B. UNE AGGLOMÉRATION PARISIENNE EN COMPÉTITION POUR CONSERVER SON RANG MONDIAL
L'étude de l'évolution de l'agglomération parisienne a fait l'objet ces dernières années d'une abondante littérature de nature essentiellement descriptive. Il n'est pas inutile d'en rappeler les principales conclusions afin de pouvoir évoquer de la meilleure manière les évolutions institutionnelles souhaitables.
1. Un espace métropolitain recomposé aux frontières floues
La délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) a confié une étude 10 ( * ) à MM. Paul Chemetov et Frédéric Gilli sur l'avenir de Paris à une époque où le débat sur l'évolution institutionnelle n'était pas encore redevenu d'actualité. L'intérêt de cette réflexion vaut donc plus pour la compréhension de l'avenir d'un territoire qu'elle propose que pour les perspectives d'action qu'elle recommande.
Le constat réalisé par Paul Chemetov et Frédéric Gilli sur l'évolution de l'agglomération parisienne est double. Tout d'abord, ils confirment que la région parisienne traverse une phase de mutation économique et géographique. Ensuite, ils estiment que les questions que soulèvent ces transformations amènent à imaginer un cadre administratif et politique adapté à cette nouvelle situation.
Concernant la place de Paris dans le monde, celle-ci est certes concurrencée mais pour autant la capitale française conserve les moyens de rester « un indiscutable centre du monde ». Pour se faire, il convient cependant de choisir les bonnes échelles pour répondre au défi métropolitain car les frontières de la métropole sont aujourd'hui décalées par rapport aux limites administratives existantes. Ainsi, la « région urbaine de Paris » ne coïncide pas avec les limites administratives de l'Île-de-France puisqu'elle s'étend jusqu'aux villes avant-postes (Compiègne, Beauvais, Évreux et Chartres...). Pour ce qui est de la « région économique de Paris », elle s'étend quant à elle à tout le Bassin parisien et englobe des villes comme Caen, Amiens, Reims, Troyes et Orléans. Quant au coeur de cet espace régional, ses contours apparaissent flous et discontinus.
Indicateurs sur le Bassin parisien 11 ( * ) Le Bassin parisien est composé de 6 régions dont cinq sont limitrophes de l'Île-de-France (Centre, Haute-Normandie, Basse-Normandie, Picardie, Champagne-Ardenne). Il comprend 20 départements hors Île-de-France avec la Sarthe (Pays-de-Loire) et l'Yonne (Bourgogne). La population du Bassin parisien était estimée en 2002 à 20,3 millions d'habitants dont 11 millions pour l'Île-de-France. Il comprenait 9 agglomérations de plus de 150 000 habitants. Cet espace est caractérisé par un déséquilibre Ouest/Est. En termes de transports, le réseau autoroutier est dense, pour l'essentiel radial vers Paris mais un maillage est en cours. Plusieurs itinéraires sont saturés ou prêts de l'être, au-delà de l'Île-de-France (A1, A4, A6, A10, A11, A13, A86...). Des maillons sont encore manquants comme le contournement de Rouen et de Reims ainsi que les autoroutes en direction de Troyes, Auxerre et Bourges. Le réseau des anciennes routes « nationales » est hétérogène et de grands pôles sont encore insuffisamment desservis. Le réseau LGV, initialement construit de gares de Paris à gares de province, est complété par le contournement Est de Paris. Par contre, le tronçon Valenton-Massy, malgré les améliorations prochaines, comporte des interférences avec d'autres trafics et le barreau sud de l'Essonne devient urgent pour desservir Orly, la gare d'Austerlitz et Roissy. Des villes du Bassin parisien n'ont pas encore accès au réseau LGV et la question de l'interconnexion ouest des LGV est posée. Sur le plan des voies navigables, plusieurs rivières sont canalisées avec des gabarits insuffisants (Oise, Marne, Yonne) tandis que le projet Seine-Nord-Europe devrait repositionner la Seine Aval et les ports de Paris, Rouen et Le Havre. Le Bassin parisien dispose, au niveau européen, du plus important héritage patrimonial forestier de plaine en termes de diversité, d'étendue et de répartition. Sur le plan des équipements universitaires, il comprend 9 villes universitaires (Amiens, Caen, Le Havre, Le Mans, Orléans, Reims, Rouen, Tours et Troyes) qui regroupent 190 500 étudiants dont 35 700 en IUT et BTS. Plus de 10 500 chercheurs publics et privés y sont implantés. L'aire urbaine parisienne déborde donc largement les frontières de l'Île-de-France, particulièrement au Nord et au Sud-Ouest. |
D'un point de vue de l'organisation de l'espace, il apparaît que la zone dense dans une métropole mondiale est de plus en plus multiforme et éclatée. Dans ces conditions, le dynamisme de cet espace dépendra tout particulièrement de sa capacité à faire dialoguer ses différents réseaux et territoires. La diversité de l'agglomération parisienne concerne aussi son organisation économique puisque son tissu d'activités comprend à la fois les secteurs du luxe, du tourisme, de la finance, de l'image, des nouvelles technologies, de la bio-médecine, de l'aéronautique et des services collectifs. Ces activités peuvent s'appuyer sur un appareil financier et juridique de niveau mondial ainsi que sur une forte activité de recherche. Lorsque l'on examine le territoire économique au niveau du Bassin parisien, on peut observer qu'au fil des ans, de nombreuses activités ont été décentralisées à la périphérie, en particulier dans le domaine industriel, tandis que les fonctions de siège étaient maintenues à Paris. Cette évolution n'a pas été sans conséquences sur l'organisation urbaine.
La région urbaine de Paris s'étend maintenant sur 100 km de Melun à Cergy. Si l'on considère les déplacements quotidiens de travail ou de loisir et la trame urbaine sur laquelle ils s'appuient, c'est un territoire de près de 90 km de rayon (soit plus de 2,5 millions d'hectares) qui vit dans l'orbite francilienne et qui comprend des villes comme Compiègne, Chartres, Dreux, Évreux, Beauvais, Montargis, Château-Thierry... Par ailleurs, cette extension de la région urbaine a tendance à s'accroître du fait du développement du TGV qui inclut maintenant des villes comme Tours, Le Mans et Reims dans la sphère d'attraction parisienne.
En termes de localisation de la population, cette évolution a été riche de changements. Ainsi, si l'Île-de-France a gagné 1,7 million d'habitants entre 1968 et 1999, Paris a perdu plus de 400 000 habitants sur la même période et compte maintenant un peu plus de 2 millions d'habitants. Dans le même temps, la petite couronne a gagné 200 000 habitants pour atteindre 4 millions d'habitants, alors que la grande couronne a vu sa population quasiment doubler pour devenir la couronne la plus peuplée avec près de 5 millions d'habitants. Si la grande couronne reste cinquante fois moins dense que Paris, elle accueille la majeure partie de la croissance francilienne.
Cette évolution a des conséquences sur le bâti et les paysages puisque la ville se développe aux dépens des champs et des forêts sous la forme de maisons individuelles et de plates-formes industrielles. Cette croissance urbaine se fait soit à partir de l'agglomération parisienne, soit à partir des pôles urbains situés autour de la capitale. C'est ainsi qu'elle a conduit à l'absorption des villes nouvelles dans l'agglomération. Pour autant, il est important de souligner que le desserrement urbain ne débouche pas sur un espace uniforme et continu puisqu'il nourrit à la fois les espaces urbains et les pôles en limite d'agglomération. C'est ainsi que l'on assiste à un fort développement des pôles aménagés (La Défense, villes nouvelles, Saclay...) et des pôles émergents (Argenteuil, Plaine Commune...). La dynamique métropolitaine est donc multipolaire ce qui remet en cause le modèle de développement monocentrique multiséculaire de la capitale.
En conclusion, concernant les frontières du Grand Paris, on peut considérer comme Pierre Mirabaud, délégué à l'aménagement et à la compétitivité du territoire, à la fois qu'il n'y a pas de périmètre évident et qu'aucun des espaces pertinents ne correspond à des territoires administratifs existants. Dans ces conditions, on ne peut que partager le sentiment de ce dernier que le choix des frontières d'une nouvelle entité relèvera d'abord d'un arbitrage politique qui devra être pragmatique.
* 10 « Une région de projets : l'avenir de Paris » par Paul Chemetov et Frédéric Gilli, collection Travaux (n° 2), DIACT, octobre 2006.
* 11 « Les villes du grand Bassin parisien », DIACT, mai 2006.