B. LES CAUSES DES VIOLENCES

1. Les spécificités du spectacle sportif

« Foule : a toujours de bons instincts » (Flaubert, Dictionnaire des idées reçues ). Certains auteurs estiment que les supporters de football se comportent comme une meute, dans laquelle chacun est emporté par la foule, devient irrationnel et répond en état d'hypnose aux mots d'ordre des meneurs. Les effets de dépersonnalisation liés au comportement des supporters (déguisements, ports d'uniformes vestimentaires, densité de la foule) facilitent les prises de contrôle de l'individu par la foule. Les comportements des supporters dans les enceintes sportives seraient en fait un résidu d'archaïsme - les groupes se donnent souvent le nom de tribus - et le stade l'un des rares espaces où l'on tolère le débridement des émotions collectives. Dans ces conditions, des phénomènes de foule entraîneraient automatiquement des violences physiques.

Le spectacle sportif a en outre plusieurs spécificités qui augmentent les risques de violence : participation active du public , nombre des spectateurs qui peut donner un sentiment d'impunité, et spectacle dans lequel le bonheur des uns fait le malheur des autres.

Selon une analyse psychologique 36 ( * ) , il faut par ailleurs repousser l'idée que le spectacle de la violence a une conséquence libératoire sur l'agressivité. La vision de spectacles violents entraîne un effet instigateur de comportements violents chez le spectateur . Dès lors, le spectacle d'un match de football, sport de contact, entraîne davantage d'hostilité qu'une compétition de gymnastique 37 ( * ) .

Si ces phénomènes sont bien réels, ils n'expliquent cependant pas la spécificité footballistique et, par exemple, le caractère convivial des supporters des équipes de rugby.

2. Les raisons de l'exception footballistique

Plusieurs explications peuvent être apportées. Patrick Mignon l'explique notamment par l'insuffisance de contrôle social des spectateurs sur leurs voisins de stade , à la différence des spectateurs du rugby, qui exercent un contrôle sur leurs pairs 38 ( * ) . Au rugby, les spectateurs sont en effet souvent d'anciens pratiquants et adhérents, qui reconnaissent leur appartenance à une sorte de confrérie du rugby. Ils partagent une passion et des valeurs propres à ce sport. Avec le professionnalisme, il semble cependant que l'on constate des évolutions dans le comportement des supporters des clubs de rugby qui pourraient choquer à l'avenir. Un fossé est ainsi en train de se creuser entre le Top 14 et la D2 d'une part, et le rugby de clocher d'autre part qui a forgé l'image du supporter cocardier, franchouillard, machiste mais profondément humaniste.

La culture du supportérisme footballistique s'est ainsi développée dans la plupart des clubs, à travers les jeunes spectateurs , dans un contexte d'autonomisation de cette classe d'âge, ce qui explique en partie les comportements « ultras ». Dans les clubs plus anciens, comme le Racing Club de Lens, où la tradition des supporters est plus ancienne et le public plus familial, les comportements « déviants » et/ou violents sont beaucoup plus rares.

D'autres explications sont également avancées :

- le football possèderait des propriétés particulières « d'instabilité » (le résultat y est davantage imprévisible que dans les autres sports) et « d'intranquillité » (le match est incertain tant qu'un écart de but suffisant ne sépare pas les équipes), autant de facteurs qui influent sur la passion des publics. Christian Bromberger estime ainsi que « le football a d'incontestables qualités scéniques et dramaturgiques » 39 ( * ) ;

- le football est le sport qui est le plus vécu, du fait de sa médiatisation, comme une « bataille identitaire », dans laquelle les masses adhérent à une logique du conflit. En cas de derby, les risques sont ainsi plus élevés et la Ligue considère traditionnellement ces matchs comme plus dangereux. 40 ( * )

Par ailleurs, la médiatisation extrême des enjeux liés au football donne un caractère public aux actions menées par les supporters d'une part, et crée une tension permanente dans le monde du football, d'autre part, qui a une influence sur les supporters.

* 36 J.-P. Leyens et B. Rimé, « Violence dans les stades : la réponse des psychologues », La Recherche, 1988.

* 37 Selon les études présentées par M. Comeron, op. cit..

* 38 Audition du 20 mars 2007.

* 39 C. Bromberger, Le football, la bagatelle la plus sérieuse du monde , Bayard, Paris, 1998.

* 40 Le ministère de l'intérieur classe ainsi chaque match selon son degré de dangerosité et prévoit en conséquence le dispositif policier à mettre en place aux alentours des stades.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page