III. L'ORGANISATION DU SYSTÈME UNIVERSITAIRE JAPONAIS : SÉLECTION ET AUTONOMIE
A l'heure où la France entreprend la modernisation de ses universités, la mission sénatoriale a souhaité se pencher sur l'organisation du système universitaire japonais. Elle a visité l'Université de Tokyo, et notamment ses laboratoires de recherche particulièrement performants en matière de robots humanoïdes. Elle a rencontré le Président de l'université au cours d'un déjeuner qui a permis d'intéressants échanges de vue.
Elle s'est également entretenue avec le directeur de l'enseignement supérieur au ministère de l'éducation nationale, afin de faire le point sur la réforme des universités intervenue en avril 2004.
La délégation a pu constater une grande similitude de problématiques, puisque face à la diminution de sa compétitivité et à la récession frappant le pays dans les années 2000, le Japon a décidé de mettre en oeuvre une politique privilégiant l'éducation et la recherche, et incluant une réforme de l'enseignement supérieur destinée à favoriser la compétitivité des établissements.
Rappelons en effet que, constatant l'importance de la valorisation de la recherche et de la connaissance, la Diète japonaise a adopté en 1995 une loi organique sur la science et la technologie visant à amener le Japon au meilleur niveau scientifique et technologique mondial.
Après un premier plan cadre de 5 ans pour la science et la technologie, lancé en 1995, le gouvernement a élaboré un deuxième plan cadre couvrant la période 2001-2006. Ce dernier prévoyait un budget de 24 000 milliards de yens (209 milliards d'euros) sur 5 ans avec, comme objectif, d'arriver à 3,4 % du PIB pour la recherche et la technologie.
La réforme des universités s'est inscrite dans le cadre de cette démarche. Une première étape a été franchie avec la loi de 1991 assouplissant les règles de création d'universités ou de départements nouveaux. Les universités peuvent désormais organiser librement leurs programmes et créer de nouvelles formations mieux adaptées au marché de l'emploi. C'est ainsi que des programmes de master professionnel ont été mis en place dès 1999 et de nouveaux instituts professionnels se sont ouverts au sein des universités en 2003.
La loi de 1997 a permis de favoriser la mobilité des enseignants en introduisant un régime d'emploi à durée déterminée, donnant une plus grande souplesse aux établissements en matière de recrutements.
Parallèlement, l'Etat a privilégié les universités nationales et publiques locales au détriment des universités privées dans la répartition des moyens, afin de garantir un accès plus équitable à l'enseignement supérieur sur tout le territoire.
La loi votée en juillet 2003 vise à accroître la concurrence, la flexibilité et l'adaptation des universités au nouvel environnement.
A. LE PAYSAGE UNIVERSITAIRE JAPONAIS
1. De nombreux établissements
Le système d'enseignement supérieur japonais est très différent du modèle français. Il existe 674 universités au Japon : 87 nationales, 512 privées, 75 municipales ce qui représente 2,8 millions d'étudiants dont 621 500 dans les universités nationales. Depuis 10 ans le nombre de bacheliers a chuté d'environ 20 % (-300 000) mais cette diminution a été compensée par l'ouverture des universités japonaises aux étudiants étrangers, dont le nombre a plus que doublé dans la même période (100 000 en 2003) et par une augmentation du nombre de bacheliers ayant réussi le concours d'entrée. De plus, il y a une diminution sensible des étudiants en cycle court au profit des universités pour lesquelles le nombre d'entrants reste constant. La figure suivante présente ces éléments.
Pour une population double de celle de la France, on compte :
- 2,8 millions d'étudiants au Japon, contre 2 millions en France (1,3 million dans les universités) ;
- 11,3 élèves par enseignant au Japon contre 18,1 en France ;
- 64 % des bacheliers japonais contre 69 % des bacheliers français qui intègrent l'enseignement supérieur.
Les universités nationales n'accueillent que 25 % des étudiants et emploient 61 000 enseignants. Le ministère de l'éducation et de la recherche leur alloue un budget de 9 milliards d'euros soit une dépense de 15 000 euros par étudiant plus de deux fois la moyenne française (6 850 euros). A ce financement s'joutent les droits d'inscription soit environ 4 000 euros par étudiant pour les universités nationales (plus du double pour les universités privées).
Au cours des deux dernières années le nombre d'universités nationales est passé de 97 à 87 par des fusions d'universités spécialisées (par exemple médecine) avec des universités généralistes. Ceci devant permettre des économies de fonctionnement importantes.
Contrairement à la France, il n'existe pas de diplômes nationaux au Japon, e t cela n'a pas été remis en cause par la réforme. Par contre, même s'il n'existe pas de classement formel, les universités nationales bénéficient d'une meilleure cote que la plupart des universités privées.
2. Un système sélectif et privé
Les différents textes encadrant l'enseignement supérieur ont été refondus après la seconde guerre mondiale dans le but de garantir la liberté d'enseignement et de recherche ainsi que l'autonomie et le fonctionnement démocratique des établissements. La loi fondamentale sur l'éducation de 1947 précise que l'éducation a pour mission de développer la personnalité des élèves et des étudiants, qu'elle doit être accessible partout sur la base de l'égalité des chances et que les enseignants sont au service de la communauté, jouissent de la liberté d'enseignement et doivent bénéficier de rémunérations équitables. Pourtant, au Japon, les universités ne sont pas appréhendées comme un bien public à la charge de l'ensemble des citoyens. Ainsi, les droits de scolarité et les frais d'inscription à la charge des étudiants y sont élevés et trois quarts des universités sont privées.
La formation supérieure est assurée par des universités à cycle long parmi lesquelles on distingue des universités publiques nationales et des universités publiques locales (départementales et municipales), des universités privées, des universités à cycle court (2 à 3 ans), des instituts de technologie ainsi que des instituts professionnels spécialisés (1 à 4 ans). Trois caractéristiques marquent le système d'enseignement supérieur : la forte progression du nombre d'établissements depuis 1950, la croissance continue des effectifs d'enseignants, et la domination du secteur universitaire privé (76 % des établissements et 74 % des effectifs étudiants).
Le mode de sélection des étudiants se fait par le biais de concours organisés par les universités publiques et privées à cycles long et court avec un numerus clausus fixé pour chaque établissement par le ministère de l'éducation (MEXT 27 ( * ) ). Sous la tutelle du MEXT, le Centre national d'examens d'entrée universitaire organise également des examens dont les résultats peuvent être utilisés par les établissements comme un des critères de sélection des étudiants. Ces concours peuvent nécessiter une à deux années de préparation dans le cadre de cours spécialisés. Il en résulte une forte hiérarchie entre les universités, publiques ou privées, avec des critères d'admission propres à chaque établissement.
Cette organisation se traduit par un taux de réussite global de près de 90 % au niveau de la licence , dont 21,2 % seulement poursuivent en master. En 2006, 95,3 % des diplômés ont trouvé un emploi dès la fin de leurs études universitaires.
* 27 MEXT : Ministry of Education, Culture, Sports, Science and Technology.