B. UNE PRATIQUE SÉVÈREMENT SANCTIONNÉE

La maternité pour autrui contrevient à une règle fortement enracinée dans notre droit de la filiation, fondée sur le vieil adage romain « mater semper certa est », en vertu de laquelle la mère est celle qui accouche. Aussi fait-elle l'objet de sanctions pénales et civiles.

1. Des sanctions pénales

Au regard de la loi pénale, la maternité pour autrui constitue une supposition d'enfant, réprimée en tant qu'elle constitue une atteinte à la filiation. Des sanctions sont ainsi prévues à l'égard des auteurs de cette infraction, des intermédiaires et de leurs complices.

La supposition d'enfant consiste en effet à attribuer la maternité d'un enfant à une femme qui n'en a pas accouché.

Sous l'Ancien Régime puis sous l'empire de l'article 345 du code pénal de 1810, elle constituait un crime passible de cinq à dix ans de réclusion. Il s'agit désormais d'un délit . L'article 227-13 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende « la substitution 9 ( * ) volontaire, la simulation 10 ( * ) ou dissimulation 11 ( * ) ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant », ainsi que leur tentative.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « les délits de simulation et de dissimulation d'enfant, prévus par l'article 227-13 du code pénal (...) constituaient les deux aspects des faits de supposition d'enfant qualifiés par l'article 345 ancien dudit code » car « la supposition impliquait tant la simulation de la naissance par la mère fictive que la dissimulation de la maternité de la mère réelle 12 ( * ) ».

La chambre criminelle de la Cour de cassation a également jugé qu'il s'agissait d' infractions clandestines par nature . Dès lors, le point de départ du délai triennal de prescription de l'action publique se situe au jour où ces infractions sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant l'exercice des poursuites 13 ( * ) .

Doivent être considérés comme coauteurs d'une dissimulation suivie d'une simulation la mère porteuse d'un enfant promis à un couple qui aura organisé son accouchement secrètement, la mère intentionnelle qui aura simulé une grossesse et le mari de cette dernière qui aura déclaré à l'état civil l'enfant légitime du couple.

Le code pénal prévoit deux modes de complicité : la complicité par aide ou assistance et la complicité par provocation. Pourront ainsi être poursuivies comme complices les personnes qui auront prêté un local pour l'accouchement dissimulé, celles qui auront faussement déclaré avoir assisté à l'accouchement fictif ou encore l'officier de l'état civil qui aura enregistré en connaissance de cause une déclaration inexacte.

La supposition d'enfant peut s'accompagner d'un faux commis dans une écriture publique , puni par l'article 441-4 du code pénal de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. Il a toujours été admis que de fausses déclarations à l'état civil pouvaient constituer un faux en écritures publiques à condition de porter sur un élément essentiel de l'acte et non sur un détail dépourvu de force probante 14 ( * ) .

La supposition d'enfant devrait donc se cumuler avec le faux en écritures publiques toutes les fois que l'auteur souscrit une déclaration de naissance contraire à la réalité.

S'agissant des intermédiaires , l'ancien article 353-1 du code pénal, inséré par l'ordonnance n° 58-1298 du 22 décembre 1958 à la suite des articles 349 à 353 qui incriminaient déjà le délaissement de mineur ou d'incapable, réprimait la provocation à l'abandon d'un enfant né ou à naître, le fait de faire souscrire un engagement d'abandon et l'entremise à l'adoption dans un esprit de lucre.

Sur le fondement de ces dispositions, le Conseil d'Etat avait admis, en 1988 15 ( * ) , la légalité du refus d'inscription de l'association « les Cigognes » au registre des associations tenu par un tribunal d'instance en considérant que « l'association requérante a ainsi pour objet de favoriser le développement et de permettre la réalisation de pratiques selon lesquelles une femme accepte de concevoir un enfant par insémination artificielle en vue de céder, dès sa naissance, l'enfant qu'elle aura ainsi conçu, porté et mis au monde à une autre femme ou à un couple ; que de telles pratiques comportent nécessairement un acte, quelle qu'en soit la forme, aux termes duquel l'un des parents s'engage à abandonner un enfant à naître ».

L'article 227-12 du code pénal réprime désormais la provocation à l'abandon, l'entremise en vue d'adoption et, depuis la loi bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, « le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».

La provocation à l'abandon est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. L'entremise en vue de l'adoption, dans un but lucratif, et l'entremise en vue d'une maternité de substitution, en l'absence de but lucratif, sont punies d' un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende , tout comme leur tentative. S'agissant de l'entremise en vue d'une maternité de substitution, ces peines sont doublées lorsque les faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif .

Seuls les intermédiaires peuvent être poursuivis et sanctionnés sur ce fondement, à l'exclusion de la mère de substitution et des parents intentionnels. En revanche, le couple demandeur pourrait éventuellement tomber sous le coup de la provocation à l'abandon, si la preuve en était rapportée.

Les personnes morales coupables de ces infractions encourent, outre des amendes et diverses autres peines, la dissolution.

Ces sanctions pénales sévères, destinées à être dissuasives, viennent en renfort des sanctions prévues par le code civil.

2. Des sanctions civiles

Sur le plan civil, les conventions de maternité pour autrui ont été sanctionnées par la Cour de cassation, sur le fondement des articles 6 16 ( * ) , 311-9 17 ( * ) et 1128 18 ( * ) du code civil, avant d'être formellement prohibées par la loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

En 1989 19 ( * ) , la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi validé la dissolution de l'association « Alma Mater » , prononcée par les juges du fond en application de l'article 3 de la loi du 1 er juillet 1901 relative à la liberté d'association, au motif que :

- « l'objet même de l'association est de favoriser la conclusion et l'exécution de conventions qui, fussent-elles verbales, portent tout à la fois sur la mise à la disposition des demandeurs des fonctions reproductrices de la mère et sur l'enfant à naître et sont donc nulles en application de l'article 1128 du code civil ;

- « ces conventions contreviennent au principe d'ordre public de l'indisponibilité de l'état des personnes en ce qu'elles ont pour but de faire venir au monde un enfant dont l'état ne correspondra pas à sa filiation réelle au moyen d'une renonciation et d'une cession, également prohibées, des droits reconnus par la loi à la future mère ;

- « l'activité de l'association, qui tend délibérément à créer une situation d'abandon, aboutit à détourner l'institution de l'adoption de son véritable objet qui est, en principe, de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu . »

Elle a également jugé que :

- « la reconnaissance du caractère illicite de la maternité pour autrui et des associations qui s'efforcent de la promouvoir , qui se déduit des principes généraux du code civil et de règles qui sont communes à toutes les filiations, n'est pas de nature à instaurer une discrimination fondée sur la naissance ;

- « le droit de se marier et de fonder une famille , reconnu par l'article 12 de la convention [européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales] du 4 novembre 1950 et par l'article 23 du pacte international [relatif aux droits civils et politiques] du 19 décembre 1966 à l'homme et à la femme en âge nubile, n'implique pas le droit de conclure avec un tiers des conventions portant sur le sort d'un enfant à naître . »

En dépit de la clarté de ces attendus, plusieurs juges du fond considéraient qu'en l'état des pratiques scientifiques et des moeurs, la maternité pour autrui devait être considérée comme licite et non contraire à l'ordre public. En 1990, la cour d'appel de Paris rendit ainsi une série de cinq arrêts « aux termes manifestement provocateurs 20 ( * ) ».

Pour mettre rapidement fin à ces divergences jurisprudentielles et à l'insécurité juridique qui en résultait, le procureur général près la Cour de cassation forma contre l'un de ces arrêts un pourvoi dans l'intérêt de la loi 21 ( * ) , dont l'assemblée plénière fut saisie par ordonnance du Premier président.

Après avoir entendu en qualité d' amicus curiae le professeur Jean Bernard, président du Comité consultatif national d'éthique qui venait de prendre position contre la maternité pour autrui, l'assemblée plénière de la Cour de cassation condamna catégoriquement cette pratique en 1991 , en jugeant que « la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes 22 ( * ) . »

Cette solution a ensuite été confirmée par le législateur dans la loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, qui a inséré dans le code civil plusieurs articles aux termes desquels :

- le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial (article 16-1 du code civil) ;

- les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles (article 16-5 du code civil) ;

- toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle (article 16-7 du code civil), peu importe qu'elle soit conclue à titre onéreux ou gratuit ;

- ces dispositions sont d'ordre public (article 16-9 du code civil), car elles visent à protéger aussi bien les intéressés que la société dans son ensemble.

Ces articles n'ont pas été remis en cause lors de l'examen de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Les sanctions prévues sont fortes. Etant d'ordre public, la nullité de la convention de maternité pour autrui est absolue. Jusqu'à une date récente, elle était invocable pendant trente ans, par tout intéressé ainsi que par le ministère public 23 ( * ) . Enfin, elle ne peut faire l'objet d'une confirmation.

3. L'encadrement strict de l'assistance médicale à la procréation

Si la maternité pour autrui est ainsi fermement condamnée, le législateur admet d'autres formes d'assistance médicale à la procréation, en les encadrant strictement .

L'assistance médicale à la procréation regroupe « les pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel (...) 24 ( * ) ».

* Les finalités de l'assistance médicale à la procréation

« Destinée à répondre à la demande parentale d'un couple », elle peut avoir deux objets 25 ( * ) :

- « remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » ;

- ou « éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité ».

Le législateur a ainsi voulu écarter les dérives possibles, comme celle consistant à sélectionner un embryon afin que l'enfant présente telle ou telle caractéristique souhaitée par les parents.

* Les bénéficiaires de l'assistance médicale à la procréation

Ces pratiques sont réservées aux couples de sexe différent .

L'homme et la femme doivent être mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans 26 ( * ) .

Ils doivent être vivants et unis : depuis la loi du 6 août 2004 précitée, l'insémination ou le transfert d'embryon n'est plus possible en cas de décès de l'un d'entre eux 27 ( * ) , de dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps, de cessation de la vie commune ou de révocation écrite de son consentement par l'un ou l'autre.

Les deux membres du couple doivent également être en âge de procréer : le législateur a ainsi voulu éviter les demandes émanant de couples trop âgés, sans toutefois fixer d'âge limite afin de laisser une liberté d'appréciation aux médecins. Aux yeux de la sécurité sociale, l'âge limite de procréation est, pour la femme, de quarante-trois ans, aucun âge limite n'étant fixé pour l'homme.

La conception in vitro d'un embryon doit être réalisée avec les gamètes d'au moins l'un des deux membres du couple . Le double don de gamètes par des tiers est ainsi en principe interdit et le don est anonyme .

* La procédure à suivre

Préalablement à l'assistance médicale à la procréation, l'équipe médicale doit procéder à des entretiens avec le couple demandeur 28 ( * ) , afin de vérifier sa motivation, de l'informer des possibilités d'échec ou de réussite, des risques à court et à long terme, de la pénibilité et des contraintes techniques, et de lui rappeler les règles légales. La demande du couple doit être confirmée, par écrit, à l'expiration d'un délai de réflexion d'un mois à compter du dernier entretien.

A ces règles, communes à toutes les techniques d'assistance médicale à la procréation, s'ajoutent des dispositions particulières aux techniques de procréation exogène .

En cas d'implantation avec tiers donneur, le couple doit ainsi exprimer son consentement par acte authentique, devant le président du tribunal de grande instance ou devant notaire ; le juge ou le notaire doit informer les demandeurs des conséquences de leur engagement, notamment de l'interdiction de contester ultérieurement la filiation.

L'accueil d'un embryon par un couple, qui déroge au principe de l'interdiction du double don de gamètes, est subordonné à une décision de l'autorité judiciaire après réception du consentement écrit du couple demandeur 29 ( * ) : le juge doit s'assurer que le couple remplit toutes les conditions légales et fait procéder à une enquête permettant d'apprécier les conditions d'accueil de l'enfant sur les plans familial, éducatif et psychologique. Cette procédure s'inspire de l'enquête qui conditionne la délivrance de l'agrément pour l'adoption.

Le consentement peut être révoqué par écrit par l'un ou l'autre membre du couple, et devient caduc en cas de décès, de dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps, ou de cessation de la vie commune.

* Les conséquences sur la filiation de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

Les techniques de procréation médicalement assistée sont régies par le code de la santé publique. Le code civil ne traite de cette question que dans le cas de la procréation avec tiers donneur, qui introduit un hiatus entre filiation biologique et filiation juridique.

Dans ce cas, « aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation » et « aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur 30 ( * ) ».

Bien plus, l'enfant ainsi conçu aura une filiation incontestable car le consentement donné à une procréation médicalement assistée a pour effet d'interdire toute action en contestation de la filiation ou en réclamation d'état 31 ( * ) .

Si le couple est marié, la présomption de paternité s'applique 32 ( * ) ; s'il vit en concubinage, le « père » qui ne reconnaîtrait pas l'enfant issu de la procréation assistée à laquelle il a consenti engagerait sa responsabilité envers la mère et envers l'enfant. Sa paternité pourrait être judiciairement déclarée.

La France n'est pas la seule à avoir édicté des règles aussi strictes.

* 9 La substitution consiste en un échange d'enfant en bas âge. Pour être pénalement réprimé, cet échange ne doit pas être fortuit ou résulter d'une négligence.

* 10 La simulation désigne le fait de prêter à une femme un accouchement qui n'a pas eu lieu.

* 11 La dissimulation consiste à cacher la maternité d'origine. Dans la mesure où l'accouchement sous X est légal, la dissimulation ne semble devoir être sanctionnée que dans des hypothèses telles que le fait de prétendre que l'enfant né d'une mère de substitution a été trouvé ou encore de ne pas déclarer la naissance d'un enfant né vivant et viable mais qui n'aurait pas vécu.

* 12 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 12 janvier 2000. Bull. crim. n° 22.

* 13 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 23 juin 2004. Bull. crim n° 173.

* 14 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 19 mars 1957. Bull. crim. n° 263.

* 15 Assemblée du Conseil d'Etat, 22 janvier 1988.

* 16 « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs. »

* 17 « Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l'objet de renonciation. » Ces dispositions figurent désormais à l'article 323 du code civil, en vertu de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.

* 18 « Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions. »

* 19 Première chambre civile de la Cour de cassation, 13 décembre 1989.

* 20 H. Capitant, F. Terré, Y Lequette - Les grands arrêts de la jurisprudence civile - Tome 1 - Dalloz 12 ème édition - page 353.

* 21 Article 17 de la loi n° 67-523 du 3 juillet 1967 relative à la Cour de cassation : « Si le procureur général près la Cour de cassation apprend qu'il a été rendu, en matière civile, une décision contraire aux lois, aux règlements ou aux formes de procéder, contre laquelle cependant aucune des parties n'a réclamé dans le délai fixé, ou qui a été exécutée, il en saisit la Cour de cassation après l'expiration du délai ou après l'exécution. Si une cassation intervient, les parties ne peuvent s'en prévaloir pour éluder les dispositions de la décision cassée. »

* 22 Assemblée plénière de la Cour de cassation, 31 mai 1991.

* 23 La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription matière civile a toutefois supprimé le délai trentenaire de prescription de droit commun au profit d'un délai de cinq ans courant à compter de la découverte des faits, le délai de droit commun des actions en justice en matière de filiation étant de dix ans.

* 24 Article L. 2141-1 du code de la santé publique.

* 25 Article L. 2141-2 du code de la santé publique.

* 26 Article L. 2141-2 du code de la santé publique.

* 27 Cette précision vise à interdire la procréation post mortem qui avait donné lieu à des jugements contradictoires.

* 28 Article L. 2141-10 du code de la santé publique.

* 29 Article L. 2141-6 du code de la santé publique.

* 30 Article 311-19 du code civil.

* 31 Article 311-20 du code civil.

* 32 Cf A du III.

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