II. LE DÉBAT AUTOUR DE LA NATIONALITÉ DE L'ENTREPRISE GLOBALE
Les chefs d'entreprise entendus par la mission commune ont été invités à répondre, en tout premier lieu, à la question : l'entreprise globale a-t-elle encore une nationalité ?
Même si le sens de la réponse ne faisait a priori pas de doute, il lui a paru intéressant de faire réagir les personnalités en fonction de leur expérience personnelle.
La mission commune d'information a cru bon de multiplier les citations afin de mieux restituer toute la richesse des témoignages et des analyses ainsi recueillies.
A. ACTIONNAIRES, GESTIONNAIRES DE FONDS ET MANAGEMENT : DES AGENTS ÉCONOMIQUES APATRIDES ?
Peut-on, effectivement, encore parler de nationalité d'une entreprise, quand ses marchés, ses actionnaires et son management sont, pour une large part, non nationaux et au moment où la pression des marchés tend à uniformiser ses modes de gestion ?
1. Des gestions sous étroite surveillance d'actionnaires aux attentes largement identiques
a) Des attaches territoriales rendues plus lâches avec le caractère international de l'actionnariat des grandes entreprises
Dernier en date de travaux nombreux sur le sujet, le récent projet de rapport du groupe de travail relatif aux groupes d'entreprises du Conseil national de l'information statistique 46 ( * ) met en relief que les grandes firmes, aujourd'hui, « se vivent comme internationales ».
Les auteurs de ce document rappellent que, « dans un contexte d'intensification des marchés et des économies, les entreprises établissent leur stratégie de développement à l'échelle internationale et non plus en référence au territoire français. Elles définissent leur marché et leur concurrence à l'échelle mondiale. Elles implantent des activités ou font des opérations de fusions-acquisitions dans des pays où elles tireront de leur activité un meilleur rendement . Les délocalisations sont un des éléments de cette stratégie. [...]
« Ainsi, l'entreprise multinationale se pense d'abord globalement, c'est-à-dire dans son entièreté. Ses performances (résultats, bénéfice, rentabilité, etc.) sont toujours analysées d'abord globalement, car c'est globalement que l'entreprise prend tout son sens. La composante territoriale, lorsque l'entreprise est multinationale, n'apparaît en général que dans un second temps [...].
« En outre, la présentation que les entreprises font d'elles-mêmes et particulièrement de leur organisation dans leur communication (sites Internet, rapports annuels d'activité, etc.) est d'abord globale, mettant en avant les métiers, avant de prendre en compte, éventuellement, les territoires. »
Un tel effacement de la composante territoriale de l'activité des firmes est renforcé par le fait que, comme les mêmes auteurs le relèvent, « les entreprises cotées voient leur valeur fixée sur des marchés financiers totalement mondialisés, tant du côté de l'offre que de la demande . Côté offre, les entreprises cotées sur un marché ne sont pas nécessairement des entreprises de la même nationalité, et peuvent même avoir une activité économique très réduite sur le territoire d'Etats où elles sont cotées. Côté demande, les acheteurs ne sont pas nécessairement résidents. Les non-résidents peuvent même avoir un rôle très important en volume sur le marché national. Les détenteurs d'actions peuvent ainsi être pour une grande part non résidents. Ainsi, la direction de la balance des paiements de la Banque de France estime à environ 40 % le taux de détention des entreprises du CAC 40 par des non-résidents 47 ( * ) . »
De prime abord, cette dispersion de l'actionnariat paraît essentielle pour expliquer une certaine déconnexion entre, d'une part, la nationalité de cotation d'une grande entreprise et, d'autre part, son comportement sur le territoire correspondant .
En effet, dans la mesure où ce territoire s'avère plus ou moins largement distinct du lieu de résidence des actionnaires - c'est-à-dire du lieu de versement des dividendes -, on comprend que l'équipe dirigeante ne soit pas nécessairement appelée à porter une attention particulière à l'impact qui résultera, pour ledit territoire, des décisions économiques qu'elle arrête (notamment les restructurations, réductions d'effectifs, délocalisations, etc.) : en bonne logique, l'attitude réservée au pays de cotation, souvent le pays d'origine pourtant, n'a guère lieu d'être différenciée de celle qui est adoptée à l'égard des autres territoires où intervient l'entreprise, et cela d'autant moins que la dimension internationale de l'actionnariat de cette dernière se révèle importante.
Comme le notaient déjà nos collègues Denis Badré et André Ferrand dans leur rapport d'information fait en 2001 au nom de la mission commune d'information chargée d'étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises 48 ( * ) , « moins que jamais on ne peut assimiler les intérêts des entreprises à ceux des nations. Dans un monde où les conseils d'administration sont composés de plusieurs nationalités, où les intérêts des entreprises sont répartis sur l'ensemble du globe, on ne peut plus dire, selon l'expression consacrée, que "ce qui est bon pour General Motors est bon pour l'Amérique". Plus les entreprises seront internationales, moins elles pourront intégrer un ancrage national dans leur stratégie. Des dirigeants français d'entreprises majoritairement détenues par des actionnaires étrangers ne peuvent plus, dans cet univers concurrentiel, privilégier la France dans leurs choix stratégiques. »
* 46 CNIS, projet de rapport du groupe de travail « Statistiques structurelles fondées sur les groupes d'entreprises et leurs sous-groupes », avril 2007.
* 47 Source : « La détention du capital des entreprises françaises du CAC 40 par les non-résidents de 1997 à 2002 », Bulletin de la Banque de France n° 124, 2004.
* 48 Rapport d'information n° 386 (2000-2001).