B. UN STATUT ET UNE POSITION POLITIQUES SOURCES D'INTERROGATIONS
Le renforcement de la présence et de l'action de la France au sein de l'OTAN amène logiquement à s'interroger sur l'intérêt de maintenir sa position singulière, et plus largement sur sa capacité d'influence politique sur les évolutions en cours dans l'Alliance .
1. Le statut singulier de la France est-il toujours justifié ?
Avec le retrait de la structure militaire intégrée en 1966, la France marquait sa singularité au regard des 14 autres membres de l'Alliance. Cette singularité est aujourd'hui renforcée dans une Alliance à 26 membres, aucun autre pays, adhérent historique ou nouveau venu, n'ayant envisagé de restreindre sa participation aux différentes instances politiques ou militaires de l'organisation.
En contribuant largement aux opérations et en plaçant des officiers dans les états-majors de l'OTAN, à des postes en liaison avec la transformation militaire et les opérations, la France n'a-t-elle pas déjà effectué une grande partie du chemin qui la conduirait à une réintégration pleine et entière au sein de l'OTAN ?
Interrogée sur ce point par votre rapporteur le 6 février dernier, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, avait répondu qu'avec « la transformation de l'OTAN, le rôle de la structure militaire intégrée tend à se réduire, l'incidence de la position particulière de la France étant de ce fait de moins en moins perceptible ; sur le plan politique, le statut singulier de notre pays au sein de l'Alliance lui permet en revanche de faire entendre sa voix et d'être écouté ».
Il est vrai que la structure militaire intégrée , conçue pour planifier les forces dans la perspective d'un conflit en Europe centrale, perd une partie de sa raison d'être aujourd'hui . Plusieurs alliés, notamment les Américains et les Britanniques, souhaiteraient d'ailleurs la voir allégée, plus souple et plus adaptée aux impératifs de réactivité et de flexibilité liés au contexte actuel.
Dès lors que la France a montré son aptitude à participer sans difficulté aux opérations de l'OTAN, et même à les commander, son absence de la structure militaire intégrée ne paraît pas constituer un handicap particulier. En participant de manière très limitée mais ciblée aux états-majors intégrés, elle peut en outre être associée à des activités de doctrine et de planification auxquelles elle attache un intérêt spécifique.
Un retour plein et entier dans l'ensemble des structures de commandement exigerait en outre une forte augmentation de notre participation financière et une contribution massive en personnels, les pays comparables disposant de plus de 2 000 militaires dans ces états-majors, contre une centaine à peine pour la France. Une telle perspective ne paraît pas raisonnablement envisageable aujourd'hui.
La réintégration de la France impliquerait également sa participation aux deux instances intergouvernementales qu'elle a quittées en 1966 : le comité des plans de défense et le groupe des plans nucléaires.
S'agissant du groupe des plans nucléaires, un expert britannique, Sir Michael Quinlan, ancien sous-secrétaire d'Etat à la défense, précisait devant notre commission le 14 juin 2006, lors d'un débat sur la dissuasion nucléaire française, que ses activités tendaient à dépérir, la plupart des Etats-membres de l'OTAN considérant que la stratégie nucléaire était un « sujet très théorique et sans intérêt immédiat ». Il précisait en outre que la déclaration formelle des forces nucléaires britanniques à l'OTAN n'altérait en rien l'indépendance du Royaume-Uni en matière opérationnelle.
Quant au comité des plans de défense, les objectifs qu'il assigne aux Etats-membres en matière de planification de défense, c'est-à-dire de préparation et d'équipement des forces, semblent plus incitatifs que directifs.
Les enjeux pratiques d'une réintégration dans ces structures semblent bien moindres que ses enjeux politiques .
Le statut singulier de la France lui permet-il de faire entendre sa voix et d'être écoutée , comme l'indiquait le précédent ministre de la défense ? Peut-il au contraire l'isoler de ses partenaires et fragiliser les positions qu'elle entend défendre au sein de l'Alliance ? Contribue-t-il à résorber ou plutôt à pérenniser au sein de l'Alliance un déséquilibre politique que nous déplorons ?
On observera simplement qu'on pourrait voir une contradiction entre la volonté clairement affichée de la France d'engager avec nos principaux alliés européens une coopération plus poussée en matière de défense, et le maintien d'une spécificité qui, dans ce même domaine, nous démarque encore nettement de ces mêmes alliés, puisque pour leur part, ils conçoivent l'OTAN comme un cadre naturel et essentiel pour leur sécurité. La France doit-elle attendre que ses partenaires se détachent quelque peu de l'OTAN, ou, étant la seule dans sa situation, est-ce au contraire à elle de rejoindre ses partenaires ?
De même, une banalisation de la position française ne rendrait-elle pas beaucoup moins difficile le débat sur la complémentarité ou la concurrence entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense, la France restant a priori suspectée de ne pas être sincère lorsqu'elle déclare que le développement de la PESD n'affaiblira pas l'OTAN ?
Héritage d'une période où l'indépendance nationale inspirait entièrement notre politique de défense, la position française au sein de l'Alliance ne va pas de soi aujourd'hui, à l'heure où nous voulons précisément donner à cette politique de défense une dimension internationale plus affirmée en nous tournant vers des partenaires européens quant à eux pleinement intégrés dans l'OTAN.
Mais plus que notre statut institutionnel, qui présente surtout une dimension symbolique, c'est notre capacité à peser concrètement sur l'orientation de l'Alliance qui est en cause.