2. Une transposition difficile aux nouveaux médias
Les systèmes de protection mis en place pour les médias traditionnels sont difficiles à transposer pour les nouveaux supports de diffusion qui sont en partie délinéarisés. En effet, la responsabilité éditoriale est incertaine sur Internet avec le développement des contenus générés par les utilisateurs et les sites de partage vidéo et la personnalisation des récepteurs tend à confiner ces nouveaux usages à une sphère plus personnelle que « la télévision qui trônait au milieu du salon familial » 78 ( * ) .
C'est la raison pour laquelle l'État a mis en place un régime juridique différent qui repose en grande partie sur les sanctions pénales. Il apparaît toutefois que, tant juridiquement que techniquement, le contrôle des nouveaux médias est encore insuffisant pour assurer la protection des mineurs.
a) Internet et la protection des mineurs
Un sondage IPSOS commandé à la fin de l'année 2007 par la délégation interministérielle à la famille montre l'importance de protéger les mineurs sur cet outil. La majorité des 6-17 ans ont en effet l'habitude de naviguer sur Internet. Plus l'enfant est âgé, plus il utilise Internet : ainsi, seulement 4 % des enfants de 15 à 17 ans n'utilisent jamais Internet. En outre, alors que seulement un peu plus de la moitié des parents interrogés (52 %) pense que leur enfant peut être confronté à des contenus ou propos inadaptés à son âge ou traumatisants, ils sont plus près de trois quarts à en avoir vu. Les parents sont au demeurant demandeurs d'informations : 61 % jugent primordial d'améliorer les performances des logiciels de contrôle parental, et 57 % jugent essentiel de disposer d'informations aisément accessibles et compréhensibles sur le sujet.
La loi pour la confiance dans l'économie numérique n° 2004-575 du 21 juin 2004 a posé le principe de l'irresponsabilité des fournisseurs d'accès : ils ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ni à une obligation de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Ils doivent cependant « concourir » à la lutte contre l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale et la pornographie enfantine.
Les hébergeurs n'ont quant à eux pas d'obligation générale de surveillance des contenus hébergés. Cependant, ils seront tenus pour responsables si, lorsqu'ils ont connaissance de contenus illicites, ils n'agissent pas promptement pour les retirer ou en bloquer l'accès.
Ces contenus illicites sont potentiellement nombreux puisqu'il s'agit de tous ceux qui enfreignent la loi française à un titre ou à un autre. A cet égard, l'association des fournisseurs d'accès et de services Internet (AFA), qui réunit aussi des hébergeurs, a mis en place le site www.pointdecontact.net qui permet aux utilisateurs un accès facile à un formulaire de signalement d'abus 79 ( * ) .
S'agissant de la protection des mineurs, les priorités sont la lutte contre la pédopornographie et la discrimination et le contrôle de la pornographie.
En matière de sites pédopornographiques, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, a annoncé en juin 2008 avoir trouvé un accord avec les fournisseurs d'accès à Internet afin qu'ils bloquent l'accès aux sites présents sur une liste noire que l'État établira, comme ils le font pour les sites faisant l'apologie du racisme, du terrorisme ou de la consommation de drogues. Ce dispositif existe déjà en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni. Si les discussions achoppent encore sur plusieurs points, notamment le droit de regard des représentants de la société civile sur le contenu de la liste noire, sa mise en oeuvre est annoncée pour fin 2008 . Mme Nadine Morano, secrétaire d'État à la famille, auditionnée par votre rapporteur, a aussi annoncé la mise en place de cette liste noire en France dont la base légale serait la prochaine loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure 80 ( * ) .
Votre rapporteur sera attentif à la mise en application de cette annonce qui lui semble constituer une réelle urgence.
Il rappelle que la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a créé de nouvelles incriminations pénales, de « proposition sexuelle à un mineur en utilisant un moyen de communication électronique » (article 222-22 du code pénal) 81 ( * ) , et de consultation habituelle d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images ou représentations d'un mineur lorsque celles-ci présentent un caractère pornographique, afin de lutter plus efficacement contre la pédopornographie. Sur le modèle des opérations d'infiltration prévues par la loi du 9 mars 2004 pour lutter contre la grande criminalité, la loi a en outre prévu que les officiers ou agents de police judiciaire peuvent, sans être pénalement responsables, prendre un nom d'emprunt pour participer aux échanges électroniques et entrer en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles de commettre les infractions.
S'agissant de la pornographie, les dispositions précitées de l'article 227-24 du code pénal 82 ( * ) , renforcées par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite « loi Perben II » visaient à restreindre la pornographie et interdire les propos racistes sur Internet. Toutefois, son application est extrêmement rare et les contenus pornographiques pullulent sur Internet.
L'article 32 de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs modifié par l'article 35 de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance pose par ailleurs l'obligation d'apposer une signalétique sur tous les supports de documents pornographiques en vue d'une meilleure information des parents. Il s'agit en fait d'une mesure visant à donner une force plus grande à l'article 227-34 du code pénal. Si la rédaction semble permettre d'appréhender les contenus accessibles en ligne, l'application en est délicate en raison de l'ambigüité des notions de support et d'unité de conditionnement utilisées dans l'article, mais surtout de la multiplication des sites pornographiques . Par ailleurs, le simple avertissement est bien souvent inutile sur Internet sur lequel les jeunes naviguent seuls (voir infra , les analyses sur le « disclaimer »).
Les efforts menés ici par le législateur sont utiles, mais ne rencontreront le succès que si une régulation efficace intervient pour mettre en oeuvre les règles définies et créer de nouveaux systèmes protégeant les mineurs des contenus les plus choquants.
Notons qu'une proposition de loi a été déposée le 30 novembre 2006 par M. François Vannson visant à ce que les sites prônant l'anorexie soient passibles de la correctionnelle. Votre rapporteur considère que ne peuvent être mis en parallèle des sites pornographiques à visée mercantile dont l'impact est clairement dangereux et des sites valorisant l'anorexie, qui sont souvent des blogs de personnes souffrant de cette pathologie . A cet égard, la pénalisation des sites dits « pro-ana » lui paraît constituer une hérésie et doit laisser la place à un discours éducatif sur le contenu des sites Internet et sur la question de l'alimentation.
Le traitement de signalement de sites illégaux ou inappropriés est quant à lui assuré par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), qui rassemble police et gendarmerie. Structure interministérielle agissant pour le national et l'international, elle centralise l'information en matière de cybercriminalité sous toutes ses formes. C'est là qu'aboutissent tous les signalements recueillis par les professionnels ou les associations, notamment s'agissant des contenus choquants pour les mineurs. La plate-forme de signalement ( www.internet-signalement.gouv.fr ) est gérée par l'office et vient d'être étendue à l'ensemble des infractions. De septembre 2006 à septembre 2007, 20 000 signalements ont été faits et 12,5 % d'entre eux ont donné lieu à une enquête nationale ou internationale. Selon M. Christian Aghroum, chef de l'OCLCTIC, l'office est aujourd'hui en mesure de répondre aux différents signalements et d'enquêter sur les délits les plus graves rencontrés sur Internet 83 ( * ) . Il a transmis au rapporteur les statistiques figurant dans les tableaux ci-après :
Après avoir recensé près de deux millions d'images pédophiles en circulation, la Fondation pour l'enfance appelle quant à elle de ses voeux un pôle judiciaire spécifique chargé des affaires impliquant l'usage d'Internet.
Si l'État a déjà mis en oeuvre des moyens répressifs conséquents, il ne pourra pas, dans l'état actuel du droit et de la culture numérique, empêcher la diffusion de contenus choquants sur Internet. Votre rapporteur estime urgent qu'un travail en amont soit effectué afin de :
- définir des contenus à interdire ou contrôler sur Internet, qui suppose selon lui la mise en place d'une autorité de protection des enfants pour ce média ;
- dégager des règles de bonne conduite s'agissant des jeux vidéo et de la télévision mobile personnelle ;
- et mettre en place une éducation aux médias évoquant les conditions de bonne utilisation de cet outil (voir infra , cinquième partie).
b) Le monde multimédias et la protection des mineurs
Votre rapporteur souhaite également mettre en relief les problématiques spécifiques de la télévision à la demande, de la téléphonie et des jeux vidéo .
Sur la télévision à la demande, qui est une offre relativement récente, aucune disposition de protection n'est prévue . Cependant, le plus souvent, les diffuseurs se sont engagés à respecter certaines règles, et notamment d'apposer la signalétique prévue par le CSA pour les médias audiovisuels. Toutefois des dysfonctionnements subsistent. Ainsi, votre rapporteur a-t-il constaté que des épisodes de Nip/Tuck déconseillés aux moins de 12 ans, et à ce titre qui ne peuvent normalement pas être diffusés avant 22 h ou dans certaines conditions 20 h 30, étaient diffusés toute la journée sur M6 Replay.
Sur les questions de téléphonie mobile personnelle, l'AFOM a signé en janvier 2006 une « charte d'engagement des opérateurs sur le contenu multimédia mobile » afin de rendre possible sur leurs réseaux le contrôle d'accès des plus jeunes à des contenus pouvant heurter leur sensibilité. Le Forum des droits sur Internet a publié en octobre 2006, une recommandation sur la classification des contenus multimédias mobiles, comportant quatre niveaux : tous publics, déconseillé aux moins de 12 ans, déconseillé aux moins de 16, et « réservé aux adultes ». Cette recommandation n'est pas encore mise en oeuvre. Pour l'instant, la seule solution pour les parents est de faire bloquer complètement l'accès Internet du téléphone de leur enfant lors de la souscription de l'abonnement.
S'agissant des jeux vidéo, le Forum des droits sur Internet a publié en novembre 2007 une recommandation intitulée « jeux en ligne, quelle gouvernance ». Elle s'adresse aux joueurs, aux parents et éducateurs, aux éditeurs et sociétés tierces ainsi qu'aux pouvoirs publics, prend en compte la protection des publics sensibles et des personnes fragiles et fait les préconisations suivantes, en direction des parents et des fabricants afin de protéger les mineurs:
- en matière de contrôle du temps de jeu, insérer un système intégré à l'ordinateur définissant des créneaux de jeu ;
- en matière de contenus, installer un système de contrôle parental. Les éditeurs devraient mieux informer sur le système de classification PEGI ;
- la traduction des règles des jeux dans un français simple ;
- et la création d'un site sur le jeu vidéo, à l'initiative des pouvoirs publics, mutualisant les ressources d'éditeurs et d'experts, afin d'apporter aux parents et aux éducateurs une information claire sur les conséquences et les atouts de ce loisir.
La recommandation rappelle enfin la nécessité de protection des données personnelles, notamment de leur effacement lorsque le joueur ne participe plus.
Si la protection des mineurs sur les nouveaux médias est une préoccupation, elle reste cependant un champ juridique encore largement inexploré. Or, cette question requiert une attention réelle à la hauteur des défis qu'elle pose.
Votre rapporteur insiste sur le faible intérêt de déployer des moyens importants pour protéger les mineurs sur les médias traditionnels sans intervenir sur les nouveaux médias . Ainsi, alors que l'action du CSA, pour intéressante soit-elle, est entièrement remise en cause par la navigation adolescente sur Internet, il paraît urgent de moderniser l'action de l'État afin de prendre en compte l'ensemble des usages médiatiques et de régler globalement la question de la protection de l'enfance .
* 78 Comme le note Karine Blouet, secrétaire générale de M6, dans son audition du 29 mai 2008.
* 79 Mme Dahlia Kownator, déléguée générale de l'AFA, auditionnée le 22 mai 2008 a déclaré que le site a reçu plus de 13 000 signalements en 2007, dont 6 647 ont été considérés comme potentiellement illégaux par les analystes de contenus.
* 80 Audition du 3 juillet 2008.
* 81 Cette disposition vise plus particulièrement les pédophiles qui utilisent Internet pour identifier et abuser de leurs victimes.
* 82 « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.
Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».
* 83 Audition du 22 mai 2008.