Audition de M. Martin HIRSCH, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté - (28 mai 2008)
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous accueillons M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, que nous remercions d'avoir accepté d'intervenir dans le cadre de cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
Je crois savoir que le Grenelle de l'insertion a rendu ses conclusions. Je n'ai pas eu encore l'occasion d'en prendre connaissance. Je souhaiterais que vous nous les exposiez et que nous discutions ensemble des complémentarités possibles entre le travail de notre mission et celui que vous avez fourni à l'occasion de ce Grenelle de l'insertion.
M. Martin HIRSCH - Merci Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, de m'auditionner à un moment où vous avez déjà accumulé beaucoup de données, d'informations et de points de vue sur ce qui concerne l'insertion. Mon intervention, ici, intervient au lendemain d'une étape que nous considérons comme majeure.
En préambule, je souhaiterais vous présenter la démarche que nous nous efforçons de poursuivre et qui repose sur trois actions principales.
En premier lieu, il s'agit de poursuivre des objectifs en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Car, comme je l'ai indiqué depuis longtemps, en leur absence, nous ne pouvons disposer d'indicateurs et d'éléments techniques et politiques permettant de mesurer si des progrès ont été effectués dans les politiques menées, et il n'est possible que d'observer a posteriori des résultats parfois bons, mais le plus souvent mauvais. En ce sens, notre démarche vise un but politique et à construire un ensemble d'indicateurs faisant consensus auprès des différents acteurs avec lesquels nous avons dialogué durant six mois : les associations, les partenaires sociaux, l'Observatoire de la pauvreté et le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale présidé par M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission. Ces indicateurs nous permettront de vérifier si nous avons atteint nos ambitions ou de savoir ce qui nous en sépare.
Avoir des objectifs et des indicateurs est absolument fondamental, car ceux-ci, qu'ils soient de nature budgétaire ou autre, ne peuvent être tenus et suivis que parce qu'ils existent. Il n'y en avait pas, jusqu'à présent, dans le domaine de la pauvreté et de l'exclusion. C'est pourquoi nous nous efforçons de donner les moyens aux institutions qui assurent un rôle de surveillance ou de contre-pouvoir d'avoir des données objectives sur lesquelles elles peuvent s'appuyer. C'est sur la base des critères que nous avons retenus comme étant possible d'effectuer une analyse critique des progrès effectués en matière de lutte contre la pauvreté et d'en débattre de manière démocratique.
Avec nos partenaires, nous avons ainsi déterminé une grille d'une douzaine d'indicateurs généraux recouvrant l'ensemble des champs à analyser et faisant malheureusement apparaître parfois des résultats négatifs dans la lutte contre la pauvreté. Ainsi, nous avons constaté une augmentation du nombre des travailleurs pauvres (de plus de 20 % entre 2003 et 2005) et surendettés. La corrélation entre les données officielles de l'Insee et les perceptions des différents acteurs sur le terrain sur la situation de la pauvreté en France nous placent ainsi devant des réalités incontournables.
Cette démarche consistant à construire des indicateurs et à se fixer des objectifs sera reprise dans les secteurs de la santé et du logement, qui nécessitent la mise en place d'instruments de mesure complémentaires à ceux dont nous disposons déjà. Dans le cadre de mes fonctions de président d'Emmaüs, j'avais constaté que le seul indicateur dans le domaine du logement était le rapport de la Fondation Abbé Pierre. Or, je considère comme étant anormal qu'il n'existe pas de baromètre officiel, public et partagé en la matière. Les pouvoirs publics tardent trop souvent à élaborer de tels instruments pourtant indispensables.
De même, je déplore vivement l'absence d'indicateur satisfaisant sur la situation des personnes sans domicile fixe. Les seules données dont nous disposons sur elles datent de plus de 5 ans. Et alors que nous souhaiterions traiter le problème que leur présence pose dans toute sa complexité, en tenant compte de la pluralité des réalités qu'il recouvre, l'absence de données suffisamment précises sur elles nous condamne à ne pas avoir accès à des leviers d'action efficaces. Le mal logement touche des populations de manière très différenciée, nécessitant, pour les unes, la mise en place d'un accompagnement social, pour les autres, l'octroi d'un logement ou d'une place d'hébergement dans une structure d'urgence, voire d'une carte de séjour. Si nous ne savons pas à quelle problématique précise nous faisons face, nous serons incapables de solliciter les leviers de l'action publique utiles.
Le premier axe qui guide notre démarche consiste donc à déterminer des objectifs et des indicateurs, non pas pour des considérations d'ordre technocratique, mais, au contraire, afin de pouvoir mener des politiques réellement efficaces.
Le deuxième axe que nous suivons recouvre un double objectif : réformer les minima sociaux et mettre le système de protection sociale en cohérence avec la réalité du monde du travail. Il nous semble, à ce titre, que le revenu de solidarité active ouvre sur des perspectives d'une ampleur majeure. Ce dispositif constitue une réponse à une partie fondamentale de nos difficultés actuelles. En effet, nous ne pourrons pas lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres si le travail gratuit continue à exister dans notre pays. Or la lutte contre celui-ci impose de revoir les mécanismes d'aides au logement, de couverture maladie universelle et d'autres aides connexes. Notre pays, à l'aune des réalités sociales actuelles, sensiblement différentes de celles que nous avons connu il y a vingt ou quarante ans, doit impérativement réformer l'ensemble de son système de prestations sociales, notamment parce que tous les Français ne se trouvent pas sur un même pied d'égalité devant lui. La fixation du niveau des prestations à l'échelle nationale ne garantit pas, en effet, du fait de l'existence de systèmes de tarification variables ou de gratuité locaux, qu'elles bénéficieront au final à tous de manière égale. Cette inégalité territoriale se double d'ailleurs d'une absence de moyens d'actions efficaces pour la corriger. C'est pourquoi les réformes que nous inaugurons avec le RSA sont réellement impératives et nous engagent pour plusieurs années.
Enfin, le troisième axe dans lequel doit s'inscrire notre action porte sur la manière dont nous devons revoir les outils utiles pour l'insertion. En tant que parlementaires, vous avez déjà effectué un travail important sur le sujet via les contrats aidés et la formation professionnelle.
Je considère que les outils dont nous disposons pour insérer les gens ne sont plus adaptés aux besoins réels. Durant les six derniers mois, nous avons fait en sorte que les politiques en matière d'insertion soient partagées par l'ensemble des acteurs concernés. Jusqu'à aujourd'hui, il existait une dualité entre les politiques relatives à l'insertion et considérées comme étant l'apanage de certaines administrations sociales de l'Etat, des conseils généraux et de certaines associations, et d'autres politiques sociales traitées par d'autres ministères, d'autres partenaires sociaux, et avec d'autres moyens de financement. Nous avons, pour notre part, décidé de réaliser la connexion entre ces deux dimensions distinctes. Le résultat a été positif, puisque nous sommes parvenus hier à l'élaboration d'une feuille de route sur laquelle nous avons obtenu l'accord des grandes centrales syndicales, de l'ensemble des organisations patronales, des trois grandes associations de collectivités territoriales (AMF, ADF et ARF), de l'ensemble du gouvernement, du collège des associations (représentant de grandes fédérations associatives), ainsi que des acteurs spécialisés dans l'insertion.
Tous partagent ainsi aujourd'hui une même feuille de route qui se décline en 13 principes, 12 chantiers et 31 propositions. Cette convergence des différents acteurs pourra permettre des évolutions majeures comme, par exemple, l'abandon d'une politique par statuts au profit d'une politique par besoins. Il n'existe, en effet, pas d'argument recevable justifiant qu'à niveau de formation et de revenu égal, et avec une motivation semblable, une personne ayant besoin d'un accompagnement professionnel puisse en bénéficier en tant que chômeur indemnisé et ne le puisse pas en qualité de titulaire de l'allocation spécifique de solidarité ou de parent isolé, et de érémiste.
Nous ne raisonnerons donc plus par statuts, mais par besoins et situations. La mise en place du RSA est cohérente par rapport à cette évolution dans la mesure où elle coïncidera justement avec l'abolition de certains statuts. A ce sujet, je réfute l'idée selon laquelle ce nouveau dispositif s'accompagnerait d'une forme de déclassement. Nous cherchons, au contraire, avec le RSA, à lutter contre la relégation d'un certain nombre de personnes exclues souvent de fait et de droit. Il est aisé de prévoir, par exemple, ce que penserait une entreprise d'un candidat érémiste non inscrit à l'ANPE et considéré par les pouvoirs publics comme n'étant pas en mesure de travailler. Les personnes qui répondent à ce profil doivent faire face à de nombreux obstacles dans leur recherche de travail.
Dans la même logique, nous considérons que les nouveaux opérateurs en charge de l'insertion et le service public de l'emploi devraient avoir une vocation universelle. Les conventions passées entre eux et les collectivités devront donc inclure la prise en charge des publics précités.
A un autre niveau, nous considérons que ce ne sont pas les personnes en difficulté qui doivent assumer les conséquences de la complexité de nos systèmes administratifs et institutionnels. Nous n'avons pas, sur le sujet, une vision naïve et irréaliste. Au contraire, si notre ambition est de lutter contre cette complexité administrative, nous savons bien qu'elle subsistera pour une part et nous nous efforcerons d'en faire supporter les conséquences aux acteurs institutionnels responsables. A titre d'exemple, nous sommes favorables à la création d'un référent unique pour l'ensemble des correspondants, chargé à la place de la personne en difficulté de coordonner les différents dispositifs à la charge de ce référent.
De même, nous souhaitons simplifier les dispositifs de contrats aidés, avec la création d'un contrat unique d'insertion, ouvert à l'ensemble des publics et modulable en fonction des besoins spécifiques du couple employeur-employé. Ce contrat unique permettrait, avec le soutien des conseils généraux et de l'Etat, une transition plus aisée vers un contrat de travail classique. Les engagements pris à cette occasion sont majeurs. L'Etat s'engage ainsi à être exemplaire, les employeurs privés à mobiliser des contrats de professionnalisation et les acteurs évoluant dans le domaine de l'insertion à accepter que leurs financements soient basés majoritairement sur une aide au poste. Un tel système permettra ainsi de rompre avec le contingentement administratif de l'emploi actuel.
De manière concertée, nous avons décidé de passer d'une logique administrative à une logique contractuelle. Les différents échelons des collectivités territoriales, l'Etat et les partenaires sociaux ne devront plus agir de manière dispersée, mais intervenir, au contraire, de manière coordonnée dans ce qui relève de l'insertion. Cette contractualisation devra porter tant sur les objectifs que sur les moyens, la stratégie ou l'évaluation. Nous déterminerons par la suite si tous les contrats doivent être mis en oeuvre en même temps ou si, au contraire, être déployés seulement dans un certain nombre de territoires tests. Les changements, ici en germes, sont en tous cas extrêmement profonds.
Tels sont les trois piliers qui fondent notre action. Comme le rapport du Grenelle de l'insertion l'évoque longuement dans son introduction, je crois que nous assistons enfin, aujourd'hui, à la convergence des différents acteurs autour d'une stratégie en matière de politique d'insertion qui permettra de configurer les dispositifs et les outils nécessaires pour agir et de vérifier la mise en oeuvre de la politique conduite de manière continue.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Hirsch. Avant de passer la parole à M. Bernard Seillier, rapporteur, je souhaiterais connaître la nature des mesures que vous envisagez de prendre pour améliorer l'insertion des jeunes en difficulté. Avez-vous effectué une estimation chiffrée du coût des propositions émises dans le cadre du Grenelle de l'insertion et quelle en est la part que l'Etat prendra à sa charge.
M. Martin HIRSCH - Concernant l'insertion des jeunes, nous envisageons de prendre plusieurs mesures.
En premier lieu, j'aborderai le problème des jeunes, au nombre de 140 000 à 150 000, qui sortent du système éducatif sans qualification et dont personne ne semble se considérer responsable. Nous proposons, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, d'identifier, dans chaque bassin d'emploi, en liaison avec l'Education nationale et les conseils régionaux, un acteur responsable de la prise en charge des jeunes de 16 à 25 ans sortant sans qualification du système scolaire ou sans emploi. Nous devons agir envers ces jeunes de manière radicalement différente par rapport au passé, afin de n'en laisser aucun livré à lui-même à la sortie du système scolaire. Ce même principe de responsabilité a été à l'origine de la création du RMI.
Il est donc capital de déterminer à qui cette responsabilité (l'Education nationale, la mission locale ou un autre acteur) revient de faire le lien avec les jeunes en échecs scolaires.
Concernant les personnes rentrées dans des dispositifs d'apprentissage mais qui ont subi une rupture précoce de leur contrat, si l'apprentissage est souvent considéré, à juste titre, comme une solution pertinente permettant à la fois de fournir une formation qualifiante et une expérience professionnelle, très peu d'études ont été menées sur la manière de prévenir son abandon par les jeunes. Une action est menée actuellement sur le sujet, à Tulle, en lien avec la mission locale.
Enfin, nous proposons de continuer à développer les écoles de deuxième chance, lesquelles ont montré leur efficacité. Nous souhaitons à terme en ouvrir largement sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, nous avons inauguré une démarche inédite en évaluant l'ensemble des dépenses des politiques actuelles en matière d'insertion. Dans ce domaine, la sanctuarisation des crédits est souvent réclamée, mais difficile à obtenir lorsque leur montant reste inconnu. Nos analyses ont abouti à un montant total de 18,724 milliards d'euros, auquel sera rajouté la somme de 1,5 milliard d'euros prévue pour la mise en oeuvre du RSA. Certains des crédits sont affectés aux allocations, d'autres aux différents opérateurs ou dispositifs de contrats aidés. Nous souhaitons, dans l'optique d'aboutir à une efficacité maximale de nos politiques, optimiser l'affectation de ces crédits. Comme l'a indiqué hier le Premier ministre, les différents arbitrages budgétaires s'effectueront au regard des différents besoins.
Dans ce contexte, nous sommes amenés à mobiliser plusieurs leviers d'actions. Nous souhaitons notamment que l'Etat s'engage financièrement dans les contrats de professionnalisation ouverts à des publics en insertion, dans la mesure où leur efficacité est unanimement reconnue et où ils réuniront les entreprises, les acteurs dans le domaine de l'insertion et les élus. Ces contrats, financés également par les OPCA, pourront même être améliorés pour devenir des contrats de « professionnalisation plus ». Ces derniers existent déjà dans certains départements. Ils mobilisent à la fois des crédits non encore épuisés et les crédits alloués au contrat unique d'insertion.
Nous n'avons donc pas produit une nouvelle liste de dépenses supplémentaires. Au contraire, notre souhait a été d'aller vers une meilleure allocation des crédits déjà existants en les transférant des dispositifs n'ayant pas fait la preuve de leur efficacité vers ceux considérés comme les plus utiles par l'ensemble des acteurs. Je me refuse à demander des crédits pour des dispositifs dont je sais, par avance, qu'ils ne parviendront pas à améliorer la situation de la personne qui en aurait bénéficié. Avec le Premier ministre, nous avons décidé d'agir dans le cadre de l'enveloppe budgétaire réservée au contrat unique d'insertion dans un souci d'efficacité.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je donne la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai été réellement impressionné, hier, par ce qui s'est dit lors de la dernière journée du Grenelle de l'insertion où j'ai perçu un consensus, un élan et même de l'espoir. Je souhaiterais savoir si la structure gouvernementale actuelle est, selon vous, la plus adaptée pour permettre à la politique que vous préconisez de voir le jour. Si ce n'est pas le cas, laquelle défendez-vous ? Je considère personnellement que des résultats ne pourront être obtenus que dans la mesure où le souci de lutter contre la pauvreté et l'exclusion se trouve au coeur de toutes les politiques.
J'ai le sentiment qu'apparaît chez certains une forme de refus de s'insérer, des personnes pouvant se sentir trop décalées par rapport à l'évolution du monde actuel, d'autant plus quand elles sont handicapées ou souffrent d'un faible niveau de formation. En même temps, nous avons rencontré, dans certaines communautés d'Emmaüs, des personnes heureuses de vivre. Quel est votre avis sur le sujet, en tant qu'ancien président d'Emmaüs ? Enfin, selon vous, quelles propositions législatives pourrions-nous formuler pour favoriser l'insertion des personnes en difficulté et existe-t-il un statut pour des entreprises du type d'Emmaüs ?
M. Martin HIRSCH - Les objectifs dans le domaine de l'insertion doivent être fixés au plus haut niveau de l'Etat. C'est pourquoi je considère que mon rattachement au Premier ministre est le mode de fonctionnement le plus adapté. Notre cadre de travail est cohérent, comme il a été démontré au mois d'octobre avec le débat sur les objectifs et les engagements sur la pauvreté, puis au travers du discours du Président de la République, et enfin de la communication en Conseil des ministres sur les dispositions prises. Cette cohérence s'est illustrée à nouveau à l'occasion du Grenelle de l'insertion, avec nos propositions et l'implication, à travers le Premier ministre, de l'ensemble du gouvernement sur le sujet. L'ensemble de notre action a ainsi eu lieu en concertation avec les différents pôles ministériels concernés par l'insertion.
Nous serions confrontés à une absence de délimitation du périmètre de compétences si nous choisissions l'option d'avoir un grand ministère responsable de l'insertion et de l'exclusion, réunissant les affaires sociales au sens classique, la santé, mais aussi le logement et l'emploi. Une autre option consistant à avoir un secrétaire d'Etat chargé de l'insertion ne serait pas pertinente non plus. L'alternative qui s'offrait à nous était d'avoir soit un Vice-premier ministre en charge de l'emploi, des affaires sociales, de l'insertion et du logement, soit une structure légère, appartenant à une structure gouvernementale classique et capable de donner des impulsions concernant les différentes politiques. Nous avons retenu cette seconde solution.
A un autre niveau, il est impératif de mener de profonds changements dans les structures administratives gouvernementales en charge des questions sociales. Les politiques sociales représentent, en effet, aujourd'hui des politiques partagées. Nous n'avons, dans ce contexte, pas besoin de pléthores de décrets et circulaires, mais plutôt d'une équipe capable de piloter les mesures adoptées, en lien avec les collectivités territoriales et les différents acteurs évoluant dans le domaine social. L'essentiel est de disposer de personnes, non pas guidées par l'ambition de faire carrière dans le secteur social, mais provenant du monde professionnel (social, entreprises et collectivités territoriales). Les administrations sociales ont l'obligation d'évoluer, elles-mêmes étant insatisfaites par leurs manières de fonctionner, forgées avant la construction de l'Europe et l'apparition de la décentralisation et de la nouvelle pauvreté, et donc inadaptées à la dynamique des politiques sociales du 21 e siècle. De ce point de vue, l'objectif recherché n'est pas de faire des économies, mais d'obtenir des gains en matière d'efficacité.
Je suis nécessairement favorable aux modèles alternatifs du type des Compagnons d'Emmaüs, lesquels ne sont pas contradictoires avec la ligne directrice du Grenelle de l'insertion qui privilégie le droit commun plutôt que les contrats spécifiques. Ces modes alternatifs peuvent s'avérer utiles pour traiter de deux types de cas :
- Les personnes ne souhaitant pas être enfermées dans une structure. Je me suis battu, lorsque je présidais Emmaüs et dans le cadre du gouvernement actuel, pour garantir l'accueil inconditionnel dans les centres Emmaüs et donc ne pas demander les papiers, noms et détails sur le passé des personnes qui se présentent dans les structures. Ce principe ne doit pas constituer la règle générale, mais doit pouvoir subsister.
- Les personnes qui ont trouvé pleinement leur équilibre au sein des centres d'accueil. Par exemple, dans les communautés Emmaüs, des compagnons ne sont pas salariés. Toutefois, nous nous sommes battus en 1998 pour leur permettre d'être rattachés au système classique. Ainsi, en pratique, leurs revenus sont déclarés sur la base de 40 % du SMIC, leur permettant de fait d'acquérir des droits à la retraite, de bénéficier de la CMU ainsi que d'une prime pour l'emploi de 557 euros par an. Je pourrais leur annoncer d'ailleurs prochainement qu'ils pourront bénéficier bientôt d'un RSA dont le montant sera bien supérieur à cette somme. Dans cette logique, je me suis engagé, avec M. Xavier Bertrand, devant le président d'Emmaüs, à donner, en cours d'année, une reconnaissance légale à ce type de statuts. A ce titre, il serait du plus grand intérêt, pour nous, de travailler avec vous sur le sujet, tout en veillant à respecter la demande paradoxale mais légitime de ces populations que leur modèle de prise en charge soit reconnu et qu'il ne soit pas porté atteinte à ses spécificités.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Martin Hirsch. Nous allons maintenant vous poser certaines questions.
M. Guy FISCHER - Vous avez indiqué qu'il est indispensable de réformer les minima sociaux et les prestations sociales. Or, les représentants de l'ADF ont affirmé leur souhait de s'opposer à la généralisation du RSA, pour l'instant expérimenté dans plusieurs départements, dès le premier janvier 2009. Pourriez-vous préciser votre position sur le sujet et nous indiquer le nombre de personnes susceptibles d'être éligibles au RSA ? Il m'a semblé comprendre que ce dispositif s'adresserait aux allocataires du RMI et de l'API, aux personnes sans emploi et aux bénéficiaires de la PPE, soit en tout 11 millions de Français.
M. Paul BLANC - Comme vous, je regrette l'absence d'indicateurs concernant les sans domicile fixe. Le Midi, quand la météo devient favorable, voit affluer un nombre significatif de SDF dont il est impossible de s'occuper, car nous ne disposons pas des outils nécessaires pour le faire. Qui devrait, selon vous, mettre en place ces indicateurs ?
Je souhaiterais savoir également ce qu'il en est du travail gratuit pour les Compagnons d'Emmaüs. Enfin, je considère que les contrats aidés devraient être réservés davantage aux entreprises qu'aux associations qui ne peuvent pas, la plupart du temps, les pérenniser, faute de moyens. Quel est votre avis sur le sujet et comment serait-il possible de mettre en oeuvre ma proposition ? Par ailleurs, pourquoi les contrats de professionnalisation, pourtant si utiles, ne sont-ils pas plus nombreux ?
Mme Gisèle PRINTZ - Le RSA ne risque-t-il pas de devenir une fin en soi pour ses bénéficiaires et, pour les entreprises, un instrument au service de la flexibilité, en créant deux catégories d'emplois ? Existera-t-il une durée limitée pour en bénéficier ?
Mme Brigitte BOUT - Lors d'une visite de terrain à Lyon, nous avons pu découvrir un exemple parfait de coordination entre les pouvoirs publics (le préfet) et la CCI concernant la mise en oeuvre des contrats d'apprentissage. Ne pensez-vous pas que les outils pour favoriser l'insertion existent, mais ne sont pas utilisés de manière optimale, en raison parfois d'un manque de professionnalisme ?
M. Martin HIRSCH - Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais juste rappeler les principes généraux ayant conduit notre action. Tout d'abord, notre objectif final étant de répondre au malheur dont certains souffrent, le fait de rendre accessible le travail doit être pour nous la priorité des politiques en matière de lutte contre la pauvreté. A chaque fois qu'une personne quitte la pauvreté et que les revenus de son travail constituent la majorité de ses ressources, il s'agit d'une victoire. Ce principe se situe au coeur de l'ensemble de notre action et fait écho à notre volonté de rendre de la dignité aux gens à travers le travail.
Nous avons opté pour la mise en place d'une approche globale. Nous vivons, en effet, dans un pays où la segmentation par publics et domaines est telle que nous sommes souvent incapables d'apporter des solutions aux problèmes posés. Les personnes à qui nous avons affaire sont comme des patients confrontés à des spécialistes si cloisonnés que ceux-ci sont incapables de leur prescrire tout traitement.
Tels sont les principes, simples, qui guident notre action et avec lesquels le RSA, comme le Grenelle de l'insertion, entrent en cohérence.
Pour répondre aux questions posées par M. Blanc, Mme Printz et M. Fischer, le travail gratuit existe quand des personnes travaillent mais ne gagnent pas plus que si elles ne travaillaient pas. Une telle situation est choquante et je lutterai pour son abolition au plus vite. Lorsque je suis intervenu devant le Parlement l'an dernier, il m'a été demandé pourquoi seulement 25 millions d'euros sont affectés à l'expérimentation du RSA. Je trouve paradoxal qu'aujourd'hui, alors que nous nous apprêtons à mobiliser 1,5 milliard d'euros dans le cadre de ce projet, il me soit réclamé de diminuer notre effort.
M. Guy FISCHER - Nous comparions alors les 25 millions d'euros alloués à l'expérimentation du RSA aux 15 milliards d'euros affectés dans l'ensemble des dispositifs sociaux.
M. Martin HIRSCH - Je souhaiterais donc que, l'an prochain, vous établissiez votre comparaison sur la base de ces 1,5 milliard d'euros.
M. Guy FISCHER - Je souhaitais juste recueillir votre avis sur le bilan de l'expérimentation en cours et de la volonté des deux représentants de l'ADF de ne pas voir le dispositif du RSA être mis en place sur l'ensemble du territoire français dès le 1 er janvier 2009. Ma question ne cachait aucune mesquinerie.
M. Martin HIRSCH - Je ne vous accuse d'aucune mesquinerie. Mon objectif consiste seulement à vous faire part de ma conviction que si nous tardons trop à mettre en place le RSA, celui-ci risque d'en rester au stade de l'expérimentation, compte tenu de la difficulté que nous avons rencontrée pour obtenir les crédits nécessaires à son déploiement. A ce propos, j'ai évoqué une généralisation de ce dispositif dans le courant et non pas au premier janvier 2009. Toutefois, pour la raison que j'ai indiquée plus haut, nous avons intérêt à ce qu'elle ait lieu avant la fin du premier semestre 2009. Nous dialoguons avec les départements sur le sujet. Le RSA, en accélérant le retour au travail des personnes sans emploi, permettra d'alléger la pression financière qui pèse sur les conseils généraux.
Concernant les expérimentations qui sont menées, les résultats montrent que, là où elles ont lieu, le taux d'activité a augmenté de deux points au cours des premiers mois. Le nombre de personnes rentrées dans le dispositif est élevé, proche de 8 000 à la fin du mois de mars, et a vu ses revenus augmenter de 150 à 200 euros par mois. Enfin, parmi les 1 000 premiers bénéficiaires du RSA, 18 % occupent un CDI, 10% un CDD de plus de six mois, 28 % un emploi durable, 30 % un emploi aidé, 26 % un CDD de moins de six mois ou en intérim, 8 % exercent une activité indépendante et 6% sont en formation rémunérée tout en percevant le RMI. Ces données nous permettent ainsi de constater que le retour au travail des personnes en difficultés passe peu par des contrats aidés et beaucoup par des emplois durables.
Pour avoir des informations plus précises, nous sommes en train de mener une enquête nationale sur 3 000 bénéficiaires du RSA. Avec ce travail, nous disposerons d'une somme de données très importante dans le courant de l'année 2008, laquelle nous offrira la possibilité d'appréhender parfaitement le processus dans lequel nous nous engageons.
Par ailleurs, si je tiens à que cette expérimentation ne se prolonge pas de manière excessive, c'est aussi pour que le RMI ne subsiste pas en parallèle au RSA, leur juxtaposition étant source de complexité supplémentaire. Je souhaite que nous nous engagions au plus vite dans un processus de simplification où le RSA viendra se substituer aux différents dispositifs existants, dont le RMI.
Le dispositif concernera entre 4 et 5 millions de personnes, en tenant compte des 1,2 million d'allocataires du RMI, des 200 000 allocataires de l'allocation parent isolé, des travailleurs pauvres et des quelques 800 000 bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité. Une partie d'entre eux seulement sont à la charge des Départements.
Nous proposons, par ailleurs, à l'ADF, avec laquelle nous avons des contacts réguliers, d'aboutir à un accord sur les termes financiers et juridiques, ainsi que sur le rythme de déploiement du RSA. Nous devons gérer à la fois l'impatience des départements et la crainte d'autres institutions au sujet de cette mise en oeuvre. Je suggère donc de tirer les enseignements du passé et de profiter au maximum de ce moment opportun où l'Etat propose d'élaborer en commun une réforme plutôt que de l'imposer.
S'agissant des statistiques sur les SDF, l'Observatoire national de la pauvreté mène un travail sur le sujet dans le cadre de la mission Pinte. Il devrait porter ses fruits dans les prochaines semaines.
Mme Bernadette DUPONT - Comment pouvons-nous vouloir à la fois offrir un accueil inconditionnel aux SDF et leur proposer un accompagnement efficace ?
M. Martin HIRSCH - Sur ce sujet, je n'ai fait que citer des cas exceptionnels. Quelques associations comme Emmaüs conservent cette pratique de l'accueil inconditionnel. Celle-ci, marginale, doit pouvoir perdurer et être reconnue. Il n'y a, par exemple, que 4 000 compagnons d'Emmaüs dans toute la France.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai rencontré récemment deux personnes sans papier. Elles ont, en effet, la possibilité de valider leur demande de naturalisation. Les demandeurs d'asile ont besoin d'être accompagnés. D'autres compagnons pourraient les parrainer afin de faciliter leur intégration dans notre pays.
M. Martin HIRSCH - Je tiens à préciser, en tant qu'ancien président d'Emmaüs, que les communautés sont des lieux de reconstruction qui ne pratique pas de contrôle de papier.
Nous avons réalisé des progrès significatifs dans l'implication des entreprises dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Le MEDEF et les entreprises évoluant dans le domaine de l'insertion sont ainsi parvenus à un accord pour l'instauration d'un protocole devant conduire les entreprises classiques à embaucher davantage de personnes issues des structures d'insertion. Après avoir surmonté de nombreuses difficultés, nous avons réussi à convaincre le mouvement patronal de faire de l'insertion un élément du dialogue social et des négociations collectives. Cette avancée est fondamentale et justifie l'énergie que j'ai dû dépenser envers la présidente du MEDEF pour obtenir ce résultat. La CFDT s'est d'ailleurs engagée, elle aussi, à faire de l'insertion un sujet de négociations à l'avenir.
M. Paul BLANC - Les grandes entreprises ne sont-elles pas seulement concernées par cet engagement ?
M. Martin HIRSCH - Non. En effet, la CGPME et l'UPA ont signé l'accord. De manière surprenante, c'est le MEDEF qui s'est montré le plus réticent à parapher le document.
Mme Annie DAVID - La raison en est que, dans les petites entreprises, il n'y a souvent pas de représentation syndicale et donc qu'il ne se produira pas de négociations.
M. Martin HIRSCH - L'insertion était, jusqu'alors, un sujet totalement négligé dans les négociations. Désormais, il sera possible de débattre et d'obtenir des engagements sur les contrats de professionnalisation et faire en sorte, par exemple, qu'ils puissent être ouverts aux adultes, aujourd'hui ignorés de ces dispositifs. Certains secteurs professionnels en tension en ont besoin.
Mme Bout a raison de souligner la nécessité d'utiliser les instruments existants pour favoriser le déploiement des contrats d'apprentissage. Aujourd'hui, d'après nos estimations, un quart de ces contrats donne lieu à une rupture précoce. C'est pourquoi une meilleure médiation entre le jeune et l'entreprise serait nécessaire, de même que la mise en place d'un calendrier plus pertinent concernant la signature de ces contrats. Nous regrettons également le manque, parfois cruel, de CFA dans un certain nombre de métiers qui attirent pourtant de nombreux jeunes. La mission Lachmann avait donné, l'an dernier, une impulsion significative pour mener un travail sur l'ensemble de ces sujets.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Monsieur le haut-commissaire, je souhaite vous poser quelques questions complémentaires ayant trait à des aspects budgétaires. Vous avez indiqué que le coût total des différents dispositifs sociaux s'élève à 18 milliards d'euros et celui du RSA à 1,5 milliard d'euros. Ces derniers crédits seront-ils réellement des crédits supplémentaires ou ne feront-ils que se substituer à d'autres ?
La gestion du RSA, qui sera assurée par les départements, risque de générer, pour eux, un coût supplémentaire. Celui-ci sera-t-il pris en compte, étant entendu que les dépenses liées au RMI ne sont pas complètement compensées par l'Etat, lequel a des dettes vis-à-vis des départements ?
Par ailleurs, il existe actuellement une clause d'insertion sociale dans les marchés publics. Avez-vous imaginé un moyen de la renforcer ?
Enfin, comme vous, je suis très attachée au rôle des structures d'insertion par l'activité économique. Je constate malheureusement que les manques de financement et de conventionnement limitent leurs créations et finissent même par décourager les professionnels à en ouvrir. Avez-vous imaginé des moyens de professionnaliser et de préparer des acteurs, de manière à favoriser le développement de ces structures ?
M. Jean DESESSARD - Vous souhaitez remplacer le RMI par le RSA. Il subsistera cependant des personnes qui ne dépendront pas du RSA après sa mise en place sur tout le territoire français. Pourriez-vous me rassurer en me confirmant que le RMI continuera bien d'exister dans le futur ?
M. Martin HIRSCH - Le RSA est appelé à se substituer au RMI et à l'API. Sa généralisation aura plusieurs conséquences. Aujourd'hui, une personne au RMI et qui ne travaille pas touche 447 euros. Elle recevra le même montant dans le cadre du RSA. En revanche, si elle travaille moins de 78 heures par mois, les 250 ou 300 euros qu'elle récolte de son activité sont actuellement déduits du montant de son RMI, alors qu'elle pourra gagner 650 euros avec le RSA.
La transformation du RMI en RSA ne remet pas en cause les principes fondamentaux qui avaient présidé à la création du RMI il y a 20 ans. Tout le monde doit dans notre pays pouvoir bénéficier d'un revenu minimum. Nous devons cependant faire en sorte que ce dernier ne se soit pas restrictif. On affirme depuis 20 ans que l'insertion accompagnant le dispositif du RMI n'existe pas. J'affirme pour ma part, depuis trois ans et demi que, le revenu minimum est devenu synonyme de maximum pour beaucoup de personnes. Nous avons pour objectif que le RSA serve de revenu de base pour les personnes sans travail et de revenu complémentaire pour les personnes ayant un travail leur procurant des revenus insuffisants.
M. Jean DESESSARD - Le RSA aurait dû s'appeler le RSP : revenu de solidarité progressif.
M. Martin HIRSCH - Un autre dispositif avait été imaginé. Il s'appelait l'allocation compensatrice de revenu. Les pères du RMI, M. Michel Rocard et M. Lionel Stoléru reconnaissent eux-mêmes que l'objectif final, au travers du RMI, était de mettre en place le RSA, ce qu'ils n'ont pas pu faire. Il était plus important, à l'époque, d'offrir un revenu minimum aux personnes en difficulté que de leur permettre de retrouver un travail. La suppression du RMI n'aura aucune conséquence négative pour ses allocataires actuels.
M. Jean DESESSARD - Pourriez-vous nous préciser quel sera le mécanisme mis en place ?
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - L'appellation de revenu de solidarité progressif proposée par M. Jean Desessard renvoie à la notion de progressivité. Y a-t-il une réelle incitation pour les personnes en difficulté à avoir un travail à temps plein ?
M. Martin HIRSCH - Avec le RSA, nous souhaitons justement lutter contre la précarité et le temps partiel subi. Certaines personnes ont besoin aujourd'hui de faire appel au crédit à la consommation pour parvenir à équilibrer leur budget en fin de mois. Le RSA apporte une double réponse à leurs difficultés actuelles. Il permet de compléter le revenu des personnes qui ne peuvent pas augmenter leur quantité de travail et de réduire le temps partiel subi. Nous n'avons pas privilégié un levier d'action au détriment d'un autre. Nous nous sommes, au contraire, dotés d'un outil supplémentaire pour intervenir.
La mise en place du RSA n'aura pas d'effet d'aubaine direct pour les entreprises, puisqu'il revient à subventionner l'employé et non plus l'employeur. Il aidera les salariés sans réduire le coût du travail pour les employeurs, n'étant pas un contrat aidé. Il n'y aura donc pas d'incitation spécifique pour une entreprise à recruter un allocataire du RSA. Avec ce dispositif, nous n'aggraverons donc ni la précarité, ni la flexibilité.
Le Conseil d'orientation pour l'emploi a fourni un avis très complet sur le sujet, affirmant que la progression des revenus du RSA en fonction du nombre d'heures travaillées pourrait suivre une pente assez faible jusqu'à ce que la personne ait un contrat à mi-temps, puis plus raide par la suite. Les individus que nous rencontrons ont généralement la volonté de travailler à plein temps, sauf durant certaines périodes au cours desquelles elles souhaitent régler certains problèmes et je trouve juste que leurs revenus soient complétés. Il pourrait nous être utile d'interroger ensemble une centaine de bénéficiaires du RSA, choisis objectivement, pour savoir comment ils ressentent et vivent cette expérience. Nous avons élaboré le RSA avec des groupes d'usagers qui étaient précédemment au RMI. Les résultats montrent que le dispositif leur est très profitable et apporte des réponses à leurs besoins.
A un autre niveau, je tiens à préciser que l'Etat n'a pas, au sens juridique, de dette envers les départements. Le transfert de la charge du RMI aux conseils généraux a été compensé par l'Etat à l'euro près, celui-ci ayant mis en place à leur profit un fonds de 500 millions d'euros par an. Il ne sera donc pas possible d'utiliser cet argument de la dette pour justifier d'un quelconque retard dans la mise en place du RSA pour ses bénéficiaires.
Nous souhaitons construire le RSA sur des bases partenariales, en déterminant ensemble, dans le cadre de l'Assemblée des départements de France, si la contribution de l'Etat, dans le cadre du RSA, est suffisante. Nous ambitionnons également d'anticiper les évolutions, durant les 5 prochaines années, du taux de retour au travail et de comparer les économies qu'il peut engendrer par rapport au coût du RSA, de manière à déterminer ensemble qui aura à en supporter l'éventuel coût résiduel. Cette démarche est honnête et loyale. Les départements où se déroulent les expérimentations sont parfaitement conscients que le RSA permet d'alléger la pression financière qui pèse sur eux en favorisant le retour au travail. C'est la raison pour laquelle ils ont choisi de s'y engager.
Nous avons, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, abordé l'intégration des clauses sociales dans les marchés publics et avons pris la décision, après une communication en Conseil des ministres, que, dans les marchés où la main-d'oeuvre représente au moins 50% du montant, entre 5% et 10% des heures soient réservées à des personnes en situation d'insertion. Cette mesure permettrait de créer entre 10 000 et 20 000 emplois.
Dans le même esprit, nous avons mis en place un site internet, www.socialement-responsable.org, sur lequel il est possible de trouver un aide-mémoire sur les clauses d'insertion. Toutes les structures évoluant dans le domaine de l'insertion ont la possibilité de s'y inscrire et d'y trouver les renseignements dont elles ont besoin pour répondre aux appels d'offres. Un tel outil n'existait pas jusqu'alors.
De même, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, nous sommes parvenus à un accord avec les acteurs spécialisés dans l'insertion par l'activité économique, afin d'augmenter les possibilités de développement de projets en mobilisant les porteurs d'initiatives et les modes de financement alternatifs.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Mme Carrère-Gée a affirmé hier que la mise en place du RSA risque de pénaliser certains bénéficiaires de la prime pour l'emploi, notamment les couples qui touchent le SMIC. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le sujet ?
M. Martin HIRSCH - Le 1,5 milliard d'euros affecté au RSA ne sera engagé au détriment ni de la PPE, ni des contrats aidés, ni des structures d'insertion. C'est la raison pour laquelle nous avons eu tant de mal à l'obtenir. Nous mobilisons ainsi, dans ce domaine, des crédits d'un niveau vraiment significatif. Le Président de la République a déclaré que nous obtiendrions 1,5 milliard d'euros pour la mise en oeuvre du projet et que seules les sommes supplémentaires à cette enveloppe proviendraient de la PPE.
Nous devons aujourd'hui effectuer un choix. Nous pouvons soit nous contenter de ce budget de 1,5 milliard d'euros sans mobiliser la PPE, soit décider qu'une partie de la PPE devrait bénéficier à des personnes plus pauvres.
Les couples biactifs, pour lesquels l'écart de revenu entre les deux membres est significatif, risque en effet, en l'état actuel, de perdre avec la mise en place du RSA. Des personnes peuvent ainsi aujourd'hui vivre sous le même toit, accomplir deux déclarations de revenus distinctes, se caractérisant par des écarts de revenus élevés, et toucher dans le même temps la prime pour l'emploi. Je préfère, pour ma part, très clairement que cet argent bénéficie à un travailleur pauvre. Si nous ne parvenons pas à un accord en la matière, le RSA en sera d'autant limité. Je ne désespère pas cependant de parvenir à convaincre sur le sujet, dans la mesure où il s'agit selon moi d'un acte de justice sociale. Les bénéficiaires du RMI ne doivent pas être pris en otage par les bénéficiaires les moins défavorisés de la PPE et certains couples biactifs.
M. Jean DESESSARD - Je n'aborderai pas ce sujet de la justice sociale et ne rappellerai donc pas le contexte dans lequel le RSA est apparu en juillet dernier. Il me semble que le dispositif, tel que vous le concevez, tienne compte des revenus du conjoint, ce à quoi nous nous étions opposés lors de la création du RMI. Pouvez-vous apporter des précisions sur le sujet ?
M. Martin HIRSCH - Le RSA a une dimension familiale. Nous avons considéré, avec les différents syndicats et partenaires associatifs, que la solution mise en place était la plus simple.
M. Jean DESESSARD - Je trouve juste que l'impôt sur le revenu soit plus élevé pour le membre du couple le plus riche. Mais la solidarité, notamment économique, qui était très forte dans le cadre familial, il y a 40 ou 50 ans, ne l'est plus aujourd'hui. Dans ce contexte, le RSA permettrait au membre du couple qui serait menacé d'une forme de dépendance de conserver son autonomie.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il s'agit là de discussions que nous poursuivrons peut-être par la suite.
M. Martin HIRSCH - Nous sommes en fait parvenus à un accord pour attribuer les aides au logement, les allocations familiales et donc le RSA dans un contexte familial. La logique est d'aller vers la construction du revenu d'un foyer, quelle que soit sa forme, ce qui nous permet de tenir compte d'un certain nombre de données comme le nombre d'enfants à charge ou le nombre de personnes au foyer pour le calcul des allocations. Je rappelle à cette occasion que le RSA aurait pu prendre la forme d'un impôt négatif.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous sommes aujourd'hui à l'orée d'un grand débat. Nous aurons l'occasion d'analyser ensemble les résultats des premières expérimentations de mise en place du RSA.
M. Martin HIRSCH - Nous pourrons vous fournir les premiers bilans de ces expérimentations à la fin juin ou au début juillet de cette année. L'ensemble des résultats vous sera communiqué, lui, en automne.