C. LA CONTRIBUTION DES TRANSFERTS SOCIAUX EN ESPÈCES À LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ
L'inégalité et la pauvreté sont étroitement liées l'une à l'autre ne serait-ce que parce que les indicateurs de pauvreté les plus traditionnels mesurent celle-ci de façon relative.
Dans ces conditions, même si des nuances doivent intervenir, il est conforme aux attentes de constater que dans les pays où l'intervention publique est relativement développée, la pauvreté ainsi mesurée est aussi relativement faible .
De fait, plus le niveau des dépenses publiques sociales est élevé, moins le taux de pauvreté (ici celui des personnes en âge de travailler) l'est .
TAUX DE PAUVRETÉ DES PERSONNES EN ÂGE DE
TRAVAILLER
ET DÉPENSES PUBLIQUES SOCIALES - 2000
(en points de PIB)
Note : Les dépenses publiques sociales ici prises en compte sont les dépenses publiques sociales hors santé et pensions. La pauvreté est définie relativement au seuil de la moitié du revenu disponible médian des ménages corrigé de leur composition.
Source : OCDE
Les pays situés le plus à gauche du graphique sont ceux dans lesquels le niveau des dépenses publiques sociales est relativement modéré. Les pays situés en haut du graphique sont ceux où le taux de pauvreté est relativement élevé. Il existe une forte corrélation de ce point de vue puisque les pays les plus à gauche du graphique sont aussi les pays où le taux de pauvreté est le plus important.
Inversement, de façon générale, les pays où le niveau des dépenses publiques sociales est le plus élevé sont aussi ceux où la proportion des pauvres est relativement faible .
On peut noter qu' il paraît exister une sorte de seuil minimum de pauvreté autour de 4 % de la population qui paraît résister aux effets d'une augmentation des dépenses publiques sociales. Ainsi, le contenu en réduction de la pauvreté des dépenses publiques sociales semble se réduire à mesure que celles-ci augmentent, venant buter sur le seuil mentionné ci-dessus.
Si la plupart des pays où le taux de pauvreté est élevé (au-delà de 12 %) sont extérieurs à l'Europe, l'Italie, l'Irlande et la Grèce - pays qui consacrent relativement peu de leurs richesses aux dépenses publiques sociales ici concernées - connaissent des taux élevés de pauvreté, de l'ordre de celui du Canada (environ 11 % de la population ).
Dans l'Union européenne, le taux de pauvreté diminue à mesure que les dépenses publiques sociales croissent . La pauvreté est plus importante au Royaume-Uni et en Allemagne (vers 8 % de la population ici considérée) qu'en France , en Suède ou au Danemark ( 6 % de la population ).
Une autre manière de rendre compte des ces réalités est de considérer le risque de pauvreté dans plusieurs situations :
- celle où il n'existerait pas de transferts sociaux ;
- la situation réellement observée compte tenu des transferts sociaux existants.
Selon le rapport de la Commission européenne sur la protection sociale et l'intégration sociale de 2006, le risque de pauvreté serait en l'absence de transferts sociaux de 26 points de pourcentage supérieur à ce qu'il est en réalité en moyenne (42 % contre 16 %) . Dans la réduction du risque de pauvreté, les pensions jouent un rôle important. En se fondant sur l'idée que leur sens est moins de réaliser une redistribution entre des catégories de personnes ayant des revenus différents que de lisser le revenu individuel tout au long de la vie, on peut les écarter de la mesure de l'effet des transferts sociaux internes de réduction du risque de pauvreté. Mais, même dans ce cas, ce risque est réduit significativement. Il passe de 25 à 16 %.
Le graphique ci-dessous montre que l'effet des transferts sociaux sur le risque de pauvreté varie selon le pays considéré de l'Union européenne .
L'IMPACT DES TRANSFERTS SOCIAUX
(AVEC OU SANS LES
PENSIONS SUR LE RISQUE DE PAUVRETÉ)
EN 2003 (EN POURCENTAGE DE
RÉDUCTION DU RISQUE DE PAUVRETÉ)
Source : Rapport conjoint sur la protection sociale et
l'inclusion sociale. 2006.
Commission européenne
Si on ne considère que l'effet des transferts sociaux hors pensions, les pays peuvent être rangés en quatre groupes dans l'ordre décroissant de la réduction du risque de pauvreté qu'ils exercent :
- les pays scandinaves (Finlande, Suède, Danemark) avec un abattement de plus de 60 % du risque de pauvreté ;
- les pays où cet abattement se situe entre 40 et 50 % comme la France , la Belgique , les Pays-Bas , l' Autriche ou le Luxembourg ;
- les pays où le risque de pauvreté n'est réduit qu'entre un tiers et 40 %, qui sont autour de la moyenne pour l'Union européenne (à 25 pays) : le Royaume-Uni , les pays baltes et l' Allemagne ;
- enfin, les pays où la diminution du risque de pauvreté attribuable aux transferts sociaux est très au-dessous de la moyenne de l'Union européenne : le Portugal , l' Espagne , l' Italie .
Cette hiérarchie est parallèle (sauf pour la République Tchèque) à celle du niveau atteint par les transferts sociaux ici considérés .
En revanche, il n'y a pas de corrélation nette entre le classement des pays effectué selon cet indicateur et celui réalisé en fonction de la part des dépenses sociales versées sous conditions de ressources dans le total des dépenses sociales.
LE POURCENTAGE DES TRANSFERTS SOCIAUX SOUS CONDITIONS
DE RESSOURCES
EN 2003 (PART DANS LE TOTAL DES TRANSFERTS
SOCIAUX)
Source : Source : Rapport conjoint sur la protection sociale et l'inclusion sociale. 2006. Commission européenne.
En moyenne, le pourcentage des transferts sociaux versés sous conditions de ressources est d'ailleurs bas dans l'Union européenne (10 % du total). L'Irlande occupe une position singulière de ce point de vue et la France comme le Royaume-Uni sont un peu plus « sélectifs » que les autres pays.
Mais, si elle a sans doute un impact, la concentration des transferts sociaux n'exerce pas un effet discriminant entre pays sous l'angle de l'incidence de la redistribution sociale sur le risque de pauvreté.
Les pays dans lesquels la conditionnalité est quasi-absente (le Danemark, la Suède) sont les pays où le risque de pauvreté est le plus allégé par les transferts sociaux . A l'inverse, le Royaume-Uni où le niveau relatif des transferts sociaux sous conditions de ressources est élevé n'est pas particulièrement performant en ce domaine.
Dans les faits, le niveau absolu des transferts sociaux exerce un effet décisif et, dans les pays où celui-ci est faible, malgré le « ciblage » qui est alors souvent mis en oeuvre, les transferts sociaux ne contribuent que médiocrement à réduire le risque de pauvreté .
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Au total, les transferts publics monétaires sociaux 98 ( * ) , qui représentent en moyenne moins de la moitié des dépenses publiques sociales et un peu moins du quart de la totalité des dépenses publiques ont des propriétés redistributives importantes . Elles diminuent les inégalités et la pauvreté.
Mais, ces propriétés varient selon les pays, en raison directe du niveau de ces dépenses dont le poids dans le PIB est dans l'OCDE très différencié puisqu'il va de 2 à plus de 14 points de PIB .
En outre, à supposer qu'on puisse généraliser le constat réalisé pour la France d'une concentration des effets redistributifs de ces transferts sur les déciles de revenu les plus défavorisés , ce qui est une hypothèse raisonnable 99 ( * ) , on peut estimer que ce sont les catégories disposant des revenus les plus faibles (à un moment donné) qui bénéficient le plus de la redistributivité associée à cette catégorie (minoritaire) de dépenses publiques.
* 98 Hors les dépenses de retraite dont la redistributivité est examinée au chapitre suivant.
* 99 La France occupe un rang élevé dans la hiérarchie des pays établie selon le niveau des dépenses de transferts sociaux. Or, il semble que moins les transferts publics sociaux sont importants plus ils sont concentrés sur les plus bas revenus.