II. COMMUNICATION DE M. JEAN-MARC JUILHARD, RAPPORTEUR
Réunie le mercredi 9 mai 2007, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Marc Juilhard , sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la protection sociale agricole .
Après avoir souligné l'intérêt qu'il porte au monde rural, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a rappelé qu'il avait rapporté l'avis de la commission sur plusieurs textes de loi intervenant dans ce domaine et, à nouveau aujourd'hui, sur ce rapport établi par la Cour des comptes à la demande de la commission sur la protection sociale agricole, dont les auteurs ont été auditionnés le 2 mai 2007.
Ce rapport comprend quatre parties : un bref rappel des particularités de la protection sociale agricole, une longue présentation de l'organisation et des modes de gestion de la Mutualité sociale agricole (MSA), une analyse approfondie de la notion de parité de prestations et de cotisations du régime agricole par rapport au régime général et une description synthétique des modes de financement et de l'équilibre financier du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa).
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , s'il approuve un grand nombre des observations de la Cour et s'il prend acte du rappel de sa position sur le déficit du Ffipsa, a indiqué que plusieurs jugements qu'elle a formulés lui semblent trop sévères et qu'il ne saurait souscrire à l'idée d'une perte de spécificité du régime agricole.
Tout d'abord, une grande partie de ce rapport n'appelle pas d'observations contradictoires de sa part, mais justifie qu'il y apporte certaines explications complémentaires sur quelques points.
Ainsi, le fort attachement des agriculteurs à leur régime est reconnu par la Cour à sa juste valeur, ce qui correspond aux principes de démocratie sociale qui caractérisent la MSA. De même, la Cour a noté que la MSA a engagé depuis longtemps d'importants efforts de modernisation qui, il est vrai, méritent d'être poursuivis et accentués. En outre, si le régime agricole bénéficie toujours du large soutien de la solidarité nationale, celle-ci est justifiée dans la mesure où, d'une part, la population des exploitants agricoles comprend de nombreuses personnes à revenus modiques où, d'autre part, l'agriculture constitue un atout décisif pour l'économie française.
Le rapporteur a ensuite convenu que les modalités d'audit interne de la MSA devraient certainement être améliorées et qu'il faudra sans doute renforcer la lutte contre la fraude en matière de rentrées de cotisations sociales. Pour autant, cette remarque de la Cour des comptes ne constitue nullement une stigmatisation des exploitants agricoles, puisqu'elle s'applique en réalité à toutes les catégories d'assurés sociaux et à l'ensemble des branches de la sécurité sociale.
Par ailleurs, s'il existe d'importantes disparités régionales, en ce qui concerne tant l'effort contributif des exploitants agricoles que le pourcentage de recouvrement des cotisations sociales, ces phénomènes anciens sont bien connus, même si les chiffres avancés par la Cour font effectivement ressortir des écarts considérables.
Abordant la question du déficit du Ffipsa, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a indiqué que la commission ne peut que prendre acte du rappel des positions de la Cour, qui rejoignent d'ailleurs ses propres préoccupations, selon lesquelles la responsabilité d'équilibrer les comptes du Ffipsa appartient bien à l'Etat. La Cour se prononce d'ailleurs à nouveau ici en faveur de la suppression de ce fonds, dans la mesure où son existence constitue, selon elle, un « facteur de confusion » plutôt qu'un élément de transparence, ainsi qu'elle l'avait précédemment indiqué dans ses rapports de septembre 2005 et de septembre 2006 sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale. Dans le même souci, la commission a manifesté, à maintes occasions, son inquiétude au sujet du Ffipsa, considérant que la poursuite du statu quo n'est pas tenable et que l'idée de revisiter, au profit de ce fonds, les règles de la compensation démographique à l'intérieur de la branche vieillesse a manifestement échoué, ainsi que l'ont montré les travaux du groupe animé par Jean-François Chadelat en 2006.
La seule véritable solution à la crise actuelle consisterait en ce que l'Etat assume à nouveau ses responsabilités financières, comme il le fit entre 1959 et 2003 avec le Bapsa. Cela suppose en particulier que la puissance publique cesse de s'approprier les ressources les plus dynamiques du régime agricole au profit du budget de l'Etat, comme ce fut le cas en 2003 lorsque les recettes de la TVA ont été remplacées par une partie des droits sur le tabac, dont le rendement s'est ensuite effondré.
Puis M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a rapporté les jugements formulés par la Cour qui lui apparaissent trop sévères, ce qui l'empêche de souscrire à la totalité de ce rapport.
Il a ainsi fait part de son désaccord avec l'idée selon laquelle le mouvement de regroupement des caisses locales de la MSA serait insuffisant, l'effort accompli lui semblant même, à l'inverse, déjà très important. Certes, les gains de productivité du réseau de la MSA ont été moindres depuis le début des années 2000, mais il s'agissait d'un phénomène transitoire, quasiment totalement imputable au passage aux trente-cinq heures.
De la même façon, si la Cour critique les modalités spécifiques de financement de la retraite complémentaire obligatoire (RCO) des exploitants agricoles par le biais d'une contribution directe de l'Etat, il faut rappeler que ces particularités résultent très exactement de la volonté du législateur.
Par ailleurs, selon le rapporteur, la question de la parité entre l'effort contributif des exploitants agricoles et celui des autres catégories d'assurés sociaux n'est pas définitivement tranchée. En effet, si la Cour affirme que les agriculteurs cotisent moins que les ressortissants du régime général, les travaux du groupe de travail Chadelat ont montré l'absence de consensus sur ce point, que ce soit entre les ministères des finances, des affaires sociales et de l'agriculture ou même entre les responsables des différents régimes sociaux. Plusieurs modes de calcul sont en effet envisageables et la grande complexité des arguments techniques échangés laisse en définitive à chacun sa liberté d'appréciation.
Enfin, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a fait part de son opposition à l'idée avancée par la Cour des comptes d'une « perte de spécificité de la protection sociale agricole ». A l'inverse, le maintien d'un régime spécifique pour les exploitants et les salariés agricoles lui semble pleinement justifié, dans la mesure où l'emploi dans l'agriculture comporte toujours des particularités importantes, où ce régime dispose d'une forte légitimité, notamment grâce au rôle positif des élus locaux, et où la MSA fournit une contribution très utile à notre système de protection sociale, grâce en particulier à son action sanitaire et sociale très développée. Compte tenu de ces différents atouts, la MSA mériterait, à son sens, de devenir le régime de référence de l'ensemble du monde rural, et pas uniquement celui des agriculteurs.
En définitive, l'étude de la Cour des comptes fournit à la commission une analyse très intéressante de la protection sociale agricole, mais qui appelle plusieurs correctifs afin qu'elle ne soit pas perçue par les exploitants agricoles comme un réquisitoire, ce qui pourrait être contre-productif. Le succès du processus de réforme en cours suppose, à l'inverse, l'adhésion des exploitants agricoles, car le régime agricole est engagé depuis plus de quinze ans dans un processus de modernisation, dont il ne faut pas sous-estimer l'impact. Le débat sur la spécificité de la MSA ne doit pas davantage conduire à remettre en cause la légitimité même du régime et l'obligation de mener à bien des réformes pèse tout autant sur le régime agricole que sur les autres régimes sociaux.
M. Alain Gournac a vivement protesté contre la divulgation dans la presse de certains extraits du rapport de la Cour des comptes, avant même sa présentation officielle devant la commission Il s'est déclaré choqué de l'instrumentalisation par les médias, en période électorale, des travaux de la Cour, d'autant que les journaux n'ont mis en avant que les critiques à l'encontre du régime agricole. Puis il a fait part de ses divergences avec le rapporteur sur la question des fusions de caisses de la MSA, dont il a jugé le rythme trop lent. Après avoir précisé que ces propos présentent une portée générale et concernent l'ensemble des régimes de protection sociale, il s'est prononcé en faveur d'une accélération du regroupement des structures administratives devenues inutiles afin de dégager des économies. Dans ce domaine aussi, des réformes sont nécessaires.
Considérant que les phénomènes de fraude ou d'évasion de cotisations sociales ne doivent pas être surestimés, il a souhaité que la spécificité de la MSA soit respectée, sous réserve toutefois que la modernisation en cours du réseau soit menée à son terme. Cette spécificité, en revanche, ne justifie pas le maintien de tous les usages en cours parmi les professions agricoles, à commencer par le fait que de nombreuses personnes sont manifestement sous-rémunérées.
M. Alain Vasselle a également condamné les fuites parues dans la presse, en rappelant qu'il avait fait part de sa vive émotion sur ce point lors de l'audition de la Cour la semaine passée. La présentation qui a été faite de son rapport dans les journaux est d'autant plus déplaisante que seuls les points défavorables à la MSA ont été mis en avant. L'audition des auteurs du rapport devant la commission était heureusement plus nuancée, mais l'opinion publique ne retiendra probablement que les messages simplifiés et inexacts diffusés par les médias. Il serait d'ailleurs nécessaire que la commission publie un communiqué de presse pour rétablir la réalité de la situation.
Il a ensuite souhaité connaître l'importance relative de la solidarité nationale et de la solidarité interprofessionnelle dans le financement du régime agricole.
Il a par ailleurs estimé que la restructuration en cours du réseau de la MSA constitue un exercice délicat, car il convient aussi de tenir compte de la nécessité de maintenir des services de proximité en milieu rural. Après avoir à son tour réaffirmé son attachement à la spécificité du régime agricole, il s'est déclaré perplexe à l'égard des observations de la Cour tendant à faire valoir l'idée d'un moindre effort contributif des exploitants agricoles par rapport à celui des autres catégories sociales. Ce point a d'ailleurs été relevé par certains sénateurs de l'opposition qui, en commission, n'ont pas hésité à stigmatiser sans nuances le comportement des assurés sociaux du régime agricole les plus aisés. Cette polémique justifierait la définition de critères objectifs et une étude approfondie, que la Mecss de la commission pourrait conduire.
M. Alain Vasselle a ensuite relevé l'incongruité de la position du ministère du budget dans sa réponse à la Cour des comptes au sujet du déficit du Ffipsa. La responsabilité de la gestion de ce dossier incombe indéniablement au Gouvernement et ne saurait être transférée au Parlement. Le Sénat ne dispose d'ailleurs pas des moyens d'action nécessaires pour agir, ne serait-ce qu'en raison de l'obstacle que représentent les dispositions de l'article 40 de la Constitution. Persister dans cette voie supposerait l'adoption d'une réforme constitutionnelle !
En ce qui concerne le processus de modernisation du réseau de la MSA, M. Nicolas About, président , a estimé que la constitution de fédérations de caisses représente une première étape, mais qu'il conviendra à l'avenir de procéder à de véritables fusions, seules susceptibles de produire de réelles économies. Par ailleurs, s'il veut bien admettre qu'il existe une spécificité de la protection sociale agricole, il serait utile que l'on puisse disposer de précisions sur le contenu et les contours actuels de cette notion si souvent évoquée.
Après avoir indiqué que le nombre des caisses devrait être ramené à trente-cinq à l'horizon 2010, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a souligné toute la difficulté de ce processus de modernisation. La MSA est en effet tiraillée entre deux impératifs contradictoires : réaliser des économies et améliorer l'efficacité de sa gestion, d'une part, et préserver un lien fort de proximité avec les assurés sociaux, d'autre part, car il s'agit de la richesse et de la raison d'être du régime agricole.
Dans ce contexte, il est exact que la création de fédérations de caisses n'entraîne pas d'économies, mais il s'agit d'une étape intermédiaire permettant de justifier la légitimité des efforts demandés aux exploitants agricoles. En accordant au régime le temps nécessaire, sachant que la restructuration du réseau est désormais bien engagée, les objectifs fixés pour 2010 seront atteints.
Revenant sur son intervention précédente, M. Alain Gournac a précisé qu'elle avait pour but de plaider pour une rationalisation des structures administratives. Il a soutenu la proposition de M. Alain Vasselle en faveur d'un approfondissement par la Mecss de la question de la parité des cotisations entre les exploitants agricoles et les autres assurés sociaux.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a ensuite abordé la question du forfait en rappelant que le maintien d'une imposition forfaitaire n'est pas imputable aux instances du régime agricole qui en ont demandé la suppression. Par ailleurs, on constate en effet que la transformation juridique de certaines exploitations agricoles en une forme sociétaire est de nature à minorer les rentrées de cotisations sociales. Pour autant, il conviendrait de disposer de davantage d'informations afin d'apprécier l'ampleur exacte de ce phénomène.
Enfin, il a indiqué que le maintien de la spécificité de la protection sociale agricole se justifie toujours aujourd'hui, notamment en raison de l'ampleur de l'action sanitaire et sociale fournie à la population des exploitants agricoles et de la légitimité que confèrent aux responsables du régime les élections professionnelles. A cela s'ajoute le caractère global du service rendu aux assurés sociaux, dans la mesure où le champ d'action de la MSA couvre les quatre branches de la sécurité sociale. Tous ces atouts légitimeraient, selon lui, que la MSA devienne le régime de référence de l'ensemble du monde rural, et non des seuls agriculteurs, comme tel est le cas aujourd'hui.
Après avoir déploré à son tour les fuites du rapport parues dans la presse, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a précisé à M. Alain Vasselle que le financement du régime agricole est assuré à hauteur de respectivement 17 % par les exploitants agricoles eux-mêmes, 32 % par les autres régimes sociaux et 51 % par la solidarité nationale.
Il s'est également réjoui du caractère plus nuancé des propos tenus par les magistrats financiers lors de leur audition du 2 mai 2007, sensiblement en retrait par rapport aux termes du rapport écrit de la Cour. Pour autant, les écrits restent et Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre, a clairement indiqué qu'elle n'entendait pas diffuser un communiqué de presse rectificatif à l'occasion de la publication de cette étude.
Après avoir rappelé qu'il avait fait part, à maintes reprises, des réticences que lui inspirait l'idée avancée par le président du comité de surveillance du Ffipsa de modifier les règles de calcul de la compensation démographique, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur , a souligné les inquiétudes résultant du déficit du fonds. La création du Ffipsa en 2004 a malheureusement rendu possible une opération de débudgétisation, apparue rétrospectivement très défavorable au régime agricole. Dès lors, la Cour des comptes apparaît pleinement fondée à poser la question de l'intérêt même de l'existence de ce fonds, qui constitue à l'évidence un facteur de confusion à la périphérie des finances publiques et des finances sociales.
Pour conclure, M. Nicolas About, président , a indiqué que la commission poursuivra ses travaux sur la question de la spécificité de la protection agricole et diffusera dans l'immédiat un communiqué de presse à la suite de l'adoption du rapport présenté par M. Jean-Marc Juilhard.
La commission a alors autorisé la publication de ce rapport d'information auquel sera annexée l'étude établie par la Cour des comptes.