CONCLUSION GÉNÉRALE
Votre rapporteur nourrit l'espoir qu'au terme de l'examen de quelques grandes questions relatives aux dépenses publiques que propose ce rapport, on puisse porter sur les dépenses publiques un autre regard et qu'aux approches dogmatiques succède l'envie d'analyser pour mieux comprendre.
En ce domaine l'état de nos savoirs invite à des attitudes modestes et ne soutient pas les discours péremptoires et manichéens.
Simplificateurs à outrance, ceux-ci obscurcissent plus qu'ils n'éclairent les questions que posent les dépenses publiques et, finalement, nuisent à la qualité de la décision publique.
En alimentant les fantasmes, en dramatisant les termes des choix publics, ces approches vont à rebours de la méthode qu'il faudrait suivre et qui doit tendre vers l'évaluation la plus rigoureuse, complète et transparente possible.
Le présent rapport exprime une défiance et une critique, qu'on espère argumentées, face à une série de jugements généraux et imprécis qui conduisent à des visions caricaturales pour, finalement, ignorer les vraies questions que posent les dépenses publiques.
Premier constat : si les dépenses publiques atteignent des niveaux très différents dans les pays développés, on ne peut associer à cette observation celle d'une égale diversité au regard de l'emploi des ressources économiques.
Autrement dit, quand on effectue des comparaisons internationales rigoureuses, le niveau de l'intervention publique n'est pas un déterminant essentiel de l'utilisation globale du revenu et un niveau comparativement élevé de dépenses publiques ne signifie hypertrophie ni de la production non-marchande, ni du souci de protection sociale.
Au demeurant, sauf peut-être pour la défense, il n'existe dans aucun pays, une fonction que couvre en totalité les dépenses publiques qui y sont consacrées. Dans chaque domaine, des dépenses privées s'ajoutent aux dépenses publiques.
Ces additions varient dans leur ampleur inversement au niveau des dépenses publiques, dans des conditions qui diffèrent selon les pays et selon la catégorie de besoins concernés (le complément apporté par les dépenses privées est plus important dans le domaine de la protection sociale et de la santé 122 ( * ) que dans des domaines comme la sécurité ou les services généraux d'administration).
Mais, au total, il existe une convergence dans le niveau des ressources consacrées à la satisfaction des besoins correspondant aux champs de l'intervention publique.
Ce résultat est finalement peu susceptible d'étonner même s'il contraste avec le sentiment de grande diversité qu'inspire la considération de dépenses publiques très inégales : il correspond à l'idée que les agents économiques ont des aspirations très semblables.
Il montre aussi que les « arrangements » institutionnels n'ont pas l'importance décisive qu'on leur prête dès lors qu'ils ne diffèrent pas, fondamentalement, dans leur nature.
Le déterminant principal de l'utilisation des richesses économiques est le niveau même de ces richesses.
Là aussi, comment s'en étonner vraiment ? Si les agents économiques ont des aspirations homogènes, les différenciations existantes proviennent de l'inégale capacité - financière notamment - à satisfaire ces aspirations. Or, la contrainte financière est directement tirée du niveau de richesses.
Rien de ce qui précède ne doit conduire à renoncer aux explications plus microéconomiques , à la fois pour rendre compte plus précisément du niveau des ressources consacrées à chaque fonction (à cet égard, il semble essentiel de progresser dans la détermination des volumes offerts, d'un côté, et des coûts, de l'autre) et pour identifier les progrès d'efficacité envisageables.
Si tel n'était pas l'objet du présent rapport, au fil de ces pages quelques problématiques d'amélioration ont été parfois envisagées. En ce sens, si l'approche comparative ne suffit jamais, elle peut offrir quelques indices qui peuvent orienter des enquêtes approfondies. La situation du coût par élève dans l'enseignement secondaire en France, tout comme le coût exorbitant des services de santé aux États-Unis en offrent des illustrations.
De même, si les comparaisons montrent que le niveau des dépenses publiques ne détermine pas le niveau des richesses allouées à telle ou telle fonction, elles suggèrent quelques nuances comme le montrent les quelques données ci-après relatives au secteur de la santé, mais dont les mécanismes pourraient aussi bien s'appliquer à l'éducation.
L'une des faiblesses attribuées aux productions publiques réside dans l'absence de mécanismes permettant de garantir une production adéquate aux besoins. Par hypothèse, les prix font défaut et ne peuvent donc pas jouer leurs rôles de révélateur de préférences, tant pour les consommateurs que les producteurs. En outre, il existerait un biais généralisé à la hausse des dépenses publiques dans la mesure où leurs prescripteurs pourraient retirer de cette hausse plus d'avantages que d'inconvénients.
Un tel mécanisme a été fréquemment mis en cause dans le cadre de l'assurance-maladie. En ôtant à cette expression tout sens péjoratif, certains économistes on fait valoir qu'il pourrait exister une sorte de « collusion » entre les prescripteurs et les patients sur qui, du fait de l'organisation collective du système d'assurance maladie, ne s'exercerait aucune incitation à se montrer économes des deniers qui ne sont pas les leurs. On retrouve un problème, classique en économie, d'aléa moral qui se manifeste dès qu'un agent économique n'est pas le « payeur » de ces actes.
Cette approche théorique ne semble pas devoir s'appliquer sans nuances au domaine de la santé.
En effet, lorsqu'on observe deux échantillons de pays regroupant, l'un, ceux où les contributions privées (assurance privée et dépenses à la charge des patients) sont supérieures à la moyenne des pays de l'OCDE, l'autre où elles sont inférieures, on remarque que le premier groupe de pays alloue davantage de ressources à la santé (et à la moyenne) que le second.
Il apparaît, en particulier, que l'obligation de recourir à des assurances privées ne joue pas systématiquement dans le sens d'une réduction des dépenses. Les pays dans lesquels le financement par les assurances privées est supérieur à la moyenne connaissent, globalement, des dépenses de santé supérieures aux autres.
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE CONTRIBUTION
PRIVÉE
ET LE NIVEAU DES DÉPENSES DE SANTÉ
DANS LES
PAYS OÙ LA PREMIÈRE EST
SUPÉRIEURE
À LA
MOYENNE
Pays |
Part du financement privé dans le total |
Niveau du total
|
Australie |
31,1 |
8,9 |
Autriche |
30,3 |
8,0 |
Canada |
29,1 |
9,2 |
Corée |
55,6 |
5,9 |
Mexique |
54,1 |
6,6 |
Pays-Bas |
36,7 |
8,9 |
Espagne |
28,6 |
7,5 |
Suisse |
44,4 |
10,7 |
États-Unis |
55,6 |
13,9 |
Moyenne OCDE |
27,6 |
8,8 |
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE CONTRIBUTION
PRIVÉE
ET LE NIVEAU DES DÉPENSES DE SANTÉ
DANS LES
PAYS OÙ LA PREMIÈRE EST
INFÉRIEURE
À LA
MOYENNE
Pays |
Part du financement privé dans le total |
Niveau du total
|
République Tchèque |
8,6 |
7,3 |
Danemark |
17,6 |
8,6 |
Finlande |
24,4 |
7,0 |
France |
24,0 |
9,5 |
Allemagne |
25,1 |
10,7 |
Hongrie |
24,9 |
6,8 |
Islande |
15,6 |
9,1 |
Irlande |
20,0 |
6,5 |
Italie |
24,7 |
8,4 |
Japon |
21,7 |
7,6 |
Luxembourg |
10,5 |
5,6 |
Nouvelle Zélande |
24,3 |
8,2 |
Norvège |
14,5 |
8,3 |
République Slovaque |
10,7 |
5,7 |
Moyenne OCDE |
27,6 |
7,2 |
Est-ce à dire que l'obligation de supporter tout ou partie du coût des consommations de santé est sans effet sur le niveau de celle-ci ?
La réponse est intuitivement négative et, de fait, il semble que le niveau de la contribution laissée à la charge des patients - celle qui n'est pas assurée - influence le niveau global des dépenses .
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE FINANCEMENT PAR DES
ASSURANCES PRIVÉES
ET LE NIVEAU DES DÉPENSES DE
SANTÉ
DANS LES PAYS OÙ LA PREMIÈRE EST
SUPÉRIEURE
À LA MOYENNE
Pays |
Part du financement
|
Niveau du total
|
Australie |
7 |
8,9 |
Canada |
11,4 |
9,2 |
France |
12,7 |
9,5 |
Allemagne |
12,6 |
10,7 |
Corée |
8,7 |
5,9 |
Pays-Bas |
15,5 |
8,9 |
Suisse |
10,5 |
10,7 |
États-Unis |
35,6 |
13,9 |
Moyenne OCDE |
14,25 |
9,7 |
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE FINANCEMENT PAR DES
ASSURANCES PRIVÉES
ET LE NIVEAU DES DÉPENSES DE
SANTÉ
DANS LES PAYS OÙ LA PREMIÈRE EST
INFÉRIEURE
À LA MOYENNE
Pays |
Part du financement
|
Niveau du total
|
Autriche |
7,0 |
8,0 |
Danemark |
1,6 |
8,6 |
Finlande |
2,5 |
7,0 |
Hongrie |
0,3 |
6,8 |
Irlande |
6,8 |
6,5 |
Japon |
0,3 |
7,6 |
Luxembourg |
1,6 |
5,6 |
Mexique |
2,5 |
6,6 |
Nouvelle Zélande |
6,2 |
8,2 |
Norvège |
0,0 |
8,3 |
Espagne |
4,0 |
7,5 |
Moyenne OCDE |
3,0 |
7,3 |
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE LA CONTRIBUTION
LAISSÉE À LA CHARGE
DES PATIENTS ET LE NIVEAU DES
DÉPENSES DE SANTÉ
DANS LES PAYS OÙ LA PREMIÈRE
EST
SUPÉRIEURE
À LA MOYENNE
Pays |
Part des dépenses
|
Niveau du total
|
Finlande |
20,7 |
7,0 |
Hongrie |
21,3 |
6,8 |
Italie |
20,3 |
8,4 |
Corée |
41,3 |
5,9 |
Mexique |
51,6 |
6,6 |
Espagne |
23,7 |
7,5 |
Suisse |
32,9 |
10,7 |
Moyenne |
30,2 |
7,6 |
COMPARAISON ENTRE LE NIVEAU DE LA CONTRIBUTION
LAISSÉE À LA CHARGE
DES PATIENTS ET LE NIVEAU DES
DÉPENSES DE SANTÉ
DANS LES PAYS OÙ LA PREMIÈRE
EST
INFÉRIEURE
À LA MOYENNE
Pays |
Part des dépenses
|
Niveau du total
|
Australie |
18,5 |
8,9 |
Canada |
15,8 |
9,2 |
République Tchèque |
8,6 |
7,3 |
Danemark |
16,0 |
8,6 |
France |
10,2 |
9,5 |
Allemagne |
10,6 |
10,7 |
Islande |
15,2 |
9,1 |
Irlande |
13,3 |
6,5 |
Japon |
16,8 |
7,6 |
Luxembourg |
7,7 |
5,6 |
Pays-Bas |
8,8 |
8,9 |
Nouvelle-Zélande |
16,8 |
8,2 |
Norvège |
14,0 |
8,3 |
République Slovaque |
10,7 |
7,5 |
États-Unis |
14,8 |
13,9 |
Moyenne |
13,2 |
8,7 |
On observe une certaine corrélation entre la contribution laissée à la charge des patients et le niveau des dépenses de santé : plus la première est élevée, plus la seconde est, relativement, faible et vice versa .
Il serait prématuré de conclure de cette corrélation à l'existence d'une relation de causalité d'autant que dans plusieurs cas (Italie, Suisse) quoique les coûts à la charge des patients soient très supérieurs à la moyenne, les dépenses de santé le sont aussi. On peut même relever quelques résultats remarquables comme le niveau relativement élevé des dépenses de santé dans des pays où le financement direct par les patients atteint des niveaux exceptionnels.
Il serait encore plus aventureux de faire une préconisation générale du développement des financements privés à côté des systèmes publics comme solution au problème d'optimisation de la production publique ou des prestations sociales.
Une telle voie pose un très grand nombre de problèmes économiques et de principe qu'on peut évoquer à partir de quelques réflexions sur l'opportunité d'amplifier la partie privée des assurances sociales.
La partie la plus importante des dépenses publiques correspond dans les pays de l'OCDE à des assurances contre des risques sociaux . C'est aussi pour ces dépenses publiques que la diversité des situations nationales est la plus forte au regard de leur niveau relatif.
Ces données conduisent à s'interroger sur l' opportunité d'une substitution entre systèmes privés et systèmes publics de protection sociale, particulièrement, dans les pays où les dépenses publiques atteignent un niveau élevé relativement aux autres.
L' argument principal est que, dans ces pays, la collectivisation des assurances sociales comporte en soi un effet d'augmentation de la fraction du revenu national qu'elles attraient . Un second argument est alors cité : la coexistence dans les systèmes publics d'assurance de deux logiques , celle de pure assurance à côté d'une logique de redistribution , qu'il serait possible de séparer, ce qui permettrait de limiter l'ampleur des systèmes publics de protection sociale, et, de ce fait, le risque précité.
De fait, la plupart des dépenses sociales relèvent d'une logique d'assurance contre les risques 123 ( * ) : la maladie, le chômage et même la vieillesse. Dans ce dernier cas, même s'il est sans doute plus justifié d'évoquer un mécanisme de report de salaires entre le temps de l'activité et celui de l'âge de la retraite (les pensions de retraite sont, à juste raison, qualifiées de revenus différés), un élément d'incertitude demeure dans la durée de survie, qui appelle assurance.
Dans ces conditions, on fait valoir que des systèmes d'assurances privées pourraient aussi bien intervenir que les systèmes publics . On pourrait ainsi réserver aux systèmes publics les domaines dans lesquels il est seul à pouvoir intervenir : la redistribution et les risques difficilement assurables par des assureurs privés.
Cette proposition est formulée dans le cadre d'une critique des systèmes publics d'assurance, qui sont présentés comme comportant, en soi, un mécanisme d'inflation des couvertures assurantielles (le risque d'aléa moral) .
Il existerait dans ces systèmes, du fait de la discordance entre le coût de l'assurance et ses « retours », un risque de voir les assurés augmenter les occurrences d'indemnisation par rapport à ce qui se produirait dans un état plus naturel, s'ils devaient subir personnellement les conséquences financières de leurs comportements.
Ainsi, en réservant les assurances aux seuls risques que ne peuvent pas prendre en charge les assurances privées, on serait assuré d'une plus grande autodiscipline des assurés.
Il reste que cette critique, ainsi que la voie de solution proposée - l'extension des assurances privées - ne sont pas sans faiblesses .
En premier lieu, les éventualités concrètes où les assurés modifieraient leurs comportements pour tirer parti des assurances qui les couvrent sont sans doute beaucoup plus rares que ne le laisse supposer la généralité de la critique . S'agissant de l'assurance-maladie ou contre le chômage, on peut difficilement penser qu'il est usuel de décider de tomber malade ou de devenir chômeur. Il en va de même pour l'assurance-retraite, le vieillissement n'étant pas encore complètement maîtrisable. Sans doute, peut-on repérer dans ces différents domaines quelques occasions concrètes de comportements excessifs : surconsommation médicale, durée de chômage voire mise en retraite pour ne pas « perdre ses droits ». Mais, outre que ces éventualités pourraient également se manifester dans le cadre d'assurances privées, leur quantification est souvent vague et des moyens existent pour essayer de limiter ces pratiques excessives.
Au total, il n'y a pas de raisons pour que les systèmes publics d'assurances se montrent moins efficaces pour lutter contre les abus, en recourant à des contrôles ou à des incitations financières (tickets modérateurs, franchises...).
On pourrait imaginer des incitations financières individuelles et de rapprocher des systèmes d'assurance privés, afin que le coût de l'assurance publique soit alors aussi individualisé que dans un système privé.
Mais une telle voie a ses limites. La logique des systèmes privés, fonctionnant en conformité avec les modèles théoriques, est que des demandes non frauduleuses soient insatisfaites du fait de la contrainte financière que subissent certains, ou parce que l'offre d'assurance du risque n'existe pas. Cette logique est évidemment bien différente de celle des systèmes publics ou mutualistes qui impliquent des solidarités.
En effet, en théorie, les assurances privées proposées dans un contexte de concurrence, ne peuvent offrir le cadre d'une telle redistribution. Par ailleurs, elles ne peuvent tout assurer et donc offrir la même profondeur de garanties qu'un système public.
Pour l'essentiel, une assurance privée ne peut pas proposer de contrats occasionnant des pertes structurelles, ce que réalisent les assureurs publics, par exemple dans le cadre des prestations non contributives. Si tel était le cas, ils devraient surfacturer d'autres contrats pour se couvrir contre ces pertes, ce qui ne manquerait pas de faire fuir les contractants concernés vers des concurrents. L'assureur privé ne peut faire autrement que tarifer ces offres en fonction du coût de la protection (et non des revenus comme le font en général les assureurs publics), tenir compte au plus près de ce coût c'est-à-dire moduler ses prix en fonction des facteurs de risques observables (parfois, la loi doit l'interdire) ou introduire des mécanismes de cette nature (clauses de bonus-malus ; offres séparées de contrats, les uns « tous risques », onéreux car couvrant les mauvais risques, les autres de couverture partielle).
A ces caractéristiques propres aux assurances privées, qui expliquent qu'elles ne se prêtent guère à des transferts redistributifs, s'en ajoutent d'autres qui les différencient aussi des assurances publiques : le prépaiement des coûts, à travers des primes calculées en fonction du coût du risque ; la durée limitée des couvertures offertes ; l'absence d'offres dans des domaines où l'assurance peut être manipulée par l'assuré (chômage par exemple).
De fait, l'extension des systèmes d'assurances privées, qui romprait avec une tendance historique à l'universalisation des assurances sociales, s'accompagne de discriminations dont témoignent les taux de pauvreté dans les pays où elle est le plus pratiquée.
Finalement, seules des évaluations rigoureuses semblent susceptibles d'inspirer des mécanismes réellement adaptés à l'optimisation de telle ou telle dépense publique . Elle passe sans doute par des processus de responsabilisation qui suppose notamment d'améliorer l'information des usagers sur les incidences de leurs choix 124 ( * ) .
Deuxième constat : les relations négatives entre les dépenses publiques, l'épargne, l'investissement, la croissance économique et le pouvoir d'achat ne résistent pas à l'examen empirique, lorsqu'elles prennent une tonalité générale.
Il y aurait sans doute beaucoup à gagner à accroître notre expertise en ce domaine plutôt qu'à consacrer des efforts à construire des schémas ou des argumentaires pro domo qui ne satisfont que les esprits indifférents aux exigences de l'analyse.
Hormis la nécessaire mise à niveau de nos indicateurs usuels de mesure du bien-être, qui devrait progresser grâce à la très louable initiative de M. le Président de la République d'approfondir la réflexion sur ce sujet, il faudrait mettre l'accent sur la connaissance de la contribution des dépenses publiques à la croissance potentielle.
En ce domaine, les effets désincitatifs des dépenses publiques semblent relever plutôt du fantasme que de l'expérience. De même, on ne peut être insensible à la contribution de l'éducation, de la santé, de la recherche, de la cohésion sociale à la croissance économique, toutes variables que sont le champ d'élection privilégié des dépenses publiques.
Reste bien entendu ici aussi à doser celles-ci afin que leur efficacité soit maximale.
C'est là encore l'affaire d'une évaluation rigoureuse.
Troisième constat : si le niveau des dépenses publiques n'est pas une variable déterminante sous l'angle de l'allocation globale des ressources économiques à tel ou tel emploi, il est beaucoup plus décisif au regard du niveau des inégalités et de la pauvreté monétaires sans toutefois avoir, qualitativement, des prolongements aussi positifs qu'il serait souhaitable .
Appréciée au niveau de l'OCDE, la redistributivité des dépenses publiques est une propriété avérée dont la portée quantitative dépend principalement du niveau des dépenses publiques.
Dans tous les cas, la redistributivité s'exerce essentiellement au profit des plus démunis. Mais, paradoxalement, elle est plus importante dans les « systèmes » universels que dans ceux où l'intervention publique est concentrée sur les populations les plus en difficultés parce que, dans le second cas, les dépenses publiques sont fréquemment très modestes.
On pourrait imaginer d'optimiser la redistributivité des dépenses publiques en retenant, des « systèmes » universels, le niveau de la redistributivité de l'intervention publique, et des « systèmes » sélectifs, la conditionnalité. Mais, il faudrait démontrer que la modicité des avantages distribués dans les seconds est le fruit d'un hasard (la concentration des prestations en espèces et en nature sur les plus démunis ne risque-t-elle pas de rimer avec un sous-développement structurel de ces prestations ?) et qu'il est indifférent pour la situation des personnes à revenus intermédiaires que l'intervention collective s'exerce au bénéfice de tous. Dans les faits, en France, les dépenses publiques, qui certes bénéficient relativement plus aux moins dotés, sont aussi accessibles aux personnes relativement mieux positionnées sur l'échelle des niveaux de vie.
Pour votre rapporteur, il est plus fécond de s'attacher à clarifier deux sujets fondamentaux :
- le premier correspond au choix des objectifs de réduction des inégalités et de la pauvreté , choix politique mais aussi économique, global mais aussi au coup par coup, national mais aussi régional (au sens du régionalisme économique mondial). Sous ce dernier angle, votre rapporteur estime qu'au-delà de l'énoncé global d'un objectif européen de « cohésion sociale », il est essentiel de déterminer des indicateurs communs aux pays de l'Union européenne et de progresser sur la voie d'un consensus réaliste quant aux moyens de les mettre en oeuvre ;
- le second concerne les moyens de transformer la redistributivité quantitative en une vraie « redistribution » des chances , et des conditions, de passer d'une redistributivité réparatrice à une redistributivité positive . Cette ambition est forte, mais elle est indispensable. Sans que cette voie soit la seule, elle passe sans doute par une plus grande effectivité des objectifs que nous nous sommes fixés dans le domaine de l'éducation, à savoir que celle-ci contribue réellement à l'égalité des chances.
Tournant le dos aux discours simplificateurs, il nous reste à poursuivre notre effort de compréhension d'une réalité qui, par ses enjeux économiques et sociaux, mérite des évaluations apaisées.
* 122 Domaines dans lesquels les niveaux de dépenses publiques sont particulièrement dispersés.
* 123 La politique familiale n'échappe pas complètement à cette logique même si elle est plus nettement redistributrice qu'assurantielle.
* 124 Voir les réflexions en cours, notamment au sein de votre délégation pour la planification, sur l'évaluation des universités.