2. Un débat sur l'opportunité d'adapter la gouvernance à l'évolution de la métropole
Si la situation est difficile à gérer, c'est que le découpage administratif a été pensé dans une logique à la fois périurbaine et « pré-métropolitaine ». C'est pourquoi il est important aujourd'hui de considérer ensemble les trois niveaux que représentent la zone dense, la région urbaine de Paris et le Bassin parisien. Pour autant, on perçoit bien la difficulté des urbanistes à penser la gouvernance d'une telle région. Ils ont raison de considérer que les vieux schémas ne sont pas nécessairement adaptés et que, par exemple, l'extension du modèle de Paris à la zone dense (avec un projet de type Haussmann II de ville composée d'une centaine d'arrondissements) n'est plus pertinent. On ne peut que souscrire à l'idée qu'il ne serait pas souhaitable de faire resurgir une opposition historique entre Paris et sa proche banlieue. Pour autant, une fois cette affirmation défendue, on observe la difficulté qu'il y a, dans la littérature consacrée à l'agglomération parisienne, à définir une ambition qui réussirait à se départir des structures existantes comme si le conservatisme était devenu une valeur dominante.
Sur le principe, il y a un accord sur l'objectif final puisque tous les observateurs de l'agglomération sont d'accord pour que Paris réaffirme symboliquement et matériellement son statut de ville mondiale. Par ailleurs, il y a une conscience que le label parisien est indissociablement lié à un territoire plus vaste. L'enjeu est donc d'organiser cette zone dense afin, d'une part, qu'elle puisse accueillir les réseaux et les infrastructures dont elle a besoin et, d'autre part, qu'elle devienne un territoire de projet. L'erreur du raisonnement de Paul Chemetov et de Frédéric Gilli est d'exclure a priori tout changement institutionnel majeur au motif qu'il ne serait pas possible de « réfléchir aux limites optimales d'un nouveau département de la Seine ».
On ne peut qu'être d'accord avec le fait que le périmètre de la zone dense est difficile à cerner voire même mouvant. Il n'est pas difficile par ailleurs d'admettre que ce périmètre évoluera sensiblement au cours du temps. Mais comment pourrait-on se contenter de structures administratives qui brillent aujourd'hui par la caducité de leur périmètre ? Certes, toute délimitation de la zone dense sera contestable et contestée, mais ne constituera-t-elle pas de toutes les manières un progrès par rapport au périphérique, aux départements de la petite couronne et à la région ?
Enfin, quand on pense à l'ensemble des problèmes qui ne sont pas gérés correctement aujourd'hui dans cette fameuse zone dense faute de pilotage politique efficace, n'est-on pas en droit de penser que si une nouvelle structure permettait seulement de faire mieux ce serait déjà un progrès qui justifierait les changements occasionnés ?
Une telle analyse vaut tout particulièrement en ce qui concerne la question de la sécurité des biens et des personnes et la « paix sociale » qui constituent des facteurs en définitive plus importants que la fiscalité pour évaluer les métropoles les unes par rapport aux autres. Comme les deux auteurs de l'étude de la DIACT le reconnaissent, les problèmes de quartiers sont certes des problèmes sociaux mais ce sont aussi des problèmes urbains, « ils ne peuvent se résoudre qu'à l'échelle d'une agglomération et imposent une coopération de tous les territoires » .
Or, à cet égard, il n'est pas interdit de considérer que les émeutes de 2005 sont aussi, à leur façon, la conséquence de l'absence de Grand Paris, c'est-à-dire en l'espèce la conséquence de la persistance des mécanismes de ségrégations territoriales et de stigmatisation de population du fait de leur lieu de résidence consécutifs à l'absence d'unité institutionnelle de l'agglomération. L'étiquette « 9-3 » est, par exemple, devenue un signe distinctif qui constitue une véritable source de discrimination pour de nombreux jeunes qui ont besoin d'être réintégrés au sein de la cité et de la Nation. Or la solidarité, dans tout type de société humaine, reste fondée sur un sentiment d'appartenance à une même communauté. C'est pourquoi l'organisation institutionnelle de la zone dense constitue aujourd'hui une condition de la résolution des problèmes de la ville dans l'agglomération parisienne.
Par ailleurs, l'avenir de l'agglomération nécessitera aussi un plan d'investissement extraordinaire afin de la doter des équipements qui lui font encore défaut et dont le financement est aujourd'hui hors de portée des collectivités territoriales concernées. Ces investissements d'intérêt national ne pourraient être amortis que sur une longue période, ce qui justifie une intervention de l'État. L'expérience récente du Plan de cohésion sociale et de la mise en place de l'ANRU permet, à cet égard, de rappeler que l'intervention de l'État constitue une condition sine qua non lorsque les problèmes à traiter dépassent le niveau d'intervention habituel des collectivités locales.
Pour se convaincre que les réticences de Paul Chemetov et Frédéric Gilli concernant l'avenir institutionnel de l'agglomération ne sont pas pleinement justifiées, il semble utile de se reporter à la liste des personnalités rencontrées et auditionnées pour préparer leur rapport afin de constater qu'elle est composée presque exclusivement d'élus franciliens qui refusent, par principe, toute remise en cause des collectivités dont ils ont la charge. Cette réticence à accepter la remise en question de l'organisation territoriale existante n'est pas sans rappeler l'opposition résolue manifestée par les mêmes élus en 1964 devant la perspective du découpage du département de la Seine, même si, rétrospectivement, cette opposition semble plus justifiée.
En réalité, derrière ce débat à la fois technique, administratif et politique se trouve aussi une question de sciences politiques qui tient à l'organisation du pouvoir dans un espace donné. On peut comprendre les réticences contemporaines devant la perspective de tout renforcement d'une autorité centrale. Pourtant, dans des démocraties où l'opinion publique est prédominante, les collectivités politiques ont besoin de leadership pour exister et se développer. L'enjeu pour les grandes métropoles est donc d'allier l'autonomie locale la plus forte à l'existence d'une autorité centrale légitime capable de déterminer une stratégie globale et de la mettre en oeuvre. C'est la principale leçon que l'on peut retenir de l'expérience londonienne qui a mobilisé toute l'attention de votre rapporteur et qui est présentée dans le détail dans le rapport.