d) Le régime réel et l'évasion par le biais de la forme sociétale
Le régime réel des exploitants agricoles, fondé sur les revenus professionnels déclarés prévoyait, jusqu'en 2001, quatre modalités distinctes d'imposition. Il n'en subsiste désormais plus que deux : le réel normal et le réel simplifié. Le réel simplifié s'adresse aux exploitants dont le chiffre d'affaires annuel moyen sur deux ans est inférieur à 350 000 euros. Les exigences en matière de présentation de comptabilité sont en conséquence allégées. Pour les agriculteurs au réel normal, les modalités d'imposition diffèrent peu d'autres régimes fiscaux tels que ceux des bénéfices industriels et commerciaux.
Le régime réel est sujet à des phénomènes de pertes d'assiette sociale par le biais de la transformation d'exploitations agricoles en société qui permet de tirer partie de dispositions fiscales plus favorables. Or, les formes sociétaires connaissent une croissance forte en matière agricole, puisqu'elles ne représentaient que 7 % des exploitations en 1993, contre 25 % en 2001 et 32 % en 2005. Pour la période sous revue, les exploitations sous forme sociétaire ont donc connu une croissance de 11,2 %.
Des évolutions législatives récentes ont permis dans un premier temps d'encadrer davantage ce phénomène, grâce notamment à la loi de finances pour 2003. En particulier, la création d'une cotisation de solidarité était venue limiter la perte de recettes sociales du passage en société. Sa suppression par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 constitue un recul par rapport à ces avancées, une perte de recettes pour le régime agricole et rend désormais extrêmement difficile de suivre l'évolution des pratiques d'évasion sociétaire.
Cette évasion sociale emprunte de nombreux montages juridiques : il s'agit notamment des sociétés agricoles qui n'atteignent pas les seuils d'assujettissement, des sociétés associées de sociétés agricoles (les caisses de MSA ne peuvent appeler des cotisations ni sur les personnes morales interposées, ni sur les gérants non associés s'ils ne sont pas rémunérés), des gérants déclarant ne pas participer aux travaux ou gérant non associé non rémunéré de sociétés agricoles, des associés non participant aux travaux dans les sociétés agricoles, des minorations de l'assiette sociale dans les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés (minoration des revenus de gérants), enfin, des sociétés entre époux, qui constituent un des montages sociétaires les plus fréquents.
Pour ces derniers, deux cas de figure sont principalement en cause :
- l'un des époux est associé majoritaire, donc non salarié agricole, l'autre est minoritaire et revendique un statut de salarié. Les bénéfices issus de la participation au capital de l'associé salarié échappent à l'assiette sociale ;
- l'un des époux est assujetti en qualité de non salarié agricole, l'autre est associé non participant, avec un fort pourcentage dans la répartition des bénéfices qui échappent à toute taxation sociale, alors qu'il bénéficie de la protection sociale au titre d'ayant droit.
La loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 a néanmoins entendu encadrer le développement des sociétés entre époux. Ainsi, elle oblige désormais les conjoints à opter pour un statut social et limite la durée de l'aide familiale à cinq ans.
La direction générale de la forêt et des affaires rurales a procédé en 2002 à une évaluation des pertes d'assiette pour les membres associés non exploitants des sociétés de personnes. Selon le droit applicable au moment de l'étude, la cotisation de solidarité pour les associés ne participant pas aux travaux a été assise sur 223 millions d'euros à comparer avec le bénéfice théorique maximal des 31 000 sociétés concernées, soit 881 millions d'euros. Compte tenu de la croissance très forte de l'adoption des formes sociétaires, et indépendamment de la suppression de la cotisation de solidarité, il serait souhaitable que le Parlement dispose annuellement, dans le cadre du débat budgétaire, d'une évaluation des pertes d'assiette liées à ces formes d'exploitation.
4/ Le contrôle de l'assiette et le recouvrement des cotisations