b) Le Conseil d'analyse stratégique souligne l'enjeu essentiel de la mixité
La poursuite des tendances en matière d'évolution de l'emploi féminin amène le CAS à redouter, dans la décennie à venir, un scénario noir de coexistence d'un chômage de masse et de difficultés de recrutement, qui prendrait la forme d' un chômage plus masculin qu'aujourd'hui , notamment parmi les hommes peu diplômés. Simultanément il deviendrait difficile de trouver des femmes prêtes à occuper les emplois peu qualifiés de services . Dans les faits, le niveau de progression du taux d'activité féminin sera déterminant, ce qui renvoie à l'évolution des structures familiales, à la répartition des tâches domestiques au sein du ménage et au financement de la prise en charge des enfants et des personnes dépendantes. Il convient également de tenir compte du ralentissement de la population active, qui concernera aussi les femmes, même à un degré moindre.
Du côté des employeurs, l'emploi féminin a été stimulé par la montée en puissance des relations directes avec le client ou l'usager, ces relations étant souvent perçues comme relevant « naturellement » des compétences « féminines ». La très forte croissance de l'emploi de certains de ces métiers presque exclusivement offerts aux femmes conduira à des situations de difficultés majeures de recrutement si les profils attendus par les employeurs ne se portent pas aussi vers les hommes. Ce problème sera d'autant plus sensible que ces emplois très féminisés restent marqués par des horaires de travail souvent réduits, décalés, fragmentés et des rémunérations faibles. Si la situation du marché du travail s'améliore, il sera plus difficile pour les employeurs de trouver des candidats, qu'ils soient femmes ou hommes, pour occuper ces « miettes d'emplois ».
Une mixité plus généralisée permettrait d'éviter de recréer ou de renforcer des dichotomies entre des métiers aux carrières et salaires intéressants occupés par des hommes, et des métiers moins avantageux occupés par des femmes.
La mixité professionnelle, en haut comme en bas de l'échelle des qualifications, sera ainsi pour de nombreux métiers un levier d'action important face à des difficultés de recrutement. L'enjeu est celui de la présence des femmes pour occuper certains postes très qualifiés et/ou techniques et de celle des hommes dans les emplois peu qualifiés des services.
(1) L'emploi très qualifié de demain se développe sur des métiers occupés actuellement surtout par des hommes
Les familles professionnelles de cadres devraient représenter 43 % des créations nettes d'emplois d'ici 2015 . L'accroissement du nombre d'informaticiens, de cadres commerciaux et administratifs, comptables ou financiers, illustre les besoins des entreprises en expertises . Parallèlement, le nombre de postes d'encadrement de personnel devrait continuer à baisser. Le rythme de progression de l'emploi des informaticiens devrait être de moindre ampleur qu'à la fin des années 1990, en l'absence de grands projets créateurs d'emplois de cadres comme le passage à l'an 2000 ou le passage à l'euro. Les fonctions commerciales se développent dans tous les secteurs d'activité dans une optique de gain ou de préservation des parts de marchés. De même, dans tous les secteurs, l' innovation technique restera un ressort essentiel du développement et devrait soutenir l'emploi des personnels d'études et de recherche.
Les femmes restent sous-représentées dans les postes de cadre. Cependant, de 1982 à 2002, leur présence sur ce niveau de qualification a progressé de 34 % à 40 % et devrait encore s'accentuer compte tenu de leur réussite aux diplômes. Elles investissent massivement certaines professions du droit et de la santé. Les métiers de l'enseignement, où les recrutements pour remplacer les générations du baby-boom seront importants, ainsi que les métiers de la communication et de la formation professionnelle devraient leur offrir de nombreuses opportunités d'emploi. Ces métiers n'offrent toutefois pas les mêmes salaires que les métiers traditionnels de cadres du privé.
La féminisation est actuellement moindre au sein des familles professionnelles les plus rémunératrices et qui vont créer un volume important d'emplois : les métiers techniques et ceux de cadres experts. Si la présence féminine a très fortement augmenté chez les cadres commerciaux et les personnels d'étude et de recherche, elle stagne depuis une décennie chez les cadres administratifs et informatiques et reste très faible chez les ingénieurs. Elle a même légèrement baissé chez les techniciens informatiques, où de nombreux postes seront à pourvoir à l'avenir. La capacité des employeurs à ouvrir leurs recrutements aux femmes, mais aussi à offrir des opportunités de carrière à leurs salariées limiterait fortement les risques de difficultés à recruter sur ces métiers. Cela suppose également une présence accrue des femmes dans les filières de formations techniques.
(2) Inversement, de nombreux postes seront à pourvoir dans des métiers peu qualifiés des services occupés actuellement par des femmes peu diplômées
Les postes à pourvoir seront également nombreux parmi les métiers des services à la personne qui offrent aujourd'hui des emplois souvent à temps partiel, avec des horaires fragmentés ou décalés et des rémunérations faibles. Ces métiers apparaissent souvent comme des opportunités de reconversion ou de reprise d'emploi pour des femmes peu diplômées. Les personnes qui occupent ces emplois sont donc relativement âgées : au dynamisme des créations d'emploi s'ajouteront ainsi de nombreux départs en fin de carrière. Assistante maternelle et aide à domicile d'une part, agent d'entretien d'autre part, sont les deux familles professionnelles où le nombre de postes à pourvoir sera le plus important d'ici 2015 . Or les hommes n'exercent quasiment pas les métiers d'assistante maternelle ou d'aide à domicile et leur présence stagne autour de 25 % depuis 1982 parmi les agents d'entretien . L'augmentation de la présence des hommes dans ces métiers réduirait nettement les éventuelles difficultés à recruter .
Il est toutefois peu probable que cette évolution soit spontanée. L'amélioration de la qualité de ces emplois (salaires, nombre d'heures travaillées, perspectives de carrière), ainsi que la formalisation des compétences requises seront les meilleures garanties pour attirer des actifs, hommes et femmes, vers ces emplois.
En ce sens, le plan de développement des emplois de service à la personne présenté en février 2005, en combinant des actions visant à la fois un recours accru à ces services, une meilleure qualité de l'offre et une amélioration de la qualité des emplois, pourrait être un bon levier pour amplifier la croissance de ce secteur. La délégation souligne la pertinence de la conclusion du Centre d'analyse stratégique (CAS) qui estime que l'insuffisante mixité professionnelle des métiers des services à la personne mérite d'être largement prise en compte dans ce plan de développement.
Le CAS indique également que les nouvelles technologies limitent les besoins en personnel administratifs du public et du privé . Ainsi, le nombre d'emplois administratifs de la fonction publique d'État pourrait baisser, y compris au niveau des cadres, même si le remplacement des générations du baby-boom fera de la fonction publique un acteur très actif sur le marché du travail.
Dans le privé , les besoins de secrétaires au sens strict sont en baisse. Les fonctions administratives dans les transports, la banque et l'assurance devraient être de plus en plus tournées vers la clientèle (communication, vente, prestation de services ou d'assistance) et donc demander des compétences relationnelles importantes dans un contexte où les nouvelles technologies permettent une intensification forte du travail et un contrôle important de sa qualité.
Ces métiers sont traditionnellement exercés par des femmes. Le renouvellement des générations du baby-boom offrira de nombreux débouchés, mais la montée des compétences exigées et la perspective d'accéder à des emplois relativement favorables en termes de conditions de travail et de sécurité de l'emploi devraient se traduire par une forte concurrence et rendre l'accès à l'emploi difficile pour les diplômés de niveau inférieur au baccalauréat.
(3) Des opportunités relativement limitées dans les métiers actuellement occupés par de jeunes hommes peu qualifiés
Selon le Conseil d'analyse stratégique, pour faire face à la concurrence internationale, l'industrie continuera à se positionner sur des segments d'activité à forte valeur ajoutée dont les risques de délocalisation sont limités, et sur ceux qui privilégient l'innovation, la réactivité et la production en série limitée afin de contourner les activités où la concurrence par les prix est forte. Ces positionnements requièrent des emplois de plus en plus qualifiés, dans la production ou dans les services associés, et de moins en moins d'ouvriers non qualifiés. Le maintien de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale s'accompagne ainsi d'un emploi industriel peu qualifié en diminution.
La plupart des départs en fin de carrière d'ouvriers non qualifiés de l'industrie ne seront pas remplacés et les débouchés traditionnels des hommes peu diplômés continueront donc à se réduire. Les emplois exigeant force physique et capacité de résistance, dans le travail des métaux ou les ateliers de mécanique, seront de moins en moins nombreux.
Parmi les principaux métiers traditionnellement dévolus aux jeunes hommes peu diplômés, ceux qui continueront à offrir des opportunités d'emploi sont la manutention, la sécurité des biens, et dans une moindre mesure, les postes de manoeuvre sur les chantiers. Toutefois, ces emplois sont souvent très précaires et n'offrent pas de trajectoires professionnalisantes. Les conditions d'insertion professionnelle des jeunes hommes peu diplômés risquent donc d'être problématiques s'ils ne peuvent ou ne souhaitent pas s'orienter vers les emplois de services les plus porteurs.
Au total, le panorama prospectif des métiers à l'horizon 2015 conduit ainsi le Conseil d'analyse stratégique à souligner l'enjeu essentiel que constitue l'amélioration de la mixité des emplois pour prévenir de graves déséquilibres économiques et sociaux.
Dans ce cadre, la délégation ne peut que rappeler l'importance de la lutte contre les phénomènes de ségrégation verticale et de « plafond de verre ».