EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 13 décembre 2006.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Jean-Pierre Plancade, rapporteurs, ont tout d'abord détaillé leurs principales constatations sur l'utilisation des armes à sous-munitions et leurs conséquences humanitaires, sur la situation française vis-à-vis de la production, de la détention et de l'utilisation de ces armes, et enfin sur l'état du droit international et ses perspectives d'évolution.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite présenté les différentes recommandations soumises par les rapporteurs à l'appréciation de la commission.
Il a indiqué que la première série de préconisations proposées visait, au plan national, à se conformer à des objectifs élevés de précision et de fiabilité des armes à sous-munitions et à conserver une doctrine d'emploi restrictive, de nature à minimiser les risques pour les populations civiles. Considérant qu'en raison de leurs caractéristiques, le missile de croisière anti-piste Apache et l'obus antichar Bonus échappent à la problématique des risques humanitaires, il a précisé que ces préconisations portaient tout d'abord sur l'obus à grenades OGR. Ce dernier est destiné à des usages essentiellement défensifs ou préemptifs, et ses emplois devraient clairement rappeler que son usage est réservé à la destruction d'objectifs exclusivement militaires, dans le cadre d'un combat symétrique de haute intensité et dans le respect du principe de proportionnalité. M. Jean-Pierre Plancade a estimé que pour parer aux risques liés aux sous-munitions non explosées, une mention figurant sur la sous-munition et indiquant clairement le danger encouru serait également nécessaire. D'autre part, s'agissant de la roquette de conception américaine M-26, qui équipe actuellement les lance-roquettes multiples (LRM), il a considéré qu'elle n'était plus adaptée aux engagements actuels, du fait de son imprécision manifeste, du nombre excessif de sous-munitions et de taux d'échec impressionnants. Aussi a-t-il souhaité qu'en l'attente de l'entrée en service d'une nouvelle roquette à charge unitaire, la France prenne l'engagement immédiat de ne pas utiliser les roquettes M-26 et fixe un calendrier précis de leur destruction. Enfin, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a mentionné des préconisations plus générales, visant à renforcer la fiabilité et la précision des munitions, à maintenir l'actuelle pratique restrictive en matière d'exportation d'armes à sous-munitions et à continuer à prendre en compte les exigences du droit international humanitaire, notamment dans les règles d'engagement en opérations.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite précisé qu'une seconde série de préconisations souhaitées par les rapporteurs portait sur l'action internationale. Il s'agit tout d'abord d'agir pour l'universalisation et la mise en oeuvre du protocole V sur les restes explosifs de guerre et de poursuivre le travail, accompli par la France, en faveur de la définition et de la promotion des mesures techniques préventives, visant à renforcer la fiabilité des armes à sous-munitions. Il paraît également nécessaire d'appeler les Etats parties au protocole I de 1977 sur la protection des victimes civiles des conflits armés, à en respecter pleinement les stipulations en se dotant de règles d'engagement adaptées et d'inciter les Etats qui ne l'ont pas encore ratifié à rejoindre ce protocole. Enfin, compte tenu de la grande imprécision et des taux d'échec importants constatés sur nombre d'armes à sous-munitions utilisées dans les conflits récents, il paraît légitime de définir, au plan international, des critères permettant d'écarter les armes dont les caractéristiques techniques les rendent, de facto, peu compatibles avec le respect des exigences humanitaires.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ajouté qu'à ce titre, les rapporteurs souhaitaient que la France puisse faire valoir les mesures qu'elle a prises à titre national, qu'elle reste attentive et réactive à toutes les initiatives internationales, d'où qu'elles viennent, et qu'elle s'implique activement dans les réflexions à venir sur l'évolution du droit international, par exemple en contribuant à identifier des éléments constitutifs d'une future régulation internationale des armes à sous-munitions. Il a indiqué qu'une telle démarche supposait de s'accorder sur une définition commune des armes à sous-munitions et de favoriser l'implication des principaux pays producteurs ou utilisateurs d'armes à sous-munitions qui participent à la convention sur certaines armes classiques dans un instrument à vocation universelle.
A l'issue de la présentation des recommandations des rapporteurs, M. Serge Vinçon, président, s'est félicité de l'important travail de clarification et d'analyse accompli dans le cadre de ce rapport d'information sur les armes à sous-munitions. Il a souligné qu'une commission, pour la première fois au sein du Parlement, menait un travail approfondi sur ce sujet sensible et d'actualité. Il a estimé que les conclusions proposées par les rapporteurs étaient à la fois équilibrées et responsables. Il a observé que la situation de la France à l'égard des armes à sous-munitions pouvait être considérée comme exemplaire, puisque tout en assumant des responsabilités internationales qui l'amènent à intervenir sur de nombreux théâtres d'opérations, et parfois dans des conditions difficiles, elle avait su faire preuve en la matière d'une grande retenue en ne se dotant que d'un nombre très limité de systèmes d'armes à sous-munitions, en s'imposant des règles d'engagement très strictes, comme en témoigne l'unique cas d'utilisation en 1991, et en s'abstenant, depuis plusieurs années, de toute exportation.
M. Robert Del Picchia a lui aussi souligné qu'en matière d'armes à sous-munitions, la France faisait plutôt figure de « bon élève » et qu'il y avait lieu de le mettre en exergue dans le rapport. S'agissant des discussions sur une future réglementation internationale des armes à sous-munitions, il a estimé que les différentes voies méritaient d'être explorées, tout en gardant à l'esprit que l'intérêt d'un éventuel nouveau traité dépendrait de sa capacité à réunir un nombre significatif de pays, notamment parmi les détenteurs et utilisateurs d'armes à sous-munitions. Il a également souhaité savoir comment des estimations précises avaient pu être effectuées sur l'utilisation des armes à sous-munitions lors des différents conflits, et notamment en dernier lieu au Liban.
M. Philippe Nogrix a considéré que malheureusement, aucune guerre ne pouvait être qualifiée d'humanitaire. Il a également jugé légitime que chaque Etat puisse se doter des moyens d'assurer sa défense. Il a estimé que s'il était envisageable de s'accorder, au plan international, sur l'élimination de certains types d'armes à sous-munitions, notamment celles qui ne sont pas pourvues de mécanismes d'autodestruction ou d'autodésactivation, on ne pouvait en revanche remettre en cause l'intérêt des armes à sous-munitions pour des usages spécifiques, tels que la destruction des pistes d'aviation ou la défense d'unités face à une attaque massive et imprévue. Il a par ailleurs effectué une distinction entre les différents types d'utilisation des armes à sous-munitions, les frappes aériennes permettant notamment un degré de précision supérieur à celui de l'artillerie. Enfin, il a demandé des détails sur l'utilisation d'armes à sous-munitions au Sud-Liban, les autorités israéliennes ayant indiqué que leur artillerie avait agi en contradiction avec les directives reçues.
M. Roger Romani a estimé que l'attitude responsable de la France à l'égard des armes à sous-munitions méritait d'être saluée, puisque nos armées n'ont pratiquement jamais utilisé ce type d'armements dans les conflits où elles ont été engagées. Aussi lui a-t-il paru nécessaire de parvenir à convaincre les autres Etats d'adopter des pratiques analogues, ce qui favoriserait le cas échéant l'adoption d'une réglementation internationale de l'usage de ces armes. En revanche, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu pour la France de décider de se priver de certaines armes ou de s'en restreindre les possibilités d'utilisation. Il a jugé que toute injonction en ce sens adressée aux autorités gouvernementales et aux armées était inopportune, dans la mesure où elle laisserait penser, de manière injustifiée, que la France pourrait contrevenir aux exigences humanitaires alors que la pratique constante de nos forces armées prouve que ces exigences ont toujours été prises en compte et respectées.
Mme Hélène Luc a tout d'abord regretté que la préparation du rapport d'information n'ait été confiée qu'à deux sénateurs issus des deux principaux groupes politiques du Sénat. Elle a estimé que l'intérêt et l'importance du sujet auraient mérité une association beaucoup plus large de tous les groupes politiques. Elle a également rappelé qu'en sa qualité de représentante du Sénat à la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, elle s'était impliquée de longue date sur la question des armes à sous-munitions. Elle a pris acte du travail effectué par les rapporteurs et estimé qu'un tel rapport d'information répondait à une évidente nécessité. Tout en reconnaissant que la France n'avait pratiquement jamais utilisé d'armes à sous-munitions, elle a jugé nécessaire que notre pays s'implique beaucoup plus activement en faveur de l'interdiction d'armes qui ont été employées en dehors de leur vocation originelle et ont causé des dégâts humanitaires considérables au Vietnam, en Afghanistan, en Irak ou au Liban. Evoquant la législation adoptée par la Belgique, elle a convenu qu'un pays, sauf à se placer dans une position d'infériorité, un pays pouvait difficilement agir indépendamment des autres et sans tenir compte du cadre international. Aussi bien, après avoir regretté l'absence de résultats significatifs lors de la conférence d'examen de la convention sur certaines armes classiques à Genève en novembre dernier, a-t-elle insisté sur l'objectif de parvenir à une interdiction mondiale des armes à sous-munitions, en soulignant qu'un tel processus serait sans doute long et difficile mais paraissait néanmoins réaliste, comme l'avait prouvé il y a quelques années la démarche ayant conduit à l'interdiction des mines antipersonnel. Considérant que, de ce point de vue, les conclusions du rapport n'étaient pas suffisamment à la mesure du problème posé, elle a indiqué que le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendrait. Par ailleurs, elle a souhaité l'inscription, à l'ordre du jour du Sénat de sa proposition de loi tendant à élargir aux armes à sous-munitions le champ d'application du dispositif de contrôle et d'interdiction des mines antipersonnel.
M. Serge Vinçon, président, a rappelé que le choix des rapporteurs avait été effectué selon les règles habituellement pratiquées par la commission pour tous les rapports d'information. Il a rappelé que les rapporteurs ne s'exprimaient pas au nom d'un groupe en particulier et qu'ils soumettaient leurs conclusions à l'ensemble de la commission, chacun de ses membres pouvant marquer ses points d'accord ou de désaccord.
M. André Dulait a ajouté qu'un membre du groupe communiste, républicain et citoyen avait participé à l'élaboration du récent rapport sur la gestion des crises en Afrique.
Mme Catherine Tasca s'est félicitée de ce que la commission se soit saisie d'un sujet sensible touchant à la politique de défense et au droit humanitaire. Elle a estimé que le fait pour le Parlement, et en l'occurrence pour le Sénat, d'aborder ce type de question constituait un progrès. Elle a souhaité que les objections soulevées par Mme Hélène Luc puissent être examinées dans le cadre plus général des méthodes de travail de la commission. Elle a indiqué que les membres du groupe socialiste adopteraient les conclusions présentées par les rapporteurs, jugeant, sur un sujet aussi difficile et complexe, qu'elles étaient raisonnables, puisqu'elles ne mettaient pas en cause la politique de défense de la France, qui peut être qualifiée d'exemplaire en matière d'armes à sous-munitions, tout en cherchant à faire progresser une cause juste. Elle a estimé que ce rapport d'information sur les armes à sous-munitions devait être replacé dans la problématique plus générale de l'évolution des conflits au 21 è siècle. Elle a constaté que par le passé, les guerres impliquaient essentiellement les militaires alors qu'aujourd'hui, les populations civiles se retrouvent de plus en plus systématiquement en première ligne. Aussi a-t-elle estimé que la protection des populations civiles dans les conflits armés devenait un objectif prioritaire au même titre que l'amélioration des capacités de défense.
M. Robert Bret a souhaité un rôle plus actif du Parlement sur les questions de défense et a estimé que le rapport d'information allait en ce sens. Il a considéré que le travail effectué par les rapporteurs permettait de faire le point sur la question des armes à sous-munitions et montrait que la France avait un comportement responsable en la matière. Il lui a toutefois paru que la France ne pouvait se limiter à faire valoir sa situation exemplaire et qu'elle avait une responsabilité particulière pour agir, au plan international, en faveur de l'interdiction d'armes qui ont été détournées de leur vocation première et ont surtout frappé les populations civiles. Il a ajouté que l'abstention des membres du groupe communiste républicain et citoyen sur les conclusions du rapport d'information traduisait son souhait d'aller plus loin que ne le proposent les rapporteurs.
M. André Dulait a salué la qualité du travail des rapporteurs et la démarche entreprise par la commission pour mieux appréhender la question des armes à sous-munitions et de leurs conséquences humanitaires. Il a indiqué que les membres du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, comme ceux du groupe Union centriste - UDF, souscrivaient à l'orientation générale des recommandations formulées par les rapporteurs, notamment la nécessité pour la France de se conformer à des objectifs élevés de précision et de fiabilité des armes à sous-munitions et de conserver une doctrine d'emploi restrictive de nature à minimiser les risques pour les populations civiles. Il s'est en revanche demandé si, dans ces conditions, il était nécessaire de formuler des prescriptions aussi précises que le souhaitaient les rapporteurs au sujet des roquettes M-26 du lance-roquettes multiple et de l'emploi de l'obus à grenades OGR.
M. Philippe Nogrix a précisé que les membres du groupe Union centriste - UDF s'associaient aux observations formulées par M. André Dulait. Il a également estimé que la question de la non-utilisation ou du retrait des roquettes M-26 du lance-roquettes multiple concernait au premier chef les pays qui, à la différence de la France, ont utilisé cet armement dans les conflits récents.
M. Roger Romani a rappelé que la défense et les conditions de mise en oeuvre de la force armée relevaient de la responsabilité de l'exécutif, le travail d'analyse du Parlement ne pouvant aller jusqu'à fixer des règles pour l'utilisation de tel ou tel armement.
M. Gérard Roujas a considéré que la réalisation d'un rapport d'information sur un tel sujet était à l'honneur du Parlement. Il a demandé des précisions sur les pays producteurs d'armes à sous-munitions.
A la suite de ces différentes interventions, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a rappelé le travail très approfondi qui avait précédé la présentation du rapport d'information, notamment l'audition de tous les acteurs concernés. Il a précisé qu'au cours de leurs travaux, et en fonction des différents points du vue qui ont enrichi leurs réflexions, les rapporteurs avaient évolué dans leur perception d'une question complexe. Il a souligné que les conclusions proposées étaient nécessairement le fruit d'un compromis entre la prise en compte de problèmes humanitaires incontestables et les nécessités de défense, qui ne devaient en rien être négligées, mais aussi entre la satisfaction que pouvait légitimement inspirer le comportement responsable de l'armée française en la matière et le souhait de progresser sur la voie d'une meilleure protection internationale des populations civiles. S'agissant des roquettes à sous-munitions du lance-roquettes multiple, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a précisé que leur remplacement à terme était envisagé et que la recommandation des rapporteurs visait à officialiser et accélérer cette évolution. En ce qui concerne l'obus à grenades, il a indiqué qu'il paraissait utile de préciser les règles d'emploi, qui correspondent actuellement à la pratique de l'armée française. Enfin, il a considéré que le Parlement pouvait légitimement s'intéresser aux types d'armement en service dans les armées et aux conditions de leur emploi.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a précisé que les chiffres cités dans le rapport d'information au sujet des quantités d'armes à sous-munitions utilisées dans les conflits récents constituaient des estimations ou des évaluations, et non des données vérifiées. Dans la plupart des cas, en effet, les belligérants n'indiquent pas le nombre de munitions tirées. Elle a ajouté qu'il en était ainsi pour le récent conflit du Liban, à l'issue duquel l'armée israélienne n'a pas confirmé les quantités de munitions tirées, les seuls chiffres disponibles résultant des estimations effectuées sur le terrain par les organismes des Nations unies en charge du déminage, qui n'ont d'ailleurs pas encore quantifié l'étendue exacte de la pollution par des sous-munitions non explosées. Elle a confirmé que les autorités israéliennes avaient déclaré que des armes à sous-munitions avaient été utilisées par l'artillerie, en contravention avec les directives reçues, et qu'une commission d'enquête avait été instituée à ce sujet. S'agissant des pays producteurs d'armes à sous-munitions, elle a précisé qu'ils étaient au nombre d'une trentaine, une majorité écrasante des armes à sous-munitions utilisées dans les conflits contemporains étant toutefois d'origine américaine. Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a ensuite souligné que le rôle de la France dans le combat contre les mines antipersonnel était reconnu et salué sur le plan international et indiqué qu'à titre personnel, elle aurait souhaité que notre pays prenne la tête de nouvelles initiatives sur les armes à sous-munitions. Elle a cependant ajouté que les conclusions proposées par les rapporteurs cherchaient à prendre en compte et concilier les différents aspects, militaires et diplomatiques, de la question des armes à sous-munitions. Elle a insisté sur le caractère concret de certaines des préconisations, notamment l'accélération du remplacement de la roquette à sous-munitions du lance-roquettes multiple par une nouvelle roquette à charge unitaire. Enfin, elle a souligné que les armées sont parfois les premières victimes des sous-munitions non explosées laissées sur le terrain, notamment lors des opérations de déminage.
A la suite d'un débat auquel ont participé MM. André Dulait, Philippe Nogrix et Roger Romani, M. Jean-Pierre Plancade et Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteurs, ont récapitulé les différentes préconisations proposées, et notamment, s'agissant des mesures à prendre au plan national, l'accélération du remplacement des roquettes à sous-munitions du lance-roquettes multiple par de nouvelles roquettes à charge unitaire et le maintien de règles d'emploi strictes et claires pour l'utilisation de l'obus d'artillerie à grenades OGR.
Mme Hélène Luc a de nouveau indiqué que les membres de son groupe s'abstiendraient sur les conclusions du rapport et a demandé qu'ils puissent annexer leurs observations dans le document écrit.
La commission a adopté les conclusions et préconisations des rapporteurs à l'unanimité des suffrages exprimés, les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'abstenant.
A l'issue de ce débat, la commission a donné acte aux rapporteurs de leur communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.