L'enjeu de la multidisciplinarité pour comprendre le changement climatique
M. Edouard BARD - Professeur au Collège de France
Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, chers collègues. Mon rôle est de vous parler du rôle de la multidisciplinarité dans notre compréhension du réchauffement climatique. Nous allons insister sur des notions qui peuvent paraître connues, mais sur lesquelles il est important de revenir. Quand on parle du changement climatique, nous parlons de modifications d'un système particulièrement complexe. Celles-ci ne se limitent pas à l'atmosphère mais à un ensemble de compartiments. Ceux-ci sont liés les uns aux autres par des échanges de matière, essentiellement de l'eau, et d'énergie, en particulier sous forme de chaleur. Par exemple, l'atmosphère est connectée aux océans et à la biosphère, incluant la végétation sur les continents. Le système climatique est perturbé de l'extérieur par des phénomènes d'origine soit naturelle soit anthropique.
Nous sommes donc en présence d'un système véritablement complexe, qu'il faut appréhender globalement pour bien comprendre l'impact du changement climatique. Il me semble important de souligner ces points importants qui justifient pleinement l'approche pluridisciplinaire.
Une des conséquences de cette complexité réside dans les interactions entre ces différentes enveloppes ou compartiments, qui ont des constantes de temps très différentes. Une façon de l'illustrer est de considérer la conséquence des émissions de gaz carbonique anthropique. A l'aide de modèles mathématiques, nous pouvons par exemple simuler un arrêt ou une diminution de l'injection de carbone fossile dans l'atmosphère par l'industrie humaine. La conséquence est bien évidemment la stabilisation de l'effet de serre, à l'échéance d'un siècle ou de quelques siècles. Mais la modélisation montre aussi que l'augmentation de la température mondiale perdure pendant plusieurs siècles. Cette inertie du climat peut avoir des conséquences sur le niveau de la mer, au travers de la dilatation des océans et de la fonte du Groenland, de l'Antarctique et des glaciers continentaux. Autant de phénomènes lents qui vont durer encore de nombreux siècles. Nous devons faire avec des constantes de temps qui sont très variables, et qui rendent le système global difficile à prévoir.
Il est important de souligner l'inquiétude des scientifiques en ce qui concerne la zone arctique. En effet, les études montrent, à la fois grâce aux observations récentes et aux simulations par ordinateur, que c'est bien l'Arctique qui va être le plus affecté - avec un réchauffement qui sera du double, voire du triple par rapport au reste du monde.
Pourquoi la zone arctique est-elle plus affectée que le reste du monde ? Ce problème est lié à des rétroactions positives, c'est-à-dire, en langage commun : des cercles « vicieux » amplifiant le réchauffement initial. Le recul de la glace de mer, qui agit comme un miroir géant, entraîne, lorsqu'elle recule, une diminution de la réflexion des rayons du soleil. Ce recul augmente en retour l'absorption du rayonnement solaire par les océans, ce qui contribue à amplifier le réchauffement. Nous pouvons mettre en évidence cette amplification en étudiant le réchauffement des dernières décennies. Mais elle agit aussi sur des échelles de temps étalées sur des dizaines, voire des centaines de milliers d'années.
Par ce rappel de quelques faits importants, je voulais illustrer la complexité de notre système climatique. Cette illustration montre aussi qu'un scientifique, seul et unique, ne peut pas appréhender et comprendre la complexité de la « machine » climatique. C'est ce qui montre l'absolue nécessité d'une multidisciplinarité et d'une étroite collaboration entre les spécialistes des différents champs disciplinaires. Celles-ci sont vitales pour comprendre et prévoir le changement climatique, en particulier dans une zone arctique qui malheureusement sera touchée de plein fouet par le réchauffement mondial.
Un Observatoire de l'Arctique pourrait donc être très utile, notamment si l'on y favorise la collaboration entre les disciplines connexes, qui parfois n'interagissent pas assez entre elles. Pour mieux comprendre les interactions des compartiments du système climatique, il faut favoriser les interactions entre les scientifiques impliqués : les dynamiciens et chimistes de l'atmosphère, les océanographes et les biologistes marins, les glaciologues et les paléoclimatologues... Les spécialistes du cycle du carbone et du cycle de l'eau devront aussi contribuer à notre compréhension du système terrestre dans sa globalité. Encore une fois, nous avons tout à gagner en continuant ce type de recherche pour comprendre les interactions entre les différentes composantes du système climatique. Une collaboration est donc absolument fondamentale entre ces différents secteurs de recherche.
J'aimerais conclure sur ce point : nous avons pu nous mettre d'accord sur l'organisation d'un colloque sur ces sujets importants, notamment le devenir de la zone arctique. Il se tiendra l'année prochaine et sera composé de deux journées, l'une au Sénat et l'autre au Collège de France. Nous y aborderons les aspects scientifiques et politiques du problème. Je vous remercie de votre attention.