b) L'influence de la nationalité sur les décisions des entreprises réduite par la similitude des objectifs poursuivis par les actionnaires
L'internationalisation de l'actionnariat, sa dispersion, en estompant l'ancrage géographique des entreprises, ne peuvent évidemment que contribuer à rendre ces dernières « insensibles » au destin des territoires. On peut toutefois s'interroger sur la réelle portée du phénomène, alors que, d'une façon générale, la nationalité des actionnaires paraît tenir un rôle très modeste dans la prise de décisions des entreprises .
En effet, selon M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques et financières d'IXIS-CIB, auditionné par la mission commune d'information 49 ( * ) , du point de vue statistique, « il n'y a pas de lien entre la nationalité des actionnaires et le comportement des entreprises ».
M. Patrick Artus a fait observer que ce principe tendait à rendre fort délicat de « définir l'entreprise française puisqu'il n'est, sans doute, même pas possible de se référer à la structure de son capital, celle-ci n'ayant pas l'air de changer grand chose aux décisions de gestion et à la performance de la structure. [...] Cette réalité ne nous permet pas d'étayer la thèse selon laquelle la perte de contrôle au niveau de l'actionnariat induit quoi que ce soit. Nous avons également mené une analyse en fonction de la nature des investisseurs. Avoir des hedge funds est-il équivalent à avoir des assureurs ou des fonds de pension, par exemple ? Nous ne trouvons pas non plus de différence. [...] Des réponses théoriques peuvent être apportées, mais il est difficile d'étayer, par des travaux empiriques, la position selon laquelle nous préfèrerions que les entreprises aient des capitaux français et leur siège social en France, que leur directoire soit composé de Français, etc . Tout ceci, pour l'instant, ne donne pas lieu à des phénomènes empiriquement vérifiables. » Ce raisonnement a bien sûr ses limites , et mérite d'être contesté, notamment à la lumière des très fortes pressions exercées par des fonds spéculatifs sur la gestion et la stratégie de certaines entreprises : les exemples de Deutsche Börse, d'Euronext, et plus récemment d'ABN-Amro sont là pour le montrer, respectivement en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.
En d'autres termes, les entreprises n'agissent peut-être pas toutes de la même manière quelles que soient leurs racines nationales mais, le cas de l'actionnariat familial et celui de l'actionnariat salarié mis à part 50 ( * ) , chaque actionnaire attend de façon similaire un profit optimal, dans une naturelle indifférence aux questions de nationalité .
Suivant le constat unanime formulé par les observateurs du marché boursier, actuellement, avec un horizon de placement très court, un actionnariat extrêmement volatil, notamment financier, défend une stratégie qui tend avant tout à créer de la valeur à son bénéfice, et qui le pousse à privilégier les opportunités immédiates plutôt que le potentiel de croissance des entreprises ; il est évident que la poursuite de cet objectif, d'ailleurs légitime, tend in fine à restreindre le champ des décisions possibles, d'une firme à l'autre .
De fait, le témoignage recueilli par la mission commune d'information auprès de M. Ernest-Antoine Seillière, président du conseil de surveillance de Wendel Investissement 51 ( * ) , recoupe très largement l'analyse précitée de M. Patrick Artus : « une entreprise étrangère qui a pris le contrôle d'une entreprise française étudiera principalement si ses coûts de fonctionnement correspondent à une maximisation de la rentabilité de l'investissement effectué. L'entreprise ne prendra aucune décision qui ne sera pas alignée sur ces considérations. J'en ai fait l'expérience : des entreprises étrangères ont racheté des entreprises que nous détenions. Aucune modification de gestion ne s'est observée, car la rationalité et les éléments de constitution des coûts étaient déjà les meilleurs possibles. Je pense qu'il existe une grande indifférence au fait qu'une entreprise ait été rachetée par une entreprise étrangère, ou que son centre de décision ait franchi une frontière à la suite d'alliances. La question de la nationalité de l'entreprise s'apprécie de plus en plus en termes de compte de résultat . Je constate en outre que cette formule s'applique de plus en plus. En effet, la compétition s'étant mondialisée, il n'est plus possible de donner la préférence à des considérations de localisation nationales si la compétition indique de prendre des décisions autres. Il est possible de le regretter, mais cette situation s'est largement généralisée. [...] les décisions stratégiques de l'entreprise [...] sont commandées par l'obligation de l'entreprise de maximiser la rentabilité de ses investissements . »
* 49 Audition du 18 octobre 2006.
* 50 Sur ces aspects, cf. infra .
* 51 Audition du 17 janvier 2007.