Débat

M. Christian GAUDIN

Je remercie tous les intervenants. Nous allons donc maintenant aborder la phase d'échanges.

Je voudrais demander aux représentants des domaines monodisciplinaires leurs avis sur les conditions d'une interaction entre les disciplines. Comment peut-on envisager de qualifier ou de calibrer un observatoire en termes de périmètre ? Il a été évoqué à plusieurs reprises un périmètre européen, composé d'interventions au niveau de certaines structures. Comment envisager la mise en place d'une observation pluridisciplinaire et la capacité à interagir entre ces sites ?

M. Yvon LE MAHO

Nous ne pouvons pas être excellents dans toutes les disciplines, chaque laboratoire a en effet une ligne de force principale. Un suivi des évolutions des populations n'est pas suffisant, nous devons aussi pouvoir les interpréter. A cet effet, il est nécessaire d'élaborer des modèles mathématiques, c'est pour cette raison qu'une bonne partie de mon équipe est présente à Oslo. Il nous faut donc des moyens pour nous déplacer. Nous pourrions réfléchir à ce qui a été accompli dans le cadre de Concordia et l'appliquer aux activités dans le cadre de l'Arctique. Rien ne remplace le fait de se déplacer dans d'autres laboratoires, d'abord pour apporter sa propre expertise, et ensuite pour bénéficier d'autres recherches.

Mme Sylvie BEYRIES

Je suis d'accord. Il est important de savoir ne pas perdre de temps et d'argent, et d'avoir des questions extrêmement ciblées. La pluridisciplinarité est un système dans lequel chaque discipline est l'une des articulations du système. Il faut penser en termes de réunions thématiques avec, pour chacun, des réponses sur la question posée.

M. Yvon LE MAHO

L'approche pluridisciplinaire ne doit pas consister à aller chercher une autre équipe en lui disant : « Vous avez une réponse à ma question ». Il s'agit plutôt d'élaborer ensemble les questions et les réponses. Nous ne devons pas poser, chacun de notre côté, notre propre question. Il s'agit d'obtenir un soutien financier pluridisciplinaire sur les questions posées, comme avec l'ANR. Mais celle-ci n'a pas les moyens nécessaires pour faire fonctionner un réseau comme un observatoire, ou bien nous devrons renforcer les outils existants, et les associer. Ce sont des financements à long terme et ils sont, pour l'instant, très clairement insuffisants.

M. Denis-Didier ROUSSEAU

Au niveau des missions pratiques d'observation, nous ne partons pas de zéro. Il y a déjà une structuration existante à l'INSU sous forme de réseaux d'observation. Elle est présente dans la démarche des chercheurs travaillant ensemble depuis de nombreuses années, et il existe des actions incitatives déjà programmées à cet effet. Le véritable problème est, comme le soulignait M. Le Maho, que ces actions sont limitées. Des moyens sont disponibles mais, effectivement, l'ANR n'est pas en mesure de permettre de faire perdurer financièrement le fonctionnement de tels réseaux d'observation. L'INSU a déjà une certaine pratique de ces incitations à l'observation mais ses sources de financement propres sont très limitées.

M. Edouard BARD

Il est nécessaire de faire un inventaire des forces existantes, pays par pays. Afin de mieux collaborer au niveau international, nous devons aussi faire l'inventaire des institutions qui financent ces laboratoires. Ceci permettra d'avoir une vue d'ensemble des forces en présence autour de l'Arctique, dans tous les domaines et pour tous les pays. Nous devons ensuite faire en sorte que des institutions internationales pouvant générer des réseaux de collaborations, disposent de ressources suffisantes. Et que celles-ci puissent être impliquées dans ce projet, pour ensuite répartir les ressources au niveau des institutions nationales.

Mme Sylvie BEYRIES

Il faut souligner que les financements sont extrêmement difficiles à trouver.

M. Christian GAUDIN

La complémentarité des sciences humaines dans une approche multidisciplinaire vis-à-vis des climatologues a été évoquée plus tôt.

M. Edouard BARD

Nous avons compris que le changement climatique aura un impact sur les sociétés humaines. Cet impact produira aussi des conséquences néfastes sur le climat. En particulier, le réchauffement devrait entraîner des modifications du cycle du carbone dans les océans et sur les continents, notamment les sols cultivés. Globalement, ces conséquences conduiront à augmenter encore la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre. C'est ce que l'on appelle une rétroaction positive car il s'agit d'une amplification de la perturbation initiale. Le réchauffement devrait donc empirer et cette amplification aura donc un effet négatif à l'échelle de notre planète.

M. Christian GAUDIN

A l'intention de celui ou celle qui souhaiterait poser des questions, je rappelle que c'est un échange ouvert, donc n'hésitez pas à intervenir.

M. Gérard JUGIE

Merci Monsieur le Sénateur. Je souhaiterais revenir sur un certain nombre d'arguments présentés par Edouard Bard en faveur de la coordination européenne. Vous êtes parvenu, M. le Sénateur, à réunir autour de cette table l'essentiel des partenaires qu'il faut coordonner et impliquer pour la méthodologie à mettre en oeuvre. Afin d'obtenir des moyens pour un éventuel observatoire, il me paraît judicieux de segmenter la démarche pour qu'elle soit applicable aux différentes disciplines. Il est reconnu que l'INSU a une forte expérience dans ce domaine, et dispose d'un recul beaucoup plus important que d'autres disciplines. Après les discussions que nous avons pu avoir, il semble en premier lieu nécessaire de définir précisément l'objet de l'observation. Nous devrons ensuite en définir les paramètres descriptifs pour enfin mettre à disposition d'une large communauté les observations recueillies. L'expérience de milieux confinés comme les milieux polaires a permis à ces communautés diverses de mettre au point une méthodologie. Elles l'ont ensuite appliquée à d'autres champs disciplinaires, par exemple, dans les sciences du vivant où la France occupe les premiers rôles. Je pense également que ce type de méthodologie peut être appliqué au niveau des sciences de l'homme et de la société. Au-delà du simple constat du changement climatique, il existe toute la partie concernant son impact sur l'homme à considérer, et toutes les disciplines ont leur place dans ce travail. Dans les actions à mettre en oeuvre, pour une discipline donnée, au niveau national, puis international, il semble crucial de retenir les mêmes méthodologies avant d'aller chercher les moyens nécessaires. Ceci permet de poser comme condition préalable le liant qui est essentiel pour répondre à la multidisciplinarité.

M. Robert DELMAS

Je travaille actuellement comme expert pour le ministère de la Recherche, mais j'ai précédemment été chercheur au laboratoire de glaciologie de Grenoble, et aussi dans le domaine de l'atmosphère et de la chimie atmosphérique. J'ai connu ce moment où il y eu beaucoup de développements dans le domaine des pluies acides et de la chimie de l'atmosphère, et je suis convaincu qu'il y a encore beaucoup de réseaux d'observation qui sont actifs. Il me semble de bon sens de les contacter. Dans un autre domaine, celui des plantes, de la faune et la flore et des micro-organismes, une révolution s'est réellement produite. Des pans entiers de la science classique ont été cassés. Les scientifiques Tchèques ont par exemple su conserver des informations sur les micro-organismes, grâce à des chambres froides où sont conservées des collections, provenant notamment de l'Arctique. Ce travail est effectué en Bohême du Sud. Je pense que des collègues tchèques seraient intéressés à participer aux activités d'observation qui pourraient se mettre en place dans l'Arctique.

J'avais une question sur les domaines de la faune et la flore : que va-t-on observer et quels seront les indicateurs pertinents ? Il me semble que la biodiversité est l'une des grandes questions. En ce qui concerne les poissons, nous disposons de prélèvements sur les pêches, mais le problème est loin d'être résolu pour d'autres domaines.

M. Yvon LE MAHO

Définissons déjà un certain nombre de problèmes. Partons par exemple des espèces invasives, en se basant sur les travaux de la station de Paimpont. Que cela soit dans le domaine des plantes ou des insectes, nous constatons qu'avec le changement climatique une espèce invasive apparaît à un endroit où elle ne vivait pas jusque-là. Un préalable est de mettre en évidence que ce phénomène est lié au changement climatique. Nous pouvons ensuite réétudier les conséquences du développement et de l'extension de ces espèces invasives sur les plantes ou les insectes endémiques.

Il nous est impossible, dans notre discipline, de suivre toutes les espèces. Nous procédons de la même manière qu'en archéologie préventive. Chizé suit quand même l'ensemble des populations, mais n'essaie de comprendre l'ensemble des interactions que sur un nombre limité d'espèces, les unes après les autres.

Nous avons été frappés dans la communauté par certaines attaques. Un article est paru dans L'Express sur les laboratoires d'excellence. C'est un bon point pour l'IPEV, mais il est tout de même ahurissant que nos laboratoires figurent dans la rubrique des disciplines agro-alimentaires ! L'explication est qu'il n'y a pas de département de la biodiversité au ministère de la Recherche.

M. Robert DELMAS

Il faudrait déjà évaluer ce qui est fait au niveau international par les quatre grands programmes qui travaillent sur le changement climatique, au niveau de la biodiversité, des mécanismes physiques, des cycles biogéochimiques et des sciences de l'homme et de la société. Des études poussées ont été menées depuis vingt ans dans chacun des domaines. Nous en venons désormais à donner la priorité aux recherches se situant aux interfaces entre les différentes disciplines et domaines connexes pour essayer de tout couvrir et de bien comprendre le fonctionnement du système au niveau planétaire.

Je voudrais faire une remarque sur les structurations. En effet, l'ANR finance plutôt des opérations et des structures « one shot », ainsi que le faisait dans le passé le FNS. Il est à cet égard crucial de recommander le développement du corps des physiciens, très important pour pouvoir disposer du personnel nécessaire permettant d'assurer le suivi des observations. Nous savons qu'il est demandé aux chercheurs de publier et de fournir rapidement des résultats. Mais, afin de disposer d'une possibilité d'étude sur le long terme, il semble vital de renforcer le corps de physiciens de l'observation. Il est habilité à accueillir du personnel assurant les observations.

M. Christian GAUDIN

M. Le Maho, sur le sujet des laboratoires d'excellence, je n'ai pas de réponses dans l'immédiat.

M. Yvon LE MAHO

La structuration actuelle de la recherche n'a pas évolué au niveau des disciplines. Vous verrez par exemple qu'il existe peu de laboratoires d'excellence dans le domaine de la biodiversité. Je trouve qu'il y a là une véritable carence.

Mme Joëlle ROBERT-LAMBLIN

Je voulais revenir sur les problèmes de la population du Groenland qui, à l'origine, est une population de chasseurs de mammifères marins. L'arrivée d'une population allochtone aura un impact absolument considérable. Cette nouvelle population va développer la région, notamment dans le domaine minier. Le rapport de force entre populations risque de changer. On compte actuellement 57 000 habitants au Groenland. Mais avec les divers projets de développement à venir (traitement de l'aluminium, exploration des champs pétrolifères, etc.), la population groenlandaise n'aura pas la capacité de résister à l'afflux important d'une population étrangère. Cette dernière, en venant occuper les nouveaux emplois, risque de bouleverser complètement l'équilibre existant. Il nous semble donc très important de continuer à observer la population du Groenland oriental pour récolter des indicateurs bien différenciés. Il faudrait dépasser le cadre de l'ANR pour assurer un suivi, avec un poste sur place qui donnerait la possibilité d'échanger des données avec les autres collègues de la communauté scientifique.

M. Jean-Claude DUPLESSY

Observer, c'est bien, comprendre, c'est mieux. Derrière ce raisonnement se fonde le constat que l'observation est toujours un effort considérable. Ceci implique, cependant, que soit menée au préalable une réflexion très approfondie pour définir ce qui doit être observé, les différents indicateurs, et l'ampleur des paramètres. Nous devons effectuer un travail de réflexion construite avant de passer à un programme pluri-multidisciplinaire. Celui-ci serait extrêmement bénéfique. C'est-à-dire qu'il va falloir dès maintenant préparer le dialogue entre des communautés qui n'ont pas l'habitude de discuter ensemble.

Lancer un programme d'observation impliquera une hausse du budget. Si l'on souhaite que cet argent soit utilisé au mieux, il est important de créer des bases de données fiables et impartiales. Tous doivent pouvoir y accéder. Ceci implique également de prévoir du personnel sur place pour interpréter les données en relation avec le reste des programmes scientifiques, afin de valoriser les résultats. Ce qui implique de passer par des organismes de recherche dans toute la France. Avec un mot d'ordre : préparer une réflexion pluridisciplinaire de manière à avoir le soutien de toute la communauté française. Celle-ci doit pouvoir travailler aux collaborations éventuelles avec d'autres pays, de façon à valoriser au mieux les quelques euros injectés dans cette entreprise.

M. Yvon LE MAHO

Un point que nous n'avons pas abordé est la coïncidence entre cette démarche scientifique et l'évolution dans la société, y compris dans les entreprises. Total a financé des études lorsque se sont produites des marées noires. Le même groupe nous a récemment demandé de faire un état zéro des populations animales d'oiseaux marins dans la mer de Barents. Ceci a été effectué en collaboration avec des Norvégiens et des Russes. Je voulais souligner qu'à l'époque soviétique, ceci aurait été impossible. Nous rencontrons quand même quelques difficultés, mais le point est que nous menons actuellement une collaboration avec les Russes dans l'Arctique.

M. Yves FRENOT

Je suis d'accord sur le fait qu'il est nécessaire de mener une réflexion sérieuse sur les raisons d'être d'une observation. Ceci posé, l'un des grands principes de l'observation est l'accumulation de données à long terme, dans tous les domaines. Il faut mettre à disposition, stocker et sauvegarder ce patrimoine constitué par ces données de manière à pouvoir les utiliser à tout moment. Et ceci porte également sur des questions qui n'avaient pas été prévues à l'origine. Nous pourrions citer de nombreux exemples de cette absolue nécessité. En particulier, sur les bases de données des populations dans l'hémisphère sud, où des données sur le suivi des populations ont été récoltées à l'époque. Aujourd'hui, nous sommes fort contents de les avoir pour pouvoir relier certaines évolutions des populations avec celles des ressources trophiques de la mer. Nous devons donc garder aussi une part d'imagination et de liberté dans l'acquisition des données à long terme. Nous sommes vraiment ici dans de la recherche fondamentale, qui ne comporte pas forcément d'applications directes. Mais il peut s'avérer très utile d'accumuler un vaste champ de données. Plusieurs intervenants ont montré que l'on ne pouvait pas toujours tout suivre et tout enregistrer : nous devons en effet choisir les bons paramètres. J'insisterai également sur un aspect qui a été souligné. Je veux parler du suivi des changements climatiques et de leur compréhension, de l'impact du changement climatique sur la biodiversité, sur les écosystèmes et sur les populations. Ces deux volets me semblent bien évidemment étroitement liés. Nous avons besoin de données pour savoir ce qui se passe au niveau des écosystèmes et des populations elles-mêmes. S'il y a en effet des rétroactions, les protocoles de mesure seront en conséquence différents. Nous verrons probablement deux communautés scientifiques qui travailleront en connivence, mais pas forcément avec les mêmes outils.

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