Audition de MM. Gilles DINET, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, et René-Paul SAVARY, président du conseil général de la Marne, de l'Assemblée des départements de France (ADF) - (13 mai 3008)
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous nous recevons dans le cadre d'une mission d'évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Cette mission ne fait pas doublon avec celle de M. Martin Hirsch. Elle lui est au contraire complémentaire. En effet, nous auditionnons un certain nombre de personnes impliquées, de près ou de loin, dans la prise en charge de l'exclusion et de la pauvreté. Ainsi, nous aimerions connaître votre point de vue sur les conséquences de la décentralisation de la gestion du RMI et des autres politiques d'insertion. M. Michel Dinet, nous vous écoutons.
M. Michel DINET - Je vous remercie, Mme la Présidente, Mesdames et Messieurs, de cette invitation. Je vous invite tout d'abord à accueillir nos propos avec une certaine réserve. En effet, mon collègue et moi-même, nous intervenons aujourd'hui alors que la structure de l'ADF est en instance de renouvellement suite aux dernières consultations électorales. Toutefois, si les débats connaissent une pause dans notre institution, ils ne tarderont pas à reprendre très prochainement. Ainsi, récemment, une délégation de l'Assemblée des départements de France a été reçue par M. Martin Hirsch. Pour autant, nous ne sommes pas mandatés officiellement pour intervenir aujourd'hui. Notre seule légitimité tient au fait que nous avons déjà eu l'occasion, au sein de l'ADF, de discuter des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous nous en tiendrons donc ici à des considérations largement partagées par notre assemblée. Toutefois, il nous arrivera de compléter notre propos en faisant état des expériences que nous avons connues dans nos propres départements. Nous vous prions de bien vouloir noter que nos interventions n'engagent que nous-mêmes.
J'en viens à votre première question, Madame la Présidente. Le bilan concernant la mise en place de la loi de 2003 sur le RMI montre un engagement fort des départements sur un des attendus de cette loi et concernant le pilotage unique du volet insertion, à la charge maintenant, comme il était unanimement souhaité, des conseils généraux. Grâce à cette disposition, ces derniers ont pu modifier, avec leurs partenaires, des conventions qui devaient être ajustées et portent notamment sur les relations qu'ils entretiennent avec la Caisse des allocations familiales pour le versement de la prestation du RMI. Nous avons rencontré, cependant, quelques difficultés pour obtenir ce résultat. C'est ainsi que nous avons dû multiplier les échanges avec les services publics de l'emploi pour le traitement des dossiers de nos administrés RMistes.
La loi sur la réforme du RMI a été adoptée en 2003. Elle existe donc depuis cinq ans, période pendant laquelle la politique des départements en matière de RMI a été très forte. Certains observateurs avaient craint une diminution de leur implication financière concernant le volet insertion du dispositif. Or rien de tel n'a pu être constaté. Cependant, un important changement de culture est intervenu dans les départements suite à l'adoption de la loi et à ses conséquences. Ils sont en effet passés d'une action d'insertion à caractère principalement social à une approche axée sur l'intégration professionnelle. Cependant, cette situation n'implique pas que les acteurs départementaux portent moins d'attention aux problématiques sociales. En effet, à l'intérieur des publics bénéficiaires du RMI se trouvent des personnes incapables d'occuper un emploi. Certes, nous continuons à intervenir sur tous les fronts. Mais notre culture a changé. Nous avons été amenés à bouleverser complètement nos modes de fonctionnement dans différents secteurs. Les ressources humaines et la formation des personnels ont été concernées par ces remaniements, tout comme le travail pour définir les objectifs et les projets devant être articulés avec les autres politiques publiques.
L'évolution de la politique du RMI portée par le texte de loi de 2003 a été voulue par la majorité des départements et mise en oeuvre par eux. Il me semble que nous pouvons en dresser un bilan positif, même si elle commence à nous poser des soucis financiers. En effet, les modalités et les conditions de versement de l'allocation ont elles aussi évolué. Nous avons mené de nombreux débats sur le sujet. La position unanime de l'ADF est que ce qui relève du versement de d'allocations individuelles au nom de droits établis par la représentation nationale doit être financé par la solidarité nationale. Elle ne signifie pas, pour autant, que les dépenses occasionnées par la politique départementale doivent être financées par la solidarité nationale. Ainsi, nous sommes actuellement en discussion pour savoir quel sera le taux de remboursement par l'Etat des frais engagés par la personne prise en charge. Ces dépenses ont été transférées aux départements. Or le décalage existant entre les dépenses qu'ils ont engagées et les sommes qu'ils ont perçues s'établit aujourd'hui à 2,3 milliards d'euros. Par conséquent, il convient de nous interroger sur la gestion et la prolongation éventuelle du Fonds initiative insertion. En tout état de cause, les départements sont contraints d'adopter une posture de défiance par rapport aux dispositifs actuellement en cours d'élaboration, en particulier celui concernant le revenu de solidarité active.
Nous avons consacré de longs débats au RSA. De l'avis unanime, la décentralisation que traduira la mise en oeuvre de ce dispositif ne saurait être remis en cause ; la liberté de fonctionnement des collectivités et le principe d'égalité des citoyens devant la République s'y opposant.
Par conséquent, la responsabilité des départements doit continuer à être engagée, s'agissant des politiques et des prestations en matière d'insertion. Du fait de la proximité dont ils bénéficient vis-à-vis de leurs territoires et de leurs populations, ils peuvent agir efficacement dans ces domaines. Cependant, les impôts locaux ne sont pas en mesure de financer les prestations du RMI. Or le versement de ces dernières est assuré, pour l'instant, en partie grâce à ces derniers. Les 2,3 milliards d'euros que reçoivent les RMistes au titre de leurs allocations grèvent les budgets des conseils généraux. Ce constat est particulièrement vrai dans les départements aux prises avec des difficultés financières depuis longue date. En effet, plus ils rencontrent des problèmes, plus le nombre de bénéficiaires des prestations d'insertion y est élevé.
Il existe donc un décalage de plus en plus prononcé entre la pratique de la loi et ses principes constitutionnels. Selon les textes, les dépenses engagées dans le cadre de la politique d'insertion doivent être compensées par l'Etat à l'euro près. Toutefois, il n'y est pas mentionné que ces compensations doivent intervenir le jour où le conseil général verse leurs allocations à ses administrés.
La période allant de 2003 à 2008 se distingue par plusieurs phases. La première concerne le début de l'application de la loi de 2003. Elle se caractérise par le déploiement d'une forte volonté des départements d'assumer leurs nouvelles compétences. La deuxième phase, courant de 2003 à 2005, est marquée par une montée en puissance de la dépense occasionnée par la réforme du RMI. Son augmentation a dépassé 8 % en 2004 et 18 % entre 2003 et 2005. Elle a connu par la suite un mouvement de stagnation puis de baisse.
Nous sommes aujourd'hui témoins de la diminution du nombre des RMistes. Or l'évolution de la dépense induite par leur prise en charge ne trahit pas ce changement. La raison en est que la structure du public concerné est complexe. Par conséquent, certains de nos collègues ont demandé à prendre connaissance du mode de fonctionnement des Caisses d'allocations familiales et de la Mutualité sociale agricole.
Cette baisse du nombre d'allocataires du RMI touche tout le territoire national. Selon nos analyses, elle s'explique par le développement d'une politique départementale axée sur l'insertion professionnelle, le recours à des prestataires spécialisés et à certains éléments conjoncturels comme l'amélioration du marché de l'emploi. Nous n'avons cependant pas assez de recul pour avoir la certitude de l'efficacité des politiques menées en matière d'emploi et d'une baisse du chômage dans la durée. En tant que représentants des exécutifs départementaux et responsables, à ce titre, des lignes budgétaires, il nous semble que nous nous devons d'être prudents sur nos estimations.
Nous entretenons de bonnes relations avec nos partenaires dans le cadre de la gestion du RMI. Certes, les négociations ont été difficiles au début, avec les services de l'emploi notamment. Cependant, le rapprochement de l'ANPE et de l'UNEDIC va dans le sens de nos efforts. Globalement, les départements se sont fortement saisis de leurs nouvelles responsabilités. Personne ne conteste plus l'opportunité de confier à ces collectivités le pilotage unique du dispositif d'insertion. Or les résultats qu'elles ont obtenus sont encourageants. Cependant, l'énorme problème du décalage financier évoqué tout à l'heure reste posé. Il n'est pas conforme à l'esprit de la loi et pourrait obérer l'avenir. Je parle ici en toute connaissance de cause. En effet, mon collègue ici présent et moi-même, nous avons rédigé ensemble un rapport sur les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales. Présenté à Reims, ce document souligne la volonté des départements qu'une pause intervienne dans le processus de décentralisation et dans les transferts de compétences qui l'accompagne. Ces derniers ont été quelque peu refroidis par le coût financier qu'ils ont eu à supporter avec la mise en place du RMI et qui risque de nourrir leur appréhension vis-à-vis du RSA. Il est évident que la non-compensation par l'Etat des dépenses engendrées par le RMI est de nature à rendre les départements circonspects s'agissant de l'instauration du dispositif de revenu de solidarité active.
Enfin, il nous a été demandé si nous sommes actuellement engagés dans un processus de recentralisation, de partage des compétences, ou dans une logique de décentralisation poussée à outrance. A ce propos, il convient de distinguer ce qui relève de la décentralisation et ce qui a trait aux transferts de charges, deux dimensions que nous pouvons très bien concilier l'une et l'autre au bénéfice de notre action départementale et des populations qu'il nous revient d'administrer.
M. René-Paul SAVARY - Je souhaite compléter l'analyse de M. Dinet. Je partage entièrement les propos de mon collègue. En effet, les départements ont la conviction de pouvoir jouer leur rôle de manière efficace en matière d'insertion. Je peux revenir ici sur une expérience personnelle illustratrice de notre motivation. J'ai repris la tête du département de la Marne en 2004. A cette époque, le président du conseil général ne faisait pas partie du service public de l'emploi (SPE) et il m'a fallu me battre pendant 6 mois pour en devenir partie prenante, selon mon souhait.
Aujourd'hui, cet acquis est entré dans les moeurs. Cependant, comme l'a rappelé mon collègue, la décentralisation n'a pas été jusqu'à son terme. En effet, la CAF gère la prestation du RMI auprès de ses allocataires. Dans ce contexte, le coût croissant de la prise en charge des RMistes alors que leur nombre baisse ne peut que nous interpeller. Dans mon département en particulier, je n'ai connu aucune réduction significative de la somme des allocations versées au titre de la prestation du RMI. Or son nombre d'allocataires a subi une forte décroissance. Il est passé de 7 800 en 2007 à 6 225 aujourd'hui. Ce constat peut s'expliquer par la structure des quotients familiaux, laquelle a conduit à différencier la prestation sur la base d'un certain nombre de critères et à augmenter le nombre d'allocataires. Ce fait pourrait expliquer la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Cependant, une corrélation aurait néanmoins dû apparaître entre la baisse des bénéficiaires du RMI et le montant des sommes qui leur sont versées.
Soulignons aussi que nous avons entrepris de nombreux efforts pour réduire le nombre de RMistes. Par exemple, nous avons mis en place des dispositifs d'insertion professionnelle significatifs, créé une cellule économique d'insertion ainsi que des postes d'animateurs d'insertion. Ces derniers sont détenus par d'anciens allocataires du RMI que j'ai formés à jouer le rôle d'interface entre les demandeurs d'emploi et le monde de l'entreprise. Cette politique m'a permis d'obtenir une baisse très significative du nombre de RMistes . Beaucoup de personnes ont pu s'engager dans une activité professionnelle et retrouver leur dignité à travers un emploi. Certaines d'entre elles ont bénéficié d'un tutorat, tant social qu'économique, et ont pu suivre des formations.
Le bilan de la situation montre que nous connaissons une modification structurelle de notre stock de RMistes. Pour un tiers d'entre eux, il s'agit d'individus aux prises avec d'énormes difficultés sociales. De fait, ils ont besoin d'actions d'insertion sociale très lourdes et il est hors de question de leur proposer un travail. Un autre tiers des RMistes est composé de personnes victimes d'accidents de la vie et tout à fait employables. Enfin, le dernier tiers des bénéficiaires de l'allocation du RMI est formé de gens qui, dans une conjoncture économique favorable, pourraient très bien retrouver un emploi s'ils bénéficiaient d'un accompagnement.
La population des RMistes se modifie très vite. En trois ans, la part des personnes les moins employables a progressé au sein de ce public, nous obligeant à mener d'importantes actions en matière de formation professionnelle pendant quelques années, avant d'envisager des interventions dans le domaine de l'insertion sociale. Nous serons confrontés de plus en plus à un public très fragilisé par l'exclusion. Par conséquent, il nous revient de moduler notre politique en prenant en compte ses besoins en insertion aussi bien professionnelle que sociale. L'échelon départemental est le bon niveau pour mener une telle opération. Les Départements connaissent très bien, en effet, leurs populations.
La réduction du nombre des allocataires du RMI est également liée à la mise en place d'une politique de rigueur. Les représentants de la CAF ont accepté, après négociation, de tenir le même discours que nous aux RMistes. Mais je ne suis pas sûr qu'il en soit de même dans tous les départements de France. Cette pratique a été difficile à instaurer. Or elle est indispensable. Il est nécessaire en effet que les acteurs de la CAF nous soutiennent dans notre affirmation selon laquelle certaines prestations sont réservées à ceux qui y ont légalement droit, et non à ceux qui vivent du RMI. A présent, ce partenariat est rigoureusement respecté. Cette manière de procéder porte ses fruits.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Notre rapporteur, M. Bernard Seillier, a quelques questions à vous poser.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je comprends tout à fait que la mise en place du RSA suscite votre circonspection. Or il va falloir trouver un moyen d'équilibrer le système de prise de charge des personnes victimes d'exclusion. Avez-vous des suggestions à nous présenter pour faire en sorte que ce système devienne pérenne ? Il faudrait qu'il cesse, chaque année, d'être remis à niveau ou d'être l'objet de contentieux destinés à obtenir de l'Etat le remboursement de ses dettes.
L'ancien mécanisme de l'aide sociale, transféré aux départements en 1983, impliquait un versement des dépenses au niveau local et un remboursement des sommes engagées systématiquement a posteriori , lorsque l'addition était présentée à l'Etat. A cette époque, je travaillais au Ministère des Affaires sociales et je me souviens que le directeur du budget inscrivait en loi de finance initiale, comme crédits budgétaires alloués au paiement des dépenses des départements en matière d'aide sociale, une somme qui ne représentait que les deux tiers de ce que l'Etat avait remboursé l'année précédente. Il s'agissait, en effet, du seul moyen dont il disposait pour freiner un peu l'évolution des dépenses. Sa stratégie consistait donc à créer des problèmes de trésorerie aux départements et à inscrire les dépenses en fin d'année, en loi de finance rectificative. Finalement, je crois me rappeler qu'une période d'ajustement a été nécessaire pour parvenir à un niveau de transfert et de compensation entre l'Etat et les départements considéré comme stable. Le directeur du budget n'a plus demandé par la suite que des actualisations de la loi de finance prenant en compte l'évolution de l'indice des prix et des salaires.
Il nous faut sortir de ce système. Jusqu'à présent, l'Etat a demandé aux départements de lui faire crédit. En conséquence, il a une dette envers eux. Je n'imagine pas que nous puissions nous affranchir brutalement de ce mode de fonctionnement en supprimant le règlement des sommes dues aux Départements par l'Etat. Il n'est pas possible, non plus, que ce dernier reprenne à son compte les politiques transférées aux collectivités et dont elles ne peuvent plus assurer le coût. C'est pourquoi il convient de trouver une solution pratique pérenne. Il revient aux conseils généraux de gérer ces politiques sur le fond. Avez-vous des conseils à nous donner pour la rédaction de la conclusion du rapport sur lequel nous travaillons ?
M. Michel DINET - Si la responsabilité totale de la politique du revenu de solidarité active revenait aux départements, ceux-ci auraient à en supporter la charge financière et, du coup, pourraient en être réduits, par absence de moyens, à diminuer leurs actions dans le domaine de l'insertion. C'est pourquoi nous devons nous assurer de l'équilibre du financement de la politique d'insertion, d'une part, en y faisant participer l'Etat d'un point de vue financier, d'autre part, par la mise en place, par les départements, d'un impôt dynamique.
Au niveau national, nous devons nous demander quel est notre niveau d'exigence souhaité en matière de solidarité. Il s'agit d'une question très politique, car sa réponse traduira la vision de la société que nous voulons et la manière dont nous souhaitons traiter les personnes qui ne réussissent pas à trouver un travail.
Nous ne pouvons pas imaginer que le dérapage financier, causé par le versement des allocations du RMI, se poursuive avec la mise en place du RSA, de la prestation sociale de compensation du handicap et bientôt du cinquième risque. Il n'est pas conforme à l'esprit des institutions qu'un niveau politique décrète seul ce qu'il faut faire, sans en référer aux collectivités qui doivent les conséquences de ses décisions. Les départements ne peuvent pas être traités comme de simples comptables qui seraient tenus d'inscrire sur leurs comptes les dépenses que leurs responsabilités croissantes occasionnent et qui proviennent de la différence entre ce que l'Etat veut bien leur accorder et ce qu'ils sont contraints de débourser. Voilà ce que je pense en l'état. Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour le côté un peu abrupt de ma réponse. Mais le problème se pose en ces termes.
L'ADF se demande actuellement si la bonne conduite, sous gestion unique, d'une politique décentralisée en matière d'insertion impose d'avoir recours à deux indicateurs : un premier qui présenterait le montant et la structure des versements opérés dans le cadre du RMI, un second qui offrirait un état des lieux de l'insertion au niveau départemental. Certaines personnes pensent trop souvent qu'il suffit de mener un bon travail dans le domaine de l'insertion pour obtenir une diminution significative et durable du nombre de RMistes. Comme nous l'avons précédemment noté, il n'en est pas ainsi. Il est parfois plus difficile qu'on ne le croie d'avoir de bons résultats et ceux obtenus au niveau de l'insertion ne sont pas à la hauteur de ceux que nous pourrions espérer.
M. René-Paul SAVARY - En fait, la compensation versée par l'Etat aux départements au titre du RMI devrait être réévaluée tous les ans. En effet, notre objectif étant d'aller vers une diminution du nombre de RMistes, nous devons éviter une aggravation des difficultés sociales rencontrée par la population. Pour cela, nous avons besoin de tenir un débat au niveau national. Par ailleurs, rappelons-nous que si la conjoncture économique actuelle et la démographie de notre pays sont favorables à l'emploi, seule une partie des RMistes est en situation de travailler et pourra donc profiter de cette embellie. En conséquence, nous n'échapperons jamais à la nécessité de mener des politiques d'insertion sociale.
Si la situation des populations les plus fragiles se dégrade, nous risquons de voir s'accroître des disparités entre les départements. Un certain nombre d'entre eux, bénéficiant d'activités économiques fortes, jouissent de facilités pour réduire la précarité sur leur territoire. C'est le cas du département de la Marne, le territoire phare de la région Champagne-Ardenne.
Toutefois, concernant les collectivités moins favorisées que représentent, par exemple, la Haute-Marne et les Ardennes, je ne vois pas comment leurs dépenses en matière d'insertion peuvent diminuer. C'est pourquoi, celles-ci ont besoin de la solidarité nationale, laquelle peut s'exprimer à travers un dispositif de péréquation financier.
En tout état de cause, il n'existe pas de correspondance stricte entre la diminution du nombre de RMistes et celle des dépenses liées au RMI.
M. Michel DINET - J'ai oublié de répondre à l'une de vos questions. Vous avez raison de considérer comme étant utile de dresser un bilan financier des dispositifs de prise en charge, faisant ressortir leurs dépenses et leurs recettes, par périodes de trois ans. A défaut d'être résolu, le problème de leur coût pourrait être posé.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il me semble sain de se mettre d'accord sur une règle du jeu commune. Sinon, les contentieux s'éterniseront.
M. René-Paul SAVARY - L'APA représente une prestation dont l'évolution m'angoisse davantage que celle du RMI. Nous savons en effet que la population est appelée à vieillir et à devenir de plus en plus dépendante. Par conséquent, le coût de l'APA va connaître une augmentation exponentielle qui sera catastrophique pour les départements. Quant à la PCH, nous ne pouvons pas encore juger de ses conséquences puisqu'elle connaît actuellement une montée en charge.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous abordez-là une problématique générale. Nous devons déterminer de quelle manière il est possible de mener une politique nationale exigeante en laissant une marge d'initiative aux acteurs locaux. En effet, nous n'aurions aucun intérêt à nous contenter d'une déconcentration fonctionnelle.
M. Jean-François HUMBERT - Vous avez parlé d'un impôt dynamique. Pourriez-vous indiquer quelle forme il pourrait prendre ? Je vous adresse cette question, car les conseils régionaux avaient demandé la création d'un tel impôt. Or, aujourd'hui, avec l'augmentation du prix de l'essence qui leur garantit des rentrées fiscales conséquentes, nous ne les entendons plus à ce sujet. Je me demande donc à quel impôt vous faites allusion.
M. Michel DINET - Je n'ai pas réfléchi à cette question. Je continue à défendre l'idée que la solidarité nationale doit jouer son rôle. J'ai appelé à la création d'un impôt dynamique pour dénoncer la situation selon laquelle les dépenses des Départements dépendent de règles conçues au niveau national. Or, ces règles ne sauraient leur être imposées s'ils ont à assumer seuls leurs conséquences financières.
M. Jean-François HUMBERT - Je suis d'accord avec vous. C'est la raison pour laquelle nous aurions été intéressés de connaître vos propositions concernant la création de cet impôt dynamique.
M. Michel DINET - Je rêve qu'il y ait un jour, la mise en place, au niveau départemental, d'un impôt qui tiendrait compte de l'ensemble des revenus de la population. De la sorte, nous pourrions, nous, hommes politiques locaux, rendre compte, devant les citoyens, de ce qui a été fait de leur argent. Mais ce projet n'est pas encore prêt de voir le jour.
M. René-Paul SAVARY - Nous avons évoqué, au sein de l'ADF, la possibilité de transférer une partie du montant de la CSG aux Départements. Mais cette proposition ne fait pas l'unanimité pour l'instant. La question reste à creuser.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Je donne la parole à M. Guy Fischer.
M. Guy FISCHER - Votre point de vue sur la mise en place du RSA m'intéresse beaucoup. Celle-ci suscite l'inquiétude de nombreux départements et en particulier celui du Rhône et de son président, M. Mercier. La crainte est de voir exploser le nombre des futurs allocataires du revenu de solidarité active. Il nous avait été dit que ce dispositif serait expérimenté au niveau d'un certain nombre de départements compris entre 13 et 17. Or aujourd'hui, il existe dans 34 d'entre eux.
J'ai indiqué à M. Michel Mercier que nous n'avons pas besoin d'une proposition de loi pour assurer le contrôle comptable du dispositif du RMI. Il sera d'ailleurs question de ce sujet cette nuit. En effet, tous les élus départementaux confirment que la réduction du nombre de RMistes ne s'accompagne pas d'une baisse des dépenses proportionnelle au titre de cette allocation. Or ce fait me semble incompréhensible.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je suis une élue du Sud-Ouest et il me semble qu'un certain nombre de publics peuvent accéder à d'autres minima sociaux, en plus du RMI. Je pense notamment à l'AAH. Ne risquons-nous pas de voir des personnes cumuler les minima sociaux ?
M. Jean DESESSARD - L'Assemblée des départements de France est diverse. Y a-t-il des désaccords entre la droite et la gauche sur les sujets dont il est question ici ?
M. Michel DINET - Nous représentons les deux tendances politiques de l'assemblée et chacune d'elles est d'accord pour dire que l'engagement des départements dans le domaine de l'insertion est important et leur pose des problèmes financiers.
Concernant le RSA, je vous ai fait part des réflexions qui sont les nôtres aujourd'hui et qui n'ont pas encore fait l'objet d'une prise de position de la part de l'ADF. Comme vous le savez, l'Assemblée se réunit demain pour mettre en place son exécutif. Suite à une rencontre que nous avons eue avec lui la semaine dernière, elle a été saisie par M. Martin Hirsch d'une demande d'avis que nous allons lui transmettre. Dans ce cadre-là, nous bénéficions de l'expertise de départements comme la Marne où est expérimenté le RSA.
La Meurthe-et-Moselle avait proposé également d'être l'objet de l'expérimentation du RSA. Cependant, elle n'a pas confirmé son engagement dans cette opération. Les raisons en sont financières et ne sont pas liées à la nomination de M. le Haut-commissaire aux Solidarités actives. En effet, l'assemblée départementale avait voté à l'unanimité la mise en place de deux dispositifs à titre expérimental. L'un a été créé. Il porte sur un contrat aidé par lequel nous accompagnons des personnes vers l'emploi. L'autre concernait le RSA. J'avais été mandaté pour obtenir l'expérimentation de ce dispositif à une condition. Il fallait un partage clair des responsabilités des différents acteurs impliqués dans l'établissement de cette mesure et notamment que l'animation de la politique du RSA revienne aux départements et le financement des allocations complémentaires payées aux personnes provienne de l'Etat. Or, au stade de l'expérimentation, la décision a été prise d'aller vers un partage strictement égal des dépenses entre ces deux entités. Aussi, nous avons dû confirmer notre position selon laquelle, si la charge financière du dispositif n'est pas attribuée au stade de son expérimentation, sa généralisation occasionnera un très grand choc financier pour les Départements.
Au sein de l'ADF, nous sommes tous d'accord pour nous hâter lentement et aller jusqu'au bout des expériences. De mon côté, j'estime nécessaire de ne pas généraliser le dispositif du RSA aussi vite que prévu - il est programmé de le mettre en place au niveau national dès 2009 -, afin de tirer les leçons des expérimentations menées.
Ces dernières devraient être plus variées qu'elles ne le sont aujourd'hui d'un département à l'autre. Elles connaissent deux défauts à l'heure actuelle. D'une part, elles sont trop encadrées et laissent des marges de manoeuvre insuffisantes pour conduire à bien des initiatives dont il serait utile de faire le bilan. D'autre part, elles sont menées dans la précipitation. Je comprends la volonté du haut-commissaire de généraliser rapidement ce dispositif. Mais l'imposer à la hâte sur tout le territoire va poser de vrais problèmes. En effet, au plan financier, la répartition de la dépense n'est pas précisément établie. Or la simplification des dispositifs de prise en charge impose de la clarifier. Aujourd'hui, nous confondons certaines allocations telles que l'API - une allocation familiale et non professionnelle - avec d'autres de natures différentes.
C'est pourquoi nous demandons une pause dans le processus de décentralisation et que l'expérimentation du RSA soit correctement menée avant sa généralisation. Les résultats de la méthode, pour l'instant retenue, ne sont pas satisfaisants. L'idée même de revenu de solidarité active est pourtant bien accueillie, car elle tente de répondre au besoin d'éviter que les allocations reçues par les RMistes ne les démobilisent dans leur recherche l'emploi. Pour l'heure, d'énormes problèmes demeurent irrésolus et nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas, en effet, en train de créer des trappes à pauvreté. Il me semble qu'avec le RSA, nous privilégions la lutte contre la pauvreté, au détriment de l'insertion professionnelle et de l'emploi. Ce dispositif renvoie à des enjeux de société majeurs auxquels nous devons répondre, après avoir pris le temps d'analyser les résultats des expérimentations menées, pour ne pas susciter la polémique et permettre une montée en puissance des politiques adoptées. Je parle ici à titre personnel, en tant que président d'un département. Je ne m'exprime pas au nom de l'ADF.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, souhaite intervenir.
M. Bernard SEILLIER - Ma question a trait aux partenariats et aux compétences que vous avez évoqués précédemment. Vous avez indiqué que le département de la Marne s'est battu pour intégrer le service public de l'emploi. Je me demande donc si une collaboration existe entre les départements, les conseils régionaux et les communautés de communes dans la prise en charge de l'insertion. Par ailleurs, comment pouvons-nous faire pour ne pas briser la dynamique de développement des pays et des communautés de communes. Confier un rôle important aux départements risque en effet de déstabiliser ces entités.
S'agissant des institutions (maisons de l'emploi, missions locales) et des différentes commissions existantes, j'ai essayé, comme rapporteur de la loi de 1998, d'unifier ces dernières pour obtenir une seule commission, de niveau départemental, en charge de toutes les problématiques en matière d'insertion. Or il est apparu qu'un tel projet est difficile à réaliser.
Concernant les instruments pouvant nous servir à mener à bien les politiques qui nous occupent ici, je partage votre avis, M. le Président. Les départements doivent avoir des marges de manoeuvre dans leurs manières de procéder et pouvoir faire preuve d'imagination. Tout le monde peut tirer profit des leçons apprises et des expériences menées dans le domaine de l'insertion.
M. René-Paul SAVARY - Il m'est difficile de vous répondre, M. le rapporteur. Nous sommes passés un peu rapidement, pour moi, d'un sujet à un autre. Je souhaite compléter les propos de M. Michel Dinet et revenir sur les remarques de Mme la Présidente.
Prenons l'exemple de la PCH. Dans la Marne, 74 % des bénéficiaires de cette prestation disposent d'un contrat d'insertion, social ou professionnel. Le nombre d'allocations adulte handicapé y a en effet fortement augmenté. Rappelons que l'Etat finance l'AH. La maison départementale des handicapés donne, quant à elle, l'orientation de la politique à mener. Toutefois, elle ne la finance pas. Cette manière dont ont été mises sur pied la politique du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées n'est peut-être pas à généraliser. En ce qui me concerne, j'ai préféré, au niveau de mon département, créer un véritable GIP dont le Conseil d'administration compte les représentants des associations concernées par la politique du handicap.
Maintenant, considérons le cas d'un handicapé grabataire. Il peut vivre soit dans une MAS où sa prise en charge est assurée par l'action sanitaire et donc par l'Etat, soit à son domicile et dans ce cas, les prestations qu'il reçoit sont financées par le département. Or leur coût peut atteindre jusqu'à 12 000 euros par mois. Pourtant, un conseil général n'a pas les moyens de refuser à ses administrés de bénéficier de ce dispositif. Par conséquent, il doit être attentif à ce que sera l'orientation choisie concernant les politiques sociales. Selon l'option retenue, le budget engagé sera celui soit de l'Etat, soit du département.
J'en reviens au RSA. Je teste ce dispositif dans mon département. Je vous ferai parvenir les documents présentant les expériences menées sur le sujet. Nous en avons exposées quelques-unes, quatre en réalité, dans le cadre du PDI. Elles sont un peu caricaturales. Mais elles permettent de constater que le RSA peut véritablement jouer son rôle en matière de lutte contre la pauvreté en apportant un revenu complémentaire à celui issu du travail. Ce dispositif est toujours avantageux pour les personnes au RMI qui retrouve un travail. En tenant compte des prestations connexes liées à ce même RMI, il coûtera très cher.
Par conséquent, avant d'instaurer le RSA sur tout le territoire national et de savoir qui en assumera le coût, il est nécessaire que nous en ayons une évaluation dans les régions où il a été mis en place à titre expérimental. Celle-ci nous permettrait de savoir notamment comment il est possible d'inciter ses bénéficiaires à sortir du dispositif. M. Martin Hirsch ne m'a toujours pas apporté la réponse à cette interrogation. Ainsi, quand vous travaillez quelques heures tout en bénéficiant du RSA, vous n'avez pas intérêt à accepter un travail en CDI payé au SMIC. Vous touchez plus d'argent en étant titulaire du RSA qu'avec un emploi durable. Or ce dispositif a été conçu justement pour amener les gens à sortir du cadre du RMI. Aussi la question qui se pose est la suivante : comment allons-nous pousser les bénéficiaires du RSA à chercher un véritable emploi ? Comment accepteront-ils de réalisé un travail payé au SMIC ? Il serait préférable de trouver la réponse à ces deux questions avant de procéder à la mise en place du RSA sur tout le territoire national.
Par ailleurs, le fait que les revenus issus de la solidarité puissent être supérieurs à ceux provenant du travail représente un problème à terme et il convient de le solutionner avant d'envisager la généralisation du RSA. Au sein de l'ADF, nous souhaitons nous donner un peu de temps et nous engageons dans le dispositif de revenu de solidarité active que progressivement. Nous devons avancer pas à pas en nous adressant à des publics spécifiques. Si nous ne prenons pas ce soin, le RSA pourra être destiné à toutes les catégories de la population et pas uniquement à celles relevant des minima sociaux. Toutes les personnes qui travailleraient quelques heures par mois pour avoir des ressources égales à 30 % de celles correspondant au seuil de pauvreté pourraient bénéficier d'un revenu complémentaire par le biais du RSA.
M. Michel DINET - Mme la Présidente, nous n'avons pas encore abordé un point sensible. Il concerne le projet, défavorable pour une personne travaillant tous les jours pour gagner un SMIC, d'utiliser une partie de la prime pour l'emploi pour financer le RSA.
Le dispositif global de la politique d'insertion, tel qu'il est actuellement envisagé, devrait se présenter ainsi : 6 milliards d'euros seront déboursés pour le RMI, 1,5 milliard d'euros pour le RSA, 4 milliards d'euros pour la PPE.
En résumé, le RSA repose sur une idée partagée par tous, consistant à inciter les populations en mal d'insertion à travailler. Mais l'accélération donnée à sa mise en place est de nature à poser des problèmes politiques et techniques extrêmement difficiles à résoudre. C'est pourquoi certains demandent que les départements jouissent de plus de marges de manoeuvre dans le cadre de l'expérimentation de ce dispositif.
M. Guy FISCHER - Ce dont vous nous parlez expliquerait la hausse très importante du nombre de bénéficiaires du RSA. Ce dispositif fournirait un revenu beaucoup plus intéressant que le SMIC à un très grand nombre de personnes.
M. Michel DINET - Avec le RSA, nous privilégions la lutte contre la pauvreté, au détriment de l'insertion professionnelle et de l'emploi.
M. René-Paul Savary - Le RMI et le RSA s'inscrivent dans des démarches très différentes. Dans mon département, l'expérimentation que nous avons décidée de mener est davantage tournée vers l'insertion que vers la lutte contre la pauvreté. J'ai accepté ainsi d'attribuer des revenus de solidarité active à des personnes embauchées pour une durée de travail hebdomadaire de 9 heures au minimum, à quart-temps donc.
Le dispositif oblige de procéder à un calcul très pointu et individualisé des dépenses occasionnées et des prestations versées, celles-ci variant radicalement d'un public à l'autre en fonction des quotients familiaux ou du nombre d'heures travaillées. Aussi, je ne vois pas comment il est possible d'évaluer le coût réel du RSA sans tenir compte des expérimentations en cours, quand bien même ce dispositif ne serait réservé qu'aux ressortissants du RMI. Je suis tout à fait incapable de vous dire quel sera le coût du dispositif du revenu de solidarité active quand il profitera à 100 ou 200 bénéficiaires. En effet, les classes de population qu'il intéresse sont très hétérogènes. Par conséquent, il conviendra de faire très attention s'il est appelé à bénéficier l'ensemble des titulaires de minima sociaux.
Malgré les partenariats que nous établissons et leurs responsabilités croissantes dans la politique d'insertion, les conseils généraux ne disposent toujours pas d'une totale liberté d'action. Ils doivent constamment veiller à entretenir de bonnes relations avec l'Etat, l'ANPE et les régions. Par exemple, ils ont signé des conventions avec l'Agence nationale pour l'emploi pour payer le montant, très élevé, des prestations que celle-ci offre aux bénéficiaires du RMI. Ils ont négocié ensemble des lignes de poste.
La région étant responsable des politiques en matière de formation professionnelle, notre conseil général a passé également une convention avec elle. Dans le cadre de cet accord, nous avons accepté de continuer à verser le RMI à des personnes durant leur formation. Il s'agit là d'un fait exceptionnel, montrant que, pour nous, la personne formée relève du statut de stagiaire professionnel. Le coût de la formation est supporté à 50 % par la région et à 50 % par le département. Ce dernier finance donc la prestation sociale ainsi que la moitié du coût de la formation.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Beaucoup de départements fonctionnent-ils de la sorte ?
M. René-Paul SAVARY - Non. Ils sont seulement quelques-uns. Le président de région et moi, nous avons accepté à titre expérimental de procéder ainsi.
Pour en revenir à mon propos sur les collaborations que nous développons avec nos partenaires, le financement des CIAS et des CCAS dans nos politiques d'insertion est appelé à décliner, alors qu'il s'agit des acteurs instruisant les dossiers. Par conséquent, il devient nécessaire que tout le monde, dont les CAF et les missions locales, s'investisse sur le terrain pour atteindre l'objectif d'obtenir 74 % de contrats. Par ailleurs, l'Europe contribue financièrement à nos efforts par le biais du FSE. Enfin, nous avons signé des conventions avec des entreprises d'intérim.
Nous menons réellement une politique partenariale. Malheureusement, nous n'en maîtrisons pas les tenants et les aboutissants. Pourtant, nous aurions souhaité que la décentralisation soit mise en oeuvre jusqu'à son terme, de manière à pouvoir assumer l'entière responsabilité des politiques en matière d'insertion. Pour cela, nous aurions besoin de la création d'un impôt nous apportant les recettes nécessaires à la couverture des dépenses engagées, de pouvoir débourser les sommes appropriées et appréhender les effets collatéraux des décisions prises.
Pour l'instant, nous sommes complètement dépendants de la politique de l'Etat. Je comprends tout à fait la décision du gouvernement de procéder à des économies en diminuant de 50 % le nombre de contrats aidés. Mais celle-ci nous a été imposée brutalement et elle se traduira donc par une baisse du volume de contrats d'accès à l'emploi et de contrats d'avenir de 50 %. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que nos politiques d'insertion aboutissent à des résultats encourageants ? Ces contrats, financés en partie par les départements, permettaient à un certain nombre de personnes de sortir de leurs difficultés. Il faut du temps pour aider les gens et leur faire bénéficier de formations. Je déplore vraiment ce changement de cap, surtout que ces contrats aidés commençaient à porter leurs fruits. Leur disparition partielle condamne de nombreux individus à replonger dans les problèmes dont ils étaient en train de s'extraire, à s'inscrire à nouveau à l'ANPE, puis à redevenir RMistes.
M. Michel DINET - Dans mon département, nous avons mis en place les contrats TTEMM (Tremplin pour Travailler en Meurthe-et-Moselle) pour pourvoir au remplacement des personnes qui partent en retraite. Ils ont été créés au terme d'un travail entrepris en lien avec des associations, des entreprises marchandes et des organisations publiques.
Nous avons mis au point et généralisé une démarche innovante en partant de l'idée qu'il était possible de travailler dans le cadre d'un contrat TTEMM. Cette expérimentation a abouti à la création d'emplois qui n'existaient pas et sont appelés à être pérennisés dans un an ou deux. Elle repose sur une idée simple. Il s'agit de réintégrer les bénéficiaires du RMI sur le marché du travail grâce à une aide versée à l'employeur et un accompagnement professionnel et social. Nous essayons, dans le même temps, de mobiliser à leur profit des crédits de formation. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec le conseil régional à ce propos. Notre but est de permettre à des personnes en voie d'insertion de passer d'un travail à temps partiel à un travail à plein temps. Cette politique a abouti à des résultats intéressants avec, notamment, la mise en place de tutorats.
Ces contrats TTEMM sont des contrats à temps partiels durant entre six et dix-huit mois et se transformant, à leur terme, en contrats à durée indéterminée. Pour les mettre en oeuvre, nous nous reposons sur les contrats aidés, ceux financés par le département.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Ce contrat représente-il une innovation spécifique à votre département ?
M. Michel DINET - En effet. Nous avons demandé à l'expérimenter.
M. Bernard SEILLIER, Rapporteur - Pourriez-vous nous en communiquer un formulaire ?
M. Michel DINET - Bien sûr.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Travaillez-vous avec le secteur de l'IAE, de plus en plus privé du droit d'accès à des contrats aidés ?
M. René-Paul SAVARY - Nous travaillons bien sûr avec ce secteur. Mais notre collaboration se heurte à des obstacles, représentatifs des difficultés que nous rencontrons régulièrement.
A titre d'exemple, j'ai voulu développer des chantiers d'insertion dans mon département. Or leur mise en oeuvre est très difficile, car le conseil général n'a pas la totale maîtrise de ce dispositif où l'Etat joue un grand rôle en délivrant les contrats d'accès à l'emploi. Pourtant, ces chantiers ont pour nous un coût important. Ils nécessitent de faire appel à une très grande diversité de responsables pour être lancés. Ils sont extrêmement ardus à mettre sur pied et il m'a fallu deux ans de travail pour que le mien tourne à peu près correctement. Demain, si je dispose de moins de contrats d'avenir, il aura beaucoup de mal à fonctionner. Il est tourné vers l'environnement et la découpe de bois, des activités en phase avec la spécificité de mon territoire, et permet à des associations d'y adosser leurs propres chantiers, créés dans d'autres collectivités locales. Nous avons la possibilité de partager des postes de psychologues avec elles.
Mener ce type d'actions relève du parcours du combattant. Nous dépendons complètement des décisions de la direction départementale de l'emploi pour déterminer le nombre de personnes qui vont en bénéficier. Nous sommes aussi soumis aux autorisations qui nous sont ou non délivrées par les différentes directions. Enfin, une fois que toutes les conditions nécessaires à leur mise en route ont été réunies, les chantiers ne fonctionnent pas nécessairement. Si nous en avions la maîtrise, nous pourrions être plus efficaces. Je ne propose pas ici d'aller encore plus loin dans le mouvement de décentralisation, simplement de permettre aux départements d'exercer davantage leurs responsabilités, de manière à qu'ils obtiennent des résultats encore meilleurs que ceux auxquels nous pouvons prétendre aujourd'hui. En effet, nous sommes fiers de nos réalisations.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il s'agit là d'une expérience originale. Si vous avez d'autres initiatives de ce type à nous présenter, nous serions heureux de les connaître. Les réalisations qui sont le fruit de l'innovation et de l'imagination des départements nous intéressent beaucoup. Elles démontrent qu'en leur confiant des responsabilités sur le terrain, nous pouvons libérer la créativité.
J'ai une dernière question à vous poser. J'aimerais savoir si vous avez commencé à approfondir vos relations avec les partenaires sociaux autour de ce thème de l'insertion. Je m'interroge en effet sur les enjeux que cache la mise en avant de la responsabilité sociale des entreprises. Ce sujet a été particulièrement à l'honneur à Davos cette année. Au niveau des départements, des contacts exploratoires ont-ils été pris avec les partenaires sociaux pour en parler ?
M. René-Paul SAVARY - Tout à fait. Nous essayons, dans nos appels d'offre, de tenir compte de clauses sociales et environnementales. Nous faisons appel à la capacité d'innovation des entreprises en la matière. Pour les infrastructures, par exemple, nous sommes très attachés au concept de route propre. Nous utilisons des bitumes qui favorisent une réduction des émissions de CO 2 et des émissions sonores. Quand nous le pouvons, nous intégrons aussi des clauses sociales dans les marchés que nous passons, notamment ceux concernant des chantiers nécessitant beaucoup de main d'oeuvre. C'est ainsi que nous avons passé des conventions avec la CAPEB pour favoriser le recrutement de bénéficiaires du RMI par les entreprises du bâtiment. Ces actions doivent être menées avec volontarisme. Il est absolument vital de croire en elles pour obtenir des résultats. Sinon, le découragement est aisé. Sur cent bénéficiaires du RMI, moins de dix resteront en entreprise pendant six mois.
Dans notre département, nous utilisons les instruments que sont le CIRMA et le RMA. Par ailleurs, je pense que les sociétés de droit privé cherchent de plus en plus à faire preuve de citoyenneté et à avoir une attitude responsable d'un point de vue social. Il faudrait informer le gouvernement de ce mouvement, simple à comprendre mais pas toujours saisissable par les gens. Moins il y aura de personnes rencontrant des problèmes sociaux, plus de gens paieront l'impôt et plus les sommes déboursées par les collectivités publiques seront réduites.
M. Michel DINET - Dans mon département, nous procédons de la même manière que dans la Marne pour la passation des marchés et la mise en oeuvre des grands chantiers territoriaux. Par exemple, un très important travail d'insertion est mené dans le cadre de la reconstruction du château de Lunéville. Ce chantier est utilisé comme tremplin permettant à des personnes de s'orienter vers les métiers de la rénovation et du jardinage. Egalement, au sein de l'institution départementale, j'ai imposé que chaque budget spécifique participe de la politique d'insertion de la collectivité. Tous les secteurs sont concernés, qu'il s'agisse du transport ou de la culture. Chaque direction doit investir à hauteur de 200 000 € par an dans ce domaine. Ces actions interviennent en sus de celles qui sont conduites dans le cadre de notre politique d'insertion.
Cette approche a posé quelques difficultés au départ. En effet, si les responsables politiques étaient d'accord pour reverser une partie de leur budget au pot commun, ils l'étaient moins pour mener eux-mêmes les actions adéquates dans le cadre de leurs projets. Aujourd'hui, ces problèmes oubliés, nous inventons des politiques véritablement nouvelles dans les domaines de la culture, des transports ou de l'écologie, prenant en compte la nécessité de favoriser l'insertion. L'avancée est telle que nous nous introduisons maintenant dans les dispositifs d'aides alloués aux communes et aux groupements de communes des clauses incitant ces acteurs à participer financièrement à cette politique d'insertion.
Je n'ai pas complètement répondu à votre question relative à nos relations avec les partenaires sociaux. Nous avons discuté, au sein de notre établissement, de ce que nous souhaitons en matière d'insertion et des structures gestionnaires d'un certain nombre de politiques. Il est notable qu'il nous a fallu soumettre beaucoup de propositions aux partenaires sociaux pour qu'ils acceptent de se mettent autour de la table, afin de traiter de ce sujet.
Avec le transfert de la charge de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) aux départements. À cette occasion, le mode de gestion paritaire, tel qu'il existe aujourd'hui, pourrait être remis en cause. Force est de constater que la culture des syndicats français consiste à défendre les personnes bénéficiant d'un emploi et pas à accompagner les personnes en situation de pauvreté. Le rapport publié par M. Martin Hirsch sur le sujet avait ouvert une brèche. Le haut commissaire affirme aujourd'hui qu'il continue à entretenir des contacts avec les partenaires concernés par l'insertion et notamment les syndicats. Cette démarche peut être intéressante, non seulement en termes de résultats, mais aussi et surtout pour faire naître d'une culture partagée. En effet, je crois que nous avons intérêt à faire évoluer les esprits dans ce domaine.
Les lois qui ont été votées au cours des dernières années ont eu un impact très positif, dans le sens où elles ont permis de faire bouger les lignes. Ainsi, dans un établissement comme le nôtre, la culture du travail social a été fortement affectée par le passage d'une approche strictement sociale à une autre approche consistant en un accompagnement des personnes fragiles vers l'emploi. Ce changement s'est heurté à de nombreuses réticences, pour certaines contradictoires. Ainsi, certains nous ont dit qu'ils ne savaient pas faire ce que nous leur demandions, mais qu'ils ne voulaient pas que d'autres le fassent à leur place. Heureusement, nous n'en sommes plus là aujourd'hui. Tout un travail de formation a été effectué auprès des professionnels. L'évolution culturelle constatée aujourd'hui est le fruit d'un choix politique affirmé. Nous avons fermement indiqué le cap. Les partenaires appliquent les politiques que nous votons.
M. René-Paul SAVARY - C'est la raison pour laquelle nous devons faire preuve de prudence dans la mise en oeuvre du RSA. Si une personne travaillant 35 heures par semaine s'aperçoit qu'elle gagne moins qu'un de ses collègues soumis à 9 heures de travail par semaine et bénéficiant du RSA, elle risque de mal l'accepter.
M. Michel DINET - Selon la sociologue Dominique Méda, nous ne devrions pas être trop convaincus du rôle clef de l'incitation monétaire. En effet, cette dernière n'est pas décisive quand il s'agit de pousser les gens à sortir du dispositif du RMI. Elle l'est peut-être moins que la mise en place de mesures d'accompagnement pour favoriser la mobilité ou permettre à la garde des enfants. Aussi, pour Dominique Méda, il ne faudrait pas que, partant de l'incitation à travailler, nous soyons in fine confrontés à une démobilisation face à l'emploi. En effet, dans nos sociétés, la dignité vient du travail. Par conséquent, mettre en place un calcul selon lequel il serait préférable de recevoir le RSA plutôt que de travailler pour gagner un SMIC serait contreproductif. Prendre le temps d'expérimenter le RSA pour en voir tous les défauts sera sans doute de nature à nous rassurer et nous permettrait de prendre toutes les précautions nécessaires dans le cadre de la généralisation du dispositif. Nous n'avons pas uniquement affaire ici à des enjeux techniques et financiers. Il est aussi question de la dignité des personnes.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci Messieurs.