B. DES CONTACTS AVEC LES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES
1. La Commission européenne
Votre commission a souhaité établir un contact direct avec la Commission européenne et ses services, compte tenu du rôle d'initiative de cette institution communautaire -qui dispose à cet égard d'un monopole dans le cadre des compétences de la Communauté européenne- dans le processus de décision européen.
A cet effet, la délégation de votre commission a pu s'entretenir, le 11 octobre 2007, avec M. Franco Frattini, commissaire européen chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité.
M. Franco Frattini a confirmé son espoir que l'initiative de la présidence allemande de l'Union européenne de créer un groupe de travail associant les six présidences devant lui succéder permette d'élaborer un programme d'action pour la période 2009-2014 qui prendrait la suite du programme de La Haye adopté en 2004.
Après avoir balayé l'ensemble des dossiers en cours, il a reconnu que l'Union européenne et la Commission européenne en particulier avaient de vraies difficultés pour communiquer à destination des opinions publiques.
Pour y remédier, des consultations publiques ont été organisées à l'occasion de l'élaboration du livre vert sur le futur régime d'asile européen commun ou sur d'autres thèmes comme la lutte contre le radicalisme islamiste ou le dispositif « Alerte enlèvement d'enfant ». Toutefois, d'autres sujets se prêtent difficilement à cet exercice, comme la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
La délégation de votre commission a également pu avoir des échanges approfondis avec les services de la direction générale du marché intérieur et des services , compétente pour les questions du droit des sociétés, du droit des marchés publics ainsi que des règles relatives à la prestation de services dans la Communauté européenne.
Ces échanges ont fait apparaître la volonté de la Commission européenne de mettre un terme à certains projets d'harmonisation dans ce domaine, les consultations préparatoires menées auprès des acteurs concernés ayant montré qu'ils n'étaient pas indispensables au bon fonctionnement du marché unique. M. Pierre Delsaux, directeur de la direction « libre circulation des capitaux, droit de sociétés et gouvernement d'entreprise » a indiqué que trois projets d'harmonisation ne devraient pas aboutir :
- la proposition relative à l'harmonisation du droit de vote des actionnaires. Le commissaire européen Charlie McCreevy avait, en 2006, évoqué son souhait de prévoir une harmonisation des droits de vote des actionnaires en Europe afin de promouvoir le principe « one share : one vote », impliquant la disparition des droits de vote multiples ou préférentiels dans les assemblées d'actionnaires. L'étude d'impact commandée par la Commission ne permettant pas de déterminer clairement les avantages induits par une telle harmonisation ou les inconvénients réels de l'absence d'une telle harmonisation, il a été signalé à la délégation de la commission qu'aucune action ne serait engagée sur ce point ;
- le projet de directive relative au transfert de siège social des sociétés. Sur ce dossier, la Commission n'engagera pas davantage d'action compte tenu des facultés de transfert de siège offertes par la société européenne, des facilités apportées aux fusions transfrontalières par la directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative au libre établissement des sociétés. En outre, les services de la direction générale du marché intérieur et des services ont mis en exergue les risques d'une telle législation communautaire en termes de délocalisations d'activités en raison du law shopping 13 ( * ) qui pourrait en résulter ;
- l'harmonisation envisagée des règles relatives au gouvernement d'entreprise . Sur cette question, la Commission ne souhaite pas lancer de nouveau plan d'action afin de s'intéresser, à ce stade, au suivi et à l'évaluation des politiques actuellement menées.
Votre commission relève avec intérêt l'approche de la Commission européenne sur ces dossiers, qui repose désormais sur des études d'impact préalables et se réjouit de voir que lorsque celles-ci ne s'avèrent pas particulièrement favorable à une action au niveau communautaire, la Commission s'abstient effectivement d'agir , conformément aux principes de proportionnalité et de subsidiarité.
La question de la compatibilité de la clause de nationalité imposée en France pour l'exercice de certaines professions juridiques et judiciaires réglementées a été également abordée avec les services de la direction générale du marché intérieur.
A cette occasion, Mme Pamela Brumter-Coret, chef d'unité « professions réglementées », a souligné que si ces professions, et en premier lieu la profession notariale, n'étaient pas soumises aux dispositions de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, elles devaient néanmoins respecter les dispositions du traité instituant la Communauté européenne relatives au libre établissement et à la libre circulation. C'est sur cette base que la Commission a engagé une procédure en manquement contre la France en octobre 2006, considérant que l'exigence de nationalité française pour exercer la profession de notaire ne pouvait se fonder sur la réserve figurant à l'article 45 du traité instituant la Communauté européenne qui permet aux Etats membres de réserver à leurs nationaux « les activités participant, dans cet Etat, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique ».
L'application du principe de la reconnaissance mutuelle des formations a été mise en exergue, le nombre de professions réglementées dans l'ensemble des Etats membres étant évalué à 800, avec des champs d'activités et des conditions de formations différents. Il a été rappelé que les membres des professions réglementées ne peuvent pas exercer dans un autre Etat membre que leur Etat d'origine sous leur titre d'origine, à l'exception des avocats qui bénéficient de cette prérogative en vertu d'une directive spécifique.
Enfin, au cours de son déplacement à Bruxelles, la délégation de votre commission a pu échanger avec les services de la direction générale de la justice et des affaires intérieures.
M. Jonathan Faull, directeur général, a indiqué que le traité modificatif de Lisbonne ouvrait des perspectives nouvelles très intéressantes dans le secteur JAI, mais que beaucoup de choses restaient à inventer.
Ainsi, les modalités de l'association des parlements nationaux au contrôle d'Europol, prévue par le traité, ne sont pas définies.
Par ailleurs, si le passage à la majorité qualifiée et à la co-décision sera effectif dès l'entrée en vigueur du traité, la compétence de la CJCE ne sera complète qu'à l'issue d'une période de transition de cinq ans, conformément au protocole sur les dispositions transitoires du traité.
2. Le Conseil de l'Union européenne
Lors de son déplacement à Bruxelles les 11 et 12 octobre 2007, la délégation de votre commission a rencontré les services du secrétariat général du Conseil de l'Union européenne.
D'une part, elle a pu aborder avec M. Jean-Claude Piris, jurisconsulte du Conseil, les modifications induites par le traité modificatif signé à Lisbonne, avant son adoption par les chefs d'Etat et de Gouvernement.
Il a été souligné que, si le traité modificatif abandonnait toute allusion au concept de « constitution européenne » pour reprendre une démarche classique de modification des traités existants, nombre de dispositifs qui figuraient dans le projet de Constitution rejeté en 2005 y étaient néanmoins repris. Si cette démarche peut apparaître complexe à l'opinion publique, elle résulte du refus de la majorité des Etats membres d'entreprendre une intégration plus poussée vers un modèle d'organisation fédérale.
M. Jean-Claude Piris a rappelé à la délégation que les négociations du traité modificatif avaient été marquées par plusieurs différends :
- avec le Royaume-Uni et l' Irlande , d'une part, sur leur participation aux actions dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI) et la compétence juridictionnelle de la Cour de justice sur ces matières. L'accord trouvé sur ce sujet entre les Etats membres autorise le Royaume-Uni et l'Irlande à mettre fin, dans les cinq années suivant l'entrée en vigueur du nouveau traité, à leur participation à l'ensemble des instruments européens concernant la JAI et leur donne la possibilité, ultérieurement, de décider de leur participation à telle ou telle nouvelle mesure en ce domaine. Un dispositif très complexe permet néanmoins aux autres Etats d'évincer le Royaume-Uni et l'Irlande de certaines mesures ;
- avec la Pologne , d'autre part, au sujet des modifications à apporter au préambule du traité sur l'Union européenne, de l'application du « compromis de Ioanina » 14 ( * ) et du nombre d' avocats généraux à la Cour de justice. La Pologne souhaitait que le seuil d'application du compromis décidé en 1994 soit modifié afin de faciliter sa mise en oeuvre à son profit et exigeait la présence permanente d'un avocat général polonais à la Cour de justice. Ces deux demandes ont été acceptées et concrétisées dans le nouveau traité ;
- avec l' Italie , enfin, concernant la répartition des sièges au Parlement européen . Membre fondateur de la Communauté économique européenne, l'Italie contestait le fait qu'elle ne disposerait plus à l'avenir d'un nombre de députés européens égal à celui de la France et du Royaume-Uni -soit 78 actuellement- dans un Parlement dont le nombre de sièges serait désormais ramené à 750. A l'issue des négociations, la parité de l'Italie avec le Royaume-Uni a été préservée, chacun d'eux disposant à l'avenir de 73 élus ; la France enverra quant à elle 74 députés siéger au Parlement européen.
L'attention de la délégation a été en particulier attirée sur les nouvelles prérogatives accordées aux Parlements des Etats membres par le traité modificatif. Les Parlements nationaux bénéficieront ainsi désormais d'un droit d'opposition à l'adoption de projets d'actes législatifs par les institutions de l'Union européenne. Ce droit d'opposition interviendra :
- dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité 15 ( * ) ;
- lors du recours à une « clause passerelle », c'est-à-dire à l'occasion de la mise en oeuvre d'une procédure de révision simplifiée des traités ;
- lorsque le Conseil européen détermine la liste des questions relevant du droit de la famille et ayant une incidence transfrontalière qui, à ce titre, peuvent conduire à des actions de la part de l'Union européenne.
En outre, les Parlements nationaux pourront dorénavant saisir directement la Cour de justice pour qu'elle statue sur la violation du principe de subsidiarité par un acte législatif adopté par les institutions.
M. Jean-Claude Piris a enfin évoqué la multiplication des présidences au sein de l'Union européenne , le traité modificatif instituant un président du Conseil européen bénéficiant d'un mandat de deux ans et demi ainsi qu'un Haut représentant pour la politique étrangère nommé par le Conseil européen qui assurerait la présidence du Conseil « Affaires étrangères » et aurait rang de vice-président de la Commission européenne. Ces nouvelles fonctions ne supprimant pas pour autant la présidence de la Commission européenne ainsi que la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne, votre commission souhaite que le choix des personnalités appelées à exercer ces diverses fonctions soit à même d'éviter des tensions que la complexité de ce système institutionnel pourrait générer.
D'autre part, la délégation s'est entretenue avec M. Gilles de Kerchove, ancien directeur de la coopération policière et douanière ainsi que de la coopération judiciaire pénale, devenu le coordinateur anti-terroriste de l'Union européenne.
Il a dressé un panorama de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice depuis le Conseil européen de Tampere en 1999. La notion d'espace de liberté, de sécurité et de justice n'est pas qu'un concept politique ; c'est aussi une notion juridique reliée à celle de citoyenneté européenne.
La construction de cet espace repose entièrement sur le principe de confiance mutuelle. Sans confiance, les instruments mis en place, qu'il s'agisse d'Europol, d'Eurojust 16 ( * ) ou de l'échange de données en matière de terrorisme, ne peuvent fonctionner. Or, depuis trois ans, l'échec du traité constitutionnel et l'entrée de douze nouveaux Etats membres dans l'Union européenne ont abaissé le niveau de confiance mutuelle en matière de coopération policière et judiciaire.
A propos de l'architecture européenne de sécurité, il a critiqué une approche parfois trop cloisonnée avec la multiplication des agences et des systèmes d'information.
Enfin, concernant ses nouvelles fonctions de coordonnateur anti-terroriste de l'Union européenne, il a estimé que son prédécesseur avait eu du mal à trouver sa place du fait que ce poste créé en 2004 par le Conseil avait été insuffisamment défini. Il a expliqué que son rôle consistait avant tout à faciliter le dialogue entre les différentes institutions européennes ainsi qu'avec les pays tiers, un défi étant d'améliorer l'image de l'Europe dans le monde musulman.
3. Le Parlement européen
Une délégation de votre commission 17 ( * ) ainsi que de la délégation pour l'Union européenne du Sénat s'est rendue les 26 et 27 novembre 2007 à la réunion organisée conjointement à Bruxelles par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBÉ) du Parlement européen et la commission des lois de l'Assemblée de la République du Portugal .
Depuis deux ans, de telles réunions réunissant des parlementaires européens et des parlementaires de tous les Etats membres sont organisées lors de chaque présidence. Elles pourraient préfigurer la création de commissions mixtes parlementaires de contrôle. Le traité modificatif de Lisbonne prévoit ainsi l'association du Parlement européen et des parlements nationaux au contrôle d'Europol. Votre commission a adopté plusieurs résolutions européennes exigeant la création d'une telle commission mixte parlementaire. 18 ( * )
Au cours de la réunion des 26 et 27 novembre, quatre thèmes ont été abordés : l'immigration, la lutte contre le terrorisme, l'échange de données aux fins de lutter contre le terrorisme et la criminalité transnationale et l'élaboration d'un droit pénal européen.
Deux préoccupations sont ressorties de ces échanges entre parlementaires nationaux et européens. D'une part, le regret que les progrès soient lents en matière de justice et affaires intérieures. D'autre part, le souci de parvenir à concilier renforcement de la sécurité et protection des libertés. Toutefois, si ces préoccupations ont été formulées par de très nombreux intervenants, peu de propositions concrètes ont été avancées.
Au delà de cette première prise de contact, votre commission souhaite approfondir ses relations avec les commissions permanentes du Parlement européen . Aussi, au premier trimestre 2008, envisage-t-elle de se rendre au siège du Parlement européen, à Strasbourg, pour y rencontrer des députés européens siégeant dans des commissions permanentes intervenant dans le champ de compétence de votre commission, et en particulier :
- la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures ;
- la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs ;
- la commission des affaires juridiques.
* 13 C'est-à-dire la recherche de la législation nationale la plus favorable aux intérêts des sociétés concernées.
* 14 Formalisé dans une décision du Conseil du 29 mars 1994, ce compromis implique que, lorsque lors de votes au Conseil, une minorité de blocage tend à se dégager, ses membres cherchent à obtenir, « dans un délai raisonnable », une majorité qualifiée supérieure à celle en principe nécessaire pour adopter une décision.
* 15 Chaque chambre d'un parlement national peut signifier aux institutions européennes qu'elle estime qu'un projet d'acte ne respecte pas le principe de subsidiarité. Lorsque un tiers des parlements nationaux (ou un quart d'entre eux s'agissant de projets relevant de la coopération policière ou de la coopération judiciaire en matière pénale) a formulé une telle opposition, le projet d'acte législatif doit être réexaminé par la Commission. Lorsque plus de la moitié des parlements nationaux s'oppose à ce projet et que la Commission, après réexamen, le maintient, le Conseil et le Parlement sont amenés à se prononcer sur la compatibilité avec le principe de subsidiarité. Si l'une de ces institutions estime qu'il existe effectivement une incompatibilité, le projet ne peut plus être discuté.
* 16 Voir notamment la question orale européenne avec débat de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, sur le rôle d'Eurojust et du réseau judiciaire européen. Séance publique du 12 décembre 2007.
* 17 Composée de MM. Jean-René Lecerf et Jean-Claude Peyronnet.
* 18 Voir notamment le rapport n° 237 (2006-2007) de M. Jean-Patrick Courtois sur la résolution n° 96 (2006-2007) du Sénat.