TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION DE M. JEAN PICQ, PRÉSIDENT DE LA 3ème CHAMBRE DE LA COUR DES COMPTES, M. JEAN-CLAUDE DUMONT, PRÉSIDENT DE L'ÉTABLISSEMENT PUBLIC DE MAITRISE D'OUVRAGE DES TRAVAUX CULTURELS (EMOC), MME MARTINE MARIGEAUD, DIRECTRICE DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE AU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET M. ARNAUD ROFFIGNON, CONSEILLER TECHNIQUE AU CABINET DU MINISTRE
Présidence de M. Jean Arthuis, président
Séance du mercredi 11 juillet 2007
Ordre du jour
Audition de M. Jean PICQ, président de la 3 ème chambre de la Cour des comptes, M. Jean-Claude DUMONT, président de l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (EMOC), Mme Martine MARIGEAUD, directrice de l'administration générale au ministère de la culture, M. Arnaud ROFFIGNON, conseiller technique au cabinet du ministre, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes relative à l'EMOC, transmise par la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
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La séance est ouverte à 15 heures 45
M. Jean Arthuis, président - Mesdames et Messieurs, j'ai le plaisir de vous accueillir ce matin dans le cadre d'une « audition pour suite à donner » à une enquête réalisée par la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF. Avant tout, je dois vous demander de bien vouloir pardonner cette ouverture tardive : elle est la conséquence de la concurrence qui s'exerce entre le « grand hémicycle », où Mme la ministre de l'enseignement supérieur vient d'exposer son nouveau projet de loi relatif aux libertés des universités, et cette commission.
Il s'agit aujourd'hui d'une enquête portant sur l'Etablissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (EMOC), créé en 1998 afin de rationaliser la maîtrise d'ouvrage du ministère de la culture. Il a succédé à l'établissement public du Grand Louvre, pour devenir aujourd'hui l'opérateur principal du ministère en matière de travaux immobiliers. Il consomme, selon les années, entre le tiers et le quart des crédits d'investissement de la mission « Culture ».
Depuis plusieurs années, le secteur des monuments historiques est en crise. Dans le même temps, la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre des travaux réalisés sur les édifices classés ont été réformées. La commission des finances s'est parfois interrogée sur l'efficacité de cette réforme, en termes de simplification des situations, et de responsabilisation des différents acteurs. Il convient d'ajouter à cela qu'au titre de la gestion 2005, l'EMOC a reçu une dotation en capital de 100 millions d'euros issue des recettes de privatisation des autoroutes. Nous nous étions promis, lorsque cette disposition a été approuvée, de suivre son application avec attention, tout particulièrement dans le contexte de l'application de la LOLF.
La loi de finances pour 2007 prévoyait l'affectation d'une recette fiscale d'un montant de 70 millions d'euros au Centre des monuments nationaux. Pareille mesure soulevait la question de la coordination des acteurs intervenant dans le domaine de la maîtrise d'ouvrage culturelle, qu'il s'agisse du service national des travaux (SNT), des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), ou encore de l'EMOC.
Ces interrogations ont conduit la commission des finances à solliciter de la Cour des comptes, le 3 octobre 2006, une enquête sur l'EMOC, laquelle lui a été transmise le 29 mai 2007. La présente audition a pour objet de faire en sorte que les travaux réalisés et les rapports publiés connaissent une suite effective.
Cette préoccupation, s'agissant de l'EMOC, est commune aux commissions des finances et des affaires culturelles. Je me dois donc d'excuser ici le président Jacques Valade, dont la commission est saisie du projet de loi relatif aux libertés des universités, et qui devait initialement participer à nos travaux. Je sais toutefois l'intérêt qu'il porte à notre démarche. Nous ne pouvons que nous réjouir du développement d'une étroite coopération avec nos collègues des affaires culturelles, notamment sur des questions où leur expertise est aussi précieuse.
Nous recevons, pour la Cour des Comptes, M. Jean Picq, président de la 3 ème Chambre, ainsi que M. Emmanuel Giannesini et Mme Maïa Wirgin, magistrats ayant participé à l'enquête. Le ministère de la culture et de la communication sera représenté par M. Arnaud Roffignon, conseiller technique au cabinet du ministre, et Mme Martine Marigeaud, directrice de l'administration générale au ministère. Nous entendrons également M. Jean-Claude Dumont, président de l'EMOC.
Afin de préserver une possibilité effective de dialogue et de débat, je demande que les interventions liminaires des différents intervenants présentent leurs observations principales. Je rappelle aux membres de la commission des finances que nous aurons ensuite à nous prononcer quant à la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.
Pour commencer, je donne la parole à M. Jean Picq, président de la 3 ème Chambre de la Cour des comptes : il présentera les points principaux de l'enquête.
M. Jean Picq - Je tenterai de répondre de mon mieux à cette exigence de concision. Le rapport de la Cour des comptes atteint toutefois près de 72 pages, et il aborde un système d'une grande complexité. Or, il importe de transmettre aux membres de la commission une information complète et précise. Je rappelle que ce rapport, avant sa publication, a fait l'objet d'une contradiction intense avec le directeur de l'EMOC et le ministère de la culture. Cette intervention insistera, d'une part, sur la gestion propre de l'établissement, puis, d'autre part, et, plus largement, sur les opérations qu'il a conduites.
Le fonctionnement dans l'établissement appelle cinq observations principales. Tout d'abord, l'EMOC est un établissement public, travaillant sous mandat gratuit. Si ce système dispense le ministère de mise en concurrence dans le choix de son mandataire, il entérine également l'absence de tout mécanisme de responsabilisation. La LOLF prévoit pourtant la mise en place d'indicateurs et de rapports annuels de performance : ceux-ci doivent évaluer la responsabilité des organismes dans la conduite de leurs opérations. C'est donc là un élément de faiblesse au regard des règles de responsabilisation. Par ailleurs, l'EMOC ne semble s'intégrer que marginalement dans la démarche de performance du ministère. En effet, il n'apparaît pas dans le projet annuel de performances, et semble n'être relié à l'administration centrale que par des indicateurs rudimentaires. C'est là en partie la conséquence du régime du mandat. Il s'agit cependant d'un élément préjudiciable, puisque cet opérateur reste en charge de près de la moitié des dépenses d'investissement immobilier du ministère. La Cour s'interroge en outre sur le plan de charges de l'établissement pour les années à venir. Trois grands chantiers se dessinent, avec les archives nationales de Pierrefitte, le quadrilatère Richelieu, ainsi que le musée des Civilisations européennes et méditerranéennes à Marseille. Ces opérations, sans doute importantes en volume, restent d'un nombre limité. Or, nous assistons en parallèle à la constitution interne, au Louvre, d'une équipe de maîtrise d'ouvrage. Cette perspective paraît menacer le plan de charge de l'établissement, et donc le maintien d'une activité stable. Ce constat semble avoir incité l'EMOC à initier une diversification de ses missions. Enfin, du point de vue de la gestion financière, les retards constatés ont, paradoxalement, pourvu l'EMOC d'une trésorerie abondante. L'affectation récente d'une dotation de 100 millions d'euros illustre bien le décalage entre la gestion de l'établissement et ses besoins réels. Ces crédits ne constituaient sans doute pas des revenus supplémentaires : il s'agissait davantage d'anticiper les besoins de l'année 2006. Pourtant, ils ont de facto permis de financer les surcoûts de différentes opérations.
J'en viens maintenant à l'examen des opérations conduites par l'EMOC. La Cour a fondé son analyse sur quatre critères : la qualité technique, le respect des coûts, le respect des délais impartis, puis la régularité des procédures. Au regard de ces quatre critères, l'EMOC affiche une performance globale contrastée. La qualité technique des opérations conduites paraît peu discutable : dans l'ensemble, la Cour porte sur l'exécution un jugement tout à fait favorable. S'agissant des délais et coûts, la Cour a relevé des retards substantiels, ainsi que des dépassements conséquents des enveloppes initialement allouées au maître d'ouvrage délégué. Les retards s'étalent de neuf à quarante-cinq mois (pour la Cinémathèque). Le délai moyen atteint trente-deux mois. Le dépassement budgétaire s'élève quant à lui en moyenne à 33 % des montants initiaux. Du point de vue des procédures, la Cour a bien noté le strict respect auquel l'EMOC entend se tenir.
Si différents facteurs expliquent cette performance contrastée, aucun ne semble procéder directement de l'établissement même. L'EMOC conduit des opérations singulières, portant sur des monuments historiques : ceux-ci font l'objet d'exigences particulièrement pointues. La conception et l'application actuelle des conventions de mandats ne lui confèrent pas la pleine responsabilité des opérations dont il a la charge. La Cour a donc préféré évoquer, même si le problème en reste entier, une responsabilité systémique. Dans ce système complexe, il n'est pas simple de déterminer la part des responsabilités de chacun. Il s'agit sans doute d'un point sur lequel la commission pourra se prononcer.
La Cour a ainsi identifié différents facteurs. Le premier recouvre la sous évaluation manifeste des coûts et délais nécessaires à l'achèvement des opérations. La régularité de ce phénomène, quasi systématique, a conduit la Cour à y voir une pratique, consistant à diminuer l'obstacle afin de favoriser le lancement d'un projet. Ensuite, la complexité juridique de ce domaine est connue. Différentes réglementations s'y concentrent, comme la loi sur la maîtrise d'ouvrage public, la réglementation sur les monuments historiques, et les règles locales d'urbanisme. Cette accumulation réglementaire semble avoir suscité de nombreux retards. Les relations entre l'EMOC et les maîtres d'oeuvre constituent un troisième facteur. La Cour ne sous-estime pas la complexité des chantiers ainsi que les aléas auxquels ils restent, de manière inhérente, soumis. Toutefois, le principe d'une rémunération globale et forfaitaire, en principe incitative pour le maître d'oeuvre, n'est pas appliqué. Il s'y substitue de facto une rémunération au temps passé n'encourageant pas l'efficacité. Le quatrième facteur recouvre une implication opérationnelle insuffisante de l'EMOC dans la conduite des travaux. Le président de l'établissement s'en expliquera sans doute. Si les maîtres d'oeuvre gardent une responsabilité particulière, la mise en tension des chantiers demanderait une implication accrue du maître d'ouvrage délégué, notamment à travers une présence physique réaffirmée.
Enfin, le facteur le plus important tient au système institutionnel lui-même. En effet, l'instabilité des programmes architecturaux apparaît comme la première cause des retards et surcoûts. Cette instabilité tient parfois à des aléas de chantier : c'était le cas lors de la rénovation de la marquise du musée d'Orsay et des structures porteuses du parvis Bellechasse. Parfois encore, les programmes sont modifiés en cours de travaux. Trop souvent pourtant, ces modifications traduisent les préférences changeantes émises au gré des renouvellements politiques. Qu'il s'agisse des instances mandantes ou des utilisateurs, l'EMOC n'est pas en mesure de résister à ces préférences. Dès lors, la Cour a vu dans les difficultés de l'établissement la conséquence d'un problème systémique, lié aux interactions entre les différents niveaux administratifs.
La Cour a alors formulé trois recommandations principales. Il convient, en premier lieu, de renforcer l'expertise de l'EMOC dans la programmation des projets qui lui sont confiés. Il paraît essentiel de permettre à l'établissement de pouvoir expertiser, et contredire, les projets. En second lieu, le jeu des modifications susceptible d'affecter le programme des travaux devra être strictement encadré. L'EMOC devra conduire une analyse préalable des modifications, ainsi qu'en analyser les conséquences en termes de coûts et délais. Enfin, et en troisième lieu, il serait souhaitable que l'établissement puisse communiquer les bilans économiques de ses opérations. Ces documents permettraient de rapporter les différentes composantes du coût au montant final. Il favoriserait ainsi une meilleure appréhension, dans un système mettant en jeu une action collective, la part de responsabilité de chacun.
Par ailleurs, il convient d'assurer au plus tôt la bonne intégration de l'EMOC au sein du programme de performance du ministère de la culture. Je crois que ce point est désormais en bonne voie. Le ministère a en effet récemment annoncé différentes mesures devant mettre en place un pilotage à la fois plus ambitieux, plus exigeant et plus responsabilisant de cet établissement.
M. Jean Arthuis, président - Je remercie le Président Picq de cet effort de synthèse, ainsi que de la qualité de l'éclairage qu'il a apporté à la commission des finances. La parole est maintenant aux représentants du ministère de la culture, tutelle de l'EMOC. Plusieurs des observations apportées plus tôt font figure de réquisitoire. Comment expliquer ces délais, ces modifications de programmes, ces dépassements de coûts, ou encore cette accumulation de trésorerie ? Plus largement, la LOLF s'applique-t-elle à cet opérateur de l'Etat ?
Mme Martine Marigeaud - Je me propose de répondre point par point aux observations énoncées par le Président Picq, puis d'apporter des illustrations et des explications concrètes des retards et délais enregistrés par l'EMOC. Enfin, M. Arnaud Roffignon pourra à tout moment compléter mes interventions.
En résumé, le rapport de la Cour apparaît très équilibré. Il détaille bien les difficultés rencontrées par l'EMOC, identifie de manière pertinente les processus à améliorer, tout en désignant bien les causes des dysfonctionnements. Le ministère partage donc, globalement, l'analyse proposée par la Cour des comptes. Le ministère s'est bien sûr efforcé, par le passé, de prévenir ces dysfonctionnements. Toutefois, la complexité du système engendre nombre d'aléas, difficiles à anticiper.
Du point de vue du mandat, l'EMOC reste un outil important, souple et opérationnel, du ministère de la culture. Ce ministère doit gérer un patrimoine extrêmement important et complexe. Face aux projets, aux accidents, et autres obligations de réparation que doit gérer le ministère, l'établissement rassemble un ensemble de spécialistes tout à fait précieux. L'EMOC apparaît comme un prestataire « in house », selon la formule consacrée par la jurisprudence européenne, extrêmement réactif, malgré les délais qu'il peut parfois enregistrer.
Dans son rapport, la Cour a décomposé le processus d'élaboration des projets dans lesquels l'EMOC intervient. Nous convenons tout à fait que l'on retrouve, régulièrement, en point de départ, une forme de sous évaluation budgétaire. Celle-ci est souvent liée au caractère sommaire des premières esquisses. L'EMOC intervient en effet sur des projets complexes, réunissant différents partenaires, qui émettent chacun des préoccupations propres. Il convient de bien insister sur les conditions particulières de ces opérations, qui doivent concilier préservation du patrimoine et accueil du public ainsi que des différents usagers des lieux. La prise en compte de l'intégralité de ces exigences engendre une augmentation significative de la première estimation. Le ministère s'efforce de réduire les coûts.
M. Philippe Marini, rapporteur général - Il s'agit de réduire le montant facial d'un projet pour le rendre budgétairement acceptable. Il n'en reste pas moins que, plus tard, la réalité resurgit.
Mme Martine Marigeaud - La réalité resurgit sans doute. Elle évolue toutefois, au fil du temps. Il s'agit en effet de projets ambitieux, de grande ampleur. De manière générale, la première maquette peine à en appréhender tous les besoins, ainsi que l'ensemble des évolutions à venir.
La Cour des comptes dénonçait également une révision trop tardive des coûts. En effet, le coût de la construction évolue, et induit naturellement un certain nombre de surcoûts. Enfin, la Cour critiquait les effets des évolutions ou modifications de programme. Celles-ci peuvent être parfois liées à des changements de personnels. Il ne semble toutefois pas qu'il s'agisse de la cause principale. A chaque fois, l'EMOC travaille sur des prototypes. Chaque projet n'a rien de commun avec le précédent, si ce n'est sa complexité et sa spécificité. Ainsi les problématiques architecturales traitées sont-elles toujours uniques. Par exemple, la construction d'un bâtiment d'archives, comme le projet actuel de Pierrefitte, est inédite depuis de nombreuses années. Or, il convient d'intégrer, dans ce projet, l'évolution du bâtiment pour les années à venir. La projection de besoins futurs reste, à l'évidence, un exercice particulièrement difficile.
Il apparaît sans doute nécessaire d'améliorer cette situation. Plusieurs actions ont été inaugurées en ce sens. En termes de lisibilité, l'EMOC est appelé à devenir l'opérateur principal du ministère. Actuellement, en ce qui concerne sa dotation de fonctionnement, l'établissement apparaît dans le programme 224 ayant trait à la transmission des savoirs de la LOLF. Il est donc perçu davantage comme un opérateur, au lieu d'être appréhendé du point de vue de la finalité de son action. Ainsi ses crédits sont-ils répartis par programmes thématiques. Nous proposons d'ajouter au sein de l'annexe concernant les opérateurs du ministère, en plus du montant général des crédits attribués à l'EMOC, la liste des opérations sur lesquelles celui-ci est engagé. Pareille démarche devra permettre d'appréhender plus rapidement l'action de l'EMOC.
La Cour demandait également l'amélioration de la transparence de la gestion de l'EMOC. La programmation physique fera l'objet de documents complémentaires, élaborés dans le cadre du contrat de performance. En effet, le ministère de la culture a initié, en liaison avec la LOLF, le développement de contrats de performance avec ses 80 opérateurs. Ils doivent permettre de mieux définir le rôle de chaque établissement, d'en évaluer l'action selon différents indicateurs, et ainsi d'en favoriser le contrôle. Une première maquette du contrat de l'EMOC est actuellement en cours d'ébauche. Un diagnostic préalable a été conduit en commun avec le ministère. Il devrait être publié vers l'automne de cette année.
Je souhaiterais aborder un autre point. Le ministère de la culture est également sensible au sujet des concours d'architectes. Toujours nécessaires lors de grands projets, ces concours compliquent la mise en oeuvre de l'opération. En effet, leurs jurys retiennent rarement, lors de leur choix, le prix comme premier critère de sélection. Nous souhaitons ainsi faire intervenir à l'avenir des économistes de la construction. Leur participation favoriserait une rationalisation de la décision, en permettant une meilleure prise en compte des coûts de construction.
Voici les différentes perspectives d'évolution de l'EMOC envisagées par le ministère de la culture, suite aux remarques de la Cour des comptes.
M. Jean Arthuis, président - M. Arnaud Roffignon, qui a récemment rejoint ce cabinet ministériel, pourrait-il nous décrire ses impressions d'arrivée ?
M. Arnaud Roffignon - Dès son arrivée, la ministre a pris connaissance de ce rapport de la Cour des comptes et des échanges qui ont eu lieu entre la Cour, l'administration du ministère et l'EMOC. Elle a constaté que s'était noué un dialogue contradictoire très riche. La ministre a ensuite souhaité qu'il soit étudié, précisément, notamment dans ses préconisations. Le cabinet les partage globalement, même si certaines nécessiteront du temps pour être mises en oeuvre.
M. Jean Arthuis, président - Depuis combien de temps, M. Jean-Claude Dumont, avez-vous été nommé à ce poste ?
M. Jean-Claude Dumont - Cela fait sept ans.
M. Jean Arthuis, président - Vous êtes donc la mémoire de l'EMOC.
M. Jean-Claude Dumont - Sur le thème de la responsabilité, je précise que le président de l'EMOC est nommé pour trois ans. Il s'agit d'un mode de responsabilisation réel.
M. Jean Arthuis, président - L'établissement dispose-t-il d'un conseil d'administration ?
M. Jean-Claude Dumont - Outre le conseil d'administration, l'EMOC accueille un contrôleur d'Etat et un agent comptable. L'EMOC a un statut d'établissement public et administratif (EPA).
M. Jean Arthuis, président - Le président de l'EMOC est bien nommé par Conseil des ministres ?
M. Jean-Claude Dumont - Tout à fait. Je remercie la Cour des comptes pour la qualité du dialogue que nous avons entretenu, préliminairement à la rédaction de ce rapport. Je souhaiterais toutefois apporter quelques précisions omises dans l'exposé préliminaire. Tout d'abord, l'EMOC n'intervient pas exclusivement dans le domaine des monuments historiques : il est chargé également de la réalisation de bâtiments neufs. Les éléments présentés dans le rapport ne concernaient que la seule activité « réutilisation de bâtiments », et ne recouvraient donc pas la problématique générale de l'EMOC. L'établissement met effectivement en oeuvre, en ce qui concerne les bâtiments neufs, une méthodologie différente.
M. Jean Arthuis, président - Pourriez-vous expliciter ces différences ?
M. Jean-Claude Dumont - En ce qui concerne les monuments historiques, l'EMOC procède selon une méthode en deux temps. Il conduit une étude préalable, proposant une analyse des faiblesses du bâtiment, et établissant la liste des actions à mener afin d'en garantir la pérennité. Dans ce système, l'évaluation et le programme sont établis par l'architecte en chef des monuments historiques (ACMH).
M. Jean Arthuis, président - Les évaluations de l'ACMH ne sont-elles jamais mises en question ?
M. Jean-Claude Dumont - La maîtrise d'un projet touchant aux monuments historiques est complexe à plusieurs égards. Il est plus difficile de chiffrer les travaux devant être conduits dans un bâtiment existant, dont les vices sont plus difficilement identifiables. Ceux-ci ne se révèlent, par définition, qu'au fur et à mesure des travaux.
M. Jean Arthuis, président - Estimez-vous connaître des difficultés à évaluer l'état des monuments historiques ?
M. Jean-Claude Dumont - Nous ne connaissons de difficultés qu'avec les monuments existants, dont il est difficile de connaître l'état réel. De plus, ces monuments sont rarement en conformité avec les normes actuelles, qui n'existaient pas au moment de leur conception. La maîtrise d'ouvrage sur bâtiment existant fonctionne selon un système économiquement très dangereux, qui demande parfois de devoir tout démolir, pour ensuite tout reconstruire.
M. Jean Arthuis, président - Est-il réellement impossible de prendre cette dimension en compte ?
M. Jean-Claude Dumont - L'architecte en chef a une bonne connaissance des bâtiments, et son évaluation est sans doute plus précise que celle de beaucoup d'autres. Pour autant, elle reste souvent en deçà de la réalité. Tout projet portant sur un monument neuf reste d'un chiffrage aisé. Dans le domaine de la réutilisation, notre capacité à maîtriser les coûts est bien inférieure.
A ce titre, l'exemple du Grand Palais est très révélateur. Un mouvement des fondations ayant provoqué un déplacement de la charpente, plusieurs éléments de la toiture se sont détachés. Le ministère a décidé de fermer le Grand Palais, et lançait dans le même temps une étude d'ingénierie pour la valorisation de ce bâtiment. Lors de cette étude, il a été procédé au chiffrage des coûts selon une méthode analogique, soit en s'inspirant de précédents. Un bureau d'études a ainsi proposé une évaluation du coût de réparation, à partir de laquelle a été passé un contrat de maîtrise d'oeuvre. Or, les études ultérieures ont révélé un net surcoût. La commission spécialisée des marchés a alors refusé l'avenant qui entérinait l'augmentation du coût ainsi qu'une réévaluation non proportionnelle du montant des honoraires, provoquant un affrontement de deux ans avec le ministère. Deux théories s'opposaient. Quand le ministère des finances demandait la rédaction d'un nouveau contrat, le ministère de la culture exigeait le maintien du prestataire initial. C'est à ce moment que l'EMOC s'est à son tour impliqué sur ce projet.
Une réunion interministérielle particulièrement productive a finalement ouvert la voie à une sortie de crise. Un arbitre issu du Conseil d'Etat a déterminé quelle position devait être retenue sur la base des premières études. Le Conseil d'Etat a ainsi estimé que les contrats d'études étaient conclus à un prix provisoire, et qu'il était impossible de prévoir le résultat des études avant de les avoir conduites. Dès lors, il jugeait naturel que les résultats des études présentent un coût total supérieur aux évaluations initiales, et autorisait la poursuite de la collaboration avec le prestataire de départ. Cet exemple devait illustrer les difficultés inhérentes à la conduite de travaux sur bâtiments existants. Si le chiffrage est aisé sur les équipements neufs et normalisés, tels que les écoles, il devient quasiment impossible sur les projets uniques.
M. Jean Arthuis, président - Qu'en est-il de la capacité de résistances de l'EMOC aux demandes postérieures au commencement des projets venant les déstabiliser ? L'EMOC reste-t-il entièrement soumis aux derniers revirements décidés par les autorités politiques ?
M. Jean-Claude Dumont - Tout d'abord, l'EMOC s'inscrit dans une dynamique, et n'attend jamais le contre-ordre. Ensuite, l'ordre n'est jamais aberrant. Il rencontrerait, le cas échéant, une violente opposition de la part de l'établissement.
M. Jean Arthuis, président - Comment jugez-vous un ordre induisant une augmentation de 33 % du coût du projet ?
M. Jean-Claude Dumont - Seule une analyse fine, menée au cas par cas, permet une bonne connaissance de chaque opération, et notamment des raisons des augmentations de coût. Il s'agit bien souvent de travaux supplémentaires, comme l'achat de mobilier ou d'équipement. Il s'agit de dépenses nécessaires, qui sont simplement mises à la charge de l'EMOC.
M. Jean Arthuis, président - Pourquoi ces dépenses ne sont-elles pas incluses dans l'évaluation initiale ?
M. Jean-Claude Dumont - Il n'était simplement pas prévu, initialement, que l'achat de ces équipements serait confié à l'EMOC.
M. Jean Arthuis, président - L'EMOC n'est donc pas préoccupé du coût des projets.
M. Jean-Claude Dumont - Le système du mandat, dans lequel s'inscrit l'EMOC, est éminemment transparent. Nous sommes principalement attentifs au respect de notre programme et de nos délais. Toute sortie du coût demande la rédaction d'un avenant, et donc le passage devant une commission issue du ministère. Nous avons donc mis en place un système retraçant les évolutions de coût, et en exposant les raisons. Toute évolution doit être actée par avenant avant d'être mise en oeuvre.
Mme Martine Marigeaud - Je souhaite apporter une précision supplémentaire. Le président Picq évoquait des augmentations importantes des prix. Elles sont principalement liées à des révisions de prix, qui intègrent la hausse du coût de la construction.
M. Jean Arthuis, président - Les retards suscitent aussi un accroissement exponentiel du coût total.
Mme Martine Marigeaud - Cette évolution, si elle est en partie anticipée, n'est pas intégrée dans l'enveloppe initiale. C'est là un problème ayant trait aux mécanismes de l'information. Il paraît sans doute aberrant de l'extérieur, et demande à être corrigé.
M. Jean Arthuis, président - Si ce problème est connu, il conviendrait de le prévoir budgétairement. Nous semblons confrontés de plein fouet à ce phénomène de sous-estimation volontaire du projet, devant en favoriser la validation budgétaire.
M. Philippe Marini, rapporteur général - J'apporterai un très bref commentaire. Je m'interroge, très simplement, sur la nécessité de l'existence de l'EMOC. Cette question me paraît centrale. D'autres maîtres d'ouvrage existent au sein de l'administration du ministère de la culture. Cet opérateur apparaît comme un facteur supplémentaire de confusion des responsabilités, dans un monde d'ores et déjà confus, et peu enclin à accepter les contraintes budgétaires. La légitimité de l'EMOC reste donc, selon moi, à prouver. N'existe-t-il pas des techniques de délégation de maîtrise d'ouvrage, permettant à l'Etat de garantir la bonne prise en compte de ses objectifs, ainsi que le respect des devis et des délais ? Est-il indispensable de créer un outil permanent, dont on ne sait comment en alimenter en permanence l'activité ?
De plus, les effectifs de cet opérateur n'apparaissent pas dans le décompte du plafond ministériel d'emplois autorisés du ministère de la culture. En effet, la LOLF, telle que nous la pratiquons, définit le nombre des équivalents temps plein travaillé (ETPT) dans les administrations, mais pas chez les opérateurs. Dans ce contexte, l'EMOC apparaît davantage comme un facteur de confusion des responsabilités que comme un élément de clarification.
Enfin, à la suite du président Jean Arthuis, je tente de démêler, dans le système que nous abordons ici, la responsabilité du « politique » et du « technique ». En matière de culture, si le « politique » n'a pas le courage de s'opposer, le « technique » parviendra toujours à se justifier.
Je m'interroge ainsi sur la prise en compte des coûts budgétaires dans l'évaluation des jurys, lors des concours architecturaux. Je me demande, à partir d'exemples récents, si le « prétexte culturel » ne cautionne pas parfois un engagement à l'aveugle dans des projets aux coûts indéfinis.
Je demande à la salle d'excuser une franchise que je n'ai employée que dans un souci de clarté.
M. Jean Arthuis, président - Les représentants du ministère de la Culture peuvent-ils apaiser les craintes du rapporteur général ?
M. Arnaud Roffignon - Le rappel de quelques éléments historiques peut peut-être permettre de mieux mettre en valeur le rôle de l'EMOC. Cet établissement est né en 1998 du regroupement des compétences du Grand Louvre et de la mission interministérielle aux grands travaux. L'histoire du ministère de la culture et des Grands travaux a permis l'émergence de compétences inégalées au niveau international. L'EMOC avait vocation, dès sa naissance, à préserver ces compétences au moment où le rythme des grands travaux s'essoufflait. Il devait ainsi s'impliquer sur les travaux les plus complexes et les plus lourds, demandant la mobilisation de compétences rares et spécifiques.
Par ailleurs, si l'on rapporte le montant de la subvention de fonctionnement allouée à l'établissement au montant moyen du portefeuille géré chaque année, le coût de gestion apparaît ne pas dépasser 5 %. Le recours au secteur privé présenterait un coût bien supérieur, de l'ordre de 10 à 15 % du coût des opérations. Ces différents éléments justifient, à mes yeux, non seulement l'existence de l'EMOC, mais également son maintien.
M. Jean Arthuis, président - Madame la directrice de l'administration générale au ministère de la culture, pourrait-on organiser la maîtrise d'ouvrage déléguée du ministère de la culture sans l'EMOC ?
Mme Martine Marigeaud - Je ne le crois pas. Il convient de ne pas perdre de vue l'extrême spécificité des chantiers que traite l'EMOC. La construction du Grand Louvre a permis l'acquisition de compétences et de savoir faire spécifiques, voire uniques. Dès lors, cet établissement répond totalement aux besoins du ministère de la culture.
M. Philippe Marini, rapporteur général - Ces propos rappellent celui que tenait le Président de la société Aéroports de Paris il y a quelques années. Il plaidait, au nom de la spécificité et de la valorisation internationale, pour l'intégration des moyens de maîtrise d'ouvrage. L'évolution de la situation devait lui donner tort.
M. Jean Arthuis, président - Il s'agissait toutefois d'un sujet particulièrement complexe. Monsieur Jean-Claude Dumont souhaite-t-il étayer l'argumentaire du ministère ?
M. Jean-Claude Dumont - Il revient à ma tutelle de me défendre. Les plaidoyers pro domo sont rarement crédibles. Je puis toutefois assurer la commission de la volonté de l'EMOC de faire avancer les projets.
M. Jean Arthuis, président - Face au mouvement récent de « l'agenciarisation » de l'Etat, nous avons parfois émis des doutes sur la qualité du management de certains opérateurs. Votre management peut-il être amélioré ?
M. Jean-Claude Dumont - L'établissement ne reste en aucun cas dans une position d'attente. Nous démarchons constamment de nouveaux chantiers. Je dois m'avouer surpris de la partie du rapport portant sur l'investissement de l'EMOC sur les chantiers : nous y assurons une présence constante.
Au début de son histoire, l'EMOC a récupéré des projets dits « plantés », soit des projets qui, malgré une décision arrêtée, n'avaient jamais été lancés. Ces projets ont souvent été longs et chaotiques : ainsi, le chantier du musée des Arts décoratifs a duré près de quinze ans. En toute situation, l'EMOC a gardé une même volonté de conduire ces projets à leur terme. C'est bien la mission de l'EMOC que de s'attacher à traiter les cas les plus complexes.
M. Jean Picq - Je précise que, dans son rapport, la Cour des comptes a calculé les dépassements à partir de coûts actualisés. Les montants de ces dépassements auraient été, dans le cas contraire, largement supérieurs. Le rapport présente donc des coûts initiaux actualisés.
En outre, le président Dumont estimait que l'EMOC assurait sur ses chantiers une présence constante. Pourtant, nous constatons, à partir des données transmises par l'établissement que l'organisation actuelle dispensait les chefs de projet d'une implication à temps plein. S'agissant de l'Odéon, le chef de projet y a consacré 40 % de son temps. Pour la Cinémathèque, cette implication est passée, au fil des années, de 30 à 60 %. Notre seul souci était de comprendre les causes de la situation. Dans cette optique, cette faible implication opérationnelle dans les chantiers nous est apparue comme un possible facteur explicatif. Chacun peut constater, dans des chantiers privés nettement plus modestes, l'importance d'une implication physique : elle garantit seule le bon déroulement des travaux.
Par ailleurs, le sénateur Marini soulevait une question centrale. La Cour garde toutefois le sentiment, au regard des résultats du rapport portant sur l'établissement du quai Branly, qui a été son propre constructeur, que la réponse se trouve hors des schémas institutionnels actuels. Il existe un réel besoin pour un maître d'ouvrage délégué. Les équipes de l'EMOC nous sont apparues d'un grand professionnalisme. C'est pourquoi nos conclusions ont d'abord insisté sur les procédures. Il nous semble primordial d'assurer un contrôle de l'EMOC sur les modifications que les projets connaissent trop souvent en cours de réalisation. Le président Arthuis s'interrogeait sur la capacité de résistance de l'établissement. Encore celui-ci doit-il pouvoir se référer à un arbitre énonçant clairement des normes d'évaluation. En effet, sur ces sujets, la décision reste, ultimement, un acte politique.
L'essence de l'observation apportée par la Cour des comptes ne met pas en doute la qualité des hommes. Elle n'encourage que l'instauration de procédures permettant d'établir clairement les responsabilités. La spécificité de ces projets ne tient pas tant à leur complexité, commune à de nombreux ouvrages architecturaux, qu'au fait qu'elles impliquent des personnalités de tout premier plan, nommées en Conseil des ministres. Il s'agit donc de projets politiquement signés, sur lesquels se cristallisent des questions tout à fait extérieures aux simples considérations architecturales. Ainsi les circuits personnels peuvent-ils parfois troubler l'efficience administrative. Il convient de ne pas décharger vers l'administration ce qui reste le propre du politique. Le meilleur système administratif ne pourra donc jamais suppléer l'arbitrage politique.
M. Jean Arthuis, président - Je donne maintenant la parole à l'initiateur de l'enquête, notre collègue Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture ».
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial - Je dois m'avouer quelque peu embarrassé car se sont opposés ici des discours contradictoires. J'ai fortement apprécié l'enquête de la Cour des comptes. Elle porte un jugement équilibré, parfois sévère, mais juste et équitable. Elle souligne à juste titre le fait que la principale responsabilité ne procède pas de l'EMOC même, mais davantage du fonctionnement du ministère de la culture. Il ne semble pas qu'aucune doctrine claire n'entérine le partage des responsabilités entre l'EMOC et le service national des travaux.
Plusieurs questions subsistent pourtant. Comment expliquer le versement à l'EMOC d'une dotation de 100 millions d'euros, quand les DRAC enregistrent un « déficit » de 70 millions d'euros ? Ces organismes assument pourtant un rôle tout à fait important dans le cadre de l'aménagement du territoire.
Par ailleurs, la tâche de l'EMOC apparaît complexe : en plus de sa fonction d'opérateur, il assume parfois un rôle de gestionnaire, comme dans le cas du Grand Palais. Il convient de préciser la répartition des compétences entre les établissements relevant du ministère de la culture. La décision d'ajouter un nouveau maître d'ouvrage, le centre des monuments nationaux, à la mission de maîtrise d'ouvrage des monuments nationaux confiée à l'EMOC m'apparaît difficile à expliquer. Cette mesure semble introduire un désordre dont les conséquences pourraient être très lourdes.
Je reste donc très perplexe quant à l'exercice de la maîtrise d'ouvrage culturel. J'ai entendu la défense de l'EMOC, et notamment son analyse de la difficulté d'apprécier le coût d'opérations exceptionnelles. Les monuments historiques restent, par définition, des monuments uniques. Ils font donc figure de « prototypes anciens ». C'est une dimension à ne pas omettre dans notre analyse.
L'exemple de l'Orangerie illustre tout à fait les difficultés de l'EMOC. La découverte de murs anciens au cours d'un chantier reste tout à fait imprévisible, et la responsabilité ne peut en être attribuée à un seul acteur. Pourtant, si ces murs étaient connus, il était absolument nécessaire d'intégrer dans l'évaluation initiale du coût les recherches archéologiques afférentes. Mon implication passée dans des travaux d'archéologie préventive me rend particulièrement sensible à cette question.
Je peine donc à me prononcer sur cette question. Je voudrais prononcer un verdict de « relaxe au bénéfice du doute », au risque de décevoir peut-être.
M. Jean Arthuis, président - Il nous incombe ici, non de condamner, mais bien de nous former une opinion aussi juste que possible, à partir, notamment, des éclairages de la Cour des comptes. Initialement, notre collègue Yann Gaillard semble avoir souhaité cette enquête dans le but de dissiper un doute...
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial - Je l'avoue sans détour : le résultat de cette enquête m'embarrasse.
M. Jean Arthuis, président - Comment résoudre cette situation ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial - Il m'apparaîtrait important de mieux répartir les attributions de l'EMOC, et notamment d'endiguer la multiplication des maîtrises d'ouvrage dans le domaine culturel.
M. Jean Arthuis, président - M. Jean-Claude Dumont, président de l'EMOC, affirme pourtant devoir assurer le bon fonctionnement de ses équipes, notamment en leur garantissant une activité régulière. Pareil souci légitime tout à fait les différentes démarches de prospection engagées. La question de la définition d'une feuille de route paraît plus délicate. Comment est-elle élaborée ? Des instructions sont-elles jamais données par un responsable ?
M. Jean-Claude Dumont - Dès sa création, l'EMOC a été confronté à un plan de charges naturel particulièrement lourd. Il s'est depuis nourri des projets du ministère de la culture, puis des besoins émis par d'autres ministères, entraînant ainsi une diversification de son action. L'EMOC, durant son existence, a toujours connu un plan de charges plein.
M. Jean Arthuis, président - Les collaborateurs de l'EMOC ont-ils le statut de fonctionnaire ?
M. Jean-Claude Dumont - Une partie de l'équipe de direction a le statut de fonctionnaire. La partie inférieure de l'organigramme est cependant constituée de personnels contractuels.
M. Jean Arthuis, président - Serait-il envisageable de privatiser l'EMOC ?
M. Jean-Claude Dumont - Cette tentation a existé, sous le ministère de M. Aillagon. Les projets du ministère de la Culture présentent toutefois différentes particularités qui légitiment le recours à un opérateur spécifique. Il s'agit de projets dont l'avenir reste soumis à la sanction de l'utilisateur final. C'est là une dimension fondamentale : le conservateur d'un musée doit en accepter le projet. Il n'existe pas de situation pire, lors de la construction d'un bâtiment, que de voir son utilisateur le refuser une fois les travaux achevés. Ainsi, dans ma vie professionnelle antérieure, j'ai vu un utilisateur refuser la régie d'un auditorium. Ce refus a engendré la reconstruction intégrale de cet équipement. L'EMOC intervient ainsi dans un système admettant, de manière inhérente, des projets présentant une forte instabilité.
Un exemple peut illustrer ce phénomène. L'EMOC dispose d'un mandat, d'une durée de huit ans, avec le château de Versailles. Il prévoit la réalisation de neuf opérations interdépendantes. Si un mandataire privé devait être chargé de ce dossier, tout retard dans l'une des opérations entraînerait la demande, par le mandataire, de la renégociation de son contrat. Ces négociations sont généralement particulièrement chronophages et se font au détriment de l'avancée des travaux. La délégation à des prestataires privés n'est donc possible que sur des projets stabilisés, qui restent très rares au sein des projets du ministère de la culture.
Les contrats de partenariat demandent un programme stabilisé. Par exemple, dans le domaine hospitalier, si un partenariat peut se monter pour la réalisation d'équipements de base (hôtellerie, restauration, buanderie), cela n'est pas possible pour les équipements les plus complexes et les plus pointus, comme les salles d'opération, qui deviennent très rapidement obsolètes. L'EMOC intervient sur des projets dont il doit admettre qu'ils puissent être modifiés en cours de route. Nous construisons actuellement des bâtiments pour l'université Paris VII. La réalisation des salles de cours ne pose aucune difficulté. En revanche, les travaux portant sur les laboratoires de biologie de l'Institut Jacques Monod restent problématiques. Les caractéristiques des salles sont constamment révisées. L'EMOC intervient principalement sur des projets naturellement instables et mouvants.
M. Jean Arthuis, président - L'EMOC n'est-il jamais complice de l'indécision des politiques ?
M. Jean-Claude Dumont - Il convient de ne pas voir dans le changement, pas plus que dans les délais, des éléments forcément négatifs. Dans le cas de la Cinémathèque, le délai, certes important, a permis une bonne maturation du projet. A ce titre, la suspension, décidée par M. Aillagon, du lancement des travaux de la Cinémathèque a été tout à fait bénéfique. Le schéma de gestion prévu par un GIP rassemblant la Cinémathèque française, la Bibliothèque de l'image et du film et le service des archives du film a été abandonné et la gestion confiée à la Cinémathèque française dont les statuts ont été modifiés. Cela a permis au projet de repartir avec un gestionnaire unique et clairement identifié.
Dans le cas du Grand Palais, l'appel d'offres du lot « fondation-gros oeuvre » n'a eu qu'une seule réponse dont le montant excédait les prévisions. Nous avons pu prendre le temps de relancer deux fois la consultation et de réduire ainsi notablement (9 millions d'euros) le montant du marché de travaux car le temps était disponible, aucun usage immédiat n'étant prévu pour la nef du Grand Palais.
M. Jean Arthuis, président - Le président Jean Picq affirmait que les 100 millions d'euros mis à disposition de l'EMOC étaient restés en sommeil.
M. Jean Picq - Plus précisément, ce montant correspondait à une avance sur crédit, prise en compte dans les dotations ultérieures. Il convient donc de ne pas y voir une dotation supplémentaire. Nous nous interrogions davantage sur l'usage fait de cette subvention.
M. Jean Arthuis, président - Quel est le système comptable de l'EMOC ?
M. Jean-Claude Dumont - L'EMOC fonctionne selon les règles s'appliquant à la comptabilité des EPA. Nos opérations apparaissent hors comptabilité, et font l'objet d'un cantonnement particulier. A ses débuts, l'établissement restait, par nécessité, en positif, sur ses crédits de paiement, pour chaque opération. Cela générait une trésorerie extrêmement importante, à laquelle le Ministère du Budget a souhaité mettre un terme. Nous adoptons désormais une gestion a minima.
M. Jean Arthuis, président - Quel est, actuellement, le niveau de trésorerie de l'EMOC ?
M. Jean-Claude Dumont - Sur les opérations, il atteint près de 15 millions d'euros de trésorerie permanente.
M. Jean Arthuis, président - Pourquoi ne pas adopter le principe d'une « trésorerie zéro » ?
M. Jean-Claude Dumont - Nous devons prendre en compte le délai existant entre la demande et la délégation.
M. Jean Arthuis, président - La Cour des comptes notait que, pour l'année 2005, l'EMOC présentait un niveau de trésorerie atteignant 155 millions d'euros, et 82 millions d'euros au 31 décembre 2006.
M. Jean-Claude Dumont - Ce montant maximum correspond à l'injection exceptionnelle de 89,3 millions d'euros. Il s'agissait d'une situation exceptionnelle.
M. Jean Arthuis, président - Pendant un an, l'EMOC a donc affiché un niveau de trésorerie supérieur à 100 millions d'euros.
M. Jean-Claude Dumont - L'EMOC dépense chaque année entre 150 et 180 millions d'euros. La dotation exceptionnelle a été entièrement consommée entre janvier 2006 et février 2007 par les opérations du ministère de la culture.
M. Jean Arthuis, président - Je note que la présentation des comptes est conforme aux instructions comptables en vigueur. Elle reste toutefois peu lisible. Elle correspond à une comptabilité de caisse, et ne retrace pas les engagements de l'établissement. Il est fait obligation aux établissements, depuis le 31 décembre 2006, de fonctionner selon un système de droits et obligations constatés. Peut-être conviendrait-il de prendre ces obligations en compte dans la présentation des comptes de l'EMOC.
M. Arnaud Roffignon - Le document remis aux membres du conseil d'administration compte une annexe extra comptable permettant de reconstituer les engagements hors bilan. Sur ce point, l'établissement se conforme strictement aux obligations comptables. La nature même de son intervention l'extrait du simple cadre de la maîtrise d'ouvrage directe, pour entrer dans celui de la maîtrise d'ouvrage déléguée. Les engagements ne peuvent donc être comptabilisés qu'en comptes de tiers.
M. Jean Arthuis, président - Ces éléments n'apparaissent donc pas dans le patrimoine de l'EMOC, mais bien dans celui de l'Etat. Ce montant de 82 millions d'euros correspond donc à une subdivision des comptes de l'Etat.
M. Arnaud Roffignon - Précisément.
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial - Ces différentes considérations sont très intéressantes. J'estime que l'EMOC a bien défendu sa position. Sa situation appelle toutefois une simplification des modes de gestion en vigueur au sein du ministère de la culture.
M. Jean Arthuis, président - L'EMOC serait ainsi révélateur de « l'art du gouverner » du ministère de la culture. Ses difficultés recouvrent une problématique plus large : est-il seulement possible d'administrer la culture ?
Monsieur Yann Gaillard, rapporteur spécial - Je pense qu'il peut être possible de mieux l'administrer.
M. Jean Arthuis, président - Le président Jean Picq souhaite-t-il nous faire part de ses observations et conclusions ?
M. Jean Picq - Je remercie le président Arthuis de la tenue de cette audition. Je relève avec bonheur l'appréciation dont fait l'objet le travail de la Cour. La question de la certification des comptes de l'Etat n'aborde pas le sujet de la certification des comptes de ses opérateurs. Il apparaît pourtant essentiel que la certification des comptes s'étende aux opérateurs de l'Etat, selon des modes qui leur seront sans doute propres. Le levier de la certification est sans doute porteur d'espoir : il doit révéler une image fidèle du patrimoine et des comptes. Il ne devra toutefois pas s'arrêter à l'Etat, mais bien s'étendre à l'ensemble de ses opérateurs.
M. Jean Arthuis, président - Il est en effet impératif de consolider, à court terme, les comptes des opérateurs avec ceux de l'Etat. De la même manière, la présentation des emplois publics devra intégrer les effectifs de ces opérateurs. Plus largement, les opérateurs de l'Etat devront davantage être pris en compte dans les présentations budgétaires.
Alors que cette audition arrive à son terme, je tiens à remercier l'ensemble des intervenants : notre collègue Yann Gaillard qui a, le premier, permis la tenue de ce moment enrichissant : le président Jean Picq, et les représentants de la Cour des comptes, M. Emmanuel Giannesini et Mme Maïa Wirgin, pour leurs éclairages ; M. Arnaud Roffignon, que je serai appelé à rencontrer prochainement, puisque Mme la ministre de la culture et de la communication viendra rendre compte de la dernière exécution budgétaire. Elle devra, à cette occasion, se préparer à une interaction forte. Le débat devra être riche et présenter des points nouveaux, abordés avec réalisme et pragmatisme.
La commission a bien conscience de la complexité du travail de Mme Martine Marigeaud. Elle note également le souci de rentabilité et de maintien de l'activité de l'EMOC qui préside à l'action de M. Jean-Claude Dumont.
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La commission a ensuite donné acte , à l'unanimité, à M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .