ANNEXE N° 8 - LE SYSTÈME DE SANTÉ AUX ÉTATS-UNIS
La structure du système de santé des États-Unis réserve aux dépenses publiques de santé une part importante mais minoritaire .
L'assurance publique se limite aux populations les plus fragiles : les personnes âgées ou soufrant d'un handicap sont couvertes par le programme Medicare ; les ménages à bas revenus bénéficient du programme Medicaid .
Les dépenses publiques de santé recouvrent moins de la moitié des dépenses totales de santé (45,1 % en 2004 contre 73 % en moyenne dans l'OCDE).
Cette répartition a évolué et la part des dépenses publiques se rapproche de celle des dépenses privées du fait d'un mouvement de ciseaux qui est, pour beaucoup, dû à la baisse du taux de couverture assurée par le volet privé du système.
PART DES DÉPENSES DE SANTÉ
Source : CMS
MODES DE COUVERTURE SANTÉ
(EN % DE LA
POPULATION) EN 2005
Source : Bureau of Census
D'ores et déjà, du fait du niveau important des dépenses totales de santé aux États-Unis, les financements publics y représentent une part du PIB voisine de celles des autres pays de l'OCDE (7,2 % en 2004).
Les autres dépenses de santé sont des dépenses privées mais dont le financement sollicite partiellement l'intervention publique .
Les ménages qui souhaitent bénéficier d'une couverture santé doivent contracter une assurance privée , directement ou dans le cadre de leur emploi . Dans la très grande majorité des cas (neuf fois sur dix), ces assurances sont souscrites par les entreprises , pour le bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et leurs familles.
La loi n'oblige pas les employeurs à proposer cette couverture, mais des incitations fiscales stimulantes existent dans ce sens. Les valeurs des primes sont déduites à la fois des salaires imposables des salariés et de la base de calcul des cotisations sociales 138 ( * ) . Les souscriptions directes d'assurances privées sont plus rares.
Au total, les financements par les assurances occupent une place plus importante aux États-Unis qu'ailleurs ( 35,1 % du total en 2004 ). Les frais directement assumés par les ménages représentent une fraction de plus en plus modeste ( 12,6 % des dépenses en 2004 ).
Quand on cumule les dépenses publiques et les dépenses privées de santé aux États-Unis, c'est environ 16 % du PIB des États-Unis qui apparaît consacré à la fonction santé, contre une moyenne de 9 % en 2003 pour les grands pays de l'OCDE.
Les dépenses par tête s'élèvent pour leur part à 6.100 dollars, contre seulement 2.500 dans l'ensemble de l'OCDE .
PIB PAR TÊTE ET DÉPENSES DE
SANTÉ
(EN USD, PPA) - 2003
Source : OCDE
Ces données, qui témoignent d'une situation exceptionnelle, résultent d'une évolution des dépenses de santé particulièrement dynamique .
Entre 1965 et 2004 , le poids des dépenses de santé dans le PIB a augmenté de près de 10 points et a plus que doublé .
DÉPENSES DE SANTÉ
Sources : CMS, BEA
Les effectifs employés dans le secteur excèdent ceux de l'industrie manufacturière.
Ainsi, si la pression qu'exercent les dépenses publiques de santé sur le PIB est proche de la moyenne de l'OCDE, la pression totale des dépenses de santé est aux États-Unis sensiblement supérieure .
Si les dépenses privées de santé ne se traduisent pas en termes de prélèvements obligatoires 139 ( * ) , leur niveau et leur dynamique exercent des pressions financières fortes et croissantes sur les agents privés.
S' agissant des entreprises , elles se manifestent par l'importance des primes d'assurance acquittées .
ÉVOLUTION ANNUELLE DES PRIMES D'ASSURANCE-SANTÉ
Sources : KFF-HRET, BLS
Selon l'enquête annuelle menée conjointement par la Kaiser Family Foundation (KFF) et le Health Research and Educational Trust (HRET), les primes d'assurances ont progressé de 7,7 % en 2006 et de plus de 10 % l'an entre 2001 et 2004 .
Il est à noter que les rythmes de progression des dépenses publiques et privées de santé observés sur longue période sont très proches . Depuis 1970, les premières augmentent de 10,6 % par an et les secondes de 9,7 % .
La forte augmentation des dépenses publiques de santé est due à la hausse du nombre d'inscrits - passés de 20 à 42 millions depuis 1970, soit + 2,3 % l'an - et, surtout, à celle du coût moyen par bénéficiaire .
Cette hausse emprunte donc pour une part à des mécanismes qui expliquent aussi celle des dépenses privées. La progression des dépenses publiques se nourrit par ailleurs, indirectement, de celle des tarifs privés, qui incite certaines personnes à cesser de souscrire une assurance pour se placer dans le cadre des programmes publics. Medicaid s'est ainsi fortement développé au cours des dernières années, au moment même où les taux de couverture par une assurance d'entreprise diminuaient. La sélection de fait opérée par les assurances privées entraîne un déport des charges vers le système public.
La distinction entre les volumes et les prix des soins montre que ce sont surtout les prix qui dopent les dépenses de santé . Alors que les visites chez les médecins ont diminué du début des années 1980 au milieu des années 1990, et que les séjours à l'hôpital sont plus courts que par le passé, l'indice des prix des soins médicaux a augmenté régulièrement plus vite que l'indice total des prix à la consommation , ou même que celui des prix des services, au cours des vingt-cinq dernières années. L'augmentation des prix des soins résulte, quant à elle, de plusieurs facteurs parmi lesquels les avancées techniques. Les dépenses par attaque cardiaque seraient ainsi passées de 12.000 dollars en 1984 à 22.000 dollars en 1998 (en termes réels).
PRIX À LA CONSOMMATION
Source : BLS
Les perspectives des dépenses de santé sont nettement haussières . S'agissant des dépenses publiques, le Congressional Budget Office (CBO) a réalisé des projections à long terme, en retenant plusieurs hypothèses de croissance des dépenses de santé où les dépenses par bénéficiaire progressent de 2,5, 1 ou 0 point de pourcentage de plus que le PIB par habitant. Dans le cadre de l'hypothèse médiane, le coût de Medicare passerait de 2,7 % du PIB aujourd'hui à 8,6 % en 2050. Quant au coût total des deux programmes ( Medicare et Medicaid ), pour l'État fédéral , il passerait de 4,2 % du PIB actuellement à 12,6 % en 2050 . Dans le cadre de l'hypothèse la plus défavorable (qui ne l'est cependant pas plus que la tendance observée au cours des dernières décennies), les dépenses fédérales au titre de la santé atteindraient 21,9 % du PIB en 2050... soit légèrement plus que la totalité du budget fédéral actuel (20 %).
Les tendances en cours semblent difficilement soutenables .
Mais les solutions pour contenir la progression des dépenses publiques sont limitées : diminuer le nombre de bénéficiaires, la part des coûts pris en charge par le gouvernement fédéral, ou le coût total par bénéficiaire. A moins que des économies significatives ne soient dégagées grâce à une efficience accrue du système, de telles mesures entraîneraient des transferts de coûts vers les ménages, voire les assurances d'entreprise, ce qui ne réduirait pas la place occupée par la santé dans l'affectation du revenu national aux États-Unis .
En dépit de dépenses de santé particulièrement élevées, les performances sanitaires du système américain apparaissent relativement médiocres, au regard des grands critères usuels.
COMPARAISONS INTERNATIONALES (2004)
DES PERFORMANCES
APPARENTES DES SYSTÈMES DE SANTÉ
Source : OCDE
En termes d'espérance de vie à la naissance , en 2003, les États-Unis se positionnaient seulement au neuvième rang des pays de l'OCDE (sur un total de 30, en partant du bas), avec 77,2 années. Ce niveau est inférieur à la moyenne OCDE (77,8 années) et plus encore, à ceux constatés en France, au Canada, en Italie (plus de 79 années), au Japon ou en Espagne (plus de 80 années). La progression de l'espérance de vie constatée depuis le début des années 1960 aux États-Unis (+ 7,3 années) est de surcroît inférieure à celle enregistrée en moyenne au sein de l'OCDE (+ 9,3 années), les autres pays partant à l'origine de plus bas.
Le taux de mortalité infantile (6,9 pour mille en 2003, contre 5,7 pour mille au sein de l'OCDE) est peu satisfaisant . Enfin, il est à remarquer que les taux d'encadrement par des médecins ou des infirmières et le nombre de lits d'hôpitaux ne sont pas plus élevés qu'ailleurs .
Un problème majeur du système de santé américain réside dans la part non négligeable de la population qui ne dispose de couverture santé d'aucune sorte : 15,9 % en 2005, soit 47 millions de personnes . Cette proportion, qui a varié entre 12 % et 17 % au cours des deux dernières décennies, augmente depuis le début des années 2000.
PROPORTION DE LA POPULATION SANS COUVERTURE DE SANTÉ
Source : Bureau of Census
Ainsi, malgré une progression très rapide de leur montant, les dépenses de santé ne peuvent s'expliquer par une augmentation de la proportion des personnes couvertes. Le système semble, au contraire, devenir de plus en plus sélectif .
Au demeurant, la progression du nombre de personnes sans assurance résulte en grande partie de la hausse du coût de la santé, et plus précisément de ses répercussions sur les couvertures santé d'entreprise 140 ( * ) . Ainsi, des différences notables de taux de couverture sont constatées entre le secteur public et le secteur privé, puis, au sein du secteur privé, entre grandes et petites entreprises . La couverture est moins fréquente dans le privé et, a fortiori , au sein des petites entreprises. Les changements et les pertes d'assurances santé sont par ailleurs fréquents, allant de pair avec les mouvements de main-d'oeuvre (ce qui contribue à gonfler les coûts de gestion des assurances santé privées).
Le système est donc loin d'être efficient. Il coûte plus cher que d'autres et ne donne pas de meilleurs résultats .
Par ailleurs, le système d'assurance privée aux États-Unis semble produire d'importants effets pervers. Sur le marché des biens et services , la hausse du coût de la santé est accusée de susciter des distorsions de concurrence entre les entreprises qui proposent des plans santé et les autres.
Cette critique rejoint celle assez traditionnelle, dans certains pays européens, de l'impact des cotisations sociales sur la compétitivité. Elle va un peu au-delà puisqu'elle met en évidence les effets distorsifs qui résultent de l'absence d'universalité du système de financement des besoins de santé. Son caractère non obligatoire renforce les griefs de ses détracteurs comme étant à l'origine d'une rupture d'égalité de concurrence. Cette critique vaut d'être notée car il est assez peu usuel de rencontrer une revendication visant à élever le niveau des prélèvements obligatoires pour assurer l'équilibre concurrentiel. Il reste à vérifier que les pratiques différenciées des entreprises en matière de couverture des besoins de santé sont sans effets sur les salaires primaires (nets des avantages santé offerts par les entreprises) que supportent les employeurs.
Dans l'hypothèse contraire, qui paraît la plus probable, la problématique du coin fiscalo-social que connaissent les pays à haut niveau de taux de prélèvements obligatoires serait largement partagée, mais sous une autre forme, par les pays où le financement des dépenses santé est privé.
S'agissant du fonctionnement et de l'organisation du marché du travail , le poids élevé des engagements de santé semble entraîner des pratiques distorsives.
Pour éviter un gonflement de la facture santé, les entreprises peuvent être amenées à privilégier les contrats de travail à temps partiel ou à durée déterminée , si les critères d'éligibilité à l'assurance d'entreprise excluent telle ou telle catégorie de salariés de l'adhésion au plan de l'entreprise. Dans le même cas, le système d'assurance entreprise peut avoir pour conséquence d' accroître la préférence relative des employeurs en faveur des heures supplémentaires , par rapport à l'embauche d'un nouveau salarié puisque cela permet « d'amortir » davantage la prime d'assurance santé, celle-ci constituant un coût fixe par salarié.
La hausse du coût de la santé conduit les entreprises à tenter de se dégager des charges qu'elles supportent au titre du financement des besoins de santé .
La baisse de la couverture des retraités est spectaculaire : 35 % des entreprises de plus de 200 salariés offrent une couverture santé à leurs retraités, contre 66 % en 1998. L'accroissement de la participation financière des salariés , qui représente traditionnellement une fraction relativement faible de la prime totale, ou bien le renforcement des critères d'éligibilité des salariés au plan de l'entreprise (ancienneté requise, type de contrat de travail, etc.) semble se produire. Ainsi, alors que 44 % des salariés couverts par une assurance santé d'entreprise ne contribuaient en rien à son financement au début des années 1980, ils n'étaient plus que 28 % dans ce cas en 1998.
Selon les données du « Bureau of Census », la progression de la part de la population sans couverture santé depuis le début de la décennie (de 14,2 % en 2000 à 15,9 % en 2005) reflète essentiellement la baisse du nombre de personnes couvertes par une assurance d'entreprise (de 63,6 % en 2000 à 59,5 % en 2005) - et, à un moindre degré, par une assurance privée individuelle, de 9,5 % à 9,1 % -, tandis que le taux de couverture « public » s'est au contraire accru (de 24,7 % en 2000 à 27,3 % en 2005).
Les États-Unis ont mis en oeuvre plusieurs réformes destinées à limiter la croissance des dépenses de santé. Ces réformes semblent s'être heurtées à de fortes réticences des patients et des praticiens, si fortes qu'elles ont été délaissées . Aujourd'hui, le thème de la réforme est toutefois de retour. Mais, les solutions proposées ne paraissent pas aller au fond des problèmes.
Dans les années 1990 , un contrôle accru des dépenses de santé a été recherché, par le biais du développement des réseaux de soins intégrés (« managed care »). Ce mouvement a pris la forme de différents types d'accords entre assurances entreprises, salariés et fournisseurs de soins, visant à freiner la hausse des coûts. La prépondérance des paiements à l'acte a diminué, au profit des réseaux de soins. Les plans de santé classiques qui représentaient encore plus de deux tiers des couvertures à la fin des années 1980 (73 % en 1988, selon l'enquête KFF/HRET) n'occupent désormais qu'une place marginale (3 %). Ce déploiement du « managed care » a été contemporain d'un ralentissement sensible des dépenses de santé . Entre 1993 et 2000, ces dernières ne se sont pas accru plus vite que le PIB.
Cependant, petit à petit, les contraintes liées à ces réseaux ont été de moins en moins bien acceptées , par les patients (rationnement des soins, moindre capacité de choix, remboursements partiels) comme par les médecins (prix contraints, pratique encadrée). En réponse, les compagnies d'assurance ont proposé des formules de couverture moins contraignantes, qui ont rencontré le succès. La part de santé dans le PIB a, dès lors, renoué avec une tendance à la hausse marquée, de 13,8 % en 2000 à 16,0 % en 2004, alors qu'elle était restée stable au cours des sept années précédentes (13,8 % en 1993 également).
Les diverses pistes de réformes aujourd'hui évoquées sont très variées : mise en place d'incitations visant à modifier le comportement des patients ou des praticiens ; refonte globale du système avec l'instauration d'un système de couverture universel public.
- Réformer les incitations
Cette voie repose sur l'idée que la hausse rapide des dépenses de santé s'explique largement par le peu d'incitations qu'ont les ménages à limiter leurs frais, en raison des protections fournies par les assurances . Les assurances peuvent être amenées à soutenir la hausse des coûts par différents biais : en encourageant un recours excessif aux soins ; en dissuadant les consommateurs de rechercher des fournisseurs moins chers (d'où une hausse du pouvoir de fixation des prix de ces derniers) ; en diminuant les incitations qu'on les laboratoires à développer des produits moins chers que ceux existants. La principale mesure évoquée dans ce contexte est la suppression des déductions fiscales liées aux plans santé d'entreprise. Le développement de l'offre d'assurances « low cost », moins coûteuses et moins protectrices, est également évoqué. La montée en puissance des comptes épargne santé s'inscrit dans ce cadre.
Cette approche a cependant des limites. Le fait que les dépenses de santé soient fortement concentrées sur une minorité d'individus (20 % des personnes sont à l'origine de 80 % des dépenses) suggère que le dynamisme des dépenses de santé n'est pas tant lié à un excès de consommation de soins de « routine » qu' aux traitements longs, modernes et coûteux (qui ne peuvent, sauf exceptions, être financés que par le biais d'une assurance).
L' amélioration du système d'incitations concerne aussi les praticiens . Ceux-ci ne sont également pas incités à limiter la hausse des coûts. Diverses formules de maîtrise médicalisée des dépenses de santé sont proposées à l'instar de celle développée dans le cadre des « réseaux de soin intégrés ». Elles tendent à lier la rémunération de l'offre aux performances, c'est-à-dire aux résultats obtenus dans le respect des meilleurs pratiques.
Les propositions alternatives visant à instituer un système de couverture universel et public sont fondées sur le constat que la fragmentation du système de soins américain est à l'origine de surcoûts , à différents titres. En premier lieu, les coûts administratifs y sont plus élevés que dans un système intégré (modification des populations prises en charge, dépenses liées à la volonté des entreprises de limiter l'anti-sélection). Par ailleurs, le risque existe que les parcours de soins soient moins efficaces, dans un système fragmenté. Enfin, les grands systèmes publics disposent d'une plus grande capacité de négociation vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques qu'un ensemble d'intervenants privés.
Ces justifications sont, pour l'essentiel, techniques : il s'agit de limiter les coûts de transaction ; d'accroître les économies d'échelle des producteurs de soins et de renforcer leur pouvoir de négociation à l'égard de leurs fournisseurs.
Il n'est pas certain qu'elles puissent avoir toute l'efficacité nécessaire puisqu' elles ignorent les coûts de pilotage qu'implique la gestion de systèmes d'offres très intégrés et ne couvrent pas , du moins implicitement, l'ensemble des variables déterminant le coût du système de santé .
* 138 Ces exemptions fiscales représenteraient 150 milliards de dollars, soit 1 point du PIB des États-Unis.
* 139 Au contraire, puisque les exemptions fiscales accordées aux entreprises contribuent à réduire le taux de prélèvements obligatoires, de 1 point de PIB.
* 140 Il est intéressant de le relever quand l'extension de l'assurance privée est parfois avancée comme une solution pour infléchir la progression des dépenses de santé.