III. LES DÉPENSES PUBLIQUES DE TRANSFERTS SOCIAUX CONTRE LA CROISSANCE ? SORTIR DU SLOGAN POUR AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DES POLITIQUES SOCIALES
Les dépenses publiques interviennent dans le cadre de deux grandes fonctions exercées par l'État :
- la production de biens et services non marchands ;
- les opérations de répartition du revenu.
La première coïncide avec la fonction d'allocation du revenu, la seconde avec celle de distribution.
Les problématiques que posent ces deux fonctions sont différentes , quoiqu'elles ne puissent être absolument distinguées en ce qu'elles peuvent concourir à des objectifs communs.
L' allocation du revenu pose essentiellement le problème de la mesure de l' efficacité des productions non marchandes . On a évoqué précédemment les questions qu'il convient à ce propos d'examiner et qui, pour l'essentiel, intéressent le rendement économique des productions publiques.
Les opérations de répartition du revenu peuvent poser des problèmes de même nature dans la mesure où elles consistent à créer un bien public - une plus grande égalité - ou à offrir un service public - une meilleure assurance. Par ailleurs, la production de biens publics peut contribuer à ces objectifs. Mais les termes de la discussion peuvent être ici davantage spécifiés : les effets de la répartition , à supposer que ses objectifs soient atteints, favorisent-ils la dynamique de l'économie ou, au contraire, se traduisent-ils par moins de croissance ?
C'est cette dernière question qui est traitée dans cette sous-partie du présent rapport qui, dans sa seconde partie, s'interroge sur la question de la portée réelle de la redistributivité des dépenses publiques.
Dans le débat sur les dépenses publiques, les dépenses de répartition ont un statut à part, étant plus souvent décriées que les dépenses de production non marchande, dont on reconnaît traditionnellement la nécessité (il faut bien un « État-gendarme ») voire l'utilité (il s'agit malgré tout en soi d'une production qui, au demeurant, peut se justifier par les insuffisances du marché et en favoriser l'épanouissement).
Les dépenses publiques de répartition sont souvent présentées comme purement « compassionnelles » , sans effets sur l'efficacité économique et, au contraire, susceptibles de réduire le rythme potentiel de croissance par leurs prolongements désincitatifs.
C'est donc à les réduire qu'il faudrait s'attacher, ce qu'entendent démontrer la plupart des études produites pour accréditer la théorie des effets bénéfiques structurels des politiques budgétaires restrictives (v. plus haut dans le présent chapitre).
Exprimée ainsi, la critique des dépenses publiques de répartition apparaît excessivement abstraite , voire désincarnée.
Ses prolongements concrets ne sont d'ailleurs jamais clairement explicités, ni au stade de la faisabilité d'une politique de réduction des opérations de répartition du revenu, ni à celui de ses incidences.
A l'examen, la faisabilité d'une telle politique pose des problèmes fondamentaux, comme le montre le fait qu'elle représente une inversion des préférences des agents économiques par rapport à leurs tendances historiques , marquées par la hausse des protections sociales publiques.
Sans doute peut-on identifier des marges de manoeuvre , probablement assez modestes au regard de l'ampleur prise par les dépenses de répartition, mais il faut alors envisager l'ensemble des conséquences de leur exploitation, notamment au regard de l' égalité des conditions , et tout particulièrement, de la pauvreté .
Compte tenu des gains envisageables quand on observe des données globales, la réduction des dépenses de répartition ne saurait être un objectif posé dans des termes aussi généraux que ceux évoqués plus haut. C'est dépense par dépense qu'il faut envisager d'optimiser la répartition .
A. LA RÉDUCTION DES DÉPENSES DE RÉPARTITION, QUELLE FAISABILITÉ ?
A priori , les dépenses publiques de répartition qui représentent près de la moitié des dépenses publiques offrent un « vivier d'économies » d'autant plus intéressant que ces dépenses sont censées désinciter au travail.
Cependant, la réduction de ces dépenses représenterait une rupture forte avec la tendance historique d'élévation du niveau de la protection sociale et de sa place dans les économies et sociétés développées à mesure de leur expansion.
On pourrait objecter à cela que l'intensité de la protection sociale publique varie selon les pays. Pour s'en tenir aux grands pays occidentaux, elle mobilise entre 16,2 points de PIB aux États-Unis et 31,3 points de PIB en Suède (soit un écart de 15,1 points de PIB, presque du simple au double).
Mais, ces données sont loin de représenter les préférences pour la protection sociale des individus qui peuplent les pays développés.
Elles rendent compte principalement du degré selon lequel ces préférences transitent par les administrations publiques.
En effet, on a constaté que lorsqu'on ajoute à ces dépenses publiques, les dépenses privées des individus, manifestations directes de leurs choix, la protection sociale atteint dans les pays développés des niveaux très proches .
Les dépenses de protection sociale nettes totales sont par exemple supérieures aux États-Unis à ce qu'elles sont en Suède. L'écart entre les États-Unis et la France, qui s'élève à 12,5 points de PIB pour les dépenses publiques brutes (2003) tombe à 0,4 point de PIB pour l'ensemble des revenus correspondant aux garanties sociales.
En somme, la collectivisation des besoins de protection sociale est loin d'avoir toute l'influence qu'on lui prête sur le partage global du revenu.
Elle apparaît surtout comme un moyen différent de satisfaire des besoins analogues .
Dans ces conditions, une réduction des dépenses publiques de protection sociale n'aurait pas nécessairement pour effet de diminuer le revenu affecté aux assurances sociales puisqu'elle pourrait être compensée par une élévation du niveau des dépenses privées de sécurisation sociale.
Ce constat, cohérent avec des données socio-économiques et culturelles marquées par un haut degré d'homogénéité, et avec la prédominance dans les dépenses de répartition de flux correspondant à la répartition dans le temps du revenu individuel, ne peut toutefois se passer de quelques nuances, ni être interprété comme équivalent à une indifférence microéconomique des systèmes de couverture des besoins sociaux .