ANNEXE 3 - ÉTUDE RÉALISÉE PAR LE CEPII (CENTRE D'ÉTUDES PROSPECTIVES ET D'INFORMATIONS INTERNATIONALES)
COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES DANS LA ZONE EURO
LEÇONS DE L'EXPERIENCE FRANCO-ALLEMANDE
Agnès Bénassy-Quéré,
Nicolas Châtelais, Jacopo Cimadomo,
Julien Garnier et Christophe
Schalck
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)*)
(1) Rapport pour le Sénat
Version finale, Juin 2007
INTRODUCTION
La coordination des politiques économiques, a de longue date, constitué un problème majeur pour les pays présentant un haut niveau d'intégration réelle et financière, ce qui est le cas en Europe. Les années 1980-1990 ont plusieurs fois illustré les difficultés posées par les politiques monétaires non coopératives : en cas de ralentissement de la conjoncture, il est tentant pour un pays d'abaisser son taux d'intérêt de manière à soutenir sa demande interne par un effet direct (relance de l'investissement) et indirect (à travers la dépréciation de la monnaie nationale) ; ce faisant, les pays partenaires subissent une appréciation de leurs monnaies, alors qu'ils ont peut-être aussi besoin de soutenir leur demande. L'instauration d'une monnaie unique a, en 1999, mis un terme aux politiques monétaires non coopératives au sein des onze pays membres de la zone euro. L'attention s'est alors reportée sur le dernier instrument de régulation de la demande : la politique budgétaire. En cas de ralentissement de l'activité, chaque gouvernement va être tenté de soutenir la demande interne par une relance budgétaire, et ce d'autant plus qu'il ne craint plus une réaction à la hausse du taux d'intérêt national, l'impact des politiques budgétaires sur les taux d'intérêt étant désormais dilué au niveau de la zone euro.
En théorie, un gouvernement n'a pas de raison de réagir à une dégradation générale de la conjoncture dans l'ensemble de la zone euro : si un ralentissement de l'activité provient d'un affaiblissement de la demande, alors l'inflation fléchit avec l'activité et la Banque centrale européenne assouplit normalement sa politique monétaire. Néanmoins, la politique budgétaire a une action plus directe et plus rapide sur la demande que ne l'a la politique monétaire qui repose sur des canaux de transmission longs et incertains. C'est pourquoi une politique budgétaire peut se justifier même lorsque les chocs de demande sont partagés par l'ensemble des partenaires de la zone euro. Son efficacité sera alors plus grande si l'ensemble des partenaires suivent des politiques similaires de stabilisation de la demande. La question de la coordination se pose donc à nouveau face aux chocs dits « symétriques » (touchant tous les pays de la zone), mais cette fois le risque est double, puisque la coordination doit se faire à la fois entre les gouvernements et avec la banque centrale qui est indépendante :
• coordination entre les gouvernements : le risque est que certains pays ne participent pas à l'effort de stabilisation conjoncturelle, ou bien au contraire qu'ils pratiquent des politiques exagérément expansives puisqu'ils n'ont pas de sanction directe des marchés ou de la banque centrale ;
• coordination avec la banque centrale : le risque est que la banque centrale annule les efforts des gouvernements pour stabiliser la conjoncture en relevant (ou en n'abaissant pas) les taux d'intérêt lorsque la demande ralentit sous prétexte que les déficits augmentent.
Ces deux risques ont été très présents dans les débats de politique économique depuis 1999. Certains économistes ont pointé du doigt les dérapages budgétaires en Allemagne et en France ; d'autres ont, au contraire, mis en avant l'impact positif que ces dérapages pouvaient avoir sur d'autres économies restées vertueuses. Les décisions du Conseil européen relatives à l'application du pacte de stabilité et de croissance (PSC) aux deux plus grands pays de la zone euro ont, de ce point de vue, bien reflété l'ambivalence des arguments.
Une vision optimiste du PSC est de considérer ce dernier comme une règle de coordination entre les politiques budgétaires et la politique monétaire : en limitant les déficits budgétaires, le PSC offre une assurance à la BCE contre les dérapages budgétaires, ce qui devrait l'inciter à baisser ses taux en période de ralentissement de l'activité, à les relever en période d'accélération de la conjoncture. Par ailleurs, l'obligation faite aux Etats membres de ramener leurs finances publiques « à l'équilibre ou proche de l'équilibre » à moyen terme peut être vue comme l'assurance que tous disposeront des marges de manoeuvre nécessaires le moment venu.
Cette vision est cependant trop optimiste pour deux raisons :
• La BCE n'a pas pour mission de pratiquer une politique de stabilisation conjoncturelle, même si son objectif de stabilité des prix s'en rapproche de facto 28 ( * ) .
• Le caractère peu contraignant du PSC en phase haute du cycle a rendu plus difficile que prévu le retour des finances publiques à l'équilibre à moyen terme.
En pratique, la coordination des politiques économiques ne semble avoir fonctionné ni entre les gouvernements, ni avec la BCE, certains Etats membres ayant respecté le PSC, d'autres non. Le PSC s'est alors transformé en une règle de conduite de la politique budgétaire consistant à n'utiliser que les stabilisateurs automatiques, les objectifs budgétaires étant désormais exprimés en termes de déficit structurel (corrigé du cycle).
Toutefois, il faut se garder d'idéaliser la période antérieure au PSC et la période « pré-Maastrichtienne » correspondant à la course à la qualification pour l'euro. La réalité est qu'il n'y a jamais véritablement eu de coordination des politiques budgétaires en Europe. Tout au plus pourrait-on parler de conception partagée de la politique budgétaire, chacun réagissant de son côté mais de la même manière aux mêmes chocs.
L'objectif de la présente étude est de faire le point sur la coordination des politiques économiques, et plus particulièrement des politiques budgétaires, au sein de la zone euro, en se concentrant sur le couple franco-allemand. Les arguments pour et contre la coordination sont rappelés dans la section 2 du rapport. La section 3 détaille comment l'Union européenne et la zone euro ont cherché à mettre en pratique cette coordination. La section 4 examine l'évolution des politiques économiques en France et en Allemagne et met en évidence leurs principales divergences. La section 5 va plus loin en estimant empiriquement le comportement des deux pays en matière de politique budgétaire, en comparant ces comportements et en examinant comment ils ont évolué au cours du temps. La section 6 conclut.
* (*) Avec la participation de Dries Janssens (Université Paris X) et Béatrice Postec (CEPII).
* 28 Les estimations de règles de Taylor pour la BCE montrent que cette dernière réagit à l'écart de production agrégé de la zone.