B. LA PRÉSENCE DES OPÉRATEURS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS
1. Un environnement dynamique mais peu sûr
Comme il en a l'habitude, votre rapporteur spécial a rencontré un « échantillon représentatif » d'expatriés français, qui lui ont fait part de leur appréciation sur la situation du pays. Comme cela est souvent le cas, la présence économique française est très hétérogène, avec un petit noyau de grandes sociétés implantées industriellement ou commercialement (Accor 53 ( * ) , Alcatel 54 ( * ) , Lafarge 55 ( * ) , Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Vinci 56 ( * ) , Thalès, Total 57 ( * ) ) et une constellation d'entrepreneurs individuels francophones dans des secteurs variés, tels que l'hôtellerie-restauration, l'ingénierie, les services informatiques, le conseil juridique ou le transport.
Les interlocuteurs de votre rapporteur spécial, qui se sont félicités de la qualité de leurs relations avec la mission économique (ce qui est loin d'être toujours le cas) et des études que cette dernière réalise, ont souligné les difficultés suivantes :
- l'absence de tarif officiel de douane et de réglementation claire sur les « frais administratifs » acquittés sur les importations. Le tarif préférentiel de l'ASEAN n'est pas encore appliqué et les taxes sur les importations de véhicules sont très élevées (75 %) pour décourager les circuits occultes. La Banque mondiale finance néanmoins l'informatisation des douanes , qui pourrait à terme exercer un effet d'entraînement sur l'objectivisation et la transparence des tarifs, et donc diminuer les facultés de « négociation » directe entre l'administration et l'opérateur économique ;
- l'influence de l'appareil d'Etat (Parti populaire cambodgien, Premier ministre, armée, APSARA 58 ( * ) ) sur les médias audiovisuels et le manque d'esprit critique de la presse et des commentateurs . Le faible coût des spots publicitaires et l'absence de législation permettent néanmoins aux investisseurs étrangers de se positionner. Le représentant de l'opérateur franco-khmer Solaris a regretté que le SCAC ne lui apporte pas un soutien financier, compte tenu de sa contribution à la francophonie ;
- la faiblesse de la maîtrise d'ouvrage et des ressources humaines . Le capital humain a également été qualifié de « très bas » par M. John Nelmes, représentant du FMI. L'Institut de technologie du Cambodge (ITC) est largement financé par la France et forme des techniciens de bon niveau mais en trop faible nombre (une vingtaine par an). Dans le domaine des télécommunications et plates-formes d'appels, le Cambodge peut difficilement concurrencer des places off-shore telles que la Roumanie ou la Tunisie, à la fois plus francophones et meilleures marché. Le Cambodge est certes membre de la Francophonie depuis le sommet de Maurice de 1993 , mais l'anglais y étend son influence 59 ( * ) et le manque de professeurs de français est patent ;
- le coût dirimant de l'Internet , probablement un des plus élevés au monde (jusqu'à 300 dollars par mois pour une connexion en haut débit aléatoire) compte tenu de la faiblesse des infrastructures et de la rente de monopole de l'opérateur public. L'effet d'éviction pour les étudiants est manifeste. Cette situation ne pourra s'améliorer que si un grand opérateur occidental ou asiatique parvient à convaincre le gouvernement de développer un modèle profitable à bas coût et accès large ;
- le manque de déontologie des agents publics (mis en évidence par une enquête de la Banque mondiale en 2006), le train de vie de certains dirigeants de l'Etat, l'opacité de la justice et l'insécurité juridique . Les fonds publics comme les dépôts en douane seraient couramment ponctionnés de 20 à 25 %, et certains concurrents asiatiques (chinois en particulier) bénéficieraient de traitements de faveur. La conduite des projets prend du temps , y compris après la signature du contrat, à la différence d'un pays comme la Chine. Cette incertitude empêche les investisseurs d'établir des prévisions au-delà du moyen terme (3 à 5 ans), ce qui obère la rentabilité des investissements lourds. Certains chefs d'entreprise ont fait remarquer que la corruption n'était pas moins développée au Vietnam, mais était au moins « tarifée » et prévisible...
La communauté française d'affaires regrette que l'approche des bailleurs ne soit pas suffisamment orientée vers la croissance du secteur privé , perçue comme un levier ultérieur de consolidation du secteur public et de modernisation de la gouvernance des institutions. Les critiques à l'encontre du gouvernement et de l'administration porteraient sur des points trop précis ou anecdotiques plutôt que sur la stratégie générale.
Depuis l'adhésion du Cambodge à l'ASEAN, le droit des affaires anglo-saxon tend également à s'imposer . Votre rapporteur spécial estime que cette évolution milite en faveur d'un soutien de la France - via la commission de codification du Conseil d'Etat - à une codification rapide du droit civil des affaires.
2. Les contentieux relatifs à Indochine Insurance plc et ATR
Deux contentieux intéressent aujourd'hui la relation franco-cambodgienne :
- Indochine Insurance plc : le ministère des finances du Cambodge a procédé à l'été 2004 au blocage des comptes bancaires et à la liquidation de l'entreprise Indochine Insurance , créée et dirigée par un Français qui n'avait pu se mettre en conformité avec la nouvelle législation sur les assurances. Les conditions et l'émoi causé par cette fermeture, au regard de l'accord de protection des investissements franco-cambodgiens, ont conduit les autorités françaises à faciliter une solution politique, mais la posture initiale des représentants de l'intéressé, revendiquant un niveau d'indemnisation très élevé lors des discussions début 2006, en ont rendu l'issue incertaine ;
- EADS et l'ex-compagnie aérienne Royal Air Cambodge : la compagnie aérienne avait « omis » de régler à ATR, filiale d'EADS, les frais de leasing de plusieurs machines. Celles-ci ont été récupérées, et une action devant la Cour de Londres a abouti à la condamnation du Cambodge à verser plus de 5,5 millions de dollars augmentés des intérêts de droit. Lors de son passage à Paris en septembre 2005, le Premier ministre du Cambodge s'était engagé à solder cette créance pour 3 millions de dollars, et un échéancier en quatre versements avait été négocié. Des dysfonctionnements au sein de l'administration - et peut-être au sein du gouvernement - n'ont pas permis de concrétiser cet accord, ce dont l'ambassade n'a été informée que tardivement. Elle a relancé le dossier auprès du Premier ministre, qui a fait état de son embarras à la découverte de la situation et renouvelé son engagement. EADS a finalement confié le suivi de l'affaire à un avocat français implanté localement.
Lors de son entretien avec votre rapporteur spécial, M. Keat Chhon, ministre de l'économie et des finances, a minoré les responsabilités de son ministère , estimant que le dossier EADS/ATR constituait avant tout un contentieux purement commercial entre deux sociétés.
* 53 Accor s'est engagé sur un nouveau projet de construction d'un hôtel de luxe à Phnom Penh.
* 54 Fournisseur privilégié (de 20 à 40 millions de dollars par an) de l'opérateur de téléphonie mobile Mobitel.
* 55 Un projet de cimenterie dans le sud du pays est à l'étude, pour un démarrage possible courant 2009.
* 56 Vinci, de loin le premier investisseur français avec un investissement global de plus de 130 millions de dollars et une prévision de plus de 200 millions de dollars d'ici la fin de la concession en 2040, détient 70 % de la société concessionnaire des aéroports et détient donc une position de monopole sur son secteur.
* 57 Troisième distributeur d'hydrocarbures du pays (après le rachat du réseau de Shell) avec un investissement d'environ 25 millions d'euros, Total est également en discussion avec le gouvernement sur une possible exploitation des champs pétroliers récemment découverts.
* 58 Autorité pour la protection du site et l'aménagement de la région d'Angkor.
* 59 Seule langue d'enseignement jusqu'en 1975, le français a été réintroduit comme langue étrangère obligatoire en 1988.