Audition de M. Xavier Horent, délégué général du CNPA, au sujet du rapport du Conseil économique et social sur l'avenir de l'industrie automobile.
La commission a entendu M. Xavier Horent, délégué général du Centre national des professionnels de l'automobile (CNPA), représentant M. Roland Gardin, président du CNPA et membre du Conseil économique et social.
L'objet de cette première audition étant de présenter le rapport déposé par M. Roland Gardin au Conseil économique et social (CES), le 5 juillet 2006, et intitulé « L'automobile française : une filière majeure en mutation », M. Xavier Horent s'est proposé de revenir sur la situation de l'industrie automobile, avant d'en exposer les principales mutations et de faire état des préconisations du CES.
S'agissant du poids de l'industrie automobile dans l'économie française, M. Xavier Horent a indiqué que cette dernière représentait aujourd'hui 10 % du produit intérieur brut (PIB) avec un chiffre d'affaires de la construction automobile de 105 milliards d'euros, dont 23,5 milliards d'euros réalisés par les équipementiers, auxquels s'ajoutaient 114 milliards d'euros pour les activités de commerce et de réparation automobile. Il a attiré l'attention des commissaires sur cette performance de la distribution et des services, composante probablement la moins connue de la filière automobile, bien que son chiffre d'affaires soit pourtant du même ordre de grandeur que celui des constructeurs automobile et de l'ensemble de leurs sous-traitants.
Procédant ensuite à l'analyse du marché de l'automobile, il s'est félicité que la vente de voitures françaises ait représenté environ 10 % de la production totale mondiale et 25 % de la production européenne en 2004 et 2005, années de référence pour les travaux du Conseil économique et social. Il a, en outre, souligné l'importance de la contribution du secteur automobile au solde de la balance commerciale durant les trois dernières années.
Puis, s'agissant des 35,6 millions de véhicules composant le parc français, il a indiqué que 80 % des ménages français disposaient d'une automobile et que 32 % en possédaient au moins deux, rappelant que 89 % des transports intérieurs de voyageurs s'effectuaient par la route. Il a, par ailleurs, fait valoir que les véhicules produits aujourd'hui étaient dix fois moins polluants que ceux de 1990, ajoutant que les véhicules de 2010 devraient à leur tour polluer dix fois moins que ceux mis sur le marché en 1995.
M. Xavier Horent a poursuivi cette présentation chiffrée en évoquant la situation de l'emploi dans le secteur. Il a souligné que, dans notre pays, un emploi sur dix était directement ou indirectement lié au secteur automobile, 800 000 dans les activités de production du secteur automobile et 700.000 liés aux activités de ventes, de réparation, d'assurance, ou de financement, et un million dans des activités rattachées aux transports, au réseau routier ou à l'administration.
M. Xavier Horent a ensuite abordé les mutations de l'industrie automobile. Il a vanté les bonnes performances de la filière française dans un contexte de forte compétition mondiale, faisant valoir que si dix groupes de constructeurs et trois équipementiers produisent à eux seuls 80 % des 60 millions de véhicules fabriqués dans le monde aujourd'hui, 10 % de cette production étaient assurée par deux constructeurs français, Renault et PSA-Peugeot-Citroën. Il a estimé que les marchés étrangers représentaient aujourd'hui les trois quarts des débouchés des constructeurs français, soulignant que le dynamisme tenait à des méthodes industrielles fondées sur la qualité et l'innovation qui étaient mises en oeuvre en lien direct avec les équipementiers, ainsi qu'à une faculté importante d'anticipation de la demande des consommateurs, elle-même accompagnée par un réseau dynamique d'entreprises de distribution et de services
Poursuivant son propos sur la compétitivité internationale, M. Xavier Horent, a évoqué le partage de la demande mondiale entre, d'une part, les marchés de renouvellement et, d'autre part, ceux caractérisés par de nombreuses premières acquisitions, indiquant que le marché européen appartenait désormais à la première catégorie, eu égard à la faible croissance du revenu des ménages, à la fiabilité croissante des véhicules et à la saturation du taux d'équipement. Il a insisté sur le fait que la priorité donnée aux marchés émergents était devenue l'un des axes majeurs des stratégies appliquées par les constructeurs français. Dans cette perspective, il a noté que si un peu plus de la moitié des modèles français avaient été produits dans des sites implantés en France, le cap du million de voitures de marques françaises fabriquées en Europe centrale ou orientale serait probablement franchi d'ici à 2010.
M. Xavier Horent a d'ailleurs tenu à opérer une distinction entre le phénomène de délocalisation et celui de la simple localisation de la production. Sans en minimiser le risque pour l'emploi, il a relevé que les localisations de production étaient justifiées par une implantation des usines au plus proche des nouveaux marchés, ce qui entraîne que le phénomène de délocalisation à proprement parler se trouve, en tout état de cause, limité. En appui de ce constat, il a relativisé l'importance des différentiels de coût de la main d'oeuvre entre les différents pays, précisant que ce coût ne représentait que 10 % du coût d'assemblage d'un constructeur automobile.
Puis il a décrit le processus actuel de recomposition de l'industrie automobile, rappelant que le fordisme avait été successivement remplacé par le toyotisme, puis par le concept de « l'entreprise élargie », ce qui obligeait à repenser tous les schémas industriels de fabrication d'un véhicule et des fonctions de travail, notamment s'agissant des rôles respectifs des constructeurs et des équipementiers.
Abordant ensuite l'impact des nouvelles attentes des consommateurs sur la filière, il a observé que s'étaient développés les concepts de la voiture comme « espace à vivre » ainsi que celui de « la voiture pour chacun », ce dernier se substituant au modèle de « la voiture pour tous ».
Il a exposé les contraintes particulières de cet impact sur les constructeurs, en relevant la nécessité de « produire ce que l'on vend » et non de « vendre ce que l'on produit », comme cela était classiquement le cas depuis les années cinquante.
A propos de la réorganisation structurelle de la filière, il a fait état d'une mutation des rapports de force entre les différents acteurs du marché depuis les années quatre-vingt dix, soulignant que son issue restait difficilement prévisible. Il a ainsi confirmé que si les constructeurs conservaient la place principale au coeur de ce système, en raison notamment du pouvoir de la marque sur les utilisateurs, ils ne bénéficiaient plus d'une situation de domination. A l'appui de sa démonstration, il a pris l'exemple des distributeurs de véhicules dont la taille s'est fortement accrue et qui bénéficient désormais d'un pouvoir de négociation. Quant aux équipementiers, il a fait valoir qu'ils étaient devenus les interfaces de l'ensemble du système automobile, dans la mesure où ils étaient à l'origine des deux tiers de la valeur ajoutée industrielle de la filière.
M. Xavier Horent a ensuite évoqué la question de l'innovation en considérant qu'elle constituait à la fois une des mutations structurelles du secteur et la condition essentielle au maintien de la filière dans la compétition mondiale. Sur ce point, il a présenté les recommandations du rapport du Conseil économique et social consistant à renforcer le potentiel d'innovation de l'industrie automobile française face à la multiplication des laboratoires en Inde, en Chine ou au Brésil, précisant par ailleurs que les recherches actuelles portent de façon privilégiée sur l'environnement, la sobriété des moteurs ou encore la sécurité du véhicule et l'utilisation de nouveaux matériaux.
Comme annoncé, il en est ensuite venu à exposer les principales préconisations du Conseil économique et social à destination de l'ensemble de la filière. A ce titre, il a insisté sur la poursuite d'un objectif comprenant quatre composantes, à savoir : la création d'un « socle fort », intégré et homogène, apte au développement international et soucieux de concilier le développement durable avec la mobilité des français.
Il a insisté sur l'enjeu de la création d'un « socle fort » favorable à la compétitivité dans le cadre d'un marché européen homogène, face à la pression concurrentielle provenant en particulier des pays émergents qui bénéficient de niveaux de coûts sans comparaison avec l'Europe, ainsi que des constructeurs japonais, qui combinent une politique industrielle d'excellence et une politique monétaire offensive.
Soulignant la double nature du secteur automobile, à la fois industrie capitalistique et secteur de production de masse, il a fait part de préconisations du CES en faveur de la création d'un marché européen de l'automobile homogène au moyen d'une harmonisation fiscale, considérant sur ce point que l'absence de convergence des taux d'imposition nationaux constituait un obstacle à la politique commerciale des constructeurs et débouchait in fine sur un fractionnement du marché européen.
Parallèlement à l'harmonisation fiscale, il a jugé que la recherche de l'efficacité réglementaire constituait un second motif de création d'un marché automobile européen, dans la mesure où le cadre réglementaire communautaire constitue un paramètre important de la compétitivité du secteur. Conformément aux recommandations du CES, il a fait valoir que ce cadre juridique devait, d'une part, être adapté aux spécificités du marché mondial et d'autre part, être stable et cohérent, illustrant son propos par l'exemple de l'initiative européenne « Cars 21 » ou « l'automobile du XXIe siècle » grâce à laquelle un groupe de travail a pu formuler des propositions de réglementations visant à favoriser la compétitivité de la filière automobile ainsi que la recherche, le développement et l'innovation, dans le respect des contraintes environnementales. Il a rappelé que le CES avait considéré que les propositions de ce groupe de travail, traduites dans un rapport de juin 2006, étaient pertinentes et méritaient tout l'appui des autorités françaises. M. Xavier Horent en a ainsi appelé, conformément aux recommandations du CES, à ce qu'une évaluation des règles nationales soit lancée afin de déceler les évolutions nécessaires et les possibilités de simplification.
Il a ensuite exposé le second élément de l'objectif préconisé par le CES, portant à la fois sur le renforcement de l'intégration de la filière automobile et de son attractivité. Constatant que l'évolution structurelle de cette filière traditionnellement très hiérarchisée s'était traduite par une redistribution importante des rôles au profit des équipementiers et des fournisseurs, il a appelé de ses voeux une nécessaire conciliation des stratégies des constructeurs avec celles des équipementiers et de leurs fournisseurs. Le CES a, en conséquence, souligné la nécessité que la filière surmonte la vision unilatérale et asymétrique des rapports entre acteurs afin d'assurer sa pérennité.
Après avoir mentionné la troisième composante de l'objectif du CES qui concerne la promotion du développement international de la filière française, M. Xavier Horent a abordé son quatrième et dernier aspect, visant à une meilleure conciliation entre la mobilité des Français, d'une part, et l'impact de la filière automobile sur le développement durable, d'autre part. Il a confirmé que l'enjeu n'était évidemment pas de diminuer la demande d'automobiles des Français ou des Européens, mais de dégager des solutions de promotion d'un développement durable de la filière. Rappelant que la technologie était l'une de ces solutions, il s'est félicité du fait que le niveau des émissions ait été divisé par deux tous les quatre ans depuis 1970, et constatant que les derniers véhicules non équipés d'un pot catalytique ne disparaîtront qu'en 2012, il a rappelé la préconisation du CES visant à accélérer le rajeunissement du parc actuel et la sortie des véhicules anciens les plus polluants au profit de véhicules plus respectueux de l'environnement.
A l'issue de cette présentation, M. Gérard Cornu, rapporteur, s'est interrogé sur la difficulté de faire évoluer la réglementation.
En réponse, M. Xavier Horent a jugé que la filière automobile souffrait de changements trop erratiques et d'une certaine imprévisibilité du cadre juridique qui nuisaient à sa compétitivité. Il a regretté, en outre, que la réglementation ne prenne pas suffisamment en compte le rythme des évolutions technologiques et leur intégration par la filière automobile. Rappelant la nécessité d'une concrétisation de l'initiative Cars 21, il a indiqué que la Commission européenne travaillait actuellement sur l'évolution de cette réglementation.
M. Gérard Cornu, rapporteur, a aussi interrogé l'intervenant sur le fait que la main d'oeuvre ne représentait, selon ce dernier, que 10 % des coûts de construction d'une automobile, alors même qu'il était fréquemment admis que le différentiel de salaire avec les pays émergents pesait sur la compétitivité de l'Europe occidentale.
M. Xavier Horent a renvoyé aux précisions qu'il donnerait sur la structure des coûts de construction lors de son audition suivante en sa qualité de représentant des constructeurs.
M. Daniel Dubois a lui aussi fait part de sa surprise quant à la faible part des salaires, en se demandant quelles étaient les raisons conduisant à des modifications de localisation des unités de production si la part du coût salarial était si peu élevée. Il s'est demandé si le seul objectif de positionnement au plus près des clients suffisait dès lors à justifier des délocalisations qui ne disent pas leur nom.
Il a poursuivi en notant que, dans le contexte général de la chute des ventes des constructeurs européens en 2006, les entreprises allemandes avaient obtenu des résultats relativement satisfaisants en dépit des coûts de production élevés.
Il a demandé si cela n'était pas lié au haut niveau de qualité de véhicules d'outre-Rhin et si plus généralement, ce souci de qualité ainsi que l'innovation et l'anticipation des attentes des consommateurs pouvaient vraiment être regardées comme les meilleurs gages d'une stratégie évitant les délocalisations.
Abordant un deuxième aspect, M. Daniel Dubois a fait part de ses interrogations quant aux raisons de la très grande prudence des constructeurs français en matière de recherches sur les nouveaux carburants et plus généralement sur le concept de « voiture propre ».
M. Jean Desessard s'est, quant à lui, interrogé sur la place occupée dans la production par les robots, qui permettent de produire sans main d'oeuvre et font appel à de nombreuses recherches.
Puis revenant sur les différences de fiscalité automobile au sein de l'Europe, il a demandé des précisions sur le point de savoir en quoi, par exemple, le très haut niveau des taxes danoises sur l'automobile handicapait les constructeurs français plus que leurs concurrents, dans la mesure où ces taxes s'appliquent à tous les intervenants sur ce marché.
De même, il a émis des interrogations sur le fait que les normes qualités européennes puissent désavantager les constructeurs français, ou les autres constructeurs européens, dans la mesure où ces normes s'imposent à toutes les entreprises, notamment japonaises, dès lors qu'elles souhaitent commercialiser des véhicules en Europe.
M. Xavier Horent a tout d'abord répondu au sujet d'un éventuel retard français en matière de recherche, en particulier dans le domaine du développement durable, en faisant valoir que les constructeurs équipementiers et français avaient, à sa connaissance, fait des efforts considérables et relativement bien connus dans le domaine de l'environnement ainsi d'ailleurs que dans celui de la sécurité routière.
Il a ainsi rappelé que plus de 24 milliards d'euros étaient investis en moyenne chaque année en Europe dans le domaine de la recherche et du développement, tout en estimant qu'il existait probablement encore beaucoup de pistes, notées par le CES, sur la manière dont le potentiel de recherche de la filière pouvait encore être amélioré, notamment s'agissant du cloisonnement excessif entre la recherche publique et la recherche privée.
A ce titre, il a estimé que de nombreux efforts restaient à accomplir dans le cadre des pôles de compétitivité qui venaient d'être mis en place, la filière automobile participant à cinq d'entre eux.
Parmi les pistes d'amélioration, il a rappelé que le CES estimait qu'une des voies à explorer était l'intégration des métiers de la réparation et de la distribution automobile dans les activités de recherche et développement, l'automobile constituant en soi une filière cohérente.
Il a ajouté que le CES formulait aussi des recommandations visant à améliorer l'efficacité du crédit d'impôt recherche, compte tenu notamment de la révision récente de ses paramètres de calcul.
Revenant sur la fiscalité, il a estimé que cette dernière était en soi un facteur de compétitivité, et que la différence de niveau d'impôt en Europe privait nos industriels d'un marché aux dimensions réellement continentales, alors qu'une fiscalité uniformisée permettrait de fluidifier les échanges et d'inscrire les politiques commerciales des constructeurs dans un cadre européen. Il a rappelé que l'enjeu pour les constructeurs européens était de pouvoir se lancer dans la compétition mondiale en s'adossant au marché socle le plus unifié et le plus cohérent possible, non seulement au plan fiscal, mais aussi au plan réglementaire.