2. Les externalités de politique budgétaire
La politique budgétaire d'un Etat membre, lorsque celui-ci est de grande taille, ou une même stratégie budgétaire appliquée par plusieurs petits pays, peuvent avoir un impact significatif non seulement sur l'économie de ce, ou ces pays, mais également sur l'ensemble de la zone. C'est ce que l'on appelle les externalités budgétaires , ou effets de débordement . Ces externalités passent essentiellement par quatre canaux.
• Le commerce extérieur : la hausse du déficit public dans un pays stimule la demande dans ce pays, donc ses importations et par conséquent les exportations des autres pays. Cet effet est d'autant plus fort que les pays commercent beaucoup entre eux au départ. Etant donné l'impact de la distance géographique sur l'intensité des échanges, on s'attend à ce que ce premier canal soit particulièrement fort pour les pays voisins, par exemple entre l'Allemagne et la France. Mais l'impact d'une politique budgétaire en Allemagne sera encore plus fort sur un pays proche mais plus petit et plus ouvert - l'Autriche, la Belgique par exemple.
• Le taux d'intérêt : un déficit budgétaire dans un pays conduit normalement à une hausse des taux d'intérêt, soit par réaction de la banque centrale, soit par réaction des marchés financiers à la hausse de l'endettement public. En union monétaire, la banque centrale réagit uniquement aux agrégats de la zone - inflation, écart de production, dette publique agrégée. Une relance budgétaire dans un grand pays peut donc conduire à une hausse des taux d'intérêt directeurs de l'ensemble de la zone. Dans la mesure où les marchés discriminent peu les emprunteurs souverains, la hausse éventuelle des taux longs est également partagée par l'ensemble de la zone. Ceci peut également entraîner une appréciation du taux de change commun à la zone. Au total, les pays partenaires de celui où a lieu la relance peuvent souffrir d'une hausse des taux d'intérêt et d'une éventuelle appréciation du taux de change, lesquelles ralentissent la demande et élèvent le service de la dette. Lorsque le pays qui relance est de petite taille, l'effet sur les taux d'intérêt de la zone est limité, voire nul. Ceci crée une incitation pour chacun à pratiquer des politiques de relance (puisque le taux d'intérêt n'augmente pas) et une désincitation à assainir les finances publiques (car il n'y a pas de gain en termes de baisse du taux d'intérêt). Ce canal du taux d'intérêt crée donc des externalités budgétaires entre pays ainsi que de mauvaises incitations que la coordination peut aider à corriger.
• La concurrence fiscale : une baisse des impôts dans un pays peut avoir pour conséquence d'attirer des entreprises dans ce pays au détriment des autres pays. Une même relance budgétaire peut donc avoir des implications différentes pour les pays partenaires selon qu'elle résulte d'une stimulation de la demande ou d'une baisse de la fiscalité. Dans le second cas, la demande et l'offre sont simultanément encouragées, et il n'est pas certain que le pays qui relance accroisse ses importations. Par ailleurs, une politique fiscale agressive en faveur des entreprises (par exemple, une baisse rapide de l'impôt sur le bénéfice des sociétés) peut obliger les pays partenaires à réagir, soit en rationalisant ses dépenses publiques, soit en participant à son tour à la course au moins-disant fiscal.
• Les effets d'offre : en modifiant sa fiscalité, un Etat membre modifie les conditions de l'offre de biens et services et/ou de l'offre de travail. Ceci peut avoir une influence sur l'indice de prix agrégé de la zone soit directement (ex. hausse de la TVA en Allemagne), soit indirectement (ex. baisse de cotisations sociales conduisant à une hausse du taux d'emploi allemand, donc à une réduction des pressions inflationnistes). L'importance de ces effets d'offre par rapport aux effets de demande dépend de la position de l'économie dans le cycle. Par exemple, une hausse de TVA mise en oeuvre en haut de cycle a davantage d'impact sur les prix que la même mesure prise en bas de cycle.
On le voit, ces différentes externalités de politique budgétaire agissent dans des sens différents. Par exemple, une relance budgétaire en Allemagne a un effet positif sur l'activité en France par le canal du commerce (les exportations françaises vers l'Allemagne augmentent), un effet négatif par le canal du taux d'intérêt (les taux d'intérêt de la zone euro augmentent), un effet négatif par le canal de la concurrence fiscale (une baisse des impôts attire les entreprises et les travailleurs qualifiés en Allemagne) et un effet ambigu par le canal de l'offre (en fonction du type de mesure utilisée et de la position de l'économie allemande dans le cycle). L'effet net est incertain.
Les travaux empiriques montrent en général que les externalités budgétaires sont faibles, voire non significatives (voir Gros et Hobza, 2001). Beetsma et al (2001) mettent en évidence des externalités positives, mais en se limitant au canal du commerce extérieur. Dans un travail prenant en compte tous les canaux de transmission, Bénassy-Quéré et Cimadomo (2006) montrent que lorsqu'elles existent, les externalités budgétaires sont positives, mais qu'elles tendent à diminuer au cours du temps. Plus précisément, une relance budgétaire par la consommation publique ou l'investissement public en Allemagne n'a pas d'effet significatif sur la production des autres pays européens. En revanche, une relance par baisse des impôts ou hausse des transferts publics affecte positivement les pays voisins de l'Allemagne, mais cet effet tend à s'évanouir dans les années récentes. Au total, il n'est pas sûr que les externalités budgétaires soient importantes, mais si elles existent, elles sont vraisemblablement positives au sens où une hausse du déficit budgétaire dans un pays élève la demande dans les pays voisins.