II. LE DISPOSITIF ESPAGNOL : UN RECRUTEMENT UNIQUEMENT FONDÉ SUR LE NIVEAU JURIDIQUE DES CANDIDATS, UNE FORMATION INITIALE DISTINCTE POUR LES MAGISTRATS DU SIÈGE ET DU PARQUET
Le système de recrutement et de formation initiale des magistrats espagnols est prévu par la loi organique n° 6/1985 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire.
Assez proche du système français, il tient toutefois compte de la spécificité espagnole : la stricte séparation entre le siège et le parquet.
A. LE HAUT NIVEAU JURIDIQUE DES CANDIDATS, SEUL CRITÈRE D'UNE SÉLECTION FORTE
1. Une sélection principalement fondée sur le premier concours, complétée par des recrutements parallèles, gages de diversité
• Un recrutement principalement fondé
sur le premier concours
En principe, d'après la loi organique précitée du 1 er juillet 1985, les juges espagnols doivent être recrutés par la voie du premier concours (« turno libre » ou « oposición »).
Un concours unique est organisé pour le recrutement des magistrats du siège et du parquet 140 ( * ) . Ce n'est qu'à l'issue du concours, en fonction de leur classement, que les élèves magistrats choisissent l'une ou l'autre de ces fonctions et donc, par voie de conséquence, l'une ou l'autre des écoles de formation 141 ( * ) .
Le Conseil général du pouvoir judiciaire, équivalent du Conseil supérieur de la magistrature français, est compétent pour l'organiser depuis 1994.
Les candidats doivent remplir plusieurs conditions :
- être majeur ;
- être de nationalité espagnole ;
- ne pas encourir une cause d'incapacité (incapacité physique ou mentale, avoir été condamné ou inculpé pour un délit, être privé ou ne pas être dans le plein exercice de ses droits civiques) ;
- justifier d'un diplôme de droit sanctionnant au moins cinq années d'études supérieures (licence en droit en Espagne).
Organisé au moins tous les deux ans (actuellement, il l'est tous les ans), le concours se déroule sur près de neuf mois et regroupe trois épreuves éliminatoires (« exercicios »), très techniques et purement juridiques. Elles se composent :
- d'un questionnaire à choix multiple (« primer ejercicio ») -QCM. Exercice écrit comprenant cent questions, il porte sur le droit civil, le droit pénal, la théorie générale du droit et le droit constitutionnel.
4.000 à 5.000 candidats se présentent chaque année et seulement 500 d'entre eux sont retenus à l'issue de cette épreuve ;
- d'un examen oral (« segundo ejercicio ») de 75 minutes, avec présentation de cinq exposés chacun ne pouvant dépasser 15 minutes- dans les domaines suivants : deux exposés en droit civil, deux exposés en droit pénal et un exposé sur la théorie générale du droit et le droit constitutionnel (préparation de 15 minutes) ;
- d'un second examen oral (« tercer ejercicio ») de 75 minutes correspondant à cinq exposés dont les sujets sont tirés au sort et dans les matières suivantes : deux exposés en procédure civile, un exposé en procédure pénale, un exposé en droit commercial et un exposé en droit administratif ou en droit du travail (préparation de 15 minutes).
Pour ces deux examens oraux, plus de quatre cents thèmes juridiques sont à connaître. Chaque exposé est noté sur 5 points. La note totale pour chaque examen est calculée à partir de la moyenne des trois notes médianes -la note la plus élevée et la plus basse sont écartées. La note éliminatoire est 12,5 (sur 25).
Plusieurs jurys (« tribunales calificadores ») répartis dans diverses communautés autonomes reçoivent les candidats. Chacun est ainsi composé :
- d'un magistrat du Tribunal suprême ou d'un tribunal supérieur de justice ou un procureur du Tribunal suprême ou d'un parquet de tribunal supérieur de justice ou d'une chambre de jugement d'une audience provinciale 142 ( * ) , président ;
- de deux magistrats du siège ;
- de deux procureurs ;
- d'un professeur de droit ;
- d'un avocat de l'Etat ;
- d'un avocat justifiant de plus de dix ans d'exercice professionnel ;
- d'un greffier.
Seules des épreuves juridiques théoriques sont prévues. Aucun examen pratique (cas pratique, note de synthèse...) ni épreuve de culture générale, de langues ni même de tests psychologiques ne figure parmi les épreuves. La faculté de « discernement » des candidats n'est en aucun cas testée, ni même leur capacité de juger.
A l'issue du troisième exercice -« el tercer ejercicio », c'est-à-dire le second oral-, le jury, après à un vote à la majorité de ses membres, indique au candidat s'il a réussi ou non le concours.
Le jury peut également, à l'unanimité de ses membres, décider à tout instant de demander à un candidat de suspendre son exposé oral et de se retirer du concours en cas de défaillance manifeste.
M. Francisco de Paula Puig Blanes, responsable du service des relations extérieures et institutionnelles de l'école judiciaire, a indiqué que certains observateurs et professionnels de la justice en Espagne se posaient la question d'introduire une épreuve pratique et des tests psychologiques dans le concours.
• L'existence d'autres voies d'accès
à la magistrature du siège
Parallèlement au premier concours, d'autres modes de recrutement propres aux magistrats du siège sont prévus :
- un troisième concours (« tercer turno » ou « concurso oposición » ), pour les candidats justifiant au moins de six ans d'expérience dans une profession juridique.
Les candidats sont soumis à une épreuve d'évaluation au cours de laquelle ils doivent présenter leur parcours professionnel et personnel ainsi qu'à une épreuve orale -sur la forme, celle-ci est identique à celle des élèves du premier concours, mais moins dense sur le fond, le programme étant plus restreint ;
- un recrutement au tour extérieur (« acreditación » ou « concurso de meritos » ) , pour des postes de « magistrados », c'est-à-dire les juges hiérarchiquement plus élevés. Les candidats à cette sélection accèdent ainsi directement au statut de magistrat 143 ( * ) .
Un cinquième à un quart des postes de magistrats est ainsi réservé à des juristes ayant une expérience d'au moins dix ans dans une profession juridique. M. Manuel Garcia, magistrat de liaison espagnol en France, a toutefois indiqué qu'en 2006, seule la moitié de ces postes avait effectivement été pourvue par ce biais.
Les candidats au tour extérieur sont recrutés par le Conseil général du pouvoir judiciaire, à l'issue d'un entretien d'une demi-heure devant le jury du concours au cours duquel des questions de droit peuvent leur être posées. Le jury évalue les « mérites » du candidat, « juriste de compétence reconnue », en fonction de ses diplômes et de ses travaux antérieurs (publications d'articles...).
Le nombre de places à pourvoir au tour extérieur est fixé chaque année par le Conseil général du pouvoir judiciaire.
Une fois recrutés, ces magistrats doivent effectuer un stage d'une semaine à l'école judiciaire ainsi que trois semaines dans différentes juridictions ;
- un cinquième tour (« quinto turno »), qui permet de pourvoir environ 20 % des postes du Tribunal suprême. Il s'adresse à des juristes de très grande renommée et justifiant de plus de quinze années d'activité professionnelle.
Une fois le poste à pourvoir publié au journal officiel, le Conseil général du pouvoir judiciaire reçoit les candidatures et choisit l'un d'entre eux au regard de ses « mérites » et de ses travaux antérieurs.
2. Le profil des candidats intégrés dans la magistrature : plutôt jeunes, ayant une faible expérience professionnelle et très majoritairement des femmes
A l'issue du concours externe, environ 250 candidats sont retenus chaque année. Le nombre exact de postes ouverts est déterminé chaque année par le Conseil général du pouvoir judiciaire en fonction des besoins des corps de magistrats du siège et magistrats du parquet. En 2005, 240 candidats ont été sélectionnés et ainsi répartis :
- 140 élèves à l'Ecole judiciaire (magistrats du siège) ;
- 100 élèves au Centre des études judiciaires (magistrats du parquet).
D'après les informations fournies par l'Ecole judiciaire, plus de 4.000 candidats se sont présentés au concours en 2006, pour seulement 150 places (75 pour le siège et 75 pour le parquet).
D'après M. Francisco de Paula Puig Blanes, responsable du service des relations extérieures et institutionnelles de l'école judiciaire, les premiers reçus au concours choisissent en priorité les fonctions du siège.
Depuis plusieurs années, les femmes sont majoritaires au sein des recrutements. Elles représentent ainsi près de 70 % de la promotion 2006 de l'école judiciaire et près de 64 % des magistrats sur les onze dernières promotions (1996-2006).
Les élèves de l'école judiciaire sont en moyenne âgés de 28 ans au début de leur formation et plus de 68 % des magistrats ayant débuté leur carrière entre 1996 et 2006 n'avaient jamais travaillé avant d'accéder à ces fonctions.
Au regard de la difficulté du concours, les candidats se préparent en moyenne pendant plus de quatre ans (4,7 ans), à l' issue de leurs cinq années d'études de droit .
La mission d'information a pu constater, lors de son déplacement en Espagne, que cet important temps de préparation nécessaire au concours rendait son accès difficile pour les candidats issus des milieux peu aisés. Les interlocuteurs rencontrés par la délégation ont expliqué que certains candidats obtenaient des crédits auprès d'entreprises bancaires, ajoutant qu'un système de bourses avait été mis en place depuis l'an dernier.
* 140 Il s'agit ainsi d'éviter qu'un candidat ne réussisse les deux concours (magistrats du siège et du parquet), ce qui occasionnerait ainsi des défections dans l'une ou l'autre des listes des personnes admises.
* 141 Voir le B du présent II.
* 142 Voir la fiche sur le contexte judiciaire espagnol.
* 143 Le système judiciaire espagnol distingue en effet le statut de juge (pendant les premières années d'exercice des fonctions) de celui de magistrat (obtenu après plusieurs années d'expérience). Pour plus de détails, voir le 2 du B du présent II ainsi que la fiche sur le contexte judiciaire espagnol en annexe du présent rapport.