaire de l'orientation n'est la responsabilité que de quelques-uns et, d'autre part, il faut outiller tout le monde pour que chacun dans ses compétences soit effectivement en posture d'assumer pleinement les responsabilités que la nation souhaite lui voir exercer.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Pourriez-vous également répondre à notre demande de vous entendre citer quelques exemples ?
M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation - J'ai cité tout à l'heure les expériences institutionnelles du type Lyon ou Lille où il y a, sur le plan institutionnel, des dispositifs qui font communiquer entre eux des services qui jusque-là travaillaient de manière trop systématique chacun dans son affaire. Il est, de ce point de vue-là, intéressant d'observer, notamment dans l'expérience lilloise que emploi, éducation nationale, enseignement supérieur se retrouvent dans un dispositif de concertation où des choses aussi importantes que l'orientation vers l'enseignement supérieur ou la question des filières professionnelles Bac+2 ou d'autres, sont particulièrement développées. Voilà des expériences un peu macroscopiques, si j'ose dire.
J'évoquerais aussi des expériences qui sont celles d'universités particulièrement intéressantes. Les démarches, par exemple, de Paris 12 ou de Marne-la-Vallée qui proposent véritablement des plateformes qui permettent d'accueillir de futurs étudiants, de discuter avec eux de leurs projets d'orientation et de pouvoir, à partir de là, nuancer ces projets ou dire que ce projet pourrait être mieux assuré par tel ou tel autre choix. Je le dirais dans un rapport qui, dès qu'il aura été remis à la ministre, sera susceptible d'être rendu public par ses soins. C'est en tout cas ces bonnes pratiques-là qui montrent que la relation université-lycées peut être particulièrement bien construite. Nous avons, avec celles et ceux qui travaillent avec moi, également vu travailler une université comme Lyon 2 qui, notamment avec les lycées de l'Est lyonnais et Vaulx-en-Velin en particulier, a développé des initiatives tout à fait intéressantes. Sur le plan de l'orientation post-scolaire, c'est dans la qualité du partenariat entre universités et lycées que se trouve la clé d'une partie des problèmes rencontrés de ces 80 000 étudiants qui quittent le 1er cycle en situation d'échec.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Moi je voudrais réagir par rapport à ce que vous disiez, Monsieur le délégué, sur le « guichet unique ». Je pense que l'une des réponses c'est bien que sur les territoires il y ait des plateformes où se retrouvent, pas seulement les conseillers d'orientation parce que parmi les professionnels de l'orientation, ils représentent une toute petite minorité. Il y a, aujourd'hui, vous le savez mieux que moi sans doute entre 4 000 et 4 500 conseillers d'orientation. Il existe bien plus de conseillers dans les missions locales, ils sont 15 ou 16 000 au minimum, je n'ai pas actualisé les chiffres.
Mais ce qui me semble important, c'est que sur un territoire donné, se retrouvent des professionnels qui peuvent avoir une approche complémentaire par rapport au public. Donc, loin de moi l'idée de penser qu'il y a le super conseiller qui sait tout : sur la psychologie de l'individu, parce qu'il en faut un peu quand on fait de l'accompagnement individuel d'un jeune ou même d'un adulte, sur son projet ; qui connaît toutes les formations ; qui connaît parfaitement le monde économique car on sait aussi que selon l'endroit où l'on exerce un métier, on n'exerce pas tout à fait le même métier parce qu'il y a un contexte environnemental. Tout cela est très compliqué.
Moi, ce que je pense, et le PRAO c'est un peu cela : c'est qu'il faut à la fois réfléchir à des mises en réseau sur le territoire des professionnels de l'orientation et avoir le courage de dire que parfois il y en a trop et pas forcément très professionnels. Je pense à certaines initiatives de collectivités, de maires pleins de bonne volonté, mais qui ont abouti à des structures de deux personnes pas bien formées, animateurs sociaux connaissant un peu les organismes de formation qui étaient sur le territoire. Tout cela me paraît un peu ajouter de la confusion. Or il me semble qu'il faut clarifier les choses et peut-être que cela passe par une formation commune et un lieu de formation pour ces professionnels de l'orientation.
Et puis deuxième aspect : on souffre du cloisonnement de l'offre de formation. Je vais d'abord parler de la formation initiale, secondaire : je crois que sur les territoires - et c'est un petit peu dans ce sens que la région Rhône-Alpes a réfléchi - il faut penser une offre de formation au niveau des territoires. Parce que l'on sait bien que pour les jeunes, envisager une formation à 80 ou 100 km de chez soi, c'est compliqué pour les parents parce que l'on ne laisse pas dans le monde actuel, partir son enfant de 15 ans, 16 ans, 17 ans, comme ça, encore moins quand il s'agit d'une fille ! Mais bon, je ne vais pas caricaturer. Il faut donc aussi penser une offre de formation cohérente et suffisamment large au niveau des territoires avec sur une même zone des formations professionnelles, des formations générales, des formations technologiques, de l'apprentissage et que tout cela puisse travailler ensemble pour permettre les passerelles pour les jeunes. Parce que, je suis désolée, mais le droit à l'erreur ça existe, aussi. Trouver tout juste du premier coup, ce n'est pas évident dans ce monde qui est quand même très compliqué. Il me semble qu'il faut travailler là-dessus et, de la même manière, sur la liaison - alors là je parle de l'enseignement secondaire - entre lycée et enseignement supérieur. Là aussi, il y a une approche territoriale à mettre en place. Et c'est ainsi que cela permettra de travailler à la fois sur l'orientation et la formation tout au long de la vie.
Il me semble que cette notion de « guichet unique » n'est pas à balayer d'un revers de main. Je crois qu'il faut réfléchir sous l'angle « plateforme territoriale ». Moi, je l'ai déjà dit ici et je le redis : je pense que les régions qui ont déjà la compétence dans le cadre des lois de décentralisation sur la formation professionnelle, sur les missions locales, à un moment il faut leur basculer tout ça. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'État, mais que l'échelon régional est le bon lieu de la coordination. Je pense qu'il faut le faire, aussi, sur l'ensemble des dispositifs de formation avec un pilotage national parce que l'État a une fonction de générer, de permettre de l'égalité sur l'ensemble du territoire. Donc, il faut faire attention aux travers d'une décentralisation avec des mesures à plusieurs vitesses.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - On a parcouru très vite votre rapport d'activité et je vois que dans les propositions que vous faites, vous évoquez le regroupement de moyens qui pourrait prendre deux formes, premièrement, une agence limitée à l'information et à l'orientation, et ensuite, une agence conjuguant les moyens de l'État dévolus à l'accueil, à l'orientation et à l'insertion des jeunes, un tel scénario tendant à promouvoir, en accord avec les régions, un service unique d'accueil. Est-ce que vous pourriez nous développer cette proposition ?
M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation - Oui, c'est toujours un peu difficile de se citer soi-même. Peut-être réagir et, en même temps répondre à votre interrogation.
C'est à partir, peut-être, d'une vision étroite du « guichet unique », que j'ai répondu. Je veux dire que si - je caricature - n'importe qui répond à n'importe quelle sollicitation, on va effectivement directement dans le mur.
En revanche, s'il s'agit de plateformes que moi j'appelle « multiservices », que d'autres appellent, parce qu'elles sont labellisées « cité des métiers », il y a certainement de belles choses à réaliser et, en tout cas, de belles choses déjà à voir. Encore une fois, pas très loin d'ici, à La Villette, on a un exemple puisque c'est la première de celles qui a vu le jour. La cité des métiers de la Villette est une réalisation tout à fait remarquable où tout le monde apporte son écot, que ce soit l'emploi, l'éducation nationale. Il y a des personnels qui y sont affectés, qui font l'objet d'un pilotage, d'un management qui leur permet de répondre sur un certain nombre de sujets.
Deuxième observation, pour vous dire que je converge plutôt vers ce que vous disiez, vous avez évoqué le cloisonnement de l'offre de formation, la difficulté qu'il y a ensuite de créer des passerelles entre les formations et donc à jouer la carte de la réorientation. Lorsqu'il y a réorientation, il y a déjà, pour certains, le sentiment d'un relatif échec. Si en plus, s'ajoute à ce changement de cadre de formation, le devoir de partir de là où l'on vit, de là où l'on a ses amis, cela ajoute à la difficulté.
On a tout de même, me semble-t-il, aujourd'hui, l'expérience des lycées des métiers qui, avec l'appui des régions, a permis de réaliser un certain nombre d'établissements, ou de réaliser dans un certain nombre d'établissements, une offre diversifiée autour de spécialités clairement identifiées et où l'élève peut se voir offrir, dans un champ donné ou dans plusieurs mais convergents, des formations qui vont du CAP au BTS pour dire simplement les choses. Et, je crois, que non seulement c'est possible en formation initiale, mais certains lycées des métiers ont engagé des démarches qui permettent d'y ajouter l'apprentissage et la formation continue. Donc, il y a de vrais lycées des métiers qui se sont inscrits dans des logiques de parcours couvrant l'ensemble du panel jusqu'au BTS et qui, par ailleurs, offrent une pluralité de statuts et intègrent la formation continue.
Je suis d'accord pour dire que la réorientation doit être dédramatisée. Mais si on veut la dédramatiser, il faut d'abord que l'on ait la capacité de rendre lisibles les passerelles : elles ne le sont pas toujours. Il faut également être en situation, là où il y a de la matière à le faire, de valider la partie du parcours qui a déjà été fait et ne pas considérer que l'on sort de ce sur quoi l'on s'était engagé aussi démuni que lorsque l'on y est entré.
Enfin, je vais dire très brutalement les choses : nous avons besoin de progresser sur des formations conçues en termes de modules capitalisables, au lieu d'être confrontés à des logiques de tout ou rien !
Donc, ne nous créons pas des rigidités là où il existe des sorties possibles. Et il me semble, dans le contexte que nous sommes en train de vivre où des jeunes gens sortis prématurément du système éducatif prennent de plein fouet l'effet de la crise, qu'il y a sûrement quelque espoir à leur donner en les encourageant à revenir vers de la formation, mais en valorisant l'expérience qu'ils ont pu acquérir dans le temps où ils ont travaillé.
Je prendrais un dernier exemple, caricatural : celui du CAP qui comporte une partie théorique et une partie pratique. Beaucoup de jeunes gens échouent à la partie théorique et ils ont, ensuite, cinq ans je crois, pour acquérir la partie qui leur fait défaut. Ils partent travailler et ils acquièrent une expérience. Mais cinq ans après ils n'ont plus rien parce que, faute d'avoir validé la partie théorique, la partie pratique est disqualifiée. Je crois qu'il faudrait peut-être proposer que, sur ce plan-là, la réglementation évolue et que l'on puisse aussi, par des validations d'acquis d'expérience, considérer qu'un CAP est obtenu pour sa totalité dès lors que l'on a exercé ce métier pendant a fortiori cinq ans, à la satisfaction de celles et de ceux qui emploient.
Il faut aussi avoir présent à l'esprit, en tout cas c'est quelque chose que je souhaitais vous dire, la diversification des voies de la certification sans quoi nous allons au-devant de quelques désillusions. De ce point de vue, je crois qu'il y a toute une pratique au CNAM que l'on a certainement un grand intérêt à revisiter et à regarder d'extrêmement près. Je pense notamment aux poursuites d'études après le bac Pro qui souvent échouent à l'université parce que les élèves de cette filière y courent un exercice pour lequel ils n'ont pas été entraînés et donc il n'y a pas de raison pour qu'ils y réussissent, a priori en tout cas. Et par conséquent là, il y a des dispositifs qui peuvent mieux fonctionner et s'inspirer de la formation continue. Après tout, je pense aussi qu'il peut y avoir de la contamination positive à utiliser des méthodes qui ont prouvé leur efficacité ailleurs.
Il faut que nous réfléchissions au rôle que l'État doit jouer - j'ai apprécié ce qui a été dit tout à l'heure - en matière de définition d'un certain nombre de principes fondamentaux et en termes de structuration des grands réseaux, pour faire simple. La France a présidé l'Union européenne et, il y a eu à Lyon une conférence sur le sujet de l'orientation tout au long de la vie dont est issue une résolution du 20 novembre 2008. Nous avons dans cette résolution, que nous avons contribué à élaborer, un certain nombre de principes fondateurs et structurants qui pourraient être, me semble-t-il en tout cas, la référence à une nouvelle relation qui peut s'établir sans toucher nécessairement ni à la Constitution ni à quoi que ce soit d'autre.
L'agence à laquelle nous pensions, sa déclinaison nationale en tout cas, visait à disposer d'un outil interministériel et fédérateur qui, par conséquent, permette à la fois de disposer de ressources en informations, de produire des ressources disponibles pour tous et par ailleurs, de pouvoir avoir, à partir des analyses de situation, des propositions stratégiques à formuler. Il ne s'agit pas de dire que c'est à elle que revient le soin de les formuler, mais de les préparer pour le politique, en tout cas. Je crois que cet effort de fédération - qu'il faut assurément faire progresser - et, dans le même esprit, la déclinaison locale - si je puis dire - ou en tout cas régionale, permettait sur le modèle PRAO et d'autres, de faire travailler ensemble des services qui ont toute raison de le faire.
Faut-il deux niveaux d'agence ? C'est une chose que l'on peut discuter. Ce que je voudrais simplement dire c'est que si l'on crée des agences c'est évidemment pour structurer les réseaux et élaguer. Si c'est pour rajouter une couche dans un dispositif où il y en a déjà beaucoup, il vaut mieux qu'on en fasse tout de suite l'économie.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Effectivement, Monsieur, vous avez répondu à la plupart des questions. Ce qui nous posait problème, c'était sortir du déterminisme social et scolaire pour les jeunes qui étaient en échec. Alors on entendait dire : « Bon, quand un jeune redouble le CP, il sera en échec scolaire plus tard ». Chaque année, effectivement, il y a 150 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme. Il faut noter également tous les problèmes que l'on peut connaître en première année de fac, ceux que l'on connaît aussi en première année d'apprentissage où, là aussi, beaucoup de jeunes décrochent.
Je crois que vous avez répondu à l'une des questions en disant qu'il ne faut pas attendre, au niveau de l'orientation, que le jeune ait atteint un âge dans lequel il est toujours difficile d'arriver à trouver une issue, qu'il faut donc effectivement agir très vite, dès le plus jeune âge de l'élève. Alors, nous avons effectivement auditionné plusieurs orateurs et certains nous ont suggéré de dédoubler le CP ce qui permettrait d'éviter l'échec scolaire. Alors, je voulais savoir si vous aviez réfléchi un petit peu à ce domaine-là.
Le deuxième point sur lequel j'ai travaillé longtemps et auquel je tiens, c'est de rapprocher très tôt le monde du travail, de l'école, à un niveau ou à un autre. Vous avez émis, c'est vrai, le souhait de modifier le cahier des charges de la formation des maîtres, ce qui peut être très bien. Et je pense même que vous pourriez aussi prévoir cette mesure pour les professeurs, qui sont également concernés.
Ensuite, effectivement, vous proposiez de travailler tout au long de la scolarité de l'enfant, sur la validation de ses acquis et, notamment, sur l'estime de soi parce que quand on commence dans la vie à être en échec dès le CP, en général on n'a pas trop de chance de s'en sortir.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - J'ai envie de rebondir sur la formation des professeurs puisque vous avez parlé de la formation des professeurs « principaux ». Pour avoir vécu la scolarité de mes enfants et d'autres, les professeurs principaux, maintenant, c'est n'importe quel professeur qui est professeur principal durant une année.
Je pense qu'au niveau des jeunes enfants, il faut peut-être profiter de ce temps-là, non pas pour former les jeunes enfants à l'orientation, mais les parents. Puisque l'on a remarqué, aussi, que l'orientation négative était un discours entre parents et professeurs, qui avait justement une connotation sur les enfants et les adolescents et les jeunes adultes qui, donc, se retrouvaient dès le plus jeune âge avec cette orientation négative. Pour moi c'est très important.
J'avais juste envie de faire une petite remarque : quand vous avez évoqué la formation tout au long de la vie, pour moi la formation continue tout au long de la vie est un droit. C'est vrai que c'est important de le dire et de le redire : je pense qu'en effet ça ne doit pas s'arrêter au jeune adulte. C'est un droit qui doit courir tout au long de la vie.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Concernant la formation des professeurs, vous avez fait le lien avec la mastérisation, en disant que les professeurs, jusqu'à présent, étaient formés à Bac + 3, mais n'oubliez pas qu'ils passent quand même le concours du CAPES, qu'ils passent par l'IUFM aussi, etc. Il y a quand même une certaine formation. Qu'est-ce que vous voulez dire en parlant de cette mastérisation qui serait beaucoup plus profitable dans le domaine de l'orientation ?
Et puis, deuxième question qui a été un peu abordée tout à l'heure, concernant les élèves qui sortent du dispositif scolaire soit 150 000 par année : comment verriez-vous une mise en oeuvre d'une orientation pour ces élèves que l'on qualifie en échec scolaire ? Qu'est-ce que vous proposez ?
M. Bernard SAINT-GIRONS, délégué interministériel à l'orientation - Première remarque s'agissant de la formation des professeurs pour dire qu'il y a, évidemment une priorité sur les professeurs principaux, dont la responsabilité en matière d'orientation est clairement affichée et qui, par conséquent en matière de suivi de l'orientation doivent être préparés à l'exercice. Ils le sont parfois, ils ne le sont pas de manière systématique.
Deuxième observation, s'agissant, aujourd'hui, du recrutement annoncé des professeurs non plus au niveau licence, mais niveau master, donc Bac + 5, il y a la nécessité de prévoir dans la formation initiale un module ou en tout cas des unités qui soient dédiées au sujet de l'orientation. La manière dont on le conçoit est affaire, évidemment, de spécialistes. Ce que je crois c'est que le sujet n'était pas systématiquement abordé dans les IUFM, il l'était dans certains, il ne l'était pas de manière systématique. Ce qui veut dire qu'à l'occasion de la refondation de la formation des maîtres, j'englobe les professeurs des écoles et les professeurs derrière cette expression, il y a nécessité à ce que l'orientation soit un sujet que l'on traite effectivement.
Par ailleurs, vous m'avez interrogé sur la formation tout au long de la vie. Si l'orientation est une éducation au choix et au choix outillé, la question de la formation tout au long de la vie doit être l'occasion de mettre à l'épreuve des faits, l'éducation au choix que l'on a reçue, étant entendu que les conditions et le contexte du choix peuvent être différents. Mais si véritablement, nous remplissons le contrat de l'éducation au choix, alors nous aurons assurément permis de progresser ceux qui auront été amenés à changer de métier, et éventuellement, de secteur d'intervention, pour des circonstances ou des options personnelles.
L'éducation au choix c'est une éducation qui ne s'arrête pas au moment où l'on sort du dispositif, mais véritablement au moment où l'on en a terminé avec un parcours de vie.
Enfin, pour les élèves qui sortent du dispositif, une remarque : il ne faut pas les remettre nécessairement dans les mêmes conditions à l'endroit dont ils ont décroché. Si on les force à rester, il y a un moment où, effectivement, l'estime de soi et l'envie d'aller plus loin risquent d'être mises à rude épreuve. Il faut donc, soit dans le dispositif de type mission générale d'insertion à l'éducation nationale, soit dans des dispositions relevant des missions locales, que l'on propose une poursuite de formation autrement. Et une poursuite de formation autrement c'est mettre le jeune qui est momentanément en difficulté dans la classe dans un autre rapport d'apprentissage. Cela veut dire qu'il peut être, à ce moment-là, grâce à une alternance bien construite, en capacité de retrouver du sens à sa formation. Ce sont, je crois des éléments qui en tout cas, aujourd'hui, sont pratiqués. Il faut qu'il y ait un vrai diagnostic partagé et que de ce diagnostic partagé naisse un projet de formation qui soit effectivement offert à la personne qui est en situation d'échec.
S'agissant du dédoublement des CP, la réponse est moins celle du délégué à l'orientation que celle de l'ancien recteur : la mesure est sans doute assurément pertinente là où l'on est dans des situations de grande difficulté sociale. Aller dans une généralisation du dédoublement a peu de sens. Mais si on dédouble le CP, il faut savoir que l'on ne peut pas simplement dédoubler le CP, il faut un retour à une situation d'encadrement plus traditionnel, progressif. Les enquêtes de Picketty ont bien montré les limites de l'exercice : je veux dire que si vous replongez l'enfant exactement dans la même situation en sortie de CP, il va se retrouver à « patauger » aussi. Il y a donc un accompagnement à inscrire dans la durée.
J'ai juste une frustration : c'est que l'on a peu eu l'occasion d'évoquer les exemples étrangers. Or je crois que la vision hexagonale peut être une vision terriblement réductrice, mais on pourra peut-être à d'autres moments en reparler. Dans l'approche du sujet, soyons donc très insistants.
M. Jean-Marie LENZI, chargé de mission auprès du délégué interministériel à l'orientation- Je voudrais dire juste une chose pour les exemples étrangers. Nous avons structurellement un désavantage sur beaucoup de pays étrangers, c'est qu'à l'échelon local, on va dire de l'agglomération, nous n'avons pas une institution unique responsable du suivi orientation des jeunes à la fois en milieu scolaire ou hors du milieu scolaire. Cela complique le problème de la coordination et de la responsabilité.
Lorsque l'on regarde en Angleterre, il y a le Local Authorities ; au Danemark il y a les municipalités auxquelles sont décentralisés des services d'orientation, pilotés par l'État. On s'aperçoit qu'en France, on n'a pas non plus un maillon au sein de l'éducation nationale de coordination au niveau de l'agglomération. On n'a pas un maillon au niveau des autres services de l'État à part les sous-préfets. Et on n'a pas une collectivité locale leader sur cette thématique sociale. C'est une simple réflexion qui, je crois, est intéressante pour les sénateurs.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci bien.
Table ronde « Insertion professionnelle des jeunes diplômés »
(20 mai 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je rappelle, pour mémoire, le contexte. Le chômage des jeunes est un des plus élevés d'Europe Il a augmenté de 34 % en un an, cela est lié à la conjoncture, mais, hélas, en France, les difficultés des jeunes se situant dans leur vie de jeune adulte, sont d'ordre structurel et pas uniquement liées à la crise. Dernier chiffre, qui, peut-être, vous concerne plus directement : nous considérons que même un jeune diplômé met environ dix ans pour stabiliser sa vie professionnelle, puisque les dix premières années sont ponctuées de stages, d'emplois précaires, de nouveau de stages, etc. Donc, nous pensons qu'il y a urgence à avancer à la fois sur les problèmes d'emploi et tout ce qui tourne autour : c'est-à-dire la formation et l'orientation, mais également sur les problèmes d'autonomie des jeunes (autonomie financière et logement), de santé et de citoyenneté.
Donc, nous voudrions cet après-midi profiter de vos compétences spécifiques pour éclairer notre réflexion en matière d'insertion professionnelle des jeunes ; et, plus précisément, pour cette première table ronde d'insertion des jeunes diplômés.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Merci Mme la présidente. Je souhaiterais que nous puissions aborder trois thèmes avec trois questions à chaque fois : concernant, d'une part, le rôle des établissements d'enseignement, deuxièmement, les difficultés d'insertion professionnelle des jeunes diplômés, et enfin, les stages. Ce que j'aurais souhaité, c'est peut-être que, à tour de rôle, vous vous présentiez, et que vous fassiez le bilan, déjà, de ce que vous pouvez observer de l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Et ensuite, si vous en êtes d'accord, nous passerons aux questions par thème.
M. Patrick HETZEL, directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle - Mme la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci beaucoup tout d'abord de m'avoir invité à cette table ronde. Je crois que nous pouvons tout de suite entrer dans le vif du sujet. Le législateur a souhaité que la question de l'insertion professionnelle prenne une importance toute particulière. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 prévoit notamment, dès son article Premier, que l'une des missions assignées aux établissements d'enseignement supérieur soit celle de l'insertion professionnelle.
Cette problématique de l'insertion professionnelle a donc été jugée suffisamment importante au travers de la loi pour qu'au sein même de l'administration centrale, nous l'inscrivions dans notre organisation, puisque ma direction générale, qui était la direction générale de l'enseignement supérieur, est devenue la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle. Et je tiens à dire que l'objectif n'est pas simplement de faire évoluer un acronyme de l'administration centrale, mais de faire en sorte que cette question soit véritablement portée.
Il est clair que le sujet de l'insertion professionnelle, c'est un sujet qui, depuis maintenant quelques années, a commencé à être traité de manière systématique par l'enseignement supérieur. La loi a notamment donné un certain nombre d'obligations, et je crois que ces obligations, aujourd'hui, sont en train de se déployer. C'est ainsi que les établissements, comme le prévoit la loi de 2007, ont commencé à mettre en place des bureaux d'aide à l'insertion professionnelle. Ces bureaux sont des structures qui remplissent les missions définies par la loi. Et, bien entendu, nous assistons en ce moment même à une montée en puissance de ces bureaux d'aide à l'insertion professionnelle, tout simplement parce que nous nous apercevons que toutes les universités n'avaient pas encore mis en place des schémas directeurs de l'insertion professionnelle. Donc, nous leur avons demandé de les mettre en place ; cela a donné lieu à une circulaire adressée au mois de novembre dernier à l'ensemble des établissements, en leur demandant de nous faire connaître pour le mois de février leur schéma directeur d'aide à l'insertion professionnelle. Force est de constater que ces schémas, aujourd'hui, reflètent une évolution ; c'est-à-dire que, aujourd'hui, les établissements d'enseignement supérieur se sont rendus compte que cette question devait être prise à bras-le-corps, et que, notamment, il y avait un effort tout particulier à faire en termes d'organisation, pour créer un continuum entre l'information, l'orientation et l'insertion professionnelle.
La question de l'insertion professionnelle, nous pouvons la prendre de différentes manières. Il faut que ce soit une donnée qui, à un moment déterminé, soit aussi collectée, de telle sorte qu'elle puisse par la suite être mise à disposition des lycéens et des étudiants, et qu'ils puissent s'en servir dans leur processus de choix, à la fois quand ils sont primo-arrivants à l'université, mais aussi pour leur poursuite d'études.
Nous nous apercevons que cela est en cours, mais que cette réalité reste encore très contrastée selon les universités. Ce qui est certain, c'est qu'un effort tout particulier est en train d'être fait par les établissements pour rendre disponibles ces informations liées à l'insertion professionnelle, étant entendu que, dans un certain nombre de cas, elles n'existent pas encore, c'est-à-dire que les établissements, à ce moment-là, sont en train de collecter ces données.
Nous avons, d'ailleurs, dès l'automne dernier, mis en place, aussi, un groupe de travail avec des représentants d'établissements d'enseignement supérieur pour réaliser, avec l'aide du CEREQ, une première enquête sur cette question, puisque l'objectif est évidemment de permettre aux universités de développer une méthodologie de la collecte d'informations, mais aussi, dans un second temps, de comparaison de ces données entre les établissements d'enseignement supérieur. Puisque l'idée est aussi de pouvoir, à terme, tenir compte de ce que les établissements font en matière d'insertion professionnelle pour leur allouer un certain nombre de moyens.
Tout cela pour vous dire qu'aujourd'hui, l'enseignement supérieur est en pleine phase d'appropriation de ce sujet, et c'est une réalité qui est encore contrastée, parce que tous les établissements n'ont pas encore généralisé leur méthode d'approche sur le sujet.
M. Daniel LAMAR, directeur de l'Association pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) - Présenter l'association en deux mots est, je pense, nécessaire. Elle a été créée par les organisations et les mutuelles étudiantes ; donc, dans le conseil d'administration, nous retrouvons à la fois l'UNEF, l'UNI, la FAJE, PDE, les mutuelles, qui s'entendent sur ce sujet de l'insertion professionnelle, et nous sommes la seule association à avoir cette composition, je tiens à le faire remarquer. De ses membres vient l'objet de l'association, c'est-à-dire l'insertion professionnelle des étudiants et des anciens étudiants, qu'ils soient diplômés ou non. Nous avons, en quatorze ans, développé une association qui, aujourd'hui, a 140 salariés répartis dans 50 relais un peu partout sur le territoire, avec des activités collectives qui concernent 300 000 jeunes par an, 50 000 d'entre eux sont inscrits à l'association ; et, sur ces 50 000, 10 000 sont accompagnés individuellement : il s'agit de publics spécifiques comme des jeunes allocataires du RMI (bientôt RSA), des jeunes résidents dans des quartiers de la politique de la ville, des jeunes issus de l'immigration, des jeunes femmes, des jeunes en situation de handicap.
Cette pratique depuis quatorze ans (mais avec une montée en charge), nous amène à un certain nombre de conclusions. Ce qui est sûr, c'est que, dans le débat qui est ouvert aujourd'hui, nous avons toujours un débat récurrent sur le fait que les politiques publiques s'occupent des jeunes n'ayant aucune qualification : le stock des 160 000 jeunes n'ayant aucun diplôme, par rapport aux autres. Vous savez que le dispositif légal, entre la loi de cohésion sociale et la loi sur l'égalité des chances, flèche les publics de niveaux VI-Vbis pour la première, V et un peu IV pour la suivante, mais qu'aujourd'hui, en réalité, il n'y a pas de dispositions législatives sur les publics de niveau I, II, III. Ces publics sont importants, puisque nous dépassons depuis plusieurs années le seuil de 500 000 bacheliers par an (près de deux tiers des jeunes), et que, d'après les chiffres, qui ne sont pas les derniers chiffres connus, nous sommes tout de même à un taux de plus de 42 % d'une classe d'âge disposant d'un diplôme d'enseignement supérieur, ce qui est quand même un grand changement de proportion par rapport aux décennies passées.
Par rapport à ces publics, nous, ce que nous voulons dire, c'est qu'il existe des difficultés structurelles liées à la fois au type des formations proposées et au marché de l'emploi (le marché de l'emploi variant plus que les formations). Nous constatons aujourd'hui (et là, je parlerais des années 2007-2008, où la situation de l'emploi des jeunes diplômés était relativement bonne), que nous restons avec une situation où un jeune sur deux a des difficultés d'insertion, allant de petites difficultés jusqu'à de fortes difficultés. Trois problèmes principaux sont à considérer : des échecs (qui peuvent être des échecs en premier cycle, mais aussi des échecs par rapport au master, au doctorat, et par rapport aux concours de la fonction publique), donc, à la fois des jeunes qui n'ont pas de diplôme, des jeunes qui ont des diplômes mais qui n'accèdent pas à leur projet professionnel ; des problèmes avec des jeunes diplômés disposant de diplômes généralistes, sortant avec un seul diplôme généraliste de l'enseignement supérieur. J'arrondis les chiffres pour dire que 100 000 jeunes sortent de l'enseignement supérieur avec des diplômes généralistes : des licences généralistes, des master 1, sans valider de master 2, des masters de recherche sans entamer de recherche, et, malheureusement, un certain nombre de masters 2 pro qui ne correspondent pas vraiment à des débouchés.
Dernier élément, se posent des problèmes de discrimination à l'embauche, qui touchent en premier lieu tous les jeunes qui n'ont pas de relations, une discrimination sociale, parce qu'aujourd'hui, pour trouver un emploi qualifié, il faut avoir les moyens d'attendre, des discriminations liées à l'origine (que cela soit les quartiers ou les jeunes issus de l'immigration) et des difficultés, aussi, liées au handicap. Ces trois éléments (les échecs, les formations généralistes et un certain nombre de phénomènes discriminatoires) peuvent se cumuler.
Tout cela pour dire que, même de manière structurelle, dans les années 2007-2008 que nous venons de vivre, où la situation économique ne connaissait pas de problème majeur (je dirais même que nous étions au premier semestre 2008 en croissance d'offres d'emploi), nous avions malgré tout un public qui connaissait des difficultés.
Un problème conjoncturel est apparu depuis octobre. Je vais simplement donner quelques chiffres correspondant à notre association (nous collectons des offres d'emplois) : nous avons, sur les six mois, d'octobre à fin mars, une chute de 40 % des offres d'emploi, et nous avons une chute du nombre de postes proposés dans ces offres de 62 %. Il est clair que ces chiffres, collectés par notre association, concernent des offres qui sont déposées volontairement dans un site spécifique : c'est un indicateur. Bien sûr, il y a le marché caché, il y a des entreprises qui travaillent sur leur vivier : cela ne représente pas toutes les offres, toutes les embauches. Mais, disons, c'est une réalité que nous n'avions pas connue depuis quatorze ans d'existence de l'association, même au milieu des années 90, et même au début des années 2000.
Deuxième élément : nous venons, sur notre public, de mener une enquête sur un échantillon représentatif de la situation des diplômés 2008 à fin avril 2009. Par rapport à cette population, nous constatons que 38 % d'entre eux sont en emploi : il faut savoir que l'an dernier, à la même période, nous avions 60 % de ces jeunes qui étaient en emploi ; que 60 % des jeunes ne sont pas en emploi, la moitié d'entre eux a eu un contrat court qui est achevé, et l'autre moitié n'a eu aucun contrat de travail entre son diplôme et la fin avril 2009. Je dirais, pour bien préciser les choses, que sur les 38 % de jeunes qui ont un emploi, nous avons aujourd'hui plus de la moitié d'entre eux qui ont un emploi qui n'est pas stable : c'est-à-dire qu'il y a de fortes chances qu'il n'ait plus l'emploi arrivé à l'été. Il y a donc un véritable problème conjoncturel qui vient se superposer aux problèmes structurels. L'irrégularité et les défauts de parcours que vous avez évoqués tout à l'heure sur les premiers emplois des jeunes diplômés demeurent, mais, pour dire les choses de manière un peu simpliste, les contrats à durée déterminée qui existaient et qui étaient parfois transformés en CDI, voire prolongés avec des renouvellements de CDD, ont eu tendance, pour ce début 2009, à ne pas être renouvelés.
Alors, le constat de cette situation, c'est que, pour les diplômés de l'année 2008, une part importante d'entre eux risque de ne pas avoir d'emploi à fin juin, de se retrouver en concurrence avec les diplômés 2009, et, entre des diplômés du même diplôme, avec des années différentes, nous sommes dans un phénomène que nous pourrions qualifier de date de péremption, c'est-à-dire que les diplômés d'un an d'âge ne sont pas pris par rapport à des diplômés « frais ». Nous avons déjà connu ce phénomène et nous craignons de retrouver cette situation qui conduit à des situations véritablement d'exclusion. C'est vrai que, pour donner des réponses à cette situation dans un contexte de crise, la question se pose, mais nous y reviendrons avec les questions que vous avez préparées sur le caractère qualifié de l'emploi, puisque nous avons une part importante de jeunes qui accèdent à l'emploi, mais à un emploi non qualifié. Il y a la problématique, mais qui n'est pas directement indiquée dans les questions, de l'accès au CDI, qui est, je pense, quand même, une des questions importantes, puisque la particularité du public jeune est d'avoir une proportion d'emploi en CDI extrêmement faible par rapport à la moyenne des emplois par classe d'âge.
Effectivement, il s'agit d'un problème d'accompagnement de la population de jeunes diplômés, qui reste, en fait, à mettre en place, même si les différents intervenants existants ont des activités (je vous ai parlé de celles de mon association, bien sûr, il y a les activités de Pôle Emploi, les activités de l'APEC, donc il y a d'autres structures). Aujourd'hui, nous sommes, je pense, tous ensemble, loin de couvrir les besoins existants de manière structurelle ; et cette demande est renforcée sur le plan conjoncturel.
M. Xavier BAUX, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance - La Chambre syndicale des organismes de formation en alternance est une structure qui représente notre métier et qui cherche à défendre, à promouvoir, à pérenniser l'alternance depuis 1994. Les adhérents de notre chambre syndicale représentent à peu près 70 à 75 % de l'activité dans notre pays. Nous étions, jusqu'à il y a peu, sur des dispositifs qui étaient principalement celui du contrat de qualification, des contrats d'adaptation et d'orientation, et, depuis la réforme de 2004, sur le contrat de professionnalisation. Je précise simplement que j'exerce ces fonctions en plus de mon métier : mon métier consiste d'abord et avant tout à être tous les jours avec des jeunes, diriger un centre, faire des formations.
Quand nous parlons d'insertion professionnelle, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que cela veut dire « avoir une feuille de paye » ? Est-ce que cela veut dire « avoir un métier qui correspond à peu près au projet qu'on a tenté de mener durant la période durant laquelle on fait ses études » ? Est-ce que cela veut dire « avoir un emploi stable » ? Est-ce que cela veut dire « avoir une employabilité qui permette, en cas de coup dur, de rebondir rapidement » ? Tout cela mériterait sûrement une définition un petit peu plus précise. Mais nous n'avons probablement pas le temps de revenir sur ce détail aujourd'hui.
Quelques mots sur les problèmes d'insertion, et quelques mots sur le rôle que me semble pouvoir jouer l'alternance dans notre pays sur ces problèmes d'insertion. Je pense que les difficultés liées à l'insertion sont bien souvent, quand nous parlons de jeunes diplômés, liées à un certain nombre de phénomènes : le manque d'expérience, et, au-delà du manque d'expérience dans un secteur, une activité, aussi, un manque d'expérience dans l'approche du monde de l'entreprise (je parle ici de la manière dont les jeunes peuvent avoir conscience d'un environnement professionnel, de pratiques, etc.). Souvent, cette conscience, ils l'ont acquise à travers un certain nombre de petits emplois précaires, à travers des stages où ils n'ont pas été finalement très bien traités. Et quand ils arrivent au moment d'une véritable insertion professionnelle, finalement, entre des choses qui n'ont pas été très bien vécues et, souvent, à juste titre ; entre des choses qui n'ont pas été dites dans des formations généralistes, au fond, ils ont non seulement un manque d'expérience, mais aussi, tout simplement, parfois, un manque de savoir-faire, une appréhension insuffisante du monde de l'entreprise.
La deuxième chose, c'est le caractère généraliste d'un certain nombre de formations. Je crois que, là aussi, il faut bien s'entendre : je parle d'alternance, donc de formations qui sont un petit peu moins généralistes. Je pense malgré tout que ce serait une très grave erreur, dans un pays comme le nôtre, dans lequel nous avons parfois un peu de lien social qui se défait, de ne vouloir former les jeunes qu'à travers des formations qui ne comporteraient pas d'aspect généraliste. Dans la formation en alternance, il y a beaucoup de formations diplômantes qui contiennent des aspects généralistes, lesquels sont extrêmement importants ; le CEREQ l'avait d'ailleurs fait remarquer dans une étude très intéressante qui montrait que, dans le cadre de l'alternance, ce sont souvent les aspects généralistes accompagnant l'approche concrète de l'entreprise qui correspondaient à une certaine efficacité. Et puis, j'ajouterai évidemment des phénomènes de discrimination : nous les connaissons assez, parce que les centres de formation en alternance travaillent majoritairement avec des jeunes d'origine modeste, parfois très modeste, souvent des jeunes issus de quartiers en difficulté.
Je voudrais mentionner également une espèce de manque de confiance. Quand je dis « manque de confiance », c'est d'ailleurs un manque de confiance que les jeunes ont en eux-mêmes, parce qu'ils sont depuis quelques années dans un monde - on n'arrête pas de le répéter - où ils seront, de toute façon, au chômage, que s'ils ont un emploi, ils en changeront très rapidement, etc. Il m'est souvent arrivé, dans mes relations avec les politiques, de signaler combien il pouvait être important, combien pouvait peser sur le lien social dans notre pays cette rupture de la confiance des jeunes avec ce que j'appellerai par commodité de langage le monde adulte sur cette question de l'insertion professionnelle.
Que pouvons-nous faire, nous, responsables de l'alternance, face à cela ? Évidemment, l'alternance n'est pas l'universelle panacée. Je crois que nous pouvons jouer plusieurs rôles : le premier, c'est que, dans ce contexte-là, je voudrais rappeler que l'alternance constitue un recours important dans l'esprit de beaucoup de jeunes. Nous avons récemment fait un sondage national avec la TNS Sofres qui montre (nous avons été nous-mêmes surpris de ce chiffre) que 40 % des jeunes Français avaient fait ou envisageaient de faire à un moment donné de leur cursus une formation en alternance via le contrat de professionnalisation ; je parle ici du contrat de professionnalisation, c'est un peu différent, même si des choses se ressemblent, du contrat d'apprentissage.
Le deuxième point qui me semble important, c'est que, évidemment, l'alternance résout un des problèmes, évidemment pas tous, que nous avons signalés, c'est-à-dire celui de l'expérience professionnelle. Nous le savons bien, que souvent, le jeune qui se présente dans le monde du travail, il lui est demandé une expérience ; évidemment, pour avoir une expérience, il faut qu'il soit recruté. L'avantage de l'alternance, c'est qu'elle lui donne cette première carte de visite, avec un vrai contrat de travail. Lorsque vous sortez de l'alternance, vous sortez d'une entreprise qui vous a payé pour ce que vous faisiez, qui vous a recruté, vous n'étiez pas simplement (pardonnez-moi, je ne mets aucun mépris dans ce terme-là) un simple stagiaire, vous étiez un membre à part entière de l'entreprise ; et souvent sur une durée suffisante pour que cela soit au moins une carte de visite très importante dans le monde du travail.
La deuxième chose, c'est que je crois que cela change tout du point de vue de la confiance ; cela donne au jeune un esprit tout à fait différent, parce que, désormais, le monde de l'entreprise (au sens très large), il le connaît, il sait aussi ce qu'il peut lui apporter : il a une approche qui est évidemment très différente. Il y a quelques années, tout à la fin du contrat de qualification, il y avait une étude extrêmement intéressante de la DARES qui signalait qu'après un contrat en alternance, le taux d'insertion durable dans le monde du travail était de l'ordre de 85 % et que la probabilité, 25 mois après la fin d'un contrat de qualification (à l'époque), par rapport à toute autre forme de formation, était supérieure à 56 %. Je pense que ces chiffres sont encore largement valables aujourd'hui.
Autre point : dans le sondage que nous avons effectué, nous avons posé une question aux jeunes. Je vous donne simplement deux chiffres qui renvoient aussi à la question de la confiance ; lorsque l'on demande aux jeunes qui ont suivi une formation en alternance, s'ils ont trouvé facilement un emploi à l'issue de cette formation : « oui, tout à fait » (57,4 %), « oui, plutôt » (13,1 %), et à ceux qui suivent une formation en alternance, s'ils pensent qu'ils trouveront facilement un emploi à l'issue de cette formation, nous sommes à 50 % pour « oui, tout à fait » et à 46,9 % pour « oui, plutôt » ; c'est-à-dire que 97 % des jeunes qui suivent une formation en alternance sont persuadés qu'ils trouveront un emploi à l'issue de leur formation.
Une dernière remarque, je pense que si la formation en alternance via le contrat de professionnalisation doit survivre dans notre pays, il est fondamental de maintenir des formations diplômantes et transversales ; c'est une condition sine qua non . Si, demain, l'alternance n'est au fond qu'une sorte d'effet d'aubaine pour des métiers en tension avec trois jours de formation par mois et des certificats de qualification professionnelle souvent qui ne sont pas reconnus dans les entreprises de la branche, de toute façon le système s'écroulera, comme, d'ailleurs, l'année 2005 post-réforme l'a très clairement montré du point de vue des chiffres.
M. Bruno LUCAS, directeur général de Pôle Emploi - Nous avons, comme cela a été décrit par les acteurs qui sont aussi nos partenaires, cet effet de ciseaux entre une augmentation extrêmement importante de la demande d'emploi, pour l'ensemble des demandeurs d'emploi (puisque Pôle Emploi a bien entendu vocation à accueillir l'ensemble des demandeurs d'emploi), mais accentué pour les jeunes, puisque, pour l'ensemble des jeunes, mais ce mouvement se retrouve sur les jeunes diplômés, nous avons un écart de 10 points quand nous comparons d'une année à l'autre l'évolution de la demande d'emploi sur les premiers mois de l'année, et du côté des offres d'emploi, une baisse des offres déposées à Pôle Emploi de l'ordre de 30 % sur les premiers mois de l'année, en cohérence avec ce que nous observons avec les déclarations uniques d'embauche et l'activité économique.
Si cet effet de ciseaux a évidemment un effet négatif sur la situation des populations que nous accueillons et les services que nous leur rendons, nous pouvons quand même redire, avant d'entrer plus dans la description, que le fait d'afficher un diplôme reste malgré tout un élément relativement protecteur au chômage ; puisque si nous prenons le taux de chômage (en tout cas sur les dernières données dont nous disposons) des jeunes diplômés, il est de l'ordre de 8,7 %, quand à l'autre bout de l'échelle, pour les jeunes sans diplôme (même si nous savons qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas inscrits), il est de 31 %.
Cela étant, il est aussi évident, sur un plan strictement opérationnel et de service, que les conseillers qui reçoivent aujourd'hui des demandeurs d'emploi jeunes diplômés disposent de moins d'opportunités, moins de possibilités pour proposer à ces jeunes diplômés ce dont ils ont besoin ; c'est-à-dire une première expérience professionnelle, puisque, évidemment, nous sommes dans un pays où la part des stages et du contact avec l'entreprise dans les années d'études est moins importante que dans les autres pays. Donc, le fait d'avoir une première expérience professionnelle est un élément extrêmement important pour les jeunes comme pour les jeunes diplômés. Nous courons le risque, dans une période comme celle-là où il y a moins d'opportunités, d'enclencher une dynamique négative pour ces demandeurs d'emploi et, d'allonger encore ce que vous indiquiez tout à l'heure, une durée de stabilisation dans l'emploi qui est, aujourd'hui, beaucoup trop longue.
Comment essayons-nous aujourd'hui de répondre à cette situation ? Nous essayons d'abord de répondre avec notre offre de services de droit commun. Les jeunes diplômés sont, comme les autres, éligibles à l'ensemble des aides et mesures qui ont été unifiées au sein de Pôle Emploi : des mesures en termes de développement des compétences, en termes d'aide à la mobilité géographique notamment, ou d'aide à la reprise d'emploi, qui étaient autrefois celles de l'ex-ANPE et celle de l'ex-ASSEDIC. Ces jeunes diplômés sont également pris en charge dans le cadre d'un premier diagnostic après leur inscription. Et, à compter du quatrième mois de chômage, ils sont pris en charge dans le cadre du suivi mensuel personnalisé, avec un conseiller référent qui est désigné pour les accompagner, pour les équiper en termes d'outils de recherche d'emploi, mais également pour les confronter au marché du travail et pour leur proposer des emplois.
Deuxième élément, nous avons un certain nombre d'équipes spécialisées, notamment dans les grandes agglomérations, (notamment à Paris en ce qui concerne les cadres), et, bien évidemment, nous avons mis en place des prestations spécialisées pour les jeunes diplômés, de type ateliers, parcours spécialisés où ils peuvent, dans le cadre de ces équipes qui sont dédiées aux cadres, bénéficier d'informations qui prennent en compte leur situation particulière.
Nous pensons également qu'il est important pour Pôle Emploi, pour ces demandeurs d'emploi comme pour d'autres catégories particulières de demandeurs d'emploi, de travailler avec les partenaires qui ont, de par leur histoire, de par leur gouvernance, de par leur expertise, des compétences particulières pour les prendre en charge. Je prendrai quelques exemples. Nous travaillons bien évidemment avec l'APEC dans le cadre de ce que nous appelons la relation de co-traitance, qui conduit l'APEC à prendre en charge chaque année un certain volume de demandeurs d'emploi cadres. Et, à l'intérieur de ce volume, il est convenu entre nous qu'un certain nombre de jeunes diplômés peuvent être pris en charge pour être accompagnés par les conseillers de l'APEC. Nous avons également un partenariat avec l'AFIJ qui est assez ancien, qui a été un partenariat au départ commun AFIJ-ANPE-APEC, et que Pôle Emploi a repris dans ses acquis, qui visait justement à avoir une approche coordonnée, des échanges d'informations et de la capitalisation des actions que nous pouvions conduire en direction de ces publics. Nous travaillons actuellement, d'ailleurs, à reconduire une convention avec l'AFIJ pour perpétuer ce partenariat qui nous paraît extrêmement utile, parce qu'il nous permet de bénéficier de son expertise particulière.
Nous avons eu également, au fil des années, une préoccupation forte en direction d'une certaine catégorie de demandeurs d'emplois jeunes diplômés, qui sont ceux issus des quartiers en difficulté. Puisque nous savons bien que le fait que les jeunes diplômés issus des quartiers en difficulté accèdent à l'emploi est un élément important pour eux, mais c'est aussi un élément de succès qui peut avoir des effets positifs pour les autres jeunes. Nous avons donc tenu à travailler sur ces populations particulières ces dernières années et je pense que cela doit rester une préoccupation importante, même si le contexte a un peu changé sur le plan du marché du travail, en travaillant avec des associations comme « Nos quartiers ont du talent », en mettant en place en Ile-de-France une agence particulière chargée de travailler avec un certain nombre de signataires de la Charte de la diversité, pour collecter des curriculum vitae de jeunes diplômés de moins de 30 ans, ayant un niveau Bac +3 issus des ZUS, pour, dans le cadre du partenariat avec ces grandes entreprises signataires de la Charte de la diversité, trouver des solutions et bénéficier finalement d'éléments exemplaires qui puissent être valorisés par rapport aux autres demandeurs d'emploi.
Le troisième élément, c'est bien entendu de travailler à l'inadéquation qui a déjà été relevée, pour un certain nombre de jeunes, entre leur diplôme, leur expérience professionnelle et ce que sont les perspectives sur le marché du travail. Il y a deux éléments pour cela : le premier, c'est le conseil, et donc, là, la personnalisation de la relation est un élément important ; c'est le fait de donner de l'information sur le marché du travail, sur les perspectives, et de rappeler que, même si nous sommes dans une situation où le marché de l'emploi est difficile, les entreprises d'un certain nombre de secteurs continuent à recruter. Un certain nombre d'opportunités sont disponibles pour ces demandeurs d'emploi. Deuxième élément, pour travailler à cette mobilité professionnelle, c'est bien entendu de travailler à mettre en place des formations, incluant des expériences et des passages en entreprise, qui permettent à ces jeunes, dans un contexte qui est plus difficile, de faire évoluer leurs compétences en adéquation avec ce que sont les besoins du marché du travail.
A cet égard, l'État a confié à Pôle Emploi, pour l'année 2009, la mise en place, pour une population de moins de 26 ans (qui est très large puisqu'elle va du niveau II au niveau VI), de formations pré-qualifiantes ou qualifiantes à un niveau assez élevé puisqu'il s'agit de 50 000 places. Et nous sommes en train de lancer un appel d'offres qui sera un appel d'offres global pour l'ensemble des formations délivrées par Pôle Emploi au titre de son offre de services de droit commun déjà mise en place en début d'année. Il inclura ces 50 000 places supplémentaires dans un cadre qui sera assez souple et qui permettra à notre réseau, évidemment en partenariat avec les conseils régionaux, de proposer des formations qui soient cohérentes à la fois avec ce que sont éventuellement les manques de compétences des demandeurs d'emploi que nous suivons, mais aussi avec ce que sont les perspectives et les opportunités au plus près du terrain, dans les bassins d'emploi. Ce troisième élément me paraît être essentiel dans la période particulière que nous vivons.
M. Julien BAYOU, membre de Génération précaire - Génération Précaire est un collectif informel créé en 2005 par rapport à la question des stages, pour obtenir une régulation. Les stages, lorsque nous nous sommes créés, il y en avait 800 000 (de toutes sortes : nous parlons des stages photocopieuse et des stages où il y a un remplacement d'emploi), et, je vous rassure, depuis 4 ans, maintenant, il y a eu 50 % d'augmentation ; nous sommes passés à 1,2 million de stages. Et, surtout, les stages photocopie ont quasiment disparu puisque les employeurs français ne sont pas si bêtes, et, quand ils peuvent utiliser une personne pour la faire travailler, les employeurs français, même si cela prend du temps, y arrivent.
Nous sommes à l'origine de la loi « Dominique de Villepin » sur l'égalité des chances qui prévoit un semblant d'amélioration avec une convention de stage obligatoire. C'est déjà le cas dans les faits, puisque, sans convention de stage, le stagiaire ressemble furieusement à un travailleur clandestin. Et, la rémunération, uniquement dans le privé pour les stages de plus de 3 mois, n'a pas le sens d'un salaire (donc, il n'y a pas de droit du travail, pas de protection sociale et pas de congés) et, surtout, elle est inférieure au RMI : nous parlons de 398 euros par mois.
Nous nous sommes créés pour dénoncer cette situation qui pose trois grands problèmes : tout d'abord, le problème individuel du stage qui se passe mal, où il y a du harcèlement, mais comme il n'y a pas de droit du travail et que les syndicats ne se sentent pas concernés, il n'y a pas de protection. Il y a le problème de l'égalité d'accès à l'emploi, puisque le diplôme, puis les stages, puis la première expérience, puis la motivation, sont progressivement passées de « décisives pour l'emploi » à juste des simples pré-requis, se pose la question de s'offrir le stage, puisque nous sommes rémunérés 400 euros en général, et c'est donc un coût pour l'étudiant qui fait un stage à la place d'un job d'été. D'ailleurs, c'est plus simple, puisqu'il n'y a plus de jobs d'été.
Et le troisième point, c'est l'impact macro-économique terrible, puisque, avec 1,2 million de stages par an pour 2,7 millions d'étudiants et 20 millions de population active occupée, nous mesurons maintenant la casse fantastique que cela représente pour les emplois « juniors » ; c'est-à-dire qu'il n'y a plus de postes « juniors », ceux par lesquels vous avez peut-être démarré votre carrière : assistant marketing, communication, tout ce qui est « premier emploi » a été finalement remplacé petit à petit par des stages longs de six mois avec une très maigre rémunération. Évidemment, c'est un problème pour l'insertion des jeunes diplômés, mais c'est finalement un problème pour toute la population active : je vous laisse imaginer la difficulté du chômeur de Continental à retrouver un emploi bientôt s'il est confronté à des petits jeunes qui parlent anglais mieux que lui, et qui, évidemment, maîtrisent l'informatique, mais qui, eux, désespérés de ne pas pouvoir s'insérer seront prêts à accepter des emplois à 400 euros. Donc, la contagion de ce dumping social se fait à tous les niveaux. Pour répondre aux questions posées, sur les organismes de formation, ce sont eux qui courent après la professionnalisation, puisque les étudiants l'ont inventée eux-mêmes, forcés par les entreprises d'avoir une première expérience, et donc, de multiplier les stages.
Sur la question de l'orientation, il y a clairement un problème de l'orientation en France, tout le monde s'accorde pour le dire. Nous, nous portons l'idée que les stages, en particulier au moment des fins d'études (c'est-à-dire licence pro, master pro principalement), faussent considérablement l'orientation. Imaginez : vous faites une licence pro d'équipementier automobile, vous trouverez un stage, c'est évident, puisque, à moins de 3 mois, ce n'est pas payé. Par contre, évidemment, vous n'aurez pas d'emploi ensuite et, pourtant, il y a des licences pro qui se développent actuellement, pour proposer ce genre de diplôme. Et en master pro, ce sera, je ne sais pas, du marketing de parfumerie de luxe (il y a en quatre en France) : la centaine d'étudiants qui sont formés chaque année trouvent un stage, et trouveront toujours un endroit où aller, en revanche, évidemment, ils n'auront pas d'emploi. La multiplication tous azimuts des stages non contrôlés est un facteur d'échec d'orientation. Je précise au passage que nous ne sommes pas du tout contre les stages, puisque c'est très utile, justement, en début de cursus (licence 2, master 1) : moi-même, j'ai pu faire un stage de marketing, et constater au bout de deux mois que ce n'était pas du tout fait pour moi. C'est un raisonnement par l'absurde, mais c'est vraiment très efficace pour un premier rapport avec le monde du travail.
Par rapport à cette question des stages, l'alternance ou les dispositifs type apprentissage ressemblent à une panacée, avec protection du droit du travail et un véritable accompagnement pédagogique et une meilleure insertion ; en tout cas, c'est ce que nous constatons. Nous proposons d'ailleurs de fusionner un petit peu les deux, ou, tout au moins, de les articuler. C'est une proposition que nous vous ferons dans le cadre de la loi sur la formation professionnelle ; c'est-à-dire de conserver la flexibilité du stage pour la période de 1, 2 à 3 mois, et, ensuite, de basculer pour les durées plus longues, sur un apprentissage ou sur une alternance, notamment pour les stages de fin d'étude. En master 2, aujourd'hui, vous démarrez en septembre et vous arrêtez les cours en décembre, et ensuite vous faites un stage de 6 à 9 mois : c'est de l'alternance qui ne dit pas son nom. Et cela ne fonctionne pas en termes d'insertion.
Sur le bilan de la réglementation, je vais être assez court : elle est très insuffisante, puisque nous avons une charte non contraignante et donc non appliquée. Nous avons une rémunération dérisoire qui est inférieure au RMI ; nous avons les deux types d'abus dont j'ai pu parler. Et, surtout, avec la crise et 1,2 million de stages, nous avons des durées plus longues et des renouvellements. Nous constatons tous les jours des offres d'emploi qui se terminent par le mot « stage », ou des intérimaires remplacés par des stagiaires. Nous avons même des enseignes comme LVMH (Céline : les magasins de luxe), proposant des périodes d'un an de stage vendeur... Et il faut être trilingue. Ophélie parlait russe et elle candidatait mais, en fait, c'était un stage.
Donc, ce qui va se passer avec les dernières annonces, c'est une prime de 3 000 euros pour les entreprises qui vont embaucher des stagiaires ; il faut se méfier des bonnes idées comme cela, en tout cas des fausses bonnes idées. Ce serait une catastrophe si c'était généralisé, puisqu'il y a déjà très peu de CDI offerts aux jeunes aujourd'hui : 80 % des offres d'emplois offerts aux jeunes de moins de 30 ans sont des CDD, contre 80 % de CDI en moyenne sur l'ensemble de la population. Si nous généralisions cette prime, cela inciterait très fortement les employeurs (et je suis employeur, donc je peux vous le dire) à prendre d'abord un stagiaire, ou deux, ou trois, peu importe, et d'en garder un au final, toucher la prime et ensuite, éventuellement, le licencier à la fin de la période d'essai, ou, en tout cas, se passer de la période d'essai où il y a, pour l'instant, une vraie rémunération et le droit du travail qui s'applique. Donc, cette prime de 3 000 euros, pourquoi pas, si c'est un bol d'air pour les entreprises ? Mais il ne faut surtout pas la généraliser : nous comptons sur vous là-dessus. De même sur la rémunération à deux mois qui a été annoncée par le Président de la République : cela, par contre, c'est très, très bien, évidemment : nous espérons que cela va mettre fin aux stages de deux mois et 29 jours qui s'étaient multipliés notamment dans l'édition pour ne pas avoir à rémunérer ceux qui font les ouvrages.
Là où nous comptons véritablement sur vous, c'est sur la fonction publique. C'est-à-dire qu'il y a une petite finesse : le ministre a annoncé un décret sur la fonction publique, qui ne concernerait que la fonction publique centrale. C'est évidemment du domaine du législateur de l'imposer à la fonction hospitalière et territoriale : nous comptons sur vous. Et, par ailleurs, nous vous proposerons, sur la question des stages hors cursus, des amendements plus techniques. La question des stages hors cursus, pour expliquer clairement : vous terminez un master 2 en marketing ou en gestion ; vous constatez qu'il n'y a pas d'embauche ; vous n'avez pas droit au RMI, puisque vous avez moins de 25 ans et que c'est une exception européenne ; et donc, pour éviter le problème de péremption dont nous avons parlé avant, la personne est prête à accepter n'importe quoi, et même un stage. La question, ce n'est pas le stage hors cursus, mais bien post diplôme. C'est-à-dire que vous vous réinscrivez de manière complètement fictive en Polonais (ou en catalan...) pour pouvoir bénéficier du sésame qui est la convention de stage, et donc, vous payez les frais d'inscription (de 400 à 700 euros) pour pouvoir ne pas être payé en stage. C'est beaucoup plus courant que l'on peut penser et nous sommes vraiment à la charnière où le jeune diplômé se concurrence et se cannibalise lui-même, puisque les étudiants cannibalisent les jeunes diplômés.
Nous avons un amendement très simple à proposer ; c'est même, en fait, une circulaire pour les organismes de formation pour faire en sorte que les conventions de stage ne puissent pas être délivrées sans qu'un seul examen ait été présenté ou validé ; comme cela, nous éliminons un petit peu tout le volant de stages qui est proposé en septembre ou octobre où des gens s'inscrivent pour bénéficier de la convention de stage sans aller en cours. En fait, nous ne pouvons pas vraiment interdire les stages hors cursus, puisque moi, j'étais à Sciences Po Strasbourg et le stage de marketing n'avait rien à voir, mais, pour moi, c'était intéressant de pouvoir faire cet écart pour mon orientation.
Et pour terminer et répondre aux questions qui n'ont pas été posées, Mme la présidente, tout à l'heure vous avez parlé des problèmes de la jeunesse. En fait, c'est la politique de la jeunesse qui pose problème ; nous tenons le même discours chez Martin Hirsch. Joindre la jeunesse et le sport dans un ministère, ce n'est déjà pas très glorieux, y mettre Bernard Laporte à la tête, cela témoigne en tout cas de la faible considération pour la jeunesse. Plus sérieusement, en France, on estime normal de défrayer les entreprises pour qu'elles acceptent des jeunes diplômés. C'est bien cela : on défraie les entreprises pour accepter des jeunes diplômés qui sont donc, je le rappelle, un peu plus formés que nos parents quand ils ont démarré leur travail. Donc, finalement, on entretient dans les entreprises une espèce de dépendance toxicomane à la subvention. Nous pourrions d'ailleurs tout à fait la contester au niveau européen en matière de concurrence déloyale, puisqu'il y a les entreprises qui recourent aux stagiaires pour les former, et il y a les entreprises qui recourent aux stagiaires pour en faire de véritables salariés, et elles bénéficient d'une économie de 1 à 5 (6 mois de stage, cela coûte 400 euros ; les même 6 mois en CDD coûtent 10 000 euros, sans compter la flexibilité). En France, on estime normal de demander une première expérience au jeune diplômé qui arrive sur le marché de l'emploi : c'est juste un non-sens. Rappelez-vous peut-être vos premiers jours de travail : vous ne deviez pas être opérationnels. Pourtant, c'est ce qui est exigé de la jeunesse aujourd'hui. Et, surtout, on tolère qu'elle ne soit pas rémunérée, alors que même en Angleterre, la précarité est importante, mais tout le monde est payé.
Je passe sur le logement et la politique familiale, mais j'aimerais insister sur la question du RMI, du RSA et de l'autonomie. Je parlais de l'étudiant, le post-diplômé, obligé d'accepter un stage ; il faut remédier à cette exception européenne qui fait qu'il n'y a pas de filet social pour une classe d'âge. C'est une discrimination, particulièrement frappante avec le RSA, maintenant. Donc, prochainement, à partir du 1er juin, le jeune actif de 24 ans qui se verra refuser le RSA pourra saisir la commission européenne. La France pourrait peut-être avancer sur le sujet et éviter une humiliation juridique. En France, on tolère que les moins de 25 ans soient la seule classe sans filet social et qu'il leur soit proposé 80 % de CDD contre 20 % pour la moyenne, nous tolérons aussi 21 % de pauvreté chez les jeunes femmes contre 13 % dans la moyenne. Nous, nous proposons des garde-fous, mais c'est tout une politique hypocrite, schizophrène ou, en tout cas, usée, à l'italienne, qu'il faut changer. Nous comptons sur vous.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci, vous avez eu raison de me reprendre sur, je ne sais pas ce j'ai dit du « problème jeune » ; je suis intimement persuadée que les jeunes ne sont pas un problème ; si nous continuons à ne pas investir sur notre jeunesse, nous serons un pays sans avenir, au contraire. Merci beaucoup.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Alors c'est vrai que vous avez répondu, la plupart, aux questions qui vous ont été envoyées avant que je les pose ici même. J'aurais voulu simplement revenir sur une ou deux et en ajouter quelques autres. Concernant les étudiants et leur information sur les débouchés professionnels : est-ce que vous considérez que l'information qu'ont ces étudiants, sur les études qu'ils suivent et la capacité, ensuite, de pouvoir s'insérer dans le monde professionnel, est suffisante ? Faut-il l'améliorer ? Et si oui, comment le faire ? J'aimerais aussi que nous revenions sur la coopération entre les opérateurs publics et les associations qui s'occupent des jeunes diplômés. Donc, vous l'avez déjà évoqué, mais j'aimerais savoir comment, structurellement, cela pourrait se monter, et comment nous pourrions finaliser cela ? Les stages, vous nous en avez largement parlé ; est-ce qu'il faut, pour vous, les rendre obligatoires dans toutes les formations, toutes les filières de formation ? Les stages hors-cursus, vous avez donné votre avis, c'est extrêmement clair. Là, nous nous retrouvons avec des jeunes qui ont des difficultés pour trouver des stages : est-ce qu'il serait judicieux, selon vous, de mettre une structure en place, qui permettrait aux jeunes de s'y adresser pour tenter de trouver des stages ? Et puis, enfin, le dernier point : sur 1,2 million de stages, est-ce que vous connaissez le nombre de stagiaires hors-cursus ?
M. Daniel LAMAR, directeur de l'Association pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) - Je commence, peut-être pas dans l'ordre, mais par les stages parce qu'en réalité, je ne suis pas en plein accord avec le représentant de Génération Précaire dans le sens où, par rapport aux stages, l'aspect qui est développé est celui des stages trop longs qui peuvent être associés à des emplois qui existent, sur lesquels il y a des mesures à prendre. Mais la première question, c'est le fait que beaucoup de jeunes sortent sans avoir fait de stage et sans aucun contact professionnel ; donc c'est bien la question de la généralisation, à un moment donné, des stages dans l'enseignement supérieur qui se heurte aussi à la capacité des entreprises à proposer ces stages. Effectivement, que les stages ne soient pas forcément des stages de fin de cursus, mais des stages de cours de cursus, c'est sans doute une précaution de manière à ce que ne soit pas une période d'essai en fin d'études : cela, c'est un sujet qui est tout à fait à reprendre.
La deuxième question concerne tous les jeunes qui cherchent un stage et qui n'en trouvent pas. Structurellement, il y en a ; en 2009, de manière conjoncturelle, il n'y en a plus, puisque je vous parlais tout à l'heure de la chute des offres d'emploi mais les offres de stage ont diminué aussi. Beaucoup d'entreprises qui ont des difficultés ne prennent pas de stagiaires. Beaucoup d'entreprises qui sont dans une situation d'attentisme par rapport aux embauches ne prennent pas de stagiaires non plus. Il y a le cas d'entreprises qui remplacent des emplois par des stages : cela existe, c'est incontestable. Mais je dirais que ce n'est pas le seul problème qui existe : il y a un panel de problèmes qui est plus large que celui qui a été évoqué. Et, effectivement, les jeunes que nous rencontrons qui aujourd'hui, n'accèdent pas aux stages, sont des jeunes qui n'ont pas de relations personnelles, et les discriminations dans l'accès aux stages sont beaucoup plus fortes que les discriminations dans l'accès aux emplois. Parce que les décideurs dans les entreprises qui s'occupent de l'accueil des stagiaires sont à un autre niveau que la DRH centrale d'une entreprise ou qu'un service du personnel ; c'est directement les acteurs qui connaissent leur famille, leurs voisins, des amis, et un cercle, par exemple un établissement dans lequel ils ont fait leurs études.
Donc, effectivement, il y a un vrai problème de discrimination de l'accès aux stages ; une commission de la Halde commence à se réunir justement pour aborder cette question-là. Nous avons un problème, je dirais, sur les stages longs, qui a été évoqué. Je crois que l'une des mesures qui n'a pas été prise, c'est d'interdire la prolongation ou le renouvellement des stages de 6 mois pour des stages de cursus, puisque nous l'avons interdit pour des stages hors cursus mais pas pour des stages de cursus. Ce serait une précaution minimale, pour éviter les choses. Le basculement de formations ayant six mois de stage sous un régime de contrats d'apprentissage, c'est une question à poser ; il faut savoir, si nous faisons cette transformation, s'il y aura assez d'entreprises pour proposer la même chose en contrat d'apprentissage, de manière pratique. Mais, c'est une question que vous avez évoquée qui est à soulever.
Pour la deuxième question que vous posez sur le rapport entre Pôle Emploi et les associations nationales spécialisées, les relations ont été prévues dans le cadre de la loi sur l'organisation du SPE : il y a une petite phrase qui précise que Pôle Emploi collabore avec les associations nationales spécialisées. Cela a lieu ; nous pouvons améliorer, ce que nous allons essayer de faire dans la convention, nous sommes en train de mettre en place les choses. Ce qui est certain, c'est que nous avons un décalage de notre public, pour dire les choses très clairement, puisque notre association travaille sur des étudiants et des jeunes diplômés, donc des étudiants qui ont une carte d'étudiant. Les jeunes qui ont une carte d'étudiant ne rentrent pas comme demandeurs d'emploi de catégorie A (si je ne me trompe pas dans les nouvelles appellations par rapport aux chiffres) puisqu'ils ont encore une carte d'étudiant, même s'ils cherchent un emploi. Or nous, dans notre public, nous avons beaucoup d'étudiants qui cherchent un emploi parce qu'ils sont en rupture d'étude, parce qu'ils cherchent un emploi avant l'obtention de leur diplôme, et, qui de toute manière, ne sont pas inscrits ou considérés comme demandeurs d'emplois dans la première catégorie de demandeurs d'emploi par Pôle Emploi.
Sur les sortants, ceux qui ont terminé leurs études, nous avons aujourd'hui une pénétration de Pôle Emploi : je n'ai pas de chiffre exact de la pénétration, mais nous allons dire qu'elle n'est pas totale ; nous en sommes d'accord. Par rapport à notre association nationale spécialisée, en particulier, nous avons beaucoup d'inscrits qui ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Je dirais même que l'idéal par rapport à Pôle Emploi, c'est que tous les jeunes qui viennent chez nous trouvent un emploi avant de s'inscrire (pour faire une image). Donc, aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous contenter de juger du taux de chômage des jeunes diplômés sur les seuls chiffres de Pôle Emploi, parce que beaucoup de jeunes diplômés ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. C'était le cas autrefois, c'était le cas hier, c'est le cas aujourd'hui.
Après, nous avons, inscrits à Pôle Emploi, beaucoup de jeunes diplômés un peu plus âgés ; nous avons été opérateurs d'une opération sur les jeunes diplômés demandeurs d'emploi de longue durée, avec des profils qui sont ceux de jeunes de moins de 30 ans, qui avaient en moyenne un peu plus de 27 ans, 13 mois de chômage sur les 18 derniers mois, et qui sont dans des catégories de stock (je parle du vocabulaire proprement « emploi »), qui sont des publics extrêmement difficiles en termes d'insertion professionnelle, mais ce ne sont plus des jeunes diplômés. Ce sont des jeunes ayant déjà travaillé et qui, effectivement, ont des problèmes. L'année dernière, c'était à peu près, à un instant « T », 60 000 jeunes, cette année, ce sera sans doute plus, en juin. Mais c'est une autre catégorie.
M. Patrick HETZEL, directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle - Simplement une petite remarque concernant les stages. Il y a des gens bien plus compétents que moi pour le volet emploi ; ce que je peux vous dire, c'est que depuis que le marché de l'emploi s'est modifié, ces derniers mois, cela a aussi des incidences pour les établissements d'enseignement supérieur pour trouver des stages pour leurs étudiants. Donc, le système de vases communicants consistant à dire « c'est de l'un vers l'autre », c'est plus complexe que cela. En tout état de cause, ce dont je suis certain, c'est qu'aujourd'hui, il est de plus en plus difficile pour les établissements, et donc pour les étudiants, de trouver des stages, y compris à l'intérieur du cursus. Donc, cela, c'est une donnée très factuelle. Concernant la question, M. le Rapporteur, que vous posiez, c'est-à-dire : « Les étudiants sont-ils bien informés des débouchés professionnels des différentes filières de formation ? », je voudrais simplement commencer par donner quelque chose là aussi de très factuel : l'information existe, elle est train, en plus, de se perfectionner, et elle est à disposition des étudiants : c'est-à-dire que l'information est bien là. Ce qui est beaucoup plus difficile, c'est de faire en sorte que les lycéens aillent chercher cette information. C'est-à-dire qu'en fait, nous rencontrons aujourd'hui deux types de problèmes : commet créer un processus qui amène les étudiants et donc aussi les lycéens à aller la chercher ; et, d'autre part, faire en sorte que cette information puisse être exploitée. C'est surtout en ces termes-là que cela se pose.
Un travail important a été fait ces derniers temps, et je vois maintenant que les universités ont vraiment pris le problème à bras-le-corps, pour se dire : « Comment pouvons-nous avoir une approche par compétence ? ». Parce que, évidemment, il y a un risque énorme d'être uniquement dans une approche adéquationniste, c'est-à-dire : à tel type de profession correspond tel type de formation. Nous avons intérêt à élargir et à raisonner en termes de compétences. Les universités aujourd'hui, ont engagé des travaux pour montrer à leurs étudiants : » Si vous faites tel cursus, vous allez acquérir tel type de compétences et voilà les domaines où vous allez pouvoir valoriser ces compétences. » Etant entendu qu'il faut en amont faire le lien (et cela, le Plan licence que nous avons mis en place depuis un an est aussi là pour cela), faire en sorte que même dans les cursus généralistes il y ait un minimum de bases qui soient liées à la connaissance de l'univers professionnel, connaissance des outils de bureautique, connaissances linguistiques ; des éléments qui précédemment n'étaient pas effectués de façon systématique. Je pense que là, il y a un travail de fond qui est effectué et nous avons encore un problème qui persiste : faire en sorte que de manière un petit peu systématique, les étudiants aillent chercher ces informations. Donc là, il y a encore du travail à faire.
Il y a peut-être encore un niveau sur lequel les choses sont perfectibles : c'est que ces informations existent à différents endroits et, il y a peut-être un travail d'assemblage à faire. Et, d'ailleurs nous pouvons le dire en pleine transparence : il y a l'Onisep qui, dans notre milieu, fait un énorme travail ; si je vais plutôt du côté de la sphère « emploi », il y a Centre Info, qui poursuit des objectifs qui ne sont pas trop éloignés ; ensuite, les collectivités territoriales, en général, les conseils régionaux ont également investi ce champ. Se pose aujourd'hui la manière d'articuler l'ensemble. Cela, c'est sans doute un sujet ; là, nous sommes typiquement sur le territoire du délégué interministériel à l'orientation. D'ailleurs, celui-ci a été mis en place suite au rapport universitaire emploi. Ces éléments avaient déjà été posés, et c'est clair que cette question de l'articulation information/orientation/insertion professionnelle, nous la retrouvons depuis quelque temps déjà.
M. Xavier BAUX, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance - Nous sommes en train de parler beaucoup des stages. Nous parlons aussi d'insertion professionnelle au-delà de la question du stage, certes importante, mais qui n'est pas unique. Je voudrais faire juste quelques remarques. La première, c'est juste une remarque d'ordre un peu technique : je pense que si d'aventure nous devions poursuivre la piste d'étude donnée tout à l'heure par les représentants de Génération Précaire, c'est plutôt vers l'alternance que l'apprentissage, pour des raisons d'ordre technique, que probablement les choses pourraient se faire, dans la mesure où l'apprentissage est un montage finalement un petit peu plus compliqué que le contrat de professionnalisation. Je rappelle d'ailleurs de ce point de vue-là que, dans notre pays, ce que nous appelons globalement « les formations en alternance » (moi je distingue l'apprentissage de l'alternance en contrat de « pro ») montrent que, malgré des efforts considérables et des disparités très importantes en termes d'incitation économique, l'apprentissage a régressé dans notre pays (- 0,3 % l'année dernière) alors que le contrat de « pro » a augmenté malgré la présence d'environ 60 % de formations longues et diplômantes, et le fait qu'il n'y ait quasiment aucune incitation économique à ce jour.
La deuxième remarque que je voulais faire concernait la question des jeunes que nous voyons arriver en grand nombre vers nos organismes de formation, c'est-à-dire ceux qui ont suivi une formation mixte (peu importe : Bac +3, Bac +5) et qui reviennent finalement vers une formation en alternance. Alors, je n'ai pas de réponse à cela, je ne sais pas pourquoi ce phénomène se développe, je n'ai pas de chiffres précis. Cela mériterait une analyse qui est assez complexe à faire, mais je pense qu'il y a, dans ce phénomène-là, trois éléments : il y a le caractère sans doute de difficulté d'adéquation notamment dans l'université entre les stages que les jeunes effectuent et la réalité de leur formation. Nous, nous avons eu un certain nombre de jeunes qui nous ont dit : « Nous avons une meilleure adéquation dans un certain nombre de formations de type, par exemple, Bac +3 en alternance que nous en avons eu à l'université, malgré le caractère très enrichissant de ce que nous avons suivi à l'université. ». Je pense qu'il y a un deuxième point, qui est, évidemment, que l'alternance leur offre à ce moment-là une aide économique qui leur permet, justement, cette forme d'attente avant une insertion plus durable.
Et puis, je pense qu'ils viennent aussi bénéficier dans nos centres (parce que je pense que c'est très important) d'une aide à l'emploi ; notre métier ne prévoyait pas, au départ, que nous favorisions l'insertion des jeunes, parce que nous devions juste être prestataires de formation et recevoir des jeunes qui avaient déjà un emploi. Mais il se trouve que depuis quelques années, vous imaginez bien que c'est impossible. Or, effectivement (je le dis sans aucune forme ni de prétention, ni de regret), nos centres sont aussi des Pôle Emploi bis pour les jeunes, parce qu'effectivement, nous les aidons à trouver un emploi, à créer un réseau de relations qu'ils n'ont pas nécessairement, lorsqu'ils viennent de milieux modestes.
Je crois que, pour un jeune diplômé qui va entrer dans une formation en alternance de six mois ou d'un an, complémentaire à la formation qu'il a suivie, il y a évidemment une très grande différence avec un stage : la première c'est qu'il est payé, la deuxième, c'est qu'il a un tuteur d'entreprise, et la troisième, c'est que, même si, bien entendu, il n'y a pas la garantie absolue que, parce que nous avons trouvé un contrat d'alternance dans un secteur, il y aura nécessairement du travail après, il n'empêche qu'il a trouvé un employeur qui était prêt à payer, pour le recruter. Quand on est à Bac +3, ce sont souvent des niveaux de salaire qui sont relativement importants pour l'entreprise, donc, cela veut quand même dire qu'il y a du travail dans cette branche-là. Donc, cela valide un petit peu plus le choix.
M. Bruno LUCAS, directeur général de Pôle Emploi - Deux mots : juste sur la question de la coopération entre l'opérateur public et les associations nationales spécialisées, c'est absolument essentiel. Pôle Emploi a, en principe, dans ses missions une action en direction de l'ensemble des actifs. Bien évidemment, dans une période de charge et de demande d'emploi aussi importante, il faut se concentrer sur ceux qui ont le plus besoin de nos services. Et nous avons d'autant plus besoin de cette coopération avec ces acteurs qui peuvent être sur des secteurs précis, qui sont absolument essentiels pour que nous puissions répondre aux besoins de nos clients. Deuxième élément, sur les stages. Je pense qu'il faut effectivement élargir la question des stages en se posant celle de la confrontation à l'entreprise et au marché du travail.
Et pour ce qui nous concerne, nous privilégions évidemment les situations de confrontation à l'entreprise qui sont orientées vers le retour à l'emploi, à la fois à travers les formations dont je parlais tout à l'heure, qui peuvent intégrer une dimension d'alternance, complémentaire de ce qui peut se passer dans le cadre des contrats en alternance, et également à travers une prestation que nous appelons « l'évaluation en milieu de travail » qui permet, de manière simple et dans un cadre juridiquement propre, sécurisant pour le jeune et pour l'entreprise, à un demandeur d'emploi jeune ou adulte, de vérifier qu'il est en capacité et intéressé par une certaine activité et un certain poste. C'est très pragmatique, c'est sécurisé juridiquement, et je pense que cela peut aussi être complémentaire des autres confrontations au marché du travail.
Mme Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines - Juste une demande de précisions. M. Bayou, vous avez évoqué un décret pour la fonction publique d'État en indiquant que ce serait bien de l'étendre à la fonction publique hospitalière : est-ce que vous pouvez nous dire ce qu'il y a dans ce décret ? Et je pose tout de suite la deuxième question, Mme la présidente : je voulais savoir si vous constatez une différence de situation entre les jeunes femmes diplômées et les jeunes hommes diplômés par rapport à l'entrée dans le monde du travail.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Ma question s'adresse à M. Hetzel. Vous avez beaucoup parlé des universités, mais il est beaucoup reproché aux universités d'avoir des formations non professionnalisantes. Alors moi, mon souci, c'est de savoir comment les professeurs d'université qui, eux-mêmes, n'ont pas fait de stage professionnel pour la majorité, sont capables d'inciter des jeunes à cela, et comment le bureau d'aide à l'insertion professionnelle travaille avec les enseignants.
Mme Ophélie LATIL, membre de Génération précaire - J'aurais voulu revenir sur le nombre d'offres de stages qui a baissé. Parce que je pense que s'il y a une raréfaction des offres de stages, ce n'est pas tout à fait vrai : c'est surtout qu'il y a beaucoup d'offres de stages qui sont accessibles après la fin de la formation. Si, aujourd'hui, les jeunes en cours de formation ont plus de mal à trouver des stages, c'est parce que les entreprises ont préféré prendre un stagiaire qui a déjà fait un, deux, trois ou quatre stages, et que, pour payer quelqu'un 400 euros, autant le prendre avec deux ans d'expérience que sans expérience du tout. Cela, c'est la première chose. Ensuite, sur la différence d'accès au travail après la formation, je dirais que lorsque l'on est une fille et que l'on a fait deux ans de stage, on aura plus tendance à nous demander si nous avons un conjoint ou si nous avons des parents, que lorsque l'on est un garçon. C'est-à-dire que l'on va plus facilement nous dire : « Que font vos parents ? Que fait votre conjoint ? Est-ce que lui ne peut pas vous aider ? Je suppose que vous n'êtes pas toute seule à gérer votre maison, il peut vous aider à payer votre loyer... » Donc, oui, en effet, pour une fille, c'est un peu plus difficile de trouver autre chose qu'un stage lorsque l'on est jeune diplômée. Et sur le décret, nous l'attendons, M. Woerth nous en a parlé, il a dit qu'il allait le mettre en place.
Mme Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines - Qu'est-ce qu'il y a dans ce décret ?
M. Julien BAYOU, membre de Génération précaire - Justement, nous l'attendons, nous allons le demander au directeur de cabinet de M. Woerth, pour savoir s'il sera applicable à la fonction hospitalière et territoriale ?
Et la question, c'est : qu'est-ce que nous voulons ? Est-ce que nous voulons de l'insertion, ou est-ce que nous voulons plus de stages ? Pour l'instant, nous proposons plus de stages. Valérie Pécresse, dans la dernière loi, a dit qu'il fallait augmenter, que nous allions passer à un stage obligatoire en licence. Je rebondis sur ce que disait Ophélie : un employeur a le choix entre prendre quelqu'un qui est en DEUG, ou prendre quelqu'un qui est opérationnel (quand vous le prenez en emploi ou quand vous le prenez en stage). Donc, forcément, de toute manière, vous le prenez comme opérationnel. En l'état actuel, multiplier les stages, cela revient à faire des déçus : ceux qui ne trouveront pas de stage parce qu'ils ne sont pas encore opérationnels, et cela revient à casser de l'emploi puisque nous multiplions les appels d'air pour remplacer les salariés par des stagiaires.
Pour rebondir sur la question de la structure qui pourrait englober tous les stages : je n'y crois pas, parce que, déjà, Pôle Emploi ne rassemble pas toutes les offres d'emploi. En revanche, si cela pouvait marcher, ce serait génial, puisque nous pourrions nous rendre compte que BNP fonctionne avec 13 % de stagiaires, que TF1 fonctionne avec 23 % de stagiaires. L'idée, en tout cas, c'est de mettre fin à cette flexibilité absolue ; je suis employeur, et je peux prendre un stagiaire comme cela, en deux secondes. Il n'a qu'à aller imprimer sa convention de stage (c'est un PDF en ligne) et le faire tamponner par quelqu'un qui, comme vous le dites, ne connaît pas l'entreprise (mais ce n'est pas son travail, il en signe 30 000 à la suite, etc.). Les vases communicants entre stage et emploi sont tels, que rigidifier le recours aux stages, c'est favoriser l'emploi.
M. Patrick HETZEL, directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle - Si vous le permettez, je vais répondre à la question de Mme la sénatrice sur la question de la professionnalisation dans le système universitaire. Nous avons engagé maintenant une démarche de fond. Cette démarche de fond, c'est de faire en sorte que, comme cela se fait dans l'ensemble des pays voisins, l'enseignement ait aussi un rôle à jouer en matière d'insertion professionnelle, c'est-à-dire que ce soit porté pleinement par l'établissement. Vous posez une question extrêmement précise : quel est le rôle susceptible d'être joué par les enseignants ? Là-dessus, il est clair que l'appétence des enseignants à se préoccuper de cette question n'est pas répartie de manière identique. Donc, là-dessus, il y a encore du travail à faire. Et je pense qu'il faut que nous continuions à faire passer le message. Ce que je voudrais surtout vous dire à ce sujet, c'est que, de toute façon, les universités, quand nous leur avons posé la question de nous décrire leur schéma d'insertion professionnelle, l'idée à travers cela, était de leur faire percevoir qu'elles ne peuvent pas tout effectuer elles-mêmes. C'est-à-dire que c'est aussi tout un processus d'ouverture sur leur environnement. En l'occurrence, il y a d'autres acteurs qui peuvent aider les universités à atteindre l'objectif d'insertion professionnelle. Et parmi les acteurs qui peuvent y aider, je peux en citer quelques-uns, évidemment, mon voisin, l'AFIJ est une association qui a un rôle à jouer. Il y a l'APEC, d'ailleurs, il y a des conventions qui commencent à se signer avec l'APEC, Pôle Emploi, aussi. Donc, je crois qu'il faut faire en sorte que les universités se mettent en liaison avec les gens qui savent faire.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Je suis d'accord mais c'est tout le problème des universitaires qui ne sont pas formés à cela.
M. Patrick HETZEL, directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle - Avec les bureaux d'aide à l'insertion professionnelle, ils y viennent. C'est vrai que ce processus est aujourd'hui engagé. Mais il y a encore du travail à faire. Il y a des associations qui existent pour l'insertion des docteurs. Maintenant, depuis une décennie, il y a une association qui s'appelle l'Association Bernard Gregory qui a vraiment fait un travail considérable pour améliorer l'insertion des docteurs et avoir une meilleure perception de ce qu'un docteur de l'université française peut apporter aux entreprises. Plus récemment, une structure comme la MANU va dans le même sens. Donc, il y a quand même, aujourd'hui, une dynamique qui est lancée et qu'il faut essayer de poursuivre.
Mme Bernadette DUPONT, sénatrice des Yvelines - Il faut aussi sensibiliser les entreprises aux qualités des universitaires.
M. Daniel LAMAR, directeur de l'Association pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) - A l'heure actuelle, pour répondre à la question concernant les jeunes femmes diplômées, il y a effectivement une répartition 56 % de jeunes femmes diplômées pour 40 % de jeunes gens diplômés, donc un écart qui est quand même très important au niveau de l'enseignement supérieur. Et que, pour une association comme la nôtre, nous avons un public qui est à 66 % féminin (les deux tiers, donc dix points de plus) et nous assistons depuis 5 ans à une augmentation régulière de la part des jeunes femmes qui s'adressaient à nous en tant qu'organisme d'insertion. Pourquoi ? Parce qu'effectivement il y a des difficultés ressenties et des difficultés subies. Ce qui est certain, c'est que nous sommes face à un phénomène d'accès à l'emploi plus difficile pour les jeunes femmes diplômées, pour répondre à votre question, avec des conditions d'embauche qui restent, même si l'écart n'est pas, si vous voulez, du simple au double, inférieures à celles de l'embauche des jeunes gens. Donc, le problème demeure, pour répondre à votre question ; il s'est sans doute atténué, mais c'est un problème qui est toujours tout à fait d'actualité.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Vous avez évoqué, M. Lamar, les difficultés que les diplômés de 2008 vont rencontrer lors de la sortie des diplômés de 2009 ; il va y avoir donc un impact, là, assez fort. Et vous avez noté aussi, tout de suite après, que, évidemment, la valeur même du diplôme ne sera plus la même. J'aimerais bien avoir votre sentiment sur, justement, cette surévaluation des diplômes en France. En France, nous avons une trajectoire tout à fait linéaire, contrairement à certains pays européens où, avant de pouvoir s'insérer professionnellement, nous pouvons faire autre chose dans notre vie, et revenir au diplôme. Et, ici, vous avez évoqué cette baisse de la valeur du diplôme de 2008 par rapport aux diplômés de 2009. Quel est votre sentiment là-dessus ?
M. Daniel LAMAR, directeur de l'Association pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) - Je commencerais par évoquer un fait : aujourd'hui, les offres d'emploi, celles qui paraissent, je ne parle pas du marché caché, indiquent des diplômes, et au regard des diplômes demandés, l'une des préoccupations que nous avons, c'est que tous les diplômes universitaires ne paraissent pas dans des offres d'emploi : si nous prenons un échantillon d'offres d'emploi significatif, il y a un certain nombre de diplômes de l'enseignement supérieur qui ne sont jamais demandés. Cela, c'est un problème sur lequel il faut peut-être s'interroger. Il y en a d'autres qui sont demandés parce qu'ils sont connus. Et cela reste la base.
Nous, nous réalisons un travail de fond avec l'échelle et les moyens que nous pouvons avoir, donc, là aussi, nous retombons sur des problèmes de moyens : une obsession qui est la diversification du recrutement des entreprises, à la fois sur des publics habitant dans les quartiers, issus de l'immigration, etc. (donc, prévention de la discrimination), mais aussi, aujourd'hui, une collaboration avec le MEDEF sur la diversification, par rapport au type de diplôme demandé et au niveau de diplôme. C'est une opération qui s'appelle « Vivier méconnu » qui a été préparée et qui va vraiment être développée à la rentrée. Nous avons effectivement cet impératif de convaincre les recruteurs de diversifier leur recrutement. Et, dans la diversification des recrutements, cela revient à prendre en compte d'autres éléments. Mais, aujourd'hui, il faut dire les choses clairement : un recruteur regardant un CV regarde quel bac a été obtenu et en quelle année (c'est-à-dire : est-ce que l'on a eu le bac à 18 ans ?). De quelle durée ont été les études par rapport à la durée normale des cursus ? Quels sont les trous et les blancs par rapport à un CV ? Et, effectivement, la décision est prise sur des éléments, non pas le seul dernier diplôme obtenu (Master 2 ? Quel master 2 ?) mais sur l'ensemble du cursus, et effectivement, un rapport immédiat entre l'âge et le diplôme. Et ce mécanisme-là est à faire évoluer, mais, même s'il y a beaucoup d'initiatives en ce sens et le MEDEF a accepté de faire campagne sur le sujet, ce qui est quand même un élément positif, nous sommes très, très loin d'y être.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - C'est une question concernant l'offre de stages. Aujourd'hui, les bureaux d'aide à l'insertion professionnelle doivent offrir des stages. Comment voyez-vous la suite ? Le bureau continue à offrir les stages ? Nous proposons éventuellement à Pôle Emploi ? Comment vous répartissez les choses ? C'est-à-dire que nous centralisons tout sur Pôle Emploi, par exemple ? Ou nous continuons tel que c'est aujourd'hui à diviser entre le bureau et Pôle Emploi ? Dans l'idée d'une centralisation.
M. Daniel LAMAR, directeur de l'Association pour l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) - Aujourd'hui, nous sommes dans un système de sites internet proposant des stages. Des stages sont présentés par un BAIP d'une université, avec un seul service des stages pour plusieurs filières ; il y a des stages proposés par Pôle Emploi, le CIDJ, l'APEC, par l'AFIJ. Un jeune a un certain nombre de sources d'information. Le fait qu'il y en ait plusieurs n'est pas, dans la recherche de stage, le plus important. Le problème, c'est que toutes nos propositions mises bout à bout ne suffisent pas à la demande en stage. Et que l'accès aux stages est, de manière trop importante, lié à des réseaux relationnels, qui échappent à la publication. Ce n'est pas le fait d'avoir une seule source qui est un problème, je pense.
M. Bruno LUCAS, directeur général de Pôle Emploi - Si je peux compléter la réponse, effectivement, je pense que la centralisation en tant que tel, physique, n'a pas particulièrement de sens, parce que chaque acteur a ses propres sources d'information. Nous, nous travaillons effectivement avec le CIDJ qui est un site propre sur lequel nous re-routons sur notre propre site pour que les gens aient l'information. Je pense que le sujet, c'est plutôt de travailler sur la fluidité de l'information, entre les différents acteurs, ce que nous indiquions tout à l'heure, et notamment avec le monde de l'université, plus que la centralisation physique. La mission de Pôle Emploi est plus sur les offres d'emploi que sur les stages. Donc, nous nous percevons plutôt comme complémentaires des autres acteurs sur ce sujet que comme directement propositions de stage.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup, vraiment, et bon courage pour ce que vous faites.
Table ronde « Insertion professionnelle et dispositifs d'accompagnement »
(20 mai 2009)
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci beaucoup de nous avoir consacré une partie de votre après-midi pour nous aider à réfléchir un peu à ce problème compliqué de la situation des jeunes dans ce pays. Nous avons mis en place cette mission il y a deux mois. Nous avons voulu conduire cette réflexion parallèlement au travail que mène Martin Hirsch, parce que la situation nous paraît suffisamment préoccupante pour que nous ne laissions pas l'exécutif travailler tout seul dans son coin, mais qu'au niveau du législatif, nous réfléchissions un peu à tout cela.
Je pense que c'est inutile que je vous rappelle des chiffres que vous connaissez aussi bien que moi : chômage des jeunes un des plus élevés d'Europe, il a augmenté de 34 % en un an, problèmes conjoncturels mais structurels aussi, un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, même les jeunes diplômés mettent dix ans avant de stabiliser leur vie professionnelle et, pour la première fois depuis bien longtemps, les jeunes pensent que leur vie sera plus difficile que celle de leurs parents.
Aujourd'hui, nous allons vous écouter sur le problème de l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté. La table ronde précédente concernait l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Et le constat était assez affligeant.
M. Thierry MOUROTTE, directeur du GEIQ BTP 49 - Les GEIQ sont aujourd'hui constitués en réseau national au sein du CNCE-GEIQ. Nous sommes 117 GEIQ en France aujourd'hui, représentés géographiquement à peu près dans toute la France. Sur les 117 GEIQ, 49 sont dans le bâtiment, il doit y en avoir une dizaine dans la propreté, les autres dans l'hôtellerie-restauration, dans le transport, l'agroalimentaire, multisectoriel, agriculture,... soit dans des « métiers dits en tension ». Nous répondons à une charte qui est constituée de huit articles, sur lesquels les GEIQ s'engagent très concrètement, du fait qu'il y a une labellisation qui est faite tous les ans au mois de mars. Et si les GEIQ ne devaient pas répondre à cette charte, ils seraient exclus les douze mois suivants.
Notre but principal est d'embaucher des personnes qui ont des difficultés d'insertion professionnelle, qui ne sont surtout pas qualifiées, parce qu'il n'y a aucun intérêt, pour les GEIQ, à embaucher des gens qualifiés. Le but, c'est de les embaucher sur des contrats qui s'appuient en général sur des contrats de droit commun, qui sont des contrats de professionnalisation, des contrats d'apprentissage et des contrats CIRMA PRO. Mais, en général, c'est le contrat de « pro » qui est majoritaire au sein des GEIQ. Nous ne travaillons pas tout seuls. Nous travaillons avec des partenaires : Pôle Emploi, les missions locales, les PLIE, les PAIO, les structures d'insertion, tout ce qui gravite autour du monde de l'insertion du fait que nos publics viennent essentiellement de ces milieux-là. Nous recrutons aussi des gens qui viennent du milieu pénitentiaire, étant donné que nous avons aussi des rapports avec les services de probation et d'insertion des services pénitentiaires.
Les contrats que nous faisons sont en général d'une moyenne de 18 mois. Le but, pour nous, est de ne pas garder les gens qui sont embauchés en CDD uniquement. Il n'existe pas de CDI, ou très peu, c'est vraiment très marginal : lorsque les gens nous quittent, logiquement, ils sont embauchés dans les entreprises dites adhérentes ou pas adhérentes. Actuellement, les chiffres de la dernière labellisation, c'est 69 % de reclassement et 89 % globalement de réussite aux diplômes. La réussite d'un GEIQ ne s'évalue pas sur sa réussite financière, mais à sa réussite de placement dans ses entreprises adhérentes des gens que nous avons embauchés au sein du groupement.
Les entreprises viennent dans un groupement GEIQ parce qu'elles trouvent qu'elles ont quelque chose à y faire : apporter un peu leur contribution à l'insertion des publics ; parce que nous allons de 18 ans à 50 ans et plus : nous ne nous arrêtons pas aux jeunes. Mais il est vrai que la grande majorité des publics, ce sont souvent des jeunes de 25 ans. Pour quelle raison ? Parce que nous nous appuyons souvent sur les contrats de professionnalisation qui sont plus avantageux pour des raisons de dispositions financières. Nous regrettons d'ailleurs que les 26-44 ans n'aient pas les mêmes avantages parce que, parfois, nous pouvons laisser des gens à la porte, ce qui est un peu dommage. Ceci dit, malheureusement, nous pouvons aussi embaucher des gens qui sont RMIstes, et c'est aussi une grande partie de nos publics. Et nous avons des jeunes de 26 ans qui sont RMIstes aussi.
Les partenaires avec qui nous travaillons sont les ANPE, les missions locales, mais aussi les conseils généraux parce que nous travaillons évidemment les publics RMI avec les conseils généraux, mais aussi avec les centres EPIDe. J'avais d'ailleurs assisté à la première négociation, cela date de trois-quatre ans, entre l'EPIDe et la Fédération française du bâtiment. Aujourd'hui, les centres EPIDe se sont développés et nous travaillons essentiellement avec eux du fait que nous faisons des « infos-coll » dans les centres EPIDe pour aller « cueillir » des publics de ces centres-là. C'est aussi une partie des publics que nous recrutons.
Les problématiques que nous avons se situent souvent sur les questions de savoir-être. Comment intégrer quelqu'un dans une entreprise ? Il faut évidemment être motivé pour apprendre un métier, c'est une des raisons essentielles de faire intégrer quelqu'un et de bien le faire intégrer dans une entreprise, mais il faut aussi avoir un bon savoir-être. Et les problèmes aujourd'hui qui surgissent parmi les jeunes, c'est que souvent, il y a peut-être l'envie, mais il n'y a pas le savoir : on ne sait pas comment on doit se comporter dans une entreprise. Dans la plupart des cas, souvent les échecs que nous avons ne sont pas liés à la technicité du métier, ils sont liés au savoir-être uniquement : dans 95 ou 99 % des cas, l'échec ne vient que de là. Qu'est-ce que c'est ? Je n'arrive pas à l'heure, je ne suis pas assidu ; quand je suis malade, je ne préviens pas. Quand je suis absent, pour des raisons diverses, je ne contacte pas l'entreprise, je reviens cinq jours après, mais cinq jours après, c'est trop tard. Je pourrais en citer toute une panoplie, et c'est souvent à cause de cela que nous avons des problèmes. Une fois, deux fois, ça passe, mais, après, évidemment, c'est difficile de faire accepter à une entreprise que quelqu'un va se remotiver au travail.
Il est vrai que nous commençons à mettre en place, -nous sommes en train d'y songer dans les Pays de la Loire- des formations Gestes et Postures pour nos salariés des groupements, mais nous allons sûrement préparer des formations sur le savoir-être, parce que nous trouvons que ce sont des fondements essentiels. Ce n'est pas très important, en termes de formation, mais ce sont les bases fondamentales du comportement en entreprise. Quand les jeunes de l'EPIDe viennent nous voir, ils sont très formatés, mais formatés dans le bon sens, je veux dire. C'est parce qu'ils ont appris les fondamentaux : comment intégrer une entreprise, comment se comporter, comment savoir se faire apprécier, comment acquérir la confiance d'un responsable, d'un tuteur. Même si nous avons une entreprise qui est volontairement adhérente du groupement, après, nous avons affaire aux personnels de chantier qui sont sur le terrain, et en aucun cas nous ne devons décourager les professionnels d'accepter quelqu'un qui va venir travailler dans l'entreprise. Je retourne au savoir-être, c'est souvent là que cela fait défaut, et c'est là-dessus que nous devons travailler fortement. Je dis que le refus d'intégrer des jeunes n'est pas lié qu'à cela, mais c'est une des causes essentielles.
M. Bruno LUCAS, directeur général de Pôle Emploi - D'abord, quelques éléments relatifs aux obstacles que peuvent rencontrer les jeunes non diplômés. Premier élément, un peu en cohérence avec ce que je disais tout à l'heure : le diplôme est malgré tout un élément qui lance un signal positif pour les employeurs, et qui fait que les jeunes sans diplôme, de fait, dans l'effet file d'attente qui caractérise le marché du travail, en période de chômage massif, sont relégués en fin de file d'attente. Leur candidature n'est pas considérée, tout simplement parce qu'ils ne portent pas un bon signal. C'est un premier élément qui est particulièrement important. Deuxième élément : les jeunes sans diplôme sont partiellement inscrits à Pôle Emploi, et partiellement pris en charge par l'ensemble des opérateurs des réseaux des services publics de l'emploi, ils sont difficiles parfois à approcher. Un des enjeux pour Pôle Emploi, pour les autres acteurs, pour les GEIQ, mais aussi pour les missions locales, c'est justement de faire en sorte de pouvoir les accompagner et de les convaincre que ce sont des services qui vont leur permettre de retrouver une situation stable, et d'éviter ce qui vient d'être décrit, c'est-à-dire le cercle vicieux : je n'ai pas les savoir-être, donc je n'ai pas d'expérience de travail, et je n'ai pas d'expérience de travail, donc je n'ai pas les savoir-être.
En termes d'outils ou d'actions qui peuvent être conduits pour face à ce dysfonctionnement du marché du travail, je voudrais en citer trois qui sont des exemples. Le premier est à mes yeux le plus important : il s'agit des plates-formes de vocation. Je rappelle que les plates-formes de vocation visent à développer ce que nous appelons la méthode de recrutement par simulation, qui écarte toute considération d'expérience ou de diplôme, et qui tend plutôt à repérer des habiletés en faisant des exercices et qui permet de repérer si une personne est en capacité, finalement, d'occuper un poste de travail. Cela suppose de travailler avec l'entreprise préalablement pour analyser le poste, définir les exercices qui vont ensuite être passés par les candidats. Ce dispositif a deux grands intérêts : le premier, il permet d'écarter cet effet « file d'attente », cet effet signal du diplôme, de considérer uniquement la capacité de la personne à occuper le poste en fonction de son diplôme, et cela a un deuxième effet qui est souvent important pour les entreprises : il permet aussi de donner quelques garanties supplémentaires sur le fait que la personne dans l'entreprise, ensuite, va être stabilisée, les exercices montrant précisément son aisance et sa capacité à occuper pratiquement le poste.
Quelques éléments quantitatifs : c'est maintenant quelque chose qui est « industrialisé » puisque nous avons déployé 110 plates-formes sur le territoire, nous avons 120 métiers qui sont couverts (c'est-à-dire pour lesquels, avec les entreprises, nous avons développé les exercices). C'est une méthode que nous avons développée pour les jeunes comme pour les adultes, mais particulièrement pour les jeunes. En 2008, nous avons évalué 43 000 jeunes (plutôt de bas niveau de qualification) et 36 % d'entre eux ont été recrutés suite à ces évaluations. C'est une méthode qui a été labellisée par la HALDE parce que c'est un vrai outil de lutte contre les discriminations. Elle permet enfin de proposer aux jeunes, ce qui est très important pour leur insertion professionnelle, d'élargir le panel des métiers, finalement la mobilité, auxquels ils peuvent accéder. C'est un élément qui me paraît important pour l'avenir également.
Deuxième élément, c'est le travail de Pôle Emploi dans le cadre de manifestations qui permettent de mettre en relation des entreprises qui recrutent, parce que les entreprises continuent à recruter, même si nous sommes en période de crise, et des jeunes demandeurs d'emploi, avec des opérations comme, par exemple, le Train pour l'emploi et l'égalité des chances qui a permis de travailler avec un certain nombre de grandes entreprises auxquelles Pôle Emploi a contribué pour trouver des candidats au regard d'offres d'emploi qui avaient été repérées, dans un contexte facilitateur pour les jeunes.
Troisième élément, toujours plutôt pour illustrer l'idée, aussi, qu'il faut élargir la réflexion sur la perspective de stabilisation professionnelle, et notamment valoriser la création d'entreprise, nous avons, en partenariat avec l'ADI, qui a mis en place ce programme, expérimenté une opération qui s'intitule « Créa Jeunes » et qui vise, avec des jeunes des quartiers, un accompagnement avant la création d'entreprise. Il s'agit de présenter les aides au financement et l'accompagnement post-création d'entreprise qui font partie de l'offre de services d'ADI et qui visent finalement, pour des jeunes qui n'y auraient pas forcément pensé, à les inscrire dans une démarche de création d'entreprise.
Voilà pour les actions qui me paraissent intéressantes. Dernier élément, qui concerne la relation avec les partenaires et, en particulier, les missions locales, puisque c'est une question que vous posiez ; c'est pour nous une relation qui est très structurée, qui est ancienne et importante. Je pense que nous avons, des deux côtés, travaillé et progressé à la fois sur la relation opérationnelle qui est forcément une relation qui se construit bassin d'emploi par bassin d'emploi, sites Pôle Emploi et mission locale par mission locale, mais qui se traduit progressivement par une plus grande cohérence des deux côtés par le fait que nos partenaires des missions locales ont, au fil des années, aussi élargi leur offre de services, notamment sur des sujets que nous avons en commun, comme la visite d'entreprise, la recherche d'offres et l'intermédiation, à savoir la partie professionnelle qui est complémentaire de toute l'offre de services qu'elles peuvent avoir en matière plus sociale.
C'est donc un partenariat qui, pour nous, est très important, puisque l'an dernier, les missions locales ont accompagné dans le cadre de cette co-traitance 130 000 jeunes, et cette année, nous sommes en discussion avec DGEFP, avec le CNML, avec l'ENML, pour encore élargir, dans un contexte où, malheureusement, beaucoup plus de jeunes viennent vers nos réseaux respectifs, notre partenariat et le volume de jeunes qui seront traités en 2009.
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - Deux mots sur l'EPIDe, nous sommes de création récente, nous datons de l'été 2005, avec une seule mission, qui est l'insertion professionnelle des jeunes les plus éloignés de l'emploi et en voie de marginalisation. Nous accueillons aujourd'hui dans 20 centres en France 2 150 jeunes. Ce sont des jeunes âgés de plus de 18 ans à moins de 23 ans, qui sont sortis du système scolaire sans aucune qualification et qui sont en voie de marginalisation, c'est-à-dire qui ont un comportement qui les amène à cette marginalisation. Mais ces jeunes sont volontaires, et c'est sur la base de ce volontariat que nous mettons en place une formation qui a pour but de les amener à l'insertion professionnelle. Avant de détailler ce que nous faisons, je voudrais revenir sur ce qui a été dit précédemment parce que nous partageons totalement le constat qui vient d'être fait sur les difficultés que rencontrent les jeunes pour s'insérer dans la vie professionnelle.
Pour nous, en facteur numéro un - ce que je vais vous dire n'est absolument pas le fruit d'une étude statistique et scientifique mais le constat que nous faisons sur les jeunes que nous recevons - aujourd'hui, le facteur le plus déterminant et qui empêche les jeunes de s'insérer dans la vie professionnelle, c'est d'abord un manque absolu de confiance en soi et de confiance en la société. Cela, c'est le point le plus frappant. L'expression la plus courante quand un jeune arrive dans un de nos centres (je cite entre guillemets puisque ce sont des propos que j'ai entendus), c'est : « Je suis une merde ». Le deuxième facteur pour nous, au contact des jeunes que nous accueillons, c'est que ces jeunes sont hors circuit, ont un comportement qui est totalement ignorant des codes de l'entreprise et de la société. Il y a notamment une méconnaissance voire une réticence à toute forme de hiérarchie. Parce qu'ils n'ont jamais eu l'occasion de connaître une hiérarchie qui soit une hiérarchie qui les construise, qui porte sur eux un regard leur accordant une certaine confiance.
Le troisième élément, c'est une extrêmement mauvaise maîtrise des fondamentaux scolaires, qui va jusqu'à l'illettrisme, voire l'analphabétisme dans certains cas ; et, enfin, l'absence de tout projet professionnel porteur de sens pour eux. Voilà pour moi les causes principales de cette absence d'insertion. Pour nous, notre travail va consister à contrecarrer cela. Le premier élément que nous mettons en oeuvre, c'est de nous fonder sur le volontariat du jeune : pourquoi le jeune est volontaire pour venir chez nous ? Il est volontaire parce qu'il se dit : dans un an, je vais avoir un travail, et donc, dans un an, je vais être comme tout le monde. Il ne s'imagine pas une seconde la distance qu'il y a entre lui et l'activité professionnelle. Heureusement, sinon, il ne serait pas volontaire. Comme l'a dit très bien le représentant du GEIQ tout à l'heure : il y a l'envie mais pas le savoir. Et c'est sur cette petite envie (qui est : je vais avoir un travail) qu'ils sont volontaires pour venir chez nous. Sur la base de ce volontariat, nous les mettons en mouvement en les faisant changer leur estime d'eux-mêmes ; et pour cela, en les faisant franchir des étapes, l'une après l'autre, toutes petites, qui leur permettent, enfin, dans leur vie, de réussir quelque chose.
Ils vont réussir le brevet national de secourisme (PSC1), parce qu'il n'y a besoin d'aucune compétence intellectuelle, ce sont des gestes que l'on apprend, et, une fois que l'on a fait quelques séances, on sait faire ces gestes. Et donc très vite, au bout de quelques semaines chez nous, ils vont avoir le brevet national de secourisme (PSC1). C'est très important, puisque nous allons leur remettre un diplôme et nous allons leur dire : « La société compte sur vous, la société a besoin de vous, vous êtes utile à la société ». Et ce sont de tout petits gestes comme cela, l'un après l'autre, qui vont reconstruire l'estime d'eux-mêmes et l'estime de la société. Voilà le fondement de notre pédagogie.
Nous fonctionnons sur le principe de l'internat, un internat de semaine (les jeunes arrivent le dimanche soir et partent le vendredi après-midi). Le but de cet internat, c'est un moyen, en réalité, qui permet de donner un cadre relativement précis et rigoureux à ces jeunes. Ce cadre n'est qu'un moyen pédagogique pour les amener à les rassurer. Car ces jeunes n'ont jamais eu de cadre. Leur cadre familial s'est en général dissous relativement jeune et la société ne leur a pas fixé de limites, ce qui fait qu'ils n'ont jamais eu de cadre. Nous leur fixons un cadre très précis avec des règles, ils savent ce qu'ils ont le droit de faire et ce qu'ils n'ont pas le droit de faire. Et s'ils font quelque chose qu'ils n'ont pas le droit de faire, il y a une règle très précise qui est appliquée. Le jour où ils sortent des limites, parce qu'ils vont évidemment sortir des limites, nous appliquons exactement la sanction qui était prévue à l'origine. Cela les rassure énormément ; et dès qu'ils sont rassurés là-dessus, ils vont pouvoir se mettre à s'occuper d'eux. Toute notre démarche au cours des dix mois en moyenne qu'ils passent chez nous, va être de les mettre en situation d'autonomie : c'est-à-dire que petit à petit, ce cadre, ce ne soit plus nous qui le fixions, mais qu'ils se le fixent eux-mêmes. Et c'est tout le travail que nous allons faire au cours de ces dix mois.
Si je résume les grandes étapes du parcours, c'est d'abord une reprise de la confiance en soi, une meilleure estime d'eux-mêmes, une estime dans la société ; ils vont rentrer dans une démarche d'employabilité. Qu'est-ce que nous faisons pour cela ? Au bout de trois-quatre mois, une fois qu'ils sont remis d'aplomb, nous allons travailler avec eux sur un projet professionnel, nous allons voir avec eux pour leur proposer une alternative si ce projet professionnel est dans un secteur qui n'est pas du tout en tension (c'est-à-dire là où il y a vraiment du mal à trouver un emploi), et leur dire : « Cela, c'est ton projet professionnel principal, nous allons essayer d'avoir cela, et si jamais nous ne l'avions pas, voilà une alternative ». Et cette alternative, nous travaillons avec eux de manière à ce qu'elle soit sur des métiers en tension, de façon à ce qu'ils aient quelque chose au bout du compte.
Et puis nous allons mettre ces jeunes dans une entreprise, une fois que nous avons déterminé le projet professionnel, pendant 15 jours, et, au bout de 15 jours, le responsable de l'entreprise (le patron si c'est un artisan, ou le chef d'équipe si c'est une entreprise) va nous dire : « Ce jeune, il a les aptitudes pour cela, il a envie de faire cela, cela va marcher. ». Ou, au contraire, il va nous dire : « Cela ne va pas marcher ». Et si cela ne va pas marcher, nous rebâtissons un projet. Et lorsqu'il nous dit : « Ça marche », à partir de ce moment-là, nous allons adapter le parcours au sein de l'EPIDe pour qu'il ait les qualités que l'entreprise attend au moment où il arrive dans l'entreprise.
Je prends un exemple au hasard, je vais le prendre dans le bâtiment, puisqu'il y a quelqu'un qui connaît bien ce secteur ici. Dans le bâtiment, les entreprises nous demandent en général des qualités de travail en équipe, des qualités physiques de base (capable de porter des charges lourdes, une certaine force physique) et, très souvent, par exemple dans une entreprise qui fait du béton, ils vont nous demander qu'ils manient la règle de trois, parce que la règle de trois, c'est : si je sais faire 100 kilos de béton, pour faire 235 kilos de béton, il faut faire la proportion. Donc, nous allons, dans le parcours, à partir de ce moment-là, travailler spécialement là-dessus. Si ce sont des plus petites boîtes qui ne font pas de béton, ils vont nous dire : « Moi, j'ai besoin qu'ils soient mobiles ». Par exemple, les petits artisans, ils ont besoin que leurs employés soient mobiles. Donc, nous allons travailler sur le code de la route et le permis de conduire.
Vous le savez, donc je le redis, comme cela, parce qu'il faut le rappeler : le code de la route aujourd'hui est totalement inaccessible pour les jeunes que nous avons, ils ne comprennent pas les questions. Une question où il y a une double négation, c'est totalement inaccessible pour un jeune qui arrive chez nous, il ne peut pas comprendre la question.
Au final, nous avons un partenariat avec des entreprises qui accueillent nos jeunes et les entreprises apprécient le travail avec nous parce que nos jeunes ont le savoir-être qui leur permet de travailler en équipe dans l'entreprise. Ensuite, sur l'aspect précis de la formation professionnelle, elles vont s'en occuper. Dans le secteur du bâtiment, par exemple, en dehors des partenaires avec les GEIQ, elles ont leurs propres organes de formation interne. Les jeunes sont donc motivés, ils connaissent les codes de l'entreprise, et nous ne les mettons dans l'entreprise que lorsque nous estimons qu'ils sont prêts à rentrer dans l'entreprise.
Voilà en quelques mots ce que nous faisons aujourd'hui ; 2 150 jeunes, nous avons des listes d'attente importantes et, pour vous donner un détail, par rapport à l'envie du jeune, nous avons aujourd'hui un glissement très fort qui se produit : notre première source d'approvisionnement des jeunes, si je puis dire, ce sont les missions locales, qui nous envoient 42 % des jeunes qui sont chez nous, c'est-à-dire qui proposent à ces jeunes de venir chez nous et qui sont volontaires (mais les organes prescripteurs, au départ, ce sont les missions locales) puis, c'est le bouche-à-oreille, le volontariat personnel, par des jeunes qui, dans leur quartier, dans leur cité, connaissent d'autres jeunes qui ont eu un travail et qui se disent : « Mince, cela vaut la peine d'aller voir ». Et, enfin, le reste, 19 à 20 %, ce sont les Journées d'appel à la défense qui classent et qui font des tests, et lorsque les jeunes sortent de ces tests inaptes à la défense parce qu'ils ne maîtrisent pas le français, parce qu'ils ne connaissent pas les fondamentaux de calcul, ils ont une information sur les différents dispositifs qui leur permettent de se remettre à niveau, dont le nôtre, l'EPIDe. Voilà, ce sont les sources d'arrivée de nos jeunes.
Je termine en disant que, pour répondre à une des questions que vous aviez évoquées, le partenariat avec les GEIQ fonctionne très bien : cela correspond extrêmement bien, comme état d'esprit, à l'état d'esprit de nos jeunes ; par exemple, nous envoyons de tous les EPIDe de France des jeunes qui veulent faire du travail sur la haute tension dans le GEIQ de Grenoble, etc. Les partenariats avec les autres acteurs, les missions locales d'un côté, les prescripteurs du contrat d'autonomie fonctionnent également bien.
M. Dominique DUJARDIN, vice-président du Réseau E2C France, direction de l'E2C en Essonne - La question est de savoir s'il y aurait des systèmes parfaits qui fonctionneraient à 100 % de réussite, ou s'il y a un échec qui est consubstantiel à toute action humaine. Si nous disons qu'il y a un échec à l'éducation nationale, il faut dire aussi qu'il y a un important succès. Je ne pense pas qu'il y ait de représentant de l'éducation nationale ici, je me permettrais, au moins en tant que fils d'instituteur, de le rappeler.
Vous disiez que dans la précédente table ronde, grosso modo les intervenants et intervenantes vous avaient un peu désespérée, parce qu'ils avaient tracé une situation qui est, en effet, grave. Nous pourrions penser qu'elle ne l'est pas, dans un premier temps, parce que si nous regardons bien la proportion de jeunes sortants en situation d'échec au regard des diplômes, du système scolaire, il n'est pas plus important qu'il n'était il y a 20, 30, 40 ou 50 ans, voire plus. Cela dit il y a deux grandes donnes qui se sont notablement modifiées : aujourd'hui cet échec est géographiquement et socialement beaucoup plus ségrégué ou circonscrit. Cela tient aussi au fait qu'aujourd'hui, dans notre société, les quartiers d'habitation, les quartiers de résidence, sont de plus en plus ségrégués et que l'échec aujourd'hui est massivement dans les quartiers difficiles.
Deuxième chose, c'est qu'aujourd'hui, ceux qui sortent sans qualification, soit ont vu disparaître les emplois auxquels ils pouvaient accéder précédemment parce que nombre d'emplois dans l'agriculture ou dans l'industrie, peu qualifiés, ont disparu ; et que, par ailleurs, par un système de glissement qui, à certains égards est pervers, se sont fait voler leurs emplois. Je vais prendre un exemple dans le service public : sur ce que nous appelons les « cadre C » où aujourd'hui il faudrait un CAP-BEP pour y postuler, vous n'avez pas des gens qui ont le bac, qui y postulent, ce sont les gens qui ont la licence ou la maîtrise. C'est assez surprenant ; sans aucun jugement de valeur sur ceux qui tentent cette voie-là par stratégie personnelle pour s'en sortir. Cette double impasse pour les jeunes est donc très problématique.
Les écoles de la deuxième chance, rapidement. Je dirais qu'il y a une idée et un pari : c'est de refaire de l'école pour ceux qui ont échoué à l'école. C'est une idée qui est née d'un livre blanc européen au milieu des années 90 et il y a maintenant plus de 10 ans que les écoles fonctionnent. C'est l'idée fondamentale, parce que, d'une certaine manière, auparavant (et ce n'est pas une critique de ce qui était fait auparavant), mais nous disions, dans la mesure où ils ont échoué à l'école, surtout, ne le remettons pas à l'école, surtout ne les remettons pas dans des actions longues, des actions foncières. Or, ce dont nous nous apercevons, c'est qu'en fait, il y a un travail de fond à accomplir et que nombre des jeunes qui, bien que sortant avec une certaine répulsion de l'école, sont encore demandeurs de l'école.
Il y a deux objectifs : c'est de ce fait, d'une part, faire une formation initiale décalée dans le temps et dans l'espace (il s'agit non pas de refaire l'école, mais de refaire de l'école, parce que les fondamentaux ne sont pas là), et, d'autre part, assurer un objectif d'insertion sociale et professionnelle. Le public que nous visons et que nous touchons, c'est un public de 18-25 ans sorti du système scolaire sans diplôme ni qualification, n'ayant pas acquis le CAP-BEP. C'est véritablement, en termes de qualification, le « bas de la corbeille ». Il se trouve aussi ailleurs que nous accueillons des jeunes qui ont pu cependant avoir un CAP ou BEP, mais qui, n'ayant pas exploité ce diplôme, ayant été trois ou quatre ans sans le pratiquer sont en fait revenus à une situation de non-qualification comme il y a parfois un illettrisme de retour.
Le cursus se situe sur une action longue, c'est-à-dire un parcours théorique moyen de dix mois environ. Après une période test de six semaines qui permet de positionner, de voir comment nous allons construire de manière individualisée le parcours, nous allons être dans un parcours systématiquement en alternance ; le temps passé en entreprise va être égal à celui passé en centre, parce que là, il y a des objectifs à remplir, que seul, effectivement le mode de l'alternance peut résoudre.
Les écoles sont organisées en réseau. Ce qui est important, c'est qu'elles fonctionnent au regard d'une charte et qu'elles sont labellisées, c'est-à-dire que cela permet de dire qu'une école de la deuxième chance qui a l'appellation « école de la deuxième chance » répond à un certain nombre de critères. Je pense aussi que l'exigence de qualité est quelque chose d'essentiel.
Je terminerais très rapidement mon propos en disant que s'il faut franchir l'obstacle permettant d'accéder à l'emploi, parce que c'est véritablement un obstacle, il y a trois choses probablement fondamentales : c'est d'abord d'acquérir les fondamentaux d'une formation de base. Il se trouve qu'en tant que réseau des écoles de la deuxième chance, nous participons également aux concertations mises en place par Martin Hirsch, et que, ce que nous voyons émerger de chacun des débats et quels que soient les partenaires sociaux tend à dire : attention, l'hyper-spécialisation, a fortiori pour ces jeunes, est un piège. Si nous ne leur redonnons pas les fondamentaux de base des savoirs, nous n'y arriverons pas.
Deuxième chose, cela a été évoqué mais je reviens là-dessus, c'est le travail sur l'estime de soi, qui est en rapport avec ce que vous disiez en termes de public cassé, c'est-à-dire qu'il faut sortir du complexe d'échec, et, là-dessus, ce sera la seule critique que je ferai par rapport à l'éducation nationale. C'est qu'en fait, c'est quoi l'échec au regard de l'éducation nationale ? C'est de n'avoir pas réussi à un concours ou à un examen. Or, cela ne veut pas dire que l'on n'a pas des aptitudes, cela ne veut pas dire que l'on n'a pas des savoirs, et que, l'essentiel de la méthode d'apprentissage et d'accompagnement que nous allons mettre en oeuvre au sein de l'école va être justement de faire révéler au jeune tout son potentiel. Pas de manière idyllique, en disant : « Tu sais faire un noeud à une corde, tu vas être un champion », mais véritablement. Et, même sur ce que sont les fondamentaux, nous avons mis en place maintenant de manière quasi systématique des ateliers d'écriture. Alors, bien sûr, une fois que nous passons par-dessus un rapport qui est probablement un peu différent du nôtre à l'orthographe, deux ou trois petites choses de forme, qui se guérissent vite (si nous voulons y mettre les moyens), il y a des réelles aptitudes d'expression écrite ; encore faut-il que nous leur disions que ce qu'ils produisent, comme textes, cela a de l'intérêt.
Troisième chose : sur les aptitudes sociales et relationnelles. Ce n'est pas tant la non-maîtrise de techniques, de savoir-faire professionnels, même si, bien entendu, pour pratiquer un certain nombre de métiers très typés (vous n'êtes pas menuisier si vous ne savez pas raboter, bien évidemment), mais les aptitudes sociales et relationnelles, c'est faire découvrir au jeune ce qu'est l'environnement, parce que ni leur famille ni, probablement, l'école, ne sont en mesure de leur dire ce que sera le monde de l'entreprise. Nous avons choisi dans la quasi totalité des cas d'installer nos écoles parmi les entreprises. Ainsi le matin, quand ils viennent, les jeunes se rendent dans un lieu qui sera, peu ou prou, celui qui ressemblera à leur futur lieu professionnel, et ils mangent le midi dans un restaurant interentreprises qui sera aussi celui dans lequel ils vivront. C'est très important.
Sur ces aptitudes sociales et relationnelles, je pense que nous mettons souvent l'accent sur l'apprentissage de la discipline, l'apprentissage des règles ; c'est nécessaire et nous le pratiquons systématiquement. Mais c'est surtout leur apprendre à décoder l'environnement. Parce qu'ils ne le connaissent pas du tout, c'est un monde non pas archi complexe, mais totalement méconnu et, soit dit en passant, qui leur fait peur. Et je terminerai là-dessus en parlant de peur, comme nous touchons principalement des jeunes des quartiers réputés être des gros bras et de ceux qui font peur : vous savez, quel est leur principal problème pour les faire sortir de l'école, comme pour aller faire des périodes d'alternance (je parle de l'école que je dirige dans l'Essonne) ? C'est de les faire aller jusqu'à Paris. Vous savez pourquoi ? Parce qu'ils ont peur de prendre le train pour aller à Paris.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Combien d'écoles de la deuxième chance en ce moment ?
M. Dominique DUJARDIN, vice-président du Réseau E2C France, direction de l'E2C en Essonne - Il y a aujourd'hui seize écoles labellisées intervenant sur douze régions, 25 départements, qui ont touché près de 5 000 stagiaires en 2008, sachant que dans le cadre des mesures qui ont été mises en place, il y a le souhait de la part des différents commanditaires de passer à plus qu'un doublement du chiffre du nombre de jeunes touchés. C'est-à-dire qu'un public de 12 000 serait l'objectif visé pour les écoles de la deuxième chance. A ce jour, nous tangentons les 5 000, ce qui correspond à 44 sites de formation (c'est seize écoles parce que beaucoup d'écoles sont multi-sites).
M. Xavier BAUX, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance - Si vous le voulez bien, je vais faire deux ou trois remarques préliminaires et, ensuite, j'essaie de répondre aux quelques questions sur lesquelles je pense avoir à dire quelque chose d'intéressant, en éliminant ce sur quoi je n'ai pas d'opinion particulière.
Je remercie les personnes qui ont parlé avant moi ; ils ont évoqué des problèmes que je connais bien. Quand je dis que je les connais bien, je tiens à préciser pour l'assemblée, comme je l'ai fait dans la précédente table ronde, que je ne suis pas président de la chambre syndicale à temps plein, mon métier est d'être avec les jeunes, et mon premier métier, celui que j'exerce toujours, c'est celui de formateur. Quand nous parlons de formation des jeunes, je parle en homme de terrain, et sur des problématiques que je connais. Parce que, même si la formation en alternance ne concerne pas uniquement les jeunes non qualifiés ou peu qualifiés, elle les concerne aussi, et nos organismes travaillent également sur des programmes qui peuvent concerner directement des jeunes sans aucune qualification. J'ai moi-même, il y a quelques années, travaillé sur un programme auprès de jeunes de Pierrefitte et de Saint-Denis, et effectivement, la première fois, lorsque nous étions à Bastille, j'ai vu quelques-unes qui étaient un peu durs, avoir peur d'aller manger au McDonald's parce qu'il fallait faire 100 mètres dans Paris, et la plupart d'entre eux n'étaient jamais venus à Paris depuis Saint-Denis.
Deux ou trois remarques préliminaires. La première, qui me paraît très importante, c'est que je crois qu'il y a un point sur lequel nous ne revenons pas toujours suffisamment, et que, d'ailleurs, d'une certaine manière, le vocabulaire que nous avons de manière commune employé aujourd'hui, c'est le flou sémantique qui entoure les expressions de « jeunes en difficulté », de « jeune peu qualifié », de « jeune non qualifié », etc.
Ce que je tiens à dire et qui me paraît extrêmement important, c'est qu'avec notre chambre syndicale, nous nous battons depuis des années pour essayer de faire comprendre au monde politique que, bien souvent, les actions que l'on menait au bénéfice des plus en difficulté, ce qui est souvent un prétexte, peut se faire souvent au détriment de ceux qui sont un petit peu qualifiés. Que si nous cloisonnons les jeunes en grande difficulté avec des jeunes qui pourraient être en difficulté mais qui ne le sont pas encore parce qu'ils n'entrent pas dans cette catégorie, alors, nous avons absolument tout faux. D'abord, il n'y a rien de plus près d'une situation de difficulté qu'un jeune qui n'y est pas encore tout à fait, mais qui y est presque. Lorsque, par exemple, dans nos centres, nous accueillons des jeunes qui veulent entrer en Bac pro compta, qui viennent de quartiers en difficulté, si nous ne les aidons pas à ce moment-là, six mois après, ils seront en difficulté ou dans des situations de plus en plus difficiles.
Je vais vous donner un exemple très concret, sur quelque chose contre lequel nous nous battons depuis un certain nombre d'années ; j'en avais longuement parlé avec quelqu'un que vous connaissez bien dans cette maison, qui est M. Larcher : c'est la question, par exemple en alternance, des contrats orphelins. Vous êtes jeune à Avignon, vous cherchez par exemple un contrat d'alternance pour faire, prenons un cas simple, un BTS d'informatique, ou un Bac pro dans une société qui relève de la branche Syntec, de l'OPCA FAFIEC, c'est-à-dire une société d'informatique. Et vous cherchez pendant un certain temps avec souvent l'aide d'une école de la deuxième chance, ou de votre organisme de formation. Vous faites des CV, vous envoyez des lettres, vous faites tout un apprentissage, et puis, au bout de trois mois, vous avez un patron qui vous dit : « d'accord, je vous prends. Vous avez peu de formation, aucune expérience, pas de relations ; moi, je vous prends pendant deux ans en Bac professionnel ». Et, à ce moment-là, le FAFIEC dit : « Non. Nous ne finançons plus les formations longues, c'est terminé ».
Qu'est-ce que le patron fait ? Il dit : « C'est fini, je ne ferai plus appel à l'alternance » ; et je vous laisse imaginer la rupture de lien social lorsque ce jeune revient dans son quartier et dit qu'au bout de trois mois de recherches, ayant trouvé un employeur, il est renvoyé chez lui. Cela porte un nom : cela s'appelle les contrats orphelins, M. Larcher m'avait promis qu'on y mettrait fin. Pour l'instant, cela n'a toujours pas été fait, et la cause principale est très simple : je vais mettre les pieds dans le plat, puisque nous sommes aujourd'hui dans une enceinte politique. C'est tout simplement la politique de l'UIMM qui a influencé fortement les choses pour que nous mettions fin aux contrats longs et qui, aujourd'hui encore, se bat pour qu'il n'y ait pas de contrats longs en France.
Or, je le dis très officiellement à cette table : si l'alternance ne permet pas de préparer aussi (je dis bien « aussi », parce que les formations diplômantes, évidemment n'excluent pas les formations qualifiantes), des diplômes, c'en sera terminé de ce système dans notre pays, à tous les points de vue. D'abord du point de vue de sa viabilité économique dans les organismes de formation, parce que quand vous montez des programmes un petit peu difficiles, sur des publics en difficulté, sur des formations qualifiantes spécialisées, vous commencez avec des groupes de dix, vous terminez avec huit personnes, si vous n'avez rien institutionnalisé derrière, c'est terminé. Ensuite, du point de vue social ou psychosocial, parce que si nous réservons les formations en alternance à des formations courtes, qualifiantes, uniquement réservées à des jeunes en difficulté, évidemment ils n'y viendront pas ; nous ne construirons jamais de parcours en alternance.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - La raison qui fait qu'il y a des refus de contrats longs, est-ce que vous la connaissez ?
M. Xavier BAUX, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance - Oui. La raison est simple : lorsque nous avons réformé les contrats de qualification par la loi de 2004, ils avaient été, dans des enquêtes tout à fait officielles de la DARES, considérées comme le meilleur instrument de lutte contre le chômage des jeunes. Cette réforme a été effectuée en 2004 et on a fait passer dans la loi le contrat d'une durée de 24 mois à 12 mois.
Comme nous nous sommes beaucoup battus à cette époque-là, nous avons apporté un correctif à la loi, à savoir que le contrat de professionnalisation dure 12 mois, sauf dérogation de branche. Il y a une majorité de branches a dérogé, mais pas toutes. Ce qui fait qu'aujourd'hui, quand vous êtes jeune (j'ironise un peu mais à peine), quand vous cherchez un contrat de professionnalisation, il faudrait vous balader avec les accords de branche sous le bras pour savoir si le patron... Et quand vous êtes deux jeunes qui cherchent un contrat de qualification, votre camarade a trouvé une boîte informatique qui relève de l'AGEFOS, vous pouvez faire votre formation de Bac pro ; et l'autre une entreprise qui relève du FAFIEC (pourtant, elles font à peu près le même métier, ce sont deux PME dans l'informatique), mais vous ne pouvez pas faire votre contrat.
Sur la question : « Quels sont les principaux obstacles à l'insertion professionnelle des jeunes peu qualifiés ? », évidemment, il y a les obstacles économiques : ils n'ont pas toujours le temps de toute façon de chercher un emploi, donc, ils se dirigent vers des emplois extrêmement précaires, lorsqu'ils en trouvent ; et, dans le pire des cas, vers des formes d'économie parallèle. La question de la confiance est absolument fondamentale ; nous avons passé beaucoup de temps là-dessus. Et, bien sûr, aussi, il y a la question des relations sociales, parce qu'un emploi sur deux en France, se trouve par le bouche-à-oreille.
Deuxième question : « Les formations en alternance sont-elles un outil pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes ? ». Là aussi, la personne qui m'a précédé a répondu, je dirais, plus que je ne pourrais le faire, puisque Monsieur Dujardin parlait de jeunes encore plus en difficulté que ceux dont nous nous occupons ; donc, évidemment, ce qu'il a dit est valable pour les autres. Vous évoquiez les propositions du Président de la République : je dis oui s'il y a quelques conditions. La première, c'est qu'effectivement nous protégions les formations longues et diplômantes dans notre pays, c'est absolument indispensable. Aujourd'hui, il y a un certain nombre d'OPCA qui disent : « Attention, en septembre, c'est terminé les formations longues ». Donc nous sommes déjà en train de perdre des emplois en alternance. Et à la condition, évidemment, que nous ne fassions pas de système qui soit susceptible de faire en alternance des formations - pardonnez-moi le terme un peu exagéré - un peu ghettoïsées, qui ne permettraient pas de construire des parcours de formation.
« Comment mobiliser les employeurs privés pour qu'ils donnent leur chance à un plus grand nombre de jeunes faiblement qualifiés ? ». Évidemment, je crois qu'il y a une question d'incitation économique. Mais, là encore, l'incitation économique, je pense que nous pouvons la réfléchir. Aujourd'hui, dans notre pays, à l'heure où je vous parle, une entreprise touche plus pour recruter un apprenti de l'ESSEC en dernière année qu'elle ne touche pour prendre une première année de Bac pro en alternance ou en contrat de professionnalisation. Si c'est cela, bien équilibrer les incitations financières, je crois que nous ne sommes pas tout à fait dans le coup. Donc, je pense qu'il faut proportionner les incitations financières à l'effort que fait l'entreprise par rapport à la qualification du jeune. C'est une notion, à mon avis, d'assez bon sens, mais qui ne trouve pas aujourd'hui une pleine application dans notre pays.
Et puis, évidemment, il faut, comme je le disais tout à l'heure, permettre aux jeunes d'avoir de vrais parcours d'alternance, parce que c'est en voyant les possibilités d'évolution qu'ils entrent dans les formations les plus basses.
Mme Jeanne DIETRICH, conseillère technique à l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) - Pour l'UNIOPSS, je vais principalement me centrer sur les deux questions concernant les obstacles à l'insertion professionnelle. Je vais passer très rapidement sur les constats qu'un groupe « Alerte/Partenaires sociaux » a pu faire dans le cadre d'un document qui a été remis le 13 décembre 2007. Dans ce document produit par des associations de lutte contre l'exclusion et les partenaires sociaux, nous avons pu identifier deux types d'obstacles. Le premier s'apparentait aux difficultés d'accès aux moyens nécessaires pour envisager une activité professionnelle tels qu'absence de logement ou absence de lien, de réseau de relations, notamment. Un deuxième type d'obstacles consistait en des difficultés d'accès à l'emploi, liées aux contraintes des entreprises et aux pratiques françaises de recrutement et de sélection. Un troisième type de freins a été identifié : ceux liés à l'employabilité des personnes.
Cela, nous avons pu le synthétiser dans ce document « Alerte/Partenaires sociaux » que je peux vous faire parvenir si vous le souhaitez. Nous en tirons des préconisations de cinq ordres.
Le premier, c'est améliorer la formation des jeunes peu qualifiés. J'insisterais surtout sur un point : améliorer la formation continue des jeunes peu qualifiés, puisque, souvent, les entreprises peuvent être tentées de favoriser la formation des personnes les plus qualifiées en axant moins sur la formation des jeunes moins qualifiés. Ce que nous préconiserions, c'est de prévoir une juste place aux jeunes peu qualifiés dans les plans de formation des entreprises.
Sur le deuxième point - l'amélioration de l'orientation des jeunes - nous préconisons de remettre à l'ordre du jour un outil qui existait, qui était le contrat d'orientation, avec un accompagnement et un suivi renforcés. Il nous semble également important d'être vigilant à ne pas orienter de manière systématique et par défaut des jeunes peu qualifiés vers les métiers en tension. Nous sommes tout à fait d'accord sur le fait que c'est très important de faire des campagnes de communication pour valoriser l'image des métiers en tension qui, parfois, est assez négative, de manière à ce que les jeunes qui sont assez solides pour se faire une place dans ces métiers puissent vraiment se diriger vers ces métiers. Mais nous attirons l'attention sur le fait que ces métiers sont connus pour présenter des conditions de travail difficiles. Or il faut absolument éviter que des jeunes déjà fragilisés se retrouvent dans une situation d'échec faute d'avoir pu tenir du fait de conditions de travail particulièrement difficiles.
Nous aimerions aussi insister sur ce qui apparaît dans le projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie qui va être débattu au Parlement cet été. Est prévu un droit à l'information et à l'orientation professionnelle tout au long de la vie, ce qui nous paraît très positif. Nous nous interrogeons en revanche sur le transfert qui est planifié des services de l'orientation de l'AFPA vers Pôle Emploi, dans le contexte qui est celui de Pôle Emploi actuellement.
J'insisterai particulièrement sur le troisième point - renforcer l'accompagnement vers et dans l'emploi -puisque les associations de lutte contre l'exclusion, bien sûr, ont un rôle en termes d'accompagnement des personnes en difficulté. Nous souhaiterions que les associations qui cherchent à lever des freins à l'accès à l'emploi des jeunes peu qualifiés (des freins de mobilité, des freins de logement, des freins de santé), disposent des crédits suffisants pour le faire. Actuellement, en effet, elles le font de façon marginale et ponctuelle, mais elles ne sont pas en mesure de le faire autant qu'elles le souhaiteraient. Nous souhaiterions aussi que soit promu le tutorat en entreprise et que ce tutorat soit valorisé y compris financièrement pour qu'il puisse progresser.
Sur le quatrième point - modifier les modalités de recrutement par les entreprises et la fonction publique - je rebondis sur ce qui a été dit sur la méthode des habiletés. Nous trouvons que la méthode des habilités est vraiment une façon de rétablir une forme d'égalité des chances, et cela nous paraît être quelque chose à promouvoir.
Enfin, sur le cinquième point - la place des contrats en alternance et des contrats aidés - ce sont deux outils qui nous paraissent vraiment importants pour l'insertion des jeunes peu qualifiés, mais avec des conditions. Les contrats en alternance, par exemple, nous semblent être quelque chose de très positif, mais à condition que l'accompagnement et la formation qui vont avec soient prévus et soient financés. Pour les contrats aidés, c'est le même problème. Les associations insistent sur le fait qu'un contrat aidé n'a de sens et ne permet une insertion durable que si l'accompagnement et la formation sont là pour l'accompagner. La réforme de la formation professionnelle prévoit un fonds qui devrait permettre d'orienter les possibilités de formation vers les jeunes peu qualifiés, ce dont nous nous réjouissons. Nous serons donc très attentifs à la mise en oeuvre de cette réorientation vers les personnes les moins qualifiées. Par contre, cela ne résout pas le problème de l'accompagnement des personnes, puisque cet accompagnement, actuellement, n'est pas financé. Certes, il y a un taux de prise en charge des contrats aidés qui est très important, mais la partie accompagnement, elle, n'est pas financée. Or, c'est vraiment essentiel puisque cela permet de lever les freins liés à des problèmes de santé, de logement, etc.
Nous souhaitions enfin insister sur le travail effectué par les missions locales, sur lequel nous avons des retours très positifs. Il s'agit d'un travail vraiment sur mesure et de qualité, et, il faut donc le valoriser.
M. Jean-Patrick GILLE, représentant de l'Union nationale des missions locales (UNML) auprès des pouvoirs publics, Président de la mission locale de Tours, Président de l'Association régionale des missions locales de Centre et député d'Indre et Loire - Avant de répondre, je vais essayer de m'en tenir aux questions que vous avez posées, notamment sur les dispositifs. Quelques remarques sur les missions locales, et je m'appuierai sur les propos de M. le rapporteur, indiquant notamment que les dispositifs en direction des jeunes étaient relativement illisibles. C'est peut-être vrai, mais je pense que le réseau que nous représentons (des missions locales), est tout à fait connu, reconnu par les jeunes, un réseau structuré au niveau régional et au niveau national. Il existe environ 500 missions locales qui maillent l'ensemble du territoire pour un peu plus de 5 000 lieux d'accueil des jeunes et 1 million de jeunes accueillis chaque année et accompagnés, dont près de 50 % (48 %) ont une solution en termes de formation ou d'emploi chaque année, même si nous savons que c'est toujours précaire. Parce que c'est aussi cela que nous gérons, j'y reviendrai.
Une remarque de votre part sur laquelle je voudrais revenir parce que je voudrais sensibiliser les autorités publiques sur la question des statistiques. On dit : « Mais qu'est-ce qu'elles font ? On ne sait pas bien. » Alors, vous indiquiez, vous, les statistiques du devenir : c'est vrai que là ce n'est pas facile à faire, puisque les parcours sont compliqués, erratiques et puis, finalement, un jeune qui est passé par une mission locale et puis finalement a constitué sa vie, il ne revient pas ; peut-être faudrait-il construire un système statistique ? Je voudrais insister sur le fait que souvent il est dit » on ne sait pas ce qu'elles font » alors que nous avons un système statistique qui est construit depuis 15 ans, qui s'appelle « Parcours 3 », que tout conseiller qui reçoit les jeunes, en direct, renseigne ce dispositif ; donc, j'allais dire, il est alimenté jour par jour. Nous pourrions, en période de crise, jour par jour, mesurer les évolutions. Et il est très détaillé, il remonte, c'est géré au niveau national par le CNML, et nous, nous sommes désolés (nous l'avons indiqué aussi à Martin Hirsch), qu'il y ait juste une étude qui sorte chaque année par la DARES. Là, si vous pouviez intervenir, parce que même les personnes qui renseignent, nous n'arrivons pas à avoir nos propres agrégations, nous sommes obligés de les reconstituer : vous voyez, c'est difficile de mobiliser les personnes pour renseigner. Là, il y a une vraie difficulté que nous devrions pouvoir lever. Vous imaginez : 1 million de jeunes qui sont suivis et nous avons jour par jour leur situation, c'est un outil qui existe et que nous n'utilisons pas.
Dernier point, sur lequel je suis tout à fait d'accord, les collectivités ont également un rôle crucial à jouer pour favoriser l'insertion des jeunes, c'est vrai, nous le savons. Pour les publics - qu'ils soient jeunes ou pas jeunes - les plus en difficulté, ce qui fonctionne, c'est que les collectivités s'y engagent. C'est le cas des missions locales, puisqu'elles sont d'initiative locale : sur un peu plus de 470 millions d'euros de budget global, 40 % est apporté par l'État, mais 46 % par les collectivités territoriales (en grande partie les communes) et je crois que c'est une richesse de notre dispositif. D'ailleurs, les présidents sont généralement des élus locaux.
Pour en venir à vos questions, sur les dispositifs : le CIVIS (qui est un dispositif d'État mais que nous gérons) principal dispositif de soutien à l'emploi des jeunes, globalement, c'est un bon outil. A ce jour, 700 000 jeunes sont suivis ; par contre, il y a un dispositif renforcé, nous pensons que ce n'est pas très pertinent comme distinguo. La force du CIVIS, c'est justement de cibler les jeunes les plus en difficulté. Nous avons tendance à considérer, ce qui n'est pas toujours le cas, que le dispositif a répondu à la cible qui lui était assignée. Et puis, le fait qu'il y ait une contractualisation avec le jeune, je crois que c'est important, même si le terme contrat dans CIVIS est ambigu, parce que les gens pensent que c'est un autre contrat de travail, et ce n'est pas le cas, donc il faudrait peut-être clarifier cela, et indiquer aussi que le fait d'avoir une possibilité de renouveler le contrat est important dans la démarche de contractualisation.
Même si c'était une avancée, la question de l'allocation pose des difficultés. Sous forme d'une allocation intersticielle, d'un montant maximum de 900 euros sur un an, ce qui n'est pas énorme, elle était prévue en continu. La réalité fait que, vu la demande qu'il y a eue, les jeunes, en moyenne ont touché 308 euros sur un an, donc, c'est très peu. Alors, parfois, vient s'ajouter une aide du conseil général, etc. Mais là, nous sommes un peu dans le bricolage et, évidemment, il faudrait avancer. Ce qui me permet une comparaison avec le contrat d'autonomie (je crois que nous étions interrogés là-dessus) qui est généralement géré par des opérateurs privés de placement, qui connaît des difficultés : 8 000 contrats, à peu près, ont été signés pour le moment sur 45 000 prévus. Par ailleurs, sur les OPP, je ne peux pas m'empêcher de dire que le suivi d'un jeune par les missions locales c'est environ 476 euros, les OPP disposent de dix fois plus, avec une allocation, là aussi, qui est beaucoup plus importante puisqu'elle est de 300 euros par mois pendant 6 mois. Cela crée un problème sur le terrain et, surtout, cela n'a pas permis de faire émerger un nouveau public (l'idée était de dire : il y a des jeunes que vous ne touchez pas) ; finalement, nous avons été appelés en renfort pour dire : amenez-nous des jeunes, ce qui veut dire que nous faisions assez bien notre travail.
S'agissant du FIPJ, il est largement en baisse. Il est géré au niveau des régions et dans certaines régions comme PACA, il a disparu.
Une question importante concerne le rapport entre Pôle Emploi et la co-traitance. Cela fait des années que nous avançons ; Pôle Emploi a une contractualisation de 500 euros par jeune suivi par les missions locales. C'était prévu pour 100 000 jeunes, au départ. En 2007, nous avons fait 115 % de l'objectif ; en 2008, 144 %, et là, j'insiste, en 2009, nous sommes à 200 %, mais il ne vous a pas échappé que nous ne sommes qu'au mois de mai. Donc, là, il y a quand même quelque chose dont il faut tenir compte. Mais, en même temps, cela manifeste concrètement une forme de rapprochement opérationnel efficace entre Pôle Emploi et les missions locales, et aussi le fait que des personnels de Pôle Emploi travaillent dans les missions locales. C'était un peu compliqué il y a quelques années, mais je crois que c'est aujourd'hui quelque chose de tout à fait établi.
Cela nous permet de mieux définir la spécificité des missions locales, dont nous considérons qu'elles doivent être l'opérateur spécialisé du service public de l'emploi pour l'accompagnement des jeunes. Sur l'alternance, sur l'ADI, c'est un bon outil, puisqu'il élimine la question de l'insertion : quand vous êtes en formation, vous êtes déjà inséré dans un métier, avec un contrat de travail. Il faut veiller à ce que l'alternance ne soit pas détournée pour effet d'aubaine et qu'elle ne se substitue pas à des emplois qui seraient payés moins cher. Je l'indique parce que nous l'avons vu dans la commission Hirsch, les jeunes sont quand même sensibles à cette question, mais je pense que quand elle est faite de qualité, -c'est souvent le cas- c'est un bon outil. Encore faut-il trouver les employeurs ; je le dis parce que nous savons qu'avec la crise, les chiffres sont malheureusement en baisse. Donc, l'important des missions locales, c'est cette approche globale du jeune ; et plus la personne est en difficulté (pour de multiples raisons), plus elle a besoin de cette approche globale, de cet accompagnement. Mais, en même temps, je crois, c'est notre axe de progression, il faut aller de plus en plus vers la mise à l'emploi, l'accompagnement vers l'emploi ; et nous revendiquons de plus en plus d'être prescripteur sur le CIE, sur les contrats en alternance aussi, je pense que cela progresse et c'est une excellente chose.
Je voudrais faire passer une idée qui n'est pas souvent perçue même par les élus locaux que nous croisons. Je pense qu'il y a la formation initiale, et après, c'est un peu difficile, et donc, il y a la mission locale. La réalité est plus complexe : un jeune sur deux qui est suivi et accompagné dans une mission locale est en contact avec l'emploi, dans l'année, (il travaille à un moment ou à un autre), ce n'est pas binaire. Et une grande partie de notre travail réside dans cet accompagnement. J'allais presque dire, pour faire formule : nous, nous gérons les ruptures, nous gérons la précarité. Nous ne gérons pas seulement la mise à l'emploi, parce que la mise à l'emploi pour les jeunes, c'est un aller et retour permanent, et je pense que là, nous faisons un travail important qui est parfois méconnu ou pas reconnu. Les gens imaginent que nous sommes juste dans du placement et disent : vous n'en faites pas beaucoup. La réalité que nous suivons au quotidien est plus complexe. Je voulais insister là-dessus.
Et puis un mot, je crois, qui n'a pas été prononcé jusqu'à maintenant sur la difficulté d'accès à l'emploi, il y a quand même la question de la discrimination, et beaucoup de missions locales se sont engagées dans des dispositifs. Il y a tout un débat là-dessus, nous le savons. Mais nous sommes aussi confrontés à cette réalité. Voilà les points essentiels que je voulais aborder pour le moment.
Mme Marie-Christine THERON, directrice générale des ressources humaines de SFR - J'ai la lourde tâche d'intervenir pour l'entreprise. Nous travaillons beaucoup avec quelques-uns d'entre vous autour de la table, même si ce n'est pas vous personnellement, mais avec vos associations sur le terrain. En effet, je suis entièrement d'accord avec tout ce qui vient d'être dit. Juste pour apporter le témoignage d'une entreprise qui est jeune, puisque nous n'avons que 20 ans d'existence, SFR, c'est 10 000 collaborateurs sur l'ensemble de la France. Je pense que ce qui est important, c'est de dire, que nous avons mis en place une politique de développement durable autour de l'égalité des chances et de la diversité. Pourquoi ? Parce que nous avons un produit, et je pense que c'est important de partir aussi de la vision de l'entreprise, où nous touchons un Français sur deux. Nous ne pouvons pas passer en dehors de la diversité qui représente complètement nos clients ; nous sommes obligés d'avoir des collaborateurs qui correspondent à nos clients qui sont en face de nous.
Je pense que c'est quelque chose de très important, même si cela peut paraître un aspect très financier, parce que l'ensemble des entreprises qui ont des produits qui touchent plus de la moitié des Français devraient avoir une politique qui permet d'avoir un véritable panel de la diversité française qui corresponde à leurs clients. Par ailleurs, nous avons une problématique qui est un peu spécifique par rapport au sujet abordé aujourd'hui, parce que nous sommes plutôt sur une population de 50-55 % de cadres, et 45 % de non-cadres ; donc, nous avons à la fois une problématique vis-à-vis des grandes écoles, et des universités (donc des jeunes formés), et puis des jeunes, comme nous en parlions au cours de cet après-midi, qui sont faiblement qualifiés.
Nous partons du principe, dans notre entreprise, que nous devons être partenaires en amont par rapport aux populations de nos futurs collaborateurs. C'est-à-dire que nous avons beaucoup d'actions qui interviennent au cours des collèges : nous commençons au niveau des 3 es , avec certaines actions, et notamment « Mobicube », puisque nous pensons qu'il est important que les jeunes, à partir du collège, aient un véritable contact avec les entreprises pour pouvoir justement l'appréhender au plus tôt et ne pas avoir d'autocensure par rapport au monde de l'entreprise. Par rapport à tout ce qui a été dit tout à l'heure, je pense que c'est très, très important de se dire que, plus les entreprises sont au plus près des jeunes et au plus tôt possible, et mieux les jeunes ne feront pas d'autocensure et accepteront l'idée de « qu'est-ce qu'une entreprise ? », « quelles sont les connaissances à avoir pour entrer dans le milieu du travail et dans une entreprise ? ». Il est notre rôle d'entreprise de venir leur faire de la pédagogie le plus tôt possible. Donc, nous prenons des jeunes stagiaires, nous participons dès la 3 e à des actions vis-à-vis des collèges, y compris, et bien sûr encore plus dans les quartiers défavorisés, pour pouvoir justement apporter une vision de l'entreprise au plus tôt, pour que les jeunes aient envie de continuer dans leur cursus d'éducation.
Nous participons à beaucoup d'activités que ce soit par l'intermédiaire d'associations, avec l'EPIDe, avec l'école de la seconde chance, mais aussi avec Emmaüs Défi, avec les Talents des cités qui sont récompensés tous les ans au Sénat. Je pense que le principal obstacle, c'est la non-connaissance, de la part des jeunes, du monde de l'entreprise, et que le pire, pour nous, est de recruter des jeunes qui se sentent mal et sortent de notre entreprise trois mois plus tard ou six mois plus tard parce qu'ils n'ont pas réussi à s'adapter à notre monde. Nous l'avons connu sur d'autres populations que les jeunes faiblement qualifiés ; nous l'avons connu à l'époque sur tous les collaborateurs handicapés, et nous avons réussi à passer outre, en mettant en place des actions pour mieux appréhender le monde de l'entreprise. Je pense qu'il n'y a rien de pire que de donner une chance et que, finalement, cette chance ne fonctionne pas, et que le jeune se retrouve dans une situation où il est encore dans un état psychologique pire que quand il est arrivé chez nous. C'est pour cela qu'il est absolument indispensable que nous mettions en place des réseaux avec les associations qui font tout le travail de connaissance de l'entreprise vis-à-vis de ses jeunes, et qui nous permettent de recruter, que ce soit par des contrats de professionnalisation ou en alternance, des jeunes qui soient déjà préparés à ce qu'est le monde de l'entreprise.
Tout à l'heure, nous avions des exemples très concrets : ne serait-ce que quand nous arrivons dans une entreprise, le premier jour, aller à la cantine. Ce sont des choses très basiques, mais nous avons beaucoup de jeunes, que nous voyons arriver chez nous, qui sont complètement perdus. Cela peut paraître anecdotique, mais cela ne l'est pas du tout. Cela fait partie du programme que nous devons mettre en place avec les associations pour permettre à nos futurs collaborateurs de mieux appréhender la vie au quotidien dans l'entreprise. Je pense que c'est très important.
Nous voyons que nous avons aussi beaucoup d'associations qui nous aident à trouver les viviers des meilleurs talents, parce que, en effet, les meilleurs talents ne sont pas forcément diplômés, et nous sommes entièrement d'accord pour nous engager sur ce système d'habilité pour se dire : « Est-ce que les jeunes ont les compétences ? ». C'est ce qui nous intéresse, peu importe leur diplôme. Mais est-ce qu'ils ont les compétences, l'appétence de venir travailler chez nous ? Et cela, c'est quelque chose de très important pour nous.
Après, c'est à nous de les former au sein de l'entreprise pour qu'ils puissent continuer à évoluer et à monter en grade dans leur métier, ou à passer vers d'autres métiers. A l'heure actuelle, nous participons à une mission dirigée par Henri Proglio, le président de Veolia Environnement, sur l'apprentissage. Henri Proglio a réuni les plus grosses entreprises françaises la semaine dernière. Nous n'avons pas d'université interne, mais certains des grands groupes français ont mis en place des universités internes où, justement, ils vont chercher des jeunes qui sont en rupture avec le système scolaire depuis plusieurs années, pour les aider à retrouver un système encadré et à récupérer des compétences pour les insérer dans la vie active, au sein des entreprises que nous représentons. Je pense que c'est quelque chose de très important.
Nous avons absolument besoin d'un « sas de décompression », qui permette aux jeunes de retrouver confiance, d'arrêter de s'auto-censurer par rapport au monde du travail, pour regagner en confiance et pouvoir participer à quelque chose, à une création de valeur. J'ai entendu toute la problématique du tutorat, nous avons beaucoup de tuteurs chez nous ; malheureusement, nos tuteurs, forcément, ont des activités professionnelles, cela leur prend énormément de temps, et quand ils entourent deux jeunes, c'est un maximum. Parce que, au-delà de deux jeunes, ils estiment qu'ils ne font plus leur travail au quotidien et qu'ils assurent mal leurs fonctions de tuteur. En l'occurrence, chez SFR, nous pratiquons de plus en plus l'alternance et les contrats d'apprentissage au lieu de prendre des stagiaires, parce que nous croyons vraiment au fait de former des futurs collaborateurs pendant deux ans : c'est un vrai plus pour nous. Simplement, nos tuteurs (parce que le fait de prendre quelqu'un en alternance, nous sommes obligés de mettre quelqu'un à ses côtés, sinon, finalement, le jeune est livré à lui-même), nous ne pouvons pas les démultiplier autant que nous le voudrions. Le tutorat, les formations autour du tutorat ; et, peut-être, les incitations économiques, d'ailleurs, autour du tutorat, sont extrêmement importants pour nous, entreprises.
Je représente bien sûr une grosse entreprise, les PME sont encore plus sensibles que nous à ce genre de problèmes, puisqu'ils ont moins de collaborateurs, le fait de former un jeune au quotidien représente une charge plus lourde encore pour eux que pour nous ; donc, c'est une véritable implication. J'ai tendance à dire que nous sommes plutôt sur une bonne pente, du côté de l'entreprise. En tout cas, nous sommes très conscients des difficultés, du fait que nous avons un vrai rôle à jouer vis-à-vis de l'éducation nationale, et très en amont, pour que, justement, les jeunes ne soient pas dans une seconde chance, mais aient quelque chose à faire dès la première chance, et se disent : » Les entreprises viennent vers nous et viennent nous expliquer comment cela se passe, chez eux ». Quand vous voyez les 3 es , par exemple, vers lesquels nous allons, ils sont ravis de participer à des expériences où nous leur demandons de mener un projet, où nous leur expliquons les différents métiers qui correspondent à ce projet dans l'entreprise, et eux se répartissent le travail après, entre eux. Nous sommes un certain nombre d'entreprises à participer à ce genre de dispositifs.
C'est vrai que nous avons besoin encore plus des associations qui nous permettent d'aller chercher des jeunes en difficulté, parce que c'est vraiment un relais pour nous ; c'est un relais indispensable pour les identifier, pour nous dire quels sont ceux qui ont les compétences, pour nous aider à les remettre dans un mouvement, pour qu'eux-mêmes n'arrivent pas chez nous découragés et, au bout de trois mois, se disent : « Ce n'est pas fait pour moi, j'en sors », ou que nous, entreprises, nous disions, finalement qu'ils ne sont pas capables de s'adapter à notre monde, que nous ne pouvons pas garder ces jeunes. Cela, encore une fois, je pense que c'est ce qu'il y a de pire.
M. Christian DEMUYNCK, rapporteur - Je voulais poser une question aux GEIQ. Quel est le rapport offre/demande ? Et combien avez-vous de personnes qui passent chez vous ?
M. Thierry MOUROTTE, directeur du GEIQ BTP 49 (Groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification) - Souvent, les entreprises nous disent : « Mais comment se fait-il que vous captiez des jeunes que nous, nous n'arrivons pas à capter ? ». Déjà, nous recevons tous les gens qui nous appellent pour un entretien. En général, je dirais que nous n'avons pas de problème de placement dans les entreprises qui sont adhérentes. Moi, je suis représentant d'un groupement sur le Maine-et-Loire qui regroupe 77 entreprises sur le bassin du Maine-et-Loire (sur trois villes : Angers, Saumur et Cholet). Ce qui est important, et je rejoins certains mots qui ont été dits auparavant, c'est la question de confiance. Il y a cette idée d'alternance, qui est aussi très importante, il y a aussi cette idée de formation de longue durée. Parce que l'insertion ne peut pas se faire sur une durée courte, elle se fait sur une durée longue, et il faut arrêter de faire des contrats courts. Moi, je me refuse de faire des contrats de 6 mois. Je me souviens, quand j'ai lancé mon GEIQ, en 1998, notre OPCA voulait que je fasse des contrats de 6 mois, j'ai été en conflit avec lui pendant un an et demi, parce que je voulais faire des contrats de 18 mois et au-delà (24 mois). Cela m'a mis des bâtons dans les roues au démarrage.
Je rejoins tout à fait les propos sur les contrats en alternance, c'est ce qui marche le mieux, ce qui valorise bien les personnes, aussi. Il ne faut pas faire de la formation pour faire de la formation, il faut faire de la formation en fonction de la personne qui a un besoin de formation. Souvent, nous faisons des formations à la carte ; nous ne déroulons pas un plan de formation qui est fait dans les centres de formation. C'est là que les partenaires des centres de formation sont très importants parce qu'avant d'établir le contrat, nous établissons un plan de formation en fonction de la personne, et ce n'est pas une formation type, c'est une formation pour la personne.
Je voudrais aussi apporter une solution justement sur les choix de recrutement. Dernièrement, j'avais une réunion avec des plaquistes de la Fédération française du Maine-et-Loire (du bâtiment), et il faut savoir que les Pays de la Loire sont la première région de France en termes de formation des apprentis ; néanmoins, en termes d'échec, nous sommes aux alentours de 50 %. Cela veut dire que les apprentis qui rentrent en formation, soit ne vont pas au bout de leur formation, soit au terme de leur formation, ne rentrent pas dans le métier. Et quand nous entendons qu'il faut attirer les jeunes de 14 ou 15 ans dans l'emploi, je me dis qu'il faudrait d'abord travailler sur le fond en premier, pour ceux qui à partir de 16 ans vont suivre deux ou trois ans de formation. Comment est-ce que nous pouvons mieux les préparer à la formation dans l'entreprise ? Cela part simplement du choix de l'entreprise, du choix du métier, de l'accueil de l'entreprise, du tutorat de l'entreprise. Et si cela s'est fait correctement, cela fonctionne bien. Le déficit ne vient pas simplement du jeune, il vient aussi de l'entreprise. Parce qu'il ne faut pas toujours dire que les jeunes sont tous des bons à rien, ce n'est pas vrai. Malheureusement, il y a des entreprises qui ne jouent pas toujours leur rôle, et ils ne sont pas préparés à cela.
Aujourd'hui nous sommes en plein choix des apprentis des entreprises par les entreprises. Or, les entreprises ne savent pas comment recruter des apprentis. Ce que je trouve dommage, c'est lorsqu'en classe de 4 e ou 3 e , on fait un stage d'une semaine pour savoir ce qu'est l'entreprise : ce n'est pas suffisant. Il faudrait pouvoir autoriser l'éducation nationale à sortir certains jeunes qui sont en 4 e ou 3 e , parce que nous ne sommes pas tous faits pour des Bac scientifiques ou des Bac généraux ; il y a des jeunes qui trouvent leur voie dans le monde de l'entreprise à partir de 16 ans et qui vont faire une carrière tout à fait honorable parce qu'ils vont évoluer. Moi, j'ai des chefs d'entreprise avec qui je travaille qui étaient autrefois apprentis qui sont aujourd'hui gérants de 50 ou 100 salariés dans une entreprise.
Ce que je voudrais dire par là, c'est qu'il faudrait autoriser l'éducation nationale à sortir un jeune aux vacances scolaires durant une semaine (c'est une convention qu'il faudrait établir avec l'éducation nationale) pendant les vacances de novembre, les vacances de noël, les vacances de février, les vacances de Pâques et les grandes vacances. Cela, c'est un bon test, je dirais ; un jeune apprenti qui a envie d'apprendre un métier, qui a pris un contact avec une entreprise, qui souhaite faire ce métier-là dans l'entreprise. L'entreprise, cela lui permet de montrer au jeune apprenti futur ce qu'est son métier, dans quelle entreprise il va être accueilli, comment il va être secondé, comment il va être tuteuré pendant ce stage. Et, en juin, ou pendant les vacances, il est embauché dans l'entreprise. C'est aussi une bonne sélection. Et cela évite aussi, au bout d'un an, ou de deux ans d'avoir un déficit énorme en termes d'apprentissage, de 50 à 55 % de jeunes qui ne restent pas dans le métier ou qui, pendant la formation, sont partis parce que cela ne les intéressait plus.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Merci à vous parce que c'était intéressant d'avoir cet éventail de présentation. J'ai deux questions un peu précises et une remarque générale. Je me tourne vers SFR, parce que vous avez parlé de la politique de recrutement d'apprentis chez SFR. C'est intéressant, parce que l'une des difficultés pour l'apprentissage, c'est qu'historiquement, ce sont plutôt les artisans, les petites entreprises qui recrutent, même si, parfois, c'est difficile, et c'est important que les grandes entreprises s'y mettent. Donc, je voulais savoir quels types d'apprentis vous recrutez, pour quelles formations, pour quels métiers, et après, quel est le pourcentage de ceux qui restent dans l'entreprise et de ceux qui partent.
J'ai une autre question précise. Je voulais savoir quel est le statut des jeunes qui sont aujourd'hui soit à l'EPIDe, soit dans les Écoles de la deuxième chance. Sur quel support sont ils ? Est-ce qu'il y a un cadre ? Et puis, enfin, une remarque d'ordre général, parce que nous arrivons à la fin des auditions, nous avons entendu de nombreuses expériences intéressantes, la question que je me pose, c'est : comment les choses s'essaiment ? Vous avez dit des choses sur l'estime de soi, la reprise de confiance, etc. Ce sont des choses que nous savons, quand nous sommes élu local, nous connaissons bien ces questions-là. Il y a des expériences extrêmement intéressantes. Comment arrivons-nous à modéliser ces éléments pour éviter de faire des erreurs ? Nous avons acquis de l'expérience, mais nous ne savons pas la capitaliser par rapport à la question des jeunes en difficulté.
Mme Marie-Christine THERON, directrice générale des ressources humaines de SFR - Je vais commencer par répondre. Nous avons une politique d'apprentissage qui est soit sur de l'apprentissage, soit sur du contrat de professionnalisation, en fonction...
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Cela fait combien, à peu près ?
Mme Marie-Christine THERON, directrice générale des ressources humaines de SFR - Nous sommes sur plus de 3 % de nos effectifs annuels. Notre problématique, c'est le renouvellement. Nous avons une autre problématique qui est la diversité de recrutement. Puisque traditionnellement sur la partie contrat d'apprentissage, nous sommes sur des jeunes qui sortent des grandes écoles. Notre problématique, c'est d'aller recruter vers les universités, qui sont pour nous le plus gros vivier de talents. Pour cela, nous mettons en place des objectifs, avec une association qui s'appelle Mosaïque RH, qui va effectuer des pré-recrutements pour nous. Nous avons notamment un forum de recrutement sur les apprentis au mois de juin.
Sur l'autre partie, nous collaborons avec l'EPIDe et les écoles de la deuxième chance, parce que nous travaillons sur des contrats de professionnalisation, et là, nous sommes sur d'autres types de collaborateurs. Nous considérons que nous avons un apprenti sur trois qui est engagé dans notre société, qui reste. Et nous devrions augmenter ; en tout cas, notre objectif et notre réflexion dans le cadre de la mission d'Henri Proglio, c'est de regarder comment nous pouvons améliorer le fait de conserver nos apprentis au sein de nos sociétés.
M. Dominique DUJARDIN, vice-président du Réseau E2C France, direction de l'E2C en Essonne - Les stagiaires de l'École de la deuxième chance sont stagiaires de la formation professionnelle. C'est-à-dire qu'ils relèvent du code du travail : être stagiaire de la formation professionnelle, c'est avoir un contrat de travail. Je parlais tout à l'heure de l'apprentissage des règles : il y a un travail sur les règles à travers le contrat. C'est que vous pouvez dire à un jeune qui n'est pas là ou qui arrive très en retard que sa demi-journée ne sera pas payée : c'est très pédagogique.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Et donc, c'est avec les régions que vous faites cela ?
M. Dominique DUJARDIN, vice-président du Réseau E2C France, direction de l'E2C en Essonne - Exactement. L'action de formation de l'École de la deuxième chance dans chacune des régions où elle est implantée est inscrite dans le PRFP et donc, le stagiaire a droit à ce que l'on appelle le CNASEA. C'est un abus de langage : c'est en fait l'organisme payeur, le plus souvent qui lui délivre ce salaire équivalent à une prestation en formation.
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - Chez nous, les jeunes ont un statut spécifique défini par la loi également, qui est le statut de « volontaire pour l'insertion ». C'est un statut dont je vous transmettrai l'ensemble des références réglementaires et législatives le concernant. C'est un statut en réalité très proche de celui de stagiaire de la formation professionnelle, notamment dans la rémunération, etc. Nous avons également un système d'adéquation, c'est-à-dire au prorata de la participation effective du jeune.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Et là, c'est porté par le ministère de la défense ?
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - Il se trouve que la disposition législative est dans le Code de la défense, et la rémunération, au lieu d'être sur les budgets de la formation professionnelle, est sur l'ensemble des dotations qui sont versées à l'EPIDe tous les ans, par différents ministères dans le cadre du budget global de l'EPIDe.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - C'est vous qui assurez le paiement, contrairement à l'École de la deuxième chance.
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - C'est nous qui l'assurons, et c'est nous qui assurons également la couverture sociale et médicale à laquelle donne droit ce statut. Je profite de ce que j'ai la parole pour rebondir sur ce qu'a dit SFR tout à l'heure qui m'a beaucoup intéressé, sur le fait qu'il était très important qu'au bout de 3 mois, le jeune ne se décourage pas. Nous constatons que ces jeunes que nous accueillons, cela leur arrive très souvent d'avoir, dans leur cursus scolaire, essayé de se remettre debout, parce qu'ils ont reçu « un coup de pied aux fesses », de quelqu'un de leur famille, de quelqu'un de leur entourage et ils se sont dit : « Cette fois-ci, je m'y mets ». Et ils se sont remis au travail en 6 e , en 5 e , pendant une semaine, deux semaines, un mois, ils ont écouté. Ils ont arrêté de chahuter, ils ont essayé d'écouter ; mais ils ont continué d'avoir zéro ou deux, parce qu'ils ne savent pas que 2+3 font 5 : ils ne savent pas les règles de base. Et du coup, le professeur (sauf cas très particulier) n'a pas pu voir dans la masse de la classe qu'il y avait là une petite chose qui s'était passée. Ils ont donc continué, parce que c'est la règle de notation des devoirs, d'avoir des mauvaises notes. Ils se sont alors découragés.
Dans le parcours que nous faisons, nous essayons de les faire aller de succès en succès, petit à petit, pour que, justement, ils changent de regard. Et donc, il est extrêmement important pour nous que le jeune ne se décourage pas, que le jeune, quand il arrive dans l'entreprise, ce soit effectivement durable. Le partenariat avec l'entreprise est donc très important pour que nous ne mettions le jeune dans l'entreprise que lorsque nous savons que là, cela va coller, de façon à ce qu'il n'y ait pas cet effet d'échec dans l'emploi, parce qu'à ce moment-là, c'est grave pour lui parce que c'est un échec encore plus grand que les autres. Il y a deux conditions pour cela : que ces conditions d'employabilité (dont j'ai parlé tout à l'heure) soient les bonnes et correspondent à ce dont a besoin l'entreprise, et que l'environnement de ce jeune, donc son accompagnement social, soit adapté. C'est-à-dire qu'il soit capable soit lui-même, soit que nous l'aidions à résoudre ses problèmes de logement, de mobilité et de santé. Cela, c'est très important pour qu'il puisse être stabilisé dans l'emploi. Je suis frappé, d'ailleurs, de voir que beaucoup d'entreprises avec lesquelles nous sommes partenaires elles-mêmes s'investissent pour aider le jeune à trouver son logement, parce qu'ils savent que c'est un facteur de stabilité dans l'emploi. Voilà, c'est une petite précision que je voulais apporter.
M. Dominique DUJARDIN, vice-président du Réseau E2C France, direction de l'E2C en Essonne - Si vous me permettez, c'est l'application de la règle de trois. Nous allons poursuivre dans l'allégorie arithmétique : c'est passer d'une perspective de trois minutes à trois heures, à trois jours, à trois semaines, à trois mois et, éventuellement, à trois ans. C'est véritablement cela. Il y a une progression et un apprentissage du temps, qui est essentiel dans le travail d'accompagnement.
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - Je voudrais également rebondir sur ce que vous avez dit tout à l'heure parce que j'ai un point d'interrogation, c'était la question sur : « Il ne faut pas sur-orienter les jeunes vers les métiers en tension ». Je ne sais pas très bien comment entendre cela. Evidemment, au premier degré, il ne faut pas, sous prétexte que le métier soit en tension, mettre un jeune dans quelque chose qu'il ne sait pas faire, etc. Mais, je constate dans la pratique qu'il y a en général une très grande méconnaissance de ce que représentent ces métiers en tension. Je suis très frappé de voir les retours que j'ai de jeunes filles qui travaillent maintenant (je vais prendre encore un exemple chez SFR, ou dans des entreprises similaires) dans des plates-formes de réponse par téléphone. Il y a des entreprises, dans ce secteur-là, qui savent donner une approche de ce métier extrêmement positive. Parce qu'il y a tout un aspect de contact, etc. Quand nous avons des jeunes qui aiment le contact, évidemment, ça se passe bien. A l'inverse, si nous envoyons quelqu'un qui n'aime pas le contact, c'est plus difficile.
Je prends un deuxième exemple, celui des métiers du bâtiment et des travaux publics : ces jeunes qui sont en réalité souvent très seuls, ils sont dans leur bande, dans leur quartier, mais dans leur bande, ils sont dominés, ce n'est pas eux les leaders de la bande, sinon, ils ne seraient pas chez nous. Ils sont en réalité très seuls, ils ont une pseudo-collectivité. Dans les entreprises du bâtiment, par exemple, ou dans les entreprises de travaux publics, ils découvrent ce travail en équipe. Si c'est un jeune qui aime ça, cela va fonctionner, même si, à côté de cela, c'est très dur.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Pas d'ambiguïté là-dessus. Nous en avons beaucoup parlé entre nous et ce que nous ne voudrions pas et que nous entendons trop souvent, c'est l'équation « il y a X jeunes sans formation, qui sont en recherche d'emploi, il y a X employeurs dans la restauration et le BTP qui cherchent du travail, il n'y a qu'à rapprocher les deux et le problème sera réglé ». Nous nous insurgeons contre cela, d'abord parce que nous ne voulons pas de cette espèce de déterminisme social, nous pensons de plus que cela ne fonctionnera pas. Il faut qu'un jeune soit motivé pour que cela se passe bien.
Par ailleurs, si nous arrivions, je ne sais par quel miracle, à faire se rencontrer les jeunes et les employeurs, qui cherchent à régler ce problème, nous ferions l'impasse sur une question qui reste quand même à creuser : pourquoi est-ce que c'est si difficile de travailler dans la restauration et dans le BTP ? Monsieur, vous y avez fait tout à l'heure un tout petit peu allusion, en disant : il n'y a pas que les jeunes qui ont un problème de savoir-être, il y a aussi quelques fois les entreprises, les employeurs qui, eux aussi, ne traitent pas correctement leurs apprentis ou leurs jeunes employés. Je crois que sur ces métiers en tension depuis longtemps, il ne faut pas faire l'impasse là-dessus. Nous pensons qu'il faut développer l'information de manière très précise et très pointue pour que les jeunes soient informés le plus objectivement possible de ce qu'il y a derrière ces métiers, et s'ils sont attirés vers ces métiers, tant mieux. Mais les contraindre : un, c'est impossible et deux, nous ne souhaitons pas le faire.
M. Thierry BERLIZOT, directeur général de l'Etablissement public d'insertion de la défense (EPIDe) - Je me sens extrêmement en phase avec vous parce que l'objectif est l'insertion dans l'emploi durable, et si nous voulons que ce soit durable, il faut que ce soit sur des rapports de vérité. Nous sommes exactement dans cette logique.
Mme Christelle TAVARES, déléguée générale de l'UNML - J'entends le mot « emploi durable » : les missions locales s'insurgent contre ce critère qui n'est pas adapté à notre époque. Emploi durable, je rappelle la définition : c'est un emploi soit en CDI, soit en CDD de plus de 6 mois. 43 % des jeunes accueillis et accompagnés par les missions locales sont des jeunes qui n'ont pas de qualification ou qui sont peu qualifiés. Les amener à l'emploi, c'est déjà un travail. Nous arrivons à les insérer dans le marché du travail de manière durable, effectivement, pas par l'emploi durable, mais par une succession de petits contrats, de petits CDD, qui vont petit à petit les amener à avoir les savoir-être en entreprise, à avoir une certaine expérience professionnelle qui leur permettra de compenser aussi ce manque de qualification. Les missions locales sont exclusivement évaluées sur ce critère : combien avez-vous placé de jeunes dans l'emploi durable ? Et nous n'arrêtons pas d'essayer d'expliquer que ce n'est pas un critère pour nos jeunes, l'emploi durable. Il vaut mieux, pour un de nos jeunes, qu'il fasse quatre CDD dans un an, parce qu'au bout de quatre CDD, nous arriverons peut-être à lui trouver un CDI. Le travail préliminaire à cet emploi durable doit aussi être considéré pour le jeune, pour qu'il ne se sente pas dévalorisé dans le travail qu'il a pu fournir, et dans l'acceptation de prendre un CDD, peut-être pour 15 jours ou trois semaines. Mais c'est déjà ça.
M. Thierry MOUROTTE, directeur du GEIQ BTP 49 (Groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification) - Je voudrais apporter une précision sur le choix d'un jeune quand il se présente chez nous pour faire un métier. Nous passons (je pense que tous les GEIQ pratiquent de la même façon) par des stages gérés par les Pôle Emploi qui sont les Evaluations en milieu de travail. Pour ces stages-là, quand nous recevons quelqu'un, nous essayons de le mettre en confiance, quand il vient nous voir la première fois, nous lui présentons la panoplie de ce que nous pouvons faire avec lui. Et la première des choses que nous lui présentons, c'est de dire : « Si vous voulez faire ce métier-là, en aucun cas nous irons vers un autre métier, c'est le métier que vous avez choisi, c'est le métier que vous souhaitez faire, ou que vous souhaitez découvrir ». Nous lui proposons de faire un stage de deux semaines, en général, et durant ces deux semaines-là, il n'y a pas de problème de rentabilité vis-à-vis de l'entreprise. Le stagiaire vient pour découvrir, il va participer aux tâches.
Évidemment, dans les travaux publics, on balaye, on décharge un camion, mais on va aussi participer aux tâches du métier. Si c'est un carreleur, il va peut-être poser de la plinthe, du jointoiement, etc. Donc, nous demandons à l'entreprise de le mettre en action sur le métier, pas de l'utiliser comme de la main-d'oeuvre gratuite ou pas chère.
Nous ne partons pas de ce principe-là. Mais, en revanche, nous disons au salarié : vous ne connaissez pas le métier, vous allez découvrir le métier, nous ne vous connaissons pas, nous allons vous apprendre à vous découvrir. Et lorsqu'il s'est découvert au bout de dix jours et que nous faisons le point entre le stagiaire, l'entreprise (parce que l'entreprise assiste au bilan des deux semaines, et le GEIQ), nous nous mettons tous d'accord. Est-ce que nous continuons, ou est-ce que nous ne continuons pas ? Quels étaient les problèmes ou pas de la personne ? Et c'est de là que nous allons commencer à déclencher le contrat. C'est aussi à partir de là que nous mettons la personne en confiance, tout doucement. Quand nous acceptons de prendre quelqu'un en stage, c'est que derrière, il y a un emploi dans l'entreprise, il y a une solution dans l'entreprise. Je ne fais pas faire des stages pour faire des stages. Et je répondrai un peu plus à votre question : les GEIQ, en France, ont embauché l'année dernière 4 000 personnes.
M. Jean-Patrick GILLE, représentant de l'Union nationale des missions locales (UNML) auprès des pouvoirs publics, président de la mission locale de Tours, président de l'Association régionale des missions locales de Centre et député d'Indre et Loire - Pour les publics les plus éloignés de l'emploi, je crois que nous arrivons quand même au bout de quelques années à sortir des éléments clairs et simples. Pour ces publics-là, il faut un opérateur clairement repéré et un référent avec une approche globale, ce qui ne veut pas dire de retourner dans tous les sens le jeune pour savoir pourquoi il n'a pas d'emploi : parfois, il n'y en a pas, d'emploi, en face.
Je crois que nous voyons les mérites de la contractualisation, des outils nationaux ou régionaux mais, de grâce, il ne faut pas les changer tout le temps, parce que les entreprises ne suivent pas et les jeunes non plus. Et, aussi, sur ces publics-là, des initiatives locales. Donc, en résumé, cela, vous l'avez parfaitement dit, sortir des logiques adéquationnistes : si cela marchait, cela se saurait. Moi, je peux le dire, même s'il y a une part de naïveté : une embauche, pour ces publics-là, c'est une forme de rencontre. Il faut que le jeune dépasse quelque chose, et que l'entreprise se dise : bon, ce n'est pas tout à fait ce que j'avais rêvé, mais voilà. S'inscrire dans une dynamique du territoire, c'est le cas des missions locales, c'est peut-être le cas d'autres structures, il faut qu'ils aient un conseil d'administration, où soient représentés des entreprises, des décideurs locaux.
Et puis, cela, nous l'avons compris : une mise à l'emploi la plus rapide possible. Même si cela n'est pas parfait, cela déclenche quelque chose. L'orientation, c'est cela, aussi : après une première expérience dans l'entreprise, toutes les informations prennent un autre sens et nous sommes dans une autre dynamique. C'est peut-être paradoxal, mais je dis » ne pas multiplier les mesures jeunes ». Parfois, je me dis même : est-ce qu'il faut faire des mesures particulières pour les jeunes ? En revanche, le public jeune nécessite un accompagnement spécifique, parce qu'il y a une transition, et nous avons une difficulté, dans notre pays, sur ce plan. Mais un accompagnement, cela veut dire vers et dans l'emploi. C'est le message que nous voulons faire passer : les premiers mois, il faut continuer d'accompagner dans l'emploi, pas trop lourdement, mais dans le cadre d'une relation avec l'entreprise. Je crois que c'est ce qui fait aussi le succès des écoles de la deuxième chance.
Enfin, il faut aussi donner la parole aux jeunes. Il y a forcément une représentation du travail qui est complètement différente, et je finirai sur une anecdote. Suite aux événements de 2005, je fais mon travail d'élu local, à l'époque, j'essaie de rameuter un groupe de jeunes avec plus ou moins de succès. En face d'eux, ils avaient au moins aussi nombreux l'ANPE, le CIO, la mission locale, tout le monde était là. Cela marchait plus ou moins. Et il y en a un qui a levé le doigt et qui a dit : « Mais, Monsieur Gille, vous êtes sympathique, nous voyons que vous essayez de faire des efforts », je me dis que cela part bien et, tout de suite après, il me dit : « Mais il y a quand même quelque chose de curieux, c'est qu'à chaque fois que nous parlons de notre insertion, etc., vous ne nous amenez pas des entreprises, vous nous amenez des gens qui s'occupent de la médiation ». C'est vrai, nous ne pouvons pas dire qu'ils font mal leur travail, mais c'est cela : il y a deux niveaux d'action : comment nous leur faisons mettre le premier pied dans l'entreprise et comment nous leur faisons mettre les deux pieds.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes, sénatrice du Val-d'Oise - Nous vous remercions parce que c'était vraiment tout à fait intéressant. Même si nous pensons que la tâche n'est pas simple, il est temps d'accélérer un peu la façon de prendre en charge et d'aider les jeunes à s'insérer dans leur vie d'adultes.
Audition de M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France, ambassadeur de Norvège en France
(23 juin 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci de votre présence. Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons procédé à un grand nombre d'auditions autour de l'emploi des jeunes, de leur formation et de leur orientation. La France est malheureusement le pays d'Europe où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé. Ce taux a augmenté de 35 % au cours de la dernière année. Par ailleurs, 150.000 jeunes environ sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Le moral des jeunes Français est au plus bas : c'est la première fois depuis longtemps qu'ils pensent en effet que leur avenir sera plus difficile que celui de leurs parents.
Nous avons également voulu traiter des problèmes de logement et d'autonomie financière des jeunes. C'est surtout à ce propos que nous souhaiterions vous entendre, Monsieur l'Ambassadeur. Nous sommes très intéressés par ce que nous savons de votre politique en la matière et de celle des autres pays du Nord de l'Europe.
Nous nous retrouvons tous, quelle que soit notre étiquette politique, sur l'analyse de la situation -qui est une analyse sévère- et sur un certain nombre de propositions relatives à l'autonomie financière ou à l'allocation d'autonomie mais le problème est complexe et nous n'avons pas forcément la même approche de la situation au sein de nos propres groupes politiques. Un certain nombre d'entre nous ici sont fascinés et idéalisent quelque peu ce qui se passe en Norvège. On butte par ailleurs sur la situation économique actuelle de la France. Ceux qui n'appartiennent pas à la majorité savent qu'une solution trop coûteuse sera considérée par le Gouvernement comme pure plaisanterie.
Le rapport que nous avons rendu fin mai est un rapport d'étape ; nous voulons cependant continuer à réfléchir à l'autonomie financière des jeunes et à l'allocation d'autonomie. C'est sur ce point que nous voudrions essentiellement vous entendre.
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Merci. Je suis accompagné par Mme Brynhild Sirevag, conseiller aux affaires scientifiques et à l'éducation ainsi que par M. Mathias Kristensen, stagiaire à la section politique de l'ambassade.
Quelques mots à propos du principe que l'on applique en Norvège. Tout d'abord, le principe de l'État-providence est à la base des dispositions norvégiennes en faveur des jeunes mais aussi de la population en général. Si une personne se trouve en dehors du marché du travail, l'État subvient en effet à ses besoins. Je voudrais mettre en avant deux dispositifs réservés aux jeunes destinés à leur permettre une insertion plus facile dans le monde professionnel ainsi qu'un accès plus aisé au marché immobilier. En premier lieu, la législation oblige l'État à donner accès à l'éducation, à la formation ou au travail à toute personne entre 16 à 24 ans, la scolarité obligatoire allant jusqu'à 16 ans. La Caisse de prêts étudiants joue un rôle important dans le dispositif. En second lieu, un plan d'épargne-logement permet aux jeunes de bénéficier d'une déduction d'impôt.
La Caisse nationale de prêts est une pierre angulaire de la société norvégienne qui permet à tout citoyen d'accéder aux formations supérieures, indépendamment des ressources financières des familles. Le principe de l'égalité des chances est mis en oeuvre tout en garantissant une force de travail claire et stable. Pour 2007-2008, 90 % des étudiants, soit 290 000 personnes, ont souscrit un prêt grâce à la Caisse. Le prêt moyen annuel est de 8 250 €. On peut transformer jusqu'à 40 % du prêt en bourse en cas de réussite aux examens. Les problèmes pour défaut de remboursement existent mais ne représentent que 4 % des cas, soit 35 000 dossiers sur 850 000. Le remboursement différé est facilement accordé, tandis que le dispositif de dispense d'intérêts avec transformation d'une partie du prêt en bourse est réservé à des cas très précis -prix des études, service militaire, responsabilités dans un syndicat étudiant, chômage, problèmes de santé, maternité, congé parental, etc. Le ministère de l'éducation et de la recherche prépare le budget annuel pour approbation par le Parlement ; la loi de finance 2008 a alloué 1,8 million d'euros aux bourses et prêts au travers de la Caisse de prêts pour les étudiants. Le budget total de cette institution pour 2008 est d'environ 3,3 millions d'euros.
Le plus important pour les étudiants est d'avoir accès à ces prêts et aux bourses, tout à fait indépendants de la situation de l'immobilier.
La Caisse a été fondée en 1947. Le nombre d'étudiants qui y ont eu recours était de 10 000 en 1947, de 80 000 dans les années 70 et de 290 000 en 2007-2008.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quel est le pourcentage d'une classe d'âge qui accède aux études supérieures ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - 90 %.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous parlez là des études supérieures ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - ... Des études secondaires et des études supérieures. A partir de 16 ans, s'ils suivent une scolarité loin de leur domicile, tous les étudiants peuvent recourir au prêt.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il s'agit donc d'apprentis ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - En effet.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il s'agit donc d'un système de prêt qui se transforme en bourse pour environ 40 % d'entre eux à condition, avez-vous dit, qu'ils réussissent leurs examens...
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - ...Dans les délais fixés.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'est donc incitatif. Toutefois, 60 % ont donc toujours un prêt à rembourser.
Quelques-uns ici sont réticents à propos de cette formule. En effet, les jeunes dont les parents n'ont pas besoin de recourir au prêt pour que leurs enfants poursuivent leurs études touchent leur premier salaire intégralement, alors que les jeunes moins favorisés qui ont eu besoin d'un prêt commencent à le rembourser dès leur premier salaire.
Ce système est inégalitaire et un certain nombre d'entre nous n'y sont pas favorables. C'est pourquoi nous réfléchissons à une caution universelle, sans qu'elle soit systématique.
Vous avez donc choisi une formule de prêt transformable en bourse à hauteur de 40 %, en cas de réussite dans les délais impartis. Cela répond à un certain nombre d'autres questions.
Par ailleurs, quel est le taux d'intérêt ? Quelles charges cela représente-t-il ? Quel est le délai de remboursement ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Vingt ans.
Mme Brynhild SIREVAG - Il faut avoir terminé avant 65 ans !
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - On peut commencer ses études tard...
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Peut-on modifier les échéances ? On a cru comprendre qu'une autre partie du prêt pouvait se transformer en bourse.
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Non, on peut commencer à payer plus tard.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Les étudiants qui habitent chez leurs parents peuvent-ils bénéficier d'un prêt ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Ils ne doivent pas habiter chez leurs parents pour en bénéficier.
Mme Brynhild SIREVAG - Même s'ils n'ont pas de bourse, ils ont un prêt...
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Pour en revenir à l'égalité, la société norvégienne est une société égalitaire. 90 % des étudiants prenant un prêt, la question di premier salaire n'est donc pas si importante.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Les conditions sont-elles les mêmes quelle que soit la formation ou les études ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Qui gère la Caisse de solidarité des prêts ? Est-ce un système bancaire ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il s'agit d'une banque spéciale créée uniquement à cette fin. La somme est avancée par le budget. Les remboursements sont gérés par le ministère de l'éducation et de la recherche.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - 39 % des jeunes de la classe d'âge ont une formation supérieure. Que se passe-t-il pour les autres ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - La plupart a déjà trouvé un travail.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les jeunes Norvégiens, diplômés ou non, ont-ils des difficultés à trouver un premier emploi ? Quel accompagnement a-t-il été mis en place ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il n'est pas difficile pour les jeunes de trouver un premier emploi. Le taux de chômage des jeunes de moins 24 ans est de 1,5 % et le taux de chômage en général en Norvège est de 3,2 %. Pour ce qui est de l'orientation, on laisse le choix aux étudiants.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Existe-t-il une analyse prospective en termes d'emplois ? Disposez-vous d'un système d'orientation par lequel sont obligés de passer tous les étudiants ?
Mme Brynhild SIREVAG - Rien n'est obligatoire. Il existe des conseillers d'orientation dans les écoles mais leur recours est facultatif.
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il est nécessaire pour l'État et pour la société d'avoir des ingénieurs, des spécialistes et on oeuvre pour rendre les métiers attractifs.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Existe-t-il une aide financière, comme au Danemark, pour les jeunes qui n'ont pas de qualifications ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui. Nous leur dispensons également des informations.
En cas de chômage, les jeunes peuvent obtenir une allocation s'ils n'ont pas gagné plus d'une certaine somme au cours des douze derniers mois. Ceux qui n'ont pas le droit à cette allocation peuvent obtenir des aides sociales.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Quel est le montant mensuel de l'aide sociale ?
M. Mathias KRISTENSEN - Il représente 60 % du salaire précédent.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Et si l'intéressé n'a jamais travaillé ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - On a alors le droit à une allocation. C'est une aide sociale.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela dépend peut-être des ressources familiales...
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Un de nos problèmes réside dans le fait que certains jeunes n'ont pas de qualifications. Or, vous semblez avoir des gens sans qualifications et par ailleurs un taux de chômage extrêmement faible. En Norvège, que font donc les gens sans qualifications ? Quelle est leur activité ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Ils travaillent surtout dans le secteur du bâtiment. Il y a eu une forte expansion ces dernières années... Ils travaillent également dans les services. Il existe un certain nombre d'emplois qui sont ouverts aux gens qui n'ont pas de formation -mais je pense surtout au secteur de la construction.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Et dans la restauration ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Non, pas tellement. Il y a beaucoup d'étudiants.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Cette aide sociale est-elle conditionnée à un contrat ? Le jeune doit-il rendre compte de ses démarches ? Y a-t-il une condition d'attribution ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui, on s'efforce d'établir des contrats. Il est très important de lier ce que l'on donne à des obligations.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Vous disiez, Madame, que le pourcentage de jeunes chômeurs était dérisoire chez ceux qui ont suivi des études.
Cela signifie donc que les employeurs sont ouverts à l'embauche de jeunes diplômés. En France, il est extrêmement difficile pour les jeunes diplômés, voire très diplômés, de trouver un premier emploi.
On considère en moyenne qu'ils mettent sept ans après la fin de leurs études pour stabiliser leur vie professionnelle. L'employeur a tendance à leur proposer un stage, du fait de leur manque d'expérience. Ils vont de stage en stage, puis de contrat précaire en contrat précaire, ce qui constitue un grave problème. Vous ne connaissez pas cette situation, le pourcentage étant chez vous plus bas.
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Le problème que vous évoquez est un problème qui existe aussi en Norvège mais les délais sont plus courts qu'en France. Cela provient aussi du fait que le marché de l'emploi est plus flexible en Norvège.
Les employeurs ne considèrent pas, comme en France, qu'embaucher quelqu'un constitue un risque, même s'il s'agit de jeunes.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Vous avez dit qu'une des conditions de transformation du prêt en bourse était la réussite. Qu'entendez-vous par là ? En cas d'échec, l'étudiant doit-il rembourser ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il doit rembourser mais dans un délai de vingt ans.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Le prêt est lié à l'engagement des jeunes à atteindre l'objectif. Le contrat prévoit-il des rendez-vous réguliers pour savoir si le jeune rencontre des difficultés ou s'il réussit ? Existe-t-il un suivi ? Qui s'en charge ?
Mme Brynhild SIREVAG - Il n'y a pas de rendez-vous mais il existe un contrôle continu.
La Caisse de prêts a un contact très étroit avec les institutions d'enseignement supérieur, qui envoient régulièrement des informations.
C'est un système très transparent. La Caisse reçoit aussi des renseignements des institutions sociales en cas de problèmes.
Le problème se présente pour les Norvégiens qui poursuivent des études à l'étranger ; certaines institutions ont un contact avec leurs homologues étrangers, d'autres non. Dans ce cas, les Norvégiens qui étudient à l'étranger peuvent connaître quelques difficultés.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - Vous avez dit avoir peu de jeunes sans qualification, sans toutefois pouvoir en dire le nombre. Ceci est très important. Nous, nous avons beaucoup de jeunes qui sortent du système sans qualification.
Or, il semblerait que l'on rencontre dans les pays nordiques moins de jeunes non qualifiés que chez nous : votre système éducatif serait en effet plus performant en amont.
On dit même que vous ne cultivez pas l'élitisme comme chez nous, que le système des notes n'est pas utilisé comme il peut l'être en France.
Comment expliquez-vous, vous qui êtes ambassadeur de Norvège en France, qui connaissez donc le système éducatif français et qui maîtrisez le système éducatif norvégien, cette différence entre l'importance de notre population de jeunes sans qualification et la moindre importance de la vôtre ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - C'est une question très complexe qui comporte plusieurs éléments. La Caisse nationale de prêts est une institution très importante qui permet à chaque étudiant qui le désire de recevoir une éducation supérieure dont le financement est déjà assuré.
Certes, tous les jeunes ne le désirent pas, en particulier à 16 ans mais, à 25 ans, cela peut changer. La Caisse nationale de prêts est alors là pour attribuer des bourses et des prêts.
Il existe une autre catégorie de jeunes qui a des difficultés à trouver un travail : il s'agit de ceux qui relèvent depuis longtemps de l'aide sociale. C'est peut-être la catégorie la plus défavorisée et la plus difficile à intégrer. Toutefois, ces pourcentages sont plus faibles qu'en France.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - La question revient depuis le début : les jeunes diplômés norvégiens n'ont pas de difficultés pour trouver un premier emploi quand ils ont suivi un enseignement supérieur.
Comment abordez-vous le problème de l'inadéquation entre le nombre de jeunes qui sortent d'une filière et l'offre qui existe en regard ? Comment traitez-vous le surnombre de diplômés qui existent dans certaines filières ? Les réorientez-vous ?
Mme Brynhild SIREVAG - Le problème existe en Norvège comme partout en Europe : trop peu d'étudiants choisissent les filières scientifiques mais on bénéficie d'un système assez flexible. Même si quelqu'un a une formation de psychologie, un psychologue peut faire beaucoup de choses. On est très ouvert en général.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - Un psychologue peut-il postuler à un poste qui ne relève pas vraiment de son profil et a-t-il des chances d'être recruté ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui, c'est un exemple de la flexibilité du marché du travail.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - Ce recrutement est-il accompagné par la suite d'une formation professionnelle ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques - Existe-t-il une formation continue en Norvège et comment est-elle organisée ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Les plus grands employeurs, en Norvège, sont l'État et les collectivités territoriales.
La formation continue professionnelle est organisée à l'intérieur des entreprises. Il existe aussi des entreprises très importantes dont la formation continue est organisée à l'extérieur.
C'est une autre facette de la flexibilité de l'économie norvégienne. Lorsqu'une entreprise engage un salarié, la qualification professionnelle ne dure que cinq ans. Il faut ensuite suivre l'évolution de l'entreprise, se réorienter pour être capable de continuer à y travailler. Il ne s'agit pas d'une formation pour la vie mais pour un temps.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - La réussite et le faible taux du chômage viennent plutôt de la flexibilité et non de la formation.
Pouvez-vous nous dire un mot de la fonction publique ? Qu'est-ce qui amène des résultats meilleurs que les nôtres ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - La flexibilité est une chose, la formation et le niveau d'éducation en sont une autre. Je ne puis dire qu'il y ait un élément plus important que l'autre. Il faut aussi reconnaître qu'on a eu de la chance en découvrant du gaz et du pétrole.
Je crois que la formation, la volonté de se réorienter, d'être flexible en tant qu'individu -mais aussi au sein de la société- sont des notions très importantes.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Il y a une très grande réactivité entre le monde de l'éducation, le monde de l'entreprise et la formation à des métiers qui peuvent devenir porteurs subitement, comme l'informatique. L'adaptation des structures au développement économique se fait-elle rapidement ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui, la transformation technologique du système de formation est très rapide mais il faut aussi noter que tous les jeunes ont une expérience professionnelle à partir de 14 ans. En Norvège, il est normal de travailler pendant les vacances et quelques heures durant les études. On sait ce que signifie avoir des responsabilités, se lever tôt et percevoir un salaire.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - C'est très culturel. Chez vous, les enseignants eux-mêmes ont cette expérience du monde du travail.
Le travail que l'on a conduit pendant deux mois nous confirme qu'en France, il existe deux mondes imperméables l'un à l'autre, celui des enseignants et celui de l'entreprise, d'où les difficultés à s'insérer.
On sent, en Norvège, une flexibilité tous azimuts. C'est une autre façon de vivre, une autre culture...
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Le problème que l'on rencontre depuis des années résulte de la différence qui existe entre la périphérie et le centre.
C'est un grand défi pour l'État ; les autorités locales font beaucoup pour surmonter cette situation mais cela reste un problème.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - A quels problèmes majeurs êtes-vous confrontés s'agissant des jeunes ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il n'est pas toujours facile de trouver un emploi près de chez soi mais -c'est aussi un effet de la flexibilité- les jeunes sont prêts à être mobiles pour trouver du travail loin de leur famille.
Ceci permet à la population de croître autour des grandes villes et d'être moins importante à la périphérie.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - Le travail des jeunes durant les congés scolaires doit être très encadré par le droit du travail. Existe-t-il des domaines réservés, comme les services ? Les entreprises jouent-elles le jeu ? Y a-t-il un droit du travail spécifique pour ces cas de figures ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il existe bien entendu certains domaines où les jeunes ne peuvent travailler, faute de formation ou de qualifications.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - Sont-ils liés par un contrat de travail ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il n'y en a pas, mis à part un contrat oral. On n'a pas besoin de contrat écrit.
Mme Catherine TROENDLE, sénateur du Haut-Rhin - Quelle est la grille de rémunération ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Il faut que le jeune reçoive une fiche de paye correcte, qui est transmise au fisc. Ces salaires sont réglementés mais il n'est pas obligatoire d'avoir un contrat.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Que représente la rémunération ? S'agit-il d'un salaire minimum ou en fonction de l'âge ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Le salaire est calculé en fonction de l'âge mais il n'y a pas de minimum à respecter.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Je voudrais en revenir au prêt. Il s'agit d'une somme de 85 000 € par an. Est-elle versée mensuellement ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Mensuellement, pendant dix mois. Le maximum est de 10 000 €.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela exclut-il toute autre forme d'aide financière ? Ici, nous avons des allocations logement, entre autres.
On a aussi des bourses pour les jeunes les plus défavorisés. Une des questions que nous nous posons est de savoir si une allocation d'autonomie pour les jeunes devrait ou non couvrir tous les besoins. Certains estiment qu'il faudrait conserver l'allocation logement.
Comment cela se passe-t-il chez vous ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - En principe, cela couvre tout.
M. Jean-Paul FOURNIER, sénateur du Gard - Si un jeune veut apprendre un métier, le chef d'entreprise peut-il le faire entrer en apprentissage ? A partir de quel âge est-ce possible ? Perçoit-il un salaire pour cet apprentissage ?
Mme Brynhild SIREVAG - C'est possible à partir de l'âge de 17 ans selon la nouvelle loi mais l'apprentissage peut se faire en pratique à partir de 16 ans.
Le jeune est payé. Il existe un accord entre le ministère de l'éducation et l'employeur.
M. Jean-Paul FOURNIER, sénateur du Gard - Est-ce par rapport au nombre d'années de formation ?
Mme Brynhild SIREVAG - Oui.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - En Finlande, on ne donne pas de notes à l'école avant 16 ans et il n'y a pas non plus de classement.
Est-ce le même principe en Norvège ou bien avez-vous conservé la formule traditionnelle ?
Mme Brynhild SIREVAG - Vous avez décrit là le modèle scandinave. C'est la même chose en Norvège. Il n'existe pas de système de notes, sauf durant les trois dernières années de collège. On a des notes et on passe un examen.
Tout le monde se retrouve dans les mêmes classes. Il n'y a pas d'orientation particulière.
Au fond, ce qui compte, c'est la scolarité obligatoire. C'est une préparation à la vie sociale. Il faut accepter les différences. C'est pourquoi presque tous finissent avec un diplôme au terme de leur scolarité obligatoire. Selon les nouvelles lois de 1994, ils peuvent aujourd'hui poursuivre trois à quatre ans au-delà.
Le taux de chômage des jeunes, jusqu'à présent, n'était pas très élevé ; on évite également le chômage en dirigeant les jeunes vers l'enseignement secondaire et le lycée, où l'enseignement professionnel est intégré à l'enseignement général.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - L'accès à la formation ou à la filière est lié aux résultats finaux. Existe-t-il des notations en fin de parcours ? La notation ne détermine-t-elle pas la filière ?
Mme Brynhild SIREVAG - En effet.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Quel est le statut du corps enseignant ? Comment sont-ils formés ? Il faut pouvoir s'adapter rapidement aux changements de la société. Comment fonctionnez-vous ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Les choses se passent de la même manière que pour la formation. Pour travailler dans un lycée, il faut avoir suivi des études pendant quatre à cinq ans à l'université.
Certains enseignants, surtout récemment, ont eu tendance à se tourner vers le secteur privé, où les offres d'emplois sont très nombreuses. Cependant, l'OCDE relève que les enseignants norvégiens sont parmi les plus heureux en Europe. Ils trouvent une certaine satisfaction dans leur travail et sont bien rémunérés. Ils jouissent également d'une bonne reconnaissance sociale. Toutefois, on a connu des mouvements de grève parmi les enseignants pour qui le travail ne correspondait pas aux aspirations.
Pour la maternelle, qui débute à l'âge de 3 ans, il est difficile de trouver des enseignants qualifiés. Les rémunérations sont plus faibles et tout le monde n'a pas les mêmes dispositions dans ce domaine.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - S'agissant de la formation des enseignants et compte tenu du fait que vous considérez l'enseignement comme un tout, existe-t-il, en plus de la matière à enseigner, du savoir à transmettre, une formation à la psychologie de l'enfant, à son épanouissement ?
Mme Brynhild SIREVAG - Jusqu'au terme de l'enseignement obligatoire, le système ne forme pas les enseignants à une seule matière. Ceux-ci suivent des études générales. Ils sont formés dans une école normale et doivent enseigner toutes les matières. On reçoit une formation pédagogique supplémentaire d'une année.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Trouve-t-on, dans le secondaire en particulier, d'autres adultes que les enseignants -infirmiers, conseillers pédagogiques, adultes-relais, surveillants ?
Mme Brynhild SIREVAG - Non, ce n'est pas comme en France. Des dentistes et des médecins fréquentent l'école mais ponctuellement.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Vous avez dit qu'il existait beaucoup d'offres d'emploi extérieures : les enseignants restent-ils enseignants jusqu'à la retraite ou bougent-ils beaucoup ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - La majorité reste en place mais certains trouvent plus intéressant d'utiliser leurs compétences dans d'autres domaines. D'autres reviennent aussi vers l'enseignement.
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur de la Marne - A quel âge la retraite est-elle fixée ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - On a le droit de travailler jusqu'à 70 ans mais, en fait, on peut prendre sa retraite vers 65 ans.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - En Norvège, quel est l'âge auquel les employeurs licencient les salariés ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Du fait de la forte croissance de l'économie, on essaie de conserver toutes les compétences.
Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône - Donne-t-on des informations aux jeunes sur les métiers, les branches d'activité ? Existe-t-il un service organisé pour ce faire ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - L'information est dispensée aux élèves en fin de scolarité. Il existe un système bien établi où les élèves rencontrent les entreprises et les professionnels. Il y a aussi des salons pour les étudiants.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - J'ai cru comprendre que les jeunes partaient assez facilement de chez eux, quittaient la famille. N'ont-ils pas de problèmes pour trouver un logement ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Dans les grandes villes, il y a toujours des problèmes de logement mais il existe des résidences spécialement construites pour accueillir les étudiants. Il y a aussi un marché privé.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Il est donc difficile pour les jeunes de se loger ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Oui, c'est une question de prix.
M. Mathias KRISTENSEN - C'est pourquoi les étudiants choisissent de travailler en parallèle pour financer un logement privé.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - On a compris qu'il existait dans tout cela une certaine flexibilité, y compris dans la fonction publique : on peut être enseignant, partir, revenir. Comment cela s'articule-t-il ? Doit-on faire une demande de congé sans solde ? Peut-on revenir ensuite ? Est-ce à la carte ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Pas tout à fait mais on a la possibilité de partir pendant un temps bien défini et le droit de revenir après trois ans. C'est quelque chose qu'il faut négocier.
Mme Brynhild SIREVAG - C'est un peu différent de la fonction publique française où l'on trouve des statuts très spécifiques, des concours, etc. En Norvège, il n'existe pas de système de concours mais, en principe, on est fonctionnaire à vie.
Il existe toutefois également des contrats de cinq ans renouvelables deux ou trois fois, y compris pour les directeurs généraux.
Mme Françoise LABORDE, sénatrice de la Haute-Garonne - Une question par rapport à l'immigration. On a vu que les problèmes de formation sont liés, en France, aussi bien à la lecture qu'aux difficultés linguistiques. J'ignore quels sont les langues pratiquées chez vous et les pays que vous accueillez en première ou en deuxième génération mais cela pose-t-il ou non un problème en termes d'assimilation linguistique et scolaire?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - La langue utilisée en Norvège dans les universités et les écoles est le norvégien. C'est un problème pour certains mais c'est aussi un facteur d'intégration. Il faut maîtriser la langue pour fréquenter une école ou un institut de formation. Il y a des exceptions, comme certains cours à l'université qui sont en langue anglaise, par exemple. Voilà pourquoi la Norvège n'est pas très populaire en tant que ville d'accueil pour les étudiants étrangers. Par ailleurs, la nationalité la plus importante en nombre est la nationalité pakistanaise.
Ce sont les jeunes filles qui profitent du système de scolarité norvégien plus que les jeunes garçons, peut-être parce que, dans les traditions familiales, il est plus facile pour les jeunes gens de sortir et de commencer à travailler tôt. Pour les filles, il est davantage admis de suivre certaines études.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - En France, sur une population donnée, on constate que les jeunes filles réussissent mieux.
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - C'est la même chose en Norvège.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les garçons peuvent être dehors jusqu'à 11 heures du soir ! A cette heure-là, on ne voit pas une fille dehors !
On pense aussi que, pour certaines origines, les filles ont compris que le meilleur moyen -voire le seul- d'échapper à leur statut est de suivre des études.
Y a-t-il encore des questions ?
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - La fraude est-elle très faible ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Elle est de l'ordre de 4 %.
M. Christian DEMUYNCK , rapporteur - Que se passe-t-il pour les fraudeurs ?
M. Tarald BRAUTASET, ambassadeur de Norvège en France - Leur cas est traité par les tribunaux.
M. Mathias KRISTENSEN - Les choses se font étape par étape. On ne saisit pas directement la justice.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Merci de votre participation.
Audition de Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales, à l'ambassade des Pays-Bas en France
(7 juillet 2009)
Présidence de Mme Raymonde LE TEXIER, présidente de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Nous sommes très intéressés, Madame, par les expériences que vous menez dans votre pays et plus précisément par l'allocation d'autonomie financière.
Nous voudrions donc vous entendre à ce propos ainsi que sur tout sujet qu'il vous semblerait intéressant d'évoquer devant nous.
Nous avons remis fin mai un rapport d'étape mais nous nous sommes donné encore un peu de temps pour travailler sur l'allocation financière et réagir au Livre vert de la commission présidée par Martin Hirsch.
Vous avez la parole.
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Je vous remercie pour votre invitation qui reflète l'intérêt que la France porte à ses voisins afin de résoudre les problèmes auxquels nous sommes tous confrontés.
La politique néerlandaise en faveur des jeunes couvre un large spectre en matière d'emploi, d'éducation, de formation, de culture -plus particulièrement pour les jeunes défavorisés, etc. Cette politique relève de la compétence de plusieurs ministères : affaires sociales et emploi, éducation. Une direction est spécifiquement consacrée à la jeunesse et à la famille. Le ministère de la ville s'occupe aussi des problèmes des jeunes défavorisés.
Ma présentation sera centrée sur les aspects qui sont de la responsabilité du ministère des affaires sociales et de l'emploi, en particulier pour ce qui est du marché du travail. Je conclurai mon exposé en évoquant le rôle des autres ministères, notamment concernant le plan d'action en faveur des jeunes. Les Pays-Bas bénéficient actuellement d'un marché du travail des jeunes très dynamique, avec un taux de chômage relativement bas de 7 %, inférieur de moitié à la moyenne des pays membres de l'OCDE. Environ 43 % des jeunes ont un contrat de travail temporaire mais ceci n'est pas considéré comme négatif ; aux Pays-Bas, la plupart des formes d'emploi temporaire jouent un rôle de tremplin vers l'emploi permanent et non de piège. La flexisécurité fonctionne donc relativement bien pour les jeunes aux Pays-Bas ; en général, on peut dire que le marché du travail des jeunes est porteur.
Toutefois, un groupe important se trouve marginalisé : les jeunes entre 15 et 24 ans sont déscolarisés et inactifs pour 6, 5 % d'entre eux. Dans ce groupe, 20 % sont des chômeurs de longue durée -c'est-à-dire de plus d'un an. Autre problème : le taux de décrochage scolaire est de 13 % et il est resté stable pendant les dix dernières années. Le risque de crise financière et économique pourrait faire augmenter ce nombre.
La politique de l'emploi en faveur des jeunes est axée sur une stratégie globale d'activation. Notre politique privilégie le travail et la formation par rapport à un simple versement d'aides financières. En second lieu, la politique générale de l'emploi ne se focalise pas sur des groupes cibles. Cependant, il existe des mesures exceptionnelles pour ces groupes qui ont besoin d'une attention particulière à un moment donné. Quatrième caractéristique de la politique en faveur des jeunes : il s'agit d'une politique très décentralisée, avec un rôle très important des municipalités en ce qui concerne la politique d'activation et l'attribution des prestations.
La politique de l'emploi en faveur des jeunes comporte quatre mesures différentes. Deux relèvent des mesures structurelles ; deux autres sont des mesures exceptionnelles. En ce qui concerne les mesures structurelles, la loi WIJ s'applique depuis le 1er juillet 2009. Cette loi vise à investir dans les jeunes. L'autre type de politique structurelle revêt la forme de la loi en faveur des jeunes handicapés, dite loi WAJONG.
A partir de 18 ans, il existait auparavant pour les jeunes une possibilité d'aide sociale versée par les municipalités. Ce type d'aide sociale existe encore pour les jeunes de plus de 27 ans. Le groupe cible était composé de jeunes inactifs qui ne suivaient pas de formation. Le système d'assistance sociale est basé sur des incitations financières ; chaque municipalité peut les mettre en place pour réduire le nombre de cas. L'État a également encouragé les municipalités à aller en ce sens. Si les municipalités parviennent à réduire le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale, elles peuvent en conserver le budget. Le montant de l'assistance sociale représente l'équivalent de 50 % du salaire minimum pour une personne seule, soit 654 € par mois.
Pourquoi la loi WIJ a-t-elle vu le jour ? Une évaluation a été réalisée sur les effets de l'ancien système sur les jeunes. On a constaté qu'environ 25.000 jeunes percevaient l'aide sociale mais que 52 % d'entre eux n'avaient jamais été contactés par la municipalité à propos de leur situation. Les municipalités ne faisaient donc rien pour une grande partie de ce groupe, pratiquement abandonné à son sort. Ce groupe percevait bien une aide sociale mais n'était pas encouragé à s'intégrer au marché du travail. Ce constat a été jugé préoccupant ; en effet, beaucoup de jeunes n'ont pas les qualifications nécessaires et risquaient donc de s'éloigner de plus en plus du marché du travail. En conclusion, le système d'incitation ne fonctionnait pas convenablement. Le Gouvernement a donc pris la décision de changer la logique qui régit les aides en faveur des jeunes et a décidé que la politique d'emploi en faveur des jeunes devait être axée sur le principe selon lequel ces derniers doivent soit travailler, soit suivre une formation. Les municipalités ont l'obligation d'offrir un accompagnement pour s'orienter soit vers le marché du travail, soit vers une formation ou une combinaison des deux.
L'objectif de la nouvelle loi qui résulte de cette décision est basé sur la participation durable au marché du travail, la prévention les situations par lesquelles les jeunes deviennent dépendants de l'aide sociale et un plus grand investissement dans les connaissances et les aptitudes de la jeunesse.
Si on compare les systèmes qui existaient jusqu'au 1er juillet, on s'aperçoit de plusieurs différences entre l'aide sociale et la loi WIJ. La loi sur le travail et l'aide sociale est une allocation soumise à la condition que le jeune ne se conduise pas mal. L'assistance sociale est donc un droit. Les obligations concernent l'intégration au marché du travail ; le non-respect des obligations entraîne une réduction temporaire de l'allocation.
Les nouveautés de la loi WIJ consistent dans le fait qu'elle vise à prévenir la dépendance des jeunes à l'aide sociale. Il n'y a pas d'allocation, sauf si le jeune en fait la demande et s'il participe au programme offert par la municipalité. Ce programme consiste en une offre d'emploi ou de formation qui vise à une participation durable au marché du travail. La municipalité a l'obligation d'offrir un programme et le jeune qui en a fait la demande peut considérer cela comme un droit. Les prestations sont versées à condition d'honorer convenablement l'offre d'emploi ou de formation. Si l'offre n'est pas acceptée, il n'y a pas d'allocation. Le revenu est un aspect important du problème. Si le jeune accepte le programme offert par la municipalité, il perçoit un salaire en échange d'un emploi. Si le jeune employé suit un programme en alternance et ne perçoit pas un salaire complet, le reste peut être complété en fonction de son âge.
Les jeunes entre 18 et 21 ans perçoivent une allocation familiale ; à partir de 21 ans, le revenu est égal au montant de l'aide sociale, soit 50 % du salaire minimum.
Pour se voir offrir un programme par la municipalité, il faut adresser une demande à l'UWV Werkbedrijf, une organisation qui résulte de la fusion entre ANPE et UNEDIC, comme Pôle emploi en France. C'est une fusion récente aux Pays-Bas. Il s'agit d'un guichet unique pour percevoir l'allocation et s'inscrire comme chômeur. L'UWV Werkbedrijf prend également en charge les demandes d'aide relatives à la loi WIJ et les envoie à la municipalité.
Le rôle de la municipalité est très important car celle-ci va décider du contenu du programme offert aux jeunes.
La municipalité a l'obligation de faire une offre qui correspond aux capacités et aux possibilités du jeune mais elle doit également prendre en compte les préférences du jeune. Au final, c'est la municipalité qui décide du programme offert au jeune et si le jeune ne veut pas collaborer, la municipalité ne fera pas d'offre.
S'agissant des instruments destinés à favoriser la réintégration des jeunes, la municipalité peut négocier avec les employeurs pour trouver une place d'apprentissage. L'État peut décider de réduire les charges patronales pour inciter les employeurs à embaucher un jeune. La municipalité peut offrir un accompagnement vers un emploi durable et suivre le jeune une fois qu'il a trouvé son emploi. Si certains jeunes ne parlent pas le Néerlandais, la municipalité peut aussi offrir un trajet d'intégration civique pour apprendre la langue. Il existe aussi des jeunes en difficulté du fait de dettes. La municipalité peut offrir des aides pour sortir de cette situation. Bien sûr, la collaboration avec les autres ministères et les acteurs locaux est très importante pour établir le bon programme.
Je voudrais maintenant aborder la loi sur l'aide financière relative à l'incapacité de travail des jeunes handicapés, qui fait partie des mesures structurelles.
Comme la loi WIJ, la loi WAJONG privilégie le travail et la formation par rapport au versement d'aides financières. Cette loi a également été adaptée récemment à la nouvelle version qui entrera en vigueur en septembre 2009.
L'objectif de la loi WAJONG est la protection du revenu des jeunes handicapés ; le groupe cible est celui des jeunes de 18 ans dont l'incapacité de travail d'au moins 25 % a été constatée lors de leur dix-septième anniversaire ou celui des jeunes devenus inaptes au travail pendant leurs études. L'inaptitude au travail est constatée par contrôle médical mais également si, du fait d'un handicap, le revenu du jeune est insuffisant par rapport à sa qualification. Comme pour les jeunes sans travail, la municipalité joue un rôle très important.
Le bureau du pôle emploi néerlandais a comme tâche d'établir un programme de formation ou d'accompagnement sur le marché du travail pour les jeunes handicapés, de négocier avec les entreprises en les informant des avantages financiers liés à l'embauche d'un jeune handicapé ou d'adapter le lieu de travail au handicap.
La loi WAJONG a été évaluée en 2008 et on a constaté un afflux de 16.000 cas de jeunes handicapés supplémentaires. L'objectif de la loi WAJONG est de faire travailler ceux qui le peuvent. Les efforts sont concentrés majoritairement sur le développement des capacités des jeunes handicapés. L'idée est qu'à 18 ans, les jeunes, même handicapés, peuvent encore se développer. Il faut donc offrir à ceux de ce groupe qui le peuvent une formation ou un accompagnement sur le marché pour les aider à devenir plus indépendants.
En ce qui concerne le revenu des jeunes handicapés, certaines prestations constituent un élément d'incitation financière. Le montant de la prestation versée à l'âge de 18 ans est équivalent à 75 % du salaire minimum ; il progresse jusqu'à 27 ans, quand le jeune peut percevoir 100 % du salaire minimum.
35 % des jeunes handicapés trouvent un emploi mais environ 30 % ne peuvent travailler et 70 % reçoivent un accompagnement des municipalités pour s'intégrer dans le marché du travail ou suivre une formation. On espère que 50 % de ce dernier groupe trouvera un travail et restera durablement dans le marché du travail.
Une partie du budget et des effectifs est réservée à la mise en oeuvre de projets pour des groupes qui, à un moment donné, ont besoin de plus d'attention ou de mesures spécifiques. En ce qui concerne la politique en faveur des jeunes, l'attention se porte actuellement surtout sur les jeunes défavorisés. Il s'agit souvent des jeunes qui ont des problèmes multiples. L'effort est axé sur une plus grande participation et une meilleure intégration de ces jeunes à la vie active.
Le Gouvernement tente d'éviter que les jeunes ne se marginalisent au lieu d'intervenir quand ils sont déjà dans des situations difficiles. L'objectif consiste en une plus large participation à la vie active. Ici aussi, le rôle de la municipalité est très important. L'approche est individualisée et des situations très diverses sont prises en considération.
Il existe un projet de mesures exceptionnelles dans les plus grandes villes des pays Pays-Bas -Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht- majoritairement confrontées aux jeunes qui connaissent des problèmes multiples comme le décrochement scolaire, le chômage, la drogue, l'endettement, la criminalité, le logement, etc.. Ces municipalités vont recevoir du ministère du travail, des affaires sociales et de l'emploi 1 millions d'euros. Les municipalités ont une grande liberté pour trouver les solutions adaptées aux problèmes des jeunes dans leur ville.
En général, l'objectif est de prévenir les situations difficiles en accompagnant les jeunes le plus possible. L'idée est qu'une approche locale est plus efficace pour trouver des solutions. C'est ainsi que la ville d'Utrecht a un projet qui vise à éviter que les jeunes ne se retrouvent dans des situations problématiques en les incitant à se préparer au marché du travail, aux horaires, à la discipline à travers des emplois réservés aux étudiants. Il s'agit d'un accompagnement de la municipalité pour encourager les jeunes à trouver un emploi durant le week-end. La ville de La Haye se concentre plutôt sur l'amélioration de la diffusion des informations concernant le marché du travail. La ville organise des salons destinés à permettre la rencontre des entreprises et des jeunes. L'objectif de la ville de Rotterdam est d'améliorer l'accompagnement de ces groupes de jeunes sur le marché du travail. Chaque ville a donc sa stratégie pour venir en aide aux jeunes. C'est en ce moment le projet le plus important en faveur des jeunes défavorisés.
Je voudrais terminer par un bref aperçu du plan d'action en faveur des jeunes qui a été conçu comme une solution aux problèmes temporaires résultant de la crise économique et financière.
Le plan d'action a été conçu par le ministère des affaires sociales et de l'emploi, en particulier par la secrétaire d'État chargée des affaires sociales et de l'emploi, en collaboration avec le ministre de la jeunesse et de la famille, le ministre de la ville et du logement et le secrétaire d'État à l'éducation.
Comme partout, les effets de la crise sur le chômage sont sévères. Aux Pays-Bas, on attend 700.000 chômeurs de plus d'ici un an. En ce qui concerne les jeunes, on n'a pas de chiffres exacts mais on sait que 220.000 d'entre eux vont se présenter sur le marché du travail en cette fin de l'année scolaire. Le plan d'action envisage une mesure de 250 millions d'euros d'ici à 2011 pour financer les dispositions de lutte contre le chômage des jeunes. En complément, 250 millions d'euros de plus seront attribués à l'amélioration de l'éducation dans le second cycle. Les dispositions visent à la participation du plus grand nombre possible d'acteurs -employeurs, municipalités, écoles- pour soutenir les efforts du plan d'action. On espère que celui-ci permettra d'éviter que 35.000 jeunes ne deviennent chômeurs. Les dispositions consistent à essayer de garder les jeunes le plus longtemps possible dans le système scolaire. Pour cela, un programme vise à convaincre 10.000 jeunes de revenir à l'école après les vacances.
Il existe aussi une action renforcée pour rallier la demande des employeurs à l'offre des jeunes. Ce programme vise à créer 25.000 emplois de plus. Des efforts sont également mis en oeuvre pour créer davantage de postes de stages et d'apprentissage ; l'État a signé un contrat avec 30 régions pour des mesures concrètes par branche. Ceci est tout récent ; le plan d'action a été présenté le 29 mai. Je dispose de peu de détails sur ce sujet mais je pourrais vous les faire parvenir dès que je disposerai de ce document.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Les dispositifs que vous évoquez sont récents. Vous avez dit que le taux de décrochage scolaire était de 13 % environ. A quel niveau de scolarité cela se situe-t-il ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - L'école est obligatoire jusqu'à 16 ans ; le décrochage se fait avant de passer le diplôme.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - De quel type de diplôme s'agit-il ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Il s'agit de l'enseignement secondaire professionnel.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Vous avez évoqué des mesures incitatives pour convaincre les enfants de rester à l'école. Comment cela se présente-t-il ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Cela se fait à travers des réunions à l'école, des présentations destinées à informer les jeunes sur le marché du travail.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Leur présentez-vous des filières attractives, des secteurs ou des domaines d'emploi dont ils n'avaient pas eu connaissance ? C'est un peu ce qu'on a évoqué en matière d'orientation : essayer de faire le lien entre l'école et l'orientation vers des milieux plus adaptés à leur situation...
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - 250 millions d'euros vont également à l'amélioration de la qualité de l'école afin d'essayer de mieux adapter les formations au marché du travail.C'est le cas du secteur de la santé, où les Pays-Bas connaissent un grand besoin d'infirmières, alors que peu de personnes suivent cette formation.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Attribuez-vous des bourses à ces élèves ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Non. Il existe des bourses mais elles ne sont pas spécialement faites pour attirer des étudiants vers certains secteurs.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - Quels sont les moyens juridiques des municipalités pour intervenir et quels sont leurs moyens matériels et financiers ? En France, les maires sont théoriquement informés de l'absentéisme des jeunes dans les établissements scolaires mais ils n'ont pas grand moyen pour y remédier.
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - C'est une tâche très lourde pour les municipalités, surtout dans les grandes villes. Je ne puis vous dire quelles sont les marges judiciaires des municipalités mais elles n'ont pas la possibilité d'imposer les choses. Elles peuvent simplement inciter les intéressés et verser des allocations. L'incitation pour les jeunes est financière. Si le jeune suit le programme proposé par la municipalité, on lui offre une prestation en échange.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - La municipalité a donc toutes les informations sur les formations disponibles. N'existe-t-il pas d'autres interlocuteurs publics ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Ce sont les jeunes qui font la demande d'allocation. La municipalité ne va pas chercher les jeunes chez eux.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - C'est le jeune qui entreprend la démarche ; lorsqu'il vient voir la municipalité il sait donc ce qu'il veut faire ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Non, mais ils présentent leurs dossiers.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les intervenant travaillent pour la municipalité ou bien s'agit-il d'associations ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Ce sont des personnes qui travaillent pour la municipalité.
Mme Nicole BONNEFOY, sénatrice de la Charente - Vous avez parlé de municipalités, de collectivités, de proximité, du fait que vous vous appuyez sur ce tissu, cette organisation politique des territoires, en montant des programmes avec les branches professionnelles, etc..
Je crois à cette proximité qui permet d'apporter des réponses au plus près du terrain. Pour autant, cela signifie des moyens pour ces collectivités, à l'inverse du discours que l'on a entendu ici au sujet de la suppression d'un certain degré de collectivités ou d'un certain nombre d'élus. Je crois à la mission de service public qu'exercent les élus dans leur collectivité et partage donc entièrement votre avis !
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - Vous avez évoqué les jeunes handicapés. De quels types de handicap s'agit-il ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Ce débat est en train de se dérouler. Il s'agit des jeunes handicapés physiques mais également de jeunes autistes et de jeunes hyperactifs mais il est très difficile pour les médecins de les identifier.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Existe-t-il aux Pays-Bas des structures d'aide par le travail pour les jeunes handicapés, comme les ESAT ou les CAT en France, qui leur inculquent des notions d'entretien d'espaces verts ou de fabrication de filets, par exemple, et qui commercialisent leur production ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Ce travail est-il assuré par les associations ou par les services publics ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Je pense qu'il s'agit d'organisations publiques.
Mme Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère - Existe-t-il une loi sur le taux d'emploi des personnes handicapées ? En France, les collectivités et les entreprises sont astreintes à un taux d'au moins 6 % de personnes handicapées...
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Non, il n'existe pas d'obligations mais des chartes, des codes de bonne conduite pour les entreprises.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - Existe-t-il des aides de l'État pour encourager les entreprises à recruter des personnes handicapées ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui, il existe des avantages fiscaux.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quelles aides financières peuvent percevoir les jeunes qui poursuivent des études supérieures ? Nous pensions qu'il existait des prêts étudiants qui pouvaient se transformer en allocation non remboursable en cas de réussite...
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - C'est le cas.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - En France, les jeunes peuvent avoir recours à des bourses -fort peu élevées- ou à des allocations logement. Nous réfléchissons à une allocation plus globale. Nous considérons que le prêt étudiant est en effet quelque peu injuste puisque les jeunes qui n'en ont pas besoin touchent immédiatement un plein salaire alors que les jeunes qui ont contracté un prêt doivent le rembourser dès qu'ils commencent à travailler.
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Tous les étudiants de l'enseignement supérieur ont accès à une bourse de base pendant quatre ans maximum ; pour ceux qui résident chez leurs parents, le montant est de 93 € par mois ; pour les autres, ce montant est de 259 € par mois.
Il existe également une bourse complémentaire en fonction du revenu des parents. Le montant maximal pour les étudiants hébergés chez leurs parents est de 213 €, soit environ 300 € par mois. Le montant maximum est de 233 € pour ceux qui ne demeurent pas chez leurs parents.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - Ces sommes sont-elles versées sur neuf, dix ou douze mois ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Quand j'étais étudiante, elles étaient versées sur neuf mois mais cela a pu changer.
Ce système est fondé sur le principe de la performance. Si l'étudiant arrive à terminer ses études dans les dix ans, ces bourses sont considérées comme des dons. Dans le cas contraire, il faut les rembourser, avec les intérêts.
Les étudiants qui en ont besoin peuvent aussi obtenir un prêt. Il en existe de deux types. L'un est réservé aux droits d'inscription à l'université, qui sont d'environ 1.600 € par an. Il existe un second prêt complémentaire, d'un montant maximum de 292 € par mois. Les intérêts s'élèvent actuellement à 3,50 %. Beaucoup d'étudiants travaillent pendant leurs études.
Mme Virginie KLÈS, sénateur d'Ille-et-Vilaine - Les étudiants s'engagent-ils dès le début sur la durée de leurs études ou peuvent-ils changer d'avis en cours de route ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui. On peut les interrompre pour une durée de trois ans maximum.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - S'engage-t-on pour suivre un type d'études ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - On s'engage à passer un diplôme.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On nous a dit que, contrairement à la France, les employeurs néerlandais apprécient les parcours non-linéaires et l'expérience. Le confirmez-vous ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui. L'expérience compte beaucoup aux Pays-Bas.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Avez-vous une population migrante importante ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Quelle est son origine ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Il s'agit d'une population en majorité turque mais également marocaine. On compte environ 400.000 immigrés.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les jeunes en difficulté se rencontrent-ils en particulier parmi ces populations ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Ces populations sont-elles concentrées dans les mêmes quartiers, dans les mêmes périphéries de ville ou sont-elles harmonieusement réparties ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Elles sont concentrées mais pas aussi fortement que dans les banlieues françaises. On rencontre davantage de mixité.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - On a toujours besoin d'être avec ses pairs ! A partir du moment où ma famille arrive, les autres viennent s'installer et les habitants du quartier qui ont les moyens d'aller ailleurs s'en vont alors.
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Par contre, il n'existe pas de carte scolaire.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Peut-on scolariser ses enfants où l'on veut ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Oui.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Les familles néerlandaises qui n'ont pas de problèmes n'évitent-elles pas de scolariser leurs enfants dans les écoles où il y a trop d'enfants d'immigrés ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Si, en effet.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela revient donc au même !
L'éducation fait-elle un effort particulier à l'égard de ces enfants d'immigrés ou est-ce le même enseignement pour tout le monde ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Cela dépend de la municipalité.
La ville de Rotterdam fait beaucoup pour la communauté marocaine ; beaucoup de jeunes y ont des problèmes. Le maire de Rotterdam est d'origine marocaine. Ils font beaucoup pour s'adapter à la situation.
Des années de tolérance ont laissé des générations d'enfants d'immigrés sans identité. C'est le problème majeur : ils ne savent plus à quelle communauté ils appartiennent.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela signifie-t-il que les enfants d'immigrés ont plus de difficultés à trouver un emploi, à formation équivalente ? Existe-t-il un certain racisme de la part des employeurs ?
Mme Marjoleine HENNIS, attachée au service des affaires économiques et sociales à l'ambassade des Pays-Bas en France - Je n'ai pas de statistiques mais on entend parfois parler de jeunes Marocains extrêmement qualifiés qui se plaignent de ne pas trouver d'emplois.
Il y a deux ans, on m'a posé beaucoup de questions sur la politique française en matière de CV anonyme, à propos des expériences qui ont été menées à Lyon et à Lille. Le CV anonyme reste une possibilité pour éviter ce type de discrimination.
Mme Raymonde LE TEXIER, présidente - Cela permet de franchir une première étape mais c'est à double tranchant : si on subit néanmoins une discrimination, on ne peut plus se retourner vers la HALDE.
Beaucoup de nos collègues ont voté ce texte sur le CV anonyme. Personnellement, je ne suis pas enthousiaste. Auparavant, les jeunes diplômés issus de l'immigration n'avaient jamais de réponse, jusqu'au jour où ils se domiciliaient chez un ami français de souche et changeait leur nom.
Certes, le CV anonyme a apporté un certain espoir mais l'employeur peut aussi prétexter que les jeunes issus de l'immigration n'ont pas été retenus parce qu'ils étaient moins bons que les autres.
Il semble que nous ayons quelque peu idéalisé la situation dans votre pays : on se sent moins seul ! Merci beaucoup.